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Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

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ils ont été largement utilisés par Robrieux lui-même, puis par<br />

Buton : les réflexions qui suivent, en l’absence de consultation<br />

directe autorisée, s’appuient sur leurs travaux. Pour les années<br />

1945-1947, les papiers conservés par Lecoeur suggèrent des<br />

chiffres proches des communiqués officiels ; ils s’en éloignent<br />

pour les années suivantes (tableau 5).<br />

Il y a toutefois une incertitude sur la nature de ces données.<br />

Dans son Histoire intérieure, Robrieux affirme à plusieurs<br />

reprises que Lecœur se réfère aux <strong>carte</strong>s « expédiées » par le Centre<br />

; de son côté, Buton considère dans son article de 1985 qu’il<br />

s’agit des <strong>carte</strong>s « placées ». En l’état, impossible de trancher<br />

entre les deux acceptions. Mais on peut désormais comparer le<br />

dernier chiffre de la série Lecoeur (entre 340 000 et<br />

350 000 pour 1953) et le premier du classeur Servin (275 000<br />

<strong>carte</strong>s placées en 1954). Après le paroxysme de « l’année terrible<br />

» 1952, les archives Lecoeur suggèrent un léger regain en<br />

1953 ; on comprendrait donc mal que l’année 1954 ait provoqué<br />

un nouvel affaiblissement de 65 000 à 75 000 adhérents,<br />

soit plus de 20 % des effectifs. Que conclure ? Que la période<br />

suivant la Libération ne nous donne aucune indication directe<br />

sur le niveau des <strong>carte</strong>s placées auprès des militants. Jusqu’en<br />

1954, le Centre ne dispense que deux types de statistiques, au<br />

demeurant plus ou moins maîtrisées. Certaines relèvent de l’hyperbole<br />

militante « d’en bas » (les premières demandes de <strong>carte</strong>s<br />

au Centre venant des fédérations) ou de la construction « par en<br />

haut » de chiffres ayant fonction de propagande 25 : le premier<br />

gonflement d’effectifs revendiqués (le million de l’automne<br />

1945) détermine le niveau de référence néces<strong>sa</strong>ire pour énoncer<br />

les effectifs suivants. En revanche, d’autres données, publiques<br />

ou internes (les états Lecœur) se basent, comme avant 1939, sur<br />

les <strong>carte</strong>s adressées de Paris.<br />

Deux méthodes peuvent être retenues à partir de là. Ou<br />

bien on considère, comme le fait Buton, que les registres de<br />

Lecoeur portent sur les <strong>carte</strong>s placées et, de facto, nous indiquent<br />

approximativement le nombre d’adhérents : dans ce cas,<br />

on constate que le PCF aurait franchi le seuil des 800 000 adhérents<br />

en 1946-1947. Ou bien on juge – option tenue ici la plus<br />

vraisemblable – que les statistiques disponibles portent sur les<br />

<strong>carte</strong>s expédiées et que la fourchette d’adhérents « encartés »<br />

dans la meilleure période pourrait dès lors se situer, au mieux,<br />

entre 500 000 et 600 000, ce qui se rapproche des suggestions<br />

faites naguère par Robrieux 26 .<br />

Que se passe-t-il après 1947 ? Le repli est sensible dès le<br />

début de 1948. Le 4 mars, le Bureau politique discute d’un rap-<br />

Données nouvelles sur les effectifs du PCF<br />

port de Léon Mauvais qui évoque un recul d’une cinquantaine<br />

de milliers d’adhérents 27 . Mais les chiffres qu’il présente à ses<br />

camarades relèvent de la même incertitude que dans la période<br />

précédente. Ainsi, le secrétaire à l’Organi<strong>sa</strong>tion en titre cite,<br />

pour l’année 1948, un total de 784 290 <strong>carte</strong>s expédiées, tandis<br />

que les carnets personnels de Lecoeur retiennent le chiffre plus<br />

modeste de 659 000. En tout état de cause, les années suivantes<br />

amplifient la dépression, au moins jusqu’en 1952. Établis<strong>sa</strong>nt la<br />

différence entre les <strong>carte</strong>s « expédiées », les <strong>carte</strong>s « placées » et<br />

les <strong>carte</strong>s « payées », Robrieux estime 28 que, pour l’année 1953,<br />

« les effectifs réels du Parti tournent autour de 160 000 et ne<br />

<strong>sa</strong>uraient, dans l’hypothèse la plus favorable, dépasser de beaucoup<br />

les 170 000 à 180 000 adhérents ». Il parvient à ce chiffre<br />

en utili<strong>sa</strong>nt une notation des carnets de Lecoeur, en date du<br />

28 mai 1953, dans laquelle le respon<strong>sa</strong>ble évalue à 48 % les<br />

retours des fédérations sur le matériel (<strong>carte</strong>s et timbres) envoyé<br />

par le Centre 29 . Les estimations de Robrieux portent ainsi sur les<br />

<strong>carte</strong>s payées par les adhérents et retournées vers le siège national<br />

30 . Peut-on, de la même manière, imaginer le nombre des<br />

<strong>carte</strong>s placées ? Le tableau 6 énonce trois hypothèses, à partir<br />

du total annuel des <strong>carte</strong>s expédiées consignées par Lecœur : les<br />

trois ratios retenus correspondent à des écarts constatés ultérieurement<br />

entre les chiffres officiels et les effectifs du classeur<br />

« secret » . Comme pour l’entre-deux-guerres, impossible d’aller<br />

plus loin : l’écart des « placées » et des « expédiées » n’est<br />

jamais fixe ; <strong>sa</strong>ns doute se réduit-il entre les premières totali<strong>sa</strong>tions<br />

optimistes et les dernières, plus réalistes, retenues par<br />

l’équipe de Lecœur. On trouvera donc, dans le tableau 6 précité,<br />

une quatrième colonne propo<strong>sa</strong>nt une « hypothèse<br />

d’étape », en attendant d’autres investigations.<br />

4. La « politique du chiffre ».<br />

À la veille du XIII e Congrès de juin 1954, le tout nouveau<br />

secrétaire à l’Organi<strong>sa</strong>tion, Marcel Servin, a pour référence officielle<br />

le chiffre des <strong>carte</strong>s expédiées, que Thorez a lancé au<br />

Congrès précédent, quatre ans plus tôt : 786 855. Au moment<br />

où les congressistes se réunissent, à Ivry, Servin a-t-il déjà<br />

connais<strong>sa</strong>nce de la totali<strong>sa</strong>tion remontée des fédérations<br />

(275 000 <strong>carte</strong>s placées) ? En tout cas, il <strong>sa</strong>it que les effectifs de<br />

1954 sont très au-dessous de ceux proclamés en 1950. Or nous<br />

sommes encore en pleine « guerre froide ». Évoquer les effectifs<br />

réels, même en expliquant que l’on passe des <strong>carte</strong>s expédiées<br />

aux <strong>carte</strong>s placées, serait reconnaître l’affaiblissement militant<br />

du parti. À l’époque, c’est inimaginable. Servin coupe la poire<br />

25 Les archives Thorez (626 AP/224) contiennent ainsi un carnet manuscrit où sont indiqués des effectifs fédéraux pour les années 1945 et 1946. Ces chiffres,<br />

curieusement très arrondis, excèdent les effectifs annoncés au Congrès de 20 % environ, pour atteindre un total supérieur à un million.<br />

26 Dans le tome 2 de son Histoire intérieure, page 207, Philippe Robrieux considère qu’on ne compte « pas beaucoup plus de 500 000 communistes au début de<br />

l’année 1947 ».<br />

27 Mathilde Regnaud, Au cœur du Parti communiste français. Les notes de Bureau politique de Maurice Thorez 1947-1964, Thèse pour le diplôme d’archiviste paléographe,<br />

2005.<br />

28 Histoire intérieure…, tome II, p. 374.<br />

29 En réalité, les pourcentages de retours sont très variables d’une année sur l’autre. Les archives Thorez-Vermeersch contiennent ainsi une Note d’André Arnault<br />

(« Administration ») qui, présentant la situation de trésorerie au 30 juin 1947, précise qu’à cette date les fédérations ont réglé 53 % du matériel expédié contre<br />

36 % en 1946.<br />

30 Charles Tillon se réfère de son côté à 172 000 adhérents en 1949 (On chantait rouge, Robert Laffont, 1977, p. 481). En juin 1954, Servin expose quant à lui les<br />

résultats d’une enquête menée à partir de 153 163 talons de <strong>carte</strong>s remplis et retournés par les fédérations, ce qui se rapproche ainsi des données évoquées par<br />

Tillon. Les estimations de Robrieux se calent sur ces chiffres.<br />

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