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Marchand interroge quant à lui la capacité de lřargent à être un moyen dřéchange fiable, malgré les perturbations et les bouleversements économiques, et construit alors un rapprochement avec des formes plus souples de la monnaie, susceptibles de lui conférer cette qualité recherchée. Volpone donne à voir un monde non plus shakespearien, qui faisait le pari de lřharmonie malgré les discours perturbateurs qui le traversent obligatoirement, mais une microsociété en proie au caprice dřun individu despote, qui, par le truchement de sa fortune, dicte ses propres lois et crée un univers de pure fantaisie. Lřintérêt de Volpone est tourné entièrement vers son plaisir, attitude certes anti-puritaine mais tout autant amorale dans le contexte anglican. La circulation des êtres et des biens doit satisfaire le désir et les attentes de lřinvestisseur de ses « monnaies », et non plus permettre un échange de services au nom de lřamitié. Cette économie est proprement avare, en ce quřelle part de soi pour retourner à soi, dans un processus égoïste 219 , où le « prochain » nřintervient pas. Pas de fraternité entre les êtres ici, tous restent des « autres » inférieurs à Volpone, des entités presque abstraites, destinées à lui servir. c. La course aux plaisirs élevée au rang de morale économique, ou comment les individus se « monnayent eux-mêmes » Volpone est le personnage qui sřintéresse le moins à la possession de lřargent ; en étant abondamment pourvu et ayant constaté son inefficacité immédiate, il recherche une jouissance plus brute, qui va de lřamusement capricieux à lřassouvissement de sa lubricité. Ce principe de plaisir se manifeste dans lřexploitation permanente de déguisements, de tours, de 219 Pour une idée similaire, voir GREENBLATT, Stephen J., ŖThe False Ending in Volponeŗ, in The Journal of English and Germanic Philology, Vol. 75, n° 1/2 (janvier - avril 1976), p. 90-104. Il suggère de voir en Volpone lřavènement dřune conscience individuelle moderne. 154

mensonges, qui ramènent Volpone à lřirresponsabilité et à lřinconscience de lřenfance : il ne se doute à aucun moment des intentions du fourbe Mosca, évidentes aux yeux du spectateur complice ; bien que celui-ci prenne tous les prétextes pour lřinjurier gratuitement 220 , en tant que personnage de comédie, il ne peut prendre la distance du public. Puisque quřil a choisi de consacrer sa fortune à la prospérité de son « génie » et de vivre « libre », il décide de « façonner » un héritier (« whom I make/ Must be my heir », I, 1, v. 69- 75), afin de le « monnayer à son profit » (« to coin [him] into profit », v. 86). Il crée ainsi une exploitation économique des personnes. Il leur applique la fonction-signe de lřargent, qui leur donne par contrecoup une valeur marchande les uns par rapport aux autres, alors que dans le Marchand de Venise et dans L‟Avare, les personnages transfèrent encore sur les êtres la fonction-prix de lřargent 221 , qui détermine leur plus ou moins grande valeur morale ou économique 222 . Autrement dit, dans Volpone, les êtres ne sont que les produits dřun échange permanent, exhibés par le Magnifico et son serviteur en fonction de leurs besoins en vue de lřobtention dřun plaisir ; dans L‟Avare et le Marchand de Venise, Harpagon et Shylock imputent à leur entourage un prix, en fonction de leur valeur sociale (enfant, fiancée, marchand solvable, etc.), dont ils ne négligent pas le caractère. Ainsi, chez Jonson, lřexpression de la force de lřargent et du pouvoir quřil exerce sur les êtres sřavère bien plus entière et agressive que chez Molière ou Shakespeare. Volpone et son serviteur sont des ogres de plaisirs, qui consomment à la fois or, présents, femmes, dupes. Dřailleurs, le vocabulaire de la dévoration sřapplique aux êtres humains aussi bien quřaux denrées périssables : Mosca, par exemple, insiste sur la répugnance de son maître à « dévorer les tendres prodigues » (« devour soft prodigals »), alors que dřautres les « avalent » (« swallow »), comme des 220 Ex. en I, 1, v. 512-520. 221 Voir Foucault, op. cit. et plus haut. 222 Cřest flagrant dans les propos dřHarpagon au sujet de la dot de Mariane (Avare, II, 5) ou dans le choix du Prince du Maroc parmi les trois cassettes : il assimile le prix de lřor à la vertu de sa belle. 155

Marchand interroge quant à lui la capacité <strong>de</strong> lřargent à être un moyen dřéchange fiable,<br />

malgré les perturbations et les bouleversements économiques, et construit alors un<br />

rapprochement avec <strong>de</strong>s formes plus souples <strong>de</strong> la monnaie, susceptibles <strong>de</strong> lui conférer cette<br />

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Volpone donne à voir un mon<strong>de</strong> non plus shakespearien, qui faisait le pari <strong>de</strong><br />

lřharmonie malgré les discours perturbateurs qui le traversent obligatoirement, mais une<br />

microsociété en proie <strong>au</strong> caprice dřun individu <strong>de</strong>spote, qui, par le truchement <strong>de</strong> sa fortune,<br />

dicte ses propres lois et crée un univers <strong>de</strong> pure fantaisie. Lřintérêt <strong>de</strong> Volpone est tourné<br />

entièrement vers son plaisir, attitu<strong>de</strong> certes anti-puritaine mais tout <strong>au</strong>tant amorale dans le<br />

contexte anglican. La circulation <strong>de</strong>s êtres et <strong>de</strong>s biens doit satisfaire le désir et les attentes <strong>de</strong><br />

lřinvestisseur <strong>de</strong> ses « monnaies », et non plus permettre un échange <strong>de</strong> services <strong>au</strong> nom <strong>de</strong><br />

lřamitié. Cette économie est proprement avare, en ce quřelle part <strong>de</strong> soi pour retourner à soi,<br />

dans un processus égoïste 219 , où le « prochain » nřintervient pas. Pas <strong>de</strong> fraternité entre les<br />

êtres ici, tous restent <strong>de</strong>s « <strong>au</strong>tres » inférieurs à Volpone, <strong>de</strong>s entités presque abstraites,<br />

<strong>de</strong>stinées à lui servir.<br />

c. La course <strong>au</strong>x plaisirs élevée <strong>au</strong> rang <strong>de</strong> morale économique, ou comment les<br />

individus se « monnayent eux-mêmes »<br />

Volpone est le personnage qui sřintéresse le moins à la possession <strong>de</strong> lřargent ; en étant<br />

abondamment pourvu et ayant constaté son inefficacité immédiate, il recherche une<br />

jouissance plus brute, qui va <strong>de</strong> lřamusement capricieux à lřassouvissement <strong>de</strong> sa lubricité. Ce<br />

principe <strong>de</strong> plaisir se manifeste dans lřexploitation permanente <strong>de</strong> déguisements, <strong>de</strong> tours, <strong>de</strong><br />

219 Pour une idée similaire, voir GREENBLATT, Stephen J., ŖThe False Ending in Volponeŗ, in The Journal of<br />

English and Germanic Philology, Vol. 75, n° 1/2 (janvier - avril 1976), p. 90-104. Il suggère <strong>de</strong> voir en Volpone<br />

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