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BULLETIN<br />

A LûEl^rbE L'4 F R I AU Et>u N9PÙ<br />

t) Vingt-quatrième année. —<br />

Publié sous la Direction du Bureau<br />

par M. Victor DEMONTES, Secrétaire général<br />

G%m<br />

<strong>1919</strong><br />

— Première Partie. ACTES DE LA SOCIETE<br />

Procès -verbaux des séances de la Société. I<br />

Deuxième Partie. — QUESTIONS AFRICAINES<br />

Dr J. P. BOUNHIOL. Comment intensifier la<br />

production maritime de<br />

l'Algérie<br />

,J. DESPARMET..<br />

Cap. PEYRONNET<br />

Ethnographie tradition<br />

nelle de la Mettidja .<br />

Histoire du Tadla des<br />

origines à 1910 49<br />

Marie BUGEJA A travers l'Algérie. . . .<br />

BUGEJA Iril Imoula et ses sourds-<br />

muets 87<br />

X Légendes du M'Zab. . 93<br />

Troisième Partie VARIÉTÉS GÉOGRAPHIQUES<br />

Dr<br />

Ed. VIDAL Science et Dévouement<br />

au Service des Blessés<br />

■ de l'Armée française 116<br />

Ch. BARBET Une prise d'armes à<br />

Alger 138<br />

ld Effet du soir à M "Sila. 140<br />

Bibliographie 1 43<br />

-ts Jfr


Société de Géographie d'Alger<br />

et de"<br />

l'Afrique du Nord<br />

Vingt-quatrième Année. — <strong>1919</strong><br />

LISTE DES MEMBRES DES BUREAUX<br />

POUR L'ANNÉE <strong>1919</strong><br />

BUREAU CENTRAL<br />

Président M. Armand MESPLÉ, Agrégé d'Histoire et de Géographie,<br />

Professeur à la Faculté des Lettres de l'Université<br />

d'Alger, Assesseur du Doyen.<br />

1er - Vice-Président. M. PAYSANT, Trésorier Payeur Général Honoraire et<br />

Préfet Honoraire.<br />

2e Vice-Président. M. PELLEPORT, Sous-Intentlant militaire de lre classe<br />

en retraite. Commissaire du Gouvernement près le<br />

Conseil de révision de la 19e région, Alger.<br />

Secrétaire Général. M. Victor DEMONTES, Professeur Agrégé au Lycée<br />

Secrétaire Général<br />

d'Alger, Doctetir ès-Lettres.<br />

Adjoint Colonel GARD, en retraite.<br />

Secrétaire M. PRAT-ESPOUEY, Propriétaire.<br />

Secrétaire M. BARBEDETTE (Frédéric), Conseiller Général, Maire<br />

de Djidjelli, Délégué financier.<br />

Trésorier M. WILHELM, Directeur de la Cle 1' « Union », à Alger.<br />

Trésorier Adjoint. .<br />

Archiviste-Biblio<br />

M. LEVADOUX,<br />

classe, en retraite.<br />

Receveur de l'Enregistrement de lrE<br />

thécaire M. AUBRY, Professeur d'allemand au Lycée et à l'Ecole<br />

Président<br />

Vice-Président .... X...<br />

Secrétaire<br />

Supérieure de Commerce d'Alger<br />

SECTION TECHNIQUE<br />

M. GARD, Colonel en retraite, à Alger.<br />

M. CORNETZ, Ingénieur civil, à Alger.


II BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

Président<br />

SECTION COLONIALE ET ÉCONOMIQUE<br />

M. MAIRE, Professeur à la Faculté des Sciences, à Alger.<br />

Xer Vice-Président. M. TRABUT (Dr), Professeur à la Faculté de Médecine,<br />

à Alger.<br />

2e Vice-Trésident.. M. GUERLET, Ingénieur, Docteur en droit, Directeur<br />

des trams du'Sahel, à Alger.<br />

Secrétaire M: CAILLEAU, Directeur Honoraire de succursale de la<br />

Banque de l'Algérie.<br />

SECTION HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE<br />

Président M. de SAMBCEUF, Avocat à la Cour d'Appel d'Alger.<br />

1" Vice-Président. D' EDMOND VIDAL, mobilisé.<br />

2e '<br />

Vice-Président. Dr SOULIÉ, IL, Professeur à là Faculté de médecine,<br />

3^ Vice-Président. Mme la Comtesse SAVORGNAN DE BRAZZA.<br />

1er Secrétaire M. L. COULON, Instituteur, mobilisé.<br />

2« Secrétaire M. René de SAMBŒUF, mobilisé.<br />

Président X.... ,<br />

SECTION MAROCAINE DE TANGER<br />

Vice-Présidents . . . MM. Eugène Luret, Directeur des Services de Contrôle<br />

Secrétaire X....<br />

,<br />

de la Dette marocaine.<br />

Docteur Cabanes.<br />

Saurin, Avocat.<br />

Secrétaires adjoints. MM. Rabanit, Directeur de l'Agence Havas.<br />

Belhadj, Directeur de la Section arabe-française.<br />

Bibliothécaire M. Périer, Directeur du Petit Collège français.<br />

Messieurs les Sociétaires sont instamment priés de faire parvenir les CHANGE<br />

MENTS D'ADRESSES au Siège de la Société, afin d'éviter les FAUSSES DI<br />

RECTIONS DONNÉES AUX BULLETINS.<br />

îfr


&.+&.+&<br />

Bulletin de la Société de Géographie d'Alger<br />

et de l'Afrique du Nord<br />

Vingt- quatrième Année — <strong>1919</strong><br />

Procès Verbaux des Séances de la Société<br />

SÉANCE BIMENSUELLE DU 27 NOVEMBRE 1918<br />

La séance a lieu dans la Salle des Mariages de la Mairie, sous la présidence<br />

de M. l'Intendant militaire Pelleport, vice-président.<br />

M. Pelleport excuse le président, M. Armand Mesplé, et les membres du Bu<br />

reau absents.<br />

Admission et présentation de nouveaux membres. —<br />

Le<br />

secrétaire,<br />

M, Prat, donne la liste des 15 membres ayant donné leur adhésion avant les<br />

vacances et que le Bureau a acceptés sous réserve de la ratification de l'Assem<br />

blée. Ce sont :<br />

Mme Félix, institutrice, conseiller départemental, villa « Henriette •>, che<br />

min des Sept-Merveilles,<br />

Mme Ruffler.<br />

Alger ; présentée par M. Armand Mesplé et<br />

M. Deshayes (Eugène), peintre des Ministères de la Marine et des Colonies ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Paysant.<br />

Mme Deshayes, 2, boulevard Laferrière. Alger ; présentée par M. Armand<br />

Mesplé et M. Paysant.<br />

MM. Alizart (Emile), .<br />

M. de Galland.<br />

mairie d'Alger ; présenté par M. Armand Mesplé et<br />

Bories délégué financier de Mostaganem (Oran) ; présenté par M. Ar<br />

mand Mesplé et M. Bérard.<br />

Delorot (Henri),<br />

chef d'escadron d'Artillerie à l'Etat-Major à Alger :<br />

présenté par M. Arriaand Mesplé et M. l'Intendant militaire Pelleport.<br />

C'olias, propriétaire de la Brasserie Guillaume-Tell, Oran ; présenté par<br />

M. Kalampokis et M. Lycurgue.<br />

Gratien, secrétaire de l'Ouest-Algérien, 18, rue d'Alsace-Lorraine, Oran ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Seal.<br />

Léchenet, professeur au Lycée d'Alger ; présent par M. Armand Mesplé<br />

et M. Démontés.<br />

Mme Saunier, 13, rue Edmond-Adam, à Alger ; présentée par Mme Jacquet<br />

Ancet et M. Mirante.<br />

MM. Dr Herber, médecin-major, métlecin-ehef de la Maternité à Rabat (Ma<br />

présenté par<br />

roc) ;<br />

M. Armand Mesplé et M. Henri Basset.


IV BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GEOGRAPHIE<br />

Gazaniol, 19, boulevard Malakoff, Oran ; présenté par M. Armand Mesplé<br />

et M. Démontés<br />

Vallière (Aimé), négociant, président de Commission de Ravitaillement,<br />

15, boulevarel du 2e zouaves, à Oran ;<br />

et M. l'intendant militaire Pelleport.<br />

présenté par M. Armand Mesplé<br />

Louviot, négociant, 31. rue du Maréchal-Soult, à Alger ; présenté par<br />

M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Picquet, principal du Collège de Bel-Abbès, Oran présenté par ;<br />

M. Ar<br />

mand Mesplé et M. Démontés.<br />

Ont été présentés :<br />

MM. Général Simonin (Ernest), 78, rue Saint-Jacques, à Marseille ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. le Général Bailloud.<br />

Bruneteaux (Léon),<br />

l'Algvrie, Palais d'Hiver, Alger ;<br />

M. Paysant.<br />

secrétaire particulier du Gouverneur Général de<br />

présenté par M. Armand Mesplé et<br />

Laffont (Paul), greffier du Tribunal, à Tizi-Ouzou ; présenté par M. Ar<br />

mand Mesplé et M. Démontés.<br />

Lévy (Albert), interprète judiciaire à El-Arouch,<br />

actuellement inter<br />

prète auxiliaire au bureau des Affaires ineligènes à Medenine (Tunisie) ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Mallet (Ciiari.es), avocat délégué de la Ligue Française à Boghari ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Ot%D Aoudia (Boudjema ben Braiiim), oukil judiciaire à Michelet<br />

(Alger) ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Paysant.<br />

Fugit (Gabriel-Alfred), capitaine 3e compagnie de remonte à Cons-<br />

tantine ; présenté par M. Armand Mesplé et M. l'Intendant Pelleport.<br />

Fleury. directeur des Voûtes, 10, rampe Magenta, Alger ; présenté par<br />

M. Armand Mesplé et M. Deshayes.<br />

Badin (Alphonse-Louis), retraité, 52, boulevard de Champagne, Alger ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Prat-Espouey.<br />

M.U'KY (Félix), chef de cabinet du Secrétaire général du Gouvernement ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Paysant.<br />

Ben Lalou, atijoint au maire ele Laghouàt ; présenté par M. Armand<br />

Mesplé et M. Fridman.<br />

Dye-Pellisson (Jean), notaire, 7, place de la République, Alger ; pré<br />

senté par M. Armand Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Merle des Isles (Henri), administrateur-adjoint de commune mixte à<br />

Taher (Constantine) ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Jkn ireau (Auguste), capitaine d'infanterie hors cadres, chef du Bureau<br />

des Affaires indigènes à Méehéria (Oran) ; présenté par M. Armand<br />

Mesplé et le Colonel Gard.<br />

.IvceiLic.MART, sergent, actuellement : Dépôt des prisonniers de Saint-<br />

Pierre-les-Quiberon (Morbihan) ; présenté par M. Armand Mesplé et<br />

M. Démontés.<br />

Howard (Edward), ancien administrateur colonial, Hôtel Beauséjour,<br />

Alger ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Prat-Espouey.<br />

D1 Pierre, médecin du Service Sanitaire de l'Algérie ;<br />

Armand Mesplé et M. Boutilly.<br />

présenté par M.


D ALGER ET DE L AFRIQUE DU NORD V<br />

Baconnier (Henri), négociant, 4, rue de Constantine, Alger ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Marquis de La Rochetuulon et Grente, président du Souvenir Xor-<br />

mand, rue de la Victoire, 75, à Paris (IXe), à Alger, Hôtel de l'Oasis ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Wassilieff Wassilikoff.'<br />

duchateau, capitaine de frégate en retraite, ancien directeur des Ports<br />

du Commerce de Cochinchine, à Alger, villa Monte-Marco, Belcourt ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Wassilieff Wassilikoff.<br />

Lafuente (Emile), administrateur-adjoint de la Commune mixte de<br />

Boghar (Alger) ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Jacotin, chef de la Section des Affaires indigènes à la Division d'Alger ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et l'Intendant Pellepeart.<br />

Anziani (Numa), capitaine au 1er zouaves, caserne d'Orléans, Alger ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Lambert (Alphonse), directeur du Petit Lycée de Ben-Aknoun ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Malbos (Jacques-Pierre-Paul), pharmacien, 13, rue de Constantine :<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Bugéja.<br />

Ros (Frawiois), courtier, 38, rue Hoche, à Alger ; présenté par M. Ar<br />

mand Mesplé et M. Bugéja.<br />

Garbiès (Albert), propriétaire à Palestro (Alger) ; présenté par M. Ar<br />

mand Mf'splé et M. Bugéja.<br />

Bensmaa (Djabir), fabricant de tabacs, 2, rue de Constantine, Alger;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Bugéja.<br />

Denden Sadek, imprimeur-éditeur, à Alger, 18, rue Eugène-Robe ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Bugéja.<br />

Sultana (Antoine), industriel, 37, rue Michèle t, Alger ; présenté par<br />

M. Armand Mesplé et M. Bugéja.<br />

Gozlan (Elie), négociant, 10, rue de la liberté, Alger ; présenté par M.<br />

Armand Mesplé et M. Bugéja.<br />

Baron de Belabre (Georges), propriétaire à Saint-Pierre-Saint-Paul,<br />

33, boulevard Bugeaud, à Alger : présenté par M. Armand Mesplé et<br />

M. Bugéja.<br />

Brahim-Mouiioub, fabriéant de tabacs, 43, rue de Lyon, Alger-Belcourt ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Bugéja.<br />

Douieb (Raphaël), propriétaire à Alger, 33, rue d'Isly ; présenté par<br />

M. Armand Mesplé et M. Bugéja.<br />

Kaid Hammoud (Mohamed), ingénieur-agronome, avenue Rossier, à<br />

Alger ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Bugéja.<br />

Castéran (Eugène)<br />

National ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

administrateur-adjoint de commune mixte, à Eort-<br />

Martin (Georges), lieutenant-colonel d'infanterie H.C. commandant<br />

supérieur du cercle de Colomb-Béchar (Sud-Oranais),<br />

M. Armand Mesplé et le Colonel Gard.<br />

présenté par<br />

Ducurtil (Florian), agi'iculteur-éleveur, à Bordj Sidi Sabah-le-Goubel<br />

lat, capitaine commandant le 11e escadron de Spahis,<br />

Armand Mesplé et M. Démontes.<br />

présenté par Ai.<br />

Rocham-<br />

Perpère agent général de la Foncière (Vie et Incendie), 9, rue<br />

beau, Alger ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.


VI BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

Depommier (F.), capitaine, chef de Bureau à In-Salah (Tidikelt) ; pré<br />

senté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Rouquet, médecin principal, 31, rue d'Isly, à Alger ; présenté par M. Ar<br />

mand Mesplé et le Colonel Mayer.<br />

Roux (Léon), officier d'administration de lre classe du Génie, chefferie<br />

du Génie, 9, rue du 14 juin, à Alger ; présenté par M. Armand Mesplé<br />

et M. l'Intendant Pelleport.<br />

Félix (Robert), sous-lieutenant au 4e tirailleurs à Sousse (Tunisie) ;<br />

présenté par Mme Félix et M. Armand Mesplé.<br />

Mme Mantoz, inspectrice des Ecoles maternelles, 38, rue Hoche, Alger ;<br />

présentée par M. Armand Mesplé .et M. Paysant.<br />

MM. de Pouvreau-Baldy, statuaire, 3 et 12, rue Berthelot, Alger ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Fidèle (Maxime), administrateur principal, détaché à la Préfecture d'Al<br />

ger ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Mme Stora (Hélène-Léon), 83, route Malakoff, Alger ;<br />

M. Armand Mesplé et M. Fridman.<br />

présenté par<br />

MM. Adriet, médecin-principal, directeur du Service de Santé de la Division<br />

d'Alger ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Julien, professeur d'histoire au Lycée d'Alger ; présenté par M. Arriaand<br />

Mesplé et M. Eldin.<br />

Martin (E.), docteur en Droit, avocat à Alger, rue Henri-Martin, 14 ; pré<br />

senté par M. Armand Mesplé et M. Paysant.<br />

Lignée, agrégé des Lettres, professeur de Ire au Lycée d'<br />

Alger ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Armand (Henri), chef de Cabinet du Directeur du Ravitaillement, 121,<br />

avenue des Champs-Elysées, Paris ; présenté par M. Armand Mesplé<br />

et M. Paysant.<br />

Guelpa (Léon), docteur à Birkadem (Alger), actuellement médecin-ma<br />

présenté par M. Armand Mespléet M. le Doc<br />

jor de 2e classe en Orient ;<br />

teur Pron.<br />

Hursy (Théodore), 2, rue Borély-la-Sapie, Alger, inspecteur de Ire classe<br />

de la Garde indigène de l'Indo-Chine ; présenté par M. Armand Mesplé<br />

et M. Bugéja.<br />

Chekiken (Hamoudan), négociant en tabacs, 14, rue Bourlon, Alger ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Bugéja.<br />

Perrin-Terrin (Louis), instituteur, 2, rue Delacroix, Alger ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. Prat.<br />

Maubourguet, directeur d'Ecole, rue Montpensier, à Alger ; présente<br />

par M. Armand Mesplé et M. Prat.<br />

Colonel Lamiable (Constant), commandant le 7e régiment de Tirailleurs<br />

Algériens à Constantine ; présenté par M. Armand Mesplé et M. le Colo<br />

nel Gard.<br />

Laca/,k, président de chambre à la Cour d'Appel ; présenté par M. Ar<br />

mand Mesplé et M. l'Intendant Pelleport.<br />

Nivi.rt (Albert), ancien député, 9, boulevard Carnot ; présenté par<br />

M. René Nivert, magistrat, et M. Paysant,<br />


D'ALGER ET DE -L'AFRIQUE DU NORD VII<br />

Communications du Bureau. —<br />

Le Président propose qu'un télégramme<br />

d'admiration et de recemnaissancc soit adressé à M. Clemenceau et au Maréchal<br />

Foch, les deux grands/artisans de la victoire ; cette motion est adoptée à l'una<br />

nimité au milieu des acclamations de l'Assemblée.<br />

Promotions et distinctions honorifiques. —<br />

Puis<br />

il adresse les félicita<br />

tions du Bureau aux sociétaires qui ont été l'objet de distinctions ou de promo<br />

tions ; dans la Légion d'Honneur, l'Amiral Guépratte, Grand-Officier ; MM.<br />

Luciani et Arripe, Officiers ; Bûcher et Capitaine Peyronnet. Chevaliers.<br />

Le général Moinier a été nommé gouverneur militaire de Paris ; le Colonel<br />

Peignié, directeur du génie à Alger ; M. Alapctite, ambassadeur à Madrid ;<br />

M. Lovichi, sous-préfet de Bône ; M. Yung, conseiller de préfecture.<br />

Nécrologie. —<br />

Il présente ses vives condoléances aux familles des membres<br />

décédés depuis la dernière réunion : MM. Pén'é, Grégoire, LeBourgeois, Lefèbvre,<br />

Andrieu, Saar, Tondu, Voreaux, Biarnay, Thévenet, Colomiès, Mahieddine,<br />

Capitaine Mallac, Molinier-Violle.<br />

Bibliothèque. —<br />

Il signale les dons faits à la bibliothèque : Les Ambitions<br />

de l'Allemagne en Europe, par Lichtenberger, Blondel, etc., préface ele M. Paul<br />

Deschanel ; Transsahariens et Transafricains,<br />

par le lieutenant-Colonel Gode-<br />

froy ; L'Afrique du Nord et la Guerre, par Perreau Pradier, député, et M.Bes-<br />

son ; Dictionnaire abrégé Touareg-Français, par le P. de Foucauld et R. Basset ;<br />

L'inviolable serment ; envoi du Comité : L'effort de la France et de ses Alliés ;<br />

Histoire ancienne de l'Afrique du Nord (2 vol.) Cartilage, par Joseph Gsell, pro<br />

fesseur au Collège de France ; Quatre ans de Guerre (prov. de Constantine)<br />

rapport du Préfet ; Le Règlement Européen, par M. Guerlet.<br />

—- Communications individuelles. Puis le Présielent présente M. Guerlet,<br />

ingénieur, docteur en droit, vice-président de la section technique de la Société,<br />

et lui donne la parole.<br />

M. Guerlet,<br />

traite le sujet tout d'actualité ayant pour titre : «Du Règlement<br />

Européen ». La conférence mériterait d'être publiée in-extenso ; nous regrettons<br />

de ne pouvoir en donner qu'un rapide aperçu.<br />

Pour aboutir dans le Règlement Européen, le conférencier préconise, au lieu<br />

et place d'un Congrès général de la Paix, où les vaincus feraient tous leurs efforts<br />

pour se regrouper en offensive diplomatique contre lès vainqueurs, l'action<br />

exclusive de la Conférence diplomatique interalliée :<br />

1° En dressant d'abord entre les alliés seuls le programme général des con<br />

ditions de la Paix européenne ;<br />

en procédant ensuite à des paix séparées avec<br />

chaque vaincu et chez chacun d'eux pour régler les questions locales ;<br />

2° En constituant une Société de Nations entre les Alliés seuls ; ces derniers<br />

lui feraient apport du bénéfice des traités de Paix séparée et lui demneraient<br />

mission de compléter le règlement des questions européennes ;<br />

3° En élargissant enfin la Société des Nations,<br />

Nations,<br />

pour l'aehnission des autres<br />

sous la condition ciu'elles allègent la charge de auerre des nations fon<br />

datrices en prenant à leur compte une part raisonnable de la dette ele guerre,<br />

et chargeant la Société ainsi élargie d'achever le règlement des questions euro-


VIII BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

péennes et mondiales, et surtout de faire l'émission d'un emprunt international<br />

pour consolider tous les emprunts de guerre des nations fondatrices,<br />

liquider les charges de la Guerre.<br />

et pour<br />

M. Guerlet recommande l'établissement d'un bon programme pour guider<br />

et coordoner les négociations de Paix séparées qui devront comporter des stipu<br />

lations de territoires, d'avantages, de servitudes, de réserves assez générales,<br />

assez prévoyantes, afin de permettre d'éliminer une fois pour toutes les vaincus<br />

de la discussion et, aussi, pour permettre aux alliés de faire, soit entre eux seulsj<br />

soit entre eux et les autres associés qu'ils s'adjoindraient, le règlement de la paix<br />

conformément à leur programme.<br />

Dans une conclusion que l'Assemblée ratifie par ses applaudissements, le<br />

conférencier rend hommage aux principaux artisans de la Victoire : à M. Clemen<br />

ceau, aux Alliés, au Maréchal Foch, à nos Morts impérissables et à nos incompa<br />

rables soldats.<br />

Le Président adresse à son distingué collègue des remerciements aussi cha<br />

leureux qu'éloquents, et lève la séance à 7 heures.<br />

SÉANCE BIMENSUELLE DU 11 DÉCEMBRE 1918<br />

Présidence de M. Armand Mesplé, président<br />

Au Bureau : MM. l'Intendant militaire Pelleport, Démontés, le Colonel Gard,<br />

Prat, Levadoux et L. de Sambceuf.<br />

La séance a lieu à l'Hôtel-de- Ville, devant une nombreuse assistance, où<br />

l'on remarquait, en particulier, le Commaneiant Laurent et le Capitaine Simian<br />

avec tout le corps d'Aviation du Centre d'Alger.<br />

Les soixante-et- un membres présentés à la dernière réunion sont admis.<br />

Ont demandé leur inscription :<br />

MM. Dr Vérité, 25, rue Henri-Martin, à Alger ; présenté par M. Armand Mes<br />

plé et le Docteur Saliège.<br />

Picou (Gabriel), professeur de dessin de la Ville de Paris, 3, rue Lacépède;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Bollez.<br />

Gatheron, secrétaire des Facultés, à Alger ; présenté par M. Armand<br />

Mesplé et M. Paysant.<br />

Benmehel^Mahfou), caïd du douar d'El-Gourine (Cherchell) ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. Benhamdine Mouloud.<br />

Gassiot (Pierre), co-directeur des Compagnies d'Assurances La Natio<br />

nale et la Prévoyance, 37, rue d'Isly ; présenté, par M. Armand Mesplé et<br />

M. Démontés.<br />

Rieger (Charles),' ea-dïreeleur des Compagnies d'Assurances La Natio<br />

nale et la Prévoyance, 37, rue d'Isly ; présenté par M. Armand Mesplé<br />

et M. Démontés.<br />

Tracol (Fernand), agent pemr l'Algérie de la Maison Nestlé, 0, rue Char-<br />

ras ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Paysant.


D ALGER ET DE L AFRIQUE DU NORD IX<br />

Cimino de Gelausé, parfumeur-chimiste,<br />

président du Comité des Vo<br />

lontaires Italiens Pro Francia, 13, rue Henri-Martin, Alger ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. l'Intendant militaire Pelleport.<br />

Guennoun (Said ben Ali), capitaine au .Service des Renseignements,<br />

à Bou-Denib, Maroc ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Abonnement, Cercle de la Haute-Moulouia (Service des renseignements)<br />

à Midelt, par Bou-Denib (Maroc).<br />

Abonnement, Cercle des Négociants, à Alger, 5, rue d'Isly.<br />

Choiselat, rue. -de Constantine (maison Altairac) ; présenté par M. le<br />

Conseiller Chambre et par M. Tolingher.<br />

Mme Choiselat, rue de Constantine ; présentée par M. le Conseiller<br />

Chambre et M. Tolingher.<br />

Mlle Choiselat, rue de Constantine ; présentée par M. le Conseiller<br />

Chambre et M. Tolingher.<br />

MM. Averseng (Gaston), directeur d'usine à, El-Affroun ; présenté par<br />

M. Armand Mesplé et M. Paysant.<br />

Commandant de Montandrey (Louis-Gaston), officier d'ordonnance du<br />

Général Nivelle ; présenté par M. Armand Mesplé et M. l'Intendant<br />

militaire Pelleport.<br />

Reber (Lucien), artiste-peintre, 1 , rue Drouet-d'Erlon, Alger ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. de Pouvreau-Baldy.<br />

Creté (Maurice), viticulteur à Créteville (Tunisie) ; présenté par M. Ar<br />

mand Mesplé et M. Démontés.<br />

Berthon (Louas); ingénieur des mines, direction générale des Travaux<br />

Publics, à Tunis ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Mlle Massoutier (Jeanne), rue Daguerre, Alger ;<br />

mand Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Correspondance. —<br />

présentée par M. Ar<br />

Lecture est donnée de plusieurs lettres, notamment<br />

de celles émanant du Général Reibell, de M. Blondel, de l'Amiral Guépratte,<br />

ainsi conçues :<br />

« Monsieur le Président,<br />

« Toulon, Grand Hôtel.<br />

« Salut très cordial, mon cherPrésident, à vous et à tous les membres de\votre<br />

belle et sympathique compagnie !<br />

« J'attache le plus grand prix à votre suffrage dont je suis particulièrement<br />

fier. »<br />

M. le Général Gouraud, s'exprime en ces termes :<br />

« Monsieur le Président,<br />

« Signé : E. GUEPRATTE,<br />

Vice-Amiral.<br />

« Je suis très touché des félicitations que vous avez bien voulu m'adresser<br />

au nom de la Société de.Géographie de l'Afrique du Nord.<br />

« Vous ne pouvez douter qu'elles me sont particulièrement chères, puisque<br />

j'ai passé vingt ans de ma vie en Afrique.


X BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

«.Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président,<br />

l'assurance de mes sentiments les meilleurs ».<br />

— Communication du Bureau. Le<br />

tous mes remerciements et<br />

Signé : GOURAUD.<br />

Président annonce qu'il s'est fondé à<br />

Rabat, comme le lui annonce M. Blondel, u:.e société des Amis des Arts, et il<br />

souhaite toute prospérité à l'<br />

œuvre nouvelle.<br />

Puis il prononce les paroles suivantes :<br />

« Dans la dernière séance, à laquelle une indisposition m'a empêché d'assister,<br />

notre très distingué vice-président. M. l'Intendant militaire Pelleport, a adressé<br />

l'expression de notre reconnaissance et de notre admiration à deux grands<br />

artisans de la victoire : M. Clemenceau et le maréchal Foch.<br />

« Sachant que ma chaire à l'Université me met en rapports spéciaux avec les<br />

étrangers, il a tenu (et je lui en sais un gré profond) à me laisser le soin de re<br />

mercier,<br />

au nom de la Société, les Alliés qui nous ont donné un concours si<br />

empressé et si efficace dans la lutte titanique qui vient de finir dans une auréole<br />

de gloire.<br />

« Je salue donc, en votre nom à tems, laBelgique et la Serbie, petits pays, grands<br />

peuples qui ont subi les premiers la ruée des barbares, et ont mieux aimé s'ex<br />

poser à la persécution, à l'exil, à la mort, que fbrfaire à l'honneur.<br />

« Je salue S. M. le roi de la GrandeBretagne et les grands hommes d'Etat qui<br />

ont su faire jaillir du sol vigoureux de l'Angleterre et des Dominions des Légions<br />

armées, aussi admirables par leur vaillance que par leur ténacité, dignes émules<br />

de la marine anglaise qui a infligé de sanglantes défaites aux flottes allemandes<br />

et a puissamment contribué, par un blocus continu, à la chute de l'enapire ger<br />

manique.<br />

\.le salue l'Ttalie qui, à Finstigation de son noble Roi, a eu le beau geste d'entrer<br />

dans la fournaise quand la situation était difficile pour l'Entente. Sans se laisser<br />

ébranler par l'invasion de la Vénétie, les soldats italiens ont ressaisi l'offensive,<br />

bousculé les troupes Autrichiennes, bondi jusqu'aux frontières naturelles du pays<br />

et brisé du même coup les chaînes de Trente, dans la naontagne, et de Trieste,<br />

sur l'Adriatique.<br />

« Je salue le Président Wilson et les citoyens des Etats-Unis qui, sans prétendre<br />

à aucune conquête, guidés seulement par un généreux idéal et par une lointaine<br />

mais fidèle reconnaissance à la Patrie de Lafayette et de Rochambeau, ont<br />

traversé l'Océan pour venir prodiguer leur sang sur les champs de bataille du<br />

Nord et ele l'Est de la France;<br />

« Je salue la Grèce qui, délivrée du joug tudesque par l'illustre Cretois, une des<br />

plus énergiques figures contemporaines, a uni ses fils aux troupes de-1'Entcnte<br />

peur délivrer la Macédoine et la Serbie, et a préparé ainsi dans la péninsule des<br />

Balkans un brillant avenir à l'Hellénisme revivifié.<br />

« Gloire, en un mot, aux souverains, aux hommes d'Etat, aux soldats et aux<br />

marins des puissances alliées, dont l'union, établie maintenant sur des assises<br />

de granit, a permis de jeter bas le Colosse germanique qui pesait lourdement<br />

sur les destinées du monde et prétendait étouffer sous sa Kultur et soiis la Force<br />

brutale eles civilisations supérieures, fondées sur la justice, sur la liberté, sur<br />

le droit et sur l'humanité ! »<br />

Cette allocution est coupée à maintes reprises par les applaudissements de<br />

l'Assemblée.


D'ALGER ET DE<br />

L'<br />

AFRIQUE DU NORD XI<br />

— Promotions. Le Président adresse ensuite les félicitations du Bureau aux<br />

membres de la Société qui ont été l'objet de proniertions :<br />

Dans la Légion d'honneur : le Général Dubail, élevé à la dignité de Gra.id<br />

Chancelier de l'Ordre ; Lieutenant-ee>le>nel Meynier, Commandeur ; M. Victor<br />

Collet, Officier ; Léon Deyron, Gognaltms, Capitaine Bossan, Lieutenant Maxime<br />

Cheylard, Chevaliers.<br />

Dans l'armée : MM. Kieffert, promu cedonel ; Battem, lieutenant-colonel ;<br />

Houbé, capitaine.<br />

Il félicite également M. Trabut, élu correspondant de l'Institut ; Gaubert,<br />

nommé administrateur des Bibans : Klein, avoué à Mostaganem ; Bu/.util, con<br />

sul de Monaco ; Foveau de Courmelles, correspondant de l'Académie de Médecine<br />

de Barcelone, etc.<br />

Nécrologie. —<br />

Il adresse ses profondes condoléances aux familles de M. Lu<br />

cien Averseng, industriel, et du docteur Benoit, Maire de l'Arba, membre des<br />

grandes Assemblées Algériennes, récemment décédés.<br />

Communications individuelles. —<br />

Nos héros magnifiques : Georges Guy-<br />

nemer, conférence de Claude-Maurice Robert.<br />

Le Président présente alors M. Claude-Maurice Robert, mutilé de guerre,<br />

collaborateur de diverses revues, poète, qui a déjà fait plusieurs conférences, en<br />

Algérie, sur «Les grands Blessés et la Rééducation professionnelle», sur «La<br />

Femme au chevet des malades », et lui donne la parole pour une étude sur Guy-<br />

nemer.<br />

D'une voix chaude et vibrante, avec une diction qui donne du relief à chaque<br />

phrase, le Conférencier célèbre le Roi de l'air, l'As des As.<br />

« De tous les héros, dit-il, de tous les demi-dieux que la grande guerre a révélés.<br />

Georges Guynemer est le plus magnifique.<br />

prin-<br />

« Aucune tache en cette vie héroïque ; elle a la splendeur d'une aurore<br />

tanière en sa courte durée. Guynemer est intègre, il est immaculé, pourrait-on<br />

dire, il semble qu'il ait fait le serment de Rodrigue : « Je rendrai mon sang pur<br />

comme je l'ai reçu ».<br />

« Il est l'incarnation éblouissante des vertus de la race. Avec les beaux Saint-<br />

Cyriens de la promotion « Montmirail », qui se parèrent pour courir au trépas,<br />

il est le génie le plus représentatif de la nation épurée, assagie, recréée au creuset<br />

des dures réalités de la tourmente. Il est celui qui ouvrit la marche ascensionnelle<br />

que nous, les survivants de la grande hécatombe, devons vouloir poursuivre<br />

opiniâtrement ; il est celui qui montre les sommets où nous devons vouloir attein<br />

dre.<br />

« Il est insuffisant d'admirer un Guynemer, conclut avec conviction M. Claude-<br />

Maurice Robert ; il faut s'évertuer à l'imiter, à le continuer ! Guynemer avait<br />

pris cette devise : « Faire face». Guynemer s'était donné cette mission : « Ser<br />

vir». A son exemple, faisons face cemrageusement à toutes nos obligations indi<br />

viduelles et quotidiennes ; à son exemple, donnons-nous une mission ( « sa mis<br />

sion », et sachons l'accomplir en toutes occasions, toujours, tous,<br />

coûte.<br />

et coûte que<br />

» Alors, naais alors seulement, tant d'holocaustes acceptés n'auront pas été<br />

vains ; tant de jeunes existences n'auront pas été fauchées inutilement ; tant<br />

de bonheurs ne se seront pas évanouis en pure perée. Des splcndides semailles<br />

fleuriront de splendides moissons.»


XII BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

De vifs applaudissements saluent cette éloquente péroraison,<br />

ainsi que la<br />

lecture, par deux dames, de quelques strophes de grande envolée du jeune poète.<br />

Le Président le remercie chaleureusement de sa belle conférence, et adresse<br />

également l'expression de sa reconnaissance aux aimables lectrices.<br />

Enfin, if annonce qu'une conférence sera faite, le lundi 23 décembre par M. le<br />

Capitaine Pe'yronnet,<br />

La séance a été levée à 7 h. 72<br />

sur «le Cercle marocain de Tadla».<br />

SÉANCE BIMENSUELLE DU 23 DÉCEMBRE 1918<br />

Présidence de M. Armand Mesplé<br />

La séance a lieu dans la Salle des Mariages de la Mairie devant une assis<br />

tance choisie qui comptait un grand nombre d'officiers.<br />

Au Bureau : MM. Paysant, l'Intendant militaire Pelleport, Démontés, Colonel<br />

Gard, Prat; Levadoux et L. de Sambœuf.<br />

La séance s'ouvre par l'admission de vingt membres inscrits à la dernière<br />

réunion.<br />

Ont été présentés :<br />

MM. Général Bajolle, commandant la Division d'Alger ; présenté par M. Ar<br />

mand Mesplé et M. l'Intendant militaire Pelleport.<br />

Saliba (Georges), propriétaire à Alger, 10, boulevard Laferrière ; pré<br />

senté par M. Armand Mesplé et M. Barbara.<br />

Lepage (Emile), négociant,<br />

secrétaire général du Syndicat d'initiative<br />

de l'Algérie, 37, rue d'Isly, Alger ; présenté par M. Armand Mesplé et<br />

M. Démontés.<br />

Zanca (Gustave), étudiant à la Faculté des Sciences d'Alger 8, rue Monge ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Medioni.<br />

Verlaguet (Marius), propriétaire à Kouba ; présenté par M. Armand<br />

Mesplé et M. Paysant.<br />

Mme Tingry, institutrice, 10, chemin Pasteur, à Alger ; présentée par<br />

M. Armand Mesplé et M. Maleval.<br />

MM. Rossier (Alfred), propriétaire, 56, boulevard Thiers, à Belcourt-Alger ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Maleval.<br />

Achour Hamouda, Adel à la Mahakma, au Kroubs (département de Cons<br />

tantine) ; présenté par M. Armanel Mesplé et M. Ali Derradji.<br />

Hamouda (Ali ben Aissa) adjoint indigène des douars Tinz.aret et Se-<br />

krine à Rirha, Ampère (département de Cemstantine) ; présenté par<br />

M. Armand Mesplé et M. Ali Derradji.<br />

Simoni (P. A.), artiste-peintre, 31, boulevard Carnot, à Alger ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. de Pouvrcau-Baldy.<br />

Delrieu (Ernest),<br />

courtier en vins. 5, boulevard Baudin, Alger ; pré<br />

senté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.


Correspondance. —<br />

D ALGER ET DE L AFRIQUE DU NORD XIII<br />

Le Président rlonne lecture de lettres de remercîments<br />

de M. Clemenceau et du Maréchal Fooh, et de la circulaire de la Chambre ele<br />

Commerce de Marseille invitant les Sociétaires à se; rendre au Congrès de la<br />

Syrie.<br />

Communications du Bureau. —<br />

Le Président prie son distingué collègue,<br />

le consul de Suisse, de transmettre les vives félicitations du Bureau au nouveau<br />

Président de la Confédération Helvétique, M. Ador, qui a été, pendant la guerre,<br />

à la tête d'oeuvres de bienfaisance internationales et a témoigné sa vive sympa<br />

thie à l'Entente ; il adresse au consul de Portugal ses profondes condoléances<br />

à l'occasion de la mort tragique du Président de la république Lusitanienne.<br />

Nécrologie. —<br />

Il présente enfin l'expression de- ses douloureux regrets à la<br />

famille de M. Cusin, conseiller a la Cour, qui vient de mouiir.<br />

Communications individuelles sur Le Cercle de Tadla (Conférence de<br />

M. le Capitaine Peyronnet.)<br />

Le Président rappelle la belle carrière militaire du Capitaine Peyronnet, et<br />

l'intéressante conférence qu'il a faite l'an dernier à son retour d'Orient sur<br />

« la Macédoine » ; il lui donne la parole pour une communication sur le terri-<br />

• toire du Tadla-Zaian où il est chef el'Etat-major,<br />

Theveney.<br />

sous les ordres du Colonel<br />

Le conférencier précise tout d'abord certains points d'ordre général qui sont<br />

d'actualité : il esquisse à grands traits l'organisation présente du Maroc ; il<br />

parle de la politique suivie dans l'empire chérifien depuis la déclaration de gaaerre<br />

d'août 1914 ; puis il dresse un tableau d'ensemble des adversaires qui s'opposent<br />

encore à notre pénétration ; enfin, il élit quelques mots relatifs au problème dès<br />

races.<br />

Sous le bénéfice de ces observations préliminaires, le capitaine Peyronnet traite<br />

avec quelques détails des régions centrales du Maroc,<br />

nœud géographique et<br />

militaire du pays : Tadla, région de Zaïan et Moyen Atlas. Successivement, il<br />

passe en revue la géographie de ces régions, leur histoire, leur ethnographie.<br />

Il expose les grandes lignes de la pénétration française dans le Centre Marocain.<br />

énumère les postes qui assurent notre domination et indique quelle valeur éco<br />

nomique possèdent ces provinces chérifiennes et quel avenir elles peuvent<br />

laisser entrevoir.<br />

Une série de projections a suivi cette<br />

causerie,'<br />

toutes vues se rattachant aux<br />

sujets traités : (Kasba de Kenifra ; arrivée du Sultan à Boujad ; l'entrée du<br />

Sultan dans sa tente de réception ; vue du centre religieux de Boujad, Mosquée<br />

de Moulai Bon Azza ; poste militaire de Sidi Lamine, etc.).<br />

Au milieu des applaudissements répétés de l'auditoire, M. Armand Mesplé<br />

remercie vivement le capitaine Peyronnet de sa belle conférence, résumé d'un<br />

grand ouvrage dont une partie paraîtra dans le Bulletin de la Société.<br />

La séance est levée à 7 heures.


XIV BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

SÉANCE BI-MENSUELLE DU, 15 JANVIER <strong>1919</strong><br />

Présidence de M. Armand Mesplé<br />

La séance a lieu dans la Salle d'honneur de la Mairie, devant un auditoire<br />

choisi, où l'on remarquait nombre d'artistes célèbres d'Alger ; M. le Gouverneur<br />

Général s'était fait représenter par M. Bruneteaux, son secrétaire particulier.<br />

Au Bureau, MM. l'intendant militaire Pelleport, Démontés, le Colonel Gard,<br />

Prat et Levadoux.<br />

L'admission des vingt membres inscrits est prononcée.<br />

Ont été présentées les dix-huit candidatures ci-après :<br />

MM. More (Gaston), interprète judiciaire à la Cour, 129, rue Michelet, Alger<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Louis Thomas.<br />

Hadj Benaaouda Lakhdar, Agha des Larbaa Gheraba et Caïd des Abab-<br />

da à Laghouat ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Paysant.<br />

Serres (Louis), chef de Transit à l'Entreprise Maritime et Commerciale,<br />

président des Sociétés de gymnastique, de tir, d'escrime et de prépara<br />

tion militaire de l'Oranie, à Alger, 27, boulevard Victor-Hugo ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. Levadoux.<br />

Colonieu (Georges), avoué a Mostaganem ;<br />

Mesplé et M. Videau.<br />

présenté par M. Armand<br />

Castle Railton, Esq., 3, Pelhana-Crescent, Hastings (Angleterre) : pré<br />

senté par M. Armand Mesplé et M. Prat.<br />

Tmi, avocat à Tunis ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Fridman.<br />

Mlle Mantoy, professeur d'Anglais au Lycée de Jeunes filles d'Alger, 1,<br />

avenue Pasteur ; présentée par M. Armand Mesplé et M. Prat-Espouey .<br />

MM. Lartigue (Léonce), syndic des Huissiers d'Alger, 2, rue de l'Abreuvoir ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Paysant.<br />

Djian, (Armand), interprète judiciaire à Djidjelli ; présenté par M. Ar<br />

mand Mesplé et M. Démontés.<br />

Padovani (Jean), directeur d'Ecole primaire, 1 2, rue Géricault, à Alger ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Muscatelli, administrateur-adjoint de la commune mixte de Barika<br />

(Constantine) ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Paysant.<br />

Pommier, rédacteur principal à la Préfecture, attaché au Cabinet du<br />

Préfet ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Paysant.<br />

Mme Rimbaud, 22, rue de Constantine, à Alger;<br />

et M. Ladebèze.<br />

présentée par M. Levadoux<br />

M. Salmon (Octave), chef de Bataillon, commandant le Bureau de recrute<br />

ment d'Alger, 62, rue de Constantine ; présenté par M. Armand Mesplé<br />

et le Colonel Gard.<br />

Mme Lévi-Bram (Bertiie), villa des Jasmins (Ermitage), Alger, Bab-el-<br />

Oued ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Daïan.<br />

MM. Louhignac (Victorien), officier-interprète à Mellal, par Oued-Zem. Tadla<br />

(Maroc occidental) ; présenté par M. Armand Mesplé et M. l'Intendant<br />

militaire Pelleport.


D'ALGER ET DE<br />

L'<br />

AFRIQUE DU NORD XV<br />

Dr Jarron, 27, boulevard Bon-Accueil, Alger ; présenté par M. Armand<br />

Mesplé et M. Paysant.<br />

Reynaud, artiste-peintre, 2, rue Burdeau ; présenté par M. Armand Mes<br />

plé et M. l'Intendant militaire Pelleport.<br />

— Correspondance. Il est donné lecture d'une lettre du consul de Portugal<br />

et d'une autre lettre du colonel Lamiable, commandant le 7e régiment de Tirail<br />

leurs Algériens.<br />

— Communications du Bureau, distinctions honorifiques. Le Présielent<br />

adresse les félicitations du Bureau aux membres ele la Société qui ont reçudes<br />

distinctions honorifiques. Dans la Légion d'honneur, ont été nommés : Grand-<br />

Çroix : le Général Gouraud ; Commandeur : le Général Hanoteau ; Officiers :<br />

MM. Madaune, 1er président, Verner, président de Chambre, docteur Saliège,<br />

docteur Carton, Quetin, chef de bataillon, Temime et Mirante, interprètes mi<br />

litaires ; Chevaliers : MM. Biseuil, procureur général à Grenoble, Martin, prési<br />

dent du Tribunal civil, Durieu de Leyritz, avocat-général, docteur Cheylard,<br />

capitaine Bourichet du 5*'<br />

tirailleurs.<br />

M. de Galland a été nommé commandeur du Mérite Britannique, etM.Billiard,<br />

officier du même ordre<br />

Nécrologie —<br />

Le Président présente ensuite ses profondes condoléances à<br />

a famille de M. Accardo, sociétaire récemment décédé.<br />

Bibliothèque. —<br />

Il remercie M. le Général Nivelle qui a offert à la Société<br />

un superbe album de photographies, à l'agent Commercial du P.-L.-M. pour le<br />

don de publications de la Compagnie ; à MM. Joleaud et Bel pour don de brochures<br />

dont ils sont les auteurs. Il signa'e, d'autre part, la publication par M. Bel d'un<br />

important ouvrage sur les<br />

Communications individuelles. —<br />

» Industries de la Céramique à Fez ».<br />

Conférence de M. de Pouvreau-Bàldy,<br />

sur L'Algérie dans la renaissance artistique de l'Afrique du Nord.<br />

Le Président présente M. de Pouvreau-Baldy, statuaire, littérateur, critique<br />

d'art, poète conférencier, qui va- faire une communication sur : L'Algérie dans<br />

la Renaissance artistique de l'Afrique du Nord.<br />

Au fil de sa conférence, M. de Pouvreau-Baldy tente,<br />

ce qui n'a point été<br />

rationnellement exposé, de dégager ele l'ambiance contemporaine la figure réelle<br />

que chaque artiste algérien et orientaliste fait dans ,< l'école algérienne», école<br />

qui est; en formation, et doit sortir bien définie du presque chaos actuel dans<br />

lequel se débattent beaucoup des poètes picturaux de l'Algérie. Il n'oublie pas<br />

les sculpteurs, dont il fait partie, et les architectes qu'il classe aussi d'après ses<br />

définitions nettes et logiques et groupe par familles artistiques à physionomie<br />

particulière.<br />

Des orientalistes Classiques aux novateurs ultra-modernes de l'Algérie, le<br />

conférencier nous montre la force, le talent, voire le génie, et s'il se complaît par<br />

ticulièrement aux.Algérianistes, c'est parce qu'il voit en eux les vrais chefs de<br />

file, ceux auxquels, plus tard, iront certainement les préférences.<br />

Si M. de Pouvreau-Baldy est aujourd'hui fatalement bon public et doux juge,


XVI BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

quant aux artistes qu'il cite, iLne peut se défendre d'une grande tristesse et<br />

même d'assez, de sévérité à l'égard de nos pyrograveurs par exemple, qui ne nous<br />

offrirent jamais rien de transcendant. If n'oublie pas ies verriers, les mosaïstes,<br />

les céramistes, les caricaturistes même et, c'est en souriant qu'il égratigne nos<br />

critiques d'art.<br />

Signalons enfin que M. de Pouvreau-Baldy mentionne les groupements heu<br />

reux et les tentatives savantes réservant un éloge tout spécial à la Société de<br />

Géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord, dont il loue le Président actuel<br />

d'avoir été en tout un précurseur.<br />

A retenir la péroraison de son discours : « Colons. Industriels et Hommes d'af<br />

faires d"<br />

Afrique, vous vous devez de soutenir les arts qui renaissent sur le sol<br />

que vous ensemencez, vous « effectivement », vos artistes « moralement ».<br />

Le Président remercie son distingué collègue d'avoir, dans sa belle conférence,<br />

mis en relief la brillante phalange des artistes qui cherchent à célébrer les beautés<br />

de notre pays et d'une façon générale nous procurent de nobles sensations esthé<br />

tiques ; il souhaite de voir paraître prochainement le livre que prépare sur ce<br />

sujet M. de Pouvreau-Baldy.<br />

SÉANCE BI-MENSUELLE DU 13 FÉVRIER <strong>1919</strong><br />

Présidence de M. Armand Mesplé. président<br />

La séance a lieu au siège de la Société ; parmi les auditeurs, on remarquait :<br />

MM Godard, inspecteur général des Ponts et Chaussées ; Bernard, contrôleur<br />

des Chemins de fer ; le Colonel Mayer ; le Consul de Russie ; le Commandant<br />

Ounterberger,<br />

officier russe du Génie et pfusieurs ingénieurs.<br />

Au Bureau : MM. l'intendant militaire Pelleport, Démontés, Colonel Gard,<br />

Prat et Levadoux.<br />

Le secrétaire elonne lecture du procès-verbal de la dernière séance.<br />

Les dix-neuf membres récemment inscrits sont admis.<br />

Ont été présentés :<br />

MM. Allard (Martial-Joseph), capitaine au ier Tirailleurs Algériens, 5


D ALGER ET DE L'AFRIQUE DU NORD XVII<br />

Démangeât (Lucien), propriétaire à Alger ; présenté par M. Armand<br />

Me plé et M. Lionel Démangeât.<br />

Duverger (Mlle Suzanne), professeur au Collège de Blida ; présentée<br />

par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Jude (Charles), officier interprète, annexe de Beni-Abbès, cercle de<br />

Colomb-Bééhar ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Mlle Mancip (Aurélie), institutrice, Hôtel Beause;jour (Mustapha-Supé<br />

rieur), Alger ; présentée par M. Armand Mesplé et M. Badin.<br />

MM. Méreau (Jules), docteur en méeleeine, 3, rue Feuillet, Alger ; présenté<br />

"<br />

par M. Démontés et M. Bugéja.<br />

Capitaine Burnol (Adrien), Etat-major du territoire Tadla-Zaïan (Ma<br />

roc) ; présenté par M. Armand Mesplé et le Capitaine Peyronnet.<br />

Chanel, agent du Creusot, 18, rue d'Isly, à Alger ; présenté par M. Ar<br />

mand Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Satragno (Alphonse-Louis), négociant en produits alimentaires à<br />

Alger ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Cockenpot, professeur à l'Ecole supérieure de Miliana ; présenté par<br />

M. Armand Mesplé et M. Paysant.<br />

Toulza (A.), inspecteur des Douanes à Tanger (Maroc) ; présenté par<br />

M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Massoutier (Marcel), colonel d'Artillerie, commandant la subdivision<br />

de Tlenacen ; présenté par M. Armanel Mesplé et M. l'Intendant militaire<br />

Pelleport.<br />

Commandant Ounterberger,<br />

Alger-; présenté par M. Armand Mesplé et M. Wassilieff Wassilkoff.<br />

chef de bataillon, chefferie élu Génie, à<br />

Ëspuig (Charles), chef de Service au Crédit Lyonnais, à Alger ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. le Commandant Duchateati.<br />

Laborde,<br />

chefde<br />

bataillon au 1er Zouaves, à Alger, 17, rue d'Isly<br />

présenté par M. Armand Mesplé et le Colonel Gard.<br />

— Correspondance. Il est donné lecture des lettres ci-après :<br />

Du Général Gouraud ;<br />

« Monsieur le Président,<br />

Le 10 janvier <strong>1919</strong>.<br />

« Je vous remercie de vos aimables félicitations. Elles me touchent d'autant<br />

plus qu'elles viennent d'Afrique.<br />

« Je vous prie, Monsieur le Président, de croire à mes meiileurs sentiments ».<br />

Du Général Bajolle, division d'Alger.<br />

Le général commandant.<br />


XVIII BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

nente compagnie se consacre avec tant de persévérance, et je puis vous assurer<br />

que je porte le plus grand intérêt à vos travaux.<br />

« Veuillez agréer, Monsieur le Président,<br />

la plus distinguée ».<br />

Du Consulat de Suisse, à Alger :<br />

«.Monsieur le Président,<br />

l'expression de ma considération<br />

Signé : Général BAJOLLE.<br />

Alger, les 21 janvier <strong>1919</strong>.<br />

« J'ai l'honneur de vous faire parvenir inclus copie d'une lettre que je reçois<br />

à l'instant de M. Ador,<br />

président de la Confédération Suisse à Berne, qui me<br />

prie de vous transmettre ses remercîments pour les paroles si aimables que vous<br />

avez bien voulu lui adresser.<br />

« Veuillez agréer... ».<br />

Du Président de la confédération Suisse :<br />

Le Consul de Suisse,<br />

Signé : Jules BORGEAUD.<br />

Berne, le 13 janvier <strong>1919</strong>.<br />

Monsieur Jules Borgeaud, Consul de Suisse à Alger.<br />

« Monsieur le Consul,<br />

« Je vous accuse réception de votre lettre du 2 janvier contenant un compte-<br />

rendu d'une séance ele la Société de Gt-ographie d'Alger, et vous prie de trans<br />

mettre à M. Mesplé mes remercîments pour les paroles si aimables qu'il a bien<br />

voulu na'adresser à l'occasion de ma nomination.<br />

■Avivez, Monsieur, avec mes remercîments pour vos félicitations, l'assurance<br />

de ma considération très distinguée».-<br />

•<br />

Le Président de la Confédération Suisse,<br />

Signé : ADOR.<br />

— Communications du Bureau. Le Président remercie le Conseil général<br />

pour la subvention qu'il a accorelée à la Se>ciété ; il annonce que les prochaines<br />

conférences vont être faites par M. le Docteur Edmond Vidal, Visions de Guerre,<br />

et par le commandant Ounterberger, sur la Sibérie.<br />

Il adresse ses félicitations aux membres qui ont été l'objet de décorations Ou<br />

de pre>motions.<br />

Légion d'honneur : Grand-Croix : Général Henrys, Grand-croix de l'ordre de<br />

Karageorgevith ; Grand-Officier : M. Ch. Lutaud, Général Jouinot^Gambetta,<br />

commandant de cavalerie à l'armée d'Orient ; Commandeur : Général Poeymi-<br />

rau ; Officiers : MM. Gallini, président de la Municipalité de Sousse ; Salmon,<br />

chef de bataillon, au recrutement d'Alger ; commandant Duchateau ; Chevaliers :<br />

Guérin, directeur des Chemins de fer Algériens de l'Etat ; docteur Rosenthal ;<br />

docteur H Aboulker ; M. Edmond Philippar, administrateur-délégué du Crédit<br />

Foncier d'Algérie ; M. Bailly, chef du Service topographique au Gouvernement<br />

général, sous-intendant militaire.


D'ALGER ET DE L'AFRIQUE DU NORD XIX<br />

Il félicite également M. l'Amiral Eng, amiral-commandant la Marine en Algérie ;<br />

le capitaine de Vanssay, attaché à l'Etat-major du gouvernement militaire de<br />

Paris ; M. Bossan, promu capitaine ; M. Bentami, médecin-major ; M. Cornetz,<br />

bibliothécaire de la ville.<br />

Il exprime ses regrets %u départ de M. Léon Perrier, secrétaire général du<br />

gouvernement, ancien Préfet d'Alger, qui, par son aménité et par son dévoue<br />

ment à l'Algérie, s'était attiré les sympathies unanimes.<br />

— Nécrologie. Il retrace la carrière des membres décédés : M. le général de<br />

Forsaaz, capitaine Grand, Démange et Tiné, un des membres fondateurs de la<br />

Société,<br />

et présente ses condoléances aux familles des chers disparus.<br />

Bibliothèque. —<br />

Il remercie les personnes ou les Administrations qui ont<br />

fait des dons à la bibliothèque, particulièrement les commandants de l'aviation<br />

et signale un article sur l'Algérie paru dans le Parlement<br />

en Algérie et en Tunisie,<br />

et l'Opinion par M. Jean Mélia.<br />

— Communications individuelles. Transsahariens<br />

et Transafricains —<br />

Le<br />

Colonel Gard, ancien professeur de géographie à l'Ecole militaire de Saint-Cyr,<br />

président de la Section Technique, fait une communication sur les différents<br />

tracés proposés pour traverser le Sahara et l'Afrique. Il analyse les mémoires<br />

qui ont été remis à la Société par M. le général Bernard, le Colonel Godefroy,<br />

M. Aubert et M. l'ingénieur Schwich (de Tunis).<br />

Il insiste particulièrement sur l'étude du colonel Godefroy très complète, très<br />

serrée, très approfondie.<br />

L'auteur expose d'abord la situation économique des possessions françaises<br />

de l'Afrique du Nord et de l'Ouest, et la nécessité d'une voie ferrée de jonction<br />

pour le développement de nos possessions sahariennes et soudanaises. Puis il<br />

donne le tracé des lignes sahariennes et transafricaines, "ies premières passant<br />

toutes par le centre du^désert, dans la trouée comprise entre l'Ahnet et le Mo-<br />

uydir-Hoggar et ne différant que par le point de départ, au Nord .; les lignes afri<br />

caines proposées étant : le Tanger-Dakar ; le Fez-AIger-Le Caire. Viennent<br />

ensuite des considérations sur le rendement probable d'une ligne transsaharienne,<br />

la largeur de la voie, les conditions d'établissement de la ligne, les dépenses d'éta<br />

blissement, enfin les voies et moyens d'exécution.<br />

Le Président remercie le distingué conférencier de son exposé remarqua<br />

blement clair et intéressant et lève la séanceà 7 heures.<br />

SÉANCE BI-MENSUELLE DU 24 FÉVRIER <strong>1919</strong><br />

Présidence de M. Armand Mesplé, Président<br />

La séance a eu lieu dans la Salle des Mariages de la Mairie,<br />

comble.<br />

Remarqué au premier rang : MM. Giraud,<br />

qui était<br />

président des délégations finan<br />

cières ; Nimier, inspecteur général du Service de Santé de l'Armée d'Afrique ;


XX BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

Infendant Général Pelletier ; Godard, inspecteur général des Ponts et Chaussées :<br />

Docteur Curtillet, doyen de la Faculté de Médecine. Le Gouverneur Général,<br />

MM. le Premier Président et l'Amiral Eng, retenus au Conseil de Gouvernement,<br />

ainsi que M. le Général Nivelle, en tournée d'inspection:<br />

s,otaient l'ait excuser,<br />

Au Bureau : MM. l'intendant militaire Pelleport, Démontés, Colonel Gard,<br />

Levadoux et Aubry.<br />

Les dix-sept membres récemment inscrits sont reçus ; neuf candidatures sont<br />

présentées, ce qui porte à 151 le nombre des membres nouveaux depuis novem<br />

bre dernier.<br />

Ont envoyé leur adhésion :<br />

MM. Cheik Bourouba, adjoint indigène au douar Moulaelani, à Sédrata '(Cons<br />

tantine) ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Paysant.<br />

Foix, maître de conférences à la Faculté des Sciences à Alger ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. Paysant.<br />

Dr Ardin-Delteil, professeur à la Faculté de Médecine à Alger, 1, rue<br />

de Mulhouse ; présenté par M. Armand Mesplé et M. le Docteur Soulié.<br />

Kelsch (Edmond), capitaine, au recrutement de Constantine ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Boufrioux (Salem ben Ali), adjoint indigène, lieutenant en retraite,<br />

à Aïn-Abid (département fie Constantine) ; présenté par M. Armand<br />

Mesplé et M. Démontés.<br />

Laurent, chef de bataillon, commandant l'aviation en Algérie ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. l'intendant militaire Pelleport.<br />

Despaux, maire de Meurad (département d'Alger) ; présenté par M. Ar<br />

mand Mesplé et M. Paysant.<br />

Baly (Louis), administrateur de commune mixte à Taher (département<br />

de Constantine) ; présenté par M. Paysant et M. Prat.<br />

Mlle Périé, 14, rue Naudot, à Alger : présentée par M. Armand Mesplé<br />

et M. Paysant.<br />

Communications du Bureau.-— Le Président exprime,<br />

en termes émus,<br />

l'inelignation des membres de la Société pour l'attentat commis sur la personne<br />

de M. Clemenceau et lui adresse ses souhaits de complet rétablissement.<br />

Promotions. —<br />

Puis il présente 'ses Vives félicitations à M. Lévy, sous-di<br />

recteur de la.Banque de l'Algérie, promu officier de la Légion d'honneur, et à<br />

M Roger Colonieu, nommé chevalier, après avoir mérité sa sixième citation.<br />

Il salue le retour à Alger de M. Bordes, nommé secrétaire général du Gouver<br />

nement, et le docteur Sergent, nommé médecin-major.<br />

Nécrologie. —<br />

Il retrace toute la brillante carrière du Général Moinier,<br />

présente à sa veuve ses plus douloureuses conde>téances. Il a aussi le regret<br />

d'annoncer la mort de l'officier interprête P. Albert.<br />

Bibliothèque. —<br />

Il<br />

remereie' M. Barbet, conseiller à la Cemr, l'écrivain al-<br />

gérianiste, à la fois si réaliste et si délicat, d'avoir donné à la bibliothèque de<br />

la Société plusieurs de ses œuvres (La perle du Maghreb, Au seuil de l'Orient).


D ALGER ET DE L'AFRIQUE DIT NORD XXI<br />

Communications individuelles —<br />

Vidal —<br />

Visions de Guerre,<br />

par M. le Docteur<br />

Le Président rappelle le rôle, pendant la guerre, du Docteur Edmond<br />

Vidal, vice-président de la Section histe>riepie. qui a tenu à aller au front et y<br />

a gagné, par son activité, seul esprit d'organisation et son courage, la croix de<br />

guerre et celle de la Légion d'honneur ; il lui donne la parole.<br />

Science et Dévouement au service des blessés de la Guerre, tel est le sous-titre élu<br />

sujet choisi par le Docteur Vidal pour sa conférence réservée à la Stteiété de Géo<br />

graphie. Nulle question n'était plus que celle-là susceptible d'intéresser e grand<br />

public, qui montra, par son attention soutenue, combien l'orateur sut le captiver.<br />

Ce fut une conférence bien coordonnée, entaillée d'anecdotes vécues, légèrement<br />

tissées sur une trame technique très documentée.<br />

Le Service de Santé de la Ci1 armée fournit au conférencier les assises de sa<br />

causerie et, dans un préambule fort goûté du public, il montra le rôle joué par<br />

le médecin-inspecteur-général Nimier dans la conception et l'organisation de<br />

la base sanitaire de cette armée, sur le front de laquelle combattirent sans arrêt<br />

les splendides régiments de l'Afrique du Nord.<br />

En quelques phrases bien senties, le Docteur Vidal retrace l'épopée glorieuse<br />

de nos régiments algériens, qu'il montre sur la Marne, sur l'Oise, sur l'Aisne, à<br />

sur la Somme, au Chemin-des-Dames. Puis il décrit le fonctionnement<br />

Verdun,<br />

des grands centres hospitaliers pendant des périodes de combat, donnant inci-<br />

demment du poilu algérien un aperçu plein d'originalité.<br />

Entrant dans le cœur de son sujet, le conférencier suit le blessé dans toute la<br />

filière de ses évacuations successives.<br />

Les intoxications par les gaz firent l'objet d'une étude des plus complètes qui<br />

eût pu à elle seule servir de thème à une conférence d'intérêt passionnant.<br />

Le fonctionnement intensif d'un groupement d'ambulances de corps d'armée.<br />

pendant une attaque, fit dérouler devant le public un diorama des plus inattendus<br />

qui montra avec quel art les médecins savaient camoufler leurs formations sani<br />

taires de façon à les transformer en séjours agréables pour leurs blessés.<br />

En dévoilant les actes d'héroïsme accomplis au front par les infirmières, le<br />

Docteur Vidal cite des faits qui provoquent dans l'assistance tout, entière des<br />

frissons d'émotion et montrent une fois de plus quel rôle brillant ont su jouer<br />

nombre d'entre ces femmes aux qualités les plus brillantes ; les brancardiers et<br />

les médecins auxiliaires eurent leur part certes d'éloges, bien mérités.<br />

De crainte de fatiguer son public, le Docteur Vidal arrête là sa conférence,<br />

qu'il complétera plus tard par une nouvelle description des organisations réalt<br />

sées par lé Service de Santé à l'intérieur.<br />

Le Président remercie chaleureusement le Docteur-Vidalde. sa remarquable<br />

conférence, suivi de belles projections du Service photographique de l'Armée,<br />

vues qui lui ont été confiées pour la mission dont il est de nouveau chargé en<br />

Espagne par le ministère des Affaires Etrangères.<br />

La séance est levée à 7 heures.


XXII BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

SÉANCE BI-MENSUELLE DU 17 MARS <strong>1919</strong><br />

Présidence de M. Armand Mesplé, Président<br />

La séance a eu lieu à l'Hôtel-de-Ville, devant un auditoire nombreux, au pre<br />

mier rang dutpiel on remarquait : M. l'Amiral et Madame Eng ; M. Robe, pro<br />

cureur général ; de Galland, maire ; Wassilieff- Wassilkoff, Consul général de .<br />

Russie ; Docteur Nissen, consul général de Danemark ; les commandants Teys-<br />

sier de Savy et Salmpn ; M. Demolins. M. le Secrétaire général du Gouverne<br />

ment et M. le Préfet, retenus au Conseil Général et à des commissions, s'étaient<br />

excusés.<br />

Au Bureau : MM. l'Intendant militaire Pelleport, Démontés, Colonel Gard,<br />

Levadoux et Aubry.<br />

La séance s'ouvre par la lecture du procès-verbal de la réunion précédente<br />

et par l'acceptation des neuf membres déjà inscrits.<br />

Les onze canditatures ci-après ont été présentées :<br />

MM. Moreau, secrétaire de l'Académie d'Alger ;<br />

Mesplé et M. Paysant.<br />

présenté par M. Armand<br />

Houbé, député, 11, boulevard Carnot, à Alger ; présenté par M. Armand<br />

Mesplé et M. Ricome.<br />

Pa.trimonio, juge d'instruction à Mascara ; présenté par M. Armand<br />

Mesplé et M. Drago.<br />

Teyssier de Savy (Léon), chef de bataillon, 1er régiment de zouaves, à<br />

Alger ; présenté par M. Armand Mesplé et M. le Colonel Gard ;<br />

Feriiat (Biïlkacem bï:n D.jelloul), adjoint indigène des douars Ighout<br />

et Bennaouri, commune mixte de Teniet-el-Haad (département d'Alger) ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Jonquères, expert-comptable, 28, boulevard Carnot ; présenté par M.<br />

Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Mans (Gabriel), docteur en pharmacie, 71, rue d'Isly, Alger ; présenté<br />

par M. Armand Mesplé et M. Bugéja.<br />

Ben Amar (Ahmed ben Ali), adjoint indigène du douar Frikat, commune<br />

mixte de Dra-el-Mizan ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Bugéja.<br />

Tamzali (Salaii), négociant, licencié en droitfl46, route de Malakoff, à<br />

Saint-Eugène ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Bugéja.<br />

Cézilly (Henri), pharmacien, propriétaire, 4, boulevard Général-Farre,<br />

à Alger ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Bugéja.<br />

Du Plan, directeur de la succursale Berliet, 24, rue Michelet, à Alger ; pré<br />

senté par M. Armand Mesplé et M. George.<br />

Communications du Bureau. —<br />

Le Président adresse les félicitations du<br />

Bureau aux membres qui ont été promus élans l'ordre de la Légion d'honneur :<br />

Grand-Officier : Salah Si Mohammed Si Henni ; Commandeur : Si Boudiaf Sadi<br />

ben Boudiaf ; Officier : M. Clamorgan, inspecteur général des Finances ; Che<br />

valier : M. le Docteur Nissen, qui a 28 ans de' services consulaires en Algérie,<br />

et a été médecin volontaire pendant la guerre.<br />

'


D'ALGER ET DE L'AFRIQUE DU NORD XXIII<br />

Il atlresse également ses félicitations au général Henrys, nommé adjoint, au<br />

généralissime polonais ; à MM. Bardenat, nommé définitivement secrétaire gé<br />

néral aux Affaires indigènes à Alger ; Catalogne, sous-préfet de Tizi-Ouzou ;<br />

Commandant Laurent, chargé de la sous-préfecture de Mostaganem ; Pommier,<br />

Papi et Babillot, qui ont eu une promotion de l'administration départementale.<br />

Nécrologie. —<br />

Puis il retrace la carrière des membres décédés : le général<br />

Ménestrel, ancien membre du Conseil Supérieur de la guerre ; Nielly ; Arnd de<br />

Aaren et Guérin, et présente ses vives condoléances à leurs familles, particuliè<br />

rement à MM. Fatah, Meunier, Ettighoffer.<br />

Conférences. —<br />

Il annonce que des conférences vont être faites par Madame<br />

Bugéja (sur la femme arabe), par le Commandant Bettembourg (sur une mission<br />

au Sahara), par M. de Pouvreau-Baldy (sur la littérature algérienne contempo<br />

raine).<br />

Bibliothèque. —<br />

Il remercie enfin les auteurs et<br />

éditeurs"<br />

qui ont offert les<br />

ouvrages suivants à la Bibliothèque de la Société : Nomades et Sédentaires au<br />

Maroc (1 volume),, par Suzanne Nouvel ; Les Réformes en Algérie (1 volume),<br />

par Victor Piquet ; Transsahariens et Transafricains (1 volume), par le Lieute<br />

nant-Colonel ftodefroy ; La Sibérie, par M. Ounterberger.<br />

Ces ouvrages ont été adressés par l'imprimerie Larose, à Paris.<br />

Communications individuelles. —<br />

Le Président, après avoir exprimé sa<br />

gratitude au général Nivelle pour le haut intérêt qu'il ne cesse de témoigner à<br />

T œuvre, présente le colonel de l'armée russe, M. Ounterberger, fils du Gouver<br />

neur général de la Sibérie Orientale, qui a fait campagne en Macédoine et en<br />

France et a été admis comme commandant du génie dans l'armée française.<br />

, Le commandant, d'une voix nette, dans un français très pur, expose, en se<br />

servant d'une grande carte qu'il a dessinée lui-même, la géographie et l'histoire<br />

de la Sibérie.<br />

« La Sibérie fut ajoutée à l'Empire russe à la suite de deux grands<br />

événements : la conquête du Khanat Sibérien par l'ataman lermak, en 1554,<br />

et le traité d'Aigoune. en 1859.<br />

« La Sibérie se divise officiellement en Sibérie Occidentale et Sibérie Orientale;<br />

mais la eiivision en Sibérie cisbaïkalienne et en Sibérie transbaïkalienne est<br />

plus conforme à la différence des terrains.<br />

« La Sibérie est un pays peu peuplé : la population totale atteint le nombre de<br />

trente millions d'hommes, dont la plupart jusqu'à présent sont eles indigènes.<br />

La population russe se groupe principalement le long du chemin de 1er Transsi<br />

bérien et aux abords des fleuves, qui sont les voies principales de communi<br />

'<br />

cation.<br />

; Les ressources du pays sont immenses. Les emplacements de gisements de<br />

métaux se trouvent surtout dans les régions montagneuses, ainsi que les sources<br />

minérales. L'exploitation n'en est que commencée et ne s'étend jusqu'à présent<br />

qu'à l'or, l'argent et, en ces derniers temps, le zinc ; l'exploitation des autres<br />

métaux ne compte pas jusqu'ici.<br />

(i La difficulté principale à surmonter est le manque absolu de voies de


XXIV BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

communication à cause de la rareté de la population. A présent, la Sibérie<br />

commence seulement à vivre d'une vie indépendante, et il y a toute raison de<br />

croire epte, dans la période prochaine, les progrès du pays seront, très rapides,<br />

vu que c'est actuellement le refuge de tous les gens intelligents et instruits qui<br />

peuvent s'échapper de la Russie en proie à l'anarchie et à la terreur. Le centre<br />

de la vie intellectuelle se déplacera, et la Sibérie deviendra le siège de la cul<br />

ture et de la civilisation nationale russe. »<br />

Le Président,<br />

s'associant au vœu que le coriamandant Ounterberger forme<br />

pour l'avenir de l'immense pays qui s'étend des monts Ourals à la mer de Chine,<br />

le remercie chaudement de sa conférence si documentée et si intéressante, qui<br />

paraîtra dans le prochain Bulletin, et lève la séance à 7 heures".<br />

SÉANCE BI-MENSUELLE DU 26- MARS <strong>1919</strong><br />

Présidence de M. Armand Mesplé, Président<br />

La séance a eu lieu à la Mairie, devant un nombreux auditoire,<br />

au premier<br />

rang duquel on remarquait M. l'Amiral.et Madame Eng, le Commandant de Sa-<br />

vigny, le Capitaine Segreste, M. Denaolins, etc.<br />

Au Bureau : MM. Paysant, Pelleport, Démontés, Colonel Gard et Levadoux.<br />

Les onze membres présentés sont agréés.<br />

Les candidatures ci-après sont inscrites :<br />

MM. Plantié, docteur-médecin. à Blida ; présenté par M. Armand Mesplé et<br />

M. Jenoudet.<br />

Mme Peltzer, château Hydra, à Birmandreïs ; présentée par M. Armand<br />

Mesplé et M. Wassilieff Wassilkoff.<br />

MM. Khedis Ahmed, Caïd et propriétaire à El-Esnam (département d'Alger) ;<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Paysant.<br />

Aubert, professeur de Transports à l'Ecole Supérieure de Commerce, 4,<br />

rue Arago, à Alger ; présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Thévenet (Charles), chef d'escadron d'artillerie, officier d'ordonnance<br />

du général en chef, 31. rue Hoche, à Alger ; présenté par M. Armand<br />

Mesplé et M. Paysant. »<br />

Crozat (Joseph), docteur en droit, avocat, lieutenant à l'Etat-Major de<br />

la Division d'Oran •<br />

présenté par M. Armand Mesplé et M. Démontés.<br />

Segreste (Marcel), agrégé de l'Université, capitaine chef de la Section<br />

russe au contrôle postal d'Alger ; présenté par M. Armand Mesplé et<br />

M. Démontés.<br />

Communications du Bureau. —<br />

\<br />

Le' Président adresse ses vives félicita<br />

tions aux coltmels Kieffer et Mittelhàuser, attachés à la Mission militaire fran<br />

çaise du général Pellet, à P/amie ; à M. le Colonel Clouzet, nomnaé commandant<br />

élu Il'r Spahis ; Lemouland,<br />

a .M.<br />

chef de bataillon du 3e tirailleurs,<br />

attaché aux<br />

Affaires ineligènes ; à M. Jacejuet, nommé sous-préfet à Péronne ; a M. Ouvré,<br />

secrétaire général de la Préfecture du Pas-de-Calais ; à M. le Docteur Edmond


D'ALGER ET DE L'AFRIQUE DU NORD XXV<br />

Vidal, vice-consul d'Espagne à Vichy ; à M. Clairac, conseiller à la Cour d'Appel ;<br />

à M. Ebert, conseiller du Gouvernement ; à M. Fagot, mécanicien chef de !a Ma<br />

rine ; au DocteuT Carton, délégué principal du Touring-Club en Tunisie.<br />

Conférence. —<br />

Il annonce une conférence du Capitaine Segreste, agrégé<br />

d'histoire et de géographie, professeur à Riga, sur les s Pays Baltiques ».<br />

Bibliothèque. —<br />

Il annonce que l'album «d'Announa» (Service (les monu<br />

ments historiques de l'Algérie) par «MM. Gsell et Joly», ainsi que lt volume :<br />

France et Algérie, par M. Jean Mélia, ont été dcnnés à la Bibliothèque.<br />

Communications individuelles. -—<br />

La femme musulmane, par Mme Bugéja.<br />

— Le Président rappelle la brillante conférence que Mme Bugéja, fille et femme<br />

d'administrateur, a faite en mai dernier sur le Djurdjura,<br />

et lui donne la parole<br />

pour une communication intitulée : A travers VAlgérie ; impressions sur la<br />

femme musulmane.<br />

Dans un style châtié, d'une v&ix qui scande et met bien en relief chaque<br />

phrase, Mme Bugéja expose qu'elle s'est trouvée souvent en relations avec des<br />

femmes indigènes dans les villes, dans les montagnes ou dans le bled : elle<br />

retrace la vie que mènent ces femmes, précise leur rôle dans la famille, et insiste,<br />

tout spécialement sur l'attitude qu'elles ont eue pendant la guerre : femmes des<br />

classes supérieures, femmes du peuple, ou même Ouled Naïls elles ont témoigné<br />

de leur attachement à la France.<br />

Elle conclut en disant que nous devons nous préoccuper particulièrement<br />

de )es instruire et que nous trouverons en elles des adeptes ferventes de !a civi<br />

lisation et du progrès.<br />

tion.<br />

Un défilé d'intéressantes projections a suivi et illustré cette con\munica-<br />

M. Paysant, vice-Président,<br />

après avoir rappelé quelques légendes concer<br />

nant la femme arabe, remercie vivement la eiistinguée conférencière de son étude<br />

si judicieuse et si fine.<br />

La séance se termine à 6 heures y2.


&ULLEHTIM<br />

SPeiÉTÉDtûEOûR/IPfllt:<br />

b'4tû]^ETbK WFRIÛOLbuN?RD<br />

à orinr\iKË:<br />

V ingt- quatrième année. — <strong>1919</strong><br />

Première Partie —<br />

Publie sous la Direction du Bureau<br />

par M. Victor DEMONTES, Secrétaire général.<br />

ACTES DE LA SOCIÉTÉ<br />

Procçs -verbaux des séances de la Société XXVII<br />

Deuxième Partie. —<br />

V. DEMONTES / Les<br />

Cap. MARTIN |<br />

J. DESPARMET. I<br />

Docteur es-lettres, Lauréat de l'Institut..<br />

QUESTIONS AFRICAINES<br />

■ . -<br />

pétroles Algériens. 149<br />

Reconnaissance de la<br />

région du Sud et Sud-<br />

Ouest de l'Erg Iguidi<br />

(rapport)<br />

Ethnographie tradition<br />

nelle de la Mettidja.<br />

- Troisième Partie. VARIÉTÉS GÉOGRAPHIQUES<br />

Louis ROUGIER Venise au<br />

Ch. BARBET.......<br />

Le<br />

[d.<br />

~l({.<br />

M'"u BUGEJA. .<br />

siècle<br />

XVIII"<br />

. .<br />

général Lyautey<br />

Visite au mausolée de<br />

de Brazza<br />

Ranavalo<br />

Bibliographie<br />

i*Mt&i^l<br />

186<br />

217<br />

247<br />

265<br />

266<br />

267<br />

269


Société de Géographie d'Alger<br />

et de l'Afrique du Nord<br />

Vingt- quatrième Année. —<br />

<strong>1919</strong><br />

LISTE DES MEMBRES DES BUREAUX<br />

POUR L'ANNÉE <strong>1919</strong><br />

BUREAU CENTRAL<br />

Président M. Armand MESPLÉ, Agrégé d'Histoire et de Géographie,<br />

Professeur à la Faculté des Lettres de l'Université<br />

le' Vice-Président. M. PAYSANT, Trésorier - Payeur<br />

,<br />

d'Alger, Assesseur du Doyen.<br />

Général Honoraire et<br />

Préfet Honoraire.<br />

2e Vice-Président. M. PELLEPORT, Sous-Intendant militaire de lre classe<br />

Secrétaire Général. M. Victor DEMONTES,<br />

Secrétaire Général<br />

Adjoint<br />

en retraite. Commissaire du Gouvernement près le<br />

Conseil de révision de la 19e région, Alger.<br />

d'Alger,<br />

Colonel GARD,<br />

Docteur ès-Lettres.<br />

en retraite.<br />

Professeur Agrégé au Lycée<br />

Secrétaire<br />

M. PRAT-ESPOUEY, Propriétaire.<br />

Secrétaire<br />

M. BARBEDETTE (Frédéric), Conseiller Général, Maire<br />

de Djidjelli, Délégué financier.<br />

Trésorier<br />

Trésorier Adjoint..<br />

1'<br />

M. WILHELM, Directeur de la CIe « Union », à Alger.<br />

1"<br />

M. LEVADOUX, Receveur de l'Enregistrement de<br />

Archiviste-Biblio-<br />

thécaire<br />

Président<br />

Vice-Président<br />

Secrétaire<br />

classe, en retraite.<br />

M. AUBRY,<br />

„_<br />

, .<br />

,<br />

Professeur d'allemand au Lycée et a 1 iicole<br />

Supérieure de Commerce d'Alger<br />

SECTION TECHNIQUE<br />

M. GARD, Colonel en retraite, à Alger.<br />

X...<br />

M. CORNETZ, Ingénieur civil, a Alger<br />

^


XXVIII<br />

Président<br />

BULLETIN DE LA SOCIETE DE GEOGRAPHIE<br />

SECTION COLONIALE ET ÉCONOMIQUE<br />

M. MAIRE, Professeur à la Faculté des Sciences, à Alger.<br />

1er Vice-Président. M. TRABUT (Dr), Professeur à la Faculté de Médecine,<br />

à Alger.<br />

2e Vice-Président.. M. GUERLET, Ingénieur, Docteur en droit, Directeur<br />

des trams du Sahel, à Alger.<br />

Secrétaire M. CAILLEAU, Directeur Honoraire de succursale de la<br />

Banque de l'Algérie.<br />

SECTION HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE<br />

Président M. de SAMBŒUF, Avocat à la Cour d'Appel d'Alger.<br />

1er Vice-Président. D' EDMOND VIDAL, mobilisé.<br />

2e Vice-Président. Dr SOULIÉ, H., Professeur à la Faculté de médecine<br />

3« Vice-Président. Mme la Comtesse SAVORGNAN DE BRAZZA.<br />

Ier Secrétaire M. L. COULON, Instituteur, mobilisé.<br />

2e Secrétaire M. René de SAMBŒUF, mobilisé.<br />

SECTION MAROCAINE DE TANGER<br />

Président X....<br />

,<br />

Vice-Présidents . . . MM. Eugène Luret, Directeur des Services de Contrôle<br />

de la Dette marocaine.<br />

Docteur Cabanes.<br />

Saurtn, Avocat.<br />

Secrétaire X ....<br />

,<br />

Secrétaires adjoints. MM. Rabanit, Directeur de l'Agence Havas.<br />

Belhadj, Directeur de la Section arabe-française.<br />

Bibliothécaire M. Périer, Directeur du Petit Collège français.<br />

Messieurs les Sociétaires sont instamment priés défaire parvenir les CHANGE<br />

MENTS D'ADRESSES au Siège de la Société, afin d'éviter les FAUSSES DI<br />

RECTIONS DONNÉES AUX BULLETINS.<br />

fr


Bulletin de la Société de Géographie d'Alger<br />

et de l'Afrique du Nord<br />

Vingt-quatrième Année — <strong>1919</strong><br />

Procès-Verbaux des Séances de la Société<br />

SEANCE DU 3 AVRIL 1!)19<br />

Présidence de M. Armand Mesplé<br />

Au Bureau : MM. Paysant, Pelleport, Démontés, Wilhem, Prat, Aubry et<br />

Levadoux.<br />

Le procès-verbal de la dernière réunion est adopté.<br />

Les membres précédemment inscrits sont admis.<br />

Ont été présentés :<br />

Mme l'Amirale Eng, présentée par MM. l'Amiral Eng et A. Mesplé.<br />

Mile Juin, présentée par MM. l'Amiral et Eng A. Mesplé.<br />

Mlle Perthus, présentée par MM. TAiniral Eng et A. Mesplé.<br />

MM. Ertzegovitch, étudiant en droit, 5'2, boni, de Champagne ; présenté par<br />

MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

de Torcy, capitaine d'Etat-Major du général commandant la Cavalerie<br />

en Algérie ; présenté par M. A. Mesplé et le colonel Gard.<br />

Zeraffa, docteur en Droit, avocat ; présenté par MM. A. Me'splé et Bonin.<br />

Petersen, agent maritime, 2, boul. Carnot ; présenté par MM. Wassilieff.<br />

Wassilikoff et le Docteur Nissen, consul général du Danemark.<br />

Garsia, capitaine de réserve zouaves ;<br />

et Démontés.<br />

présenté par MM. A. Mesplé<br />

Ascione, directeur du journal » Le Mutilé de l'Algérie », N. rue Arago ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Dubouchet,<br />

enseigne de vaisseau de première disse, 5, boni. B mdin ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et Bernheim.<br />

Mme Hamadou, sage-femme, 3, boul. Gambetta ; présentée par MM. A. Mes<br />

plé et Bugéja.<br />

MM. Tahar Ali Cherif, oukil judiciaire, 2, rue Boutin ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et Bugéja.<br />

Zouhir ben Smaia, négociant;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et Bugéja<br />

— Communications du Bureau. Le Président signale ceux des membres<br />

qui ont fait l'objet de promotions et adresse ses condoléances aux familles des<br />

membres disparus depuis la dernière séance.


XXX BULLETIN DE LA SOCIETE DE OEOGRAPHiÉ<br />

Il remercie les donateurs qui ont fait parvenir des livres et des brochures<br />

à la bibliothèque.<br />

Communication individuelle. —<br />

correspondant de l'Institut.<br />

Le<br />

Turkestan,<br />

par M. de Saint-Yves»<br />

La parole est ensuite donnée au Conférencier, M. de Saint-Yves, pour une<br />

communication sur le Turkestan.<br />

Le Turkestan est essentiellement un désert qu'entourent au Nord, à l'Est<br />

et au Sud, des montagnes neigeuses qui atteignent 5.000, 6.000 et 8.000 mè<br />

tres ; la barrière montagneuse disparaît de l'horizon seulement du côté de l'Ouest,<br />

c'est-à-dire du côté de la mer Caspienne ; il a y un littoral maritime, celui de<br />

cette mer Caspienne, mais qui n'a certes aucun rapport avec l'admirable littoral<br />

algérien, puisque ce littoral de la Caspienne est la partie la plus improductive,<br />

la plus désertique du Turkestan. Le Turkestan est donc une Algérie dont on<br />

aurait supprimé le Tell pour ne conserver que les Hauts Plateaux et le Sahara,<br />

mais Hauts Plateaux et Sahara y sont deux manifestations de la forme ste-<br />

pienne. M. de Saint-Yves décrit les steppes de l'Asie, résumant les travaux de<br />

géographie botanique de son ami l'éminent professeur russe de l'université de<br />

Kharkof , Krasnof : il y a la steppe à bouleaux, steppe entremêlée d'arbres, de<br />

bouleaux espacés, qui caractérise la Sibérie méridionale, la steppe herbeuse<br />

dont l'Alaï est l'un des plus beaux types montagneux et enfin la steppe déser<br />

tique qui, par affaiblissement de la végétation, conduit au véritable désert,<br />

tel que le Kara Kouna ou le,Kizil Koum du Turkestan. Ce qui a modifié le<br />

Turkestan, c'est le voisinage de toutes ces montagnes neigeuses d'où descendent<br />

de puissants torrents ; ces torrents, captés à leur débouché dans la plaine par<br />

les indigènes, y ont apporté la fertilité et la vie, et par l'eau elle-même, et par<br />

les fertiles alluvions. Le Turkestan est donc une admirable oasis, dont M. Snint-<br />

Yves décrit avec soin toutes les productions, en insistant particulièrement sur<br />

le coton introduit là-bas par les Russes.<br />

Voilà pour la ter>.-e. Et ies hommes '? Les hommes sont des Kirghisses, turcs<br />

et nomades, des Sartes et des Ouzbegs, turcs sédentaires, des Tadjiks, Ira<br />

niens sédentaires, par conséquent proches parents des Persans. Les uns et les<br />

autres sont musulmans et c'est là le grand point de ressemblance de ces popu-<br />

iations avec les populations indigènes de l'Algérie ; mais il y en a un autre :<br />

c'est le conflit inévitable entre sédentaires et nomades que séparent ou que<br />

rapprochent des besoins économiques et ce conflit permet à M. Saint-Yves d'expliquer les invasions barbares, qui ont mis fin par répercussion de proche<br />

en proche à l'empire romain et qui ont leur point de départ en Asie Centrale.<br />

M. Saint- Yves explique comment les Russes ont été amenés à conquérir<br />

et à occuper le Turkestan et comment les besoins de cette conquête —<br />

la sou<br />

mission des Turcmènes, vivant entre le Turkestan proprement dit et la Perse —■<br />

les ont amenés à construire le chemin de fer Transcaspien.Le chemin de fer<br />

Transcaspien a été, à l'origine, un chemin de fer exclusivement militaire, ayant<br />

pour objectif la prise de Géok-Tœpé, le donjon de la résistance Turkmène.<br />

Mais, peu à peu, le rail d'acier s'est dilaté jusqu'aux confins de 1;<br />

Afghanistan,<br />

puis jusqu'aux confins de la Chine. Chemin de fer impérial, le chemin de fer<br />

Transcaspien est devenu peu à peu un chemin de fer ayant une valeur écono<br />

mique par la force des choses, valeur économique qui diminuera par suite de<br />

l'inauguration de la ligne plus directe Tachkent-Orcmbourg, sans transborde-


D'ALGER ET DE L'AFRIQUE DU NORD XXXI<br />

ment. Le succès du Transcaspien doit nous démontrer combien le Transsaha<br />

rien serait réalisable, puisque le Transcaspien traverse des régions désertiques<br />

aussi redoutables que les pires régions Sahariennes.<br />

M. Saint-Yves montre comment on a fixé les dunes, les barkhanes.<br />

Ensuite, il donne un aperçu rapide du problème de l'indigénat au Turkes<br />

tan. A son avis, les Russes ont admirablement réussi dans leurs relations avec<br />

les Indigènes. Ce qui manque, ce sont les colons Russes ; à ce point de vue, le<br />

Turkestan est bien loin des splendides résultats obtenus par la Colonisation<br />

Française en Algérie. Et M. Saint- Yves termine par quelques considérations<br />

sur les deux types de colonisation,<br />

d'exploitation.<br />

colonisation de peuplement, colonisation<br />

Dans la véritable colonisation de peuplement, l'indigène trop l'tible ou trop<br />

nombreux disparaît devant ie peuple colonisateur, cela a été le cas des Etats-<br />

Unis et de l'Australie ; tel n'est pas le cas,<br />

au contraire, au Turkestan et en<br />

Algérie, qui tiennent et de la Colonie de peuplement et de la Colonie d'exploi<br />

tation.<br />

Le problème de l'indigénat doit donc y être envisagé sous l'aspect d'une<br />

cohabitation et, par suite, d'une collaboration.<br />

Civiliser une population indigène,<br />

c'est la faire évoluer dans le sens de sa<br />

civilisation propre et non vers la nôtre, mais la faire évoluer de telle sorte, que<br />

cette civilisation traditionnelle, perfectionnée, concorde avec nos desiderata.<br />

Tâche difficile, mais à laquelle tendent les hommes de génie dans le domaine<br />

de la colonisation. C'est le réveil de la Belle au Bois dormant ; c'est donner à<br />

la patrie un bouquet de plusieurs fleurs,<br />

l'œillet, la tulipe,<br />

ajouter à l'unique rose nationale,<br />

autant de fleurs que de civilisations réveillées de leur tor<br />

peur par la Métropole et qui ont pris leur naturel essor.<br />

Après les chaleureux remerciements qui lui sont adressés par le Président,<br />

celui-ci lève la séance à 7 heures.<br />

Sont<br />

SÉANCE DU 12 AVRIL <strong>1919</strong><br />

Présidence de M. Armand Mesplé, président<br />

présents au Bureau : MM. Paysant, Pelleport, Aubry.<br />

Le procès- verbal de la dernière séance est adopté.<br />

Les 13 membres inscrits sont admis.<br />

Ont été présentés<br />

MM. Khodjet Eldjeld, à Orléansville, département d'Alger ;<br />

A. Mesplé et Démontés.<br />

Lesage,<br />

Démontés.<br />

présenté par MM.<br />

vétérinaire à Constantine ; présenté par M. Armand Mesplé et<br />

Drago (Barthélémy), greffier honoraire à Fort-National, Azazga ; pré<br />

senté par M. A. Mesplé et Paysant.<br />

Mme Vve Martin, propriétaire à Alger JJe-<br />

; présentée par MM. A. Mesplé et<br />

rnolins,<br />

'


XXXII BULLETIN DE LA. SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

MM. Bouchoul Lamri, propriétaire Douar Taehouda, commune de Fedj<br />

M'zala ; présenté par MM. A. Mesplé et Ali Deradji.<br />

Lesueur,<br />

procureur de la République à Blida ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et Paysant.<br />

Senergous, ingénieur chimiste, 39, rue d'Isly ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et Boulogne.<br />

St-Germès, propriétaire, villa des Hirondelles, boul. Bon-Accueil ; pré<br />

senté par MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Bensemmane, négociant ; présenté par MM. A. Mesplé et Bugéja.<br />

Saint-Yves (Georges), explorateur, boul. d'Alsace-Lorraine, à Montau-<br />

ban (Tarn-cl-Garonne) ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

— Communications du Burîau. Le Président adresse les félicitations du<br />

Bureau à M. le Colonel delaGardette de Paris, qui vient d'être nommé au Com<br />

mandement militaire d'Aïn-Sefra et au Docteur Raoust, premier médecin-ma<br />

jor de première classe.<br />

— Communication individuelle. Le<br />

Maroc, —<br />

sident présente à l'assistance M. Edouard de Keyser,<br />

formé,<br />

par M. de Keyser.<br />

Le Pré<br />

officier de carrière, ré<br />

auteur de nombreux ouvrages dont deux ont obtenu le prix Maeter<br />

linck et le prix Collin de la Société des Gens de lettres.<br />

Il rappelle que M. de Keyser a parcouru l'Orient et l'Afrique du Nord et lu1<br />

donne la parole.<br />

Le conférencier a pris comme sujet : « Un témoignage de la vitalité française<br />

au Maroc. » Il est, dit-il, nécessaire de parler en France du Maroc ; c'est un<br />

témoignage que le Français est organisateur et colonisateur,<br />

qu'il n'admire<br />

pas forcément la bureaucratie et la routine, mais qu'il sait aussi vouloir et exé<br />

cuter vite et bien et qu'il possède aussi l'esprit d'initiative.<br />

Il y a deux Marnes juxtaposés l'un, le Maroc médiéval, oublié en pleine<br />

féodalité ; l'autre, le Maroc français, dont la marche en avant est si rapide que<br />

tout ce qu'on peut en dire, vrai encore il y a deux mois encore, est déjà bien<br />

en arrière de la réalité. Quel est le secret de l'étonnante rapidité de l'œuvre<br />

Marocaine ?<br />

D'abord, la fermeté et la clairvoyance de son Résident, un grand Français ;<br />

ensuite l'utilité des compétences, chose si rare dans la Métropole. Et le ré<br />

sultat i On dirait qu'un magicien a, d'un coup de baguette, tout fait sortir<br />

de terre. Que d'exemples à donner à la France ! La décoration florale des villes,<br />

la protection des sites, la propagande touristique, la rénovation des arts indi<br />

gènes, la création de voies ferrées malgré l'acte d'Algésiras. En un mot, l'œu<br />

vre accomplie au Maroc par la France est gigantesque et splendide.<br />

Le Résident rend à son tour hommage à l'administration si éclairée et si<br />

féconde du Général Lyautey et remercie chaleureusement M. de Keyser de<br />

sa conférence aussi littéraire et élégante que documentée. La séance est levée<br />

à 6 heures '/.',.


D'ALGER ET DE L'AFRIQUE DU NORD XXXIII<br />

SEANCE DU 10 MAI <strong>1919</strong><br />

Présidence de M. Armand Mesplé, président<br />

Au Bureau : MM. Paysant, Pelleport, Démontés, Colonel Gard, Prat, Leva<br />

doux.<br />

La séance a eu lieu à PHôtel-de- Ville, devant un auditoire choisi. Les mem<br />

bres précédemment inscrits sont admis.<br />

Ont été présentés :<br />

MM. Bailac, conseiller général, directeur de Y Echo ;<br />

bure et Broussais.<br />

présenté par MM. Lefé-<br />

Mairin, attaché au Cabinet du Préfet d'Alger ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et Paysant.<br />

Pergola, attaché au Cabinet tlu Préfet d'Alger ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et Démontés.<br />

Durand, inspecteur du Crédit Foncier d'Algérie ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et Paysant.<br />

Larfaoui (Mahmoud), interprète auxiliaire,<br />

des Ecoles ; présenté par MM. A. Mesplé et Bugéja.<br />

près le Tribunal, 21, rue<br />

Asnarda, lieutenant service d'aviation à Alger ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et de Bettembourg.<br />

Audoin Dubreuilh, service d'aviation : présenté par MM. A. Mesplé et<br />

de Bettembourg.<br />

Bonnet, secrétaire de la Compagnie du Canal de Suez, rue d'Astorg, Paris ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et Pelleport.<br />

Mlle Sourrouille, chemin Pasteur, 39 ; présentée par Madame Verney et M.<br />

Montoussi.<br />

MM. du Vivier de Streel, vice-président du Comité du Rail Africain, 15, rue<br />

Richepance, Paris ; présenté par MM. A. Mesplé et Choisnet.<br />

Dejean, chirurgien-dentiste. 1 , rue Charras, Alger ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et Bernheim.<br />

Olivaint, conseiller à la cour d'Appel d'Alger ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et Cailleau.<br />

Dessaux (Charles), capitaine d'infanterie, 10e tirailleurs, Paris ; pré<br />

senté par MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Onden, chef d'escadron, commandant le 6e groupe d'Artillerie d'Afri<br />

que ; présenté par MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Dr Dana (Gaston), à El-Biar ; présenté par MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Huck, 9, boul. Victor-Hugo, à Alger ; présenté par Mme D'Acheux et<br />

M. Chantant.<br />

Augras (Albert), avocat à Fedj M'zala (Constantine) ;<br />

MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

présenté par<br />

Schiaffino, armateur, quai Nord, à Alger ; présenté par MM. A. Mesplé<br />

et le docteur Adda.<br />

Cattini, géomètre principal, en retraite, 6, rue Géricault, à Alger ; pré<br />

senté par MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Maglioli,<br />

administrateur de la Commune Mixte de Mac-Mahon, Algérie,<br />

Constantine ; présenté par MM. A. Mesplé et Démontés.


XXXIV BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

Alfonsi, industriel, 119, rue Michelet, Alger ; -présenté par MM. A. Mes<br />

plé et Démontés.<br />

Grossetti, vétérinaire Major à Sétif, Constantine ;<br />

Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Grandjean, lieutenant au 4.''<br />

présenté par MM. A.<br />

zouaves, publiciste, 119, boul. Sébastopol,<br />

Paris ; présenté par MM. A. Mesplé et Lcfébure, préfet d'Alger.<br />

Saliceti. à Sitcy en Brie, 1 f, rue du Four (Seine-et-Oise) ; présenté par<br />

MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Mazard, représentant de Commerce, 12,<br />

par MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

rue Courbet, Alger; présenté<br />

Tordjman, interprète judiciaire à Tébessa (Constantine) ;<br />

MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

présenté par<br />

— Communications du Bureau. Le Président adresse ses meilleurs remer<br />

ciements au Résident général du Maroc et au Commissaire du Maroc Oriental,<br />

ainsi qu'à la Banque de l'Algérie, à la Compagnie générale Transatlantique et<br />

à la Municipalité de Sousse pour les subventions accordées à la Société.<br />

Il félicite chaudement M. Raymond Laffont, agent de la Compagnie générale<br />

Transatlantique à Marseille, nommé chevalier de la Légion d'honneur ; M.<br />

Curtillet, docteur, promu médecin principal de l'Armée ; le Chef de bataillon<br />

Hovard, nommé commandant du Cercle de Gh rdaïa.<br />

Bibliothèque. -—<br />

Il annonce (pie la Bibliothèque a reçu, du Résident géné<br />

ral du Maroc, des cartes d'étipes;du Consul général Wassilieff- Wasilikoff, des<br />

brochures et des évites concernant la Russie économique ; de M. Barbedette,<br />

son rapport sur les missions dont il a été chargé aux Etats-Unis ; de Mlle Su<br />

zanne Nouvelle, Nomades et Sédentaires au Maroc ; de M. Victor Piquet,<br />

Les Réformes en Algérie ; du Lieutenant Colonel Godefroy, Transahariens et<br />

Transafricains ; du Gouvernement général, l'Annuaire de l'Agence Havas et<br />

de Louis Lenain, Rapport succinct du Palais des Académies après le départ des<br />

Allemands.<br />

Communication individuelle. —<br />

héroïque à la Française, par M. Georges Grandjean.<br />

Conférence<br />

sur Rostand : La Gaîté<br />

Le Président présente à l'auditoire M. Georges Grandjean, parti volontaire<br />

comme caporal au 1? zouaves, blessé deux fois, objet de trois citations, un vrai<br />

soldat, aussi corab vttif par l'épée que par la plume, sur le point de fonder une<br />

revue qui s'intitulera Bataille ! Ses ouvrages comprenant surtout des poésies,<br />

ont des titres qui résonnent comme un clairon : Fleur de sang, Gouffre, Bra<br />

siers, Imprécations... Il n'est peu étonnant qu'un écrivain d'un tel tempéra<br />

ment ait été grand admirateur de Rostand, le poète qui a glorifié le chant du<br />

Coq Gaulois, qui a fait flamboyer la Rapière de Cyrano et célébré le vol de la<br />

Marseillaise.<br />

Il donne la parole au conférencier.<br />

M. Grandjean rappelle qu'il a connu Rostand et qu'il est très lié avec Paul<br />

Brulat, vieil ami du Grand Poète. Il tient à réhabiliter la mémoire de l'homme<br />

et de l'écrivain, fait table rase de toutes les petites médisances qu'on se plaît<br />

à conter de salon en salon et magnifie l'idéal du poète qui, dans Chante-clair,<br />

a écrit :<br />

Celui qui voit son n've mort<br />

Doit mourir tout de suite ou se dresser plus fort...


D'ALGER ET DE L'AFRIQUE DU NORD XXXV<br />

Au nom de toute-la jeunesse ardente, enthousiaste et virile qui nous revient<br />

des champs de bataille, M. Grandjean tait la critique du théâtre de dépravation<br />

implantée chez nous par les étrangers, céltire Chanteclair, la vieille gaité hé<br />

roïque et fièrc de notre race et, par opposition, demande instamment qu'on<br />

donne des représentations nouvelles de tout le théâtre de Rost?.nd. Mlle Gra-<br />

nier déclame de façon parfaite une partie des Imprécations, un poème des Mu-<br />

sardins et la prière des Oiseaux de Chanteclair.<br />

M. Grandjean a lu avec beaucoup de nature et d'éclat cette réplique de<br />

Cyrano : «Moi, j'aime qu'on me haïsse».<br />

Le Président remercie chaleureusement le très distingué et captivant con<br />

férencier qui, à la veille de son départ pour la France, a bien voulu, avec l'ar<br />

deur du tribun, l'envolée du poète et l'énergie du soldat, nous parler du mer<br />

veilleux écrivain national.<br />

11 remercie également Mlle Granier qui a si bien dit les vers des deux poètes<br />

et lève la séance à 7 heures.<br />

SEANCE DU 4 JUIN <strong>1919</strong><br />

Présidence de M. A. Mesplé, président<br />

Au Bureau : MM. Paysant, l'Intendant Pelleport, Prat, Levadoux et Barbet<br />

conseiller à la Cour d'Appel.<br />

La séance a eu lieu à l'Hôtel de ville, où s'était donné rendez-vous une af-<br />

fluence considérable de sociétaires et d'invités. Remarqué au premier rang :<br />

M. l'Amiral Eng et des notabilités civiles et militaires ; M. le Gouverneur s'é<br />

tait fait représenter par le Capitaine de frégate, M. Ferhat ; le Préfet par son<br />

Chef de Cabinet, M. Babillot.<br />

Les candidatures précédemment inscrites sont admises.<br />

Ont été présentés et agréés conformément aux Statuts :<br />

MM. Druez, capitaine trésorier au 1er tirailleurs, à Blida ; présenté par MM<br />

A. Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Lefèvre, substitut du Procureur de la République, à Sétif (Constantine) ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et le Président Verner.<br />

Cao-Van(Thanh), capitaine au 1er régimentde zouaves, 31, rue Borélyla-Sapie<br />

; présenté par MM. A. Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Abonnement du Bureau des renseignements de Moulay-Bou-Azza (Ma<br />

roc).<br />

Babillot, chef du Cabinet du Préfet d'Alger ; présenté par MM. A. Mes<br />

plé et Paysant.<br />

Kheroubi, négociant à Laghouat ; présenté par MM. A. Mesplé et Bugéja.<br />

Vivet,<br />

MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

professeur à l'Ecole d'Agriculture de Maison-Carrée ; présenté par<br />

Lepitre, juge au Tribunal civil de Tlemcen ;<br />

et Bel.<br />

présenté par MM, Mesplé


XXXVI BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

Jaham-Desrivaux, chef de division au Crédit Foncier de France ; pré<br />

senté par MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Rouvier, professeur à la Médersa de Tlemeen ;<br />

plé et l'Intendant Pelleport.<br />

présenté par MM. A. Mes<br />

Feniou, capitaine, Bureau des Affaires indigènes de territoire, à Aïn-<br />

Sefra ;<br />

Maës,<br />

présenté par MM. A. Mesplé et le Colonel Gard.<br />

commandant d'Artillerie E.R., 101, rue Michelet ; présenté par<br />

MM. A. Mesplé et Pelleport.<br />

Baille, commandant, chef d'état major de la division d'Alger ; présenté<br />

par MM. A. Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Remy, contrôleur civil à Tabarka ; présenté par MM. A. Mesplé et Pay<br />

sant.<br />

Gianazza, inter. judiciaire à Téniet-el-Hâad ; présenté par MM( A. Mes<br />

plé et Démontés.<br />

Yvan, secrétaire général des C.F.R.A. ;<br />

et Paysant.<br />

présenté par MM. A. Mesplé<br />

Altairac, industriel à Alger ; présenté par MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Aubert, propriétaire à Taza (Maroc) ;<br />

Démontés.<br />

présenté par MM. A. Mesplé et<br />

Pasquet, lieutenant aux affaires indigènes à Ouargla ; présenté par MM.<br />

A. Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Pavet, propriétaire à Mondovi ; présenté par MM. A. Mesplé et le Colonel<br />

Jugue.<br />

Maurie, inspecteur d'Assurance La Métropole, à Alger ;<br />

MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Mesplé,<br />

présenté par<br />

général de Division, commandant la Cavalerie en Algérie : pré<br />

senté par MM. A. Mesplé et Paysant.<br />

Le Président fait remarquer, au milieu des applaudissements de l'auditoire,<br />

que le chiffre des adhérents, depuis la rentrée, s'élève à 240.<br />

Communications du Bureau. —<br />

Subventions.<br />

—<br />

M.<br />

A. Mesplé remercie<br />

le Résident général de France à Tunis et la Municipalité d'Alger, pour les sub<br />

ventions qui ont été accordées à l'œuvre.<br />

— Promotions. Il adresse des fécilitations à M. Dangerfield, médecin chef<br />

de l'Hôpital Britannique d'Alger, lauréat des Facultés de Paris et de Londres,<br />

auteur des travaux sur le Paludisme, le Cancer, qui vient d'être nommé che<br />

valier de la Légion d'Honneur ; à M. Jaham-Desrivaux,<br />

chef de Division au<br />

Crédit Foncier de France, nommé également Chevalier de la Légion d'honneur ;<br />

au Comte de Polignac, délégué du Tourisme-Club, qui vient d'être élu secré<br />

taire général de la Fédération des Syndicats d'Initiative d'Algérie et à Bellin-<br />

ger, élu secrétaire général-adjoint de la même Fédération.<br />

Bibliothèque. —<br />

Le Président signale parmi les dons faits à la Bibliothèque»<br />

les ouvrages suivants L'Evolution intellectuelle de Saint-Augustin, par M.<br />

Prosper Alfaric ; Hallali, mœurs européennes au Maroc, par M. Alexandre Léty<br />

et M. de La Mazière, et plusieurs intéressants mémoires sur la médecine, par<br />

M. Miramond de la Roquette: Expériences sur l'action b.ictéricide de la lumière<br />

solaire, Traitement des blessés dans une ambulance de première ligne, Le sens<br />

■photographique des plantes, etc., etc.<br />

Nécrologie. —<br />

Il annonce la mort de Mme Courtois, du Colonel James Roux


D ALGER ET DE L'AI'RlyUE DU NORD XXXVll<br />

en retraite, de M. Leyval, inspecteur principal du P. L. M. Algérien en retraite,<br />

de M. J. Gauthier, administrateur des Colonies. Il adresse ses vives condo<br />

léances aux familles des décèdes, particulièrement aux familles Chalvin et<br />

Boyer-Banse.<br />

Communication des sections. —<br />

Le<br />

Président, au nom du Président de<br />

la Section Technique empêché, résume la communication faite par M. Bugéja,<br />

à la Section Technique, sur le livre de M. J. Mélia : L'Algérie et la France.<br />

Communication individuelle. —<br />

Burnat-Provins.<br />

Visions<br />

d'artiste en Algérie,<br />

par Mme<br />

Le Président présente à l'auditoire Mme Burnat-Provins, fille d'un avocat<br />

d'Arras, élève ele M. Jean-Paul Laurcns et de Benjamin Constant, qui a écrit<br />

et illustré des petits tableaux : Valaisans, le livre Pour toi, Heures d'automne,<br />

Cantiques d'Eté, L'Absent, etc., etc. La parole est donnée à la conférencière,<br />

qui exprime ainsi ses impressions :<br />

Depuis de longues années, j'ai désiré voir l'Algérie. Chez mon père, dans les<br />

jours gris du Nord, je regardais souvent une petite peinture représentant un<br />

bord.i, le bleu si prenant du ciel africain, quelques cactus. Cette vision suffi<br />

sait à mettre un intense rayon dans ma mélancolie et j'aspirais de toute mon<br />

âme au moment où j'aborderais sur la terre lumineuse qui m'appelait. Elle ne<br />

peut décevoir personne. La joie s'allume au flambeau qui luit pour elle. Elle<br />

possède une abondance de privilèges propres à ravir l'esprit tourné vers la<br />

beauté. De la plaine aux montagnes, des montagnes au désert, elle étale son<br />

haïk superbe aux trois bandes variées ; elle témoigne d'une vie diverse et ma<br />

gnifique dans laquelle on peut puiser largement l'émotion la plus haute et la<br />

plus profonde.<br />

La concevoir est aisé, mais l'exprimer, c'est chose difficile ; il faudrait des<br />

jours et des jours de méditation dans l'éblouissement. Cette contrée séductrice<br />

m'a prise totalement, dans ces conditions, sous l'empire du charme ; voir, c'est<br />

voir beaucoup, car la moindre obole d'un ciel généreux constitue une fortune.<br />

Alger m'est apparue en pleine nuit, comme une capitale de féerie ;<br />

ses lu<br />

mières dessinaient la courbe de son amphithéâtre, dans une ombre opulente<br />

que ne connaissent pas les yeux occidentaux.<br />

La mer elle-même portait cette odeur du chaud printemps, forte comme<br />

une âme conquérante, qui m'enveloppait tendrement, tandis que venait l'aube.<br />

Et l'aube, ici, semble une autre jeunesse; elle est émise de ce tremblement azuré<br />

qui se confond dans l'atmosphère, avec celui d'un voile impalpable à travers<br />

lequel tout s'embellit. En quelques heures, cette vibration agit sur l'être entier<br />

et sollicite l'abandon.<br />

L'activité européenne, qui se déploie sur le sol algérien en efforts constants,<br />

n'a pas toujours respecté la grâce native ni compris qu'il fallait établir des lois<br />

d'adoption et s'y soumettre. Comme partout oit s'installe le progrès, il a com<br />

mis de lourdes fautes. Mais la nature reparaît à chaque pas et l'homme indus<br />

trieux, trop absorbé par l'utile, ne parviendra pas à nous ravir tous nos biens.<br />

Les jardins sont là avec leur écroulement parfumé et, dans la profusion des<br />

fleurs, chaque fois que le regard remonte la ligne pure et simple d'une demeure<br />

arabe, il retrouve l'enchantement.<br />

La Casbah est là, avec l'attrait et la complication de son dédale, de son mys<br />

tère, de sa vie chatoyante qui frappe par éclats quand le soleil tombe dans le


XXXVIII BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

ruisseau étroit d'une rue où coule la vie indigène. Au loin, la baie s'étend pleine<br />

de majesté.<br />

Que l'on quitte Alger pour Constantine, un autre décor grandiose et sauvage<br />

attend l'admiration et, sur la route, les gorges étranges, les montagnes couleur<br />

de cendre bleutée, les forêts, les Hauts Plateaux,<br />

turels de la plus grande noblesse.<br />

offrent des spectacles na<br />

Constantine, l'aérienne, reste dans mes yeux comme une cité de légende, ha"<br />

bitée seulement par des charmeurs d'oiseaux. La ville arabe, si différente de<br />

celle d'Alger, retient par un autre sortilège. J'en suis sortie un matin quand le<br />

soleil était déjà haut,<br />

ouas.<br />

après une nuit fantastique passée au milieu des Aïssa-<br />

Et si l'on descend vers le Sud, c'est Timgad ! l'inoubliable, la dormeuse<br />

éveillée ; Timgad la solitaire, merveille qui plonge l'âme dans le silence ; Tim<br />

gad qu'on ne peut pas décrire sans la diminuer.<br />

Et plus encore, c'est El-Kantara, la porte d'or ouverte sur l'infini. A mesure<br />

qu'on avance, la vie décline, elle agonise doucement ; l'Oued qui se dessèche<br />

marque sa trace par ses bouquets de lauriers roses ; la montagne s'est agenouillée,<br />

et c'est Biskra !<br />

Quelle paix splendide dans les jardins de palmiers, quel rayonnement sur<br />

les villages de toub, convertis en or par la lumière, quelle pureté dans l'air,<br />

venu des régions vides ! et dans le paysage qui semble prosterné au bord de<br />

la soif éternelle, les silhouettes drapées de blanc sont saccerdotales.<br />

Désert ! Quelle bouche humaine pourra jamais dire ce que contient ce mot<br />

sans fond !<br />

Arrêtée aux confins de l'océan des sables, terre d'Algérie, je te salue avec<br />

allégresse ! Sans doute, serai-je impuissante à te louer dignement, mais je te<br />

remercie, car j'ai puisé une force nouvelle dans ta splendeur !<br />

Le souvenir de ton soleil suit le voyageur pour éclairer toutes les routes<br />

de sa vie.<br />

Le Président remercie chaleureusement la brillante conférencière et la fé<br />

licite en particulier de l'ardeur avec laquelle elle a proclamé son admiration<br />

pour la belle terre d'Afrique.<br />

La séance est levée à 7 heures.<br />

SEANCE DU 3 DECEMBRE <strong>1919</strong><br />

La séance a eu lieu à l'Hôtel de Ville, où une affluence compacte a tenu à se<br />

rendre.<br />

Au Bureau : MM. Armand Mesplé, président, Paysant, Pelleport, Demontès<br />

et Aubry.<br />

Ont été acceptés nar l'Assemblée les candidats, provisoirement agréés<br />

par le Bureau au mois de juillet dernier. En voici la liste:<br />

MM. Havard (Eugène), chef de bataillon au Tirailleurs, commandant; le<br />

Secteur de Ben-Gardan (Sud Tunisien) ; présenté par MM. A, Mesplé<br />

et le Colonel Gard.


D ALGER ET DE<br />

L*<br />

AFRIQUE DU NORD XXXIX<br />

Crosson-Duplessis (Charles), commandant supérieur du Génie, 18, rue<br />

des Lotophages, à Alger ; présenté par MM. A. Mesplé et Pelleport.<br />

Bensaïd (Jules), négociant à Blida, 19, rue Tirman ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et Prat-Espouey.<br />

Cherrier (Marie, Joseph, Just.), général de Division, commandant la<br />

division d'Oran ; présenté par MM. A. Mesplé et le Général Lyautey.<br />

Morier (Jean), lieutenant de vaisseau, 14, rue de Constantine, Alger ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et l'Amiral Eng.<br />

Abonnement, section de la Cartographie étrangère, au Ministère de la<br />

Guerre, à Paris.<br />

Toledano, négociant, 16, boul. National, à Oran ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et Vallière.<br />

Mannoni (Jacques), avocat, directeur adjoint de l'Echo d'Oran ; pré<br />

senté par MM. A. Mesplé et Lacanaud.<br />

Lugan, hôtel Continental, à Oran ; présenté par MM. A. Mesplé et Prat-<br />

Espouey.<br />

Pascalin (Charles), président du Tribunal de Commerce, 30, boul. Sé<br />

guin, à Oran ; présenté par MM. A. Mesplé et Vallière.<br />

Bolliux- Basset, avocat à Oran, 2, rue de Lyon ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et Vallière.<br />

Mathieu-Saint-Laurent, avocat à Oran ; présenté par MM. A. Mesplé<br />

et Vallière.<br />

Dandine (Achille), membre du Tribunal de Commerce, 77, rue d'Arzew,<br />

à Oran ; présenté par MM. A. Mesplé et Vallière.<br />

Vialle, avoué, 27, rue El Moungar, à Oran ; présenté par MM. A. Mesplé<br />

et Paysant.<br />

Benedetti, préfet d'Oran ; présenté par MM. A. Mesplé et Pajsant.<br />

Bennaceur (Mohammed Areski), mufti de la grande Mosquée d'Alger,<br />

rue de la Marine à Alger ; présenté par MM. A. Mesplé et Bugéja.<br />

Duroux (Jacques), industriel, villa Daïka,<br />

par MM. A. Mesplé et Pelleport.<br />

boul. Bru, Alger : présenté<br />

Jausions (Louis), capitaine, commandant la 2» batterie du 8e groupe<br />

d'Artillerie d'Afrique, à Bou-Denib (Maroc) ;<br />

Mesplé et le Colonel Gard<br />

présenté par MM. A.<br />

Petit (Jules), lieutenant, adjoint au Service des Affaires Indigènes, à<br />

Laghouat (dép. d'Alger) ; présenté par MM. A. Mesplé et le Colonel<br />

Gard.<br />

De Miranda da Silvoira Lobo,<br />

fonctionnaire des Affaires Etrangères,<br />

vice-Consul du Brésil, 15, boul. Laferrière, à Alger ; présenté par MM.<br />

A. Mesplé et Wassilieff-Wassilikoff.<br />

Mme Maraval-Berthoin, membre de la Société des gens de lettres, Domaine<br />

de Ste-Eugénie, près d'Oran présentée par MM. A. Mesplé et de Gatland.<br />

;<br />

MM. Rouire (Maurice), capitaine au 3e Zouaves S. P. ]32 ; présenté par MM.<br />

A. Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Saurin (Paul), maire de Rivoli, 4. rue Ampère, à Oran ; présenté par<br />

MM. A. Mesplé et Paysant.<br />

Mans (André), lieutenant au Ie zouaves. 13, rue de Metz, à Alger ; pré<br />

senté par MM. A. Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Regulato (Albert),<br />

administrateur princ. de commune mixte, attaché


XL BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

à la sous-préfecturc de Sidi bel Abbès ; présenté par MM. A. Mesplé<br />

et Paysant.<br />

Pouyanne, conseiller à la Cour, 105, rue Michelet ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et Paysant.<br />

Bâillon, service de renseignements à Had-Kourl (Maroc) ; présenté par<br />

MM. A. Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Robert (Jacques), lieutenant-adjoint stagiaire, annexe de Béni Abbés,<br />

C'° Saharienne de la Saoura, cercle de Colomb-Béchar ;<br />

MM. A. Mesplé et Pelleport.<br />

Abonnement Librairie Stechert et G"\ rue de Condé, Paris.<br />

Salanié (Gilbert), capitaine au Service des renseignements,<br />

présenté par<br />

poste de<br />

Midelt Haute-Moulouya (Maroc) ; présenté par MM. A. Mesplé et Dé<br />

montés.<br />

Burté (René), capitaine au bureau annexe d'Ouargla ;<br />

MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

présenté par<br />

Peloquin, médecin chef de l'hôpital militaire d'Oudjda ; présenté par<br />

MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Thionnet, directeur des chemins de fer nailitaires du Maroc à Rabat ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et Denaontès.<br />

Bordet (Léon), capitaine, chef du bureau des renseignements des Gzen-<br />

naia, Poste des Kiffan, par Taza (Maroc) ; présenté par MM. A. Mesplé<br />

et Démontés.<br />

Les candidats suivants ont été présentés :<br />

MM. Abderrhaman, professeur au Lycée d'Oran ; présenté par MM. A. Mes<br />

plé et Gauthier.<br />

Breitbard (Simon), secrétaire du Consul général de Russie ; présenté par<br />

MM. A. Mesplé et Wassilieff- Wassilikoff.<br />

Drago, procureur de la République à Oran ;<br />

plé et Paysant.<br />

présenté par MM. A. Mes<br />

Maraval, chef de Service de la Sûreté départementale d'Alger ; présenté<br />

par MM. A. Mesplé et Paysant.<br />

Gaillard, professeur au Lycée de Mustapha Alger ; présenté par MM.A.<br />

Mesplé et Démontés.<br />

Laemlé, procureur de la République à Sétif ; présenté par MM. A. Mes<br />

plé et Le Dentu.<br />

Blain (Henri), sous-lieutenant groupe mobile de la compagnie Saha<br />

rienne ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Chaligne (Fernand), ehef de bataillon au 3e zouaves à Constantine ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Miguerès(Mauriee), interprète judiciaire près le Tribunal civil de Batna ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et Paysant.<br />

Casamatta (Charles), capitaine du Génie à Rabat (Maroc) ; présenté<br />

par MM. A. Mesplé et Pelleport.<br />

Suchet (Aimé), chef de bataillon du Génie à Rabat ; présenté par MM.<br />

A. Mesplé et Démontés.<br />

Harel, banquier,<br />

Mesplé et Démontés.<br />

chemin de la Solidarité à Alger ; présenté par MM. A.<br />

Duval (Henri), 128, boul. de Courcelles, à Paris ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et F. Duval.


D'ALGER ET DE<br />

L*<br />

AFRIQUE DÛ NORD XLI<br />

Grandidier, explorateur, secrétaire général de la Société de Géographie de<br />

Paris ; présenté par MM. A. Mesplé et le Prince Bonaparte.<br />

Pécoud (Pierre), 2, rue de la Pompe, Paris (16') ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et F. Duval.<br />

Gaible (Edmond), officier-aviateur à Saïda ; présenté par MM. A. Mes<br />

plé et le Colonel Gard.<br />

Desvaux, distillateur, 4, rue Colbert, Alger ; présenté par MM. A. Mes<br />

plé et Démontés.<br />

Giraudy, lieutenant à la Compagnie Saharienne, à In-Salah ; présenté<br />

par MM. A. Mesplé et l'Intendant Pelleport.<br />

Crouzet, professeur au Lycée d'Alger, à St-Eugène ; présenté par MM.<br />

A. Mesplé et Démontés.<br />

Bonnassieux (Alfred), substitut du Procureur Général, à Alger ; présenté<br />

par MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Foissin (Bernard), avocat, bâtonnier de l'ordre des avocats, 37, rue<br />

d'Isly, Alger ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et Pelleport.<br />

Van Ghèle, caissier à la Banque de l'Algérie, à Alger ; présenté par MM.<br />

A. Mesplé et Paysant.<br />

Soussy (Maxime), 36, rue de la Lyre, à Alger ; présenté par MM. A. Mes<br />

plé et Zéraffa.<br />

Larab, professeur d'arabe à l'Ecole primaire supérieure de Mascara ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Pouill (Maurice), pharmacien, à Constantine ; piésenté par MM. A. Mes<br />

plé et Pelleport.<br />

Thimel, capitaine d'artillerie hors cadre, Colonne Voirol, à Alger ; pré<br />

senté par MM. A. Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Vallet (Célestin), banquier, à Affreville ;<br />

et Démontés.<br />

présenté par MM. A. Mesplé<br />

Millet, Chef d'escadron, officier d'ordonnance du Gouverneur général,<br />

Palais d'hiver à Alger ; présenté par MM. A. Mesplé et Paysant.<br />

Sallandrouze de la Mornaix. boul. Bru, Alger; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et Paysant.<br />

Biseuil,<br />

capitaine de frégate, chef d'état-major de l'amirauté d'Alger ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et l'Amiral Eng.<br />

Mlle Quetteville, directrice des jeunes filles indigènes d'Alger, rue Marengo ;<br />

présentée par MM. A. Mesplé et Bugéja.<br />

MM. Ferrari, chirurgien des Hôpitaux d'Alger, 1, avenue Maillot ; présenté<br />

par MM. A. Mesplé et Paysant.<br />

Smati (Hadj Mohamed el Khadir), caïd du douar Aïn-Legr


XLil<br />

BULLETiN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

Gelhay, contrôleur des Contributions directes, 61, boul. Bon- Accueil,<br />

Alger ; présenté par MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Garouby, professeur à la Médersa d'Alger présenté par<br />

; MM. A. Mesplé<br />

et Yver.<br />

Peille, négociant, boul. Général-Farre, Alger ;<br />

R. de Sanabceuf.<br />

présenté par MM. L. et<br />

Deletra (Paul), commis des chemins de fer P. L. M. ; présenté par MM.<br />

L. et R. de Sambœuf.<br />

Godchot, colonel, 14, rue de Constantine, Alger;<br />

Mesplé et Paysant.<br />

présenté par MM. A.<br />

Communications du Bureau.— Le Président exprime, au nom du Bureau,<br />

ses regrets du départ de M. Jonnart, qui avait toujours témoigné la plus grande<br />

sympathie à l'œuvre, et salue respectueusement le nouveau Gouverneur géné<br />

ral M. Abel.<br />

Il adresse ses félicitations aux membres qui ont été l'Objet de promotions<br />

et de distinctions, particulièrement au Général Lyautey,<br />

fonctions ; au Général Gouraud,<br />

en Syrie ; au Général Lamiable,<br />

maintenu dans ses<br />

nommé commandant des troupes françaises<br />

chargé de mission pour la réorganisation de<br />

l'armée polonaise ; à MM. Boutilly, Mirante et Treuillé, nommés directeurs ;<br />

au Général Mangin, promu grand'Croix de la Légion d'honneur ; à l'Amiral<br />

Habert, grand officier ; à M. Willot, commandeur ; au Capitaine Houbé et au<br />

sous-intendant Meunier, nommés Chevalier.<br />

Communication individuelle. —<br />

Voyage<br />

à Tahiti, par M. Olivaint.<br />

lie Président présente ensuite le conférencier, M. Olivaint,<br />

conseiller à la<br />

Cours d'Appel. Il rappelle ses beaux voyages et les ouvrages qu'il a publiés<br />

et lui donne la parole.<br />

M. Maurice Olivaint fait alors, d'une voix claire, le récit de son voyage à<br />

Tahiti, cet Eden éloigné, que la civilisation menace de plus en plus, maintenant<br />

que le percement de l'isthme de Panama rapproche les distances. L'orateur<br />

conte, avec humour, son voyage à travers l'Amérique du Nord, à travers l'O<br />

céan, puis, après le passage du «Pot au Noir», c'est Tahiti, l'île voluptueuse<br />

avec ses cocotiers, ses orangers et ses gardénias.<br />

M. Olivaint nous décrit les anciennes mœurs des Maoris, leurs superstitions,<br />

leurs guerres et leurs sacrifices humains. Il termine par une évocation très<br />

vive de la Cythère moderne, dont la pauvre race dégénérée disparaît en dan<br />

sant, parée de guirlandes et le cœur léger.<br />

Le Président remercie, en excellents termes, M. Olivaint de sa brillante con<br />

férence et lève la séance à 7 heures.<br />

SEANCE DU 18 DECEMBRE <strong>1919</strong><br />

Présidence de M Armand Mesplé, président<br />

Au Bureau : MM. Paysant, Pelleport, Colonel Gard.<br />

Les membres précédemment inscrits sont admis ainsi que les adhérents ci-<br />

après :


D ALGER ET DE L AFRIQUE DU NORD XLtH<br />

MM- Monhoven, commandant les troupes noires à Alger ;<br />

A. Mesplé et l'Intendant général Pelletier.<br />

présenté par MM.<br />

Fournier, propriétaire de l'Hôtel Continental à Alger ; présenté par MM.<br />

A. Mesplé et le Docteur Vidal.<br />

Vincent, étudiant en médecine, ti, rue Daguerre, Alger ; présenté par<br />

MM. A. Mesplé et Démontés.<br />

Moreaux, lieutenant colonel au '.'>'■<br />

par MM. A. Mesplé et le Colonel Gard.<br />

tirailleurs à Tlemcen, Oran : présenté<br />

Ladet, rédacteur en chef de la Vm'.r des Criions, l, rue Maréchal-Bosquet ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et Paysant.<br />

Mme Bonnaure, institutrice, 19, rampe Vallée à Alger ; présentée par MM. A.<br />

Mesplé et Démontés.<br />

Mac-Carthy,<br />

Mesplé et Basset.<br />

Treille (Alcide),<br />

villa des Cimes, boul. Bru. Alger ; présenté par MM. A.<br />

ancien sénateur, 53, rue d'Isly, Alger ; présenté, par<br />

MM. \. Mesplé et Paysant (membre à vie).<br />

Boivin, directeur de l'intérieur au Gouvernement général ; présenté par<br />

MM. A. Mesplé et l'Intendant Pelleport.<br />

Segonds (Emile), inspecteur principal à la compagnie Zurich, 23, rue<br />

Victor-Hugo, à St-Eugène ; présenté par MM. A. Mesplé et Levadoux.<br />

Mme Vve Labaysse, campagne Titre, à El Biar ; présentée par MM. A. Mesplé<br />

et Pelleport.<br />

Thépenier (Emile), contrôleur du Mont-de-Piété ;<br />

Mesplé et Choisnet.<br />

présenté par MM. A.<br />

Larnaude, professeur, chargé de cours à fa Faculté des lettres ; présenté<br />

par MM. A. Mesplé tt Démontés.<br />

Duchène, vice-président du Tribunal civil d'Alger ; présenté par MM. A.<br />

Mesplé et Paysant.<br />

Lion (Camille), industriel, 20, rue Le Nôtre, à Rouen (S.-Inférieure) ;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et Paysant.<br />

Vérain,<br />

chargé de cours de Physique à la Faculté des Sciences d'Alger;<br />

présenté par MM. A. Mesplé et Fieheur.<br />

Moulias (Daniel), lieutenant aux affaires indigènes, à Touggourt ; pré<br />

senté par MM. A. Mesplé et le Colonel Gard.<br />

Buchère,<br />

secrétaire général de la Ligue Coloniale française, à Rouen <<br />

présenté par MM. A. Mesplé et le Docteur E. Vidal.<br />

Vieu,<br />

pharmacien à Tizi-Ouznu : présenté par MM. A. Mesplé et Bugéja.<br />

Mme Bernot, 3, rue Jean-Rameau : présentée par MM. Vidal et Perrin,<br />

conseillera li Cour.<br />

Bernot (Edmond), 3, rue Jean-Rameau. Alger ; présenté par MM. Vidal<br />

et Perrin,<br />

conseiller à la Cour.<br />

Communications du Bureau. -<br />

Le<br />

Président donne lecture d'une lettre<br />

intéressante du Chef de bataillon Ilavard, concernant la région de Ben Gar-<br />

dane.<br />

Il rend compte de l'aimable réception faite au Bureau par le Gouverneur gé<br />

néral, qui a bien voulu accepter le litre de Président,<br />

inscrire comme membre titulaire.<br />

d'honneur et se faire


XLIV BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE<br />

Il adresse des félicitations à MM. Démontés, Douel,<br />

docteurs Raynaud et<br />

Nègre, auxquels les diverses sections de l'Institut ont décerné des prix pour<br />

leurs intéressants travaux ; au Colonel Peignier,<br />

à Alger : à M. Puaux, secrétaire général du Gouvernement Tunisien ; à M. de<br />

nommé directeur du Génie<br />

Sambœuf, qui a reçu la grande médaille de vermeil de la Ligue Maritime et<br />

à M. Seurat, promu officier de l'instruction publique. Aussitôt après s'ouvre<br />

l'Assemblée générale statutaire.<br />

SEANCE DE LA SECTION TECHNIQUE DU 23 MAI <strong>1919</strong><br />

La séance est présidée par M. le Colonel Gard<br />

Au Bureau : MM. l'Intendant militaire Pelleport et Aubry.<br />

Le Président présente au public, nombreux et choisi, groupé dans la salle,<br />

Mme Bugéja, déjà fort connue et appréciée par les excellentes conférences<br />

qu'elle a exposées et qui ont mis en relief ses brillantes qualités d'orateur érudit<br />

et disert.<br />

Mme Bugéja fait, de l'ouvrage de M. Jean Mélia La France et l'Algérie, un<br />

commentaire très étudié dont le résumé ci-après donne les idées essentielles.<br />

« Il faut s'efforcer de resserrer de pfus en plus les liens qui doivent unir les<br />

deux races : Française et Arabe, vivant côte à côte sur le sol africain et, dans<br />

ce but, instituer la justice égale pour tous, supprimer les lois d'exception, qui<br />

permettent l'oppression de l'indigène, organiser une administration bienveil<br />

lante et éclairée qui donne à l'indigène la certitude que ses services et son dé<br />

vouement pendant la guerre lui ont conquis l'affection et la gratitude des Fran<br />

çais.<br />

« Le fatalisme, dit Mme Bugéja, existe lorsque les peuples sont malheureux<br />

et, si le fanatisme se met de la partie, il y a cause insoupçonnée parfois, mais<br />

existant toujours.»<br />

La distinguée conférencière dépeint le colon français et l'indigène unis par<br />

les sentiments de l'amitié la plus pure, se donnant en toutes circonstances, un<br />

mutuel et fraternel appui.<br />

Aux témoignages cités par Jean Mélia, elle ajoute, avec documents à l'ap<br />

pui, des appréciations très logiques de ce que constitue le problème algérois :<br />

filles et garçons musulmans ont droit, dit-elle, à une instruction complète, car<br />

les uns et les autres sont, comme leurs ancêtres, en état d'aborder avec succès<br />

les études supérieures.<br />

Mme Bugéja termine sa conférence par quelques mots vibrants de patrio<br />

tisme qui caractérisent, dans son ensemble, l'ouvrage de Jean Mélia et lui va<br />

lent les applaudissements chaleureux de l'auditoire.<br />

Au nom de celui-ci, le Président lui adresse ses vives félicitations et la re<br />

mercie.


Gomment Intensifier la Production Maritime<br />

DE L'ALGERIE<br />

L'Algérie a fourni à la Patrie, pendant la guerre, d'importantes<br />

ressources de tout ordre. Faute d'une exploitation rationnelle et<br />

d'un outillage moderne, les ressources alimentaires tirées de la mer<br />

n'ont apporté qu'une contribution minime au ravitaillement général.<br />

Il n'en faut pas douter, cette contribution pourrait être beaucoup<br />

plus large et digne des beaux rendements d'un sol depuis longtemps<br />

mis en valeur. Comment l'augmenter ?<br />

Après avoir rapidement précisé ce qu'est, actuellement, la produc<br />

tion maritime de l'Algérie,<br />

nous nous efforcerons de donner une ré<br />

ponse à cette question dont l'importance, pour le présent comme pour<br />

l'avenir,<br />

n'a pas besoin d'être soulignée.<br />

Le dépouillement des statistiques publiées par le Gouvernement<br />

général de l'Algérie montre que<br />

— depuis<br />

plus d'un quart de siècle<br />

l'industrie des pêches maritimes accuse une stagnation complète.<br />

L'année 1913, dernière année normale avant la guerre*<br />

base à nos comparaisons.<br />

—<br />

servira de<br />

Sans accumuler des tableaux de chiffres que personne ne lit, il nous<br />

suffira d'interpréter les plus significatifs d'entre eux. La valeur to<br />

tale des produits pêches approche, chaque année, de cinq millions<br />

de francs. L'Algérie possède, d'autre part, 1.300 kilomètres de riva:<br />

ges, sinuosités comprises, et c'est là, a priori,<br />

un domaine maritime<br />

non négligeable. Il en résulte donc une production annuelle du kilo<br />

mètre linéaire très inférieure à 4.000 francs. Comparativement,<br />

notons que la production kilométrique moyenne des rivages les plus<br />

épuisés de la vieille Europe, mais exploités d'après les méthodes<br />

scientifiques, dépasse partout 150.000 francs!


2 COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGÉRIE<br />

Le nombre des barques de pêche, toutes d'un tonnage infime, os<br />

cille autour de 1 . 400. Le nombre des inscrits pêcheurs se maintient<br />

péniblement aux environs de 5.300. Même, en regardant y de plus<br />

près, ce nombre va diminuant d'année en année. Les inscrits qui<br />

font le batelage dans les ports augmentent ou se maintiennent, seuls,<br />

à un chiffre qui masque, dans le total général, le fléchissement inquié<br />

tant du nombre des pêcheurs proprement di;ts. Quant à la qualité<br />

de ces inscrits, à leurs capacités et à leurs aptitudes professionnelles,<br />

on pourra en juger quand nous aurons dit que, bon an, mal an, l'Ad<br />

ministration de l'Inscription maritime ne peut lever, parmi eux, pour<br />

les services de la Flotte, plus de 200 à 230 matelots à peu près- utili<br />

sables. A peine un sur vingt ! Et si, divisant le produit total de la<br />

pêche par le nombre des pêcheurs, nous calculions le rendement in<br />

dividuel du pêcheur algérien, nous le trouverions inférieur à tous les<br />

rendements individuels connus.<br />

Très clairement, cette situation indique que les professions mari<br />

times ont, dans ce pays, un rendement économique très faible et sont,<br />

en conséquence, de plus en plus délaissées. Serait-ce que la mer algé<br />

rienne est une mer pauvre, dont l'exploitation ne peut donner que<br />

déceptions et résultats médiocres ?<br />

Sans entrer dans des détails scientifiques, ici hors de propos, on<br />

peut cependant affirmer que la fertilité des eaux littorales algérien<br />

nes est, au contraire, tout à fait remarquable et que leur population<br />

de poissons pélagiques, notamment, représente une source inépuisa<br />

ble de richesses de premier ordre.<br />

La topographie des fonds piscifères, la configuration des côtes,<br />

leur régime thermique et hydrodynamique, la composition et la fé<br />

condité de la faune comestible permettent, aujourd'hui, de classer<br />

par ordre d'importance décroissante, les richesses naturelles — ac<br />

tuelles ou en puissance, déjà exploitées ou encore méconnues —<br />

la mer algérienne.<br />

de<br />

C'est tout d'abord, distançant de beaucoup toutes les autres réu<br />

nies, celle que représentent les poissons pélagiques, 'improprement<br />

appelés migrateurs, quelquefois désignés par les pêcheurs sous le<br />

nom général de «poisson bleu». Ils comprennent principalement<br />

trois représentants de la famille des Clupéidés : la Sardine, l'Allache<br />

ou Sardinelle, l'Anchois ; et trois représentants de la famille des<br />

Scombéridés : le Thon commun, la Bonite répartie en plusieurs es<br />

pèces et le Maquereau méditerranéen.<br />

Très loin derrière cette richesse fondamentale et pratiquement illi<br />

mitée, viennent les poissons de fond et les poissons sédentaires cô-


COMMENT INTENSIFIER LÀ PRODUCTION MARITIME EN ALGERIE â<br />

tiers dont l'ensemble constitue la vaste catégorie, hétérogène et di<br />

verse, connue des pêcheurs sous le nom général de « poisson blanc ».<br />

Viennent ensuite — peut-être même se placeront-ils avant le<br />

« poisson blanc »,<br />

— les<br />

produits de l'Ostréiculture et, accessoire<br />

ment, de la Mytiliculture, industries entièrement à créer.<br />

Les pêcheries fermées et ,1a pisciculture naturelle dans les lacs et<br />

les embouchures, malgré les ressources régulières et sans aléas qu'elles<br />

fourniraient abondamment,<br />

n'existent pour ainsi dire pas encore.<br />

Restent enfin le Corail et, éventuellement, l'acclimatation en<br />

quelques points limités, des Eponges tunisiennes et la Spongiculture.<br />

C'est le « poisson blanc », le poisson de fond qui a été, jusqu'ici,<br />

le plus fortement exploité, grâce à l'emploi d'un vaste engin en forme<br />

de poche, traîné par deux bateaux accouplés<br />

— les bateaux-bœufs —<br />

lequel est l'équivalent, en Méditerranée, du grand chalut de l'Atlan<br />

tique et de la Mer du Nord.<br />

La pêche au filet-bœuf a fourni, dans le voisinage des grands cen<br />

tres de consommation dû littoral (Alger, Oran, Philippev ille, Bône),<br />

des bénéfices considérables aux armateurs. Elle voit, depuis plu<br />

sieurs années déjà, son rendement diminuer rapidement malgré l'uti<br />

lisation de petits bateaux à vapeur d'une constante activité. Ce ré<br />

sultat, que nous avions prévu et prédit,<br />

est la conséquence obligée<br />

de la méconnaissance voulue des conditions topographiques natu<br />

relles qui régleront toujours —<br />

qu'on le veuille ou non<br />

— l'exploita<br />

tion rationnelle des surfaces piscifères, domaine exclusif de la pêche<br />

de fond.<br />

Jl suffit de jeter un coup d'<br />

œil sur une carte pour se rendre compte<br />

que la côte algérienne, rectiligne, abrupte et rocheuse,<br />

l'eau suivant des déclivités accentuées. Le<br />

mergé n'offre, en avant des abîmes tout proches,<br />

bande de fonds accessibles, fortement déclives,<br />

plonge sous<br />

plateau- continental im<br />

qu'une étroite<br />

même dans l'inté<br />

rieur de certains golfes (golfe d'effondrement de Bougie). Ces fonds<br />

étroits, linéaires,<br />

bancs corallifères (golfe de Bône)<br />

fréquemment parsemés d'obstacles rocheux ou de<br />

sont manifestement impropres à<br />

une exploitation intensive par les grands engins traînants. L'emploi<br />

de ces derniers exige,. en effet, de vastes fonds plats,<br />

bk>'Vaseux,<br />

sableux ou sa-<br />

s'étendant au grand large des côtes et sous de faibles<br />

profondeurs d'eau (0 à 1*0 ou 180 mètres). C'est le cas de la Mer du<br />

Nord dans toute son étendue, de la Manche et des rivages européens


4 COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGERIE<br />

de l'Atlantique Nord. C'est aussi celui, moins accusé, du golfe du<br />

Lion. Ce n'est pas et ce ne pourra jamais^<br />

être celui de l'Algérie.<br />

L'introduction et la tolérance du filet-bœuf en Algérie a donc été<br />

une erreur dont les conséquences fâcheuses sont loin d'être épuisées.<br />

L'exiguité des fonds exploitables oblige les pêcheurs à travailler<br />

perpétuellement en fraude, près trop de terre et toujours sur les mê<br />

mes surfaces. Tant que le vaste engin n'a eu qu'une activité intermit<br />

tente, coupée de longs repos périodiques, les inconvénients, bien que<br />

très sérieux et grandissants d'année en année,<br />

pouvaient paraître<br />

tolérables. Mais sous le fallacieux prétexte d'aller pêcher dans les<br />

eaux internationales —<br />

où n'existe, le long de la côte algérienne, au<br />

—<br />

cune surface accessible les filets-bœufs, actionnés par des ba<br />

teaux à vapeur, ont fonctionné toute l'année, nuit et jour,<br />

en l'absence d'une surveillance efficace.<br />

sans répit,<br />

Le résultat ne s'est pas fait attendre : une raréfaction significa<br />

tive du « poisson blanc », auquel on ne laisse plus le temps de croître<br />

ni de se reproduire,<br />

s'est rapidement manifestée. Les plus cupides<br />

et les moins scrupuleux, des armateurs l'ont constatée et les bénéfices<br />

scandaleux d'autrefois ont disparu. En été, la redoutable activité<br />

des bateaux-bœufs est même souvent volontairement suspendue<br />

parce que la chaleur et le manque de frigorifiques provoquent d'im<br />

portants déchets que le fléchissement des bénéfices globaux ne per<br />

met plus de supporter.<br />

Le principe fondamental de toute exploitation des richesses natu<br />

relles spontanément renouvelables lie peut être impunément violé.<br />

Il comporte, dans un temps donné, des prélèvements inférieurs ou<br />

au plus égaux à la quantité d'individus nouveaux qui peuvent appa<br />

raître, dans le même temps,<br />

par le jeu normal de la reproduction<br />

d'une population qui doit rester constante. La pêche au bœuf a dé<br />

passé, en Algérie,<br />

sur un rivage manifestement impropre à l'exploi<br />

tation par les grands engins traînants, les limites imposées par la<br />

faculté de renouvellement spontané des espèces ichthyologiques de<br />

fond. Quand les bénéfices, par trop, insuffisants, cesseront d'allécher<br />

la cupidité imprévoyante et aveugle des armateurs, le filet-bœuf<br />

devra disparaître. L'exploitation continue, trop<br />

point,<br />

intense au même<br />

aboutit nécessairement à l'arrêt de toute exploitation. Et<br />

l'intermittence —<br />

prévue ou non par les règlements,<br />

—<br />

est, de toute<br />

manière, finalement imposée par la nature.<br />

Ce régime d'exploitation, librement anarchique, aurait, au surplus,<br />

des inconvénients.relativement peu graves s'il n'affectait que l'abon<br />

dance relative des poissons de fond. La pêche de ceuxrci n'a, en effet,


COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGÉRIE 5<br />

que de faibles possibilités de développement en Algérie et elle y res<br />

tera toujours, par la force des choses, une industrie très secondaire.<br />

Son ambition devra se borner à fournir du poisson frais à la consom<br />

mation locale, dans la limite compatible avec le maintien, par le jeu<br />

de la fertilité naturelle du milieu, d'une certaine constance de sa po<br />

pulation ichthyologique et, par suite, d'une permanence de sa pêche.<br />

Mais on ne peut raisonnablement se désintéresser des répercussions<br />

graves de la pêche aux engins traînants, trop près des côtes, sur<br />

une industrie bien autrement importante : la pêche aux poissons<br />

pélagiques.<br />

Le « poisson bleu », voilà, en effet,<br />

—<br />

nous l'affirmons à la lumière<br />

des travaux biologiques,— la véritable richesse, d'une inépuisable<br />

abondance, delà mer algérienne. Les poissons sédentaires ne quittent<br />

pas les fonds correspondants et, quelle que soit la densité de peuple<br />

ment de ces derniers, leur abondance est toujours étroitement fonc<br />

tion de la surface habitable, laquelle est très restreinte, sur nos côtes.<br />

Les poissons pélagiques, au contraire, ne se reposent jamais sur<br />

le fond, dont ils ne dépendent point, ni pour leur alimentation et leur<br />

accroissement,<br />

ni pour leur reproduction. Leur domaine est celui<br />

de la mer entière où ils circulent sans cesse, soit à la surface, soit<br />

entré deux eaux, avec une distribution verticale variable. Ils se<br />

nourrissent, du moins pour les petites espèces, de la poussière vivante<br />

que l'eau de mer tient en suspension, du plankton microscopique.<br />

Et leur fécondité, quand le milieu est favorable,<br />

est précoce et for<br />

midable. Le régime thermique, lumineux, électrique, hydrodyna<br />

mique et planktoniqué des rivages algériens est le grand facteur de<br />

leur fertilité ichthyologique, comme il est le facteur fondamental de<br />

la fertilité de notre sol. Il est tel, que la Sardine, par exemple, de<br />

vient ici un animal permanent dans les eaux superficielles,<br />

croissance est continue, rapide et brève,<br />

que sa<br />

sans arrêt hivernal appré<br />

ciable et que sa reproduction est plus précoce et dure, chaque année,<br />

plus longtemps que partout ailleurs.<br />

Or, les incessants va-et-vient des engins traînants dispersent les<br />

bancs de « poisson bleu », les refoulent, les éloignent des côtes et<br />

détruisant les végétations fixées sur le fond —<br />

sur lesquelles se dé<br />

Veloppe le plankton microscopique nourricier de la Sardine, de l'A)-<br />

lache, de l'Anchois, —<br />

définitivement le poisson affamé.<br />

II faudra choisir<br />

ils stérilisent le milieu côtier et en chassent<br />

—<br />

—<br />

et il est grand temps<br />

entre<br />

deux industries<br />

qui ne peuvent s'exercer, faute de fonds accessibles au loin, que dans la


6 COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGÉRIE<br />

mlme zone étroitement littorale. Jusqu'ici, s'est développée, à peu près<br />

seule, la pêche de fond,<br />

parfaitement incompatible avec la topogra.-<br />

phie de nos côtes dépourvues de suffisantes surfaces exploitables.<br />

Elle a déjà dépassé la limite d'activité strictement conservatrice et<br />

n'a aucune possibilité d'extension dans l'avenir. Elle est, enfin, d'une<br />

nocivité aveugle et redoutable qui s'étend fâcheusement,<br />

non seule<br />

ment aux espèces qu'elle capture, mais encore aux espèces de sur<br />

face qu'elle disperse, affame et éloigne.<br />

— à<br />

Et c'est, au contraire, la pêche et l'industrie du « poisson bleu »<br />

peine commencée par les procédés les plus primitifs<br />

— qui<br />

est<br />

susceptible d'un développement indéfini et présente un intérêt de<br />

premier ordre. C'est donc cette dernière qu'il faut protéger, organi<br />

ser, perfectionner, développer. Car l'avenir, en Algérie,<br />

seulement.<br />

III<br />

est là et là<br />

Comment expliquer que cet avenir n'ait pas été déjà soupçonné ?<br />

Indépendamment de nos connaissances longtemps incertaines sur<br />

la biologie des poissons algériens pélagiques, une autre raison, capi<br />

tale,<br />

peut en être facilement aperçue. Elle est d'ordre économique et<br />

réside dans la discordance, dans le déséquilibre qui s'est rapidement<br />

établi entre l'exploitation du sol et l'exploitation de la mer ; dans les<br />

progrès rapides de l'une, dans la stagnation misérable de l'autre ;<br />

dans la prospérité grandissante de la première attirant des activités<br />

de plus en plus nombreuses, dans la routine improductive et sans<br />

issue de la seconde pratiquée, au début,<br />

par des éléments sociaux<br />

très inférieurs et incapable de retenir, aujourd'hui, autre chose que<br />

ces mêmes activités inférieures.<br />

Pendant que les colons, en grande majorité français, représentant<br />

une élite instruite et énergique, capables d'une adaptation rapide,<br />

favorisés, d'ailleurs,<br />

grands devoirs, —<br />

par la haute Administration consciente de ses<br />

créaient, de toutes pièces, une agriculture sou-<br />

i ent supérieure dans ses techniques, à, l'agriculture métropolitaine,<br />

les premiers colons maritimes, produits exclusifs de l'immigration<br />

étrangère,<br />

s'établissaient en quelques points de nos côtes dans le<br />

voisinage des marchés de consommation.<br />

Ce qu'étaient ces premiers colons maritimes, tout le monde le sait.»<br />

Ils provenaient de la partie la plus misérable, 1& plus arriérée, la<br />

plus<br />

illettrée,'<br />

la moins perfectible de la plèbe maritime de l'Italie et<br />

de l'Espagne. C'étaient de véritables déchets sociaux dont le cœffi-


,<br />

COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGÉRH3 7<br />

cient personnel de production était extrêmement faible et peu sus<br />

ceptible d'augmentation.<br />

Leurs tribus, très fermées, isolées du reste de'la population, ont<br />

vécu un certain temps à l'écart, ignorées de l'Administration, végé<br />

tant d'une industrie très primitive à laquelle leur impuissance intel<br />

lectuelle interdisait tout progrès..<br />

Lorsque la Loi de 1889 en fit des citoyens français, on put croire<br />

que cette insigne faveur déterminerait l'impulsion libératrice et<br />

marquerait le point de départ de tous les progrès. Il n'en fut, il n'en<br />

est encore malheureusement rien. Ils n'ont pas envoyé davantage<br />

leurs enfants à l'école ; ils n'ont pas usé de leur bulletin de vote pour<br />

réclamer le perfectionnenqient de leur industrie, ni des avantages éco<br />

nomiques généraux. Ils n'avaient, ils n'ont encore aucune idée qu'on<br />

puisse pêcher autrement que leurs ancêtres l'ont fait. Ils, sont tout<br />

aussi peu portés à s'instruire, tout aussi privés d'initiative et de<br />

compréhension, tout aussi peu désireux de mieux être et de prospé<br />

rité. Ils ne sont pas plus laborieux. Que dis-je ï Ils le sont beaucoup<br />

moins puisque, maintenant, ils<br />

peuvent'<br />

demander des secours aux<br />

quels, autrefois, ils,n'avaient aucun droit. Tout est devenu prétexte<br />

à la véritable mendicité chronique dont ils sont affligés : les années<br />

sont devenues uniformément mauvaises, la mer brusquement et<br />

constamment hostile, la profession indésirable.<br />

i Autrefois, leur coefficient personnel de production, très faible,<br />

leur permettait néanmoins de se suffire, de satisfaire leurs aspira<br />

tions qui ne dépassaient pas le cadre des besoins végétatifs. Aujour<br />

d'hui, ce coefficient est tombé encore plus bas. Il est devenu négatif,<br />

le pêcheur naturalisé, dans la plupart des communes maritimes,<br />

coûtant beaucoup plus^cher qu'il ne produit. Et le bulletin de vote<br />

a donné, économiquement, ce résultat inattendu et paradoxal, au<br />

lieu d'amorcer le,<br />

rasitaire !<br />

progrès de provoquer une véritable régression pa<br />

En abandonnant à lui-même cet état de choses,<br />

aucune améliora<br />

tion spontanée n'est à espérer ni à prévoir de longtemps. Dans le<br />

domaine de l'exploitation maritime, on est parti de trop bas et on en<br />

est encore à des rendements comparables à ceux que les indigènes<br />

retiraient, avant la colonisation française, du même sol dont les mé<br />

thodes modernes ont révélé la prodigieuse fécondité.<br />

L'Algérie a un intérêt<br />

vitar1<br />

évident à faire cesser<br />

une'<br />

situation<br />

aussi préjudiciable. Il est déjà paradoxal qu'elle importe à grands<br />

frais de Cette, d'Arcachoh, de Mareiines, les huîtres dont elle devrait<br />

elle-même couvrir les marchés européens,<br />

en réalisant des bénéfices


8 COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGÉRIE<br />

considérables. L'Algérie, futur exportateur de<br />

conserves innombra<br />

bles de Sardine, d'Anchois, de Maquereau, de Bonite et de Thon, en<br />

est encore aux balbutiements d'une industrie dont l'avenir est, pra<br />

tiquement, illimité.<br />

incapable,'<br />

Parce que la population maritime est<br />

liv rée à elle-même,<br />

de progresser, les rendements faibles s'éternisent. Et parce que ces<br />

rendements sont faibles, la production maritime est désertée par<br />

tout ce qui n'est pas absolument infirme intellectuellement. C'est<br />

le cercle vicieux.<br />

Pour le rompre, il devient urgent d'attaquer la question par ses<br />

trois aspects fondamentaux : a) pousser de plus en plus les recher<br />

ches scientifiques avec un organisme approprié initiateur et vulga<br />

'<br />

risateur ; b) moderniser l'outillage et les techniques ; c) perfection<br />

ner et augmenter la main-d'œuvre professionnelle.<br />

IV.,<br />

Nous ne dirons que peu de chose de la première obligation laissant<br />

à tous ceux qui réfléchissent le soin d'en dégager l'importance.<br />

Quand un agriculteur veut, aujourd'hui, devenir un colon algé<br />

rien, il trouve ici les renseignements les plus circonstanciés,<br />

un Ser<br />

vice de Botanique agricole, des Stations expérimentales, le fruit des<br />

expériences réalisées par de nombreux observateurs, officiels ou pri<br />

vés,<br />

taine.<br />

en un mot les éléments très précis d'une réussite presque cer<br />

Mais qu'un futur exploitant de la mer se présente —<br />

fait s'est produit plusieurs fois à notre connaissance —<br />

comme le<br />

aucune in<br />

dication sérieuse ne pourra lui être donnée, aucun modèle lui*<br />

offert en exemple. Il se verra voué à l'incertitude, isolé en plein in<br />

être<br />

connu, dans un milieu indifférent ou hostile, environné de pièges et<br />

d'obstacles, quelquefois soumis à un véritable boycottage. Et, s'il<br />

n'a pas le feu sacré et l'âme intrépide des novateurs héroïques, il<br />

s'en ira. C'est ce qui, à peu près régulièrement, s'est produit.<br />

Ces retraites, prudentes ou forcées,<br />

ces tentatives aussitôt avor<br />

tées qu'ébauchées ne vont pas, d'ailleurs, sans discréditer la cause<br />

de la mise en valeur de nos richesses maritimes et sans nuire grave<br />

ment aux intérêts et à l'avenir du pays. Depuis dix ans nous luttons<br />

avec une 'tenace énergie pour l'organisation de l'exploitation ration:<br />

nelle de la mer en Algérie. N'était la guerre, nous aurions déjà la<br />

tisfaction d'avoir introduit dans la Colonie deux industries nouvelles<br />

et du plus magnifique avenir : La pêche permanente et l'industrie


COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGÉRIE 9<br />

des conserves du Thon commun d'une part ; l'industrie ostréicole,<br />

de l'autre. Pour chacune d'elles, les recherches nécessaires sont fai<br />

tes, les essais concluants, les concessions accordées ou sur le point<br />

de l'être. D'autres, de grand avenir aussi et d'un plus vaste rende<br />

ment, telles que la pêche et l'industrie de la Sardine,<br />

soin d'être perfectionnées et intensifiées dans ce pays.<br />

ont grand be<br />

Dès maintenant, la modernisation de l'outil de pêche et l'augmen<br />

—<br />

tation du nombre des marins-pêcheurs ceci devenant la consé<br />

quence de cela — donneraient des résultats immédiats et féconds.<br />

V<br />

Nous avons traité ailleurs (1) la question de l'installation des mo<br />

teurs marins dits « Semi-Diesels » à 2 temps et à combustible lourd<br />

sur les bateaux de pêche de l'Algérie. Après a\ oir étudié le problème<br />

aux points de vue thermo-dynamique, technique et économique, la<br />

transformation immédiate, toutes les fois que l'état de la coque<br />

permet l'adaptation d'un moteur,<br />

s'est révélée possible et désirable.<br />

Les puissances nécessaires sont, d'ailleurs, fort peu élevées et,<br />

partant, peu coûteuses. C'est ainsi que de 0 à 5 tonneaux bruts de<br />

— jauge, ce qui est le cas de toutes nos barques de pêcli • à<br />

—<br />

dine, à l'Anchois et à la Bonite<br />

tous les besoins.<br />

la Sar<br />

un moteur de 3 à 5 HP suffit à<br />

Un exemple, d'importance supérieure , à celle des bateaux algé<br />

riens, très démonstratif cependant,<br />

pense totale à prévoir.<br />

(1)<br />

peut donner une idée de la dé<br />

Canot de Wisant (quartier de Calais) : longueur 7 m. 40<br />

déplacement 4 tonneaux.<br />

Prix : (2) ,<br />

Bateau armé, sans engins<br />

Moteur<br />

moteur 3 HP. (Dan).<br />

vitesse 5 nœuds.<br />

1 . 500 fr.<br />

2.800 fr.<br />

Total 4.300 fr<br />

Prix de l'heure de travail (compris amortissement, entretien, répara<br />

tions, consommation)<br />

0 fr. 50<br />

Sur l'introduction des moteurs à explosion dans la flotte de pêche de l'Al<br />

gérie (Rapport à M. le Gouverneur général de l'Algérie, mars 191*6, avec courbes<br />

et figures).<br />

(2)<br />

Prix forts d'avant la guerre. Ces renseignements sont empruntés à Hirs-<br />

chauer : (Bulletin de l'Enseignement technique et professionnel des Pêches mariti<br />

mes, Paris, 1914).


10 COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGÉRIE<br />

Seules, les plus grandes barques algériennes dont la coque se trou<br />

vera en. bon état pourront être transformées avec avantage; D'autres<br />

bateaux, neufs,<br />

construits d'après des principes aujourd'hui préci<br />

sés, viendront rapidement ajouter et augmenter progressivement<br />

s'y<br />

les rendements de la pêche. Dès le début, d'ailleurs, les petites uni<br />

tés actuelles conviendront parfaitement pour la pêche de la Sardine<br />

et de l'Anchois, du Maquereau et de la Bonite dans le voisinage des<br />

côtes. Plus tard, des bateaux pontés de 15 à 20 tonneaux, pourvus de<br />

moteurs de 18 à 25 HP pratiqueront, au large, la pêche de la Bonite<br />

et du Thon, soit aux lignes traînantes,<br />

soit aux filets enveloppants.<br />

Parallèlement à la pêche par unités isolées et indépendantes, si<br />

chères à l'individualisme latin, se développera aussi, sous l'influence<br />

de ses grands avantages économiques, la pêche en flotte avec bateau<br />

explorateur-chasseur rapide, pourvu de cales froides et d'appareils.<br />

de télégraphie sans fil,<br />

mettant en exploitation méthodique tout le<br />

«poisson bleu», gros et petit, du bassin occidental méditerranéen.<br />

Pour favoriser et provoquer, au besoin, cette transformation -si<br />

nécessaire, d'assez nombreuses mesures administratives et d'intelli<br />

gentes initiatives doivent être prévues. Bornons-nous à en rappeler<br />

quelques-unes. $<br />

L'une d'elles vise la détaxe des combustibles liquides. A l'excep<br />

tion des dérivés du goudron de houille, les combustibles que peuvent<br />

utiliser les moteurs à explosion sont frappés de droits de douane<br />

très élevés : 10 fr. par hectolitre pour les essences et huiles raffinées ;<br />

9 fr. par 100 kilos pour les huiles brutes, les huiles lourdes et les rési<br />

dus. La loi n'a pas voulu, à vrai dire,<br />

que ces droits frappent aussi<br />

lourdement les industries maritimes. Elle permet que le combustible<br />

soit embarqué sous suite d'entrepôt —<br />

comme le charbon, du reste<br />

à condition qu'il ne subisse aucune transformation sur le territoire.<br />

Mais il n'en est plus de même si ce combustible est travaillé dans les<br />

usines nationales. Aussi, le Ministre du Commerce a-t-il fait admet<br />

tre le principe de l'admission temporaire des pétroles,<br />

va être étendu aux huiles lourdes et aux résidus.<br />

Malheureusement,<br />

point de vue fiscal, il en va tout<br />

—<br />

principe qui<br />

si le principe ne souffre aucune difficulté au<br />

autrement'<br />

au pbint de vue adminis<br />

tratif. A la manière traditionnelle française, des formalités sans nom<br />

bre et sans fin gênent la délivrance du combustible détaxé. La de-'<br />

mande, adressée à la Préfecture, d'établissement d'un entrepôt, ac<br />

compagnée des plans du bâtiment futur et d'une copie du plan ca<br />

dastral, est, d'abord, soumise à l'examen du Conseil de Préfecture ;<br />

puis,<br />

elle est envoyée à la Municipalité aux fins d'enquête de com-


COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGÉRIE 11<br />

modo et incornnïodo, enquête au cours de laquelle se manifestera l'hos<br />

tilitéjalouse ou bornée de voisins ou de concurrents qu'offusque une ini<br />

tiative intelligente. Les délais sont interminables ; l'attente se chif<br />

fre par des mois et des années pendant lesquels le patron-pêcheur<br />

devra travailler avec du combustible non détaxé ou chômer, à son<br />

choix.<br />

A supposer l'entrepôt autorisé et construit, les difficultés devien<br />

nent chroniques. A chaque sortie du bateau, il faut demander à la<br />

Douane un agent dont le déplacement est taxé de 1 fr.»à 1 fr. 50<br />

suivant les localités. Pour éviter les vols, le patron-pêcheur n'em<br />

portera chaque jour que la quantité de pétrole strictement nécessaire<br />

et l'onéreuse formalité devra se renouveler quotidiennement. Pour<br />

200 sorties seulement par an, elle lui coûtera au minimum 300 francs.<br />

La détaxe- devient, en fait, illusoire et nulle. Seuls, les innombrables<br />

désagréments restent à l'actif de l'homme de progrès assez coura<br />

geux pour utiliser un moteur de pêche, hors de la routine courante.<br />

Pour donner à la détaxe, voulue par la loi, des combustibles liqui<br />

des, toute son efficacité bienfaisante, il est donc indispensable d'ob<br />

tenir de l'Administration à la fois une réduction des formalités et des<br />

délais d'autorisation de l'installation d'un entrepôt et la gratuité du<br />

déplacement des douaniers.<br />

Une autre mesure administrative s'imposera relativement au<br />

commandement des bateaux de pêche à moteur.<br />

La réglementation en vigueur exige que, pour les bateaux prati<br />

quant la pêche côtière et quel que sôit leur tonnage, le commande<br />

ment d'une barque à moteur soit, exercé par un patron au bornage.<br />

De plus, la "conduite du moteur, quelle que soit sa puissance, n'exige<br />

aucun diplôme pour les barques de moins de 25 tonneaux, tandis<br />

que poui*<br />

les bateaux de tonnage supérieur, la présence d'un ou deux<br />

mécaniciens brevetés est exigée.<br />

Cette réglementation a donné Ueu à des difficultés innombrables<br />

dans la Métropole. Les exigences de l'Inscription maritime ont, dans<br />

certains cas, provoqué le débarquement du moteur ou le désarme<br />

ment du bateau. Dans d'autres cas, la même Inscription maritime<br />

a renoncé à exiger l'embarquement d'un mécanicien.<br />

Elle aboutit, d'ailleurs, à des conséquences parfaitement absurdes.<br />

Un bateau, de 24 tonneaux, pourvu d'une machine de 100 HP n'aura<br />

pas besoin d'un mécanicien, tandis qUe celui-ci pourra être rigoureu<br />

sement exigé sur un bateau de 26 tonneaux muni d'un moteur de<br />

10 HP!!<br />

Avant la guerre,. un décret était en préparation au Sous-Secréta-


12 COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGERIE<br />

riat de la Marine marchande, modifiant<br />

profondément le décret du<br />

9 avril 1912. Il faut en retenir que pour les moteurs de 50 HP. et au-<br />

dessous, il prévoit,<br />

pour remplir toutes fonctions, un brevet spécial<br />

pratique de mécanicien pour la conduite des moteurs, délivré après<br />

examen et sous les conditions d'avoir 20 ans d'âge et 6 mois de navi<br />

gation.<br />

Il faut craindre que cette nouvelle réglementation ne soit de na<br />

ture à restreindre, pour l'Algérie surtout, l'emploi,<br />

si désirable ce-<br />

pendant,»des moteurs de pêche. L'exploitation des'unités'<br />

de faible<br />

tonnage qui composeront^ longtemps encore, la grande majorité de<br />

la flotte de pêche algérienne, sera trop<br />

l'embarquement d'un mécanicien en supplément.<br />

coûteuse si elle implique.<br />

Il faut souhaiter qu'il soit tenu compte, en atténuation de ces<br />

dispositions, du projet de décret relatif au commandement des ba<br />

teaux de pêche. Celui-ci prescrit, en effet,<br />

pour le patron de bateau<br />

à moteur, armé pour la pêche au large ou la pêche côtière,<br />

men pratique sur le fonctionnement des moteurs. Dès lors,<br />

un exa<br />

pour les<br />

moteurs de 50 HP et au dessous, il conviendrait de n'exiger la pré<br />

sence d'un mécanicien pourvu du brevet spécial pratique que dans le ,<br />

cas où le patron à la pêche côtière n'aurait pas subi l'épreuve pré<br />

vue pour la conduite du<br />

moteur.-<br />

L'une des premières difficultés que rencontrera l'introduction des<br />

moteurs à bord des bateaux de pêche est, sans contredit, l'obliga<br />

tion de trouver les capitaux nécessaires. ><br />

Il est facile de démontrer —■<br />

minutie<br />

—<br />

et nous l'avons fait avec précision et<br />

que le bateau mixte de pêche, bien conduit, constitue un<br />

placement de revenu très intéressant et d'une complète sécurité si<br />

le matériel est assuré. Le patron sérieux et actif devrait donc être<br />

certain de trouve^ dans tous les cas, le modeste capital nécessaire<br />

à la transformation ou à la création de son outillage.<br />

Au Danehiark, il le trouve, sans difficulté, auprès des banquiers<br />

et des commerçants. En Ecosse, ce sont les mareyeurs qui avancent<br />

aux pêcheurs les sommes destinées au renouvellement de leur ma<br />

tériel. Dans la France métropolitaine, beaucoup de négociants ou<br />

de capitalistes regarderaient comme des aventuriers 6u des forbans<br />

ceux qui viendraient leur demander de l'argent pour l'exploitation<br />

de la mer.<br />

Une seule région fait honorablement exception. A Arcachon, les,<br />

petits propriétaires, les rentiers n'ont pas hésité à armer des bateaux<br />

sardiniers à moteur. Ils s'en sont, d'ailleurs, remarquablement bien<br />

trouvés. Mais il faut reconnaître qu'ici comme là, l'ensemble des


COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGÉRIE 13<br />

capitalistes ne s'est décidé à entrer dans cette voie de l'armement<br />

nouveau qu'après avoir constaté les très beaux résultats obtenus<br />

par les premiers armateurs, initiateurs du mouvemerit.<br />

En Algérie, où aucune démonstration pratique, où aucun exemple<br />

probant n'ont encore été réalisés, les capitaux sèront-ils plus dé<br />

fiants ? Ce beau pays ne peut mentir à son passé de belle hardiesse<br />

et d'intelligente initiative. Il comprendra, plus rapidement qu'ail<br />

leurs, dès qu'une démonstration effective lui en aura été fournie,<br />

l'importance économique et l'avenir d'une industrie entièrement<br />

rénovée. Les<br />

capitalistes,'<br />

les banquiers, les mareyeurs, les usinieis,<br />

les constructeurs de bateaux ou de moteurs, les armateurs actuels,<br />

même les quelques patrons de pêche quj pourraient être leurs pro<br />

pres armateurs, favoriseront l'essor du nouvel armement, participe<br />

ront activement à son développement progressif et aussi à ses larges<br />

bénéfices. Le Crédit maritime qui arrivera, il faut l'espérer, à fonc<br />

tionner enfin, pour le plus grand bien de nos populations maritimes,<br />

fera le reste.<br />

Restent les essais, les fameux essais pratiques qu'il est indispensa<br />

ble d'accomplir. Ils représentent la première étape de l'initiation de<br />

l'Algérie à la pratique du progrès nouveau,'<br />

Il ne s'agit point<br />

—<br />

—<br />

est-il besoin de le dire ? de<br />

florissant ailleurs.<br />

régates, de cour<br />

ses, d'exhibition de modèles de barques ou de moteurs, d'échantil<br />

lons-réclame de telle ou telle maison de construction nautique ou<br />

mécanique.<br />

Une démonstration d'une certaine portée pourrait être faite par<br />

les bateaux à moteur que la réorganisation rationnelle du Service de<br />

surveillance de la Pêche, après la guerre, placera, il faut, l'espérer,<br />

dans chaque port de pêche de quelque importance. Une autre, plus<br />

intéressante encore,<br />

serait fournie par le bateau de pêche armé in<br />

dustriellement de la future Station aqu icole, pratiquement organisée,<br />

qui montrera,<br />

résultats en mains, quel accroissement de rendement<br />

et d'activité productive est la conséquence de l'emploi des moteurs<br />

marins.<br />

Mais, en outre, d'autres essais gratuits devront être offerts, pour<br />

une longue durée, à quelques patrons sérieux, désireux de travailler<br />

avec le nouvel instrument de pêche.<br />

À titre d'exemple, voici quelques formes particulières que ces es<br />

sais pourraient revêtir. ,<br />

tat,<br />

—<br />

a)<br />

Les capitaux pourraient être fournis par une avance de l'E<br />

par les subventions des sociétés et industries intéressées au dé<br />

veloppement de l'emploi des moteurs (constructeurs, négociants en


14 COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION- MARITIME EN ALGÉRIE<br />

combustibles, etc.)<br />

ou par les subventions des Sociétés, négociants<br />

et industriels intéressés au développement de la pêche (chemins de<br />

fer, fabricants de conserves, mareyeurs, négociants en huiles, ete.)<br />

—<br />

b) Une Société reconnue d'utilité publique, de compétence<br />

éprouvée, comme la Société de l'Enseignement des Pêches Maritimes<br />

ou la Ligue Maritime Française,<br />

de 1*<br />

administration des essais.<br />

—<br />

c)<br />

serait cbargte de l'organisation et<br />

quartiers^<br />

Dans chacun des quatre maritimes de l'Algérie, un<br />

patron donnant toutes garanties, serait trouvé et signerait l'engage<br />

ment, pour une année, d'employer sur son embarcation à voiles, le<br />

moteur fourni et installé. Après une période d'entraînement de 10 à<br />

20 sorties, les dépenses d'huiles et de combustible lui incomberaient<br />

ainsi qu'à son équipage. L'amortissement du moteur,<br />

calculé à un<br />

taux très faible, s'effectuerait par prélèvement périodique, trimes<br />

triel, par exemple,<br />

sur le produit brut des ventes. Au bout d'une<br />

année d'usage,, si le patron renonçait à continuer l'expérience, le<br />

moteur serait débarqué. Dans le cas contraire, à la fin de l'amortisse<br />

ment prévu, le moteur appartiendrait définitivement au patron.<br />

D'avance, nous disons qu'à moins d'incompétence ou dé mauvaise<br />

foi, l'expérience aurait le succès le plus complet et que les demandes<br />

d'essais nouveaux surgiraient en grand nombre. Des combinaisons<br />

d'avances et de<br />

placements"<br />

de petits capitaux se réaliseraient à coup<br />

sûr et aideraient avantageusement à la transformation rapide comme<br />

au développement constant de la,flotte de pêche.<br />

Parmi toutes les combinaisons financières qui peuvent être facile*<br />

ment imaginées, nous ne croyons pas inutile d'en signaler unev réali<br />

sée couramment en Allemagne depuis 1908.<br />

Une Société de Kiel (Verein fur Verderung der motor boot fische-<br />

rei) fait construire des bateaux de 11 mètres de longueur, munis<br />

d'un moteur de 6 HP et les confie aux pêcheurs aux conditions sui<br />

vantes : 1° le patron pêcheur fournit les filets ; 2° il paye à la So<br />

ciété 125 marks par trimestre. Au bout de dix ans, le bateau lui ap<br />

partient. S'il paye par versements anticipés, ceux-ci bénéficient<br />

d'un escompte de 5 %. „<br />

Partout où ils ont été. tentés, ces essais ont été heureux et décisifs".<br />

A Algérie,'<br />

plus forte raison, donneraient-ils, en pays sardinier pri<br />

vilégié, de magnifiques résultats capables d'ouvrir les yeux dés plus<br />

somnolents, de convaincre les plus sceptiques et de forcer l'avenir.*<br />

VI<br />

L'outil de pêche une fois transformé, le développement» des indus-


COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGÉRIE 15<br />

tries maritimes algériennes exigera encore une main-d'œuvre accrue,<br />

nombreuse, professionnellement compétente, gagnant de hauts sa<br />

laires. Or, nous l'avons vu, la population maritime actuelle, presque<br />

exclusivement d'origine étrangère, est insuffisante en nombre et<br />

déplorablement inférieure en qualité. Elle est illettrée, imperfectible<br />

et, tous les ans, au fur et à mesure de la disparition des vieux, les<br />

équipages se réduisent ; ils ne peuvent se compléter, avec des étran<br />

gers non naturalisés,<br />

que grâce aux tolérances toujours plus larges<br />

de l'Inscription maritime. Les enfants des pêcheurs abandonnent la<br />

mer.parce qu'ils trouvent à terre des salaires plus réguliers, plus éle<br />

vés que ceux que leur offre la pêche, telle que la pratiquent leurs<br />

pères.<br />

Il ne fallait pas songer à refaire, par l'instruction, l'éducation pro<br />

fessionnelle de ceux-ci. Mais on pouvait espérer que l'instruction des<br />

jeunes générations permettrait d'augmenter et d'améliorer la popu<br />

lation qui vit de la mer. L'évasion des enfants de pêcheurs, partout<br />

constatée, vers les professions terriennes, a, pour longtemps, ruiné<br />

cet espoir. Il faut en prendre son parti.<br />

La source de son recrutement a été, d'autre part, tarie par la loi<br />

—<br />

— qui réserve et très légitimement<br />

le<br />

monopole de la pêche dans<br />

les eaux territoriales de l'Algérie, à nos nationaux. Et les étrangers.<br />

tolérés dans les équipages au-delà du quart admis par la loi, consti<br />

tuent une main-d'œuvre en quelque sorte parasite qui emporte, au<br />

détriment de l'Algérie, dans son pays d'origine,<br />

salaires et profits,<br />

Ce n'est pas ainsi qu'on doit comprendre l'organisation de l'ex<br />

ploitation progressive des richesses de nos côtes. On ne peut consi<br />

dérer la situation actuelle que comme un pis-aller, multiplemenl<br />

fâcheux et qui, le plus tôt possible, doit cesser.<br />

Pour accroître le nombre des pêcheurs d'abord,<br />

augmenter leui<br />

capacité individuelle de production, ensuite, il faudra donc intro<br />

duire, dans la population existante, des éléments nouveaux, abon<br />

dants, toujours prêts à venir grossir les effectifs des travailleurs dt<br />

la mer au fur et à mesure que grandiront les besoins de l'exploita<br />

tion. T)ù<br />

puiser ces éléments nouveaux ?<br />

Faut-il ouvrir de nouveau l'écluse de l'immigration étrangère,<br />

quitte à la refermer lorsque les besoins du moment paraîtront satis<br />

faits ? Un Administrateur de l'Inscription maritime rentré, depuis,<br />

dans la Métropole, pensait, trois ans avant la guerre, qu'il serait né<br />

cessaire de recourir à ce moyen. Nous avions alors, nous avons tou<br />

jours la conviction que cet expédient est mauvais à tous les points<br />

de vue. Que fournira, en effet, à l'Algérie, l'immigration étrangère ?


16 COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGÉRIE<br />

Comme autrefois, plus encore qu'autrefois,<br />

sans doute, elle ne peut<br />

lui apporter que de nouveaux déchets sociaux. La capacité de pro<br />

duction économique de ces déchets ne serait pas plus élevée que celle<br />

de leurs devanciers, actuellement naturalisés; Et leurs enfants, à<br />

leur tour,<br />

déserteraient une profession qu'ils sont incapables de per<br />

fectionner. Introduire ces indésirables sous prétexte d'augmenter<br />

momentanément la quantité d'une main-d'œuvre doublement in<br />

suffisante, serait condamner l'Algérie à une stagnation perpétuelle,<br />

coupée de crises périodiques de raréfaction,<br />

nous constatons en ce moment.<br />

semblables à celle que<br />

Faut-il revenir aux tentatives de colonisation maritime officielle<br />

et appeler, à grands frais, dans ce pays, des pêcheurs métropolitains ?<br />

Nous ne lé pensons pas non plus. Le renouvellement de ces essais,<br />

aussi onéreux que stériles, ne pourrait qu'échouer pour les multiples<br />

raisons, toujours vraies, qui amenèrent l'échec, à trois ou quatre<br />

reprises, des essais antérieurs et qu'il serait trop long de rappeler.<br />

Autant il faut abandonner l'idée de la transplantation artificielle<br />

d'une population maritime française qui ne serait pas armée d'ini<br />

tiative libre et de volonté forte, autant il conviendrait de favoriser<br />

son immigration spontanée, la seule efficace. Cette immigration se<br />

produira nécessairement, pour les éléments intelligents et actifs,<br />

futurs éléments directeurs, le' jour où on aura répandu la démons<br />

tration que des exploitations fructueuses sont possibles dans la mer<br />

; quand les bonnes volontés sauront trouver ici les rensei<br />

gnements précis, les techniques sûres, la bienveillance et les encoura<br />

gements administratifs et, par dessus tout, le bien-être et le profit<br />

promis aux activités intelligentes,<br />

aux volontés énergiques.<br />

Mais ce mouvement, quand il se produira, ne saurait être jamais<br />

assez important pour fournir à l'industrie des pêches la main-d'œu<br />

vre abondante qui lui est nécessaire. Où trouver celle-ci ?<br />

Sur place, simplement. Et c'est la population indigène, kabyle sur<br />

tout, qui la fournira quand on voudra,<br />

dra.<br />

aussi nombreuse qu'on vou<br />

S'il en est ainsi, on peut s'étonner, à bon droit, que les indigènes<br />

n'aient pas, jusqu'ici, plus notablement participé à l'exploitation de<br />

la mer. Tous ceux qui connaissent les naturalisés maritimes savent*<br />

qu'ils jouissent, en fait, en Algérie, 'du monopole absolu de la pêche<br />

côtière, monopole qu'ils défendent jalousement contre les intrus^<br />

par tons les moyens. Toutes les fois que leur intérêt immédiat les a<br />

obligés à embarquer des indigènes, ils les ont soigneusement tenus à<br />

l'écart, dans l'ignorance complète des pratiques professionnelles,<br />

V


Comment intensifier la Production maritime en Algérie lt<br />

ne leur confiant que de grossières et indifférentes besognes de ma<br />

nœuvres. Et, dès qu'ils ont pu les remplacer par des étrangers de leur<br />

ancienne patrie, ils les ont débarqués. Que si, d'autre part, les indi<br />

gènes se mettaient à pratiquer la pêche seuls, les naturalisés les trai<br />

taient aussitôt en ennemis, leur faisant une guerre sourde et féroce,<br />

jusqu'à complète é\ iction.<br />

Le pêcheur naturalisé actuel, à de rarissimes exceptions près, ne<br />

veut entendre parler de concurrents d'aucune sorte. Il ne veut pas<br />

davantage progresser,<br />

augmenter sa propre production. Bien au<br />

contraire. Les usiniers lui ont souvent offert, pour le stimuler, des<br />

contrats très avantageux. Il les a toujours refusés, préférant pêcher<br />

très peu, le moins possible et vendre très cher. On en conviendra,<br />

c'est là un abus manifeste de son fâcheux monopole dont la collecti<br />

vité tout entière, s'il devait persister,<br />

en plus durement.<br />

Mais, ,dont<br />

malgré les facilités et les tolérances<br />

serait exposée à pâtir de plus<br />

bénéficient<br />

les<br />

étrangers appelés par les naturalisés pour compléter leurs équipages,<br />

malgré tout, une évolution nouvelle se dessine. Elle commença, il<br />

y a six ou sept ans, lorsque des kabyles réussirent, en divers points<br />

de la côte et au prix de mille difficultés, à vivre de la pêche. La guerre<br />

a accentué ce mouvement que les circonstances imposaient. Partout,<br />

le kabyle progresse. Et, pour le phis grand bien de l'Algérie, il vain<br />

cra partout,<br />

pour peu qu'on l'aide.<br />

Il est plus sobre, moins exigeant, que le naturalisé. Il est aussi, il<br />

faut le dire en toute vérité, plus laborieux, plus prévoyant, plus dé<br />

sireux de prospérer. Tandis que le naturalisé méprise l'instruction<br />

et s'immobilise obstinément dans une existence végétative et sans<br />

souci, comme sans horizon, le kabyle apprécie au plus haut point<br />

l'instruction professionnelle dont il connaît les avantages économi<br />

ques. Il ne demanderait qu'à se perfectionner, à faire instruire ses<br />

enfants et les diriger vers les salaires et les gains maritimes,<br />

si on<br />

lui en donnait la possibilité. Il est, d'ailleurs, le frère ethnique du<br />

pêcheur berbère qui, depuis un temps immémorial, pratique avec le<br />

plus grand succès, la pêche sur les côtes de la Régence. Il s'adaptera,<br />

ce n'est pas douteux, à cette nouvelle tâche,<br />

adapté à toutes celles qui lui offraient un sûr gagne-pain.<br />

comme il s'est déjà<br />

Il y a dix ans, il avait y à Courbet, dans le quartier d'Alger, 80 ins<br />

crits d'origine italienne et 3 indigènes vivant de la pêche. Il y a, au<br />

jourd'hui, 82 indigènes et il n'y reste plus que 4 italiens.<br />

En 1906, le Syndicat de Derbys comprenait 22 inscrits européens<br />

et 66 inscrits indigènes. Malgré la guerre, les enrôlements et la cons-<br />

2


18 COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGERIE<br />

cription, il y a, en 1917, plus de cent inscrits indigènes et seulement<br />

18 européens. Un grand nombre de kabyles sont, d'ailleurs, proprié<br />

taires ou co-propriétaires de leurs bateaux et de leurs engins de pê<br />

che.<br />

A Bougie, les kabyles forment actuellement plus de la moitié des<br />

équipages de pêche. Ils en représentent les deux tiers à Djidjelli et<br />

les sept dixièmes à Collo.Pour l'ensemble du quartier de Philippe-<br />

ville, leur nombre a plus que doublé depuis la guerre : 74 en 1913 et<br />

155 en 1917. De plus, 18 d'entre-eux y sont devenus propriétaires de<br />

bateaux.<br />

Dans le quartier d'Oran, le Syndicat de Nemours, seul, comporte<br />

un assez grand nombre d'indigènes vivant de la pêche. Ils viennent<br />

en grande partie du Maroc et se» fixent en Algérie.<br />

Le quartier de Bône n'en comprend encore qu'un petit nombre.<br />

Pour marquer les progrès généraux réalisés depuis six ans, disons<br />

qu'en 1912 les inscrits indigènes ne représentaient que 8 % du chif<br />

fre total des inscrits maritimes de l'Algérie ; ils en représentent,, en<br />

1917,<br />

près de 20 %.<br />

Ces chiffres, après la guerre,<br />

peuvent et doivent grandir beau<br />

coup, non seulement pour remplacer la main-d'œuvre naturalisée<br />

qui s'éteint ou qui abandonne la mer, mais encore et surtout pour<br />

s'ajouter à elle et fournir les effectifs grandissants dont aura besoin<br />

le nouvel armement à la pêche, au moteur, des poissons pélagiques.<br />

L'Algérie et la France ont le plus grand intérêt à ce qu'il en soit<br />

ainsi.<br />

Une nouvelle immigration étrangère ne pourrait, en effet,<br />

que ré<br />

server des déboires à l'Algérie et des difficultés à la France. Les nou<br />

veaux venus, à quelques exceptions près, ne se fixeraient pas dans<br />

la Colonie. Ils se borneraient à prélever de larges moissons sur nos<br />

champs maritimes, sans laisser dans le pays l'équivalent de leur va<br />

leur.<br />

Si la pêche du Corail, autrefois, avait été pratiquée, à La Calle,<br />

par des indigènes, l'argent payé pour le Corail récolté se serait mué<br />

en entreprises locales ; il aurait été transformé et multiplié par les<br />

activités locales, à l'infini. Plus tard, le Corail aurait pu passer de<br />

mode et sa pêche être abandonnée. La richesse laissée dans le pays<br />

aurait duré sous une autre forme. La Calle, désertée par les étran<br />

gers, perdit, à la fois, sa population et le bénéfice total de sa prospé<br />

rité ancienne. Au lieu de rester la ruche toujours active dont la pros<br />

périté se transforme, elle devint, subitement, une ville morte. Il ne<br />

faut pas que l'expérience du passé soit perdue pour l'avenir.


COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGÉRIE 19<br />

Et, d'autre part, si un nouveau flot d'étrangers pouvait revenir<br />

mettre en coupe réglée la mer algérienne, il ne faut pas se dissimuler<br />

que des conflits surgiraient, fatalement, entre ces étrangers et nos<br />

nationaux. Ces conflits pourraient finir par affecter les relations in<br />

ternationales et leur, règlement comporter ou soulever de délicates<br />

difficultés.<br />

R ne saurait, au contraire, y<br />

avoir de conflits sérieux entre les in<br />

digènes et les exploitants actuels. S'il s'en produisait, ils ne seraient<br />

jamais que d'ordre national, administratif,<br />

famille,<br />

simples discussions de<br />

toujours faciles à arranger entre membres solidaires de la<br />

même collectivité.<br />

L'immigration étrangère, d'ailleurs,<br />

ne saurait être qu'un expé<br />

dient momentané. La population indigène possède cette grande su<br />

périorité d'être un réservoir permanent et inépuisable dé main-d'œu<br />

vre. Fixée dans le pays, aimant son sol,<br />

dont elle vit,<br />

attachée aux professions<br />

elle est appelée à devenir le principal instrument de la<br />

prospérité maritime de l'Algérie comme elle est déjà le facteur es<br />

sentiel de sa prospérité agricole. L'immigration étrangère, écono<br />

miquement spoliatrice, sans stabilité et sans durée, pouvait, autre<br />

fois,<br />

plus.<br />

s'expliquer peut-être. Aujourd'hui, elle ne se comprendrait<br />

Enfin, il faut le dire hautement, l'Algérie et la France n'ont pas<br />

seulement intérêt à associer les indigènes à la future exploitation de<br />

la mer. Elles en ont le devoir. Faciliter par tous les moyens aux indi<br />

gènes laborieux l'accès d'une profession rénovée et devenue large<br />

ment rémunératrice,<br />

est une œuvre de simple justice. Les indigènes<br />

auront payé, sur les champs de bataille de l'Europe, leurs lettres de<br />

naturalisation. Ils feront, plus étroitement encore, partie de la grande<br />

famille française. L'exploitation des ressources encore neuves de<br />

l'Algérie maritime réservant des profits importants, les hauts sa<br />

laires correspondants leur appartiennent de droit.<br />

Qu'il nous soit permis d'ajouter que la meilleure récompense à<br />

leur donner, la paix venue, n'est point d'ordre politique. Une certaine<br />

augmentation de leurs droits politiques sera, sans doute, agréable<br />

à une minorité d'entre eux. L'immense majorité l'appréciera peu.<br />

Celle-ci sera bien autrement sensible à un accroissement d'avanta<br />

ges économiques,<br />

laborieuse qui lui seront offertes,<br />

aux formes nouvelles et profitables d'association<br />

aux débouchés plus productifs<br />

ouverts à son activité, à l'élargissement progressif de sa prospérité<br />

matérielle.


•<br />

.<br />

20 COMMENT INTENSIFIER LA PRODUCTION MARITIME EN ALGÉRIE<br />

Et c'est bien, croyons-nous, dans cette voie que se trouve la vé'<br />

rite économique de demain. A la nouvelle exploitation de la mer,<br />

l'indigène doit être largement associé. Il travaillera avec une ardeur<br />

autrement intéressée que ne le fait l'étranger jusqu'ici toléré dans<br />

les équipages de pêche. Il deviendra patron et même propriétaire,<br />

armateur. Il usera avec honnêteté du crédit maritime que les natu<br />

ralisés, à qui on l'offrait, il y a huit ans, ont repoussé,<br />

sans le com»<br />

prendre. Et il enverra ses enfants à l'école primaire maritime dont<br />

les premières expériences furent réservées, jusqu'ici,<br />

pêche peuplés de naturalisés.<br />

aux centres de<br />

Les usines actuelles pourront alors s'agrandir, d'autres se créer,<br />

et des frigorifiques supprimer, pour toutes, le chômage estival.<br />

VII<br />

Des moteurs, du crédit aux bonnes volontés sérieuses, un plus<br />

large embarquement "des indigènes, tripleraient immédiatement<br />

la production de la pêche en Algérie. Si, pour demain, on yiajoute<br />

une Station initiatrice et vulgarisatrice et l'instruction maritime<br />

pour les indigènes avec la suppression progressive de la tolérance<br />

dont jouissent les étrangers,<br />

d'assurer l'essor —<br />

trop<br />

tries de la mer dans ce pays.<br />

on aura complété la formule capable<br />

longtemps retardé<br />

— des<br />

J<br />

grandes indus<br />

La guerre finie, il faut refaire la prospérité de la France. C'est<br />

l'heure des décisions rapides et des initiatives résolues. Qui ne voit<br />

que l'exploitation, enfin organisée, de notre mer d'une immense et<br />

chaude fertilité, peut et doit devenir une source considérable de<br />

richesse nouvelle ?<br />

Novembre 1918<br />

D"*<br />

J.-P. BOUNHIOL<br />

Professeur à la Faculté 11 s Scier.ees d'Alger<br />

InspecUur des Pèches Maritimes en Algérie.


ETHNOGRAPHIE<br />

TRADITIONNELLE<br />

de la Mettidja<br />

L'ENFANCE<br />

CHAPITRE 11(1)<br />

Les enfants « changés » et les enfants « dpnnés et ravis »<br />

Les indigènes du Sahel algérois, citadins ou ruraux, croient généra<br />

lement que Ces gens-là, comme ils disent pour ne pas prononcer le<br />

nom redouté des génies, ravissent volontiers les enfants des hommes<br />

au berceau et mettent à leur place des rejetons à eux, de même sexe<br />

et de même âge que ceux qu'ils enlèvent.<br />

La croyance aux enfants changés, commune dans la, Mettidja, ne<br />

lui est pas particulière. Si l'on s'en rapporte aux dires de ses habitants,<br />

ils la partageraient avec toutes les populations de l'Afrique«du Nord.<br />

La RevUe Tunisienne (1908 p. 10)<br />

l'a signalée dans l'Est. « On ra<br />

conte qu'une femme des Ouled Sehil, ayant accouché d'un enfant,<br />

l'avait, après sa naissance, laissé un instant seul hors de sa tente.<br />

Quand elle revint le chercher, l'enfant avait disparu et il n'y avait<br />

plus à ,sa place qu'une grenouille. Depuis, toutes les mères qui ont des<br />

nouveau-nés craignent qu'une semblable transformation ou substitu<br />

tion ne se renouvelle. » Il n'est pas douteux qu'il ne s'agisse ici d'une<br />

substitution, œuvre des génies,<br />

ceux-ci passant couramment pour<br />

avoir en prédilection la forme de ce batracien dans leurs'continuelles<br />

métamorphoses. Dans l'Ouest, à Merrakech, : (Mauchamp La Sorcellerie<br />

au Maroc, p. 122),<br />

quand on trouve que l'enfant ne ressemble pas<br />

(1) Voir le Chapitre 1er dans le Bulletin de la Société de Géographie d'Alger<br />

et de l'Afrique du Nord, année 1918, 2e fascicule


22<br />

ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

au père, que c'est un enfant de couleur notamment,<br />

vention des diables : dans le sein de la mère, ils ont<br />

fant légitime par un des leurs. »<br />

« on crie à l'inter<br />

remplacé l'en<br />

La zone de la superstition dont nous parlons s'étend d'ailleurs bien<br />

au-delà des limites de l'Afrique. «Suivant une croyance très répandue<br />

en Europe, dit Sébillot, dans son Foïk-lore de France,(tome I, p. 439),<br />

les fées volent les enfants qui leur plaisent et y substituent les leurs ;<br />

ceux-ci sont, d'ordinaire, noirs et laids, et ont un air vieillot ; en<br />

quelques pays,<br />

notamment en Haute-Bretagne, quand un enfant<br />

présente cette particularité, on dit encore que c'est un enfant des fées. »<br />

Ainsi,<br />

nos mauresques de Blida les appellent des enfants à Eux. Un<br />

autre nom plus fréquent leur est donné, en France,<br />

celui de change-<br />

lings ; c'est la traduction littérale du mot mbeddlîn, les changés^<br />

sous lequel ils sont connus de ce côté-ci de la Méditerranée.. Les en<br />

quêteurs de la métropole ont signalé la croyance aux changeïings<br />

non seulement en Haute-Bretagne, mais dans le Bocage Vendéen,<br />

dans les Côtes du Nord, dans la vallée d'Aoste, de l'autre côté des<br />

Alpes, etc. (Voir : Table analytique du Folk-lore de France, de Sébillot,<br />

4e volume, article : Changeïings.)<br />

Quelque naïve, quelque humble que nous paraisse cette idée popu<br />

laire,<br />

folk-loriste en tout pays. Mais, en Algérie, elle semble présenter, une<br />

sa large diffusion suffirait pour attirer sur elle l'attention du<br />

importance spéciale. Nous verrons, en effet, en développant la ques-^<br />

tions du changeling, telle qu'elle se révèle autour de nous, que son<br />

évolution nous conduit, d'une façon bien inattendue, sans doute,<br />

mais tout droit, dans le grand domaine voisin de l'hagiographie<br />

musulmane ; et, peut-être, finalement,<br />

ces spéculations qui peuvent<br />

paraître infimes, mais que l'on aurait tort de trop dédaigner, n'iront-<br />

elles pas sans jeter quelques lueurs sur un problème capital de l'his<br />

toire du Maghreb, le problème souvent débattu et toujours obscur<br />

de la genèse du Saint dans l'Afrique du Nord.<br />

*<br />

* *<br />

On ne s'entend pas sur l'époque où « les échanges d'enfants » sont<br />

plus particulièrement à craindre. L'on dit que la femme enceinte de 9<br />

minuit,*<br />

mois qui sort de sa chambre pendant la nuit, surtout après<br />

en est punie par Ces gens-là, « qui lui changent son enfant dans son<br />

sein». Les légendes, d'ailleurs nombreuses, qui relatent des substitu<br />

tions d'enfants, les placent assez souvent dans le cours du septième


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 23<br />

jour ou dans les 'sept premiers jours après la naissance. Selon<br />

certaines personnes, les nourrissons courraient ce danger aussi long<br />

temps que leurs fontanelles ne sont pas soudées ; leurs crânes une<br />

fois formés, ils peuvent être « frappés » par les génies; ils ne peuvent<br />

êtie enlevés. Mais l'opinion la plus répandue veut que le nouveau-né<br />

soit sujet à l'enlèvement tant qu'il n'a pas atteint son quarantième<br />

jour : jusqu'à cette daté les bonnes femmes,<br />

et particulièrement les<br />

sages-femmes, recommandent à la mère la surveillance la plus assidue.<br />

Et, de fait, on trouverait difficilement une mauresque qui consenti<br />

rait à laisser son nouveau-né seul, même en lieu sûr. Si elle s'y voit<br />

contrainter elle ne le fera qu'après avoir récité certaines oraisons<br />

déprécatoires et accompli certaines observances traditionnelles, dont<br />

la plus fréquente consiste à suspendre près du petit ou à déposer à<br />

son chevet l'outre ou la cruche affectée à l'eau potable, dans l'espoir<br />

avoué que le bon Esprit qui y réside veillera sur le berceau.<br />

Si l'on veut comparer les dires des indigènes, l'on trouve qu'il y a<br />

plusieurs causes différentes qui déterminent les génies à échanger<br />

les enfants des hommes contre leurs fayons. En général, les génies<br />

femelles ou Djânia, qui correspondent assez exactement à nos fées,<br />

sont jalouses des jolis enfants ; et, s'il leur en naît un moins beau,<br />

elles sont toujours tentées d'opérer la substitution. Le'seul mot de<br />

génies prononcé dans la chambre où se trouve un berceau appelle<br />

les Esprits, les fait surgir à l'instant et les incite à satisfaire leurs<br />

instincts envieux. L'abandon de l'enfant dans la solitude d'une<br />

chambre écartée les favorise aussi ; le nourrisson ne doit jamais rester<br />

seul. Un compliment non suivi d'une formule déprécatoire ou une<br />

admiration non réprimée par une pensée pieuse peut déterminer un<br />

enlèvement. « Une sage-femme, raconte une légende, ayant baisé<br />

l'enfant sur la bouche, le contemplait. « Oh ! qu'il est beau ! » disait-<br />

elle. Soudain une vieille sortit de dessous terre, sans que personne la<br />

vît. C'était une djânia d'entre les vieux génies. Sa fille avait accouché<br />

le même jour que la fille d'Adam et avait célébré les fêtes de l'octave<br />

en même temps qu'elle. Mais son petit était laid. Elle prit celui de la<br />

femme et à sa place déposa l'enfant des génies. » Dans une autre<br />

légende « la mère s'étant tenue debout, avec son enfant au bras,<br />

sous l'arc de la porte de sa chambre, le' septième jour.de la naissance,<br />

une djânia qui se tenait également près de l'arc de la porte lui esca<br />

mota la fillette qu'elle portait et lui mit à la place sa propre fille. *<br />

Dans une « autre, une accouchée de trois jours s'étant mise en colère<br />

au point d'enjavoir les joues bombées (congestionnées), des génies<br />

mécréants qui habitaient sa maison, en un clin d'œil, enlevèrent son


24<br />

ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

enfant et le remplacèrent par un des leurs. » Une autre femme perdit<br />

sa fille pour être sortie avec elle le. mardi soir,<br />

génies<br />

—<br />

.<br />

après le coucher du soleil ;<br />

— nuit<br />

consacrée aux<br />

une autre pour avoir jeté de<br />

l'eau chaude dans la mdjîriia qui est le trou d'égout du patio, et<br />

avoir brûlé, en ce faisant, un petit génie. On ne menace jamais,<br />

même en riant, un enfant de moins de quarante jours de le faire<br />

enlever par les génies. Une légende, bien connue à Alger et à Blida —<br />

et qui est sans doute en relation d'origine avec la fable de Lafontaine :<br />

Le loup, la mère et l'enfant,<br />

— réprime<br />

les paroles imprudentes. Une<br />

jeune mère, impatientée par les pleurs de son nourrisson, lui dit :<br />

« Tais-toi, sinon Boulboulou va venir te prendre.» Elle sortit<br />

là-dessus. Quand elle rentra, elle ne trouva plus son enfant. Un ah'kîm<br />

avec le secours de la magie, découvrit que Boulboulou, en effet,<br />

avait enlevé l'enfant. Le père dut descendre dans le monde souterrain<br />

des génies, et plaider sa cause devant leur roi, Chemharouch. Celui-ci<br />

fit ramener Boulboulou de la montagne Qâf, à l'extrémité du monde,<br />

Où il s'était enfui avec sa proie, le contraignit à restitution et le fit<br />

pendre à un vieil olivier du Bois sacré, à Blida, où l'on voyait encore<br />

de mon temps son cadavre se balancer au vent sous la forme d'une<br />

peau de. serpent ou d'un bout de corde. Quelquefois, les génies<br />

changent l'enfant d'une femme pour la punir de mal tenir son<br />

ménage ou la forcer à leur brûler les aromates traditionnels du mardi<br />

soir et du jeudi 'soir, leur culte étant pour une maîtresse de maison<br />

une obligation aussi stricte que n'importe quel autre devoir domes<br />

tique.<br />

L'habitat des génies ravisseurs d'enfants est souvent précisé. Ils<br />

vivent dans l'intérieur de la terre, sous l'appartement,<br />

ou dans<br />

l'épaisseur de ses murs ; ou encore ils se tiennent au-dessus de la porte<br />

de la chambre, dans la niche qu'y laisse vide parfois,<br />

entre l'arc de<br />

décharge et le linteau, la maçonnerie indigène. Us infestent volontiers<br />

les pièces inoccupées et les réduits abandonnés. Très souvent ils<br />

font leur résidence de l'égôut dont l'orifice grillé sert à l'écoulement<br />

des eaux dans la cour intérieure. Les génies des puits et des fumiers<br />

sont fréquemment cités et fort redoutés. Bref, la plupart de ceux<br />

dont il est parlé dans les légendes font leur séjour de la demeure<br />

même de leurs victimes ou campent aux alentours ; cependant, dans<br />

les campagnes on accuse aussi de ce genre de méfaits les génies des<br />

vallons voisins et ceux d'oueds assez lointains, mais malfamés.<br />

Quelquefois, ces génies voleurs d'enfants, ordinairement sans<br />

personnalité, ont un nom, tel Boulboulou, déjà cité, et qui est célèbre<br />

à l'égal de Croquemitaine chez nous, comme épouvantail des enfants.


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 25<br />

A'rîfafigure dans une légende où elle guette une femme enceinte pour<br />

lui ravir son enfant dès son accouchement et la punir ainsi de la<br />

négligence qu'elle montre dans la tenue de sa maison. Khemqouma<br />

est une djânia mécréante qui se montre impitoyable pour les mouve<br />

ments d'humeur. Mais le nom qui revient le plus souvent est celui de<br />

Qououâsa, le génie de l'arcade de la porte. Dans bien des circons<br />

tances, elle joue un rôle tutélaire ; elle intervient auprès d'autres<br />

génies pour leur faire rendre leurs larcins ; mais, dans d'autres oc<br />

casions, sa nature jalouse, vindicative,<br />

primesautière l'emporte<br />

et elle se montre parfois la pire ennemie dé la fille d'Eve dont elle<br />

partage la chambre à coucher,<br />

Les mauresques assurent qu'elles possèdent des signes diagnos<br />

quand on l'oublie ou l'offense.<br />

tiques traditionnels auxquels elles reconnaissent que leur enfant<br />

leur a été changé. D'abord, les pleurs du petit génie qui lui a été<br />

substitué s'accompagnent de cris plus violents que ne le comporte<br />

son âge dans un corps humain. Il ne cesse d'ailleurs de pleurer,<br />

malgré le sein,<br />

et malgré tous les remèdes consacrés. Ses sourcils se<br />

crispent en angles pointant vers le ciel. Il est maigre à faire peur<br />

et son visage, son corps entier ne forment, comme elles disent, qu'un<br />

paquet de peaux. Son regard présente une expression qui inspire le<br />

roub, c'est-à-dire l'horror sacer, l'effroi religieux. On dirait que ses<br />

yeux suivent des êtres invisibles. Souvent, tandis que son corps se<br />

raidit dans une attaque de nerfs,<br />

ses prunelles se jouent dans le ciel.<br />

La mère sent son cœur fuir loin de cet enfant qui n'est pas le sien.<br />

Lui-même refuse le sein de sa pseudo-mère ; il ne lui sourit pas, il<br />

se détourne de ses embrassements ; ils n'entendent pas la voix du<br />

sang ; « le sang ne court pas au-devant du sang ; ils ne sentent pas<br />

l'odeur l'un de l'autre», comme l'on dit. Quand il consent à prendre<br />

le sein, il ne le lâche plus, il le dévore, l'épuisé gouluement, tire si<br />

brutalement sur le mamelon que la nourrice pense en mourir. Enfin,<br />

les enfants substitués, toujours laids,<br />

sont souvent difformes ou<br />

paralysés d'un bras ou d'une jambe. La plupart meurent dès le<br />

dixième mois ; rares sont ceux qui survivent à cette date,<br />

et ils<br />

• trahissent alors par leurs exploits ou des qualités extraordinaires<br />

leur origine surhumaine.<br />

!<br />

*<br />

* *<br />

Quand une mauresque a reconnu dans son enfant les marques<br />

traditionnelles de la substitution, elle a recours a des pratiques, qui<br />

se transmettent aussi oralement de génération en génération et de


26<br />

ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

femme à femme et qui ont pour but d'amener la<br />

l'enfant volé.<br />

restitution de<br />

Le procédé le plus commun est l'encensement. Les aromates consti<br />

tuent la nourriture des génies. Les seb'a bkhourât, les sept parfums,<br />

le benjoin, le bois d'aloës, l'ambre, le musc, l'encens, le mastic de<br />

Chio et le camphre, servis froids ou chauds, comme l'ont dit, c'est-à-<br />

dire à l'état solide ou réduits en fumées,<br />

suivant qu'ils s'adressent<br />

forment les offrandes qui leur sont<br />

aux génies des eaux ou aux autres,<br />

le plus agréables. Us exercent sur leur volonté une influence irrésis<br />

tible la plupart du temps. Les femmes indigènes devaient utiliser<br />

leurs propriétés pour recouvrer les enfants ravis. D'après une légende<br />

blidéenhe, une jeune mère qui s'était arrêtée sur le seuil de sa porte<br />

après l'açeur, à la chute du jour, s'aperçut soudain qu'elle tenait dans<br />

ses bras un enfant substitué. La sage-femme devina que l'auteur du<br />

méfait était la fée de l'arcade,<br />

Elqououâsa. Elle s'enferma avec le<br />

petit monstre, chargea d'aromates le brûle-parfum ; puis, l'élevant<br />

trois fois vers la croisée d'ogive de la porte,<br />

qu'elle enveloppa de<br />

fumées odoriférantes, elle dit autant de fois. « Elqououâsa, El<br />

qououâsa ! rapporte-nous la fille des humains et remporte ta fille,<br />

et cesse de montrer pareille effronterie ! » Elle vit alors surgir de<br />

terre une vieille édentée, aux yeux caves, n'ayant pour toutes joues,,<br />

que des peaux pendantes. « Je suis Elqououâsa, lui dit-elle. Heureuse<br />

ment, je suis musulmane ; si j'étais mécréante,<br />

je te ferais mourir<br />

cette enfant ; mais je te la rends en considération de tes encensements.<br />

Dis à ses parents de ne pas oublier tous les vendredis notre souper<br />

(les fumigations hebdomadaires) : sans quoi, même quand leur fille,<br />

après ses quarante jours, nous échappera, nous pourrions les persécu<br />

ter d'une autre façon.»<br />

Le sang des victimes, particulièrement des gallinacés,<br />

sert aux<br />

mêmes fins que les aromates. Les génies s'en repaissent et en sont<br />

friands. Ils font savoir aux parents de l'enfant ravi,<br />

—<br />

par la voie du<br />

songe ou par une communication orale à quelqu'un qu'ils favorisent<br />

de leurs visites,<br />

—<br />

qu'ils le restitueront après l'immolation d'une<br />

poule de telle couleur, dans tel endroit. C'est la rançon du prisonnier.<br />

'« Nous ne lâcherons la petite, est-il dit dans un récit recueilli à Blida<br />

qu'à une condition,<br />

c'est que vous égorgiez une poule blanche sur<br />

l'égout de votre cour. » Ce sacrifice est considéré, à partir de ce mo<br />

ment, comme une redevance annuelle obligatoire, si l'enfant est rendu ,<br />

et on le renouvelle à chaque anniversaire jusqu'à ce que le rescapé<br />

arrive à l'âge adulte.<br />

Les femmes que désolent une substitution ont recours fréquem-


, ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 27<br />

ment aux sorcières. On choisit de préférence celles qui sont servies<br />

par un esprit familier et qui, par lui,<br />

peuvent agir sur le monde des<br />

génies. Le nombre en était « infini », au commencement du XVIIe<br />

15, p. 205) ; de nos jours,<br />

siècle, affirme Haédo (Revue Africaine, n°<br />

il est seulement considérable. On se fera une idée de leur méthode en<br />

lisant la légende suivante, qui a la même origine que la précédente.<br />

Un agha avait eu sept enfants changés. Il remit l'affaire entre les<br />

mains d'une professionnelle, dans l'espèce une sage-femme, qui<br />

joignait, comme il arrive souvent, à ses talents de praticienne la<br />

réputation d'être sans rivale pour la recousse des changeïings. Le<br />

génie, serviteur de cette femme, logeait dans là chambre de sa maî<br />

tresse. C'était une fée appelée Qououâsa, évidemment parce que,<br />

comme l'héroïne du récit ci-dessus, sa résidence se trouvait sur la<br />

porte de la chambre. La sorcière s'enferme chez elle, fait ses prières,<br />

formule en les terminant son dessein, passe sa journée et sa veille<br />

à répéter son dikr, sa formule favorite tirée du Coran ; enfin, dans le<br />

dernier tiers de là nuit, elle jette les sept parfums sur la braise de sa<br />

cassolette. «Comme je fumigeais ainsi, raconta-t-elle, il me sembla<br />

que le tonnerre éclatait dans ma chambre et que la lune brillait<br />

devant mes yeux. Après quoi, il sortit devant moi du fond obscur<br />

une jeune fille... Louange à Celui qui l'a créée et lui a donné sa<br />

beauté !» Je m'appelle Besbousa, dit-elle, je suis fille de Qououâsa.<br />

Ma mère est absente ; elle est l'hôte du sultan des cohortes de génies<br />

qui sont campées à Sidi-Moussa ben Naçeur. Elle m'a fait ses recom<br />

mandations à ton sujet. » La sorcière lui expose le cas et lui demande<br />

de chercher les enfants perdus. La fée répond qu'elle n'en a pas le<br />

pouvoir et qu'il faut attendre le retour de sa mère. « Une nuit, conti<br />

nue la sorcière, comme je dormais, je vis en songe Qououâsa qui<br />

m'entraîna sous la terre. Nous visitâmes, à ce qu'il me sembla, diverses<br />

tribus de, génies, qu'elle me nomma. Enfin,<br />

nous arrivâmes à une<br />

mh'alla qui n'était composée que de filles. Elles nous offrirent un<br />

festin tel que je n'en avais jamais vu. «Ce sont, me dit Qououâsa,<br />

les filles du roi Djemmâl qui commande les génies habitant dans les<br />

montagnes. Ce sont elles qui se transforment en pigeons et dont on<br />

voit les vols descendre tous les matins< de l'Atlas dans la Mettidja.<br />

Mais c'est assez de paroles ; tu n'es pas en état de veille,<br />

mais dé<br />

sommeil. » Je me réveillai... et je trouvai près de moi Qououâsa<br />

Je descendis avec elle dans un souterrain qui bientôt s'élargit en<br />

un beau jardin. Et tout ce que j'avais vu en songe, je le vis alors en<br />

réalité.. » Les filles du roi Djemmâl lui promettent de faire les re<br />

cherches nécessaires. « Une nuit, je fis mes ablutions et ma prière


28<br />

ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

vespérale, je préparai mes aromates, je pris mon chapelet et répétai<br />

la salutation au Prophète jusqu'au dernier tiers de la nuit ; alors je<br />

fis monter les fumées des aromates. Tout à coup<br />

des éclairs brillèrent<br />

devant mes yeux, la chambre s'illumina ; on eût dit qu'un tremble<br />

ment de terre la bouleversait, si bien que je prononçai le symbole,<br />

(comme à l'article de la mort). Mais soudain, la terre s'entr'ouvrit et<br />

je vis Qououâsa en sortir ;<br />

derrière'<br />

elle venait sa fille, puis, un nègre<br />

et une vieille négresse ; enfin surgirent du sol deux garçons et deux<br />

filles d'une beauté telle que jamai" mon œil n'en contempla une<br />

pareille. «Voilà les enfants que tu cherchais; me dit Qououâsa;<br />

c'est tout ce qui en reste ; les autres sont morts. » Au moment où les<br />

enfants de l'agha rentrèrent cher leur père, les sept petits génies qui<br />

les remplaçaient disparurent. Une voix se fit entendre : « Nous vous<br />

rendons vos enfants en considération de la reine1 des sages-femmes. »<br />

Si on ne peut compter sur la sympathie des génies,<br />

on agit sur leur<br />

volonté par la contrainte : il suffit parfois de faire crier le petit génie<br />

substitué pour que le cœur de sa mère s'émeuve et qu'elle rapporte<br />

l'enfant volé. « Qu'on me donne, dit une sage-femme à une famille<br />

victime d'un rapt de ce genre, du henné, de l'encens, du benjoin, du<br />

bois d'alôës, du mastic de Chio. Je veux aussi que vous me procu<br />

riez un cauris. » Dans la nuit, veille du septième jour,<br />

elle posa l'en<br />

fant substitué sur le sol d'une chambre et près de lui les aromates ;<br />

puis, elle couvrit le tout avec la djefna, le grand bassin en bois de la<br />

maison. Elle alluma une lampe qu'elle laissa sur la djefna. Au mo<br />

ment de se retirer, elle dit : « Si c'est votre enfant, prenez-le ; si c'est<br />

notre enfant, laissez-le. » Là dessus,<br />

elle sortit de la chambre.<br />

L'en-'<br />

fant resta cette nuit-là sous la djefna et il ne cessa de pleurer. Le<br />

lendemain, de bonne heure, la sage-femme entra seule dans la cham<br />

bre où se trouvait l'enfant également seul. Elle y vit la djefna retour<br />

née, et au milieu de la djefna, l'enfant, semblable àun bouton de rose.<br />

Elle poussa une ululation (de triomphe) Les femmes accoururent ;<br />

mais elle ne laissa entrer que deux vieilles. Elle lava alors l'enfant,<br />

le changea de linge, lui attacha le henné aux pieds et aux mains, lui<br />

mit du koheul autour des paupières, l'imprégna des fumées du ben<br />

join ; enfin, lui suspendit le cauris entre les deux yeux. Alors,<br />

présenta à son père en lui disant : « Notre enfant est revenu. »<br />

elle le<br />

Dans toute la Mettidja, les génies qyi habitent dans les tas d'im<br />

mondices ou les fosses à fumier passent pour des larrons d'enfants<br />

particulièrement dangereux. Quand une femme croit qu'ils lui ont<br />

troqué son nourrisson contre un des leurs,<br />

qu'elle renie sur le sol, au milieu de la chambre ;<br />

elle dépose le petit être<br />

elle balaye les quatre


coins de la salle,<br />

ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 29<br />

en ramène la poussière vers le centre et amasse<br />

autour de lui. Puis, apportant le panier aux ordures ou un couffin<br />

de sparte, elle y<br />

jette ces balayures pêle-mêle àVec l'enfant. Une<br />

condition essentielle du succès, c'est que ce soit la mère seule, sans<br />

aucune aide, qui balaye la chambre,<br />

charge le panier et l'emporte<br />

hors de son logis. Elle s'est au préalable entendue avec une voisine qui<br />

lui a promis son assistance. Celle-ci l'attend près du dépôt d'ordures/<br />

le plus voisin. La mère jette l'enfant et le panier sur le tas de fumier<br />

et la voisine les reçoit au vol, le plus doucement possible. Le jet de<br />

l'enfant renoncé doit avoir lieu le vendredi, à l'heure où les fidèles<br />

font la prière commune à la mosquée. La mère, son fardeau lancé,<br />

prononce cette formulette : « O gens de ce fumier, donnez-noUs<br />

l'enfant des maisons et emportez l'enfant des fumiers. » Après cela,<br />

la femme qui a rattrapé l'enfant au vol le rapporte chez lui, mais<br />

en suivant un autre chemin que celui par lequel il est venu. Si l'en<br />

fant revient à l'état normal, les femmes ne manquent pas de dire :<br />

« Ces croyants-là nous ont restitué notre enfant, qu'Allah nous les<br />

rende (toujours) propices ! »<br />

tas'<br />

D'autrefois, la mère creuse dans le de fumier un trou en forme<br />

de tombe et y enterre l'enfant des génies jusqu'au cou, ou l'y couche.<br />

seulement en répandant sur sa poitrine quelques poignées d'immon<br />

dices. Elle s'éloigne ensuite pendant une demi-heure. Il est admis<br />

qu'au bout de ce temps elle y retrouvera son enfant véritable, et<br />

même, assure-t-on, couvert souvent \de brocart,<br />

ou portant encore<br />

quelque parure étrangère qui prouve qu'il revient du monde des<br />

génies.<br />

*<br />

* *<br />

Les pratiques que nous avons énumérées jusqu'ici ont toutes<br />

nettement pour but d'arracher des mains des génies leurs victimes.<br />

Elles sont inspirées par une croyance entière au rapt des enfants.<br />

Mais il est des milieux où cette représentation collective s'est altérée.<br />

On ne peut s'y figurer l'enfant changé,<br />

■ troqué ; il est changé d'aspect ou de forme, pense-t-on,<br />

comme réellement enlevé et<br />

non par'suite<br />

d'une permutation véritable, mais par une transformation intérieure<br />

qui le rend 'méconnaissable aux yeux des, siens. On n'est pas loin de<br />

voir dans toute cette croyance le développement d'une simple méta<br />

phore. Cet affaiblissement de la foi entraîne une déformation corres<br />

pondante des observances qu'elle inspire. Celles-ci, tout en gardant<br />

quelque détail auquel se reconnaît leur destination première, perdent<br />

le caractère exclusif qu'elles présentaient d'essais de récupération ;


30 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

elles dégénèrent souvent en démarches propitiatoires et même en<br />

simples consultations du sort.<br />

Dans l'<br />

observance suivante relevée à Blida, le vieux rite seul<br />

subsiste intact,<br />

mais l'intention est ambiguë. « Quand on soupçon<br />

ne les génies d'un puits d'être les auteurs du rapt,<br />

on attache à une<br />

longue corde les deux anses d'un couffin, au fond duquel on couche<br />

l'enfant supposé,<br />

puits. Si cet enfant pleure dès la première , descente ou pendant la<br />

et on fait descendre le tout dans les profondeurs du<br />

seconde, on cesse de le tenir ainsi ballant au fond du puits : les parents<br />

disent alors que leur enfant ieur reviendra et vivra. Mais dans le cas<br />

où, l'épreuve ayant été renouvelée sept fois, il ne pousse pas un cri,<br />

on se tient pour assuré que cet enfant ne vivra pas. » H semble qu'en<br />

faisant descendre dans l'habitation même des génies l'enfant dont<br />

on ne veut pas,<br />

on lçur en propose l'échange contre celui que l'on<br />

regrette. La plongée dans le puits est un geste magique semblable au<br />

jet de l'enfant sur le fumier. Mais l'expérience a trop souvent dé<br />

montré que la restitution n'était pas instantanée. On doute du ■<br />

miracle. L'essai de transaction dévié en une consultation sur l'avenir.<br />

« L'enfant reviendra » dit-on vaguement,<br />

- —<br />

car l'amphibologie existe<br />

en arabe (ierdja') comme en — Français, si l'on entend un cri dans<br />

la bouche de celui que l'on suppose dans les bras des génies, lesquels-<br />

l'accueillent ou le repoussent, dans l'obscurité souterraine.<br />

On pourrait souligner les mêmes hésitations entre la foi à la vieille<br />

tradition et le scepticisme individuel dans les deux pratiques suivan<br />

tes, dont le lecteur analysera lui-même les éléments différents.<br />

A Douera, quand on a un enfant « changé », on se procure septfèves,<br />

sept grains d'orge, sept morceaux de charbon, auxquels l'on fait<br />

passer la nuit du mardi ou mercredi sous la tête de l'enfant. Le père<br />

de son côté doit se coiffer cette nuit-là d'un foulard. Dans la journée<br />

du mercredi, avant que le soleil soit au-dessus de l'horizon, la mère<br />

et la sage-femme qui l'a accouchée prennent l'enfant et le portent,<br />

ainsi que les objets qui ont passé la nuit aVec lui, auprès d'un puits<br />

qui jamais ne tarit ou d'une conduite d'arrosage où l'eau ne cesse<br />

à aucun moment de couler. La mère tient le petit et avance la tête, ,<br />

avec la sage femme, de manière à ce que leurs images se reflètent à<br />

la surface de l'eau. Ce mouvement se répète sept fois. Après quoi<br />

elles lancent l'orge en disant: «Voilà pour vos bêtes de somme».<br />

Elles jettent ensuite les fèves en disant : « Voilà vos esclaves» ;<br />

enfin, elles jettent le charbon en disant : « Voilàpour votre benjoin».<br />

Ces paroles sont prononcées chacune sept fois. On enveloppe en<br />

suite le nourrisson dans le foulard qui a servi de serre-tête à son père


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 31<br />

la nuit précédente et on a soin de l'en envelopper de manière à ce<br />

qu'aucune partie de son corps n'apparaisse. On le dépose près du<br />

puits ou du ruisseau, et on s'éloigne de lui d'une vingtaine de mètres.<br />

Si les deux femmes entendent l'enfant geindre, elles en concluent que<br />

c'est un enfant substitué. Si l'enfant ne pleure pas, elles savent qu'il<br />

mourra. Dans ce cas-là, on ne revient plus ; dans le cas contraire,<br />

on tentera l'expérience deux fois encore, (pour que les génies re<br />

prennent leur enfant et restituent le volé ? Peut-être, si la dose de<br />

foi de la famille est assez forte ; mais rien ne l'indique.)<br />

Les Beni-Adâs, (sorte de tziganes, étrangers au pays), établis dans<br />

la Mettidja, prétendent que, lorsque deux femmes ont accouché en<br />

même temps,<br />

si l'une d'elles rend visite à l'autre dans les premières<br />

semaines qui suivent leurs couches, l'enfant de l'une ou de l'autre<br />

tombe malade. Us appellent cet enfant mchahhar, influencé par le<br />

mois, et ce nom est synonyme de mbeddel,<br />

enfant changé. Mchahhar<br />

ou mbeddel se traite de la même façon. On l'enroule dans une peau de<br />

mouton provenant d'une bête égorgée pour la fête des sacrifices ;<br />

on le porte un samedi, avant le lever du soleil, près d'un ruisseau ;<br />

on le dépose d'abord sur la berge ; puis, on le soulève et l'on fait mine<br />

de le lancer au milieu de l'eau. Le geste peut se recommencer trois<br />

fois. Si, dès le premier coup ou le second, l'enfant crie ou pleure, on<br />

ne pousse pas plus loin. S'il ne se fait pas entendre,<br />

on revient le<br />

samedi suivant et même trois samedis de suite. Dans le cas où il reste<br />

toujours muet,<br />

on sait qu'il appartient à l'autre monde et non à<br />

celui-ci, S'il pleure et qu'il guérisse, on revient un samedi au même<br />

en apportant des cierges, du benjoin, des sept parfums,<br />

du henné et du lait que l'on jette dans la rivière. C'est un sacrifice<br />

d'actions de grâce aux génies des eaux : On fumige à froid, comme on<br />

dit. L'oblation terminée,<br />

on rentre à la maison par un autre chemin<br />

que celui, qu'on a pris pour venir et l'on doit se garder de regarder<br />

derrière soi.<br />

Pour les Beni-Adâs qui ont recours à cette pratique,<br />

ainsi que<br />

pour ceux des habitants de la Mettidja qui les imitent, l'enfant<br />

mbeddel ou mchahhar est considéré comme un malade ordinaire : on<br />

ne voit, en effet, dans ce traitement aucun élément autre que ceux<br />

qui entrent dans tous les pèlerinages thérapeutiques,<br />

toutes les stations des génies,<br />

Dans la pratique suivante,<br />

sauf le jet simulé.<br />

fréquents à<br />

on ne distingue plus qu'une rite de<br />

pronostication, combiné avec des observances médico-magiques bien<br />

connues.<br />

Les femmes de Douera qui croient que leur enfant leur a été changé


32 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

ont recours à une amie charitable. Celle-ci ne doit pas être du même<br />

sang que la mère pour laquelle elle doit opérer. Un vendredi, dans<br />

l'intervalle qui sépare la prière du milieu du jour de celle de l'après-<br />

midi, elle emporte l'enfant dans un endroit choisi «d'avance dont la<br />

terre paraît meuble, sans pavé,'ni débris de briques, ni tuf. On étend<br />

l'enfant sur le sol et l'on creuse un trou de petite dimension à chacun<br />

de ses pieds et à chacune de ses mains, de manière à lui mesurer la<br />

taille. On verse de l'eau dans chacun de ces trous. Dès que l'un d'eux<br />

est à sec, on se hâte de prendre la terre mouillée qui reste au fond.(<br />

On en remplit un premier sachet que l'on dépose dans le berceau ;<br />

puis, un second qu'on attache au cou de l'enfant ; enfin,<br />

on agite<br />

dans un verre d'eau une troisième nouet contenant de cette même<br />

vase et on lui fait boire cette eau. Si aucune des cavités ne se<br />

vide, les parents de l'enfant le considèrent comme perdu.<br />

Pour les femmes de Douera qui traitent ainsi l'enfant « changé »,<br />

il est bien évident que ce mot qu'elles emploient encore n'a plus sa<br />

signification traditionnelle. Elles ne croient pas avoir devant elles<br />

un fayon, un enfant des génies, qu'il s'agit de rendre à ses parents,<br />

mais bien un malade, dans le sens à peu près que nous attachons à ce<br />

terme, un malade,<br />

sur le sort duquel elles consultent les esprits de la<br />

terre, à qui elles font boire une potion, au cou duquel elles suspendent<br />

une amulette protectrice ou salutaire. La vieille conception du<br />

changeling<br />

Cependant,<br />

chez elles est oblitérée.<br />

* *<br />

même dans ces milieux où l'ancienne représentation<br />

collective est en décadence, la littérature orale peut encore nous<br />

fournir sur elle d'utiles renseignements. Les contes populaires,<br />

comme on sait, tout fragiles qu'ils paraissent, sont plus durables que<br />

les techniques ; ils survivent longtemps à la coutume. Les croyances<br />

désuètes, que condamne la raison, prolongent souvent,<br />

pour ainsi<br />

dire, leur agonie dans les imaginations. Il est donc logique d'attribuer<br />

aux récits populaires une certaine valeur documentaire. L'ethno<br />

graphe est fondé à leur demander un supplément d'information<br />

dans les questions où il a épuisé les renseignements fournis par<br />

l'observation directe des pratiques. Il faut toutefois y procéder avec<br />

la plus grande circonspection. Le folklore a démontré que lés' contes<br />

populaires voyagent avec une surprenante facilité. Partis de fort '<br />

loin souvent, ils s'implantent dans tous les pays et s'y acclimatent<br />

si bien qu'un œil non exercé risque fort de prendre des éléments


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 33<br />

exotiques pour des produits autochtones. Mais, ici, il me semble,<br />

nous possédons un. bon critérium. Quand un thème, fréquent dans<br />

une région, est en relation intime avec un vieil usage, également<br />

bien enraciné dans le terroir, n'est-on pas en droit de s'en servir<br />

pour, étudier ce vieil usage ?<br />

Essayons donc, avec l'aide de la littérature orale de la Mettidja,<br />

soigneusement recueillie et triée, de pousser plus loin nos investiga<br />

tions. Demandons-lui quelle idée on se fait en Berbérie du sort réservé<br />

aux changeïings. Que devient, dans la croyance populaire, l'enfant<br />

des hommes enlevé par les génies, et, d'autre part,<br />

quelle existence<br />

mènera parmi nous le fayon que le caprice d'une djânia a égaré dans<br />

notre société ?<br />

Le monde enchanté dans lequel les enfants ravis sont emportés<br />

ne peut être localisé géographiquement. Nous avons. vu l'un d'eux<br />

transporté au-delà de la montagne de Qâf. Comme le Djebel Qâf<br />

joue un rôle important dans le folkloreafricain, il n'est pas inutiled'in<br />

diquer la représentation que s'en font les indigènes. Elle tire son<br />

nom de celui de l'ange monstrueux que Dieu lui a préposé. Les cent<br />

quatre-vingt dix-huit montagnes que compte notre monde sont<br />

rattachées au Djebel Qâf, chacune par un contrefort ; c'est pourquoi<br />

on l'appelle le Père des monts. Quand Dieu veut produire ici-bas<br />

un tremblement de terre ou un autre cataclysme, il ordonne à Qâf<br />

de secouer tel de ces contreforts. C'est une montagne immense qui<br />

enveloppe notre terre. « Au-delà du Djebel soixante-<br />

Qâf s'étendent<br />

dix mille terres d'argent, autant de terres de fer, autant de musc,<br />

par'<br />

toutes inondées de lumière. Elles sont habitées<br />

des anges. Ni<br />

le soleil ni la lune n'y sont visibles et la chaleur et le froid y sont in<br />

connus. Chacune de ces terres mesure dix mille années de marche.<br />

Derrière s'étendent des mers de ténèbres ; derrière elles, un rideau de<br />

vent ; et, derrière ce rideau, un serpent immense, qui entoure tout<br />

notre bas-monde,<br />

est occupé à célébrer les louanges d'Allah jusqu'au<br />

jour du Jugement dernier.» (Badai'ezzohour, p. 26)<br />

Ces contrées<br />

fantastiques, que les auteurs musulmans peuplent d'anges, servent<br />

souvent de refuge aux génies qui ont enlevé un humain, dans les<br />

contes populaires.<br />

D'ordinaire, le monde où l'enfant est emporté est plus proche, sans<br />

qu'on puisse dire où . Quand un humain y est introduit par un Esprit,<br />

celui-ci lui en cache l'accès. « Ferme les yeux ! lui dit-il. Ouvre-les ! »<br />

et le pas est franchi. Parfois, cependant, nous l'avons vu, il est spéci<br />

fié que le visiteur que favorise un génie, entraîné par son protecteur,<br />

descend sous terre, suit une galerie, un caveau souterrain (dahliz)


34<br />

ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

et tout à coup débouche dans des jardins (bostân)<br />

merveilleux. La<br />

nature y semble calquée sur la nôtre


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 35<br />

i<br />

jeune fille. Mais son séjour chez les génies a changé sa nature. Elle<br />

a appris le maniement des armes. Elle monte à cheval, chasse, guer<br />

royé. Elle se rend, déguisée en homme, à la cour d'un roi étranger,<br />

où son art divinatoire lui a signalé le mari qui lui est destiné ; et,<br />

après diverses aventures, qui peuvent varier suivant les conteurs<br />

et embrasser tout le thème fort abondant en Algérie de la Vierge<br />

avisée, et où éclatent toujours son?esprit supérieur et sa seconde vue,<br />

elle épouse son prince Bedr et lui apporte en dot son courage guerrier,<br />

une intelligence surhumaine et, encore, les ressources de la h'okma,<br />

la science magique,<br />

qui met à leurs ordres les hommes et lfes éléments.<br />

La h'okma, l'empire sur les Esprits et, par eux, sur le monde, c'est,<br />

en définitive, dans'nos contes, le grand avantage que les enfants des<br />

hommes adoptés par les génies tirent de leur adoption.<br />

*<br />

* *<br />

C'est aussi celui que doivent à leur naissance les enfants des génies<br />

vivant parmi les hommes. Nous avons dit que les fayons ne peuvent<br />

guère.d'ordinaire s'acclimater dans la sphère humaine et meurent<br />

dès leur première enfance. Si cependant ils parviennent à éluder leur<br />

sort, ils se révèlent des êtres supérieurs. Servis secrètement par leurs<br />

' parents, ils disposent de moyens d'action qui leur assujettissent<br />

notre monde. Cette idée,<br />

amalgamée avec d'autres thèmes qui re<br />

lèvent du folklore universel, forme le fond de nombreux contes.<br />

Dans l'un d'eux,<br />

,famille d'un<br />

une fille des génies entre par substitution dans la<br />

bûcheron. Ses six aînées sont demandées successive<br />

ment en mariage par le fils du roi,<br />

i<br />

mais enlevées régulièrement par<br />

un Ghoul (ogre). La subtile cadette pénètre le rôle joué par une soi-<br />

disant vieille femme, qui n'est autre qu'un mauvais génie déguisé et<br />

qui a remis à chaque mariée trois noix en lui recommandant de les<br />

briser au cours de sa nuit de noce,<br />

ce qui détermine l'apparition du<br />

Ghoul et la perpétration du rapt. Demandée à son tour par le prince,<br />

elle évite le piège. Une fois au palais, elle retrouve sa sœur véritable<br />

dans la personne d'une Djânia, Dame del'étuve royale, c'est-à-dire le<br />

génie de l'étuve. Elle reçoit de sa main un anneau magique (Khâtem el<br />

h'okma), que lui envoie son oncle, le vizir du Roi des génies. Avec<br />

l'aide de cet anneau elle délivre, d'abord, ses sœurs putatives de la<br />

tyrannie du Ghoul ; puis son père putatif, tombé aussi au pouvoir<br />

d'un génie, parce<br />

qu'il'<br />

a blessé l'Esprit d'un arbre en abattant un<br />

olivier ; elle bâtit des palais, surtout des bains maures, d'invention<br />

djinnique, selon la croyance populaire ; enfin, son mari étant monté


36 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

sur le trône,<br />

elle lui fait don de l'ahneau qui lui assurera l'obéis<br />

sance de ses sujets elle triomphe sur ses ennemis.<br />

Dans un autre conte, l'enfant des génies est un jeune prince. Il<br />

ignore son origine extra-humaine. La belle Memmou lebçar (Prunelle;<br />

des yeux) la lui apprend. Celle-ci, fille elle-même d'un roi des génies,<br />

a été jetée dans notre monde par le dépit d'un amant éconduit qui<br />

l'a punie en la transformant en chèvre. A la mort de son persécuteur,<br />

le charme étant rompu, elle a repris sa forme naturelle. Elle épouse<br />

son congénère, le fayon qui s'ignore. Elle le présente au roi des génies.<br />

Le beau-père fait cadeau au gendre d'une marmite pleine d'or qui<br />

ne peut s'épuiser et, enfin, et toujours, d'une bague magique qui<br />

attache à son service une troupe de génies avec l'aide desquels il<br />

gouvernera son royaume. ,<br />

Comme la fille du bûcheron dont nous avons parlé, notre fils de roi,<br />

originairement d'une essence supérieure à l'humanité, domine cette<br />

humanité par les ressources miraculeuses de la h'okma ; et cette<br />

h'okma, ou pouvoir sur les génies, il la doit en principe à sa nais<br />

sance.<br />

*<br />

* *<br />

Passons du domaine du conte dans celui de la légende et du monde<br />

des génies dans celui des Saints. La démarcation assez difficile à<br />

établir chez nous (1), n'existe, absolument pas dans l'esprit populaire<br />

maghrébin. Légendes et contes sont également des histoires (h'ikâiât)<br />

et les gestes<br />

de1<br />

tous les esprits sont des miracles, karamât douk ennâs,<br />

karamât el aoulia, des miracles des génies, des miracles des saints^<br />

dit-on couramment. Les hagiographes qui appellent mnâqeb, vertus,<br />

actes de vertu, les hauts-faits de leur héros, accommodent littéraire<br />

ment des conceptions plus naïves qu'ils ne veulent l'avouer et prêtent,<br />

inconsciemment Ou consciemment, un caractère moral et religieux<br />

à des imaginations primitives à base de sorcellerie qui répugnent<br />

aujourd'hui à leur mentalité islamisée. Ce serait un leurre de cher<br />

cher dans la vertu, telle que nous la définissons ou telle que la com<br />

prend l'Islam, le principe du pouvoir thaumaturgique des marabouts.<br />

La conception populaire, moins idéaliste, est plus simple. Dans toute<br />

la Mettidja, les innombrables sanctuaires des santons passent en<br />

même temps pour des stations des génies. On se représente communé-<br />

(1) «La distinction entre les différentes catégories des récits populaires n'est<br />

que rarement bien nette. » Van Gennep. Les légendes des saints. Religions, mœurs<br />

et légendes, let Série, page 110.


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA ( 37<br />

ment dans les campagnes le Siïed (le saint)<br />

une sorte de<br />

grand seigneur féodal, tel qu'il en existait jadis en Algérie et qu'il<br />

s'en trouve encore au Maroc, vivant au sein d'une nombreuse domes<br />

ticité et entouré de ses hommes d'armes. On lui attribue même sou<br />

vent un harem, pour que sa smala soit au complet. Seulement, ce<br />

chef de grande tente est un Esprit invisible et les khoddam de sa<br />

maison sont de la même essence que lui. II gouverne sans doute<br />

au nom d'Allah et conformément aux décisions du Divan des Saints,<br />

mais sa force prestigieuse s'appuye sur des génies, exécuteurs de ses<br />

ordres. Suivant le degré que lui reconnaissent ses fidèles dans la<br />

hiérarchie sainte, il en a un à son service, ou une mh'alla entière,<br />

ou trois ou sept mh'alla. Ces forces ont été mises à sa disposition,<br />

quelquefois, au moment de son investiture, lorsque, au milieu de<br />

l'Assemblée des Saints, leur Sultan, Sidi Abdelqader, l'a revêtu de<br />

la dalmatique de la sainteté (h'ollet el oulâia) et lui a remis le registre<br />

(zmâm)<br />

où seront consignés les actes de son administration. Plus<br />

fréquemment, c'est le gouverneur mystique du pays où il est nommé,<br />

le Moul elbelâd, le Patron du pays, qui, en installant dans son fief<br />

le nouveau dignitaire, lui fait donation, sur les contingents de génies<br />

dont il dispose toujours, d'un détachement plus ou moins fort,<br />

chargé de soutenir son rang et son autorité. De toutes façons, le<br />

pouvoir thaumaturgique chez les Saints topiques, s'explique, aux<br />

yeux de leurs adorateurs d'esprit simple,<br />

par la possession d'une<br />

troupe de génies soumis à leurs volontés ; ce qui fait ressembler<br />

singulièrement leur borhân (ou puissance miraculeuse des saints)<br />

au genre de puissance que les changeïings des contes précédemment<br />

cités devaient à la h'okma.<br />

Ce rapprochement n'est nullement fortuit. Nous pouvons, de nos<br />

jours, autour de nous, recueillir des légendes,<br />

où les indigènes eux-<br />

mêmes reconnaissent catégoriquement que certains de leurs ouâlis<br />

ne sont autres que dés génies incarnés. Sans doute, il ne faut pas aller<br />

chercher cet aveu dans les livres des érudits, dont le but est d'édifier<br />

le lecteur et de réconcilier, autant que faire se peut, les superstitions<br />

populaires avec l'orthodoxie ; ni d'avantage dans les livres des citadins<br />

instruits,<br />

que notre scepticisme tient sur la défensive et dont les<br />

paroles, comme les écrits, relèvent toujours un peu de l'apologétique.<br />

Mais, dans le milieu rural et illettré, qui est le véritable berceau des<br />

croyances dont nous parlons, on conserve plus franches et plus en<br />

tières les naïves idées dont elles sont sorties. Voici la traduction<br />

fidèle, quoique abrégée dans ses longueurs inutiles, d'un récit fait<br />

par un paysan de l'Atlas blidéen sur l'origine d'un culte local.


38 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

Légende de Nanna Aïcha de Taberkachent. —<br />

Les vieillards<br />

du douar racontent qu'un homme de leur pays, nommé Râbah, qui<br />

n'avait pas d'enfants, sollicita longtemps Sidilkbir, le patron ele<br />

Blida, d'intercéder en sa faveur auprès d'Allah. Un jour enfin, le<br />

Siïed lui remit un paquet noué et le congédia. Quand il l'ouvrit chez<br />

lui, il y trouva des langes d'enfant, desquels s'exhalait un parfum<br />

exquis et qu'il serra avec soin. Cette nuit-là, son gourbi s'illumina<br />

soudain, et il entendit des ululations de femmes,<br />

(comme celles qui<br />

accueillent une naissance). Il n'avait pas de voisins. Il ne put jamais<br />

établir d'où venaient ces cris. Le lendemain, comme il était sorti pour<br />

une femme<br />

interroger le Siïed sur ces manifestations mystérieuses,<br />

inconnue,<br />

vêtue avec un luxe qui en imposa d'abord à la pauvre<br />

paysanne, entra chez lui et, après avoir salué celle-ci,<br />

alla droit<br />

au coin où avait été caché le paquet, l'ouvrit et l'examina.« Je suis<br />

venue voir, dit-elle,<br />

—<br />

petite-fille,<br />

—<br />

petite-fille ?<br />

si quelque pièce manquait à fa layette dé ma<br />

pour la compléter au besoin. Qu'est-ce<br />

Ma<br />

donc que ta<br />

fille, continua l'inconnue, vient de mettre au<br />

monde une fille. Nous et les Oualis d'Allah, nous l'avons donnée<br />

(àhdînaha). Je remercie Dieu de ce qu'elle a été donnée dans un lieu<br />

voisin de nous, que nous connaissons et dont nous connaissons les<br />

propriétaires. Nous te recommandons de veiller sur elle. Le Patron<br />

du pays sera son gardien. »<br />

Celui-ci remet au cheikh Râbah une génisse qu'il immole pour<br />

lefestin du septièmejour. Les préparatifs en sont faits par des femmes<br />

inconnues ; le festin a lieu avec un grand concours d'invités, tous<br />

inconnus également. U n'y manqua que l'enfant en lhonneur de qui<br />

•il était donné. La femme de Râbah n'avait nullement accouché et<br />

n'était même pas enceinte !<br />

« Cette nuit-là, quand tout le monde fut couché et que l'ombre fut<br />

profonde, la femme du cheikh Râbahsentit un enfant qui la tétait.<br />

Elle se réveilla et trouva sur son sein une fillette^ C'était une enfant<br />

d'une beauté merveilleuse, que béni soit Celui qui l'avait créée et<br />

formée d'une telle beauté ! Et alors, la femme du cheikh Râbah, dont<br />

la poitrine était sèche, s'aperçut que ses seins dégouttaient de lait.<br />

«Louange à Dieu, s'écria le cheik Râbah, de ce que mon Seigneur m'a<br />

agréé et m'a donné une fille d'entre ses filles ». U voulait dire une de ■<br />

ses servantes (Khoddâmou), les servantes d'un saint s'appelant ses<br />

filles.»!<br />

Le lendemain matin, il se rendit auprès de Sidilkbir pour le<br />

remercier. Le Siïed offrait un festin de septième jour à tout venant.<br />

Un serviteur du Siïed vint à lui.« Cheikh Râbah, lui dit-il, bénie sera<br />

'<br />

*


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 39<br />

la fille qui t'a été donnée à la place de ta fille (mebrouk el bent elli<br />

enhdât lek fi 'iouedh'<br />

avertisse,<br />

— Aïcha<br />

—<br />

bentek)... Son nom sera, car il faut que je t'en<br />

», Ainsi, Sidilkbir assumait deux devoirs du<br />

père, faisant les frais de l'octave et assignant un nom à l'enfant.<br />

La vraie mère de cet enfant plus tard vient le visiter. « Je vis,<br />

entrer, raconta l'épouse de Râbah, une femme, qui avait toute!<br />

l'apparence d'une nouvelle accouchée. Elle alla droit à la fillette.<br />

Celle-ci lui sourit et s'élança vers elle. Elle la baisa trois fois entre les<br />

yeux ; puis, elle me dit : « C'est moi qui l'ai enfantée et qui ai eu les<br />

douleurs : à toi de la nourrir. Les Oualis d'allah te l'ont donnée; ce<br />

n'est certes pas moi qui te l'ait donnée ! De temps en temps je vien<br />

drai faire une visite à ma fille. D'ailleurs, elle reste sous mes yeux soir<br />

et matin. Je suis sa mère par la gestation, et toi sa mère par le lait et<br />

les soins de l'éducation. » Soudain, elle disparut. »<br />

Depuis la naissance d'Aïchà, une vieille femme s'était attachée à<br />

elle et ne l'avait pas quittée. C'était une djânia. Après le festin<br />

du septième jour, elle pria les convives de jeter le^couscous qui res<br />

tait dans une petite source. Dès qu'il l'y eurent versé, le débit de<br />

l'eau qui était faible devint fort. Et, à partir de ce moment,<br />

on ne<br />

revit jamais plus la vieille femme... Mais, neuf mois après, quand<br />

on eut sevré l'enfant, Aïcha se refusa, malgré tout ce que l'on fit,<br />

à manger de la nourriture de la famille ; elle n'absorbait jamais"rien,<br />

et cependant on la voyait croître tous les jours en beauté ; seulement<br />

chaque jour on la voyait aussi se rendre auprès de la source dans<br />

laquelle avait été jeté le couscous. On réfléchit que cette fille était<br />

une enfant donnée d'entre les filles des génies (mahdia men bnât el<br />

djânn)<br />

et on ne la pressa plus de manger.<br />

On la voyait toujours nette et propre (nqiïa). Le bruit se répandit<br />

dans les montagnes des environs que cette jeune fille était sainte,<br />

qu'elle était venue là donnée sous le patronage de Sidilkbir (çalh'a<br />

ou djût mahdia a'ia iedd Sidilkbir)... On vint la visiter en pèlerinage,<br />

Mais en vain on essayait de la faire parler. Elle gardait d'ordi<br />

naire le silence ; des parfums s'exhalaient de sa personne. Les pèle<br />

rins lui mettaient dans la main du henné et brûlaient des aromates<br />

devant elle et, elle se plaisait à les respirer.<br />

« Un jour sa mère-nourrice mourut : à partir de ce moment personne<br />

ne la revit plus, sauf le vieux Râbah, qui, une nuit, alors qu'il dormait<br />

(Dieu, lui, ne dort point !),<br />

vit sa femme couchée auprès de Nanna<br />

Aïcha ; elles étaient vêtues de dalmatiques (h'olla)<br />

vantes s'empressaient autour d'elles. »<br />

d'or et des ser<br />

La souree devant laquelle Nanna Aïcha aimait à se tenir porte


40 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

aujourd'hui son nom ; et les pèlerins viennent encore à cet endroit<br />

rendre à la sainte le culte qu'on lui rendait déjà de son vivant.<br />

Une phrase dans ce récit laisse entendre que, dans la pensée du<br />

narrateur, Nanna Aïcha est bien un c!hangeling ; c'est le passage<br />

où il est dit à Râbah « Bénie sera la fille qui t'a été donnée à la<br />

placé de ta fille ! » On peut se demander, toutefois, à quel moment la<br />

substitution a eu lieu : ce ne peut être qu'ayant la conception. Peut<br />

être faut-il entendre qu'une fille avait été donnée à Râbah par la<br />

destinée et que Sidilkbir l'a remplacée par une de ses filles. De<br />

toute façon, l'idée d'échange, base de la croyance aux enfants changés<br />

s'atrophie ici, rentre dans l'ombre, devant celle de la naissance du<br />

saint ; le sort de l'enfant humain enlevé n'intéresse pas ; celui du<br />

génie descendu parmi nous passe au premier plan et accapare toute<br />

l'attention.<br />

Nanna Aïcha ne saurait garder sous la forme humaine son carac<br />

tère de génie plus complètement qu'elle ne le fait. Elle ne participe<br />

à notre humanité que par l'allaitement. Il est vrai que, dans la cro<br />

yance et la coutume indigènes, les liens du lait sont presque aussi<br />

forts que ceux du sang et que la nourrice qui donne à l'enfant son<br />

premier développement est assimilée à la mère qui lui donne l'être!,<br />

Pour tout le reste,<br />

elle est un pur génie. Elle n'est ni engendrée ni<br />

conçue par un être humain ; elle n'est pas mise au mondé par une<br />

femme ; elle n'a jamais touché à notre nourriture ; elle n'est pas<br />

morte ; elle a disparu seulement de son milieu humain et elle con<br />

tinue, depuis l'époque de Sidilkbir, depuis des siècles, à vivre,<br />

dans sa fontaine, sa vie de mrâbta guérisseuse.<br />

Sa nature originelle de génie lui a conféré dans'<br />

ce bas-monde et<br />

dans l'autre, la puissance miraculeuse et le rang des Saints.<br />

Il s'en faut que les autres saints populaires de la Mettidja nous four<br />

nissent tous des légendes aussi simples et aussi suggestives que celle de<br />

notre Nanna Aïcha. Dans presque toutes, cependant, la naissance et les<br />

premières enfances du Saint sont composées, sur le modèle que nous<br />

venons de voir. Les mêmes éléments, avatar et enlèvement, s'y<br />

retrouvent ordinairement. Une image, qui revient fréquemment<br />

dans ces récits hagiographiques, les symbolise avec force. Souvent,<br />

le père privilégié à qui doit naître un enfant-saint voit en rêve son<br />

Patron religieux, sous la forme d'un lion, lui crachant dans les bras<br />

un petit lionceau et le ravalant sur le champ. L'enfant prédestiné à<br />

la sainteté est représenté comme le don d'un saint. Est-il le rejeton


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 41<br />

des génies ou celui des Oualis ? Souvent la chose reste dans l'incerti<br />

tude ; mais il est à coup<br />

sûr l'enfant des Esprits. Il naît de façon<br />

miraculeuse, il vit dès ses premières heures en communication cons<br />

tante avec l'invisible ; il dédaigne notre nourriture comme -nos pas<br />

sions, et de bonne heure, il est ravi à ses parents et emporté dans le<br />

monde surnaturel. Ainsi, le saint populaire réunit en lui les deux<br />

caractères du changeling : c'est à la fois un enfant des Esprits intro<br />

duit dans la société humaine et un enfant des hommes transporté<br />

dans la société des Esprits.<br />

Légende de Sidi Mh'ammed moul et't'riq (Blida). —<br />

Son<br />

père, un marocain de la tribu des Doukkala, était affilié à la confrérie<br />

des T'aïbiïa. Il demanda longtemps à son cheikh spirituel une posté:<br />

rite mâle. Un jour Moulai'<br />

T'aïeb lui apparut. « S'il te naît un garçon,<br />

tu nous le donneras lui dit-il. Ilsera notre fils, non le tien. Le septième<br />

jour après sa naissance, tu le déposeras seul dans une chambre. » La<br />

femme du Doukkali se rendit à Ouezzan, où se trouve la zaouia-mère<br />

et incuba auprès de la châsse du Saint. Elle conçut. Des<br />

de l'ordre,<br />

djâniâs vinrent l'accoucher,<br />

soignèrent l'enfant et présidèrent aux<br />

fêtes du septième jour. Après quoi, « la mère le prit et l'enferma<br />

dans une chambre solitaire, Dès qu'elle fut sortie de cette<br />

on vit des aigles, des colombes, des oiseaux verts, (autant de saints<br />

et saintes métamorphosés), y pénétrer. On y entendit le bruit confus<br />

d'une nombreuse assemblée ; la bande d'oiseaux sortit et tous s'en<br />

volèrent et l'on remarqua un petit oiseau vert, qui, battant des ailes<br />

péniblement,<br />

s'envolait avec eux. » Il revint sept ans après. Il refu<br />

sait la nourriture humaine, habitué au koun (sorte d'ambroisie)<br />

des Saints. U alla s'enfermer dans un ermitage, d'où il ne sortit que<br />

pour entrer en siâh'a,<br />

des derviches.<br />

Légende de Baba Slimân, —<br />

c'est-à-dire s'adonner au vagabondage sacré<br />

marabout des Béni Çalaih'.<br />

chamb<br />

Ori<br />

ginaire du pays des Zouaoua, il est enfanté sans douleur et avant<br />

terme,<br />

comme nombre de ses congénères surhumains. Il est enfermé<br />

dans un coffre, sans doute pour parfaire sa gestation. Depuis on l'y<br />

chercha vainement, on ne le trouva plus. Cependant, quand ses neuf<br />

mois furent accomplis, un parfum exquis se répandit, la salle s'illu<br />

mina, le coffre s'ouvrit : il en sortit une djânia qui portait dans ses<br />

bras le nouveau-né radieux et couvert de brocart d'or. « Malheur à<br />

vous, dit-elle aux parents, si vous rudoyez en paroles ou en action<br />

cet enfant. Vous ne savez quand ses maîtres (mouâlih) viendront le


42<br />

ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

chercher.» Le septième jour, trois aigles,<br />

une tourterelle et trois<br />

colombes vinrent se percher sur la terrasse ; l'enfant les fixait et<br />

tâchait de s'élancer vers eux. Soudain un aigle et une colombe s'abat-'<br />

tirent sur l'enfant ; l'aigle le saisit dans ses serres, l'emporta dans les<br />

airs et disparut. Le soir venu,<br />

une jeune fille d'une merveilleuse<br />

beauté vint consoler ,1a mère. Elle dit se nommer Bent el ouâçîla-,<br />

servante d'Eldjîlani, le sultan des Saints. Elle expliqua que les aigles<br />

et les colombes étaient des Saints envoyés par Eldjîlâni. Slimân<br />

avait été nommé chaouch du Divan des saints. Il devait grandir<br />

auprès d'un ouali du nom d'Abdallah elh'adjdj et s'établir ensuite<br />

auprès de Sidilkbir, à Blida. Sept ans après, un jour qu'elle ramas<br />

sait du bois, la mère vit soudain surgir devant elle un jeune homme,<br />

vêtu de vert, qui n'était autre que son fils. Il refusa toute nourriture,<br />

pria ses parents de ne pas être en souci pour son sort qui était le plus<br />

beau qu'il se pût rêver et leur fit ses adieux. « Nous nous reverrons,<br />

leur dit-il, dans un lieu où nous n'aurons plus à nous séparer. »<br />

Légende de Sidi Sâlem, enterré chez les Béni Sbih'a, près de<br />

— Blida. Son père, un vieux cénobite qui avait passé toute sa vie<br />

dans la chasteté, est marié, sur le tard, par Sidilkbir, le patron du<br />

pays. L'enfant vient au monde avant terme, à sept mois. L'accouche<br />

ment est fait par une djânia. Dès sa naissance, Sidilkbir survient et<br />

emporte l'enfant dans sa grotte. La mère y pénètre en rêve. Dans un<br />

1 château en or, dans une salle ou tout était en or,<br />

elle rencontre une<br />

femme-djânïa qui lui montre l'enfant et lui dit : « Tu l'as mis au<br />

monde, mais c'est moi qui le nourrirai et l'élèverai. Que Dieu nous<br />

le conserve et nous fasse profiter des bénédictions qui sont en lui !»-<br />

Nous pourrions multiplier les exemples. Dans les nombreux docu<br />

ments inédits que nous avons sous les yeux,<br />

nous ne trouvons pas<br />

une seule légende dans laquelle le saint doit sa sainteté àl'effort person<br />

nel et à la vertu ; il la doit régulièrement à la prédestination. Dans<br />

certaines, les plus rares, les plus rurales, il est franchement représenté<br />

comme un enfant des Esprits supérieurs qui, envoyé en mission, en<br />

quelque sorte, dans notre monde, y<br />

mène la vie surnaturelle des<br />

Esprits. Dans la plupart, c'est un enfant miraculeux, donné par les<br />

Esprits et repris par eux peu de temps après sa naissance, pour être<br />

employé par eux à une œuvre mystérieuse. Ces deux thèmes de l'en- *<br />

fant du miracle et de l'enfant ravi constituent comme les formes<br />

traditionnelles dans lesquelles se moulent régulièrement les débuts<br />

des légendes hagiographiques, dans la conception populaire actuelle.


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 43<br />

*<br />

* *<br />

Mais nous pouvons pousser plus à fond cette étude. Ce n'est pas<br />

seulement aux imaginations que s'imposent ces vieilles croyances:<br />

on reconnaît des traces de leur influence jusque dans la conduite de<br />

leurs adeptes. Quand une idée est profondément ancrée dans un<br />

milieu, il est rare qu'elle n'y trouve pas quelqu'un qui essaye de la<br />

réaliser. Si contraire à la nature qu'elle soit, des névropathes, sous<br />

l'empire de la suggestion .collective, s'étudient à l'incarner. Nous<br />

coudoyons, tous les jours, dans la masse indigène, des illuminés qui<br />

se modèlent, plus ou moins consciemment,<br />

sur le vieil idéal de sainte<br />

té que leur ont légué leurs ancêtres. Est-il un seul coin de l'Algérie<br />

contemporaine qui ne .possède son boudali ? Vagabond,<br />

ou tout au<br />

moins déraciné, loqueteux, pédiculeux, même immoral souvent, et<br />

simple d'esprit toujours, si l'on en juge d'après notre raison, il<br />

n'en est pas moins entouré, de la part de ses coreligionnaires, de toutes<br />

les marques de la déférence et de la vénération. Quel concept commun<br />

peut justifier à ses propres yeux et sanctifier même dans l'opinion<br />

générale la monstruosité hiératique de cet aliéné ? Laissons de<br />

côté les explications embarrassées^des théologiens musulmans, qui<br />

d'ailleurs se montrent laconiques sur ce sujet, et aussi, s'il se peut,<br />

notre mentalité européenne, qui, en bonne justice, ne vâutque pour<br />

nos propres superstitions ; et demandons le secret de ce caractère<br />

énigmatique à la littérature orale, à l'opinion populaire. Celle-ci<br />

en effet, doit bien un peu être fondée à en témoigner,<br />

car en réalité<br />

elle le fait naître et vivre : elle provoque et acclame son apparition,<br />

l'encourage et le récompense dans le"cours de sa carrière, le jugé et le<br />

canonise à la fin.<br />

Il y avait dans les dernières années du siècle dernier, et jusqu'en<br />

1 905, à Blida, une boudalia bien connue des Croyants sous le nom de<br />

Iemma Aouda. Nuit et jour, hiver comme été, on la trouvait accrou<br />

pie entre son nâfekh (fourneau en terre) et son tadjîne (casserole<br />

arabe), qui formaient toute sa fortune, au pied d'un mur sans fenêtre,<br />

dans quelque coin fétide de la place ombragée de platanes quiVvoisine<br />

les Portes d'Alger. Elle s'était établie la, il y avait bien des années,<br />

un jour que des tirailleurs de Milian'a étaient venus à Blida pour<br />

tenir garnison.<br />

y<br />

Iemma 'Aouda incarnait à merveille l'idéal du saint,"tel que ses<br />

coreligionnaires le conçoivent.<br />

Ce qui frappait d'abord c'était sa conviction,<br />

ou plutôt la cons<br />

cience quelle avait, d'appartenir à une essence supérieure. U fallait


44 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

voir de quel air superbe elle recevait les hommages des dames élé<br />

gantes qui venaient lui faire leur cour et de quel ton elle les traitait<br />

de « puantes ». A un agent de police qui, par charité,<br />

un vêtement sur sa nudité,<br />

voulait jeter<br />

elle disait : « Oserais-tu porter la main<br />

sur moi, infect ? » L'oukil d'un saint renommé,<br />

Sidi Ahmed ben<br />

Yousef, lui-même personnage vénéré de tous, fut, dit-on, apostrophé<br />

par elle en ces termes : «Immonde, fils d'immonde ! » Elle professait<br />

pour l'humanité entière le mépris profond et le dégoût religieux dû<br />

brahmane pour les parias.<br />

Nul, affirme-t-on, ne la vit jamais manger ; elle« faisait semblant»<br />

seulement de manger. Tous les jours, avec affectation, elle préparait<br />

ostensiblement son repas : elle ramassait des détritus de légumes et<br />

des épluchures de fruits et elle les faisait cuire pêle-mêle sur trois ou<br />

quatre brindilles minuscules de bois qu'elle rapprochait avec soin,<br />

mais que généralement elle n'allumait pas. Des dévotes, déballant<br />

devant elle des plats pour les lui offrir,<br />

dos,<br />

elle se leva et leur tourna le<br />

en disant : « Ne m'apportez rien. Je n'ai aucun goût pour votre<br />

nourriture ! » Et tout le monde comprenait que son palais était fait<br />

au Koun de Elus,<br />

et on la rangeait parmi les pensionnaires du ciel.<br />

Elle était vêtue de haillons sordides, non pas même cousus, mais<br />

noués 'seulement bout à bout ;<br />

elle les écartait ou les mettait en<br />

pièces, dans un accès de sainte fureur, quand la neige tombait ou<br />

que la bise soufflait glacée. Elle se prélassait et rayonnait, à la lettre,<br />

sous les intempéries. Evidemment, connaissait, comme les spec<br />

tateurs qui venaient la contempler, ce lieu commun des vieilles<br />

légendes, où le saint, en apparence et pour les profanes, au milieu<br />

des glaces de l'hiver ou des feux de la canicule, apparaît aux yeux<br />

clairvoyants sur un trône d'or, dans une température printanière,<br />

au sein des délices du Paradis.<br />

Elle vivait en conversation constante avec les Esprits. D'un geste<br />

familier, elle penchait l'oreille sur son flanc droit et dialoguait longue<br />

ment, à haute voix, avec lui, changeant de timbre pour nuancer les<br />

souvent,'<br />

demandes et les réponses. Mais elle s'entretenait aussi,<br />

avec des êtres invisibles qui erraient autour d'elle dans l'air ou sut<br />

la terre ; ou bien ses yeux, ses gestes,<br />

son attitude reflétaient des<br />

scènes dont elle était témoin, que les passants ne percevaient pas,<br />

mais dont, tous, ils connaissaient la nature, car on les voyait doubler<br />

le pas en murmurant une prière ou s'arrêter et faire cercle, respectif<br />

eux, dans l'attente de quelque révélation.<br />

On attribuait à cette visionnaire des opinions et un rôle politiques.<br />

Elle appartenait, disait-on, à ce parti des Saints dont les sentiments


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA - 45<br />

sont francophiles. Fonctionnaire du Gouvernement , mystique, elle<br />

était préposée à l'administration de Blida ; en arabe on dit : à sa<br />

garde (assa). Elle était la « gardienne» de cette ville : c'est pourquoi<br />

elle se tenait toujours près de sa porte principale. Elle croyait y<br />

maintenir l'ordre. Elle dispersa un jour un attroupement avec ces<br />

mots : « Allez -vous-en ! Vous voudriez bien me voir partir d'ici pour<br />

satisfaire vos instincts et faire ce que vous voudriez ! » Elle<br />

ne manquait jamais d'<br />

« annoncer » les conflits internationaux<br />

par quelque manifestation qui frappait les esprits. Le régiment<br />

du dépôt de Blida ayant été désigné pour l'expédition de Ma-<br />

dacasgar, elle façonna avec du bois et un drap<br />

une sorte de<br />

mannequin ressemblant à un cadavre dans son suaire et elle le pro<br />

mena tout un jour dans le quartier arabe en faisant entendre des<br />

éjuJation?, des lamentations et des voceri. Lorsque 5e même régiment<br />

quitta Blida pour se rendre par ^tapes à Alger et s'embarquer pour<br />

le Tqnkin, elle se mit à la tête des troupes et les précéda jusqu'à Béni<br />

Méred, grave et les yeux perdus comme toujours, portant haut son<br />

fanion vert qui flottait au bout d'un roseau. Elle voulait conduire<br />

elle-mêmie la colonne. Elle eut soin même, dit-on,<br />

pour mieu^ pré<br />

ciser son intention, de prendre au mors le cheval du colonel et de le<br />

mener quelque temps à la main. Ce qu'il y a de sûr c'est qu'elle<br />

produisit à cette occasion une impression profonde sur les tirailleurs<br />

Ses gestes leur parurent des signes de bon augure. Us firent de Iemma<br />

'Aouda dans leur souvenir une sorte de marabout-fétiche du régiment.<br />

Us racontèrent, à leur retour que leur « mère » les avait suivis dans<br />

leur expédition ; qu'elle leur était apparue en songe bien souvent ; que,<br />

dans les moments critiques, on l'avait aperçue, au sommet de quelque<br />

monticule voisin,<br />

poussant des ululations d'encouragement ou de<br />

triomphe. Nombre d'entre eux, qui croyaient avoir reçu d'elie des<br />

marques spéciales de protection vinrent lui présenter leurs remercie<br />

ments et leur,1; offrandes.<br />

U n'est guère douteux que Iemma 'Aouda était sincère dans sa<br />

manie autant que svs adorateurs dans leur foi en elle. Elle copiait,<br />

par auto-suggestion, le prototype du saint, tel que de temps immé<br />

inorial la tradition le représentait dans son milieu, et les gens de ce<br />

milieu, d'autre part, pourlajuger, prenaient comme critérium le même<br />

prototype. Sa vogue était fondée sur i'harjçnonie parfaite existait<br />

entre jses id'ies et celles de son entourage. Tout son groupe, avec elie<br />

même, subissait le prestige d^rie vieille croyance commune. Or,<br />

qu'était cette croyance ? Celle-là même que nous étudions. C'est ce<br />

dont sa légende fait foi. Cette légende qui existait déjà de son vivant


46<br />

ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

porte le caractère embryonnaire. Elle n'avait rien de merveilleux<br />

pour ceux qui la racontaient alors ; elle leur semblait toute simple<br />

et rationnelle : Iemma Aouda était le personnage extraordinaire que<br />

tout le monde connaissait parce que sa naissance avait été extra<br />

ordinaire. Elle devait la vie à l'intervention des Saints, qui l'avaient,<br />

suivant leur habitude, reprise à ses parents et engagée à leur service. î<br />

Le lecteurremarquera que lefond de cette légende ne se compose quede.<br />

deux éléments principaux et d'un troisième qui en découle logique<br />

ment : 1° le thème de l'enfant donné par les^Esprits ; 2° le thème de<br />

l'enfant ravi ; 3° le thème connexe de la mission confiée par les Saints<br />

à l'enfant-des-Esprits-ravi.<br />

Légende de Iemma 'Aouda, la boudalia. —<br />

« Elle était fille<br />

de grande tente. Son père, fort pieux, avait dépensé sa fortune sans<br />

compter pour secourir les malheureux ; mais Dieu, pendant de longues<br />

années ne lui avait pas donné d'enfant, malgré les quatre femmes qu'il<br />

avait prises successivement pour s'assurer une postérité. Une nuit,<br />

un Saint, Sidi Mh'ammed ben Ali, patron de la Medjdjâdja, où il<br />

habitait, se dressa devant lui. «Je veux, lui dit-il, que, la veille de<br />

vendredi prochain, tu viennes me trouver et que tu passes la nuit<br />

parmi mes hôtes. »...Le jeudi soir, il fit la grande ablution et se rendit<br />

chez le Seigneur. Il y veilla fort avant dans la nuit, priant sur son<br />

chapelet ;<br />

puis il s'endormit. Le Siïed se dressa devant lui. «Egorge<br />

une vache...lui dit-il. Je veux que tu régales les malheureux, avec<br />

mes descendants et ceux de mes serviteurs qui vivent dans l'enceinte ■<br />

sacrée. »... Le soir du jour où il offrit ce sacrifice, il vit sa femme et<br />

Dieu voulut qu'elle conçût...Le soir du septième jour, comme son<br />

père tenait Aouda dans ses bras, on entendit du bruit dans l'enclos<br />

de la ferme. Des colombes (qui étaient des djânias) "ululaient en<br />

l'honneur de Aouda... L'une d'elles dit : « Nous lui donnerons le<br />

bracelet d'or, grâce auquel elle verra tout prodige ! » Elle entendait<br />

par ce bracelet la sainteté. Une autre reprit : « L'emmenons-nous<br />

—<br />

dès maintenant ? Non, répartit la première, nous la laisserons<br />

pour le moment à ses parents : ils seraient trop affligés. » Effrayé<br />

par cette révélation, le père alla incuber la nuit suivante dans lé<br />

sanctuaire de Sidi Mh'ammed ben Ali. Celui-ci lui apparut en songe.<br />

« Ecoute, serviteur, lui-dit il. Ce que tu désires n'est pas en notre<br />

pouvoir. Dieu t'a donné cette enfant et nous en avons été la cause<br />

(sbâb). Dès qu'elle aura atteint ses sept ans, les colombes que tu as *<br />

entendues viendront te l'enlever pour l'emmener auprès de Sidi<br />

Ahmed ben Yousef, l'ouali au périscélide d'or, au turban de neige.


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 47<br />

Ainsi l'ont décidé Allah et les-Saints ! »... Quand Aouda eut accompli<br />

ses sept ans, une nuit,<br />

elle sortit et alla chercher au milieu de l'enclos<br />

quelque chose pour sa mère et voilà que celle-ci ne la vit plus revenir.<br />

Elle eut beau l'appeler, nul ne lui répondit. Elle la chercha et ne la<br />

trouva pas. Ses parents comprirent que son heure était venue...<br />

A quelque temps de là, des habitants de Miliana racontèrent<br />

qu'une jeune boudâlia avait paru dans leur pays. Tantôt elle riait,<br />

tantôt elle pleurait, poussait des ululations de joie ou des hululements<br />

de deuil. La première fois qu'elle était entrée dans la ville, elle s'était<br />

mise à courir, en ululant de toutes ses forces, jusqu'au sanctuaire de<br />

Sidi Ahmed ben Yousef. Une fois dans l'enceinte sacrée, elle avait<br />

dansé jusqu'au soir.<br />

« L'oukil, enfermant la mosquée, l'avait mise dehors : le lendemain,<br />

en ouvrant le lieu saint, il l'avait trouvée dedans. » En songe, Sidi<br />

Ahmed ben Yousef lui ordonna de laisser l'inconnue faire à sa guise.<br />

Il la trouva un matin transformée en lionne.<br />

Enfin, un jour, devant l'oukil interdit, deux colombes vinrent<br />

s'abattre auprès de 'Aouda, dans la cour du sanctuaire, et se trans<br />

formèrent en deux belles femmes. S'asseyant aux côtés de 'Aouda,<br />

elles lui dirent : « 'Aouda, petite 'Aouda, servante de Ben Vousef,<br />

ton poste est tombé à Blida, auprès d'Ahmed el Kbîr.— Louange à<br />

Dieu, leur répondit-elle, de ce que vous êtes venues m'ôter la couver<br />

ture qui më cachait.<br />

— Qu'Allah<br />

te conserve bouhalia (synonyme<br />

de boudâlia) ! Puisses-tu rester toujours dans le patronage (d'mâna)<br />

des Saints et dans la communauté des mystiques ! » Là-dessus, elles<br />

prirent chacune dans leurs mains réunies une jointée d'eau dans le<br />

bassin sacrée de Sidi .<br />

Ahmed<br />

ben Yousef et la lui firent boire.<br />

Enfin, les trois femmes passèrent la soirée en conférence auprès du<br />

tombeau du Saint. »<br />

•'*<br />

C'est ainsi que Iemma 'Aouda, la petite fille donnée et ravie par<br />

les Bons Esprits,<br />

reçut lé sacre. Appartenant déjà à la communauté<br />

des Saints du fait de sa naissance et par son rapt,<br />

elle fit désormais<br />

partie dé la grande hiérarchie mystique qui gouverne le monde, selon<br />

la croyance indigène. Elle n'attendit plus que le changement de<br />

garnison, qui devait bientôt se produire,<br />

faire à la tête des troupes une entrée sensationnelle dans la bonne<br />

pour rejoindre son poste,<br />

ville de Blida qui lui était assignée pour siège, et inaugurer dignement<br />

« sa carrière administrative ».<br />

*<br />

*K<br />

sf*<br />

Nous voilà, semble-t-il, bien loin de la question des changeïings !<br />

|


48 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA MEÏTIDJA<br />

en réalité,<br />

développement,<br />

nous arrivons à son aboutissement. Résumons notre<br />

un peu chargé de récits populaires. Selon la cro<br />

yance maghrébine, les hommes et les génies vivent dans une intime<br />

promiscuité, se marient, procréent ensemble, etc. Dans leurs rapports<br />

quotidiens, il se produit, du fait de la malice des génies, des échanges<br />

d'enfants entre les deux races. Tout un système d'observances magi<br />

ques se transmettent traditionnellement,<br />

ayant pour but de contrain<br />

dre les larrons d'enfants à restitution. Les enfants-des-hommes ravis<br />

disparaissent ; il n'en est question, et guère, que dans les contes. Au con<br />

traire, les enfants des génies descendus dans notre humanité four<br />

nissent fréquemment à la littérature orale des surhommes, dont le<br />

pouvoir se fonde sur l'aide des génies, c'est-à-dire sur la sorcellerie.<br />

Cependant, la vieille foi aux génies cède la place à la vénération des<br />

Saints. Ceux-ci, plus moraux et plus particulièrement bienfaisants,<br />

ne volent plus les enfants, mais ils continuent à en donner. De la<br />

progéniture des génies, ou de la leur propre ? le point reste<br />

la croyance est variable. En tous cas, ces enfants-esprits deviennent^<br />

des Saints, c'est-à-dire encore* des surhommes, dont la puissance est<br />

fondée sur l'aide des Esprits,<br />

sur la thaumaturgie. Repris dès leur<br />

bas âge par les Puissances supérieures, ils mènent la vie prodigieuse<br />

des Saints, en partie double, à la fois dans notre monde et dans l'autre,<br />

sans fin réelle. Ce concept de l'enfant-saint donné et repris condi<br />

tionne, dans le folklore hagiographique, les enfances d'un grand nom<br />

bre d'oualis. Mais il est trop général, et trop puissant encore, pour se<br />

cantonner dans le domaine de l'imagination ; et, de la légende, il<br />

déborde dans la vie. U suggestionne et soutient dans son rôle para<br />

doxal un personnage typique de la société africaine, personnage, à<br />

nos yeux, assez falot, mais d'une importance religieuse considérable<br />

aux yeux des Maghrébins : celui qui, da^s son langage mystique,<br />

s'appelle lui-même l'homme ravi (medjdoub),<br />

dans notre langue rationnaliste le fou sacré.<br />

et que nous nommons<br />

•<br />

J. DESPARMET.<br />

ambig


lHlf DO TADLÀ DES<br />

CHAPITRE PREMIER. —<br />

I. —<br />

Sources<br />

I. —<br />

DES<br />

ORIGINES A L'ARRIVÉE<br />

DES FRANÇAIS (x)<br />

Comment étudier l'histoire du Tadla<br />

auxquelles on peut puiser. —<br />

Les<br />

archives du Terri<br />

toire du Tadla possèdent deux études manuscrites sur l'histoire<br />

et l'ethnologie de la région. La première porte la date du 18 décembre<br />

1908 ; elle due .est<br />

à l'Officier interprète Paul Marty<br />

qui l'a rédigée<br />

à Ben Ahmed et comprend deux parties : un exposé des conditions<br />

politiques dans lesquelles vit le Tadla à l'époque où la notice est com<br />

posée, et un tableau ethnographique des tribus qUi occupent la plaine<br />

de l'Oum Er Rbia. La seconde a été écrite à Ben Ahmed par l'Officier<br />

interprête Sumian,<br />

elle est datée du 15 avril 1912. C'est un travail<br />

à la fois moins général et plus développé. L'auteur n'étudie en détail<br />

que trois confédérations de tribus, mais il tente de brosser à grands<br />

traits une histoire du Tadla qui peut être consultée avec fruit. Dans<br />

cet essai réussi il utilise deux sources arabes, le Roudh El Kartas<br />

d'Abdel Alim, dont Beaumier a donné en 1860 une traduction avec<br />

le sous titre : « Histoire des souverains du Moghreb (Espagne et Ma<br />

roc) et Annales de la ville de Fez » ; et le Kitab el Istiqsa, chronique<br />

de la dynastie alaouite du Maroc (1631-1894) qui a été traduit en<br />

français par Fumey. En outre Sumian a eu recours pour placer les<br />

événements dans leur cadre historique à l'histoire des « civilisations<br />

de l'Afrique du Nor'd » de Piquet, et il a manifestement tenu compte<br />

des traditions locales que sa connaissance approfondie de l'arabe<br />

et ses fonctions lui permettaient de noter avec quelque sûreté.<br />

Mais ces deux études de Paul Marty et de Sumian ne fournissent<br />

(1)<br />

l'auteur,<br />

Cette étude fait partie d'un'<br />

ouvrage considérable qui va être publié par<br />

M. le Capitaine Peyronnet.


50 HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910<br />

à peujprès aucun renseignement sur les deux grands groupes ber<br />

bères du territoire, les Zaïans qui en occupent le nord et l'est, les<br />

Chleuhs qui tiennent le moyen Atlas. Les détails qui ont<br />

trait'<br />

à ces<br />

deux groupements ont dû être glanés en partie dans une foule de docu<br />

ments, notes, rapports, etc., et une conférence faite aux Officiers de<br />

Kasba-Tadla en mars 1918, sur l'initiative du Colonel Theveney,<br />

Commandant le Territoire, par le Sous-Lieutenant Raoux du service<br />

des renseignements.<br />

Il est bien évident que les sources qui viennent d'être énumérées<br />

ne pouvaient suffire à permettre la composition d'un travail histori<br />

que et ethnographique un peu complet. Une double tâche s'est alors<br />

imposée à l'auteur, qui est, amplifiée,<br />

celle dont Sumian avait, senti<br />

la nécessité : en premier lieu rechercher des sources nouvelles ; noirs<br />

avons cru ne pouvoir mieux faire que d'en appeler à l'obligeance des<br />

Officiers de renseignements du Territoire, dont les notices ont été<br />

très précieuses,<br />

et que d'avoir recours à l'observation directe et per<br />

sonnelle au cours de nombreuses tournées à travers le territoire ; en<br />

second lieu rattacher l'étude entreprise à nos études beaucoup plus<br />

générales, déjà publiées ou en cours de composition, et qui nous<br />

avaient fait pénétrer dans l'intimité, des grands auteurs africains,<br />

IbnKhaldoun, Fournel, Mercier et Piquet.<br />

II. —<br />

Quelques<br />

considérations générales. —<br />

comme celle de toutes les contrées nord africaines,<br />

L'histoire du Tàdla,<br />

est une<br />

histoire"<br />

tourmentée. Pour qu'on puisse suivre avec quelque facilité le fil des<br />

événements, il est nécessaire de classer les faits suivant un procédé qui<br />

peut être quelconque, mais doit présenter ce double caractère d'être<br />

un procédé simple et de se mouler très exactement sur la réalité.<br />

Après bien des tâtonnements nous adoptons une classification par<br />

grandes périodes,<br />

en jugeant ces périodes non point d'après l'impor<br />

tance réelle qu'elles ont pu avoir, mais d'après l'influence qu'elles<br />

ont exercée sur la constitution ethnique et politique du Tadla. Nous<br />

sommes ainsi amenés à considérer quatre grandes phases, que sépa<br />

rent des âges moins intéressants ; ces quatre grandes phases sont : la<br />

très vaste période très mal connue qui s'étend des origines à la pre<br />

mière invasion arabe, la période almohade, le règne du Chériffilalien<br />

Moulay Ismaïl, et l'époque contemporaine.<br />

Mais, avant d'entreprendre le récit des événements qui constituent<br />

la trame de l'histoire du Tadla, il est indispensable de rappeler, aussi<br />

succinctement que possible, quelques principes essentiels, qui 'ne<br />

devront jamais être perdus de vue si l'on veut saisir sans difficulté la


HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910 51<br />

complexité des mouvements qui s'enchevêtrent ou se succèdent pen<br />

dant des siècles en cette région extraordinairement agitée.<br />

N'oublions jamais qu'aucune des grandes dominations antiques<br />

n'a asservi le Tadla ; ni Carthage, ni Rome, ni les Vandales,<br />

ni les<br />

Byzantins, ne l'ont conquis. On ne peut même avancer que ces races<br />

aient été en contact avec les populations qui occupent l'Atlas et lés<br />

deux rives de l'Oum Er Rbia. Jusqu'à ce que des vagues de la premiè<br />

re invasion arabe soient venues déferler au pied de la montagne, les<br />

Berbères de la plaine et des sommets n'ont subi aucun contact<br />

étranger.<br />

Sachons que le Tadla n'a pas été un point de passage obligé pour<br />

les grandes invasions. Des deux flots arabes qui se déversent d'est<br />

en ouest, un seul, le premier, traverse le Tadla ; le second, l'invasion<br />

hilalienne, n'y pénètre pas. Mais la troisième ruée de peuples, celle<br />

des Berbères qui remontent du Sud au Nord, les Sanhadja au Litham,<br />

partis du Sénégal*, submerge entièrement le Tadla.<br />

Enfin établissons une classification stricte entre les diverses tribus<br />

berbères qui se partagent l'Afrique du Nord, au moment où l'appari<br />

tion des Arabes va y introduire cette complexité qui nous est aujour<br />

d'hui presque indéchiffrable; distinguons entre Berbères de l'est ou<br />

race de Loua qui occupent au VIIe siècle la Tripolitaine actuelle, le<br />

sud et. l'est de la Tunisie ; Berbères de Fouest ou race Sanhadja, qui<br />

occupent le nord et le centre de la Tunisie, de l'Algérie et du Maroc ;<br />

Berbères du Sud ou Zénètes, qui occupent le sud de la Tripolitaine, de<br />

l'Algérie, de la Tunisie et du Maroc.<br />

I, —<br />

II. —<br />

Les<br />

diverses périodes de l'histoire du Tadla<br />

— Des origines à l'invasion arabe. Les renseignements les plus<br />

anciens que l'on possède sur le Tadla le montrent habité par des clans<br />

divers appartenant tous à la grande famille berbère. Ce n'est pas ici<br />

le lieu de se livrer à des recherches savantes sur l'origine de ces<br />

autochtones, sur les caractères constitutifs de la race, sur les mœurs<br />

et les coutumes qui leur créent une individualité accusée.<br />

A cet âge ancien, ils sont ce que sont les autres berbères, ceux de<br />

l'île de Djerba, de l'Aurès, de la Kabylie ou de l'Atlas saharien, ils<br />

sont agriculteurs et pasteurs. Us sont d'humeur belliqueuse et assoif<br />

fés d'indépendance. Les annales du Tadla doivent ressembler fort<br />

à celles des autres cantons nord-africains. Il est vraisemblable que les<br />

gens du Tadla ont pris part à tous les soulèvements qui ont agité le


52<br />

HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910<br />

Maroc aux premiers siècles de son histoire connue. Il est difficile qu'il<br />

en ait été autrement.<br />

Les luttes intestines, se lient à des conflits plus généraux. Mais<br />

les dominations successives qui ont pesé sur une partie du Maroo;<br />

n'ont pas pénétré au Tadla. Carthage n'a possédé que des escales<br />

sur la côte Atlantique, les sept colonies fondées par Hannon au sud<br />

de Lixos-Larache au cours de son périple fameux. Rome n'a guère<br />

poussé plus au sud que la barrière qui ferme le Rarb,<br />

en donnant au<br />

mot de Rarb le sens étendu qu'on lui attribue parfois, c'est-à-dire<br />

en désignant ainsi la région comprise entre Tanger, Fez et Rabat.<br />

Les Vandales n'ont fait que traverser le Maroc du nord, les Byzan?<br />

tins ne l'ont point conquis. En fait le Tadla est resté indépendant<br />

jusqu'au VIIe siècle de notre ère.<br />

Or, et c'est le fait capital qu'il faut mettre en lumière, cette couche<br />

ancienne et résistante, ce fond de populations berbères pourra être<br />

recouvert, disparaître même par instants et par places, il subsistera;<br />

toujours ; et non seulement il sera pas assimilé, mais c'est le Berbère<br />

qui très souvent s'assimilera les races hétérogènes. C'est pourquoi<br />

il faut considérer comme capitale dans l'histoire du Tadla cette longue<br />

période durant laquelle les tribus berbères s'identifient au sol, qui<br />

les nourrit, (s'y<br />

incrustent de manière si profonde qu'elles n'en seront<br />

jamais arrachées, et s'y conforment à des conditions de vie physique,<br />

morale et sociale, qui sont celles qui les régissent encore aujourd'hui.<br />

II. —<br />

Du VIIIe au XIIe —<br />

siècle. Pendant quatre siècles, du<br />

VIIIe au XIIe , de la première invasion arabe,à la constitution de<br />

l'empire, almohade, le Tadla va voir des dominations multiples se<br />

succéder sur son sol. Cette vaste période est une période de contacts<br />

arabo-berbères.<br />

Les Arabes sont un flot qui passe. Piquet, parlant de la conquête<br />

de l'Ifrikya par les Arabes,<br />

a'<br />

écrit : « Nous voyons ces cavaliers:;<br />

traverser seulement la Berbérie et laisser dans le pays quelques arabes<br />

musulmans, qui, malgré leur petit prennent rapidement un<br />

grand ascendant. On ne peut expliquer que par l'anarchie, qui régnait<br />

en Afrique depuis l'époque romaine, cette conquête foudroyante et la<br />

conversion non moins prompte des populations » . Cette appréciation<br />

serait moins exacte si l'on voulait l'appliquer aux bordures de l'Atlas<br />

marocain, mais elle est encore très juste,<br />

si on l'ëtend aux plaines<br />

marocaines. La plaine a été plus vite et plus arabisée que<br />

nettement,<br />

les massifs montagneux. Dans ces zones tourmentées les Berbères ont


HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910 53<br />

conservé leur indépendance; soumis à certaines époques, ils se sont<br />

soulevés chaque fois qu'ils ont senti faiblir l'autorité arabe. »<br />

Ces luttes ont pris parfois un caractère religieux. Et Piquet ajoute :<br />

« Les Berbères ont toujours été disposés à accueillir toutes les hé<br />

résies musulmanes ;<br />

sans doute ne faut-il voir là qu'une manifesta<br />

tion de leur amour de l'indépendance et de leur esprit de résistance<br />

à des<br />

envahisseurs'<br />

qui représentaient l'orthodoxie musulmane. »<br />

Mais les luttes ont été aussi des conflits sans fin entre rameaux de<br />

même origine. Peu de races ont autant que les Berbères l'esprit de çof.<br />

De tous temps chez eux on s'est battu de clan à clan, de village à<br />

village, de famille à famille. Les confédérations se divisent en un nom<br />

bre infini de groupes, de sous-groupes qui sont autant de fractions.<br />

Chacune à son tour peut briller,<br />

peut aspirer à jouer son rôle. « On<br />

verra, dit Piquet, la race indigène se rénover périodiquement, et des<br />

tribus sans cesse arriver à la prépondérance, puis se disperser et<br />

disparaître de l'histoire. »<br />

C'est ainsi que dans ces quatre siècles l'histoire du Tadla va passer<br />

par cinq phases diverses.<br />

La première est celle de l'invasion arabe. Lés Arabes viennent pour<br />

la première fois au Maroc en 700 après Jésus-Christ ; ils y suivent Okba<br />

ben Nefaa, gouverneur de l'Ifrykia. On sait que cette première inva<br />

sion arabe fut presque sans influence et que l'islamisation des parties<br />

les plus arabisées du nord africain fut très postérieure. A plus forte<br />

raison, cette invasion ne dut-elle avoir que peu d'effet sur une contrée<br />

aussi franchement indépendante et aussi peu accessible que le Tadla.<br />

Néanmoins, il paraît certain que, dès cette première venue au Moghreb<br />

el Akça,les Arabes entrèrent en contact avec les populations du Tadla.<br />

Mais, dès 740, la domination qu'ils ont pu établir sur certains can<br />

tons marocains,<br />

chancelle. Les Berbères se révoltent partout. Au<br />

Tadla en particulier ils sont maîtres incontestés. Les tribus qui y sont<br />

prépondérantes sont vraisemblablement les Zanagas, berbères de<br />

l'ouest, originaires de l'Atlas,<br />

mais qui depuis de nombreuses années<br />

sont descendus en plaine et ont occupé les deux rives de l'Oum Er<br />

Rbia. La belle période de ces Zanagas s'étend jusqu'à la fin du<br />

VIIIe siècle.<br />

A cette époque un arabe, Edriss ben Abdallah,<br />

gendre de Mahomet, ayant vainement essayé de se rendre maître de<br />

là Mecque, doit, pour échapper au massacre, fuir jusqu'au Moghreb<br />

descendant d'Ali<br />

et Akça. Très rapidement il s'y taille une large part et s'appuyant sur<br />

des berbères,<br />

en particulier sur des tribus Aoureba (qui sont des ber-


54<br />

HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910<br />

bères de l'est) et Ghomara (qui sont des berbères de l'ouest), ils<br />

fondent l'empire édriside de Fez. Ceux qui s'opposent à lui<br />

sont combattus avec vigueur. « Il se dirige,<br />

Kartas,<br />

lit-on dans le Roudh e]<br />

sur Tadla dont il enlève la forteresse et les retranchements.<br />

Il n'y avait dans le pays que quelques musulmans ; les chrétiens et les<br />

juifs y étaient très nombreux. Edriss leur fit embrasser à tous la<br />

religion de Mahomet. »<br />

L'empire d'Edriss n'a d'arabe que l'armature ; les cadres sociaux<br />

et la religion viennent de la Mecque, mais les populations qui le com<br />

posent sont de purs berbères. Aussi à la première occasion la pré<br />

dominance berbère va s'affirmer à nouveau. Le déclin des Edrisides<br />

commence au milieu du Xe siècle, et quand ce siècle prend fin, ce<br />

sont les berbères Zénètes, les Maghraoua et les Ifrène qui détiennent<br />

la puissance :« L'histoire des Maghraoua, écrit Piquet, estun exemple<br />

saisissant de ces tribus berbères qui successivement arrivent à dé<br />

tenir le pouvoir dans une région,<br />

puis se dispersent et disparaissent<br />

soit à la faveur des circonstances, soit en se faisant les champions]<br />

d'une doctrine religieuse ; obéissant à un Chef militaire de génie ou<br />

bien à un prophète réformateur, on voit ces peuples affermir leur<br />

puissance par des conquêtes et fonder à leur tour un de ces empires<br />

qui, pendant le moyen âge, se succèdent tant en Ifrikya que dans les<br />

deux Maghreb». Au Tadla ce ne sont pas les Zénètes Maghraoua,<br />

mais leurs cousins et alliés les Ifrène, qui tiennent le pays, ils,en ont<br />

chassé les Zanagas, berbères de l'ouest.<br />

C'est pendant ce Xe siècle (1056) que la grande invasionhilalienne,<br />

celle qui aura une si profonde influence sur les destinées du mondes<br />

berbère et qui l'arabisera,<br />

va traverser l'Afrique du Nord. Mais elle<br />

ne pénètre pas au Tadla: En revanche au même moment (1057) se<br />

produit l'invasion des Sanhadja au Litham. Les Sanhadja au Litham<br />

sont des berbères de l'ouest dont certaines tribus occupent les vastes<br />

régions mal connues alors du Haut-Sénégal. Les Guedala et les Lem-<br />

touna, deux de leurs principaux rameaux, quittent ces contrées,<br />

envahissent le Tafilalet, puis le Sous et enfin le Tadla, aux ordres de<br />

Youssef ben Tachefin. Le contingent, qui pénètre au Tadla, est un<br />

contingent Mrabtin sous Abdallah ben Yassine, qui d'après le Roudh<br />

el Kartas, s'empare de Ghmat en 1057, y demeure deux mois pour<br />

refaire son armée, puis envahit le Tadla où il l'extermine les Ifrène.<br />

Ainsi se fonde l'empire almoravide, empire créé au nom de l'Islam<br />

dont il prétend être une rénovation orthodoxe, même puritaine, mais<br />

qui est construit par des Berbères.<br />

*


III- —<br />

La<br />

HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910 55<br />

période almohade. —<br />

La puissance almoravide domina<br />

pendant un siècle et demi. Au commencement du XIIe siècle un nou<br />

vel empire apparaît, celui des Almohades, qui est édifié par les Mas-<br />

mouda, importante branche des berbères de l'ouest qui occupe le<br />

Grand Atlas et qu'Ibn Khaldoun a longuement vantée.<br />

La période almohade va être, par suite d'ailleurs d'événements de<br />

très minime importance, une période capitale dans l'histoire du Tadja.<br />

Mais, avant d'en expliquer les raisons, il est bon de, résumer les phases<br />

de la période précédente. Elle comprend deux tentatives d'arabisa<br />

tion, l'une prématurée et timide au VIIe siècle, l'autre plus appa<br />

rente que réelle au VIIIe siècle, lors de la constitution de l'empire<br />

édriside. En réalité les Berbères demeurent toujours maîtres du pays.<br />

Successivement des Zenaga, des Ifrène et des Sanhadja au Litham y<br />

sont les maîtres. Mais au cours de ces siècles des relations ont com<br />

mencé à se nouer entre Arabes et Berbères,<br />

et les Berbères ont em<br />

brassé l'islamisme. Sans doute ils conservent leur fond de supersti<br />

tion païenne,<br />

coranique.<br />

mais ils se conforment cependant en partie à la règle<br />

Comment la période almohade va-t-elle faire faire un pas important<br />

au Tadla dans la voie de l'arabisation ?<br />

Les Masmouda se lèvent à l'appel d'Ibn Toumert jeune berbère<br />

dé très grande valeur, qui a voyagé, étudié,<br />

qui connait bien ses<br />

frères de race et sait leur parler et leur commander. Son œuvre est<br />

surtout une œuvre d'austère prédication. La tâche guerrière échoit<br />

à son disciple Abd el Moumen: « Sa première expédition fut celle de<br />

Tadla. U sortit de Tynnemal, dans le Grand Atlas, le jeudi 24 rbia<br />

el aouel 526(1151 après J.-C) à la tête de 30.000 Almohades,<br />

arriva devant Tadla,<br />

tants prisonniers ». (Roudh El Kartas).<br />

et il<br />

qu'il livra au pillage et dont il fit tous les habi<br />

Très rapidement Abd el Moumen soumet le Maroc,<br />

que les mains<br />

défaillantes des Almorav des laissent échapper. Puis il se tourne vers<br />

l'orient et conquiert tout le Moghreb qui constitue aujourd'hui l'Algé<br />

rie et la Tunisie. U y rencontre des tribus arabes,<br />

turbulentes et<br />

guerrières ; en fin politique, il les dépayse, les transplante au Maroc,<br />

inaugurant ainsi une méthode qu'appliqueront fidèlement ses succes<br />

seurs (1153).<br />

•Les Arabes Hilaliens et les Berbères Almoravides sont vaincus, non<br />

soumis. Ils se révoltent bientôt, et le Khalife Almohade Abou Yous-<br />

sef Yaakoub, dit el Mansour, doit recommencer toute la conquête<br />

du Moghreb. Cette fois il pousse jusqu'à Gabès et Tozeur.Et, comme


56 HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910<br />

Abd El Moumen, il déporte au Maroc quelques tribus arabes de l'est<br />

du continent nord-africain, qui lui avaient opposé la plus vive résis<br />

tance ; il ramène avec lui une importante fraction des Riah qu'il<br />

établit dans le Rif au sud de Tétouan, et les Djochem qu s'installent<br />

entre Salé et Marrakech De ces Djochem un rameau occupe la partie<br />

du Tadla qui s'étend sur la rive droite de l'Oum Er Rbia et quelques<br />

terrains sur la rive gauche (1188). Les Almohades cesseront de régner<br />

en 1269, mais ils auront eu sur le peuplement du Tadla une action con<br />

sidérable.<br />

En effet c'est une certitude historique qu'un élément arabe impor<br />

tant s'est établi à cette époque au Tadla, y a prospéré et y a noué avec<br />

les Berbères des relations étroites. Ce qui n'est plus absolument une<br />

certitude, c'est que les confédérations du Tadla, qui se réclament des<br />

Djochem,<br />

soient leur descendance directe. La question présente un<br />

intérêt réel et elle sera creusée dans la suite de cette étude. Mais ce<br />

qu'il faut retenir pour l'instant, et ce qui donne à la période almoha-,;<br />

de sa valeur au point de vue particulier de l'histoire locale, c'est que<br />

remonte très sûrement à elle le commencement du peuplement arabe<br />

du Tadla ou plus exactement que datent de cette époque les sérieuses<br />

influences qui persistent et sont encore aujourd'hui très sensibles^<br />

d'Oued-Zem à Kasba Tadla et de Sidi Lamine à Dar Ould Zidouh^<br />

IV. —<br />

Du XIIIe au XVIIe —<br />

siècle. Dans une quatrième période,<br />

que l'on peut faire commencer à cette date de 1269, fin de l'empire<br />

almohade, et.quise termine en 1672 à l'avènement du Sultan Moulay<br />

Ismaïl, les influences arabes yont être plus nettement marquées. Il<br />

faut chercher les raisons de cette semi arabisation de quelques parties<br />

du Tadla dans des faits d'ordre très général. Parmi ces faits on peut<br />

citer la progression lente et à ne pas exagérer, mais cependant réelle,<br />

qui pousse peu à peu vers le Moghreb el Aksa des éléments arabes<br />

amenés dans le nord de l'Afrique par l'invasion hilalienne, du XIe.<br />

siècle ; le reflux vers le Maroc par le détroit de Gibraltar d'autres<br />

éléments arabes qui abandonnent l'Espagne, arabes purs ou berbères<br />

très arabisés ; l'établissement de dynasties très puissantes,<br />

qui ont<br />

cette force que donne la durée et dont les membres et les serviteurs<br />

immédiats vivent d'une vie très arabe.<br />

Envisagée dans ses rapports avec l'histoire générale, cette période )<br />

de l'histoire du Tadla englobe les deux grandes époques de l'empire<br />

mérinide de Fez (du XIIIe au XVIe siècle)<br />

et de la domination des<br />

cheurfa marocains : dynastie saadienne (du début du seizième siècle-<br />

au milieu du dix-septième), dynastie filalienne (à partir de cette date). J<br />

'


HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910 57<br />

Les principaux événements de cette période peuvent être rapide<br />

ment résumés.<br />

Au début du XIIIe siècle deux tribus Zénètes, les Béni Merin<br />

d'abord, les Abd el Ouad ensuite, fondent un grand empire ayant<br />

Fez pour capitale. Cet empire que l'on désigne sous le nom de Mérini-<br />

de englobe bientôt la presque totalité du Moghreb el Aksa. Les popula<br />

tions du Tadla qui sont restées jusque là fidèles aux Almohades,<br />

régnant à Marrakech, subissent le sort du sultan Almohade. Battus<br />

en 1268 , les contingents du Tadla sont soumis par le sultan mérinide<br />

Abou Youssef Yaakoub ; les Khôlt, arabes de la fraction des Djochem,<br />

sont dépouiljés des biens qu'ils possédaient depuis soixante à soixante<br />

dix ans.<br />

Le Tadla n'est le théâtre d'aucun bouleversement pendant la<br />

période mérinide. Le dernier mérinide cesse de régner vers 1550, mais,<br />

dès le milieu du quinzième siècle, les progrès des Espagnols et des<br />

Portugais sur les côtes de l'Afrique du Nord sont continus. On ne<br />

sait pas si ces chrétiens pénètrent très profondément dans l'inté-<br />

*<br />

rieur des terres et plus particulièrement au Tadla. Les indigènes<br />

montrent chez les Béni Meskine d'El Boroudj,<br />

d'Oued-Zem,<br />

chez les Ourdira<br />

chez les Smaala de Boujad « d'assez nombreux puits<br />

qu'ils prétendent avoir été forés par les Bordguiz,<br />

les Portugais » (Sumian). Plusieurs ponts,<br />

c'est-à-dire par<br />

notamment le grand pont<br />

sur l'Oum Er Rbia à Kasba Tadla, portent très anciennement le nom<br />

de pont portugais. U existe donc des vestiges certains de leur passage.<br />

Rien ne prouve d'ailleurs qu'ils aient dominé le pays. Us ont pu y<br />

venir comme ouvriers, commerçants, etc.<br />

Il est même problable qu'à aucun moment ils n'-ont exercé de supré<br />

matie sur les terres de l'intérieur. Il existe bien entre la belle périsde<br />

des Mérinides et la belle période dés Sàadiens, de 1500 à 1550, un in<br />

tervalle durant lequel aucun pouvoir fort n'aurait pu s'opposer à leurs<br />

durant lequel<br />

progrès. Mais cet interrègne est un âge d'anarchie,<br />

plusieurs dynasties locales apparaissent. L'une d'elles, qui naît dans<br />

le sud, va se fortifier, étendre des possessions,<br />

et bâtir à nouveau un<br />

empire puissant qui englobera le Tadla ; le règne d'El Mansour<br />

(seconde moitié du XVIe siècle)<br />

sâadienne.<br />

marque l'apogée de cette dynastie<br />

A la disparition des Saadiens et avant que les Filaliens aient re<br />

constitué leur héritage, les confréries religieuses prennent une im<br />

portance considérable et les marabouts, leurs chefs, sont de puissants<br />

souverains temporels. Le Tadla passe ainsi pendant un certain temps


58 HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910<br />

aux mains des marabouts du Delà. Leur Zaouiaest dans les montagnes<br />

où elle fut fondée en tribu berbère Zanaga par Si Abou Beker ben<br />

Mohamed el Mejabhi. Les successeurs de ce saint personnage, s'affran-<br />

chissant peu à peu de toute tutelle politique,<br />

accroissent leur pou<br />

voir jusqu'à ce que le Cheik Tadla batte les troupes du Sultan (1596)<br />

près de Taza, occupe le Tadla et soit un moment maître de Fez (1641).<br />

Mais bientôt les Filaliens reconstituent l'empire saadien. El Rechid<br />

reprend Fez et en 1699 il ruine la zaouia du Delà. En 1672 Moulay<br />

, lay<br />

Ismaïl, son frère,<br />

V. —<br />

Le<br />

monte sur le trône.<br />

règne de Moulay Ismaïl. —<br />

Le<br />

règne de Moulay Ismaïl<br />

est le plus célèbre des règnes rnarocians, tant par sa durée de cinquan<br />

te sept années, que par l'éclat dont il brille. Moulay Ismaïl est à la<br />

fois un conquérant, un organisateur et un diplomate. Il réduit tous<br />

ses adversaires et chasse les Roumi. Il envoie des ambassadeurs à là<br />

cours de Louis XIV. Et Piquet a pu écrire : « La méthode de Moulay<br />

Ismaïl a des ressemblances frappantes avecla méthode romaine. Ce<br />

furent les mêmes principes et les mêmes conséquences heureuses.'i-<br />

U n'est pas certain que toutes les provinces françaises, au XVHe<br />

siècle, fussent plus civilisées et mieux policées qUe les Etats dé Mou-ï<br />

Ismaïl. »<br />

L'un des principaux soucis de ce grand Sultan fut de se constituer<br />

une armée disciplinée et dévouée. Il n'avait plus auprès de lui que des<br />

Arabes dont la valeur guerrière était fort émoussée et des Berbères<br />

au caractère versatile, en qui.il ne plaçait qu'une médiocre confiance. :<br />

U résolut donc de s'attacher des corps de mercenaires et il sut y .<br />

parvenir fort habilement.<br />

« U acheta, dit_Piquet,<br />

ou attira dans ses états une quantité con<br />

sidérable de nègres qu'il arma et établit près de Marrakech dans dé ,<br />

vastes colonies militaires et agricoles. Les soldats étaient attachés<br />

à la terre et jouissaient de certains privilèges : on leur donna des<br />

femmes et leurs enfants appartinrent à l'état ; les jeunes garçons,<br />

sous la direction d'un saint personnage, Sidi Boukhari, reçurent une<br />

instruction militaire; telle fut l'origine de la gardé noire, entière<br />

ment dévouée au Sultan, dont on désigna les soldats sous le nom.<br />

d'Abid Boukhari ».<br />

Or, à cette époque, le Tadla s'agitait. Les Berbères de l'Atlas fai<br />

saient des incursions fréquentes sur les territoires arabes voisins.<br />

Eternelle attirance qu'exerce la plaine riche sur les montagnards indi-'*<br />

gents. Le Sultan dut envoyer, pour ramener l'ordre, une colonne qui<br />

se fit battre. Une deuxième, puis une troisième ayant subi même sort,


HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910 59<br />

le Sultan se rendit en personne au Tadla, et, dit Sumian à qui ces<br />

détails sont empruntés, y fit œuvre de répression rapide et sérieuse.<br />

Pour asseoir fortement son autorité dans le pays, pour maintenir en<br />

respect les turbulents Berbères du moyen Atlas, Moulay Ismaïl décida<br />

d'installer au Tadla, sur les deux rives de l'Oum Er Rbia, une de ses<br />

colonies militaires. Dans ce but il détacha trois fractions de son armée<br />

les Béni Madane, les Semguett et les Ketaïa, soit environ 3.000<br />

hommes, et plaça le centre de leur groupement à Kasba Tadla ; il<br />

leur adjoignit une tribu d'anciens habitants du pays, les Béni Mellal,<br />

qui lui avaient été fidèles ainsi qu'à ses devanciers ; et ce quadruple<br />

noyau constitua ainsi, en bordure du bled insoumis, une sorte de mar<br />

che militaire, qui existe encore de nos jours ; car les descendants de<br />

ces quatre tribus sont les A'it Roboa auxquels nous faisons jouer au<br />

XXe siècle vis à vis des Chleuhs de Ksiba, de Tagzirt et de Fichtala<br />

ce même rôle exactement qu'avait assigné à leurs ancêtres Moulay<br />

Ismaïl général et diplomate dont on a avantage à suivre les enseigne<br />

ments. Le sultan bâtit la Kasbah de Tadla et y installa, en qualité<br />

de gouverneur du Tadla, son fils Moulay Ahmed.<br />

Un second événement, qui date de cette époque, achève de donner<br />

au règne de Moulay Ismaïl cette importance capitale<br />

dans l'histoire du Tadla. A la fin du XVIe siècle, le marabout Si<br />

qu'il'<br />

possède<br />

Belkacem ben Zaari ben Hammou, qui vivait chez les Ourdigha, vint<br />

s'installer à Kasba Tadla. Son fils Bou Abid Mohamed Cherki fonda<br />

en plein désert pierreux des Béni Zemmour la zaouia de Boujad où il<br />

vécut ,«<br />

ainsi qu'un parmi loup les loups » et où il mourut en l'an 1010<br />

de l'Hégire (1602), si l'on en croit l'auteur de l'Istiqsa. Ses successeurs<br />

et ses disciples, les Çherkaoua, devinrent rapidement très puissants,<br />

et, sous le règne de Moulay Ismaïl, la zaouia de Boujad commence à<br />

exercer sur le pays une certaine domination. Dès cette époque elle<br />

va in luer très sérieusement sur les événements dont le Tadla sera<br />

le théâtre, et les Français, en arrivant dans le pays, auront à compter<br />

avec le Sid de Boujad.<br />

VI. —<br />

Les<br />

XVIIIe. et XIXe siècles. —<br />

Ismaïl jusqu'à l'intervention française,<br />

la fin du règne de Moulay<br />

c'est-à-dire pendant les XVIIIe<br />

et XIXe siècles, l'histoire du Tadla n'est que l'énumération des luttes<br />

confuses entre tribus ou des révoltes contre le Maghzen. Les grandes<br />

confédérations de la plaine se détachent du Sultan, lu: réfusent même<br />

toute obéissance, le pays est considéré comme bled siba et de nom<br />

breuses interventions des mehallas chérifiennes sont nécessaires<br />

pour essayer de restaurer, mais pour un court laps de temps, l'autorité<br />

De


60 HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910<br />

précaire de Fez. Quant à la montagne, elle est, comme toujours, pleine<br />

ment indépendante ; les Berbères qui l'habitent y sont exactement<br />

semblables à leurs pères.<br />

Moulay Mohamed, en 1763, essaie de réorganiser le Tadla en l'unis<br />

sant au.Tamesna,<br />

puis au Doukkala. Mais les grands caïds qu'il nom<br />

me doivent être tour à tour révoqués et- en 1767 le sultan doit razzier<br />

les tribus du Tadla,<br />

car le pays est en plein désordre. En 1809 nouvelle<br />

expédition. Le sultan, dit l'Istiqsa, marche contre les Ourdigha et<br />

les Berbères et les réduit à l'obéissance, mais non sans avoir éprouvé<br />

lui-même des pertes sérieuses.<br />

Le commandement du Tadla revient presque toujours à des caïds<br />

des Ourdigha (de préférence fraction des Béni Hassan). Les choix<br />

faits par les Sultans divisent les confédérations entre elles et les tribus<br />

d'une même confédération. A cette cause s'ajoutent toutes les autres,<br />

politiques, économiques, traditionnelles qui opposent anciennement<br />

les çofs les uns aux autres et des luttes en résultent, souvent longues<br />

et sanglantes.<br />

Les principales sont celles qui mettent aux prises dans la confédé- :<br />

ration des Ourdigha plusieurs rameaux avec la tribu Béni Hassan ;<br />

son territoire<br />

cette dernière voit son influence complètement ruinée,<br />

confisqué et réduit en pâturage. Une rivalité entre caïds dresse l'une<br />

contre l'autre les deux confédérations des Béni Khirane et des Smaala<br />

et, à la suite de combats, dont le souvenir demeure imprécis dans la<br />

mémoire de leurs descendants, chacune des deux confédérations<br />

s'installe sur le territoire de l'autre. Signalons encore les contesta<br />

tions qui font entrer en lutte, par suite du jeu des alliances, la ligue<br />

formée par les Oulad Brahim, les Oulad Abdoune, les Béni Yeklef, les<br />

Oulad Azzouze et les Béni Hassan, c'est-à-dire cinq tribus Ourdigha,<br />

une partie des Béni Khirane et des Smaala et la ligue formée par<br />

trois clans Ourdigha, savoir les Guefaf, les Fassis et les Oulad Smir<br />

auxquels se joignent partie des Béni Khirane et les Béni Zemmour/<br />

Ces luttes se livrent particulièrement sous le règne du sultan Moulay<br />

Mohamed ben Abderrahman.<br />

En 1862 les deux grandes fractions des Béni Khirane, c'est-à-dire<br />

les Moualin Dendoun et les Gnadiz, sont en guerre. La rivalité est<br />

ancienne, le motif occasionnel est le pillage d'une caravane destinée<br />

au Maghzen méfait que chacun des adversaires attribue à l'autre.<br />

Moulay Hassan impose une amende de 4 . 000 réaux aux deux tribus.<br />

Dès qu'il est parti, les Moualin Dendoun veulent forcer les Gnadiz à<br />

payer la somme à eux seuls. Nouvelle lutte dans laquelle les Gnadiz


HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910 61<br />

ont le dessous. De curieuses chansons locales célèbrent les exploits<br />

des guerriers qui se signalèrent dans ces combats. Les Gnadiz en<br />

appellent au Sultan. Moulay<br />

Hassan revient au Tadla en 1883 et<br />

décide de faire une tournée de police dans le pays.<br />

U partit le 20 mai en expédition et pénétra chez les Smaala par le<br />

col d'El Hachia, à la limite des tribus Smaala et Béni Zemmour.<br />

« Sur le Territoire des Smaala, dit de Foucault, le sultan éprouve de<br />

la résistance.- Une fraction de cette tribu, les Brakça, lui tuèrent 500<br />

hommes, mais ils furent vaincus ; leur kasba fut prise, ses murs rasés ;<br />

on y coupa 50 têtes et on amena 200 prisonniers. De là on passa aux<br />

Oulad Fennane {des Smaala) puis aux Béni Khirane ». Il dévasta le<br />

territoire des Oulad Fettata, des Béni Mansour,<br />

Zaer à la fin du mois d'août.<br />

puis entra en pays<br />

On trouve un récit des mêmes événements dans l'ouvrage sur le<br />

« Maroc Moderne » qu'a, publié en 1866 le Capitaine Erkmann, ancien<br />

chef de la Mission militaire auprès du Maghzen. D'après lui le Sultan<br />

perdit devant la dechra desBraksa de quatre à cinq cents combattants.<br />

L'artillerie de montagne put bien démolir les créneaux des remparts<br />

mais on ne put pas faire une véritable brèche. «Les troupes d'infante<br />

rie, accablées par la soif et manquant de cartouches, finirent par s'im<br />

mobiliser à distance respectueuse des murs. Heureusement dans<br />

l'après midi on put installer une batterie de mortiers et bombarder<br />

la place ; l'effet de ces projectiles, qui tombaient du ciel, fut immédiat,<br />

car les berbères demandèrent aussitôt à traiter... le grand vizir essaya<br />

vainement de parlementer avec les insurgés,<br />

mais ne parvint pas à<br />

s'entendre avec eux... On installa le camp sous les murs de la kasbah,<br />

avec l'intention de reprendre l'attaque le lendemain, mais à la tom<br />

bée de la nuit des berbères se formèrent en colonne,<br />

sortirent de la<br />

place occupèrent l'infanterie marocaine en tiraillant de divers côtés<br />

à la fois et, abandonnant quelques bestiaux, disparurent dans la mon<br />

tagne. Le lendemain matin la cavalerie ramena une centaine de<br />

prisonniers qui furent enchainés... On démolit la kasbah à la pioche et<br />

on se dirigea vers le pays des Zaers »...<br />

Combat fort curieux au cours duquel lés défenseurs bloqués savent<br />

manœuvrer, faire la part du feu, abandonner quelques animaux pour<br />

que l'assaillant se débande en pillant, et réussissent à se tirer d'une<br />

situation vraiment compromise. Mais ces combattants sont-ils des<br />

Berbères comme le dit Erkmann ? Considère-t-il les Smaala comme des<br />

Berbères ou bien des gens de la montagne n'étaient-ils pas venus ren<br />

forcer les Smaala ?


62 HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910<br />

Quelques difficultés surgirent en 1894,<br />

quelques caïds se déclarè<br />

rent en siba et Moulay Hssan revint au Tadla. Il y mourut, dans la<br />

maison du Caïd Zidouh des Béni Moussa. Il fut embaumé et son corps<br />

fut porté rapidement à Fez par El Boroudj, Settat et Fedalah.<br />

Cette expédition est la dernière des .campagnes<br />

importantes<br />

que<br />

condu.sirent les sultans au Tadla. Abd el Aziz y fit rayonner quelques<br />

troupes, mais le pays reconnaissait son autorité ; et, quand il marcha<br />

contre les Achache de la Chaouia, il fut secondé par des contingents<br />

Béni Khirane.<br />

Au cours du XVIIIe et du XIXe siècle, les marabouts de Boujad<br />

avaient accru leur influence. Très habilement ils s'étaient renfermés<br />

dans une politique exclusivement religieuse ; ils avaient su garder<br />

une neutralité avantageuse et n'avaient jamais eu à subir d'attaques<br />

ou de vengeances des tribus du Tadla, de châtiment du Maghzen.<br />

De 1897 à 1907 aucun événement notable ne mérite d'être signalé.<br />

Le débarquement des troupes françaises à Casablanca va poser des<br />

problèmes nouveaux.<br />

I. —<br />

Premiers<br />

CHAPITRE IL —<br />

DE<br />

1907 à 1910<br />

L'arrivée des Français au Maroc<br />

contacts.<br />

— Le<br />

débarquement des Français à Casa<br />

blanca ne fut pas sans émouvoir les tribus du Tadla. Mais, éloignées<br />

de la côte, ne sentant pas le danger, et uniquement occupées à vider<br />

leurs querelles locales, elles ne participèrent pas au mouvement<br />

xénophobe qui se déchaîna en Chaouia.<br />

Cependant,<br />

elles furent bientôt travailléespar une propagande fana<br />

tique. De nombreux émissaires de nos ennemis les plus acharnés<br />

parcoururent le Tadla, recrutèrent des adhérents à leur cause ; et<br />

les troupes françaises rencontrèrent en 1908 devant elles un certain<br />

nombre de combattants venus du Tadla.<br />

Cette hostilité ne fut d'ailleurs ni très vive ni très durable. Dès<br />

l'installation des français à Boucheron et à Ben Alimed, les deux gran<br />

des confédérations les plus voisines, les Ourdigha et les Béni Khirane,<br />

cherchent à entrer en relations avec les postes créés par le corps d'oc-


HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910 63<br />

cupation. La présence à proximité d'elles de troupes assez nombreuses,<br />

et dont la réputation de bravoure et de force s'est vite répandue, in<br />

cite les tribus du Tadla à une prudence qui assure quelques mois de<br />

tranquillité,<br />

Mais, dès que ces tribus voient nos troupes rester sur leurs positions,<br />

elles reprennent toute leur audace. N'ayant à craindre ni nos colonnes<br />

qui ne doivent pas franchir les limites de la Chaouia rii les tribus de<br />

Chaouia que nous maintenons désormais dans l'ordre, les gens du<br />

Tadla se livrent à un brigandage qui nous oblige bientôt à intervenir.<br />

Une colonne de ronde traverse le Territoire des Ourdigha, avec<br />

mission de châtier les agresseurs de certains de nos protégés. Cette<br />

première intervention est d'Août 1909 (1). Elle donne à réfléchir<br />

aux Oulad Brahim et à leurs voisins. Le Sid de Boujad et plusieurs<br />

caïds des Ourdigha se rendent à Casablanca auprès du Général<br />

Moinier pour protester de leur dévouement à la cause française.<br />

II. —-<br />

— Le Tadla en 1908. Le Sid de Boujad. Quelle<br />

est à ce mo<br />

ment la situation générale du Tadla ? Il se divise en deux grandes<br />

zones, les plateaux et la montagne. Sur les plateaux de nombreuses<br />

tribus toujours divisées, mais que le Sid de Boujad a réussi à sou<br />

mettre d'une manière assez étroite à son influence. En montagne,<br />

des Berbères, complètement indépendants, qui obéissent à deux<br />

chefs principaux ; Moha ou Hammou, maître de Khenifra,et Moha<br />

ou SakL. l'Ouirraoui, qui commande à Ksiba.<br />

Marty, dans sa notice de 1908, a parfaitement expliqué la nature<br />

du pouvoir du Sid de Boujad :<br />

« Ici rien qu'Allah et Sidi Ben Dapud, disait-on à Foucault en<br />

1888 à son passage à Boujad. Rien n'est plus vrai aujourd'hui : Sidi<br />

Ben Daoud est mort mais son fils El Hadj Mohamed le remplace et<br />

le Sid, représentant de Dieu,<br />

région. -^<br />

est toujours le maître incontesté de la<br />

« Cette autorité est due d'abord à l'illustre origine du Sid et aux<br />

vertus musulmanes que ses ancêtres ont pratiquées depuis leur ins<br />

tallation dans le pays. Elle est due aussi à une cause extrinsèque :<br />

dans l'anarchie générale, au milieu des luttes perpétuelles de tribus,<br />

de douars ou d'individualités, le Sid représente l'élément d'ordre<br />

planant en quelque sorte au-dessus des rivalités,<br />

c'est vers lui que<br />

(1) Commandant Mouveaux parti de Kasba Ben Ahmed (3 C1»8 et un peu<br />

de cavalerie).


64<br />

HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910<br />

les vaincus courent se réfugier ; c'est lui qui intervient quand les<br />

querellés deviennent trop aiguës : d'un commun accord on accepte<br />

ses arbitrages inspirés par l'esprit d'Allah. De plus aux époques où<br />

le maghzen.en crise de puissance,<br />

dans le Tadla,<br />

venait exécuter ses randonnées<br />

c'est le Sid représentant naturel des tribus qui ac<br />

courait vers le Sultan et obtenait par ses prières que le pays ne fut<br />

pas complètement « mangé ».<br />

« Quelles qu'en soient les causes,<br />

ce prestige est aujourd'hui in<br />

contestable. Il est d'autant plus remarquable qu'il a résisté aux<br />

attaques tendancieuses de ses ennemis. Us n'ont pas manqué de<br />

répandre le bruit qu'il était l'ami des Français et qu'il voulait les<br />

amener dans le pays. Tout le monde en est persuadé aujourd'hui<br />

et tout le monde lui reste fidèle néanmoins. Les Béni Zémmour cons<br />

tituent autour de Boujad la tribu-lige du Sid. Un de leurs caïds,:<br />

Djilali ben Miloudi,<br />

a été fait caïd de la ville même et commande une<br />

sorte de garde prétorienne, campée dans les environs. Au premier<br />

signal, les cavaliers accourent et se mettent à la disposition du Sid.<br />

En revanche ils bénéficient autant que lui des avantages de sa<br />

baraka,<br />

et ont toujours table mise dans sa maison.<br />

« Leurs voisins de l'ouest, les Ourdira, et ceux de l'est, Ait Roboa,<br />

subissent entièrement l'influence. Sur un mot dé lui ils se présentent<br />

à Boujad,<br />

acceptent ses remtmtrances et acceptent de rendre<br />

critérium de soumission —<br />

le butin fait sur leurs frères.<br />

« Chez les autres tribus, Béni Amir, Béni Meskin, l'ascendant du<br />

Sid a des effets moins positif'1<br />

; au point de vue religieux il reste,<br />

néanmoins, entier ; ses avis, toujours écoutés avec la plus grande<br />

déférence, obtiennent souvent dans la pratique les résultats cher<br />

chés ».<br />

Cette autorité du Sid n'est pas sans faire naître des jalousies. Il<br />

a des ennemis dans sa propre famille, et parmi les Smaala et les<br />

Béni Khirane. Mais il redoute les Zaïans de Moha ou HammoU<br />

et les Chleuhs de Moha ou Saïd.<br />

III- —<br />

Zaïans<br />

et Chleuhs. —<br />

Et<br />

'<br />

■—<br />

Marty d'exposer ses vues sur la<br />

politique indigène en un*<br />

résumé qui paraît d'autant plus remar*<br />

quable, qu'à l'époque où il est écrit, on ne possède que fort peu de<br />

renseignements sur le Tadla, les populatipns qui l'habitent et les<br />

sentiments qui l'agitent. Aussi ne peut-on mieux faire que de le re<br />

produire intégralement.<br />

« Mohamed ou Saïd, dit l'Ouïrraoui, parce qu'il est originaire des


HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910 65<br />

Ait Ouirra, fraction de la grande tribu des Ait Seri,<br />

qui peuple le<br />

Moyen Atlas des Zaïans au Tizi de Ouaouizert, entretient des rela<br />

tions assez tendues avec le Sid de Boujad, et il est certain que dans<br />

un moment critique pour celui-ci il ne manquerait pas de faire des<br />

incursions sur le Territoire Tadla, à la tête des contingents que son<br />

influence et la cupidité berbère pourraient réunir.<br />

« Pour le Zaïani l'hostilité qu'il nourrit contre le marabout est<br />

plus ancienne et plus grave. D'abord, seigneur de Boujad et Caïd de<br />

Khenifra sont voisins, ce qui au Maroc est une raison plus que suffi<br />

sante pour expliquer un état de conflit perpétuel. Puis la dernière lutte<br />

entre les deux sultans, Moulay Abd el Aziz et Moulay Hafid, a pro<br />

voqué un classement net des partis ; du côté d'Abd el Aziz, ami des<br />

Français, s'est rangé ouvertement le marabout ; le Zaïani a couru<br />

soutenir le prétendant.<br />

« A quelles causes attribuer cette décision ? A l'esprit de l'Islam ?<br />

C'est peu vraisemblable. Les amis des chrétiens ne sont-ils pas préci<br />

sément Abdel Aziz, dont on connait la pié é, et le Sid de Boujad, le<br />

plus grand marabout du 'Maroc Central ? Les défenseurs de l'Islam<br />

menacé seraient-ils donc Moulay Hafid, ivrogne, dissolu et sans foi,<br />

et le chleuh Zaïani qui n'a de musulman, comme tous les montagnards,<br />

que l'usage de pratiques cultuelles peu encombrantes et le privilège<br />

d'avoir un nombre illimité de concubines.<br />

«-Serait-ce l'autorité de Moulay Hafid ? On y croira difficile<br />

ment ? Les Chleuhs aiment trop leur indépendance pour se donner<br />

un maître, fut-ce sous le prétexte de chasser les Roumis.<br />

« L'esprit national aurait-il soufflé dans les âmes berbères,<br />

et le<br />

Zaïani ne verrait-il dans la lutte contre le marabout qu'une escar<br />

mouche d'avant-garde dans la grande croisade anti-française ? Mais<br />

où voit-on que les Berbères aient songé un seul instant à s'attaquer<br />

auxv<br />

Français ? Le Zaïani campait en mars dernier à Sokrat Djadja.<br />

A peine fit-il une apparition fugitive chez les M'dakra et il disparut.<br />

Songea-t-il jamais à se concerter avec l'Ouïrraoui, le Glaoui et les<br />

autres chefs montagnards pour repousser l'invasion ?<br />

«Ce qui est vrai c'est que, tranquillisés depuis de longues années<br />

par l'attitude pacifique des Français, les montagnards ne dépensaient<br />

leur fougue qu'à guerroyer entre eux ; mais, dans un temps où le<br />

MarOc est harponné à la fois par la basse Moulouïa, le Sahara Oranais<br />

et la Chaouïa, un sentiment obscur d'atteinte à leur liberté politique<br />

vient de s'éveiller dans leurs âmes. A mesure que se rétrécit l'écran<br />

qui les sépare des Roumis, ils entrevoient confusément des périls pour


66 HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910<br />

leur existence indépendante. Us se sont agités : Moulay Hafid fut un<br />

instant le nom autour duquel ils se groupèrent. Ce fut moins une<br />

unité réelle qu'une coïncidence de résistances et d'agitations locales<br />

contre une force envahissante, cachée sous le couvert d'Abd el Aziz.<br />

Puis l'esprit d'individualisme est venu qii a fait son œuvre de disper<br />

sion générale.<br />

« Or le Zaïani a ramené ce conflit de grande envergure au seul<br />

point de vue qui l'intéressât : la destruction de son rival du Tadla.<br />

Ce n'est pas parce que le marabout fut partisan d'Abd el Aziz qu'il<br />

le déteste ; sa haine n'est pas un effet. C'est elle-même au contraire<br />

qui causa ce classement derrière des bannières ennemies, et le Berbère<br />

veut en profiter pour atteindre son but. Il a répandu partout le bruit'<br />

que, dès la fin des labours, il viendrait attaquer Boujad et tuer le Sid :<br />

ces paroles ont jeté un certain malaise dans le Tadla. Les indigènes<br />

craignent les effets dé cette lutte sauvage ; le Sid y voit sa ruine et<br />

cherche à la prévenir par divers moyens.<br />

« U sollicite vivement le secours des Français et espère qu'à défaut<br />

d'une occupation de Boujad, une colonne pourrait venir au moins<br />

jusqu'à Sokrat Djaja, opération qui arrêterait, croit-il, les bandes<br />

chleuh. Et, connaissant les inquiétudes du Zaïani vers le sud-est, il<br />

exploite habilement l'occupation française de Bou Denib et trans<br />

forme toutes les opérations de police du Haut Guir en marche vers le<br />

Ksabi Cheurfa.<br />

« La personnalité du Sultan est, semble-t-il, assez indifférente aux<br />

indigènes du Tadla. Jusqu'à ces derniers temps on y fut Aziziste<br />

parce que le Sid était l'ami d'Abd el Aziz, et qu'ayant pris parti contre<br />

Moulay Hafid, il avait tout à craindre de Moulay Hafid Sultan. C'est<br />

donc dans le Sid qu'il faut voir l'opinion des indigènes. Or le Sid, qui<br />

a cru jusqu'à ces derniers temps au relèvement prochain d'Abd el<br />

Aziz, vient de comprendre que tout espoir est perdu de ce côté, et,<br />

en bon politique, s'est retourné du côté de Moulay Hafid. Il est<br />

difficile de le prouver, mais un contact intime en donne fortement<br />

l'impression ; une marche d'approche est entamée auprès du nouveau<br />

sultan et des amis communs travaillent à une réconciliation. En at<br />

tendant et dans la crainte d'un .il échec, veut<br />

s'imposer avec sa situa<br />

tion et souhaite ardemment d'être compris dans les clauses que la<br />

France imposera à Moulay Hafid. Les nombreuses fermes qu'il<br />

possède en dehors du Tadla ont tout à craindre des pilleries de voisins<br />

cupides et assurés de l'impunité, sinon même excités en sous main<br />

par le Maghzen. »<br />

I


IV. —<br />

HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910 67<br />

— Premiers projets de pénétration française. La<br />

générale du Tadla, telle qu'elle vient d'être décrite,<br />

situation<br />

paraît assez<br />

favorable à une intervention française. Tout porte à croire que notre<br />

pénétration ne sera que peu entravée par les grandes confédérations<br />

qui dépendent plus ou moins du Sid, à condition que nous sachions<br />

nous ménager les bons offices de ce puissant marabout, ce qui paraît<br />

chose facile. Bien évidemment Chleuh et Zaïani opposeraient à nos<br />

armes la même résistance acharnée qu'à tous ceux qui ont voulu violer<br />

leurs frontières.<br />

Mais, avant de se demander quelles facilités ou quelles difficultés<br />

rencontrerait notre marche en avant, il convient de rechercher si<br />

cette marche en avant est utile. Occuper le Tadla aurait un triple<br />

avantage. Premièrement,<br />

couper de manière définitive la grande<br />

route intérieure Fez-Marrakech et tenir ainsi un des points vitaux<br />

du Maroc, dont la possession sera un jour ou l'autre indispensable<br />

à la France,<br />

si elle veut étendre son autorité sur tout le territoire<br />

maghzen et siba. En deuxième lieu,<br />

agrandir l'hinterland de la Cha<br />

ouia, attirer vers Casablanca les produits du Tadla, augmenter l'im<br />

portance et la prospérité du futur grand port de l'Atlantique.<br />

Enfin créer en bordure de la Chaouia,<br />

grenier d'une exceptionnelle<br />

richesse et terre par excellence de colonisation, .unemarche militaire<br />

qui protégera les régions soumises contre toute entreprise des mon<br />

tagnards pillards.<br />

Les avantages commerciaux et militaires d'une occupation du<br />

Tadla sautent aux yeux de tous dès 1908. Mais est-il possible de s'en<br />

gager dans une parelle expédition,<br />

alors que notre situation est<br />

encore si précaire ? Avant de recommencer l'<br />

œuvre que Moulay<br />

Isnîaïl a entreprise en pleine puissance, n'est-U; pas préférable d'oc<br />

cuper le bled maghzen le plus rapproché de nos postes, de tenir les<br />

plaines et les plateaux qui s'inclinent vers la côte ouest, d'être maîtres<br />

des capitales chérifiennes ? La réponse n'est pas douteuse.<br />

C'est pourquoi en 1908-1909 on ne peut songer encore à annexer<br />

le Tadla. Mais on étudie cette province. On en raisonne l'occupation<br />

future,<br />

on dresse sur le papier l'armature de notre domination. Ces<br />

projets, dont on s'entretenait constamment entre officiers, Marty<br />

les a résumées en quelques lignes.<br />

« Quatre postes suffiraient à assurer l'ordre dans un pays occupé si<br />

pacifiquement :<br />

« 1° Un à Boujad même ; il commanderait les Oudirgha et les Béni<br />

Zemmour et surveillerait les voisins de l'est, les Zaïan.


68 HISTOIRE DU TADLA DES ORIGINES A 1910<br />

« 2° Un à la casbah de Talda, ayant sous ses ordres l'ancienne tribu,<br />

makhzen des Ait Roboa ; il aurait la surveillance des Chkern et des"<br />

Ait Seri.<br />

« 3° Un poste sur un point convenable, en amont de Mechra bel<br />

Khallou à peu près au centre des trois grosses tribus : Béni Meskin,<br />

Béni Moussa, Béni Amir. Outre le commandement de ces tribus lo<br />

cales, il porterait son attention sur les tribus du sud : Ait Atta, Ait<br />

Bouzid, Ait Aïat, Entifa et serait maître de la route directe de Fez<br />

à Marrakech.<br />

« 4° Un poste à créer provisoirement au moins, à la lisière des Béni<br />

Khirane^t des Smaala, à l'est de Sokrat Djaja,<br />

afin d'asseoir de façon<br />

positive notre domination sur ces tribus d'allures agitées et de faire<br />

face aux Zaer et aux Zemmour.<br />

« Ces quatre postes pourraient être, groupés dans la main d'un<br />

commandement supérieur, en résidence à Boujad, auprès du Sid qu'il<br />

importerait d'avoir à ses côtés et de diriger pendant très longtemps<br />

encore.» ,4%<br />

Ce plan devait bientôt recevoir exécution, Boujad et Kasba Tadla<br />

devaient être parmi les premiers points occupés par les troupes<br />

françaises.<br />

Le poste à créer pour dominer le sud du Tadla fut Dar Ould Zidouh.<br />

Les prévisions de Marty n'ont été modifiées que dans le nord du<br />

Territoire : au lieu d'un poste central pour tenir les Béni Khirane,<br />

les Smaala et observer les autres tribus, on a jugé préférable d'établir<br />

une bordure de postes Oued-Zem, Sidi Lamine, Moulay Bou Azza,.<br />

Oulmès. Les raisons qui firent adopter cette solution seront exposées<br />

en même temps que seront résumées les étapes de la pénétration<br />

française au Tadla.<br />

Dès les premiers mois de 1910 .unesérie d'incidents, dont le Tadla<br />

était le théâtre, allait obliger le commandement français à tourner<br />

les yeux vers lui et une nouvelle phase de la conquête du Maroc allait<br />

commencer.<br />

IV. —<br />

Résumé historique du peuplement<br />

Les principaux événements de l'histoire du Tadla qui viennent*<br />

d'être résumés permettent de dresser un tableau des rameaux qui<br />

ont peuplé cette région du Moghreb el Aksa. Il suffira pour le com<br />

menter d'ajouter que les éléments les plus importants.de ce peuple-


HISTOIRE DU TADLA1<br />

DES ORIGINES A 1910 69<br />

ment sont : parmi les Berbères de l'ouest, les Zanaga, les Masmouda et<br />

les Sanhandja ; parmi les Berbères du sud les Ifrène ; parmi les<br />

Arabes les Djochem.<br />

RACE BERBÈRE<br />

(autochtone et non autochtone)<br />

Berbère de<br />

l'Est ou Loua.<br />

■<br />

Berbères de<br />

de l'Oiiest ou<br />

Sanhandja<br />

Zanaga Mas<br />

mouda<br />

(dès l'origine)<br />

< i (Sùedala<br />

5§J Lem-<br />

«• § \ touna (au<br />

Z^j 11 "siècle) .<br />

-<br />

■'<br />

Abid Boukhari<br />

(17» siècle)<br />

Berbères du<br />

Sud ou<br />

Zénètes<br />

Maghraoua<br />

Ifrène<br />

(au 10° siècle)<br />

' Béni<br />

m V Badine,<br />

5 Abd el<br />

,<br />

a ( Ouad,<br />

g j<br />

Béni<br />

o / Merine<br />

1 (13 e<br />

siècle)<br />

Abid Boukhari<br />

(17e siècle)<br />

RACE<br />

Arabe<br />

Arabes d'Edris(9e<br />

siè<br />

cle)<br />

Djochem<br />

(1SS8)<br />

Abid Bou<br />

khari<br />

(17e siècle)<br />

RACES<br />

Nègres<br />

,<br />

Abid Bou<br />

khari<br />

(17 e<br />

siècle)<br />

RACES<br />

Chrétiennes<br />

Quelques Por<br />

tugais,<br />

(16e siècle)<br />

Français 1910<br />

Capitaine PEYRONNET.


A TrçAtffirçS L'ALGÉRIE<br />

Impression sur ïa Femme Musulmane<br />

Mesdames, Messieurs,<br />

Le souvenir bien agréable pour moi du charmant accueil, que l'an<br />

dernier vous avez réservé à la modeste conférencière, m'engage à<br />

réclamer encore toute votre bienveillance pour ma conférence de<br />

ce soir;<br />

c'est un simple récit d'impressions personnelles ressenties<br />

—<br />

auprès de nos indigènes. Je<br />

n'ai pas la prétention de vous présenter<br />

une étude ethnologique complète ; ce sont simplement des moments/<br />

que j'ai vécus et que ma mémoire a retenus.<br />

Je fais la glaneuse,<br />

épars.<br />

pour vous en raconter quelques uns forcément<br />

Parmi vous, Mmes, MM., il ne se trouve certainement plus personne<br />

voyant encore la femme arabe telle qu'elle fut décrite par des peintres<br />

ou par des auteurs, nous représentant la figure imagée de charrue- la<br />

attelée et traînée par un mulet...et une femme, le mari conduisant<br />

l'attelage muni de l'aiguillon. Tableau' pittoresque qui fit les délices<br />

des touristes du temps jadis, visitant superficiellement l'Algérie,<br />

et osant souhaiter, d'y voir toujours; Ahmed et Fatma suivre les<br />

traces de l'Eliézer et de la Rébecca des temps bibliques.<br />

Nous ne retrouverons plus le type du vieux caïd « Kaddour », qui<br />

avait admiré le panorama de Paris du haut du dôme des Invalides,<br />

(la tour de 300 mètres n'existait pas alors) et qui n'avait retenu de<br />

cette ascension que ce détail : « Que les hommes, vus de là haut,<br />

« n'étaient plus que des mouches. »Ce caïd, chef d'un douar de l'Ouar^<br />

senis, eu 1886, répondait à mon père, son administrateur, lors d'une<br />

réquisition militaire pour les besoins de troupes en manœuvre:<br />

« C'est bien regrettable, j'ai déjà envoyé tous les mulets du douar,<br />

« il n'y en a plus. réquisi-<br />

Je ne vois, si besoin en est encore, que de<br />

« tionner les vieux femmes. »


A TRAVERS l'a'LGÉBIE 71<br />

Chose, qu'il eût fait séance tenante si on la lui eut permise, à moins<br />

que ce ne fût une facétie de sa part; il n'ignorait pas toutes les sottises<br />

propagées sur les coutumes indigènes. —<br />

L'indigène<br />

est pince sans<br />

rire, très observateur, nul n'arrive à le bien connaître,<br />

s'il ne sait<br />

approfondir son caractère, et nul ne le peut, s'il n'a pas d'abord su<br />

acquérir toute sa confiance. Celui qui l'obtient a par la suite toute<br />

sa sympathie.<br />

Bien de ces tableaux, de ces images, n'existent plus qu'à l'état de<br />

souvenirs, de légendes ; et si, comme dans toute règle, il a encore y des<br />

exceptions,<br />

élevons,<br />

ne nous en prenons qu'à nous-mêmes. L'enfant que nous<br />

ne devient-il pas ce que notre sollicitude l'a façonné ?<br />

La fillette, la femme indigène arabe ou Kabyle, sont douées d'une<br />

grande intelligence. Ne pourraient-elles, ne devraient-elles pas, ainsi<br />

que le mari, être plus avancées dans le progrès ?<br />

Oui, Mmes, oui, MM., si nous avions su depuis longtemps, leur faire<br />

comprendre notre civilisation en leur donnant les moyens de pouvoir<br />

l'apprécier. Soyez persuadés, que, si nous avions agi ainsi,<br />

« nos<br />

sœurs musulmanes» seraient devenues depuis longtemps « Nos véri<br />

tables sœurs». Il est certain que chez elles, comme chez nous, il<br />

faut distinguer plusieurs classes de la Société.<br />

Il faudrait n'avoir jamais voyagé ailleurs qu'en Algérie, pour croire<br />

que nulle part existent des femmes aussi primitives que nos femmes<br />

des douars. Dans notre douce France même, il ne faut pas aller bien<br />

loin pour en trouver. Nous n'avons qu'à gravir les sentiers sinueux<br />

de certaines de nos montagnes du Centre, des Alpes ou du Dau-<br />

phiné pour trouver des populations aux mœurs aussi arriérées que<br />

sur notre terre algérienne. Cependant, les renions-nous, comme étant<br />

des nôtres,<br />

ces femmes des plus simples accomplissant de durs la<br />

beurs? Les croyons-nous d'une .race<br />

inférieure,<br />

leur contestons-<br />

nous le droit d'être nos sœurs, filles de la même Patrie ?<br />

Eh bien ! Mmes, MM., voyons ensemble la femme indigène dans les<br />

milieux divers où elle vit.<br />

D'abord, songeons à ceci : où sont les exemples que nous lui donnons<br />

de notre intérêt pour elle ? Si vos idées ne sont pas préconçues et pré<br />

venues,<br />

vous avouerez avec moi que notre désir pour son bonheur<br />

n'est guère sensible.<br />

Vous me direz, peut-être, ce que j'ai déjà entendu dire,<br />

que pen<br />

dant la guerre elle touche des allocations tout comme la française qui<br />

en est pourvue. Je ne le conteste pas et cela n'est qu'un acte de justice.<br />

L'égalité devant le danger devait faire naître celle du traitement, et


72 A . TRAVERS L ALGERIE<br />

la femme indigène mérite une mention comme toutes celles de nous<br />

qui durent donner leurs enfants pour défendre la Patrie.<br />

Cependant ne la comparons pas à nous. Cela ne se peut pas. Nous,<br />

Françaises de race, nous avons donné nos maris, nos fils ; mais, nous<br />

pouvions nous dire que c'était, non seulement, notre honneur de le<br />

faire, plus encore, notre devoir. Et puis, le courrier nous apporte les<br />

lettres de nos aimés et de nos amis.<br />

Nos sœurs musulmanes, ces pauvres recluses,<br />

qu'ont-elles pour<br />

supporter cette dure séparation ? La plupart étant illettrées, elles<br />

n'ont même pas la joie de pouvoir correspondre avec leurs chers<br />

combattants, de lire et-de relire leurs lettres si attendues. Elles n'en<br />

ont que de rares nouvelles, par quelques lignes écrites de loin en<br />

loin par un tirailleur ou n'importe quel soldat sachant assembler<br />

des mots sans suite parfois et presque toujours incompréhensibles.<br />

Elles attendent cependant leur retour avec un stoïque courage et<br />

elles ne nous ont jamais incommodés de leurs jérémiades.<br />

Ces simples femmes, vêtues parfois de haillons sordides, possèdent<br />

un stoïcisme encore plus admirable que celui de la mère des Graç-<br />

ques. Pourquoi plus admirable ? Parce que Cornélie connaissait la<br />

cause de son sacrifice ; elles, l'ignorent.<br />

Nous avons omis complètement de la préparer à. un tel renonce<br />

ment. Elles ont un cœur comme le nôtre, la souffrance y a la même<br />

emprise. Qu'ont-elles fait pourtant ? Elles se sont résignées, puis<br />

sont devenues fières d'être, comme les Françaises, mères, sœurs,<br />

femmes ou filles des défenseurs de la Patrie ; car, maintenant, la<br />

véritable Patrie pour nos musulmans algériens, c'est la France, pour<br />

laquelle les leurs ont versé leur sang. Inclinons-nous devant les morts<br />

*<br />

héroïques de nos régiments indigènes.<br />

Il serait oiseux de vous faire connaître tout ce que je sais de ce que<br />

fut l'existence de la femme arabe pendant cette guerre du droit et de<br />

la civilisation ; plus tard, peut-être, je vous en ferai part.<br />

Ce n'est pas d'hier que date notre occupation française en Algérie :<br />

88 ans ont passé depuis la conquête ; plusieurs générations se sont<br />

succédées. Qu'avons-nous fait pour ce peuple ? Nous n'avons pensé<br />

qu'à sa vie matérielle. Pour sa vie intellectuelle, quelques écoles,<br />

parcimonieusement disséminées, ont fait pénétrer l'instruction fran<br />

çaise ; des garçons ont pu en profiter ; mais a-t-on sérieusement<br />

pensé aux filles ?<br />

Certains suggéreront peut-être : «Les indigènes sont absolument<br />

« réfractaires à l'instruction donnée à leurs filles.»<br />

Tel n'est pas leur sentiment absolu, puisque partout où sont ins-<br />

*


A TRAVERS L ALGÉRIE 73<br />

tallées des écoles de filles indigènes elles sont fréquentées assidûment.<br />

Parmi celles trop peu nombreuses qui existent, l'école d'Alger<br />

dirigée par Mlle Quetteville,<br />

celle de Bougie que Mlle Mel.notte a su<br />

créer, celles d'Oran et de Tlemcen sont un témoignage probant de ce<br />

que j'avance. Oui, la femme indigène éprouve et recherche la satis<br />

faction de l'instruction. Elle en comprend bien vite toute la valeur.<br />

En Kabylie,<br />

elle a parfaitement saisi que l'éducation donnée à<br />

l'homme a produit des résultats. Elle sait que c'est aux principes<br />

appris sur les bancs de l'école française, qu'elle doit d'être traitée<br />

tout aussi bien que notre paysanne, à, condition qu'elle soit bonne<br />

épouse et bonne mère.<br />

Les citadines, cloîtrées pour la plupart,<br />

ont un état d'âme très<br />

différent de celui que nous leur attribuons. Nous les croyons très<br />

attachées à leurs coutumes, à leur réclusion ; nous les oublions volon<br />

tiers parce que nous ne les voyons pas.<br />

Nous ne voyons que leurs pères, leurs maris, leurs fils, leurs frères<br />

circulant, vivant de notre vie,<br />

ce dont elles sont privées to alement.<br />

Ah ! certes, la femme des anciennes générations, qui avait été élevée<br />

dans des principes ^'asservissement complet,<br />

d'être une recluse, parfois une dédaignée.<br />

O vous, hommes musulmans,<br />

notre, liberté,<br />

ne se plaignait pas<br />

qui avez compris notre esprit et<br />

soyez les compagnons attentifs aux affections et aux<br />

sentiments qu'ont le cœur et l'intelligence de vos femmes, s'envolent<br />

à travers l'espace vers les horizons d'une communauté de sentimants.<br />

Celles à qui l'instruction a donné un aperçu sur une civilisation<br />

européenne, aspirent à être, comme nous, les confidentes de leurs<br />

maris. Je suis persuadée, du reste, qu'il y a des maris,<br />

qui ne sont re<br />

tenus que par la,crainte du qu'en dira-t-on et la tradition que veulent<br />

maintenir les vieux parents.<br />

Parmi ces femmes, il s'en trouve qui possèdent une grande influence<br />

sur leurs maris et leurs frères. Nous ne parlons pas du père que le<br />

grand respect des descendants empêche de mettre en cause.<br />

—<br />

Si leur intelligence était cultivée par une instruction bien comprise<br />

—<br />

point ne serait besoin de les préparer à affronter des examens,<br />

nous sommes.certains<br />

que, sorties de leur ignorance,<br />

pour nous des auxiliaires précieux. .<br />

elles seraient<br />

A ce sujet, voulez-vous me permettre, Mmes, MM., une petite cita<br />

tion en passant : Montet, professeur à l'Université de Genève, n'a-t-il<br />

pas fait connaître que,<br />

chez les Bedja entre le Nil bleu et le plateau<br />

Abyssin, la supériorité intellectuelle appartient à la femme ? C'est


74 A TRAVERS<br />

L'<br />

ALGÉRIE.<br />

elle que les propagandistes musulmans ont instruite de préférence.<br />

Et les Senoussia n'ont-ils pas fait de même pour les négresses de<br />

Toubou ?...<br />

,<br />

:.j<br />

Ne vous souvient-il pas qu'en 1905, au XIVe congrès international<br />

des orientalistes qui se tint à Alger,<br />

un célèbre congressiste mu<br />

sulman Cheikh Mohammed Soltan parla de la femme indigène ? Et,<br />

dans un langage châtié, clair et concis,<br />

et dans le plus pur arabe<br />

il exposa ses droits, ses devoirs avec des versets du Coran et des Ha-<br />

dits à i'appui de ses arguments. Il mit en comparaison la femme igno<br />

rante et la femme instruite, et cela tout à la louange de cette dernière.<br />

Aïcha et Hafça savaient lire et écrire, dit-il,<br />

et récitaient par cœur<br />

les poésies alitéislamiques. Il cita l'Egypte qui a créé un grand nombre<br />

d'écoles pour les filles, dont une normale ; toutes ont réussi parfai<br />

tement. Dès 1904, le nombre des filles fréquentant . les différents<br />

établissements du Gouvernement atteignait 25.632. Il termina sa<br />

communication par la lecture d'un sujet de rédaction traité par une<br />

jeune musulmane. Le style de celle-ci pourrait servir de modèle à<br />

plusieurs Tolbas d'Algérie. Le sujet de composition était celui-ci-<br />

« de l'instruction de la jeune fille. »<br />

En Algérie, les préjugés peuvent être surmontés, puisque les musulr<br />

mans de la génération actuelle envoient leurs filles dans, les écoles, là<br />

où il s'en trouve. Des écoles professionnelles seraient pleines d'attrait<br />

pour elles ; et, tout en acquerrant une instruction primaire, elles s'y<br />

adonneraient aux ouvrages manuels à leur goût. De telles améliora-;<br />

tions dans la vie de la femme indigène contribueraient à mieux<br />

rapprocher de nous ce peuple, qui ne demande qu'à être bien dirigé^<br />

Là, il y a un mais... ou un si. Certain préjugé, et non des moindres,;<br />

existe de notre côté. C'est une réflexion que me firent, lorsque je les<br />

vis pour la première fois, des jeunes femmes à l'esprit agréablement<br />

ouvert et cultivé. Permettez-moi de vous en faire part : dissertant<br />

sur la différence d'existence de la femme européenne et de la musul<br />

mane, elles me dirent ceci : « Il est vrai, que nos coutumes nous re<br />

tiennent dans nos logis, mais celles de nous que leurs maris laisse<br />

raient libres de sortir en compagnie d'européennes, comment se<br />

raient-elles vues et comment jugerait-on ces dernières ? » Très mal,<br />

ajoutèrent-elles.<br />

Je ne pus que leur donner raison en faisant un, geste évasivement<br />

approbatif. Si nous étions sorties ensemble, elles avec leur costume<br />

oriental, moi avec le mien, nous aurions été le point de mire de tous<br />

les passants. européens et notre réputation eût reçu de grosses écla-<br />

boussures. Pourquoi cette anomalie, alors que nous trouvons très<br />

'


A TRAVERS<br />

L'<br />

ALGÉRIE 75<br />

normal des relations, des promenades avec des étrangères ! Prenons-<br />

nous en à nous-mêmes si ce préjugé qui nous sépare existe encore.<br />

J'ai, parmi celles dont j'ai acquis la douce amitié, des Ourida, des<br />

Meryem, des Ounissa, dont l'intelligence très développée par l'ins<br />

truction n'est que le complément d'une finesse naturelle de sentiment.<br />

On les a souvent comparées à un bel oiseau en cage, aimant à<br />

parader dans son beau plumage, et dont elles posséderaient le babil<br />

et la légèreté.<br />

Eh bien ! Vous ne trouveriez point ce genre parmi ces femmes qui<br />

savent me recevoir, converser avec moi,<br />

salons.<br />

aussi bien que dans nos<br />

Très observatrices elles causent pour causer et non pour ne rien<br />

dire. Chez la femme indigène la conversation a un but: celui de s'ins<br />

truire, elle est fort curieuse de tout ce qu'on peut lui apprendre. Puis,<br />

avec celles qui ont reçu quelque instruction, il vous est loisible de<br />

traiter des sujets d'un ordre plus élevé.<br />

Ce sont elles qui m'apprirent que dans une des clauses du traité<br />

du 5 juillet 1830, entre Hussein et la France, se trouve la promesse<br />

du Gouvernement français, de respecter intégralement le domicile<br />

privé du musulman et elles ajoutèrent que toujours est vengé l'hon<br />

neur de la femme outragée.<br />

Les fils Mokrani vengèrent celui de leur mère qui avait été victime<br />

de violences d'un turc de la Mecque nommé Bakir, occupant une<br />

haute fonction. Il y eut des guerres pour défendre l'honneur d'une<br />

femme.<br />

L'intérieur musulman, le gynécée, est,interdit à tout homme étran<br />

ger à la famille. Il ne s'ouvre même que devant peu de femmes euro<br />

péennes ; seules celles, qui acquièrent la confiance des musulmans,<br />

peuvent pénétrer. y #<br />

Je suis heureuse d'être parmi celles que l'on accueille et que l'on<br />

a accueillies à bien des foyers depuis le plus modeste des gourbis des<br />

fellahs,<br />

jusqu'aux tentes<br />

aux villas encloses,<br />

ment les jasmins et les roses?<br />

somptueuses1<br />

de nos grands chefs du sud,<br />

au milieu des jardins, où foisonnent et embau<br />

L'an dernier je vous ai conduit dans les pauvres gourbis des<br />

habitantes des Béni Kouffi; voulez-vous, Mmes, MM.,<br />

venir encore<br />

avec moi faire une petite visite et cette fois-ci chez plusieurs de mes<br />

gentilles amies favorisées par la fortune. Nous n'avons que l'embarras<br />

du choix. Prenons un de ces intérieurs au hasard.<br />

Je me rencontrais avec le maître d'une de ces demeures et, comme


76 A TRAVERS<br />

L'<br />

ALGÉRIE<br />

l'exige la politesse musulmane, je le prévins de mon intention d'aller<br />

rendre visite à sa famille qu'il avertit et nous pûmes prendre jour à<br />

la convenance de chacun.<br />

Je pénétrai dans une luxueuse demeure. Une charmante fillette<br />

vint toute souriante me recevoir sur le palier de la grande grille en<br />

fer ouvragé. Sa frimousse éveillée me plut de suite et je l'embrassai<br />

avec élan.<br />

Elle rougit de plaisir,<br />

puis me guida parmi les méandres d'un jardin<br />

bien ombragé. J'oubliais dans sa fraîcheur ambiante,<br />

de quitter la route poudreuse surchauffée par le soleil d'été.<br />

que je venais<br />

Etais-je parmi les enchantements de Scherazzade ? Je me- trou<br />

vai bientôt dans le vestibule d'un intérieur mauresque du plus<br />

pittoresque effet. Dans la cour -intérieure, si souvent décrite, avec<br />

ses colonnettes de marbre, ses mosaïques,<br />

où le jet d'eau maintient<br />

une douce température, de belles et aimables jeunes femmes escortées<br />

de jeunes filles ravissantes se trouvèrent bientôt à mes côtés. Elles<br />

me reçurent avec toutes les marques d'une déférente hospitalité.<br />

Elles étaient vêtues des costumes orientaux si bien assortis au décor,<br />

et leurs beautés différentes, leurs visages que la nature seule avait :<br />

parés, s'y détachaient agréablement.<br />

Point de fards, ni d'artifices ; le Kohol seul soulignait la profondeur<br />

du regard des yeux bleus ou couleur de noisette. L'éclat de leur teint<br />

était naturel comme naturelle était la blancheur de leur peau.<br />

Leur politesse avait la mignardise de gestes de nos grand'mères<br />

dans le confort des appartements. Ceux-ci ne le cèdent en rien aux<br />

nôtres et, si certains salons sont de style d'orient pur, d'autres peu<br />

vent rivaliser avec ceux de ,noschâteaux ; il n'y manque que les<br />

portraits des Aïeux.<br />

Une table bien dressée supportait<br />

plusieurs'<br />

assiettées de friandises \<br />

pour prendre toutes ensemble une collation ; Rorieb, makrout, pâtes<br />

dé fruits,<br />

gelées transparentes voisinaient avec des gâteaux de fabri*4<br />

cation française. Ces civilisées, comme dans les gourbis des Béni ;<br />

Kouffi, sont heureuses de vous voir accepter ce qu'elles peuvent vous<br />

offrir. Ne refusez jamais la tasse de café parfumé qu'elles vous ser<br />

vent. Les jeunes filles accomplissent ce rôle tout aussi gracieusement<br />

que les nôtres ; c'est le complément de la bienvenue qu'elles vous<br />

souhaitent dés qu'elles vous abordent.<br />

Je savourais ce nectar aux sons d'airs de musique française et de<br />

Yafil, joués avec talent sur un... piano. La musicienne aux longues<br />

tresses de cheveux blondis chantait les mélopées captivantes et<br />

sen'<br />

imentales de Yasmina, entremêlées de quelques mélodies à la


A TRAVERS L ALGERIE 77<br />

node. C'est dans ces réunions de femmes seules, que j'ai puisé un ensei<br />

gnement : celui du respect des parents poussé à la plus grande défé<br />

rence. U faut voir la soumission de toutes ces femmes de la même<br />

'amille aux avis de l'aïeule ; c'est elle, la véritable maîtresse de maison.<br />

Quelle sérénité j'ai constatée chez certaines de ces vieilles femmes !<br />

Quelle douce gaité, devrais-je dire ! Elles sont parfois les boute en<br />

train. Ce sont elles qui racontent,<br />

aux oreilles avides des auditrices<br />

cloîtrées, les légendes de l'ancien temps et les histoires de bonnes<br />

fées d'où les Djenouns ne sont pas exclus. Le respect pour la mère<br />

équivaut pour elles à celui qui est si grand pour le père, dans toutes<br />

les classes de la société.<br />

Mais aussi, qu'il est grand cet amour maternel pour les petits êtres<br />

que ma présence intriguait ! Plusieurs bambins et fillettes de tous<br />

âges se taquinaient à qui mieux mieux. Les parentes supportaient leur<br />

turbulence sans en éprouver le moindre agacement, la nursery est<br />

inconnue. Une jeune mère amusait son baby avec tant de patience,<br />

en se soumettant à tous ses caprices, que mon attention fut attirée<br />

vers le divan où tous deux s'amusaient. L'orgueil, l'affection,<br />

étaient si manifestement visibles sur le visage de cette maman,<br />

qui délaissait notre conversation pour n'être qu'à son enfant,<br />

qu'elle forçait mon admiration.<br />

La maternité est un fleuron de plus pour la femme ;<br />

elle sait qu'elle<br />

est enviée par celles qui se considèrent comme étant les plus mal<br />

heureuses à cause de leur infécondité. Quelle fierté luit dans leurs<br />

yeux lorsqu'elles peuvent répondre à la demande du nombre de leurs<br />

enfants en vous en nommant plusieurs ! Il n'est nullement besoin de<br />

faire des ligues ou dés conférences pour les engager à augmenter le<br />

nombre des naissances. Dès l'enfance, on leur a inculqué ce principe :<br />

les femmes musulmanes, civilisées ou non, doivent considérer la<br />

maternité comme leur raison d'être,<br />

et naturellement le mariage<br />

est, pour elles, un véritable devoir. L'on ne connaît pas parmi elles<br />

la vie triste de la femme asseulée, avide de tendresse, qui ne peut don<br />

ner ses soins qu'à des enfants étrangers. La catégorie des vieilles<br />

filles n'existe pas.<br />

Réellement, chaque fois, que je me sépare de ces femmes, c'est<br />

avec le désir toujours plus vif de les connaître davantage,<br />

apprécier encore plus.<br />

Le dicton: «Ce que femme veut,<br />

faveur. Certaines savent prendre un grand<br />

ménage,<br />

pour les<br />

mari le veut» est là auss. en<br />

ascendant soit dans leur<br />

soit dans l'exploitation de leurs fermes et parfois même dans<br />

l'administration d'un douar ou d'une tribu. Qui ne connaît Lella


78<br />

A TRAVERS L ALGERIE<br />

Fatma, la maraboute des Tagmout, Khédidja la riche veuve, qui<br />

avec sa tendresse et son esprit éclairé guida de ses conseils le prophète<br />

dont elle fut toujours la préférée et la seule vraiment aimée.<br />

Et Lella Zohra, mère d'Abd el Kader,<br />

qui l'aima avec déférence.<br />

Ce chef suivit souvent ses conseils. En 1845, après Sidi Brahim, cette<br />

femme fit mettre les prisonniers français, 24 je crois, dans la tente<br />

de l'émir afin de les soustraire aux avanies des fidèles de ce chef.<br />

Elle les fit se reposer, se rafraîchir, les servit elle-même,<br />

femmes de la famille,<br />

aidée de<br />

toutes sans voile sur le visage. Lella Zohra leur<br />

fit dire : « Les prisonniers, ne sont plus ni ennemis, ni étrangers, ce<br />

« sont des esclaves qui font partie de la famille dumaître. «Elle savait,<br />

qu'en parlant ainsi,<br />

elle assurait à nos compatriotes lé respect et<br />

les bons traitements. Puis, ce fut aussi Lella Zohra, qui décida l'émir<br />

à se confier à notre loyauté. Ce conseil, il le suivit au mois de sep<br />

tembre 1847.<br />

C'est encore sa vieille mère qu'il fit appeler, lorsque le 16 octobre<br />

1852, au château d'Amboise, Louis Napoléon lui notifia le décret<br />

lui donnant la liberté et 100.000 francs de rente, viagère. Ce fut à<br />

elle,<br />

qu'il demanda de bénir son libérateur.<br />

Nous pourrions en citer toute une pléiade, non pas seulement parmi<br />

les compagnes des grands chefs,<br />

mais encore dans les classes moyen<br />

nes et laborieuses. Des femmes de cultivateur font actuellement<br />

marcher d'une manière très entendue des exploitations agricoles.<br />

Celles d'un rang plus élevé font de même.<br />

Je vis, dans le Sersou, la mère d'un caïd qui dirigeait très aisément<br />

son ménage mais encore s'occupait de tous les mille détails d'une fer<br />

me importante attenant à son habitation.<br />

Et lorsque, du balcon de mon appartement, je dominais la cour<br />

des bureaux du bordj administratif, il m'est<br />

miner les femmes<br />

s'<br />

alignant en paquets de linge,<br />

souvent"<br />

arrivé d'exa<br />

assises à la turque.<br />

Mises à l'écart dans un endroit retiré, elles se cachaient à la curio<br />

sité des hommes venant à la chekaïa, porter leurs doléances et leurs<br />

réclamations. Nous avons toujours vu les femmes sachant fort bien<br />

exposer ce qu'elles désiraien. obtenir de l'autorité ; elles expliquaient<br />

parfaitement les motifs de leurs plaintes.<br />

Ces femmes;'<br />

qui ignorent qu'il existe un code réglementant leurs<br />

droits, les discutaient cependant avec justesse. Les jeunes se faj<<br />

saient accompagner de leur mari ou d'un parent. Celles, d'un cer<br />

tain âge, venaient seules se défendre et traiter sans avocat ce qui<br />

les intéressait. Je vous avoue que plus d'une fois, dans mon for in-


A TRAVERS<br />

l'<br />

ALGÉRIE 79<br />

térieur, je me suis dit que je serais incapable de soutenir aussi bien<br />

qu'elles mes intérêts.<br />

Parfois, des vieilles plus cassées que la Bertrade des contes bretons,<br />

ridées tout autant que de vieilles pommes reinettes, se désarticulaient,<br />

s'<br />

aidant pour se défendre avec plus d'ardeur et de persuasion du<br />

geste et de la voix. Vraiment, lorsque des femmes ignorantes savent<br />

se défendre ainsi, elles ont certainement le sentiment inné de ce que<br />

doit être la justice.<br />

J'ai assisté à des explosions de reconna ssance, lorsque leurs droits<br />

étaient reconnus. Là encore, j'ai cherché vainement leur infériorité.<br />

Nous nous sommes trop souvent complus dans l'idée d'une femme<br />

sans volonté,<br />

annihilée par l'autoritarisme du mari. L'on a fait une<br />

règle de ce que l'on voit parfois chez le fellah inculte ; bien souvent<br />

des on-dit suffisent à former une idée erronée lorsqu'on n'approfondit<br />

pas la mentalité de la population musulmane plus civilisée.<br />

Nous avons cru bien des fois la femme musulmane en butte aux<br />

mauvais traitements, ne connaissant pas la douceur des égards, du<br />

respect, de l'affection. Encore là, soyons circonspects.<br />

Que dirions-nous, si un étranger, voyant quelques-uns de nos mé<br />

nages désunis où il n'existe presque plus d'égards entre les époux,<br />

se formait une opinion générale de nos familles d'après les cas isolés<br />

que l'on peut observer chez tous les peuples,<br />

« Les Français sont des rustres,<br />

souffre douleur. » Vous en seriez indignés,<br />

épaules pour une telle sornette.<br />

pour dire ensuite:<br />

et la femme chez eux n'est qu'un<br />

J'ai vu, chez les musulmanes, des femmes heureuses,<br />

leur mari, tout comme il en existe aussi parmi nous.<br />

Puis,<br />

ou vous hausseriez les<br />

choyées par<br />

n'avez-vous pas entendu dire que l'indigène n'est heureux<br />

père, que lorsqu'il lui naît des garçons. Sans encore faire une générali<br />

nous-<br />

té de cette préférence, ne pouvons-nous pas aussi l'appliquer à<br />

mêmes ? Lorsque j'habitais le bled, j'ai vu autour de mol des affec<br />

tions paternelles très vives pour des fillettes, qui étaient aimées par<br />

leurs parents tout autant que l'étaient les fils. « Le Retour du Tirail<br />

leur» sujet d'un des plus récents tableaux de Dïnet,<br />

peintre du sud,<br />

notre grand<br />

nous montre qu'il voit l'indigène sous le même jour<br />

que moi. Cette année, sous le ciel de Bou-Saâda, il a créé une œuvre<br />

digne de notre attention. L'artiste a représenté le tirailleur en per<br />

mission, à son retour au foyer. Un garçonnet s'est juché sur un de ses<br />

bras ; de l'autre, il donne la main à une petite fille qui semble aussi<br />

chère à son cœur que peut l'être son héritier.<br />

Du même peintre il existe un autre tableau représentant un grand-


80 A TRAVERS L ALGERIE<br />

père arabe qui tient un de ses petits-fils assis sur son bras. De sa main<br />

il enlace le corps de l'enfant et une fillette lui passe affectueusement<br />

ses deux bras autour du cou. Elle est posée sur son autre bras et<br />

elle appuie câlinement sa joue contre la joue<br />

parcheminée de son<br />

aïeul. L'expression du regard de celui-ci est empreinte de la fierté<br />

de la possession de ces deux trésors.<br />

Le vieillard semble très heureux par ces deux enfants qu'il aime<br />

pareillement. Dinet a symbolisé ce tableau,<br />

dans son bel ouvrage<br />

de la vie arabe, par cette comparaison : « Les deux enfants sont<br />

suspendus comme deux anneaux d'or de chaque côté de son cœur. »<br />

Ce peintre, dont personne ne peut contester la connaissance ap<br />

profondie et vécue du caractère musulman,<br />

est convaincu que pour<br />

la femme et pour la fillette, l'indigène peut avoir une grande affec- .<br />

tion. C'est, avec ce sentiment,<br />

pour la postérité.<br />

qu'il en a jeté sur la toile la preuve<br />

Il est donc avéré que la femme, qu'elle soit arabe ou Kabyle, a<br />

une intelligence qui ne demande qu'à s'éveiller.<br />

J'ai le souvenir qu'au village de Vialar, je me suis trouvée, un jour,<br />

avec la femme d'un de nos grands chefs du sud, l'Agha Moula Hodla<br />

Moula. Il me la présenta splendidement parée,<br />

mais une grande<br />

difficulté surgissait. Comment allions-nous pouvoir converser ?<br />

Elle ne connaissait pas le moindre mot de français et j'étais<br />

presque aussi forte en langue arabe. Quant à Moula, il était encore<br />

moins capable de nous servir d'interprète.<br />

Je l'engageai à aller rejoindre son hakem, mon mari,<br />

de ne revenir que dans un moment.<br />

en lui disant<br />

C'est ce qu'il fit. Dégagées de la présence de ce tiers qui nous •<br />

intimidait, le résultat fut que, lorsqu'il revînt, il nous trouva toutes<br />

les deux causant avec animation.<br />

J'avais raconté à Aïcha certaines particuliarités de ma vie eu<br />

ropéenne ;<br />

elle m'avait dévoilé la sienne. Nous nous étions fort bien<br />

comprises, le mari en était stupéfait. Il nous contemplait curieuse<br />

ment d'un regard de ses yeux noirs filtrant au travers de ses paupières<br />

à demi fermées,<br />

qu'il plissait de contentement.<br />

U se demandait par quel sortilège nous avions pu causer et rire<br />

ainsi ensemble Je ne suis pas certaine qu'il ne pensa pas qu'un<br />

Djinn était intervenu, mais, certainement, c'était quelque chose :<br />

d'approchant.<br />

Croyez-vous, Mmes, MM., que cette femme, dénuée de toute instruc<br />

tion, de toute civilisation européenne, n'était qu'un être inférieur ?<br />

Non, n'est-ce pas, son intelligence valait la nôtre, sinon la dépassait. .


A TRAVERS<br />

L'<br />

ALGÉRIE 81<br />

Cette fenrme, bien que l'épouse d'un grand chef, n'avait pas pu<br />

acquérir plus de notions d'éducation que les femmes des Sidi Hadje-<br />

rès, lesquelles, leurs enfants ficelés solidement sur leur dos, étaient<br />

accroupies sur les tas de galets de la route,<br />

ehambre.<br />

passant en face de notre<br />

Elles cassaient les cailloux avec plus d'entrain que nos cantonniers.<br />

Ces nomades, sous le soleil brûlant,<br />

se tiennent assises à cheval sur les<br />

pierres qu'elles transforment en cailloux avec leur petit marteau,<br />

sous les coups duquel jaillissent mille étincelles de feu. Pauvres êtres,<br />

que nous regardons avec tant de compassion. Elles font le même mé<br />

tier que les hommes de la tribu. Elles ne veulent pas être plaintes ;<br />

elles ne sont là, que par la volonté d'Allah, le juste, Je miséricordieux.<br />

Une pensée surgit en mon esprit et elle vous paraîtra peut-être<br />

paradoxale. En vérité ces femmes ne sont-elles pas plus féministes<br />

que nous ? Depuis la guerre,<br />

n'avons-nous pas vu nos compatriotes<br />

se mettre résolument à remplir des emplois, à exécuter des travaux,<br />

qui jusqu'alors n'étaient dévolus qu'aux hommes ?<br />

Nos ouvrières admirables ne furent-elles pas exposées au grand<br />

soleil de feu de nos usines de munitions ? Partout, chez tous les<br />

peuples, la femme n'est plus un être d'inertie,, sa volonté a triomphé<br />

de sa faiblesse et soyez certains que ce que nous avons pu faire « nos<br />

sœurs musulmanes » le peuvent aussi.<br />

sud,<br />

Vous avez certainement remarqué la simplicité de ces femmes du<br />

brûlant,<br />

circulant sur les vastes plaines des pays asséchés par le vent<br />

allant au bord de l'oued ou vers les rares points d'eau.<br />

Quelle illusion ne vous donné pas de l'antique vie, que cette vie<br />

nomade toujours renouvelée, mais jamais changée ! La vulgaire peau<br />

de bouc gonflée d eau peut seule faire regretter la gracieuse amphore.<br />

Sur le seuil de la tente en poils de chameau, logis des peuples<br />

pasteurs, des enfants complètement nus, petits bronzes dont une<br />

houppette de cheveux au sommet du crâne est le seul vêtement,<br />

entourent les femmes qui procèdent à tous les soins ménagers, mon<br />

tant et démontant la tente en changeant de camp.<br />

La vue des caravanes est leur seule distraction. «Le vaisseau du<br />

désert », nommé ainsi par le Prophète, tangue et roule sur l'océan de<br />

sable mouvant. Les dromadaires vont de leur pas lourd pour dis<br />

paraître ensuite dans les étendues qui semblent sans fin entraînés<br />

vers les décevants mirages d'oasis verdoyantes.<br />

U me fut donné de les voir,<br />

duits par un chamelier &ù long bâton.<br />

>■<br />

perchées sur le dos des chameaux con


82 A Travers<br />

l'<br />

Algérie<br />

Elles se cachent à tous les regards dans le bassour aux garnitures<br />

de grands pompons de laines multicolores.<br />

Je voulus, moi aussi,<br />

expérimenter les sensations de me sentir<br />

perchée et de me laisser bercer par le tangage du pas de la monture»;<br />

nous réservait la surprise d'un simulacre d'at<br />

L'Agha des Larbâa,<br />

taque,<br />

les femmes de l'Agha,<br />

pour la prise d'une caravane. Je fus habillée à l'orientale par<br />

lamées d'argent et d'or, de gazes pailletées,<br />

qui me mirent différentes robes de brocart<br />

—<br />

rehaussées de bijoux<br />

sans nombre. Elles m'allongèrent les yeux des raies noires d'anti<br />

moine et me placèrent sur la tête le diadème d'or que surmontait<br />

une minuscule plume d'autruche.<br />

Je m'enfouis sous le bassour, dans les tapis placés en forme d'im-<br />

mense.nid. Je représentais, cachée ainsi, la proie convoitée ; autour de<br />

presqu'<br />

entre<br />

moi, les coups de fusil crépitaient, tirés à bout portant<br />

les jambes de l'animal qui s'effrayait, mais était fermement tenu par<br />

son cornac.<br />

Les combattants étaient des acteurs parfaits ; et la victoire resta<br />

à mes défenseurs. Je rêvais à ce peuple auquel certains dénient les<br />

vertus de la chevalerie et qui est pourtant un peuple très chevaleres-,<br />

que: pour défendre la femme, il n'est pas d'acte de courage qu'il<br />

n'accomplisse.<br />

Ce jour- là, les yeux songeurs noircis de kohol, des femmes des<br />

grandes plaines du sud eurent la vision que la femme européenne,<br />

sachant goûter et apprécier leur vie, n'était pas si éloignée d'elles<br />

qu'elles le croyaient. Rien ne les émeut plus que de nous voir agir<br />

comme elles. En stimulant ce sentiment, il est probable qu'elles<br />

auraient pour ambition de nous rendre la pareille,<br />

capables de nous égaler.<br />

en se montrant<br />

Avec elles, je confondis mes regards terrifiés vers le sud, vers l'im<br />

mensité. Quel était ce nuage noir, qui apparaissait dans l'espace<br />

venant vers nous, s'étendant rapidement ? Djerad, djerad,<br />

criès<br />

me ;<br />

fent les femmes, malédiction pour les récoltes aux longs brins.<br />

Les gros épis bien gonflés et jaunissants se courbaient sous un<br />

souffle dévastateur. Des nuées de sauterelles tourbillonnaient en<br />

crissant dans les nues, puis s'abattirent dans un beau champ de<br />

blé mûr.<br />

De toute cette récolte que les femmes avaient sarclée avec soin,<br />

qu'allait-il rester après le passage dû fléau ? Des brins déchiquetés?<br />

quelques lamelles de paille dédaignées. Sur la terre nue, seuls, les<br />

cadavres bruns et jaunes des acridiens que les indigènes parvien<br />

dront à écraser resteront en témoignage de leur passage.


A TRAVERS<br />

L'<br />

ALGÉRIE 83<br />

La 8e plaie d'Egypte s'étendait dans le pays. Les femmes, atter-<br />

s par la disparition du grain, qu'elles comptaient transformer en<br />

a couscous, étaient toutes hors de leurs guitounes.<br />

Prenant les gamelles et les bidons de fer en leur possession, aidées<br />

s enfants,<br />

elles firent s'élever vers le ciel des clameurs en un bruit<br />

iourdissant, amplifié d'une charge de tambour inédite. Rien<br />

sffraie cette gent ailée. Ces femmes, que l'on nous représente comme<br />

s fatalistes, des impassibles sous les coups du sort et de l'adversité,<br />

saient peine à voir. Tant de journées de labeur détruites, de fatigues<br />

itiles, de travail fait en vain ! Il a suffi, pour tout détruire, de la<br />

nue de ce fléau qu'est cet insecte du diable.<br />

Oui, c'est l'insecte de Satan. Voulez-vous Mmes, MM., en connaître<br />

rigine ? Je vais m'écarter un peu de mon sujet, mais je ne puis<br />

aster au désir de vous en conter la légende originale telle que me<br />

narrèrent les femmes.<br />

Légende de la sauterelle<br />

« D'après une histoire merveilleuse, le Père Eternel venait d'ache<br />

—-<br />

ter son œuvre. Satan vint, il regarda dédaigneusement notre<br />

aière Eve. Haussant les épaules,<br />

Créateur accepta lé défi. —<br />

Soit,<br />

il déclara qu'il ferait mieux. Le<br />

fit-il, je te donne le pouvoir d'ani<br />

mer du souffle de vie l'être que tu auras créé ; parcours l'univers<br />

ît reviens dans un siècle.<br />

« Satan se mit sans tarder à la tâche, pour fabriquer cette perfec<br />

tion.<br />

« Il prit la tête du cheval, les yeux de l'éléphant; les cornes de<br />

l'antilope, le cou du taureau, la poitrine du lion...<br />

« — Que<br />

me manque-t-il encore ? se demanda Satan.<br />

« U chercha par le monde.<br />

« Rencontrant le chameau, il prit ses assises solides ; à l'autruche<br />

il enleva ses jambes délicates, au scorpion son ventre.<br />

« — Ma créature, reprit-il,<br />

terre ? Non, je veux qu'elle ait des ailes.<br />

sera-t-elle condamnée à se traîner à<br />

« Pendant longtemps, au fond des enfers, il déploya toute sa<br />

science pour réunir ces tronçons d'animaux. Les uns étaient trop<br />

s;ros, les autres trop petits.<br />

« U lima, scia, retrancha,<br />

lui restait plus qu'un petit animal.<br />

« — Eh<br />

bien ? lui dit le Créateur.<br />

ajouta si bien qu'au bout du siècle il ne<br />

« — Voilà ce que mon art a créé, répondit le maudit.


84 A TRAVERS<br />

« — C'est<br />

L'<br />

ALGÉRIE<br />

donc là l'œuvre de ton génie ! Eh bien, qu'en témoi-<br />

« gnage de ton impuissance, cet animal pullule sur la terre. »<br />

Telle est la poétique origine des sauterelles qui résument en rac<br />

courci bien des monstres ; c'étaient elles qui jetaient le désespoir^<br />

dans la population féminine du douar.<br />

Revenons à notre sujet. Prenons la femme indigène dans un autre<br />

monde,.le demi monde.<br />

Qui de vous n'a vu évoluer les femmes de la tribu des Oulad Naïls<br />

ou du Djebel Amour (nom prédestiné) et d'autres tribus semblables'!<br />

Ces femmes avant la guerre, nous ne dédaignions pas,<br />

en touristes<br />

consciencieux, d'aller les visiter comme des curiosités dans leurs<br />

Ksours.<br />

A Boghari, nous fîmes ainsi, et nous circulâmes dans le Ksar.<br />

Je me souviens de celle chez laquelle on pénétrait en passaritsous<br />

la main de Fatma qui se détachait en brun sur la porte d'entrée,<br />

placée là en protection de la folle du logis.<br />

Elle vous recevait dans sa chambrette blanchie à la chaux bleutée,;<br />

tout auprès d'un lit monumental,<br />

clos par des rideaux de cretonne<br />

peinte. Elle était parée comme une idole hindoue. C'était une beautjl<br />

réputée de l'endroit. Ne croyez pas qu'il leur faille, pour cela, un<br />

profil grec et des traits réguliers !<br />

Celle qui battait le record, à l'époque, ressemblait plus à un singe<br />

des Béni Kouffi qu'à une tête de camée. Elle était rutilante de bijoux<br />

et de longs colliers lourds de pièces monnayées qui la recouvraient<br />

entièrement et formaient une chasuble d'or mouvante, Sa tête brunie<br />

se perdait sous le haut bourrelet de soie noire aux franges<br />

surhaussé par le diadème d'or ajouré, pavé de brillants.— Puis,<br />

nous en vîmes une seconde, délicieusement jolie, dans une grandel<br />

salle de café maure, pendant que nous dégustions une tasse d'exceïî<br />

lent moka pilé : elle, s'avançait au milieu des vapeurs des narghilés<br />

et des modestes cigarettes, se livrant avec toute la grâce d'uûe sta<br />

tuette antique, s'enivrant à la danse sacrée de la tribu. '<br />

Lorsqu'elle vint, je fermai à demi les yeux, ne voyant plus qu'elle,<br />

s'avançant,<br />

se reculant d'un pas mesuré et lent avec des gestes gra<br />

cieusement expressifs ; ses mains fines se tendant vers le ciel,<br />

doigts fuselés s'agitant semblables à des papillons voulant prendf§<br />

leur essor, glissant légère sur le parquet, bondissant, puis venant<br />

se prosterner devant nous, attendant la piécett» d'argent que nôi"<br />

collions sur son front moîte.<br />

Eh bien, que firent certaines de ces femmes lorsque la Frani<br />

réclama de l'or ? Plusieurs se défirent de leurs bijoux, les écïm<br />

ses*


A TRAVERS L ALGÉRIE 85<br />

géant contre de vulgaires billets de banque. Cela dut être pour elles<br />

un véritable sacrifice puisque, selon leurs usages, c'était leur dot<br />

qu'elles échangeaient ainsi. Celles-là, malgré la bassesse de leur vie,<br />

.n'ont-elles<br />

pas eu un sentiment délicat qui peut les relever un peu à<br />

nos yeux ?<br />

Si je vous ai cité cet exemple, c'est pour que vous jugiez que grande<br />

dame arabe, femme de fellah ou prostituée ont aussi un cœur qui bat<br />

pour les nobles sentiments.<br />

Maintenant, Mmes, MM., comment me défendrais-je de donner une<br />

conclusion à tant de propos décousus, qui pourtant procèdent tous<br />

d'un désir de ne pas voir méconnaître la femme indigène ?<br />

Un fait va m'y aider. Je l'ai puisé dans une revue.<br />

—- En mars ou avril 1894, vous voyez qUe ce n'est pas d'aujourd'hui,<br />

le sultan de Turquie promulgua un irâdé en vertu duquel les femmes<br />

médecins pouvaient pratiquer en Turquie,<br />

diplômé.<br />

sur la présentation d'un<br />

Cette nouvelle avait une importance que nous n'aurions pas dû<br />

dédaigner,<br />

car la mesuré était accueillie avec une grande satisfac<br />

tion. Gomme je l'ai déjà dit, le musulman ne laisse jamais pénétrer<br />

dans son harem tout individu du sexe masculin. C'est pour cela que<br />

la femme musulmane évite de faire venir un médecin et que, les<br />

magiciennes, les sorcières, tout au plus des sages-femmes, y sont ap<br />

pelées. L'iradé du sultan changea cet état de choses ; des doctoresses<br />

prirent peu à peu la place.<br />

Les Orientaux vénèrent le médecin,<br />

et spécialement en Turquie<br />

tous les docteurs qui y ont exercé ont acquis de l'influence. La plu<br />

part des médecins des sultans furent des Européens.<br />

Les médecins allemands étaient parvenus à se créer une situation<br />

importante à Constantinople.<br />

Ceci posé, les doctoresses ne pouvaient qu'y être les bienvenues.<br />

Les Allemandes, les Autrichiennes, les Italiennes,<br />

pas de s'expatrier et d'acquérir, sur leurs clientes,<br />

ne craignirent<br />

un grand empire<br />

qui s'étendit aux maris de celles-ci. Si nous,avions eu beaucoup de<br />

Françaises,<br />

c'eût été l'influence française qui eût toujours prévalu.<br />

Puis, n'est-ce pas M. Clemenceau qui dans ses notes de voyage en<br />

1911 a dit : « En attendant que les femmes aient le droit d être sa<br />

chantes avec la permission des risquons-nous<br />

académies, à proclamer<br />

«le pouvoir de l'intelligence,<br />

« féminin. »<br />

même quand il se double du charme<br />

f Les Algériennes, qu'elles appartiennent à une race ou une autre<br />

'


86 *A TRAVERS L ALGERIE<br />

possèdent l'intelligence et le charme. Faisons donc comme notn<br />

grand Français qui représente le mieux notre esprit et proclamons<br />

que l'influence des Zohra, des Meryem, des Lella Fatma existe tou<br />

jours.<br />

Je vous ai rapporté fidèlement certaines idées que mes relation!<br />

m'ont suggérées et qui me font dire que c'est par les femmes, danf<br />

notre chère Algérie, que nous pouvons amener à nous complètemenl<br />

les cœurs. Et le secret pour cela, n'est-il pas, en tout temps, en tous<br />

lieux, celui de connaître lès femmes indigènes et de les aimer ? Tra<br />

vaillons donc à gagner leur cœur pour les faire évoluer de plus en<br />

plus vers nous, vers la France notre grande Patrie, dont ellps seront<br />

fières d'être tout à fait les enfants.<br />

Mmes, MM., je ne terminerai cependant pas sans vous remercier<br />

de l'attention soutenue dont vous m'avez encore honorée et de la<br />

sympathie toujours charmante que je retrouve au sein de notre belle<br />

société de Géographie. A vous, M. le Président, MM. les membres du<br />

bureau, mon cœur, qui n'aspire qu'à faire connaître les sentiments<br />

qui animent les habitants de notre belle colonie,<br />

vous est recon<br />

naissant de me prêter votre haut appui pour les répandre de plus<br />

en plus.<br />

Merci à tous, et tous ensemble disons qu'en faisant apprécier notre<br />

Algérie, c'est la France que nous faisons chérir (1).<br />

Marie BUGEJA.<br />

(1) Conférence faite à la Société de Géographie d'Alger et de l'Afrique du<br />

Nord, le 26 Mars 1910, dans une des salles de la Mairie d'Alger.


*J<br />

IRIL IMOULA et ses SOURDS-MUETS<br />

(Commune Mixte de Dra-el-Mizan)<br />

Bien que l'histoire ne s'occupe que des faits saillants, certains dé<br />

tails sont bons h connaître ; mieux que les idées générales ils nous<br />

permettent d'apprécier les mœurs et les coutumes des indigènes. Tel<br />

est celui que nous relevons aujourd'hui et dont le mérite est au<br />

moins la. singularité.<br />

Avant 1871, le village d'Iril Imoula, dont les habitants sont de race<br />

berbère, et les quatre villages des Cheurfa gu'Iril gu'Iken, d'origine<br />

différente, formaient des groupes ayant des intérêts opposés, des<br />

usages différents et des besoins distincts. Us furent réunis en 1872<br />

pour former- une seule unité sous l'administration d'un Adjoint<br />

indigène nommé par le Gouvernement Général ; puis, lors de l'appli<br />

cation du Sénatus-Consulte de 1863, en 1983,<br />

cette réunion des villa<br />

ges en un seul douar fut confirmée et l'unité administrative prit lé<br />

nom d'Acif Soulma. Les Cheurfa sont des Marabouts, c'est-à-dire<br />

que les habitants de ce groupement de village ont une origine reli<br />

gieuse. Us descendraient du prophète comme tous les Cheurfa. Us<br />

disent venir de la Seguia El Hamra (Maroc) ou bien répondent qu'ils<br />

viennent de l'Ouest (1); leur ancêtre serait Abdelmalek. La cré<br />

dulité de la population indigène accorda aux Marabouts des pouvoirs<br />

surnaturels. .<br />

Ces Cheurfa<br />

considéraient les<br />

Moulaou'<br />

(2)<br />

comme leurs serviteurs.<br />

De mœurs tranquilles et jouissant d'une réputation de sainteté, ils<br />

restèrent neutres dans les vastes groupements Kabyles ; puis, par la<br />

suite, se sont adonnés à la culture, tout en restant affiliés à des or<br />

dres religieux.<br />

Abdelmalek, l'ancêtre,<br />

fut enterré, selon son désir au milieu du<br />

bosquet sacré appelé Saïlal situé au bas des villages. C'est un lieu<br />

(1)<br />

Cela se rapporterait vraisemblablement aux expulsions d'Espagne.<br />

(2) Habitants d'iril ïmoula.


88 IRIL ÏMOULA ET SES SOURDS -MUETS<br />

de Ziara notamment le jour de la fête «El Mouloud». Auprès du<br />

tombeau les habitants, auxquels se joignent de nombreux étrangers,<br />

viennent faire la prière en commun et reçoivent la baraka. Avant<br />

sa mort, l'ancêtre avait reproché à ses enfants d'être des chiqueurs<br />

incorrigibles et, nonobstant ce défaut honteux pour nos Cheurfi qui<br />

se respectent, il leur donna le don des miracles et celui de prophétie.<br />

Ce don merveilleux ne serait donné ni pour toute l'année, ni pour tous<br />

les lieux : seul le jour de la fête El Mouloud, il serait efficace en faveur<br />

des pèlerins. Les aumônes de ceux-ci suffiraient à leur subsistance<br />

ou à peu près, pendant de longues années. C'est ce qui arriva. L'ar<br />

gent recueilli Je jour d'El-Môuloud est déposé chez des vieillards<br />

Cheurfi et distribué entre les membres des familles des quatre vil<br />

lages : Ait Ouali, Ait El Hadjali, Ait Abed et Merz^el Mal qui for<br />

ment les Cheurfa.<br />

Ces villages, situés sur de petits plateaux, sont en contrebas des<br />

crêtes, au contraire des agglomérations Kabyles construites sur les<br />

sommets pour assurer leur défense. On sait que les habitants de la<br />

Kabylie étaient constamment en guerre de village en village.<br />

Celui d'iril ïmoula, agglomération de 1557 habitants, est le plus<br />

important de la commune mixte de Dra-El-Mizan. ïl suit la confi<br />

guration d'une crête ; ses maisons sont rangées Je long d'une voie<br />

principale, où s'ouvrent des ruelles si étroites qu'elles peuvent donnerj<br />

tout juste le passage à un mulet chargé*<br />

Par leur destination reconnue d'utilité publique, les Marabouts (1)<br />

des Cheurfa échappèrent aux nécessités de la défense, n'étant pas<br />

inquiétés par leurs coreligionnaires.<br />

Le village d'iril Tmoula faisait partie, avec ceux des Cheurfa, de<br />

la grande confédération des GuechtoUla cjui conserva son indépen<br />

dance jusqu'en 1844 époque de sa soumission. Toutefois toutes leë<br />

tribus qui en sont issues prirent part aux soulèvements qui se sont<br />

produits en Kabylie en 1851, en ,1854,En<br />

Mokrani.<br />

1871,<br />

tous suivirent<br />

Après cette insurrection et même depuis l'établissement du régime ;0<br />

civil dans la Kabylie, les vieillards des Cheurfa continuèrent long<br />

temps à être choisis comme arbitres. Us apaisaient les discussions<br />

(1) Marabouts: Ils se sont multipliés en Kabylie et par cet aocroisse-<br />

sement ils ont perdu de leur importance. Leur nom vénéré au début a été<br />

exploité par des aventuriers. Tous n'ont pas une<br />

même'<br />

influence, leur puis-.<br />

sance morale vient souvent du genre de vie qu'ils mènent et c'est l'opinion<br />

publique qui crée parfois cette puissance.


IRIL IMOULA ET SES SOURDS-MUETS 89<br />

irritantes et tranchaient les différends survenant dans la confédéra<br />

tion. C'est ainsi que peu de temps-avant la prise de possession défini<br />

tive de la région par les troupes françaises, des vieillards des Cheurfa,<br />

se disant « esclaves de Dieu», furent appelés au marché de Tamllaht,<br />

du douar Béni Smael, (aujourd'hui Bou Nouh), pour rétablir la paix<br />

entre deux fractions des Guechtoula en guerre. Après avoir accompli<br />

leur mission pacificatrice, ils passèrent par le village d'iril Imoula<br />

et s'y arrêtèrent. Les habitants ne firent aucun cas d'eux. Cette<br />

manière d'agir déplut à Sliman ben Yala, qui avait souvent fait le<br />

pèlerinage de Saïlal. Il invita les vieillards à passer la nuit chez lui<br />

et en informa son ami Amar naïl Mohamed Larbi amin du village,<br />

en lui empruntant de la semoule, du beurre, etc., pour offrir une diffa<br />

aux hôtes de passage, ses moyens ne lui permettant pas de faire une<br />

telle réception. Elle fut si heureuse que, touché de cet accueil, l'un<br />

d'eux, marabout le plus influent, demanda, le lendemain, à Sliman<br />

ben Yala ce qu'il désirait, afin dit-il, que nous priions Dieu de nous<br />

accorder une grâce pour toi. L'amphitryon répondît : « Vous connais-<br />

« sez ma situation, elle est précaire; je ne possède qu'une hachette et<br />

« un couteau pour ma profession de boucher ; ce que vous avez mangé<br />

« m'a été donné par l'amin du village. »<br />

Après les invocations qui ont transformé depuis le récit en légende<br />

transmise de bouche en bouche et dont ma femme dans sa conférence<br />

du 22 mai 1918 faite à l'Hôtel de ville d'Alger sous les auspices delà<br />

Société de Géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord a donné les<br />

termes (1), la réponse du marabout ne se fit pas attendre : « D'ici à<br />

« Sidi Zabat qui se trouve au-delà du territoire des Guechtoula<br />

« tu iras, comme tu as l'habitude de le faire, tu suivras ta vie normale ;<br />

« mais dès ce point franchi, fais le sourd-muet,<br />

n'agis qu'avec tes<br />

« doigts, les signes seuls doiventte servir. Tu auras le don de prophétie.<br />

« Tu donneras la bénédiction, laissant toujours croire aux profanes,<br />

« que tu n'entends, ni ne vois. Des interprètes t'accompagneront et<br />

« expliqueront tes signes. Tu seras heureux. Mais, recommanda-t-il,<br />

« tu laisseras pousser ta barbe et tes cheveux. »<br />

"Sliman ben Yala obtenait un don plus étendu de prophétie puis<br />

qu'il n'était pas limité. Il pouvait agir toute l'année et jusqu'à sa<br />

mort, avec la transmission du même don à sa descendance mâle. Dans<br />

les tribus des Guechtoula seulement ce métier de thaumaturge lui<br />

était interdit.<br />

Sliman ben Yala mit en pratique les leçons du marabout et partit<br />


90 IRIL, IMOULA ET SES SOURDS-MUETS<br />

faire une tournée dans le Sud au-delà de Bouïra. Il se fit appelerBou<br />

Lerbah (celui à qui afflue la richesse). De suite,<br />

sa tournée fut fruc<br />

tueuse. Mis en goût, il renouvela son entreprise qui lui donna une<br />

certaine aisance ; plus tard il se fit accompagner de coreligionnaires<br />

d'iril Imoula pour interpréter les signes entre lui et les populations<br />

visitées. Hadjahmed Me.barek est le premier qu'il choisit ; puis il<br />

autorisa Mohammed naît Abdallah à le suivre. Par la suite il eut<br />

Hamou naît Yahyaten, Hamou naît Yala et Kaci ben Brahim. Us<br />

furent avec lui dans toutes ses visites, échangeant leurs impressions<br />

et préparant ensemble leurs prédications ; ils étaient ses émissaires<br />

faisant de connivence soit le derviche (1), soit le sorcier et, pourmieux<br />

pratiquer cette dernière profession, l'un était détaché au préalable<br />

pour s'informer sur les familles importantes des territoires qu'ils<br />

visitaient Munis des renseignements obtenus, il leur était loisible de<br />

faire des annonces sensationnelles, d'impressionner sur l'état actuel,<br />

en un mot de faire des prédictions en exploitant la crédulité. (2)<br />

Sliman ben Yala se fit ainsi une grosse fortune. A chacun de ses<br />

voyages il rapportait des sommes d'argent, des vêtements luxueux,<br />

des troupeaux que ses compagnons de voyage conduisaient.<br />

U offrait, à chaque fête d'El Mouloud,<br />

cheurfa.<br />

un bœuf à la Zaouïa des<br />

Ce fut le premier Kabyle de toute cette vaste région boisée d'oli<br />

viers, qui fit construire un mouhn à huile avec un pressoir français..<br />

Il fit continuer son œuvre par ses fils jusqu'en 1871.<br />

Sliman ben Yala s'insurgea alors et fut séquestré nominativement.<br />

Il partit habiter Alger avec sa femme et ses deux enfants : Ahmed et<br />

Kaci ; le troisième Amrane resta à Iril Imoula avec sa famille et<br />

décéda en 1886. Sliman mourut en 1872, âgé de 112 ans. Ahmed le<br />

suivit de près, laissant un fils, Mouloud, qui eût un garçon et quatre<br />

filles. Kaci devint fou, il est mortjen France dans un asile d'aliénés en<br />

1902. Boudgema son fils prit sa suite. Amrane marié à Alger s'y est<br />

définitivement installé.<br />

Lors de l'application de la loi sur la constitution de l'Etat-Civil,<br />

cette famille s'appela Yala comme nom patronymique:<br />

Les Moulaoui par l'exemple de Bou Lerbah ont appris, avec l'aide<br />

(1) Contrairement à ceux de cette profession habituellement couverts<br />

de haillons, ceux-ci étaient vêtus correctement. Ils ne sont pas classés,<br />

(2) Le peuple ignorant se laisse exploiter non par fanatisme mais par<br />

ignorance. Il y a un remède, c'est l'enseignement.


IRIL IMOULA ET SES SOURDS-MUETS 91<br />

des premiers compagnons de Sliman, le métier de sorcier et suivirent<br />

son enseignement.<br />

Les compagnons de. Bou Lerbah étaient :<br />

1° Hadjahmed Mebarek, mort avant l'insurrection de 1871 ; sa<br />

fille était mariée à Kaci ben Sliman ben Yala.<br />

2o Mohammed naît Abdallah, décédé avant 1871, laissant un fils<br />

Amar qui eut quatre garçons :<br />

a) Rabah derviche faisant le sourd-muet avec ses fils.<br />

b) Amar derviche faisant le sourd-muet avec ses fils.<br />

c) Ali derviche faisant le sourd-muet avec ses fils.<br />

'd) Kaci, le seul qui resta au village, mesureur sur les marchés.<br />

3° Hamou naît Yala parent du premier thaumaturge, mort avant<br />

1871, laissa un garçon Ahmed et trois filles.<br />

4° Kaci ben Brahim décédé. C'est son fils Mohammed qui devint<br />

sorcier et qui laissa un fils Saïd recensé à 1 Etat-Civil sous le nom de<br />

Moulaouï Saïd ben Mohammed. C'est un des plus fervents du métier.<br />

U fut souvent rapatrie et il a été interné par mesure administrative ;<br />

il avait trois enfants. J'ai eu plusieurs entretiens avec lui, sa langue<br />

était bien déliée.<br />

L'école a grandi et, peu après le retour à la tranquillité, ils envahi<br />

rent le Sud, l'Est et l'Ouest de la Colonie en faisant état de devins :<br />

devant l'imminence d'un malheur, une aumône déposée entre leurs<br />

mains pouvait seule le conjurer.<br />

Quand en 1905 je suis arrivé comme Administrateur de la commune<br />

mixte de Dra-El-Mizan dont dépend Iril Imoula,<br />

une grande partie<br />

des habitants exerçaient ce métier qui entretenait toutes les familles.<br />

Les hommes avaient pris goût aux voyages et, trop<br />

facilement même au gré de<br />

pays, ils s'absentaient facilement, trop<br />

l'administration,<br />

à l'étroit dans leur.<br />

qui cherchait à arrêter cet engouement aux pro<br />

phéties. Les familles qui avaient continué les pratiques de Bou Lerbah<br />

vivaient dans l'aisance, cultivant admirablement les terrains environ<br />

nant le village ; les prophéties les ont aidées à acquérir ce bien-être.<br />

Les voyages ont amené la découverte dé chantiers éloignés où les<br />

Moulaoui purent s'employer, tels les mines de Gafsa (Tunisie).<br />

L'adjoint indigène du nom de Ioualalène Amar, homme énergique,<br />

cherchait à seconder l'administration pour détourner ses administrés<br />

de cette pratique. Mais, lorsqu'il rendait compte des départs clan<br />

destins, des cabales se montaient contre lui. Les plaintes des habitants<br />

querelleurs affluaient au Gouvernement Général, à la Préfecture, à la<br />

-Commune mixte contre ce chef indigène qui osait signaler des thau<br />

maturges ! Les intrigues s'organisaient et, pour tâcher d'étayer les


92<br />

IRIL- IMOULA ET SES SOURDS-MUETS<br />

réclamations, ils portaient des accusations contre lui. Enfin ce caïd<br />

tint tête aux menées sournoises; il faisait connaître consciencieuse<br />

ment tout ce qui se passait. J'ai pu en six ans réduire le nombre des<br />

voyageurs que la résidence de Tunis, les Préfectures de Constantine<br />

et d'Oran,'<br />

les chefs de bureaux arabes,<br />

etc. renvoyaient avec itiné<br />

raires obligés ou escortés par la Gendarmerie. En 1908, il y avait 149<br />

habitants d'iril Imoula exerçant la pratique de Sliman ben Yala qui<br />

étaient disséminés sur plusieurs points du territoire Nord-Africain<br />

et en 1910 il en restait encore 136, c'est-à-dire que plus de cent familles<br />

avaient un membre qui se créait des ressources par le mutisme.<br />

En 1912, presque tous étaient de retour, après deux ou trois ans<br />

d'absence. Il ne restait que six indigènes qui n'étaient point revenus<br />

depuis 8 à 10 ans. Les séjours des faux sourds-muets chez eux étaient<br />

de peu de durée. Us se munissaient parfois d'un permis de voyage,<br />

déclarant aller travailler aux mines de Gafsa ou sur tout autre chan<br />

tier ; mais certains négligeaient cette formalité et c'est cette omis<br />

sion qui les faisait arrêter.<br />

J'ai eu la satisfaction avant mon départ de voir cette humeur<br />

voyageuse des devins se ralentir. Ce n'est, cependant,<br />

grande conflagration qui mit en lutte tant de peuples,<br />

que lors de la<br />

que les faux<br />

sourds-muets abandonnèrent leur fructueux métier. Cet acte est<br />

tout à la louange de fa sincérité de leurs sentiments. La coutume inau<br />

gurée par Bou Lerbah a été délaissée. Pour qui connaît l'attachement<br />

des musulmans à certaines de leurs coutumes, cet abandon est beau.<br />

Us ont recouvré l'usage de leur langue, de leurs oreilles, de leur force,<br />

pour se rendre utiles à nos usines, à nos fabriques et jusqu'à nos<br />

tranchées.<br />

Cela pour la gloire et pour l'honneur de la France.<br />

M. BUGEJA.


LEGENDES DU M'ZAB<br />

Deux sectes religieuses musulmanes se partagent le M'Zab ; l'une<br />

malékite comprend les arabes agrégés aux villes du M'Zab, Medabih<br />

de Ghardaïa, Debabba et Ouled Yahia de Berrian, Attatcha de<br />

Guerrara, et les Chambaa Berezga dont le centre est à Metlili ; elle<br />

se rattache au rite généralement suivi dans l'Afrique du Nord;<br />

celle des<br />

l'autre abadite comprend la cinquième secte musulmane,<br />

Mozabites qui se rattachent aux Abadites du Djebel Nefoussa,<br />

de l'Oman, de Zanzibar. Comme tous les musulmans, ces deux sectes<br />

ont le culte des morts et le M'Zab n'est à la vérité qu'un cimetière<br />

où viennent reposer les mozabites après un séjour plus ou moins<br />

long<br />

dans les villes du Tell où les attire le commerce.<br />

Il nous a paru intéressant d'apporter,<br />

folklore de l'Algérie,<br />

comme contribution au<br />

quelques-unes des légendes recueillies au sujet<br />

de personnages dont les tombeaux sont plus particulièrement vénérés<br />

dans le pays.<br />

'<br />

*<br />

* *<br />

Près de la ville de Ghardaia,<br />

et Mohammed ben Yahia ben Aïssa, ensevelis l'un à côté de l'autre.<br />

reposent Ali ben Amran ben Aïssa<br />

Us seraient originaires de Fez. Venus au M'Zab, il a neuf y siècles,<br />

les Malékites auraient édifié les premiers une Koubba sur un des<br />

deux tombeaux. Aujourd'hui,<br />

comme étant des leurs.<br />

les Abadites revendiquent ces saints<br />

Lorsqu'un jeune abadite se marie pour la première fois, il se rend;<br />

quelques jours après la<br />

consommation du mariage, avec ses compa<br />

gnons à la koubba de ce saint. Une négresse y transporte des dattes<br />

et du pain à distribuer à titre d'aumône. Tous reviennent ensuite<br />

ensemble en frappant des pieds suivant une très ancienne coutume.<br />

On, égorge aussi quelquefois des chameaux et des moutons en l'hon<br />

neur de ces saints et des charges habous grèventcertains immeubles<br />

au profit de cette Koubba.<br />

Lorsqu'on<br />

*<br />

* *<br />

arrive-à Ghardaïa, par la route de Laghouat, on longe


94 LEGENDES DU M ZAB<br />

le cimetière du Cheikh Ammi Saïd ben Ali El Khir. Dans ce cime<br />

tière qui est le plus important de Ghardaïa,<br />

se trouve une petite<br />

mosquée dans laquelle est enterré le saint. Deux fois par an,<br />

au prin<br />

temps et en été, on y distribue des aliments provenant de biens ha-<br />

bous et d'aumônes.<br />

Au VIIIe siècle de l'hégire, l'étude avait été complètement dé<br />

laissée au M'Zab. Les habitants décidèrent de s'adresser à leurs frères<br />

de Djerba pour leur demander de leur envoyer une lettré qui répan<br />

drait l'instruction chez eux. Il se trouva qu'à Djerba, Saïd ben Ali el<br />

Khir, très connu pour sa science, avait plusieurs enfants également<br />

instruits. Il leur demanda lequel voudrait se charger de cette mission.<br />

Ce fut Ammi Saïd qui l'obtint. Son père le bénit et Ammi Saïd qui<br />

avait posé son burnous à terre voulut le revêtir après la bénédiction,<br />

mais il le trouva si lourd qu'il ne put le soulever. Ce fut son père qui<br />

le lui mit sur le dûs. Arrivé au M'Zab, tous se disputaient l'honneur<br />

de le recevoir. Il décida alors que chaque ville désignerait un cham<br />

pion,<br />

que tous réunis viendraient à lui en courant et que le premier<br />

arrivé serait celui dont la ville le recevrait. La course commença<br />

et. le champion de Ghardaïa, voyant qu'il allait être devancé, lança<br />

son bâton qui arriva sur le Chikh. Celui-ci décida de le considérer<br />

comme vainqueur et s'installa à Ghardaia.<br />

I<br />

*<br />

* *<br />

Cimetière d'Abdelali, à l'Est du précédent : n'est plus utilisé comme<br />

cimetière. Lors de la fuite des abadites de Tiaret, les fuyards se frac<br />

tionnèrent ; un groupe parvint à se réfugier à Ouargla avec son<br />

iman Abouyacoub. Un autre groupe, rejoint à Ghardaïa par les<br />

Moatazila, fut tué et les morts enterrés dans le cimetière d'Abdelali,<br />

nommé du nom de l'un d'eux.<br />

D'autres lieux rappellent le souvenir de la fuite des Abadites : ce<br />

sont les cimetières dits Mohrass, Ogba, Aouloualen.<br />

*<br />

* *<br />

Mihrab et tombeau de Cheikh Abou Youb Amimoun dit Afellah<br />

d'Aghlan, c'est-à-dire «le khammès du M'Zab». Au Nord de la<br />

mosquée de Cheikh Aboutdjma. Occupé à son métier de khammès,<br />

il tirait de l'eau un jour lorsqu'il vit passer un groupe d'hommes<br />

vertueux parcourant le monde en louant Dieu. Pris de vocation,<br />

il laissa son métier et les suivit. Us se trouvèrent tous un jour sans<br />

x


LÉGENDES DU m'zAB 95<br />

nourriture. L'un d'eux implora Dieu qui leur envoya des mets sur<br />

une table (meida). Us mangèrent à leur faim et la table fut ensuite<br />

enlevée dans les cieux. Cela se renouvela. Un deuxième fit la même<br />

demande qui fut également exaucée. Vint le tour de Abou Youb de<br />

demander à Dieu la nourriture. Il le fit et ce fut deux tables qui<br />

furent envoyées. « Qu'as-tu donc demandé pour qu'il soit envoyé<br />

— deux tables, lui dirent ses compagnons ? Je<br />

dit-il,<br />

ne vous le dirai, leur<br />

que quand vous m'aurez dit comment, vous faites vous-même<br />

vos demandes. —<br />

Nous<br />

nous adressons à Dieu, lui dirent-ils, par<br />

l'intermédiaire du saint Abou Youb Amimoun. dit Afellah d'Aghlan,<br />

car c'est un saint homme par la grâce duquel nous obtenons ce que<br />

nous demandons quoique nous le connaissions pas». Abou Youb se<br />

reconnut dans ce saint, mais ne leur dit rien,<br />

fais la demande suivante : •( Accordez-moi, ô mon Dieu,<br />

et répondit : Moi je<br />

ce que je<br />

vous demande de la même façon que vous l'accordez à ceux-ci. »<br />

Puis il les quitta se rendant compte que son métier produisant la<br />

nourriture des gens du pays était un métier béni et il s'y consacra.<br />

Ce même saint a une petite mosquée dans 1 intérieur de la ville de<br />

Ghardaïa.<br />

*<br />

* *<br />

Mihrab du Cheikh Mohammed ben Yahia Sid Bouguedemma. —<br />

Il est encore connu chez les Abadites sous le nom de Baba Ouldjem-<br />

ma. Homme vertueux, venu du Maroc, de Seguiet el Hamra avec<br />

Ali ben Amran, ce dernier ancêtre de certaines fractions des Medabih,<br />

il était chargé des intérêts de son compagnon. L'origine du nom<br />

de la ville de Ghardaïa est expliqué chez les Mozabites par la lé<br />

gende suivante :<br />

Sidi Bouguedemma vit une nuit une lueur dans une caverne de la<br />

montagne de Ghardaïa,<br />

la ville de Gardaïa. Cette apparition se<br />

sur laquelle est actuellement construite<br />

renouvela. Si Bouguedemma<br />

envoya alors son serviteur au Chikh Abou Aïssa el Alouani, alors<br />

vivant. Ce chikh dit au serviteur : « J'ai vu moi aussi cette lueur.<br />

J'ignore de qui ou de quoi elle provient». Bouguedemma envoya<br />

alors son serviteur dans la caverne. U y vit une vieille nommée<br />

Daïa qui y était installée. Cette caverne fut de ce jour appelée Ghar<br />

daïa,<br />

c'est-à-dire: «la caverne de Daïa». Cette caverne en partie<br />

comblée existe encore ; elle est située sur le flanc nord de la colline<br />

sur laquelle est bâtie la grande mosquée. Elle est très visitée par les<br />

femmes qui y invoquent celle qui fut involontairement la marraine


,<br />

96 LÉGENDES DU M'ZAB<br />

de la ville. Elles y allument souvent des bougies pour s'attirer l'aide<br />

de cette femme considérée comme une sainte.<br />

On raconte encore,<br />

parmi les miracles dont Sidi Bouguedemma<br />

aurait été l'auteur, le fait suivant : quand il voulait faire boire ses<br />

troupeaux, il allait s'installer auprès d'un puits au milieu de l'oued<br />

et invoquait Dieu et le prophète jusqu'à ce que l'eau montât d'elle-<br />

même au niveau de l'orifice du puits. Les animaux buvaient et l'eau*<br />

redescendait ensuite. Ce puits fut surnomme Aflou Saa, c'est-à-dire<br />

« mille à l'heure », autrement dit pouvant abreuver mille bêtes à<br />

l'heure et a conservé son nom, sinon son abondance qui n'a pas sur<br />

vécu à Sidi Bouguedemma. ,/<br />

Le tombeau de Sidi Bouguedemma est entouré d'un grand cime<br />

tière. C'est par lui que commencent les aumônes d'hiver. Il y a<br />

aussi distribution d'aumônes d'été et d'automne le soir. Ce tombeau<br />

est visité.<br />

A côté de Sidi Bouguedemma est enterré son compagnon Ali ben<br />

Amran. Ce dernier à, ainsi qu'il a été dit, été l'ancêtre d'une partie<br />

des Medabih. C'est ce qui explique que les Arabes et les Abadites<br />

revendiquent, tous,<br />

Chikh Abou Salah ben Saïd. —<br />

ces deux saints comme étant des leurs.<br />

*<br />

C'était<br />

un homme très vertueux<br />

dont le tombeau entouré seulement d'une haouita (pierres posées<br />

en rond) est situé sur la colline au nord de celle où est le tombeau<br />

de Sidi Bouguedemma. Pas très visité.<br />

On raconte que ce saint avait deux épouses. L'une d'elles, ayant<br />

remarqué que son mari s'absentait toutes les nuits, voulut le suivre.<br />

Elle constata qu'il allait sur la colline où est actuellement son tom-><br />

beau, qu'il y priait,<br />

puis qu'il cueillait quelques plantes et en man<br />

geait. Elle en prit également et les ayant goûtées les trouva très<br />

douces. Elle en fit un petit paquet et, ayant voulu en goûter de nou<br />

veau au matin, elle les trouva très amères. Seule la baraka du saint<br />

avait permis qu'elles soient bonnes, mais, dès que cette baraka ces<br />

sait de s'exercer,<br />

elle reprenaient leur goût naturel.<br />

*<br />

* *<br />

Lieu vénéré sans nom spécial situé sur le flanc de cette même colline<br />

au lieu dit : Oudjoudjin. L'origine de cette vénération est la suivante :<br />

un savant abadite d'Ouargla reçut un jour des hôtes de passage.


LÉGENDES DU M*ZAB 97<br />

U aurait voulu, pour les honorer, égorger des moutons mais son trou<br />

peau était trop éloigné et il ne savait comment faire. Tout à coup,<br />

il vit un tourbillon de poussière arriver vers lui, il lui amène un su<br />

perbe bélier qu'il put offrir à ses hôtes. Quelques jours après,<br />

vant, dont personne ne peut,indiquer le nom,<br />

ce sa<br />

vit son berger et il<br />

lui demanda des nouvelles du troupeau. « Tout est bien, dit le berger,<br />

mais tel jour, à telle heure, je me trouvais à tel endroit (qui est le<br />

lieu actuellement vénéré) lorsqu'un tourbillon de poussière s'abattit<br />

sur moi et ton plus beau bélier fut enlevé ». Ce savant ayant raconté<br />

l'affaire, l'endroit d'où fut enlevé le bélier resta célèbre.<br />

*<br />

* *<br />

Haouita (rond de pierre) dans l'oued M'Zab,<br />

près du croisement<br />

du chemin allant yers l'Oasis et du chemin conduisant à Bousadjan.<br />

Lieu où on s'arrête quelques fois en invoquant Dieu en souvenir<br />

du fait suivant.<br />

• La sécheresse sévissait dans la région,<br />

lorsqu'un taleb qui ensei<br />

gnait le Coran aux enfants sortit un jour avec eux et implora Dieu<br />

de leur envoyer de la pluie et ce taleb ajouta à ses prières : « Je vous<br />

demande, ô mon Dieu, de nous envoyer une crue qui sauve le pays<br />

et qui arrive jusqu'en ce point », et il marqua l'endroit qu'il désignait.<br />

Il arriva que la crue se produisit et arriva exactement à l'endroit<br />

indiqué.<br />

*<br />

* *<br />

Makam du Chikh Hammou ben Hadj Belgacem. —<br />

Sorte de koubba<br />

construite en l'honneur du Chikh Hammou ben El Hadj réputé pour<br />

sa science, auteur d'un grand nombre de réponses réfutant les objec<br />

tions élevées par les Malékites contre le rite abadite. Son tombeau,<br />

dont il sera question plus loin, est près de Ghardaïa. Cette koubba<br />

a été élevée en son honneur pour la raison suivante.<br />

Il<br />

cheminait un jour avec un Malékite qui discutait avec lui des<br />

choses de religion et fit des allusions blessantes à certaines règles du<br />

rite abadite. « Que Dieu t'enlève ! lui dit le saint » et aussitôt un tour<br />

billon s'abattit sur le Malékite et l'enleva tandis qu'une colonne de<br />

feu descendait du ciel et se fixait un instant devant le Chikh, signe<br />

évident de la<br />

cette<br />

l'été.<br />

supériorité de son rite. C'est au point où se montra<br />

colonne qu'est élevée la koubba très fréquentée au cours de<br />

7


98<br />

Tombeau de Baba Saad. —<br />

LÉGENDES DU M'ZAB<br />

Situé<br />

*<br />

* *<br />

à droite du chemin allant de<br />

Ghardaïa à Benghenem. Il y a une petite mosquée de ce saint en face<br />

la colline sur laquelle sont des ruines.<br />

Baba Saad, saint réputé, avait été assassiné : on ne connaissait ni<br />

son meurtrier ni l'endroit où il avait été enseveli. Or, il arriva ceci : un<br />

Mozabite de Mélika revenait de la Mecque, lorsque le bateau sur<br />

lequel il revenait (au VIe siècle de l'hégire) fut jeté par la tempête<br />

sur les côtes d'Europe. Ce Mozabite Chikh el Hadj Messaoud ben<br />

Bamour fut retenu prisonnier en France, dit-on. Sa mère ne cessait<br />

d'invoquer Dieu pour sa délivrance. Une nuit, Hadj<br />

Messaoud vit<br />

en songe trois hommes qui lui annoncèrent sa délivrance prochaine.<br />

— « Qui êtes-vous ? leur dit-il. Je suis, dit l'un deux, Baba Saad.<br />

L'autre est le Chikh Brahim d'El Ateuf, le troisième Chikh Abder-<br />

rahman el Kourti de Mélika. Le lieu où sont enfouis nos restes est<br />

ignoré de tous,<br />

mais je t'indique où ils sont. » Et il le lui indiqua.<br />

Rapatrié peu après, Hadj Messaoud put, grâce aux renseignements<br />

reçus en songe, retrouver le lieu où étaient enterrés Baba Saad et<br />

Sidi Brahim. La mort le surprit avant qu'il ait retrouvé le tombeau<br />

du Chikh Abderrahman Kourti. L'endroit où est le cimetière est celui<br />

où, grâce à Hadj Messaoud, fut retrouvé le corps de Baba Saad.<br />

En dehors de son tombeau et du cimetière portant son nom,<br />

Baba Saad a une Koubba élevée en son honneur sur la route nord<br />

conduisant de Ghardaïa à l'Oasis pour la raison suivante : Baba<br />

priait un jour dans l'oued lorsqu'il arriva une crue ; surpris, il ne<br />

put s'enfuir, mais l'eau se détourna et passa à côté de lui sans l'at<br />

teindre.<br />

Dans le cimetière de Baba Saad a lieu, une fois l'an, une aumône<br />

d'hiver,<br />

et au printemps en mars et avril des aumônes sont distribuées<br />

le soir à la koubba de l'oued.<br />

*<br />

* *<br />

Cimetière de Abou Mohammed Abou Chikh. —<br />

Originaire des<br />

Ouled Sidi Chikh, né vers le Ville siècle de l'hégire, Abou<br />

med venait souvent à Ghardaïa pour ses affaires. Arrivé un soir<br />

après la fermeture des portes de la ville, il dut coucher en dehors.<br />

Pendant la nuit il vit une fleur brillante qui dansait au-dessus des<br />

cimetières de la ville, mais qui, arrivée sur le cimetière Laroussi,<br />

fuyait au heu de s'y arrêter. Au matin, à l'ouverture des portes,


LÉGENDES DU M'ZAB 99<br />

1 entra et, passant devant la mosquée abadite, il y pénétra. Dieu<br />

Rt descendre en lui sa grâce ; brusquement il fut éclairé de la lumière<br />

le la vérité et comprit que le seul rite abadite était le vrai. Il deman-<br />

ia les noms des cimetières de la ville et constata que celui sur lequel<br />

[a fleur resplendissante ne s'arrêtait pas était le cimetière des Béni<br />

Merzoug, tandis que les autres étaient abadites. Ce fait acheva de<br />

le convaincre. Son maître malékite, ayant appris, sa conversion,<br />

lui écrivit pour l'en blâmer lui faisant défense de lui écrire et l'avi<br />

sant que, s'il le faisait,<br />

sa lettre serait simplement brûlée. Abou<br />

Mohammed lui écrivit en interligne dans un livre de prières malékites,<br />

qu'il donna à un commissionnaire pour le remettre à son ancien<br />

Chikh. Mais, lui dit Abou Mohammed, il est possible que tu trouves<br />

mon ancien Chikh sur une civière. Et, en effet, le commissionnaire<br />

trouva ce Chikh mort à son arrivée.<br />

Une aumône d'hiver est distribuée dans ce cimetière.<br />

* *<br />

—<br />

Cimetière de Abou M'hammed ben Abou Shaba. Ce<br />

personnage<br />

appartenait à la famille du chikh Sidi Bouguemma, contemporain<br />

du djerbien Abousetta connu par de nombreuses notes marginales<br />

sur un<br />

ouvrage'(?). U était en relations avec ce savant. U<br />

donnait"<br />

un jour à boire à des personnes au cours d'une fête et il trempa invo<br />

lontairement ses doigts dans l'eau du récipient qu'il tendait et on se<br />

moqua de lui. U décida de quitter le pays et de partirpour le Maroc<br />

pour s'y perfectionner dans la science et aussi pour apprendre l'art<br />

de se tenir en société.<br />

Il resta au Maroc plusieurs années chez un savant qui l'instruisit<br />

et l'éduqua,<br />

chikh qui lui<br />

puis il partit pour le M'Zab malgré les conseils de son<br />

affirmait que son caractère n'était pas encore assez<br />

formé. Il emportait aveclui seslivres.il descendit un jour en cours de<br />

route dans une zaouia, dirigée par un chikh ignorant. Il se moqua<br />

de lui et de ses adeptes. Chassé et battu, on lui enleva ses livres. U<br />

revint sur ses pas et se réfugia chez son professeur, y resta un certain<br />

temps et, jugeant qu'il était assez formé, son chikh lui permit de<br />

partir. U suivit le même chemin et repassa à la zaouia où il avait été<br />

dépouillé. U se montra<br />

le traitèrent très bien. U<br />

empressé auprès du chikh et de ses élèves qui<br />

voulait ravoir ses livres et décida de les<br />

demander sous prétexte de les lire, puis de s'enfuir à l'improviste.<br />

Mais ce chikh et ses élèves étaient tous sorciers et savaient* par des<br />

moyens connus d'eux, deviner où se trouvait tel individu et dans


100 LÉGENDES DU M'ZAB<br />

quelle direction il allait. Abou M'Hammed employa donc la ruse<br />

suivante : il prépara secrètement un âne,<br />

sur lequel il chargea d'un<br />

côté un couffin de terre, de l'autre une guerba pleine d'eau. Il con<br />

seilla un soir aux élèves de la zaouia- de se faire remettre chacun un<br />

poil de la. barbe de leur chikh : « Car, leur dit-il, c'est un saint et cela<br />

vous portera bonheur ». Pendant qu'ils se livraient à cette opération,<br />

Abou M'Hammed monta sur sa bête, mais la face tournée vers l'ar<br />

rière de la bête, un pied dans la terre et un pied dans l'eau, et il fit<br />

partir sa bête dans la direction de Ghardaïa. On s'aperçut à la zaouia<br />

dans la nuit seulement de sa fuite. Tous se mirent en demeure par<br />

leur science du « Khett se erremel » de rechercher où il pouvait être..<br />

L'un la trouvait dans une rivière, l'autre dans la dune,<br />

un autre<br />

disait qu'il s'éloignait de la zaouia, d'autres enfin qu'il s'en rappro<br />

chait. Us ne purent se mettre d'accord et il leur échappa avec ses<br />

livres. Arrivé à Ghardaïa, il y devint le professeur de tous ceux qui<br />

voulaient s'instruire et acquit la réputation d'un grand savant et<br />

d'un saint. Des fondations habous -attribuent à ce cimetière des<br />

biens qui y sont distribués deux fois l'an, une fois en hiver le matin,<br />

une fois en été le soir.<br />

*<br />

* *<br />

Tombeau du Chikh Abou el Hadj Daoud. —<br />

Au pied de la"monta-<br />

gne. Ce chikh, étant sUr le point de mourir, dit à son entourage^<br />

« Faites moi enterrer du côté par lequel vous craignez le plus à'être<br />

attaqués et vous serez garantis». Il fut fait selon son désir et, de ee<br />

jour, jamais aucune attaque ne se produisit plus sur ce point alors que<br />

c'est de ce côté que les ennemis essayaient toujours d'entrer dans la<br />

ville. Il jouissait d'une grande réputation de sainteté. On raconte<br />

qu'étant un soir dans la Kaaba de la Mecque, il y était tellement ab<br />

sorbé par ses prières qu'il n'entendit pas fermer les portes. S'aper-<br />

cevant ensuite qu'il était enfermé, il invoqua Dieu ; aussitôt le mur<br />

se fendit pour lui livrer passage, puis se referma.<br />

On distribue deux fois par an des aumônes dans ce cimetière,<br />

une fois le matin en hiver et la deuxième le soir en été.<br />

Cimetière des Benaceur. ~~<br />

Trois<br />

*<br />

* *<br />

«meharibs» sont bâtis dans ce<br />

cimetière. Deux d'entre eux sont ceux des tombeaux de deux frères<br />

dont l'un était le chef de la Djemaa et l'autre le chef de la mosquée


LÉGENDES DU M'ZAB<br />

et des azzabas, tous deux hommes justes et vertueux. On raconte à<br />

leur sujet que le pays avait besoin d'eau et qu'un orage ayant éclaté<br />

sur la région, il ne tomba pas une goutte. Tous deux se demandèrent<br />

s'il ne fallait pas voir là une vengeance de Dieu pour un manque<br />

ment dont ils avaient pu se rendre coupables. Us firent un examen<br />

de conscience et ne se trouvèrent rien de répréhensible. Le serviteur,<br />

employé comme domestique de la djemaa, vint à ce moment les trou<br />

ver et leur dit : « J'ai un jour volé des raisins restant à la fin du repas<br />

offert Jà des hôtes que vous m'aviez chargé de conduire chez un tel;<br />

peut-être suis-je la cause de, tout le mal ? » Ils lui firent des reproches<br />

et l'invitèrent à demander pardon, de sa faute. Il le fit et il plut aussi<br />

tôt. Deux aumônes sont distribuées dans ce cimetière une fois l'an<br />

en hiver et en été.<br />

Le troisième mihrab est celui du serviteur de la djemaa.<br />

* *<br />

Tombeau du Chikh Aïssa et de Aïssi. —<br />

Leurs<br />

'<br />

101<br />

tombeaux sont au-<br />

dessous du bordj de Ghardaïa. C'étaient deux frères ; l'aîné était marié<br />

et le plus jeune était célibataire. Ayant labouré un terrain en com<br />

mun, ils procédèrent au partage de la répolte. L'aîné s'étant absenté<br />

de l'aire à battre pour transporter une partie de son grain chez lui,<br />

son frère se fit le raisonnement suivant. Mon frère a de la famille alors<br />

que je n'ai aucune charge ; il est juste que je prélève sur ma part une<br />

certaine quantité de céréales en faveur de mon frère et il ajouta une<br />

partie de son tas à celui de son frère. L'aîné étant revenu, ce fut le<br />

plus jeune qui s'absenta. L'aîné se dit : mon frère est seul, il n'a<br />

personne qui puisse l'aider s'il venait à être dans le besoin, et il pré<br />

leva sur sa part du grain qu'il ajouta à celle de son cadet. Dieu bénit<br />

leurs intentions et multiplia les grains remplissant les greniers et de<br />

l'un et de l'autre,<br />

avant que le transport de ce qui était sur l'aire<br />

"fut terminé. Ce qui resta fut distribué aux pauvres.<br />

Une aumône est distribuée dans ce cimetière en hiver le matin,<br />

et on y lit des prières une fois l'an. Ces tombeaux sont également<br />

visités par des gens de Mélika.<br />

— Mechehed Adjaïn. Sur<br />

* *<br />

la colline, au nord-ouest de Mélika, au<br />

nord du nouveau puits. U y avait là, autrefois,<br />

une grande pierre<br />

où venaient s'asseoir le chikh Sidi Aïssa el Meliki et le chikh Ammi


102 LÉGENDES DU M'ZAB<br />

Saïd Djerbi, dont il a été question. Un jour chacun d'eux eut la<br />

pensée de faire cuire une tête de mouton et d'en apporter les meil<br />

leurs morceaux. Au moment où ils se rencontrèrent, chacun des deux<br />

chikh présenta les morceaux choisis à son ami et il se trouva que<br />

c'étaient exactement les mêmes morceaux. On vit là un fait mira<br />

culeux et on créa le mecheheb également visité par les gens de Mélika.<br />

Mesdjed de Chikh el hadj —<br />

*<br />

* *<br />

Messaoud ben Bamour. Son tombeau<br />

est dans le mesdjeb, à droite de la route de Bou Heraouà, du côté<br />

de Mélika. Saint très vénéré, il avait été fait prisonnier à son retour<br />

de la Mecque et était détenu en Europe. Sa mère ne cessait de prier<br />

pour lui. Il était un jour occupé à laver sur le bord de la merles intes<br />

tins d'une brebis lorsqu'un chien les lui enleva, il le poursuivit sans<br />

jamais pouvoir l'atteindre et courut ainsi longtemps, lorsqu'il se<br />

trouva tout à coup devant la mosquée de Mélika. Dieu l'y avait<br />

miraculeusement amené à travers la mer. Il avait trouvé tout le<br />

long de sa route, chaque fois qu'il avait eu faim, des dattes de l'es<br />

pèce « Kerbouche ». Or, sa mère durant toute sa captivité n'avait<br />

cessé d'en distribuer en aumône en vue de, sa délivrance.<br />

Arrivé à la mosquée de Mélika, il s'y cacha dans un coin n'osant<br />

se montrer dans des habits réprouvés. Le chikh Sidi. Aïssa arriva<br />

avec des fidèles et il leur cria : « Allumez, allumez, je sens ici l'odeur<br />

de Hadj Messaoud Bàmour. » On le trouva blotti dans un coin, on<br />

y<br />

construisit un réduit que l'on voit actuellement encore dans la<br />

mosquée de Mélika. On les visite une fois l'an au printemps, ce tom<br />

beau est également visité par les gens de Mélika en hiver.<br />

— Makam Moustadjab. Au<br />

*<br />

* *<br />

sommet du Djebel Moustajab, au<br />

commencement de l'ancienne route dite « Escargot ». On raconte<br />

que des gens pieux étaient occupés à prier en ce lieu, la veille de<br />

l'Aïd el Kebir, lorsque des pèlerins qui priaient au même moment à<br />

Arafat furent transportés par Dieu auprès d'eux. Us prièrent en<br />

semble et les pèlerins furent ensuite transportés instantanément à<br />

Arafat. Toute prière faite en ce lieu est, dit-on, exaucée. De là le nom<br />

donné à cette hauteur « Moustadjab », qui est exaucé. La veille de<br />

l'Aïd el Kebir, de nombreuses personnes vont prier dans ce makam.<br />

On raconte qu'un groupe de voyageurs de Bou Noura arriva à..


LÉGENDES DU M'ZAB 103<br />

ce makam au crépuscule, il y a 60 ans et décida d'y passer la nuit.<br />

Un voleur de Ghardaïa essaya de les voler, mais il trouva devant<br />

lui un mur élevé et la porte d'entrée barrée par une chaîne, alors<br />

qu'il n'y a ni mur ni chaîne. Devant ce fait miraculeux, le voleur<br />

resta là et se dénonça le matin aux voyageurs<br />

Ghar Daïa. — U a été déjà question de l'origine du nom de la ville<br />

de Ghardaïa,<br />

au sujet du makam de Sidi Bouguedemma. Sidi Bou<br />

guedemma ayant constaté que tous les soirs une lueur apparaissait<br />

sur la colline y envoya son serviteur qui y trouva une femme nom<br />

mée Daïa. Il revint en informer son maître. Celui-ci renvoya le<br />

serviteur pour prier cette femme de venir le voir. Le serviteur fit<br />

la commission, la femme ne fit aucune opposition et dit : « C'est<br />

chose facile, j'irai». Le serviteur dit à son maître : « Elle m'a dit :<br />

c'est facile, j'irai, kalet lalla ; sahla. » Et on a de ce jour appelé la<br />

caverne : Ghar de Daïa, c'est-à-dire caverne de Dhaïa ou Daïa et<br />

encore caverne de « lalla sahla ». Les femmes de Ghardaïa ne l'ap<br />

pellent que « caverne de lalla sahla ».<br />

Elles y brûlent encore des bougies. Elles frottent les murs de la<br />

caverne avec du henné et des parfums et invoquent leur ancêtre en<br />

disant toujours en souvenir de la réponse de Daïa : la lalla sahla<br />

etleb li rebbi isehhelli hadjelti : O lalla sahla, demande à Dieu de me<br />

faciliter ce que je demande.<br />

—<br />

Haouita du Souk. r Sur la place du marché de Ghardaïa, se trou<br />

vent 24 pierres en croissant plantées en terre. En voici l'explication.<br />

Lorsque les premiers Abadites installés à Ghardaïa instituèrent<br />

la première djemaa chargée de l'administration du pays, ils déci<br />

dèrent que cette djemaa se composerait de 12 membres. U n'y avait<br />

pas de local officiel pour leur réunion. Ils décidèrent de prendre une<br />

pierre dans chacun des cimetières les plus fréquentés. On apporta<br />

ces pierres que l'on planta en terre sur la place du marché. Les Mem<br />

bres de la djemaa s'installèrent dans ce demi cercle pour délibérer<br />

en<br />

s'appuyantsur ces pierres et cela pour deux raisons : le première<br />

pour bénéficier des grâces des saints de ces cimetières, la deuxième<br />

pour<br />

s'assurer de la bonne foi de tous les membres. Ceux qui n'agis<br />

saient pas sincèrement et avaient une intention malveillante secrète


104 LÉGENDES DU M ZAB<br />

en émettant leurs avis en étaient punis par Dieu. Le nombre de<br />

pierres (24)<br />

n'a aucune signification particulière. Il s'est trouvé<br />

qu'on en a pris dans 24 cimetières ou makams réputés. On ne se sert<br />

plus de cette haouita qui est cependant vénérée et on prend soin<br />

qu'aucune pierre ne disparaisse.<br />

Sur la place du marché de Ghardaïa se trouve une construction<br />

dite pierre des prières : « Mecella Sidi el Hadj<br />

Bouhafs ». Ce sont<br />

surtout des arabes malékites qui y prient, mais les mozabites s'en<br />

servent aussi,quelquefois. Elle porte ce nom en l'honneur de Sid el<br />

Hadj Bouhafs,<br />

personnage vénéré des Ouled Sidi Chikh.<br />

* *<br />

— Tombeau du Chikh Aboumehdi Sidi ben Smaïl. Son tombeau<br />

est à l'Est de la ville de Mélika. Savant très connu,<br />

réputé pour sa<br />

charité et son habileté dans la discussion des questions religieuses,<br />

il était originaire des Oulad Naïl. Venu au M'Zab, il ne tarda pas<br />

à adopter le rite abadite dont il devint l'un des plus intelligents<br />

défenseurs. Il a eu pour élève Mohammed ben Abdelaziz, ancêtre<br />

des Ouled Abou Mohamed de Béni Isguen.<br />

Les gens de Mélika, ayant expulsé de leur ville injustement la<br />

fraction des Ouled Abdallah à la suite de discussions, il resta pen<br />

dant douze jours sans vouloir quitter sa maison. Cette fraction, qui<br />

se réfugia d'abord à Ghardaïa, en fut expulsée. Elle alla successive<br />

ment à Bou Noura et à El Ateuf et subit le même sort et finalement<br />

les gens la composant se dispersèrent dans les cinq villes du M'Zab.<br />

Les jeunes mariés vont visiter son tombeau deux ou trois jours<br />

après la célébration du mariage et y distribuent des aumônes. Trois<br />

visites ont lieu à son tombeau en hiver- toujours un vendredi. On<br />

y<br />

distribue des aumônes provenant de biens ouakf. Un grand ci<br />

metière entoure son tombeau.<br />

*<br />

* *<br />

— Mesdjed du Chikh Ba Yahmed ben Sliman. Au pied de la ville<br />

côté Ouest. Son tombeau très visité est dans le cimetière deBou Ab-<br />

derrahman el Korti. Les demandes adressées à ce saint sont égale<br />

ment généralement exaucées, il est surtout visité par les femmes qui<br />

y<br />

allument des lampes en son honneur.<br />

On raconte que le muezzin de Ghardaïa, étant monté une nuit<br />

au Minaret pour crier la prière du dernier tiers de la nuit, aperçut


LEGENDES DU M'ZAB / 105<br />

une lueur à l'endroit où est construite cette mosquée. Il y envoya<br />

deux tolbas qui trouvèrent- le chikh Ba Yahmed prosterné. C'est à<br />

la suite de ce fait que l'on décida de construire là une mosquée. Les<br />

gens de Mélika voulurent lui confier les fonctions de chef spirituel<br />

de la ville. Ils le consultèrent. U leur répondit : « Je vais réfléchir. »<br />

U se mit à prier en disant : « Mon Dieu, je vous adorais dans le secret<br />

de mon cœur, vous avez dévoilé mes sentiments, faites de moi ce<br />

que vous voudrez». Le lendemain matin, on le trouva mort.<br />

On raconte encore qu'une nuit le chikh Bamehdi Sidi Aïssa priait<br />

dans cette mosquée lorsqu'un génie lui apparut sous la forme d'un<br />

homme. U lui demanda d'où il venait : « Je viens, lui dit-il, d'une<br />

île de la Méditerrannée. Nous étions partis 69 et tous ont été dévorés<br />

en route. Je reste seul. Nous venons prier ici,<br />

de par le saint qui y est enterré ».<br />

y<br />

car ce lieu est réputé<br />

Une fois l'an, on vient y prier en hiver un vendredi et des aumônes<br />

sont distribuées. Son tombeau est dans le cimetière de Bou-Abder-<br />

rahman el Korti. On raconte qu'un indigène des Ouled Sidi Chikh<br />

passant auprès de ce cimetière le vit verdoyant, couvert de fleurs,<br />

et eut une vision qui lui représentait la sainteté des règles du rite<br />

abadite qu'il adopta.<br />

Ancienne mosquée de la ville.<br />

*<br />

* *<br />

— Située<br />

l'Est non loin de la fabrique de poteries.<br />

i<br />

près de l'Oued M'Zab à<br />

La ville de Mélika s'était formée en cet endroit au moment de sa<br />

création et on avait bâti là une mosquée. On y montre encore les<br />

vestiges du local qui servait d'école et du marché. Une femme du<br />

nom. de Mélika habitait sur la colline où est aujourd'hui la ville.<br />

On lui demanda de permettre la construction des maisons autour<br />

d'elle. Elle y consentit et de ce jour la ville s'appela Mélika en l'hon<br />

neur de cette femme.<br />

* *<br />

Lieu dit: A Touadjet Diar Ighziren. —<br />

Mots<br />

berbères signifiant:<br />

«Palmier entre les Oueds». On raconte qu'une jeune fille voulait<br />

laver du linge,<br />

elle parcourut vainement tous les jardins de Mélika<br />

sans trouver d'eau dans, les bassins ni personne qui puisse lui en<br />

tirer des puits ; ceux-ci étaient presque à sec par suite d'une longue<br />

période dé sécheresse. Elle s'arrêta et adressa à Dieu cette prière :


106 LÉGENDES DU M ZAB<br />

« C'est à toi que nous avons recours. Mon père est absent, je n'ai<br />

pas d'époux et personne ne peut donner d'eau. Je te supplie d'en<br />

voyer la pluie sur le pays par un effet de ta miséricorde ou de faire<br />

revenir mpn père ou de me donner un époux ». Avant la tombée de<br />

la nuit de ce même jour où la prière était ainsi adressée, il se mit à<br />

pleuvoir abondamment, le père de la jeune fille rentra et elle "fut<br />

demandée en mariage. On nomma l'endroit où elle s'était arrêtée<br />

pour prier : «<br />

A"<br />

Touadjet Diar Ighziren»,<br />

c'est-à-dire «Palmier<br />

entre les rivières». (Touadjet est en berbère le mot d'une espèce de<br />

palmier très répandu au M'Zab. On se sert du mot « touadjet » pour<br />

désigner une jeune fille adulte non encore mariée). On a dressé une<br />

haouita à cet endroit et les femmes y vont prier quelquefois pour<br />

demander à trouver un mari.<br />

*<br />

* *<br />

Emplacement sans nom à l'endroit où l'on fabrique la poterie. —<br />

Cet emplacement est entouré de pierres, blanchies à la chaux ; il<br />

est visité et on y distribue des aumônes quelquefois. On raconte<br />

qu'un mozabite de Béni Isguen nommé Bayoub ben Zakria ayant<br />

assassiné un mozabite de Mélika se repentit de son crime et vint trou<br />

ver les enfants de sa victime auxquels il dit : « Faites-moi payer la<br />

dia (prix du sang) ou tuez-moi, ou pardonnez-moi ». Trois des quatre<br />

enfants de la victime lui pardonnèrent. Le quatrième était absent.<br />

A son retour il déclara : «Bayoub a tué mon père, je le tuerai moi-<br />

même» et, refusant d'écouter les supplications de l'assassin, il le<br />

tua en effet. On vit alors de la ville de Mélika une colonne de feu<br />

s'élever, de l'endroit où fut tué Bayoub, vers le ciel. C'est là qu'on a<br />

construit cette haouita.<br />

*<br />

* *<br />

Makam du Chikh Sais ben Boubekeur. —<br />

Construit<br />

en forme de<br />

koubba au Sud-Est du cimetière des Chaamba de Metlili. On ra<br />

conte que cette koubba, que visitent non seulement les<br />

lika mais encore ceux des autres villes du M'Zab,<br />

la suite du fait suivant : le chikh Saïd enseignait le<br />

gens'<br />

de Mé<br />

a été construite à<br />

Coran'<br />

aux en<br />

fants de Mélika : sortant un jour de la ville, il s'aperçut, en arrivant<br />

à la porte, qu'il avait oublié une sandale. U pria un de ses élèves d'aller<br />

la lui chercher. L'enfant y alla et la trouva pleine d'argent. U revint<br />

effrayé sans la rapporter et raconta la chose à son professeur; Celui-


LÉGENDES DU M'zAB 107<br />

ci lui dit : « Tu peux retourner, tu la trouveras vide, car je demande<br />

instamment à Dieu de me priver des biens de ce monde pour me<br />

réserver ceux de l'autre vie.» L'enfant retourna, trouva la sandale<br />

vide et la rapporta. Le chikh voulant la chausser, il en tomba une<br />

pièce d'un dirhem. Le chikh la donna à son élève. Celui-ci la prit<br />

et plus tard il devint riche, ce dirhem béni lui ayant porté bonheur.<br />

Le tombeau du Chikh se trouve dans le cimetière du Chikh Abder-<br />

rahman el Korti.<br />

Tombeau du Chikh Haioub ben Daoud. —<br />

*<br />

Situé<br />

dans le cimetière<br />

du Chikh Abderrahman el Korti. Haioub ben Daoud avait une<br />

conduite fort mauvaise. Il avait passé une nuit entière à faire la<br />

fête et le chikh Aboumehdi Sidi Aïssa, dont il a été question (n° 1 ),<br />

qui se rendait à la mosquée, le rencontra dans la ville au cours de<br />

cette nuit-là. Haioub eut honte et baissa la tête. Le chikh comprit<br />

qu'il pourrait le convertir et lui dit: «Viens me voir au jour».<br />

Haioub alla le trouver. Le chikh qui était chargé de couper les che<br />

veux des gens de la ville le rasa et, prenant l'anneau d'or qui était,<br />

suivant la coutume d'alors, attaché dans la chevelure de Haioub, il<br />

lui dit : « Vends cet anneau et tu en distribueras le produit aux<br />

pauvres». Haioub le fit et se convertit. U devint très vertueux et<br />

jouit de ce moment d'une grande considération, Son tombeau est<br />

visité au printemps : on y distribue des aumônes.<br />

Mosquée du Chikh Abou Abderrahman el Korti. —<br />

*<br />

L'une<br />

des plus<br />

connues et des plus anciennes de l'Oued M'Zab. Tous les chikhs<br />

tolbas et notables du M'Zab s'y réunissaient avant l'occupation du<br />

M'Zab par les Français pour y discuter et y régler toutes leurs af<br />

faires importantes. Auprès de cette mosquée se trouve un grand ci<br />

metière qui servait autrefois à toutes les villes du M'Zab. On ignore<br />

l'emplacement exact, dans ce cimetière, du tombeau du dit Abou<br />

Abderrahman. Ce chikh était moatazélite et ce n'est qu'à un cer<br />

tain âge qu'il se convertit et adopta le rite abadite. Deux fois par<br />

an un vendredi, au printemps et en été, on visite ce cimetière. Au<br />

trefois,<br />

c'est au son du tambourin qu'on annonçait cette visite et<br />

toutes lès villes du M'Zab venaient. y Aujourd'hui, on fait seulement<br />

annoncer la visite par le crieur public et seuls les gens de Mélika y<br />

vont.


108 LEGENDES DU M ZAB<br />

On raconte que ce Chikh avait deux chèvres, l'une ayant du lait,<br />

l'autre non. Le Chikh donnait à la première une nourriture plus<br />

abondante qu'à la seconde. Celle-ci un jour se mit à parler et reprocha<br />

à son maître de la négliger. Ce fait est cité dans le pays comme un<br />

miracle.<br />

Ruines de Temizert. —<br />

A<br />

*<br />

* *<br />

Mélika et Bou Noura, on voit encore des<br />

ruines et une petite koubba devant laquelle existe une haouita en<br />

pierres.<br />

Lors de leur arrivée dans la région, les premiers abadites venant<br />

de Tiaret s'installèrent en ce point. Ce n'est que peu à peu qu'ils<br />

se séparèrent lorsque la sécurité augmenta et qu'ils furent plus nom<br />

breux pour former les sept villes du M'Zab. Les villes de Mélika et<br />

de Bou Noura vont une fois par an y prier.<br />

On raconte qu'une femme en pèlerinage à la Mecque aurait dit<br />

un jour : « Quiconque fera en mon nom une prière de deux rekaa à<br />

Temizert en sera récompensé par une prière de deux rekaa que je<br />

ferai moi-même sur le tombeau du prophète Sidi Ibrahim. »<br />

*<br />

* *<br />

Un Makam sans nom se trouve à l'est du cimetière de Sidi Aïssa,<br />

au dessus des jardins de Bouheraoua. Il est visité et on y distribue<br />

des aumônes une fois l'an. On* raconte à son sujet ce qui suit.<br />

Un homme vertueux nommé Abouyoub Amimoun dit Afellah<br />

d'Aghlan, c'est-à-dire le khammès du M'Zab de Ghardaïa, vit un<br />

jour arriver huit individus qui passèrent auprès de lui alors qu!il<br />

tirait de l'eau. C'étaient huit hommes vertueux. U les suivit laissant<br />

couler l'eau dans les rigoles du jardin où il travaillait et les rejoi<br />

gnit à l'endroit où est actuellement ce makam. Il s'était muni d'un<br />

melon vert qu'il leur donna et il leur demanda qui ils>étaient : « Nous<br />

sommes des serviteurs de Dieu, lui dirent-ils. » U les invita à dîner,<br />

car le soleil allait disparaître. Leur chef refusa en disant : « C'est à<br />

Sedrata que nous allons dîner, regarde. » Et en effet il vit devant lui<br />

Sedrata, cependant distant de 200 kilomètres, et tous ces huit indi<br />

vidus s'y trouvèrent transportés miraculeusement. U revint à son<br />

jardinet ; l'eau qu'il avait laissée dans les rigoles s'était arrêtée<br />

et se remit à couler à son arrivée.


— Il<br />

LÉGENDES DU M'ZAB 109<br />

*<br />

* *<br />

Cimetière du Chikh Hamou ben Bclgacem, à l'Est de l'Oued Mélika.<br />

renferme le tombeau de ce chikh qui, originaire du Djebel Ne-<br />

foussa, était venu habiter Mélika.<br />

C'était un savant réputé qui enseignait à Mélika et à Ghardaïa.<br />

Un parti de cette ville, les Aal Abou,<br />

voulut un jour l'en chasser et<br />

l'obliger à retourner dans son pays. Il dit à leur sujet: «Qu'ils<br />

meurent dans leurs jardins sous leurs arbres.» Et effectivement<br />

tous ceux qui l'avaient menacé furent un jour attaqués dans leurs<br />

jardins par des ennemis et y furent tués. Ce parti des Aal Abou ne<br />

compte que quelques personnes et ne prospère pas par suite de leur<br />

conduite vis-à-vis du chikh. Us sont compris aujourd'hui dans les<br />

Ouled Noub. Une partie était,allée, après la mort des leurs dans l'oa<br />

sis, pour s'installer à Berrian ou l'on retrouve la fraction des Aal<br />

Abou. On visite ce cimetière l'hiver, toujours un vendredi, et on y<br />

distribue des aumônes.<br />

Makam Tekoumbit. —<br />

on vient y prier.<br />

Près<br />

*<br />

* *<br />

du barrage de Mélika, très vénéré ;<br />

On raconte sur ce makam que le chikh Sidi Aïssa Aboumehdi,<br />

au moment de mourir, dit à son entourage : « Enterrez-moi du côté<br />

par lequel vous craignez que l'ennemi vienne vous attaquer.»<br />

On porta donc son corps vers l'oued et on le déposa à l'endroit où<br />

est aujourd'hui ce makam constitué par un amas de pierres. Mais<br />

on pensa que les crues de l'oued pourraient l'enlever. On hésitait<br />

donc, lorsque deux oiseaux blancs arrivèrent et se posèrent, l'un sur<br />

la tête, l'autre sur les pieds du chikh, puis ils s'envolèrent et allèrent<br />

se poser sur le- haut de la colline de Mélika. On vit là une indication<br />

miraculeuse et on y enterra le chikh. C'est là que s'est formé le<br />

cimetière qui porte son nom.<br />

*<br />

* *<br />

Mesdjed Boudjedria, dans la ville de Béni Isguen. —<br />

Mosquée<br />

située dans le quartier de la porte Est de la ville. On y distribue<br />

chaque année des aumônes.


110 LÉGENDES DU M'ZAB<br />

Boudjedria était réputé pour sa sainteté. Il vivait en 577 de l'hé<br />

gire. Il vécut longtemps sous un arbre dit Djeddari, à l'Est de, l'em<br />

placement de la ville. Toutes les nuits on<br />

apercevait de la lumière<br />

sous ce « djeddari » et, quand on allait voir d'où elle provenait,<br />

on n'y trouvait ni lumière ni Boudjedria. Les gens étaient très intri<br />

gués. L'iman de la mosquée,<br />

lui-même à cet arbre et demanda<br />

Abou Zakaria, décida une nuit d'aller<br />

auparavant à Dieu de faire qu'il<br />

puisse se rendre compte s'il s'agissait là d'un fait provenant de la<br />

puissance divine ou de démons. Il fit sa prière du soir (acha) et partit.<br />

Arrivé à l'arbre, il y trouva un homme qui priait et le salua. L'homme<br />

continua à prier et après avoir terminé répondit en disant : « Qu'il<br />

soit le bienvenu, —<br />

et de quelle tribu ? —<br />

l'envoyé de Dieu. Qui êtes-vous, demanda l'iman,<br />

Nous sommes, lui dit l'homme, vous et moi,<br />

des serviteurs de Dieu, de ceux qui méprisent les biens de ce monde ».<br />

Abou Zakaria se mit à pleurer et s'en retourna à la mosquée où il<br />

raconta ce qu'il avait vu. Les lueurs cessèrent d'apparaître à partir<br />

de ce jour.<br />

*<br />

* *<br />

Tombeau du Chikh Abou Mohammed. —Au sud de la ville, ren<br />

ferme les restes d'Abou Mohammed, connu pour sa science et sa<br />

piété,<br />

qui consacra toute sa vie à l'étude et à faire du bien. Sa répu<br />

tation d'homme intègre, pieux et savant, était telle, qu'on lui donna<br />

la direction de toutes les affaires du pays et qu'ilétait obéi de tous.<br />

U enseignait le Coran et les hadits au peuple.<br />

Toutes les villes du M'Zab envoyèrent des délégations à ses funé<br />

railles et il fut enterré à l'endroit ou s'élève actuellement sa koHbba.<br />

On raconte qu'au cours de la nuit qui suivit sa mort,<br />

une lueur<br />

intense se répandit sur toute la vallée du M'Zab. C'est en l'an 715<br />

de l'hégire que se passait ce fait. Un cimetière s'est créé autour de<br />

son tombeau. Des fondations habous sont constituées en l'honneur<br />

de ce saint et sont réparties annuellement au cimetière. Ce sont<br />

généralement ceux qui ont, avant leur mort, décidé de se faire enter<br />

rer en ce lieu qui laissent des fondations en sa faveur.<br />

*<br />

* *<br />

Makam de Abou el Abbès Ahmed el Oûilili. —<br />

Placé<br />

au sommet<br />

de la colline située en face la ville de Béni Isguen, au-dessus du tom<br />

beau d'Abou Mohammed.


LÉGENDES DU M'ZAB 111<br />

On raconte que Belabbés monta un jour de printemps sur la mon<br />

tagne de Messaab et s'installa sur une colline où il se mit à adorer<br />

Dieu. C'était précisément pendant le ramadan. Il s'appliqua à ob<br />

server les prescriptions du carême. Le 27e jour au soir, dans la nuit<br />

du jeudi au vendredi, il constata que toutes les choses qui l'entou<br />

raient se prosternaient en même temps'que lui. U vit en priant les<br />

portes des cieux s'ouvrir et aperçut une flem répandant une odeur<br />

agréable. Deux jeunes filles descendant alors des cieux se dirigèrent<br />

vers lui, enveloppées toutes deux dans un même voile. L'une des<br />

deux paraissait plus jeune que l'autre. Leur beauté était incompa<br />

rable. La plus âgée se plaçant devant lui et l'autre derrière lui, elles<br />

lui annoncèrent qu'elles étaient les deux épouses qui lui étaient ré<br />

servées .dans<br />

le<br />

paradis. Il voulut s'approcher d'elles, mais la plus<br />

âgée lui dit : « Prends garde, prends garde,<br />

tu es encore tout impré<br />

gné des odeurs de ce monde. Nous serons réunis l'année prochape<br />

au lieu dit « remlat ettebel» aux Ouled Sliman (Ouargla)». Et elles<br />

partirent^ Abou el Abbès les suivit des yeux jusqu'à ce qu'elles aient<br />

disparu dans le ciel. Les portes des cieux se refermèrent. Abou el<br />

Abbès partit pour Ouargla; il raconta ce qUi lui était arrivé à des<br />

chioukh. L'époque qui lui avait été fixée s'approchant, il partit<br />

pour le « Righ » et alla voir en passant le chikh Abou el Abbès ben<br />

Mohammed à Tin Isly qui insista pour le retenir chez lui pendant la<br />

nuit. Abou el Abbès Ahmed el Ouilili refusa et expliqua qu'il était<br />

tenu par le rendez- vous des deux jeunes filles et il lui raconta sa<br />

vision. Abou el Abbès ben Mohammed le laissa donc aller. Abou el<br />

Abbès Ahmed el Ouilili partit alors pour Remlat Ettebel. Il y trouva,<br />

fidèles au rendezvous,<br />

les deux jeunes filles, mais leur visage était<br />

inquiet et ne présentait pas les traits éblouissants de la première _<br />

entrevue. Il les interrogea sur ce changement : « Tu as, lui répondi<br />

rent-elles, dévoilé notre secret et cependant les véritables serviteurs<br />

de Dieu meurent pour sa cause et préfèrent mourir plutôt que de<br />

le trahir. C'est ainsi que Abdelhamid, saint des anciens temps, ense<br />

veli à Maksen, est mort pour la cause de Dieu. Il n'y a plus que sept<br />

chikhs qui actuellement servent réellement le Seigneur. Quant à<br />

toi,<br />

c'est dans la nuit de dimanche à lundi que tu viendras<br />

nous rejoindre.» Et elles disparurent. Le dimanche soir, il régla<br />

sas affaires, dit au revoir aux siens et, après la prière du soir, il<br />

mourut.


112 LÉGENDES DU m'zAB<br />

* *<br />

A El Ateuf se trouve le tombeau du Cheikh Zakaria ; tombeau<br />

très visité. Ce chikh très vénéré était muezzin à El Ateuf.<br />

Une crue de l'oued emporta un jour un palmier lui appartenant.<br />

U partit avec son fils et le retrouva dans l'oued à l'endroit où est<br />

aujourd'hui son tombeau. Us se mirent à couper le tronc. Des Chaam-<br />

ba arrivèrent et les tuèrent tous deux, leur coupant les mains et les<br />

pieds. Au moment d'appeler à la prière,<br />

sa femme entendit l'appel<br />

sortir d'un burnous placé dans une chambre. Elle le fit constater<br />

par les gens de la ville. Le père et le fils sont enterrés ensemble.<br />

'<br />

— Makam Ouandji. Homme<br />

*<br />

* *<br />

pieux et savant venu de l'oued Righ.<br />

Comme il passait un jour auprès du village de Blidet Amor dans<br />

l'oued Righ,<br />

un khammès cueillit un melon pour le lui offrir. II<br />

suivit le chikh mais ne voulut pas l'appeler et décida d'attendre<br />

qu'il se tournât vers lui. Cela ne se produisit qu'à l'endroit où est le<br />

tombeau actuellement. A ce moment, il le lui offrit. Le chikh lui<br />

dit : « Je prie Dieu de te favoriser dans toutes tes affaires. Ferme<br />

maintenant les yeux. » Le khammès les ferma et se trouva tout à coup<br />

miraculeusement transporté dans son jardin de l'oued Righ. Chaque<br />

année on y distribue des aumônes.<br />

*<br />

* *<br />

Les Chaamba ont pour centre Metlili, oasis située,à 30 kilomètres<br />

au Sud de Ghardaïa ; quelques légendes se rattachent aussi aux nom<br />

breux tombeaux qui font l'objet de leur vénération.<br />

Moulai Sliman Ben Moulai M'Hammed, dont on ignore l'origine,<br />

est un des saints les plus vénérés. C'est lui le chef de la branche des<br />

Chorfas de Metlili. Il est arrivé à Metlili venant de l'Est. Son tom<br />

beau est situé au flanc du rocher, à l'Est du Ksar. On y a élevé une<br />

construction sans voûte. On l'aperçoit en arrivant à Metlili par là<br />

route du Chabet M'Zab. C'est le mokaddem Kaddour ben Amar ben<br />

Moulai Brahim, mokaddem des affiliés à la secte de Bou Amamà et<br />

Ahmed ben Kaddour ben Bekkar qui ont fait faire cçtte construction.<br />

Un cimetière des Chorfas est auprès du tombeau.<br />

Une fois par an, on fait une collecte et on achète un chameau qui


LÉGENDES DU M'ZAB 113<br />

est égorgé dans le jardin portant le nom du Saint, non loin du tom<br />

beau. On prépare un repas qui est distribué aux assistants, et l'iman<br />

de la mosquée de Metlili, qui préside, appelle la bénédiction de Dieu<br />

sur les assistants, sur leurs familles, sur leurs biens et demande la<br />

pluie.<br />

* *<br />

Sid El Hadj Moassa ben Ahhied. —<br />

On<br />

fait remonter son origine<br />

à Sidi ben Abbès, oncle du prophète qui est décédé à Metlili il y a<br />

six siècles. Les béni Merzoug de Metlili sont ses descendants. Une<br />

koubba a. été élevée sur le tombeau qu'entoure un ancien cimetière.<br />

Quiconque prête sur ce tombeau un faux serment en est certainement<br />

puni par un malheur. Une fête annuelle est. donnée en son honneur<br />

sur la place dite « Place Zaouia ».<br />

Sid el Fellah ben Barka, —<br />

Originaire du Soudan et contemporain<br />

de Sid el Hadj Moussa ben Ahmed (lé précédent) a ,son<br />

tombeau<br />

près du sien. Les nègres connus sous le nom de Dendoun (j oueurs de<br />

castagnettes)<br />

lui ont élevé une koubba. Ces nègres dendoun appelés<br />

aussi « Derdeba » ont une façon curieuse de se procurer de l'argent.<br />

Us parcourent le pays, se présentent chez les arabes blancs et, dans<br />

les familles où il a y des enfants, on fait le simulacre de les leur ven<br />

dre. Le chef des dendoun prend alors une tige de palmier et se met<br />

à la tordre et à la tailler avec un couteau, tout en dansant. Puis il<br />

la remet à la mèr de l'enfant qui doit, la conserver pour que son<br />

ren'fant vive longtemps. Dans les villes du Sud, à Laghouat par exem<br />

ple, cette tige est soigneusement conservée au grenier. On trouve des<br />

hommes de 50 ans dont les mères gardent toujours cette relique.<br />

Toutes les années les dendoun repassent et on leur donne dix sous.<br />

L'origine de cette coutume, disent certains indigènes, serait la sui<br />

vante : le nègre du prophète, Blal, éleva les filles de son maître et<br />

on considère qu'en confiant ses enfants à des nègres descendant des<br />

Blal ils seront préservés de tout mal.<br />

Koubba de Sid El Hadj —<br />

*<br />

* *<br />

Bouhafs ben Sid Eccheikh. Construite<br />

depuis 25 ans environ au lieu dit Sebka, à l'est de la route en entrant


114 LÉGENDES DU M'ZAB<br />

dans le Ksar. Patron de Metlili,<br />

c'est lui qui assure la prospérité<br />

du pays et on considère que, sans son intermédiaire,<br />

sans son inter<br />

vention, tout pérëcliterait dans la région : il n'y aurait plus ni crues<br />

ni récoltes. Son père en mourant lui aurait dit : « Metlili t'appartient<br />

et tu appartiens à Metlili, prends-en soin. » Une mesure (hatia) de<br />

blé de chaque récolte et une grappe de dattes de chaque jardin est<br />

abandonnée aux Ouled Sidi el Hadj Bouhafs.<br />

Trois fêtes sont données annuellement en son honneur, dont l'une<br />

par tous les mozabites de Metlili, la deuxième par les Chaamba qui<br />

achètent à cet effet deux brebis. Ces brebis, étant égorgées, leur chair<br />

coupée en morceaux est placée dans une toile et celui qui a égorgé<br />

les brebis prend les morceaux un à un et les lance au loin aux enfants<br />

qui sont là et qui luttent de vitesse pour s'en emparer. La troisième<br />

fête comporte simplement un repas composé de dattes et de pain et<br />

de dechicha. A chacune des trois il y a des invocations en faveur de<br />

Metlili.<br />

#<br />

* *<br />

Trois Koubbas ont été élevées à Metlili en l'honneur de Moulay<br />

Abdelkàder EIDjilali. La première est située à MetlegChaabelAriche<br />

sur le flanc de la colline. On y va surtout en pèlerinage le jour où<br />

les Chaamba quittent Metlili pour le Sahara. Tous les Chaamba<br />

qui partent poUr le sud viennent avant leur départ passer une nuit<br />

auprès de cette koubba avec leur famille et font une aumône.<br />

La deuxième koubba est située à Chabbet Souani à l'Ouest de<br />

l'Oasis du Ksar ; elle est l'Objet de sacrifices et d'invocations à pé<br />

riodes indéterminées.<br />

Une troisième Koubba, toujours en l'honneur du même saint, est<br />

bâtie sur le Kef Ariche Bousague, à l'Ouest de l'oasis de la ville.<br />

Elle a été construite par Kouider ben Messaoud berï Chaïch. Il em<br />

ploya à ce travail un grand nombre de femmes dans les circonstances<br />

suivantes : ce Kouider avait des mœurs inavouables et tout le monde<br />

lé repoussait lorsqu'un sage lui donna un jour ce conseil : « Lorsque<br />

tu verras les adeptes de Bou Amama faire leurs invocations, entre<br />

dans le cercle qu'ils formeront et prie avec eux. Peu à peu cette ré<br />

pulsion de tous pour toi disparaîtra et un jour viendra où les adeptes<br />

de Bou Amama reconnaîtront que tu es converti etle proclameront.».<br />

Il fit ainsi qu'on le lui conseillait, se convertit et construisit cette<br />

koubba, il y a 25 ans. Elle est l'objet de sacrifices et d'invocations.


LÉGENDES DU M'ZAB 115<br />

*<br />

* *<br />

Le Makam Sidi Cheikh Ben Eddin est situé à Chaabet Sidi Chikh ;<br />

il renferme actuellement les restes de Sidi Eccheikh ben El Bachir<br />

des Ouled Sidi Chikh et est le lieu d'un pèlerinage général des Chaam<br />

ba chaque année. On y sacrifie deux brebis et un chameau avec<br />

invocations habituelles.<br />

On raconte qu'un chambi aurait autrefois vu, non en songe, mais<br />

en état d'éveil, ce saint qui priait en ce lieu et on y aurait, en effet,<br />

relevé les traces de sa monture et de son sabre sur le rocher. Ces<br />

traces subsisteraient encore, dit-on actuellement. En raison de ce<br />

miracle,<br />

cette koubba est restée l'objet d'une grande vénération.<br />

X.


"<br />

SCIENCE ET DEVOUEMENT<br />

au Service des Blesses de l'Armée Française<br />

PENDANT LA GUERRE (l)<br />

La pensée de faire une conférence sur, la Guerre en pareil moment<br />

où l'heure n'est pas aux paroles, mais aux actes, ne me fût certaine<br />

ment pas venue, si notre cher Président ne s'était fait l'interprète<br />

de la Société^ de Géographie, à laquelle ma vieille affection ne<br />

me permet de rien refuser. Après une courte hésitation, j'acceptai de<br />

prendre la parole parmi vous, pendant ce court séjour trop dans ma<br />

chère ville d'Alger et avant de reprendre à l'étranger la tâche qu'a<br />

bien voulu me confier le Ministre des Affaires Etrangères. Et je le<br />

fais d'autant plus volontiers... que l'occasion m'est ainsi offerte de<br />

m'acquitter d'une dette de reconnaissance envers le chef aussi<br />

éclairé que valeureux, envers l'homme aussi modeste que bon, sous<br />

les ordres duquel j'eus l'honneur de servir à la 6e Armée,<br />

sur la Marne<br />

et sur l'Oise, sur l'Aisne et sur la Somme, j'ai nommé M. le Médecin-<br />

inspecteur- général Nimier,<br />

que je suis heureux de saluer ici et sous<br />

l'égide duquel je place cette conférence, toute pleine de son œuvre<br />

impérissable,<br />

qui doit faire la gloire de sa vie.<br />

Qu'il me soit permis de répéter, en matière de préambule, que<br />

c'est au médecin inspecteur général Nimier que la 6e Armée a dû<br />

d'être dotée du plus bel organisme sanitaire qui ait été conçu et<br />

exécuté au cours de cette guerre : c'est là un fait incontestable,, que<br />

s'accordent à reconnaître tous les généraux, qui ont dû à cette or<br />

ganisation la récupération rapide de leurs effectifs combattants.<br />

Mais, ce que je tiens aussi à ajouter —<br />

encore songé à dire —<br />

et c'est là ce que personne n'a<br />

c'est que la reconnaissance des familles algé<br />

riennes doit être grande envers ce chef qui a toujours eu sur le front<br />

de son armée les splendides troupes de l'Afrique du Nord, dont le<br />

poids fut grand dans l'écrasante défaite subie par les armées enne-<br />

(1) Conférence faite à la Société de Géographie d'Alger et de l'Afrique<br />

du Nord, le 24 février <strong>1919</strong>, dans l'une des salles de la Mairie d'Alger.


.SCIENCET DÉVOUEMENT<br />

mies, L'on savait bien à la 6e<br />

AU SERVICE DES BLESSES 117<br />

Armée, comme d'ailleurs à la 10e, à<br />

la 4e, à la 3e, pour citer seulement celles que je vis à- l'œuvre, que<br />

partout où il y avait des coups à donner ou à recevoir, partout où<br />

des sacrifices douloureux s'imposaient, partout où l'on voulait être<br />

sûr de la victoire, c'est aux troupes d'Afrique que l'on s'adressait ;<br />

c'était partout nos régiments d'Algérie que l'on retrouvait, aussi<br />

vaillants à l'attaque que solides à la défense, véritables bataillons<br />

d'acier, toujours prêts à se sacrifier jusqu'au dernier homme pour la<br />

défense sacrée du sol de la patrie française.<br />

Aux heures longues de la guerre de tranchées, quand, dans une<br />

inaction relative, nos poilus voyaient monter en ligne nos zouaves<br />

et nos tirailleurs, leur joie était grande, car ils sentaient que l'on<br />

allait tenter un effort. « Voilà les Algériens, s'écriaient-ils,<br />

c'est que<br />

l'on va bientôt attaquer» ! Et en effet, à nos troupes africaines était<br />

toujours réservée la place d'honneur : nos zouaves, nos tirailleurs,<br />

nos bataillons d'Afrique formaient les vagues d'assaut, déferlant<br />

sans merci vers l'ennemi et lui infligeant toujours des pertes terri<br />

bles,<br />

pendant que nos groupes d'artillerie de campagne d'Afrique<br />

préparaient les attaques en arrosant copieusement les positions<br />

ennemies et en protégeant nos bataillons d'assaut par la précision<br />

de leurs tirs de barrage.<br />

C'est avec les troupes d'Afrique que la 6e Armée, alors commandée<br />

par le Général Maunoury,<br />

contribua pour une large part à la victoire<br />

de la Marne, en septembre 1914 ; ce sont les zouaves et les tirailleurs<br />

de cette même armée qui tinrent l'ennemi en échec sur l'Oise et sur<br />

l'Aisne, pendant toute l'année 1915 ; ce sont eux qui défendirent<br />

Verdun au début de 1916 et qui, par un prodige d'ubiquité, attaquè<br />

rent au même moment sur la Somme ; là, tous nos régiments d'A<br />

frique donnent à la fois. C'est le 9e Zouaves, dont nous fêtions hier<br />

les heureux survivants qui, le 10 août, enlève Maurepas et, quelques<br />

jours plus<br />

tard,'<br />

s'empare de Sailly Saillisel ; c'est le Ie Tirailleurs,<br />

sous les ordres du Lieutenant-Colonel Dardenne,<br />

qui prend Belloy-<br />

en-Santerre ; ce sont nos régiments qui conservent partout le terrain<br />

conquis, malgré les bombardements les plus violents. L'un d'eux,<br />

pendant 7 jours et 7 nuits consécutifs,<br />

l'insomnie, malgré la boue encrassant les armes,<br />

malgré la fatigue et malgré<br />

non content de<br />

résister aux efforts désespérés de l'ennemi, exécute coup sur coup<br />

toute une série d'attaques, qui Je fixèrent sur ses positions et qui<br />

donnèrent aux renforts le temps d'arriver.<br />

Et, au printemps de 1917, nous les retrouvons encore au Chemin<br />

des Dames, sous les ordres du Général pre-<br />

Marchand, formant la


,<br />

118 SCIENCE ET DEVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSES-<br />

enlevant la ferme d'Heur-<br />

mière vague d'assaut de l'armée Mangin,<br />

tebise, s'emparant du Monument, s'avançant sur Sissone et sur<br />

Laon dans un élan invincible que rien n'eût pu arrêter, ni profusion<br />

de nids de mitrailleuses, ni défenses du pied des pentes fortifiées,<br />

ni artillerie de tous les calibres,<br />

si des circonstances imprévues n'é<br />

taient venues annihiler leurs efforts et briser implacablement les<br />

plans merveilleusement conçus par le haut commandement français<br />

d'alors,<br />

çaises.<br />

admirablement exécutés par les splendides armées fran<br />

C'est en voyant combattre sur le Chemin des Dames ces incom<br />

parables régiments algériens que je sentis vraiment combien était<br />

dans le vrai mon prédécesseur,<br />

médecin-chef de l'ambulance chirur<br />

gicale de la 38e Division, lorsque, me passant le service, il dit sim<br />

plement, les yeux pleins de larmes : « Soyez heureux de votre sort,<br />

mon cher camarade, vous appartenez désormais à la plus belle di<br />

vision de l'Armée française. »<br />

Certes cette division fut belle : elle accomplit des prodiges d'en<br />

durance et d'héroïsme, mais hélas ! elle paya un lourd tribut au feu<br />

de l'ennemi et partout, dans nos ambulances, dans nos H.O.E.,<br />

dans nos hôpitaux d'étapes, les zouaves, les tirailleurs, les bataillons<br />

d'Afrique, les artilleurs, les chasseurs, les spahis, arrivèrent nombreux,<br />

souvent porteurs de bien graves blessures, mais toujours satisfaits<br />

d'avoir fait jusqu'au bout leur devoir, tout leur devoir.<br />

C'est pour assurer à nos glorieux blessés les soins éclairés auxquels<br />

ils ont droit que le médecin-inspecteur-général Nimier, secondé par<br />

le'<br />

son adjoint des premiers jours, médecin principal Ruotte, jadis<br />

médecin-chef à l'hôpital militaire de Blida où il a laissé les plus vi<br />

vants souvenirs, aujourd'hui médecin-inspecteur, chef supérieur du<br />

Service de Santé de la 4e Armée, fit de son service de santé une or<br />

ganisation modèle, à laquelle 55 mois de guerre n'ont rien permis<br />

d'ajouter, et où l'on a seulement pu apporter depuis les modifications<br />

exigées par des situations nouvelles. Des formations les plus avancées<br />

jusqu'aux gares régulatrices, ce chef avait tout prévu, tout réglé ;<br />

connaissant individuellement tous ses subordonnés, il avait su uti<br />

liser leurs compétences et mettre chaque médecin dans le pbste ou<br />

il était susceptible de rendre le maximum de services.<br />

*<br />

* *<br />

Lorsqu'aux premiers mois de la guerre, après la Marne, la 6e Ar<br />

mée s'immobilisa sur l'Oise et sur l'Aisne, de Compiègne à Sôissons,


SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSÉS 119<br />

c'est le médecin-inspecteur-général Nimier qui créa le Centre de<br />

triage de Compiègne, aU rez,-de-chaussée de ce palais où, pendant<br />

l'hiver 1914-1915, mon ambulance reçut les zouaves et les tirailleurs<br />

blessés à Tracy-le-Val, à Bailly, à Nervaise, les spahis blessés à<br />

Montmacq, dont un certain nombre déjà avaient reçu les soins<br />

éclairés du médecin-major Miramont de Laroquette, dont l'ambu<br />

lance, fonctionnant à l'orée de la forêt de Laigue, était un modèle de<br />

formation sanitaire avancée.<br />

C'est à Compiègne que fut installé le Centre hospitalier de Royal<br />

Lieu, où, d'un groupe de bâtiments neufs destinés à faire des casernes,<br />

le médecin- inspecteur général fit un splendide hôpital de 3.000<br />

lits où chaque spécialité trouva sa place, et qui eût pu soutenir<br />

avantageusement la comparaison avec les hôpitaux les mieux amé<br />

nagés du temps de paix.<br />

Compiègne, chei-lieu sanitaire, de la 6e Armée,<br />

ne tardait pas à<br />

prendre, au point de vue scientifique, l'importance d'une université de<br />

guerre ; Carrel venait y installer son ambulance au Rond Royal<br />

et'<br />

y faisait les premières applications de sa méthode nouvelle de<br />

traitement des blessures, qui allait révolutionner la chirurgie de<br />

guerre'; à côté, à la Compassion, Meneière pratiquait l'embaumement<br />

des plaies, dont les résultats étaient si favorables dans des circons<br />

tances où l'emploi de la méthode de Carrel était difficile ouimpossible;<br />

plus loin, Foisy<br />

adaptait à la chirurgie des fractures ses connaissances<br />

profondes, et son esprit inventif, et.<br />

chirurgicales bimensuelles,<br />

là,"<br />

dans les réunions médico-<br />

venait- se faire la synthèse des acqui<br />

sitions nouvelles, au cours de discussions souvent passionnées, mais<br />

toujours courtoises.<br />

Ce fut là, pour nous, j'ose le dire, lé beau temps de la guerre. Avec<br />

une ardeur de néophyte, chacun travaillait à s'adapter au plus vite<br />

à la chirurgie de guerre, si nouvelle pour- tous. Dans une douce at<br />

mosphère de camaraderie, sous les ordres de chefs aqui nous aimaient<br />

et que nous respections profondément, dans le tumulte des champs<br />

de bataille,<br />

comme aux heures monotones de la vie de tranchée, ou<br />

dans le calme relatif de l'arrière-front,<br />

mum d'efforts,<br />

chacun fournissait le maxi<br />

guidé par l'unique souci d'être à la hauteur de sa<br />

tâche pour assurer à nos chers blessés tous les soins les meilleurs.<br />

Plus tard, sur la Somme,<br />

c'est à Amiens que le médecin-inspecteur-<br />

général Nimier installait le grand centre hospitalier de son aimée.<br />

Deux ans s'étaient écoulés depuis les débuts de Compiègne ; la chi<br />

rurgie de guerre avait évolué ; les ambulances,<br />

n'opérant plus isolé<br />

ment,, avaient été réunies eh groupements de Corps d'Armée ou


120 SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSÉS<br />

d'Armée ; de vastes H. O. E. faisaient en grand le triage et déversaient<br />

leur trop plein sur le Centre .hospitalier, qui conservait les blessés<br />

très légers ou très grièvement atteints pour évacuer les autres sur<br />

l'intérieur. Amiens était devenu une ruche bourdonnante, où tous<br />

les hôpitaux fonctionnaient comme des usines à grand rendement,<br />

sous la bonne direction dû médecin- principal Pascault, aujourd'hui<br />

médecin-chef de la. place de Paris. Comme à Compiègne, une réunion<br />

médico-chirurgicale, que présidait le médecin-inspècteur-général<br />

Nimier, parfois assisté du Pr. Tuffier, réunissait deux fois par mois<br />

les médecins et les chirurgiens des formations sanitaires, qui venaient<br />

apporter leurs observatiops personnelles et puiser aux rapports<br />

aux communications de Pierre Duval, dé Gaudier, de Rouvillois et<br />

d'autres encore, les enseignements nouveaux de la chirurgie de guerre.<br />

C'est grâce à cette direction énergique et soutenue, à cette méthode<br />

de travail intensif, à cette émulation pleine des sentiments les<br />

plus'<br />

nobles, que le personnel médico-chirurgical de la zone des armées<br />

devint un personnel d'élite et que nos poilus, tombés sur le champ de<br />

bataille, purent recevoir les soins éclairés qui leur permirent d'échap<br />

per aux terribles complications des plaies de guerre, au tétanos,<br />

à la gangrène gazeuze, à l'infection purulente.<br />

Nos poilus ! Si vous saviez ce que ces mots éveillent de souvenirs<br />

chez ceux qui Jes ont vus à l'œuvre durant ces longues années de<br />

guerre et quels frissons pleins d'émotion ils provoquent chez tous<br />

ceux qui les ont vu graver, de là pointe de leur baïonnette, les plus<br />

belles pages qui aient jamais été écrites au livre d'or d'un grand peu<br />

ple.<br />

Ces poilus, beaucoup<br />

les connaissent seulement.pour les avoir vus,<br />

au cours d'une permission de détente, la poitrine barrée de la croix<br />

de guerre, de la médaille militaire, de la Légion d'honneur, la tête<br />

haute, le regard clair, riant de tout, critiquant tout, pensant unique<br />

ment au plaisir et semblant oublier la guerre. Au front,<br />

ce poilu<br />

n'était plus le même homme ; c'était le demi-dieu de la légende anti<br />

que, matérialisant le courage, la vaillance, l'héroïsme. Les vêtements<br />

couverts de boue ou de poussière, l'œil injecté, la face crispée, la<br />

veille au poste d'écoute, souvent dans l'eau jusqu'à la ceinture. Si<br />

gamelle, il l'avait mangée froide ; son pinard, il l'avait bu en hâte ;<br />

sa nuit, il l'avait passée blanche, sous un bombardement incessant.<br />

N'importe, l'ennemi était devant lui, à quelques mètres parfois;<br />

il fallait lé tenir en respect. Et quand arrivait, le moment de l'assaut,<br />

si impatiemment attendu, quand il lui fallait bondir hors de sa tran<br />

chée pour courir sus à l'ennemi, la grenade à la main ou la<br />

baïonnette'


SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSÉS 121<br />

pointée, il allait droit devant lui jusqu'à l'objectif donné, décidé à<br />

vaincre ou à mourir. Hélas ! que de fois, atteint par la mitraille, il<br />

tombait en chemin, sans un cri, sans une plainte, en continuant à<br />

suivre du regard ses camarades plus heureux qui atteignaient leur<br />

but et, conscient d'avoir fait son devoir de Français, il mourait satis<br />

fait, humble héros anonyme qu'-allait recouvrir le lendemain un<br />

petit tertre de cette terre1<br />

ensanglantée pour l'amour de laquelle il<br />

avait donné sa vie ! Plus heureux que lui, son camarade, frappé par<br />

le même obus, tombé au même moment, était ramassé vivant par<br />

les brancardiers, porté au poste de secours et alors commençait pour<br />

lui la triste odyssée des évacuations successives, du poste de secours<br />

àl'ambulance, de l'ambulance àl'H. O. E.,de l'H. O. E. à l'hôpital. C'est<br />

ce calvaire que nous allons gravir avec lui, en l'accompagnant depuis<br />

la tranchée jusqu'au train d'évacuation,<br />

au travers de ces formations<br />

sanitaires, où la science et le dévouement n'ont cessé de s'unir depuis<br />

le premier jour de la guerre et poursuivront, en silence, leur œuvre<br />

sacrée jusqu'à la parfaite guérison du dernier blesse, du dernier ma<br />

lade de cette guerre.<br />

Aussitôt le blessé tombé, les brancardiers régimentaires, de vieux<br />

camarades de longue date, bravant les rafales de balles et d'obus,<br />

s'efforcent d'arriver jusqu'à lui ; rapidement ils arrêtent une hémor<br />

ragie, immobilisent une fracture, recouvrent une blessure d'un<br />

"pansement protecteur; Puis ils tentent de transporter le patient<br />

jusqu'au poste de secours,<br />

où le médecin auxiliaire complète le trai<br />

tement d'urgence avant de procéder à l'évacuation. Pendant toute<br />

la guerre de tranchées,<br />

cette évacuation fut la préoccupation cons<br />

tante des médecins. Les postes de secours avancés se trouvaient à<br />

très courte distance de l'ennemi ; ils subissaient le sort des tranchées<br />

de première ligne et étaient soumis à un bombardement .incessant<br />

grenades, torpilles,<br />

:<br />

obus de,tous les calibres les arrosaient sans relâche<br />

et c'est bien souvent que le blessé devait passer plusieurs heures<br />

consécutives dans un abri, dans une cagna, avant de pouvoir être<br />

ramené plus à l'arrière. Là, pendant des heures qui paraissaient inter<br />

minables,- alors que, grièvement blessé, il aspirait avec anxiété au<br />

soulagement et au calme, il devait subir les affres d'un nouveau<br />

bombardement,<br />

au cours duquel son abri de souffrance n'était pas<br />

toujours épargné et où l'implacable marmite venait souvent défoncer<br />

indistinctele<br />

plafond de l'abri, insuffisamment blindé, et faucher


122 SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSÉS<br />

ment le blessé, les infirmiers, le médecin. Combien en ai-je vu, parmi<br />

nos jeunes médecins auxiliaires, dont on ne fera jamais assez l'éloge,<br />

et dont l'héroïque conduite atteignit au sublime dans le dévoûment<br />

et dans le stoïcisme, qui, frappés au chevet du poilu auquel ils don<br />

naient leurs soins,<br />

allaient jusqu'au bout de leur tâche sacrée avant<br />

de tomber auprès de celui qu'ils avaient essayé d'arracher à la mort!<br />

Tous ont décuplé la beauté de leur rôle de soldat par la noblesse de<br />

•leur attitude de praticien et, lorsque la reconnaissance des mères<br />

françaises élèvera à la gloire des médecins de la guerre,<br />

qui ont<br />

sauvé la vie à tant de leurs enfants, lé monument impérissable au<br />

quel ils ont droit, le jeune médecin auxiliaire devra partager la plus<br />

belle place avec le médecin de régiment, son chef, son ami, son com<br />

pagnon de misère. II faudra lbngtenips se souvenir que, de tous les<br />

corps de services, c'est le service de santé qui, immédiatement après<br />

l'infanterie, a subi les plus lourdes pertes ; c'est lui qui compte le<br />

plus de morts et de blessés, 372 médecins sont morts au<br />

front sur 2 169 qui furent mobilisés, soir; un sur sept: ces chiffres<br />

ne supportent pas de commentaires.<br />

Tout auprès du médecin, dont il fut l'auxiliaire fidèle, l'on devra<br />

ne pas oublier le valeureux brancardier, à qui tant- de blessés doi<br />

vent aussi la vie. Pendant que le combattant, tout au feu de l'action,<br />

rend à l'ennemi coup sur coup, le brancardier, exposé comme lui à<br />

une pluie de mitraille, guette le moment où une courte accalmie va<br />

lui permettre de porter secours à celui qui l'attend. La nuit tombéeV<br />

au milieu des barbelés, doucement il se glisse, cheminant péniblement<br />

sur le ventre, traînant son brancard après lui. Lentement il rampe,<br />

souvent arrêté par le tac-tac d'une mitrailleuse ou par le<br />

éblouissement d'une fusée éclairante,<br />

brusque"<br />

qui l'obligent à se tapir dans<br />

un trou d'obus. U met de longues heures à parcourir quelques mètres,<br />

mais il veut avoir, son blessé et il l'aura. Arrivé auprès de lui, il le:<br />

réconforte doucement, le charge sur son brancard ou sur ses épaules<br />

et reprend allègrement son chemin, poursuivi par la fusillade ennemie<br />

à laquelle il ne parvient pas toujours à échapper. Que de hauts faits<br />

d'héroïsme furent ainsi réalisés dans l'ombre, que de belles actions<br />

furent accomplies sans échos ! J'ai souvenir d'une nuit de bombarde<br />

ment sur le front de Berry au Bac, au pied, de la côte 108,<br />

en ce<br />

coin maudit de Sâpigneul, que tinrent si longtemps nos zouaves<br />

et dont ils ont conservé le mauvais souvenir avec la vision dantesque,<br />

Depuis le crépuscule, les obus faisaient rage ; il en arrivait de tous<br />

côtés, de tous les calibres, labourant les tranchées, éclatant avec un<br />

vacarme effroyable. Des fusées multicolores éclairaient le ciel;.


-<br />

SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSÉS 123<br />

l'air était irrespirable et l'accroissement progressif du bombardement<br />

faisait prévoir une attaque prochaine. Au poste souterrain du 292,<br />

les blessés arrivaient nombreux, les uns par leurs propres moyens,<br />

les autres sur des brancards. Survinrent deux brancardiers, prêtres<br />

tous deux, portant avec des précautions infinies un jeune sous-of<br />

ficier de zouaves qu'ils venaient d'arracher, au péril de leur vie,<br />

d'entré les réseaux inextricables de fils de fer barbelés du pied de<br />

la côte 108 ; pour le conduire au poste de secours, ils avaient, sous<br />

une grêle de balles, traversé un espace découvert ; leurs vêtements<br />

étaient en lambeaux, leurs mains étaient déchirées et ils me dirent<br />

simplement, en déchargeant leur précieux fardeau r « Tout va bien,<br />

« M. le Médecin chef, mais nous avons eu bien peur que ce pauvre<br />

«petit ne fût blessé une nouvelle fois en chemin...» N'est-elle pas<br />

héroïque darts sa simplicité, cette parole de brancardier et n'avons-<br />

nous pas raison de les aimer, nous qui avons vécu .<br />

leur<br />

vie, ces<br />

hommes aux âmes simples que n'ont jamais, su distraire du devoir<br />

ni la fatigue, ni la peur, et dont beaucoup sont tombés glorieusement<br />

aux côtés de ceux qu'ils voulaient arracher à la mort ?<br />

Dans bien des secteurs, l'évacuation était rendue difficile par<br />

l'étroitesse des boyaux aux mille sinuosités, aux angles aigus, où<br />

ne pouvait tourner le brancard. Il fallait alors ou bien passer hors<br />

de la tranchée, au risque d'être mitraillé, ou bien porter le blessé à<br />

bras, ce qui n'était ni sans danger, ni sans souffrances pour le mal<br />

heureux. U fallut de longs mois de lutte au service de santé pour<br />

obtenir du commandement l'élargissement de certains boyaux et<br />

leur affectation spéciale aux évacuations. Mais,<br />

comme au combat<br />

les nécessités militaires priment tout, bien souvent l'évacuation<br />

était rendue difficile, malgré l'élargissement des boyaux,<br />

par l'en<br />

combrement dû aux sections montant en ligne, au ravitaillement en<br />

munitions, aux porteurs de soupe et de pinard. Patiemment, cou<br />

rageusement, les brancardiers accomplissaient tout de même leur<br />

tâche, surmontant tous les obstacles, se hâtant de leur mieux, car<br />

ils savaient que toute minute de retard pouvait compromettre le<br />

succès de l'opération qu'allait subir leur blessé dès son arrivée à<br />

l'ambulance. Aussi, quel soupir de soulagement quand, le poste<br />

d'évacuation atteint, le blessé était confié au groupe de brancardiers<br />

divisionnaires, désormais chargés de conduire les blessés jusqu'à<br />

l'ambulance! Là, se trouvaient groupés des moyens de transport<br />

moins rudimentaires, des brouettes porte-brançards pour les che<br />

mins repérés, des autos sanitaires pour les routes défilées, et, après


124 SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSÉS<br />

une rapide vérification des pansements, le blessé<br />

l'ambulance.<br />

*<br />

* *<br />

était"<br />

évacué sur<br />

C'est seulement au début de la guerre que les ambulances fonction<br />

nèrent isolément, égrenées depuis la ligne de feu jusqu'aux hôpitaux<br />

d'étape. Alors, l'arnbulance qui, la première, recevait le blessé, l'opé<br />

rait, le conservait un temps minimum,<br />

puis le renvoyait sur son<br />

unité ou sur l'arrière. Les inconvénients de, cette méthode étaient<br />

grands ; si, dans certaines formations, nombreuses heureusement,<br />

les hasards de la mobilisation avaient réuni un personnel chirurgical<br />

expérimenté, dans d'autres, ni le matériel, ni le personnel ne répon*<br />

daient aux exigences croissantes de la chirurgie.de guerre. Aussi,<br />

l'ambulance divisionnaire devint-elle bientôt pour les blessés trans<br />

portables un simple organe de triage destiné à répartir sur des for<br />

mations spécialisées, placées plus à l'arrière, les diverses catégories<br />

de blessés. Il fut prescrit dé placer cette ambulance aussi près que<br />

possible de la ligne de feu, pour que ces blessés y<br />

au plus vite.<br />

Dans certains secteurs, la chose fut facile ;<br />

puissent airiver<br />

sur les lignes de l'Oise<br />

et de l'Aisne, sur les plateaux du Soissonnais, il fut aisé d'installer<br />

des ambulances divisionnaires au niveau même des réserves de ba<br />

taillon dans-ces crêtes dont sont creusées toutes les collines de ees ré<br />

gions mouvementées. C'est ainsi qu'au Chemin des Dames, lors des<br />

attaques d'avril 1917, menées par cette spïendide 38e Division qui<br />

comptait parmi ses meilleurs éléments, nos zouaves et nos tirailleurs,<br />

côte à côte avec de l'infanterie coloniale et des Somalis, pendant que<br />

nos régiments nord-africains enlevaient la Ferme et le Monument<br />

d'Heurtebise, l'ambulance chirurgicale de la Division, que j'avais<br />

alors le très grand honneur de commander, fonctionnait sous le<br />

lieu même du combat, dans les crêtes d'Oulches, entre Heurtebise,<br />

Craonnelle et Craonne.<br />

Mais l'on ne trouvait pas partout ces crêtes "confortables, sinon<br />

hygiéniques, et lors de la longue bataille de la Somme, il fut impossi<br />

ble, dans ces terrains marécageux qui bordent la Somme, l'Ancre,<br />

l'Avre, l'Authie, dans ces véritables mers de boue où se battaient<br />

nos troupes, de faire fonctionner des postes chirurgicaux avancés,<br />

et c'est seulement dans les H. O. E. de Braye, de Cerisy-Gailly, des<br />

Buttes, de Villers-Bretonneux que l'on put assurer aux blessés des<br />

soins réguliers.


SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSÉS 125<br />

Ailleurs, partout où l'on put installer des Postes Chirurgicaux<br />

avancés, propices au traitement précoce des grands intransportables,<br />

atteints de plaies de poitrine, de blessures de l'abdomen, de fracas<br />

des grandes articulations, d'hémorragies des gros vaisseaux, le Ser<br />

vice de Santé s'ingénia à donner à ces formations, soumises à tous<br />

les risques de la bataille, le maximum de sécurité relative. Ici, l'on<br />

creusa des sapes profondes ; là, l'on utilisa des casemates voûtées<br />

et de petites antennes, où des cadres garnis de paille constituaient<br />

des lits de fortune. Et dans ces taupinières,<br />

médecins et infirmiers<br />

travaillaient sans cesse, ne connaissant ni la faim ni la soif, ni fati<br />

gue, jusqu'à ce que le dernier blessé fût opéré et pansé. Demandez<br />

à nos camarades, dont les équipes chirurgicales furent envoyées dans<br />

ces postes souterrains,<br />

quelle somme incalculable d'énergie il leur<br />

fallut dépenser pour vivre pendant de longues semaines dans ces<br />

enfers de souffrances et de 'misère ? Là,<br />

n'arrivaient que les plus<br />

effroyables d'entre les blessures graves et la salle d'attente, où s'ali<br />

gnaient les brancards prenant leur tour opératoire,<br />

semblait la lu<br />

gubre antichambre de la mort. Pendant qu'au dessus de sa tête<br />

la voûte était pilonnée par les obus de gros calibre, dans un air con<br />

finé, sous une lumière insuffisante, le chirurgien opérait, opérait sans<br />

cesse, arrachant à la mort, avec une énergie faYouche, tous ces mo<br />

ribonds dont les lésions semblaient bien au dessus des ressources<br />

de la chirurgie opératoire. Mais aussi,<br />

de voir s'allonger,<br />

quelle satisfaction pour lui<br />

au fur et à mesure que se perfectionnait sa tech<br />

nique, le quotient de ses succès opératoires ! Aux statistiques som<br />

bres des premiers mois de la guerre avaient succédé bientôt, les<br />

beaux succès de nos maîtres en chirurgie, les Pierre Duval, lés Rou-<br />

villois, les Bouvier, les Gaùdrelier, les Marquis, les Hallopeau, les<br />

Picque, les Goinard, les. Cabannes et d'autres ; en matière de chi<br />

rurgie abdominale, la plus décevante des chirurgies de guerre, notre<br />

ami Abadie, d'Oran, dont l'important ouvrage sur les Blessures de<br />

l'abdomen restera comme un des meilleurs livres de la guerre, put<br />

arriver à sauver 35 % de ses blessés de ventre,<br />

mesure de ce que peut réaliser une grande dextérité,<br />

technique ' impeccable.<br />

donnant ainsi la<br />

jointe à une<br />

La création des équipes chirurgicales mobiles et leur affectation<br />

aux ambulances des divisions fut un grand progrès,<br />

qui se traduisit<br />

d'emblée par un meilleur rendement. Alors qu'au début le chirur-


126 SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSÉS<br />

gien, dont le personnel changeait chaque jour,<br />

devait se faire aider<br />

par des assistants de fortune, pas entraînés, parfois incompétents;<br />

dès la création des équipes il fut assuré d'une adjuvance conforme à<br />

ses habitudes. Chaque équipe forma désormais un tout homogène,<br />

composé d'un chirurgien de carrière, de son aide direct, d'un anes-<br />

thésiste et de 2 infirmiers ou infirmières. Une équipe fut affectée à<br />

chaque formation, doublée ou triplée pendant les périodes de travail<br />

intensif, le tout fonctionnant sous le contrôle direct du chirurgien<br />

de Corps d'Armée, placé lui-même sous la direction du chirurgien<br />

d'Armée, toujours choisi parmi les plus hautes personnalités chirur<br />

gicales de France.<br />

Ainsi s'organisait progressivement, dans une guerre de longue du<br />

rée, sous l'ardente impulsion de nos chefs techniques,<br />

cette énorme<br />

usine réparatrice, dont mil, en temps de paix, n'eût,pu soupçonner<br />

l'importance future ni le rôle qu'elle serait appelée à jouer pour le<br />

maintien de nos effectifs et la conservation de notre race. C'est grâce<br />

à ce travail intensif dans le progrès incessant que la mortalité de nos<br />

blessés fut aussi réduite dans nos formations sanitaires ; c'est à cette<br />

spécialisation chirurgicale de plus en plus serrée que tant de nos<br />

poilus doivent d'avoir conservé l'usage de leurs membres, dont la<br />

préservation nécessita de longs soins et de vraies prouesses chirurgie<br />

cales,<br />

alors qu'une amputation précoce eût si souvent simplifié le<br />

problème pour le chirurgien, au grand dommage. du blessé. C'est que,<br />

conscients de leur véritable rôle,<br />

certains médecins chefs supérieurs<br />

d'Armée avaient conçu et réalisé cette double formule qu'il faut des<br />

chirurgiens pour faire de la chirurgie, et que ces chirurgiens doivent<br />

aller au blessé pour l'opérer au plus vite. Combien la question paraît<br />

simple à résoudre quand on l'effleure de<br />

confortable cabinet de l'arrière,<br />

loin,'<br />

dans le calme d'un con-<br />

où il est toujours aisé de résoudre<br />

les problèmes les plus ardus de la tactique et delà stratégie en cham<br />

bre,<br />

et combien se doutent peu des difficultés qu'ils n'eussent jamais<br />

surmontées, parmi ceux qui, dans unbutintéressé de surenchère facile<br />

Sante"<br />

à définir, s'écrient en toute occasion que le Service de a été<br />

au dessous de sa tâche, semant ainsi le doute dans l'esprit des mères,<br />

troublant la quiétude des épouses, qui se demandent parfois avec<br />

anxiété si leurs fils, si leurs maris blessés ont bien toujours reçu les<br />

soins éclairés que leur devait le Service de Santé. Calmez vos craintes,<br />

mères et femmes des soldats qui ont sauvé le monde ; les médecins<br />

ont bien fait tout leur, devoir J Depuis le plus humble d'entre les mé-<br />

*<br />

decins auxiliaires jusqu'au plus haut gradé, tous, sans exception,<br />

tous, n'ont droit qu'à votre reconnaissance infinie, car tous ils ont


SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE , DES BLESSÉS 127<br />

donni sans compter, leur temps, leur science, leur vie même pour<br />

arracher à la mort tous les blessés qui sont passés par leurs mains.<br />

Et si parfois leurs efforts sont restés vains,- s'ils n'ont pu toujours<br />

sauver tous leurs1<br />

opérés, c'est que malgré leur science, malgré leur<br />

dévouement, si souvent poussé jusqu'à l'héroïsme, ils ne sont que<br />

des hommes, et que l'homme est contraint parfois à subir des lois<br />

inexorables devant lesquelles il faut savoir s'incliner sans se plaindre.<br />

*<br />

^ #<br />

Alors que, tout au perfectionnement de leurs ambulances, les<br />

médecins d'Armée concentraient toutes leurs forces vives, toutes<br />

leurs connaissances techniques sur la réalisation complexe de la<br />

relève rapide des blessés, de leur prompte évacuation, de leur opé<br />

ration immédiate, un nouveau problème surgissait brusquement,<br />

dû à l'emploi des gaz asphyxiants. Qui eut jamais pensé avant cette<br />

guerre qu'au mépris des lois les plus sacrées, en violation des_conven<br />

tions les plus formelles, l'ennemi oserait utiliser comme moyen ha<br />

bituel de combat, des gaz délétères, toxiques et asphyxiants, lacry<br />

mogènes et vésicants ?<br />

C'est le 22 avril 1915, au S.-O. de Dixmude, entre Steenstraate<br />

et Ypres, au lendemain d'une belle journée où le Général Hélyd'Oissel<br />

avait passé en revue dans les sables de l'Yser les zouaves, déjà fort<br />

éprouvés par le feu, dont le drapeau, noblement déchiré au combat,<br />

claquait au vent dû matin clair, que se déroula lentement la première<br />

vague de gaz chlorés. Le 3e bataillon du 1er Zouaves, futur embryon<br />

du 9e Zouaves, en liaison avec lé 3e bataillon des fusiliers marins,<br />

eut à subir cette première atteinte et si, à la faveur de la surprise,<br />

l'ennemi réussit à pénétrer dans quelques éléments de tranchées<br />

avancées, son effort fut vite enrayé et sa déception fut immense de<br />

voir que ses moyens démoniaques restaient sans plus d'action que<br />

sa grosse artillerie sur le moral de nos marins et de nos zouaves, au<br />

cœur mieux trempé que l'acier de leurs baïonnettes. Dès le lendemain,<br />

en effet, nos zouaves attaquaient à leur tour, avec leur mordant<br />

habituel, là bouche et le nez recouverts de leur ceinture,<br />

entre les<br />

plis de laquelle, pour se préserver des gaz, ils avaient glissé des<br />

plaques d'ouate mouillée,<br />

et parvenaient à refouler l'ennemi.<br />

Il 'faut bien retenir cette date du 22 avril 1915,<br />

où les ennemis<br />

employèrent pour la première fois les gaz asphyxiants, car avec leur<br />

la presse neutre d'articles<br />

mauvaise foi '<br />

habituelle, ils .ont couvert<br />

mensongers, accusant les Anglais d'avoir employé les premiers des


128 SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSÉS<br />

gaz sur le front, en mai 1915, alors qu'à cette date, depuis plus un<br />

mois déjà, ils se servaient de nappes chlorées dont, depuis plusieurs<br />

mois, ils avaient expérimenté les effets sur des chiens, dans le plus<br />

frand secret, au fond de leurs tranchées de l'arrière-front de Belgique.<br />

Depuis, l'emploi des gaz devint pour eux un moyen habituel de<br />

combat. Us se servirent d'abord seulement des nappes chlorées. Le<br />

gaz arrivait des usines de l'arrière,<br />

comprimé dans de gros cylindres<br />

semblables à ceux qui servent à emmagasiner l'oxygène. Ces tubes<br />

étaient placés côte à côte dans de petites tranchées spéciales, en<br />

avant des premières lignes, armés de tubes' angulaires fermés par<br />

une vis filetée. A l'heure fixée,<br />

ces vis étaient tournées par des sol<br />

dats duy génie, spécialisés dans leur emploi ; le gaz s'échappait avec<br />

un sifflement caractéristique, formant une nappe épaisse atteignant<br />

30 mètres de hauteur. Sous l'influence d'un vent favorable,, parcou-<br />

fant de 10 à 20 mètres à la seconde, cette nappe se déroulait, épou-<br />

rant étroitement toutes les sinuosités du sol, descendant jusqu'au<br />

sond des tranchées, pénétrant dans les abris, emplissant les sapes,<br />

rendant partout l'air irrespirable et la position intenable. Malheur<br />

à celui qui n'a pas revêtu à temps son masque protecteur ! Pris<br />

d'une toux suffocante, le larynx secoué de spasmes, de plus en plus<br />

oppressé, une expectoration sanguinolente aux lèvres, il devient incar<br />

pable de faire un mouvement, se laisse choir sur le sol et meurt<br />

asphyxié,<br />

si on ne peut le secourir à temps. S'il peut être rapidement<br />

enlevé et soumis à un traitement énergique, dont les inhalations<br />

d'oxygène, la saignée et l'huile camphré à haute dose font la base,<br />

il se remet bientôt, tout en restant exposé pendant bien longtemps<br />

à des<br />

accidents'<br />

graves, parfois mortels.<br />

Les 19 et 20 octobre, sur le front de Champagne, du Fort de ta<br />

Pompelle à la Ferme d'Alger1, le 38e C.A. subit une nouvelle forme<br />

d'attaque,<br />

où l'emploi des obus lacrymogènes Nau bromure de ben-<br />

zyl fut pour la première fois associé aux nappes chlorées. Ces obus,<br />

de 150 millimètres de calibre, se distinguaient fort bien des obus à<br />

mitraille par Une explosion beaucoup moins bruyante. La cuvette<br />

creusée sur le sol au moment de l'explosion était peu profonde ;<br />

les éclats très volumineux. En outre, la fumée accompagnant l'ex<br />

plosion, au lieu d'être noire ou blanche, était verdâtre et s'élevait<br />

en colonnes évasées s'abattant lourdement sur le terrain avoisinant<br />

en forme de parasol. ,<br />

L'effet -<br />

produit était nettement lacrymogène avendes picotements/<br />

violents des voies nasales et pharyngiennes, mais sans accidents graves.<br />

L'emploi des obus à gaz ne tardait pas à se généraliser et à rem-


SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSÉS 129<br />

placer à peu près complètement les nappes, pour l'emploi régulier<br />

desquelles les conditions requises ne se trouvaient pas toujours réu<br />

nies. L'ennemi chargea ses projectiles de toute une gamme de pro<br />

duits délétères que nous pouvons répartir en 4 classes :<br />

1° Les gaz suffocants, du type chloré, dont le plus employé fut<br />

un chloroformiate de méthyle chloré ;<br />

2° Les gaz.toxiques, à base d'acide cyanhydrique, assez rarement<br />

utilisés ;<br />

3° Les gaz irritants ou lacrymogènes, du type bromure de méthyle<br />

ou bromure de benzyl ;<br />

4° Enfin, les gaz vêsicants à l'hypérite, les plus employés aux der<br />

nières années de la guerre, dont nos troupes eurent tout particuliè<br />

rement à souffrir sur le Chemin des Dames,<br />

au cours des attaques<br />

de 1917, et dont elles ont, comme moi-même d'ailleurs, gardé le<br />

plus mauvais souvenir.<br />

Comme il avait fait pour ses sous-marins, l'ennemi avait mis les<br />

plus grands espoirs dans ses gaz asphyxiants, sur lesquels il comp<br />

tait pour gagner la guerre,<br />

en semant dans nos rangs la démoralisa<br />

tion et la panique. Sa déception fut grande ! Le moral de nos soldats<br />

demeura 'intangible devant les gaz comme sous les marmites ;<br />

le premier moment de stupeur passé, dès le lendemain de la première<br />

attaque aux gaz,<br />

chacun "s'était ressaisi et chacun continua à faire<br />

son devoir, les poilus en combattant avec leur énergie coutumière,<br />

le Service de Santé en cherchant les meilleurs moyens d'annihiller<br />

les effets des gaz. ^<br />

Un bâillon imprégné de solution d'hyposulfite de soude fut d'abord<br />

employé par nos combattants,<br />

pendant que les Anglais utilisaient<br />

une longue cagoule, imbibée de ricinate'de soude. Quand arrivèrent<br />

les gaz lacrymogènes, un masque nouveau fut distribué, puis un<br />

troisième et enfin, au cours dé l'année 1918, tous nos poilus furent<br />

dotés d'un modèle donnant toute garantie d'une sécurité absolue<br />

au milieu des gaz les plus dangereux.<br />

Lorsque fut généralisé l'emploi de l'hypérite, les masques devin<br />

rent insuffisants ; les effets des gaz moutarde se faisaient sentir sur<br />

toutes les régions de l'organisme en contact avec eux. Partout où<br />

se portait leur action, se faisait un érythème intense,<br />

délai d'une<br />

suivi à bref<br />

vésication des plus douloureuses. La zone de l'éclatement<br />

de l'obus restait dangereuse pendant longtemps et tel poilu qui,<br />

confiant en un épais tapis d'herbe fleurie,<br />

au bord d'un fossé,<br />

s'allongeait un moment<br />

ne tardait pas à se repentir de son sybaritisme,<br />

en sentant sur toute la région qui avait. touché le sol une vive cuisson,<br />

9


130 SCIENCE Et DEVOUEMENT Àtî SERVICE DES BLESSÉS<br />

dénonciatrice d'une vésication commençante. Les<br />

vêtements du<br />

gazé restent eux-mêmes dangereux pendant une longue période et<br />

doivent subir une immersion prolongée dans l'eau bicarbonatée,<br />

suivie d'un savonnage énergique. L'action de ces gaz sur les yeux est<br />

particulièrement marquée et c'était un spectacle navrant, de voir<br />

sur les chemins menant aux postes de secours ces longues files de<br />

gazés,<br />

complètement aveuglés, les paupières tuméfiées, guidés par<br />

ceux d'entre eux qui y voyaient encore assez pour conduire leurs<br />

camarades. Fort heureusement,<br />

les blessures oculaires étaient rare<br />

ment bien graves et il suffisait de quelques lavages au bicarbonate<br />

de soude pour que ces malheureux,<br />

la lumière à tout jamais,<br />

qui se croyaient bien privés de<br />

recouvrent la vision et puissent reprendre<br />

leur place dans leur unité combattante. Mais il était nécessaire que<br />

des soins sérieux fussent donnés à ces hypérités aussitôt que possible<br />

après leur blessure. Aussi le Service de santé créa:t-il bientôt des<br />

ambulances spécialisées, qui leur furent destinées. Sous la direction<br />

de médecins entraînés, des soins judicieux furent donnés, très près<br />

des lignes, à tous les gazés,<br />

qui purent ainsi échapper aux compliea-<br />

tiosn graves des atteintes tardivement soignées.<br />

Ainsi,<br />

meurtrière,<br />

au fur et à mesure que l'ennemi perfectionnait sa technique<br />

notre Corps de Santé annihilait l'effet de leurs réalisa<br />

tions diaboliques par des moyens de neutralisation et de traitement<br />

de plus en plus efficaces. De nombreux médecins, des pharmaciens,<br />

des chimistes, étudiaient les gaz sous toutes leurs formes, souvent<br />

au détriment de leur santé. A la 6e Armée, le médecin-inspecteur-gé<br />

néral Nimier trouvait, dans le médecin-major Paul, un dévoué colla<br />

borateur, dont les recherches devaient produire des résultats assez<br />

marquants pour qu'il fût mis au Ministère à la tête de la section<br />

consacrée aux gaz ; à la 2e Armée, notre ami Kopp mettait au service<br />

de la même cause ses profondes connaissances chimiques et sa puis<br />

sance de travail. A Paris, sous la présidence du Pr. Achard, était<br />

constituée une grande Commission d'<br />

« Etude des Intoxications par<br />

les Gaz», chargée de recueillir toutes les observations, d'interpréter<br />

tous les cas, de condenser tous les travaux et de tirer de toug les faits<br />

des enseignements qu'elle s'empressait de faire connaître aux méde<br />

cins du front. Dans les laboratoires d'armées d'ailleurs, comme dans<br />

ceux des G.B.D. et des G.B.C., dans les laboratoires qualifiés de l'inté<br />

rieur, des légions de savants étudiaient sans répit les gaz délétère»<br />

et bien souvent les découvertes faites dans les laboratoires français<br />

précédèrent celles de la science allemande. Il y a quelques semaines<br />

à peine, dans ses laboratoires du Collège de France, le savant prO'


SCIENCE ET DEVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSÉS 131<br />

fesseur Moureu me montrait un flacon de liquide vésicant d'Hypé-<br />

rite, qu'il avait préparé un an avant que nos ennemis ne l'eussent<br />

découvert et employé ; la France humanitaire avait conseryé pré<br />

cieusement ce liquide à l'état de curiosité scientifique, alors que l'Al<br />

lemagne en avait fait sans retard un moyen de combat des plus meur<br />

triers...<br />

A tour de rôle, tous les chefs de service aux Armées furent envoyés<br />

au Val-de-Grâce pour y suivre une série de leçons pratiques sur la<br />

protection des combattants contre les gaz et sur le traitement des<br />

gazés. De retour au front, ils firent à leur tour l'éducation de leurs<br />

subordonnés ils apprirent à reconnaître et à combattre<br />

sous toutes leurs- formes l'intoxication et la vésication par les gaz.<br />

C'est ainsi que tous les médecins des Armées furent bientôt habi<br />

lités à donner à tous les gazés les soins les plus efficaces,<br />

comme à<br />

entraîner tous les combattants à se protéger convenablement contre<br />

l'action nocive des gaz, dont l'emploi, dès longtemps prémédité par<br />

nos ennemis, fut un honteux retour aux époques oubliées de<br />

la barbarie des peuplades primitives, indigne de nations qui,<br />

dans leur orgueil insensé, avaient osé prétendre au monopole de la<br />

Science en même temps que de la Civilisation.<br />

*<br />

* *<br />

A quelques kilomètres en arrière des ambulances divisionnaires<br />

et des ambulances de gazés,<br />

à une douzaine de kilomètres des pre<br />

mières lignes, fonctionne, en période intensive, le Groupement Chi<br />

rurgical des Corps d'Armée. Là, l'auto sanitaire dépose le blessé<br />

que n'a pas retenu, comme absolument intransportable, le poste<br />

chirurgical avancé. Dans certaines circonstances d'ailleurs,<br />

où la<br />

configuration du terrain n'a pas permis l'aménagement de postes<br />

chirurgicaux avancés, les blessés,<br />

pris aux postes de secours par les<br />

brancardiers divisionnaires renforcés des brancardiers de corps,<br />

arrivent directement au groupement de C.A., quelle que soit l'im<br />

portance de leurs blessures.<br />

C'est ce qui se passa lors d'une de nos dernières offensives victo<br />

rieuses du Chemin des Dames,<br />

où le groupement d'ambulances du<br />

39e Corps, que commandait le Général Deligny, fut installé à une<br />

courte distance de Braisne,<br />

épargné par les obus destructeurs.<br />

au château de Courcelles, à peu près<br />

Quelques joursavantl'attaque, une équipe de ravaleurs, de peintres,<br />

de menuisiers avaient fait la toilette du château délabré, dans les


132 SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSES<br />

vastes salles duquel 100 lits avaient été préparés pour les très grands<br />

blessés. Dans le parc aux hautes frondaisons,<br />

au bord d'une large<br />

pièce d'eau, où voguaient impassibles les canards et les cygnes, des<br />

baraques et des tentes avaient été montées pour les blessés de passage.<br />

A l'aube d'un clair matin d'été se déclancha notre attaque. Une<br />

violente préparation d'artillerie vint nous mettre sur nos grades.<br />

En un moment, chacun fut à son poste et bientôt arrivèrent les<br />

premières autos sanitaires,<br />

les premiers blessés que l'on<br />

débarqua à l'entrée d'un vaste hall de triage, fait d'un hangar Bes-<br />

sonneau de 40 mètres de longueur sur 18 mètres de largeur.<br />

En entrant dans ce hall, l'impression n'avait rien de pénible et,<br />

avant l'arrivée des blessés,<br />

un visiteur non prévenu se fût cru dans<br />

une salle dé fêtes aménagée pour la réception d'un souverain de.<br />

passage. Nous avions en effet poussé fort loin l'art du camouflage<br />

et nous avions tout mis en œuvre pour faire oublier au poilu blessé<br />

ses souffrances, dans une ambiance faite de douceur et de sympathie.<br />

L'intérieur du hangar avait été finement sablé. En son milieu,.<br />

face à l'entrée,<br />

un massif de plantes vertes et de fleurs coupait har<br />

monieusement la perspective. Aux angles,<br />

encore du feuillage et des<br />

fleurs ; à gauche, un buffet avec des soupers froids servis par petites<br />

tables,<br />

autour desquelles allaient et venaient de coquettes infir<br />

mières anglaises, les mains pleines de sandwichs au foie gras, de<br />

jambon, de chocolat, de cigarettes. Tout autour du buffet étaient<br />

des bancs pour les blessés pouvant marcher. A droite, étaient des<br />

porte-brancards pour les blessés couchés, derrière lesquels l'entrée<br />

d'une salle de pansements était discrètement dissimulée dans le<br />

feuillage. Et partout se multipliant autour des couchés, s'empressant<br />

autour des assis, des infirmières aux coiffes blanches,<br />

aux visages<br />

souriants, rendaient plus facile en la simplifiant la tâche des mé<br />

decins.<br />

Quelle surprise pour le blessé à sa descente d'auto ! Il s'attendait<br />

à être directement porté à la salle d'opération pour y être incisé,<br />

empaqueté .et évacué, et, au lieu de cela, il se trouvait dans une salle<br />

ayant un air de fête, accueilli comme un enfantgâté,<br />

choyé, dorlotté<br />

par ces femmes admirables qui, dans sa souffrance, lui rappelaient<br />

sa mère, sa femme, ses sœurs, l'entourant de prévenances, lui disant<br />

des mots affectueux. Combien en ai-je vu, qu'avaient laissés impas<br />

sibles la balle implacable ou l'éclat d'obus et dont les yeux se mouil-»<br />

laient de larmes sur leur brancard ! C'est qu'au -front, elles ont été<br />

sublimes>ces infirmières françaises, appartenant à toutes les couches<br />

sociales : elles ont donné la mesure "de ce qui se cache de tendresse


SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESÉSS 133<br />

et d'affectivité dans le cœur de la femme,<br />

en même temps qu'elles<br />

ont. fait preuve des plus grandes qualités de bravoure. Alors que, sans<br />

pitié pour les blessés, sans respect pour notre Croix-Rouge, qui était<br />

pourtant aussi la leur, les ennemis bombardaient systématiquement<br />

nos ambulances, alors qu'à Vaux-Varennes, à Vadelincourt, à Cerizy-<br />

Gailly, leurs aviateurs, planant à faible hauteur au dessus de l'im<br />

mense Croix-Rouge en relief sur nos toîts,<br />

arrosaient de bombes<br />

explosives et incendiaires nos formations sanitaires, tuant les blessés<br />

en traitement, le personnel, les médecins, nos infirmières, impassi<br />

bles sous les rafales, poursuivaient leur tâche incessante, comme elles<br />

l'eussent fait dans l'atmosphère pleine de douceur du plus calme<br />

des hôpitaux de l'intérieur. Ecoutez cette histoire émouvante, elle<br />

date de quelques semaines. Peu de jours avant l'armistice,<br />

une de<br />

mes infirmières, madame Collot, femme d'un commandant d'infan<br />

terie prisonnier en Allemagne depuis le début des hostilités, se trou<br />

vait dans un'H. O. E. aux environs de Compiègue. Une nuit, elle donne<br />

le chloroforme pour une laparotomie que pratique le chirurgien sur<br />

un officier grièvement blessé au ventre. L'opération touche à sa fin,<br />

quand s'entend le vrombissement d'un avion, suivi d'explosions à ,<br />

courte distance. Les opérateurs continuent leur besogne sans sour<br />

ciller, mais une bombe, -traversant le toit,<br />

vient éclater devant la<br />

table d'opération. Le chirurgienest frappé à la tête, plusieurs éclats<br />

déchirent les jambes de l'infirmière. Sans se soucier d'elle-même,<br />

celle-ci saisit un tampon de gaze et bourre la plaie du chirurgien<br />

arrêtant ainsi l'hémorragie pendant un temps suffisant pour que<br />

l'opération puisse être terminée. C'est seulement quand tout est<br />

achevé et que l'on peut ramener le blessé dans ce qui reste des bâ<br />

timents bombardés que madame Collot laisse panser ses graves<br />

blessures dont le sang coule à flots et dont elle restera sans doute<br />

impotente. On l'évacuait aussitôt sur l'hôpital de Senlis et le len<br />

demain, le Maréchal Foch,<br />

mis au courant de sa conduite héroïque,<br />

venait lui remettre lui-même la Croix de la Légion d'honneur avec<br />

une seconde palme qui s'ajoutait à une première citation à l'Armée<br />

pour sa belle conduite lors de l'évacuation des blessés de Verdun.<br />

N'est-ce pas là une belle page de gloire et ne faudra-t-il pas un<br />

jour réunir tous ces hauts faits,<br />

dont les femmes peuvent être fières<br />

comme nos combattants sont fiers de leur œuvre ? A la lecture de<br />

ces comptes-rendus, l'on sentira passer le frisson accompagnant les .<br />

légendes des temps héroïques et l'on pourra se joindre aux poilus<br />

pendant la guerre dans nos formations sanitaires (et ils sont<br />

qui gardent<br />

nombreux)<br />

à leurs infirmières ces doux sentiments de<br />

.passés,


134 SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSÉS<br />

reconnaissance que savent si bien manifester à leur manière les<br />

âmes de nos poilus français.<br />

Réconforté et immatriculé, l'évacué est examiné par les médecins<br />

du triage. A sa capote est épinglée une fiche d'évacuation, dont la<br />

couleur varie avec la destination. Les grands blessés sont traités<br />

surl'H. O. E. le plus voisin. Tout se passe avec ordre,<br />

avec méthode et<br />

l'on parvient ainsi à éviter l'embouteillage, même aux jours de grande<br />

bataille, où c'est par milliers qu'arrivent les poilus. Suivons un mo<br />

ment le grand blessé, avant de revenir au petit blessé, pour l'accom<br />

pagner au cours de ses évacuations successives.<br />

Il s'agit d'une plaie du ventre ou de la poitrine, d'un grand fracas<br />

osseux, d'une hémorragie profuse. Le blessé a été descendu d'auto<br />

sur son brancard, pâle, exsangue, le nez pincé, les membres glacés.<br />

Sans retard, il reçoit une injection de sérum antitétanique,<br />

qui va<br />

le mettre à l'abri du tétanos et on le porte dans le groupement opé<br />

ratoire, appartenant en propre à l'une des ambulances constitutives<br />

de la formation et se composant de baraques réunies, avec salle<br />

de réchauffage, salle de déshabillage, salle de radiographie, salle<br />

d'opération avec sa préparatoire.<br />

Dépouillé de ses vêtements, il est rapidement nettoyé et conduit<br />

dans la salle de réchauffage où, au moyen de manchons à air chaud,<br />

ou de lampes électriques, il est réchauffé, pendant que le médecin<br />

lui injecte du sérum, de l'éther, de l'huile camphrée. Parfois la<br />

transfusion de sang est nécessitée par l'abondance de l'hémorragie<br />

et elle est pratiquée sans retard, les camarades du blessé,'<br />

le personnel<br />

des ambulances venant offrir leur sang pour arracher à la mort Un<br />

des leurs. Aussitôt que le choc a disparu, dès que le pouls commence<br />

à être meilleur, le blessé est porté à la salle de radiographie pour y<br />

être examiné par un radiographe spécialisé.<br />

Au début de la guerre, les ambulances ne comportaient pas d'ins<br />

tallation radiographique ; dans chaque armée,<br />

une ou deux voitures<br />

radie-graphiques allaient d'ambulance en ambulance procéder à<br />

l'examen des blessés et c'était toujours quand les besoins étaient<br />

les plus urgents qu'il fallait attendre son tour. La méthode était<br />

défectueuse,<br />

en raison des retards apportés à un examen qui doit<br />

toujours suivre de très près la blessure. Aussi les ambulances chi<br />

rurgicales furent-elles bientôt dotées de voitures pourvues d'un<br />

excellent matériel radiographique et accompagnées d'un radiographe<br />

de carrière qui devint pour le chirurgien un collaborateur des plus<br />

précieux.<br />

Le projectile localisé aux rayons pro-<br />

X, son repérage exact en<br />

'


SCIENCE ET DEVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSÉS 135<br />

fondeur est fait au moyen d'un des nombreux appareils indiquant<br />

avec une grande précision le point sur lequel le chirurgien doit di<br />

riger son bistouri. Parfois, l'extraction est faite séance tenante sous<br />

les rayons ; d'autres fois, le repérage est effectué à l'avance et le chi<br />

rurgien pratique son extraction en se basant sur les données fournies<br />

par le radiographe.<br />

Dans la salle d'opération,<br />

ce chirurgien opère dans d'aussi bonnes<br />

conditions de sécurité opératoire que dans les hôpitaux les plus mo<br />

dernes de l'intérieur, quand les obus de gros calibre des pièces à<br />

longue portée ou les bombes d'avions ne viennent pas l'interrompre.<br />

Il dispose d'un matériel des plus perfectionnés ; il est sûr de la<br />

stérilisation de ses fils, de ses objets de pansement ; aussi fait-il<br />

de la très bonne besogne et obtient-il d'excellents résultats.<br />

L'opération terminée, le grand blessé est porté dans son lit, sous<br />

la surveillance de l'infirmière-major qui va veiller sur lui jour et nuit.<br />

Pendant une.période qui ne sera pas inférieure à 3 semaines, à moins<br />

d'événements imprévus, il sera vu plusieurs fois par jour par le<br />

chirurgien, qui fera tous les pansements lui-même et il ne sera éva<br />

cué que lorsque son état, voisin de la guérison, lui permettra de<br />

voyager sans danger.<br />

Le petit blessé, porteur de projectiles inclus plus ou moins pro<br />

fondément, sera aussi nettoyé, changé de linge, réconforté ; ses éclats<br />

seront repérés ; l'extraction en sera pratiquée. Grâce aux nouvelles<br />

méthodes de traitements des blessures dans le détail desquels je<br />

n'ai pas à entrer ici, ses plaies, dont toutes les parties susceptibles<br />

de s'infecter ont été réséquées,<br />

sont souvent suturées séance tenante.<br />

Si le temps manque et si la surveillance de l'opéré ne peut stricte<br />

ment être effectuée, les corps étrangers extraits et la toilette de la<br />

plaie faite,<br />

un pansement aseptique est appliqué et le blessé opéré<br />

est évacué sur l'H. O.E. pour y subir le lendemain une suture primi;<br />

tive retardée.<br />

Cet H. O.E. ou hôpital d'évacuation est à l'armée ce que le grou<br />

pement d'ambulances est au Corps d'armée, ("'est une véritable<br />

ville sanitaire chirurgicale du front,<br />

faite de baraques, et pouvant<br />

compter jusqu'à 4.000 lits. U est toujours aménagé à portée d'une<br />

grande ligne de chemin de fer, dont un épi vient conduire dans la<br />

formation même les trains d'évacuation qui emporteront au loin<br />

les blessés évacuables.


136 SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSES<br />

A sa descente d'auto, le blessé passe au triage, où il est examiné à<br />

nouveau. S'il doit être évacué, il reçoit une nouvelle fiche de "des<br />

tination le laisant voyager assis où couché. S'il est jugé intranspor<br />

table, il est hospitalisé sur place. Pour les petits blessés, les installa<br />

tions sont semblables à celles des ambulances de C.A.<br />

Les grands blessés trouvent à l'H. O. E. une ambulance nouvelle, née<br />

de la guerre, l'Ambulance automobile Chirurgicale, dite Autochir,<br />

pourvue d'un excellent matériel et d'un personnel d'élite.<br />

L'autochir est une salle d'opérations roulante et démontable,<br />

pouvant être portée rapidement d'un lieu à un autre sur des camion<br />

nettes automobiles. Cette salle d'opérations, qui se monte très vite,<br />

contient 6 tables opératoires ; elle est éclairée à l'électricité et chauf<br />

fée à la vapeur. Sur l'une des camionnettes est le générateur de va-<br />

peUr,<br />

servant à la fois au chauffage et à la stérilisation du matériel<br />

chirurgical. Une autre camionnette sert à la radioscopie et à la ra<br />

diographie ; d'autres, 7 en tout, au transport du personnel et du ma<br />

tériel. Malgré leur prix élevé, atteignant actuellement près de 400. 000<br />

francs par autochir, ces ambulances sont assez nombreuses et ren<br />

dent de très grands services en apportant au front,<br />

tallations improvisées,<br />

dement,<br />

au milieu d'ins<br />

une organisation chirurgicale à grand ren<br />

où peuvent être faites dans les meilleures conditions les<br />

opérations les plus délicates de la chirurgie contemporaine.<br />

C'est encore àl'H. O. E. ou dans son voisinage immédiat que se trouve<br />

le Centre de Fractures, où tous les fracturés, des membres sont hos<br />

pitalisés pour y être traités par les méthodes les plus modernes per<br />

mettant la consolidation des os brisés dans le minimum de temps<br />

et dans les meilleures conditions. Avec la perfection de certains appa<br />

reils, des fracturés de jambe peuvent marcher au bout de cinq jours<br />

et des fracturés de cuisse montent des escaliers au quinzième jour.<br />

Dans leur lit, ces blessés ne sont plus tenus à l'immobilité, grâce<br />

à un ensemble de poulies et de hamacs qui soutiennent le membre<br />

brisé et en permettent tous les mouvements. Ne souffrant plus, le<br />

fracturé attend patiemment la guérison, qui souvent lui permettra<br />

de rejoindre son régiment et de reprendre sa place au combat. Toutes<br />

les semaines, plus souvent si c'est nécessaire, il est examiné aux<br />

rayons X à son lit même, le chirurgien pouvant ainsi suivre au jour<br />

le jour les progrès de l'ossification nouvelle, comme il suit à œil<br />

ouvert la cicatrisation d'une plaie. Il y a là un grand progrès, tout<br />

à l'éloge de la chirurgie française, et ce progrès, dû aux travaux de<br />

nos camarades, les Alquicr, les Heitz-Boyer, les Leriche, les Tanton,<br />

est encore la résultante de cette idée bien ancrée dans l'esprit du


SCIENCE ET DÉVOUEMENT AU SERVICE DES BLESSÉS 137<br />

corps de santé français, idée reparaissant partout et toujours comme<br />

un leitmotiv obsédant : « En toutes circonstances, quelles que soient<br />

(( les lésions présentées par un blessé, il est de devoir strict pour tous<br />

« ceux qui ont la responsabilité de son traitement de le placer au plus<br />

« vite dans les meilleures conditions possibles pour que sa guérison<br />

■■' soit complète dans le minimum de temps. » Voilà le grand principe<br />

à l'application duquel se sont obstiné, pendant toute la durée de la<br />

guerre, les médecins militaires français. Comment ils y sont entiè<br />

rement parvenu, j'aurais voulu vous le démontrer plus en détail,<br />

mais Je temps m'est limité et je dois borner là cette rapide esquisse<br />

d'une réalisation qui, pour être décrite dans tous ses détails, exi<br />

gerait de longues heures et une voix plus autorisée que la mienne.<br />

Il eût été intéressant,<br />

après vous avoir fait suivre le blessé à travers<br />

la filière des formations sanitaires du front de vous faire assister à<br />

son évacuation sur les hôpitaux de l'arrière et de vous le montrer<br />

dans ces hôpitaux militaires, temporaires et auxiliaires, territoire<br />

où comme au front, avec le même dévouement inlassable,<br />

avec la<br />

même science impeccable, tout le personnel a fait son devoir. Je<br />

laisse à d'autres le soin de compléter cette description. Et, m'ex-<br />

cusant d'avoir retenu aussi longtemps votre attention,<br />

bienveillance, je vais faire passer,<br />

pleine de<br />

sur l'écran quelques clichés de<br />

nos services sanitaires du front pris par le service photographique<br />

de l'Armée et spécialement destinés à mes conférences.<br />

Docteur Edmond VIDAL.


&&&&&&&&&&&&<br />

UNE PUISE D'AIDES h AISES<br />

La scène se passe sur la place du Gouvernement,<br />

sous la présidence<br />

du duc d'Orléans sont la statue équestre, en bronze patiné par le<br />

temps et les embruns, se dresse imposante, au milieu de la place en<br />

soleillée. Le fils de Louis-Philipe salue de l'épée les troupe échelonnées<br />

en carré autour de la place où sont groupés, à proximité du socle de la<br />

statue, les officiers en uniforme qui, dans quelques instants, vont rece<br />

voir, de la main du Général Nivelle, ancien Généralissime, la croix<br />

— des braves qu'ils ont gagnée au champ d'honneur. Près d'eux,<br />

sur le même rang, se tiennent debout, vêtus de noir, les membres<br />

de la famille de ceux qui sont morts pour la France,<br />

et à qui le<br />

Gouvernement de la République a décerné le témoignage posthume<br />

de son admiration et de sa reconnaissance.<br />

Le cadre qui orne ce tableau est ravissant et revêt d'un joli cachet<br />

oriental cette imposante cérémonie. Oh ! le prestigieux décor ! La<br />

statue équestre du duc d'Orléans se profile nettement sur la blancheur<br />

éclatante des murs dentelés de la grande mosquée, dont le minaret<br />

et la coupole pareille à une chéchia blanche, se détachent joliment<br />

sur la soie bleue du ciel immaculé. —<br />

Sur le boulevard de la Républi<br />

que est massée la foule compacte des curieux qui attendent impatiem<br />

ment l'arrivée du commandant du XIXe corps,'<br />

maintenus de chaque<br />

côté par un barrage d'agents en uniforme galonné d'argent.<br />

Au delà du boulevard, s'étend à perte de vue, la Grande Bleue,<br />

aux tons de nacre, sur laquelle s'essaiment, comme un vol de mouettes,<br />

d'élégantes voiles latines dont les ailes blanches, triangulaires,<br />

pointent vers le ciel de satin bleu.<br />

Soudain une claironnante sonnerie vibre dans l'air pur, où flottent<br />

des senteurs marines, et une fanfare militaire fait retentir allègrement<br />

les accords de la «Marseillaise» qui saluent l'arrivée de l'ancien Géné<br />

ralissime escorté de son brillant état-major. En uniforme bleu horizon,<br />

la poitrine ornée de multiples rubans multicolores, le Général Nivelle,<br />

cavalier superbe, s'avance au pas, sur un cheval nerveux, impatient,<br />

suivi de généraux et d'officiers à cheval, dont les galons d'or et les<br />

chamarrures scintillent au soleil hivernal, tandis que derrière, fermant


'<br />

UNE PRISE D'ARMES A ALGER 189<br />

l'escorte, flottent les burnous blanc et rouge des spahis caracolant<br />

sur leur chevaux fringants, à la bouche écumante.<br />

Souple, le Général Nivelle met pied à terre et s'avance en souriant<br />

vers le groupe des officiers à qui, d'un geste amical, il serre la main,<br />

et, bientôt, l'impressionnante cérémonie de la remise des décorations<br />

commence. Le commandant du XIXe corps distribue d'abord des<br />

croix de guerre aux membres des familles des glorieux soldats morts<br />

au champ d'honneur. Il embrasse les enfants de ces modestes héros,<br />

tandis que les veuves, voilées de crêpe,<br />

venir des<br />

chers'<br />

disparus.<br />

pleurent en évoquant le sou<br />

i C'est, maintenant, le tour des officiers échelonnés par ordre de<br />

grade et qui reçoivent successivement, du Général Nivelle, avec<br />

l'accolade, la croix d'honneur qu'ils ont gagnée sur le front.<br />

C'est d'abord le Général Hanoteau qui est fait commandeur de la<br />

Légion d'honneur et au cou duquel l'ancien Généralissime attache la<br />

cravate rouge ; puis, viennent les officiers à qui, au nom du Président<br />

de la République, le Général Nivelle octroie la rosette ou le ruban de<br />

la Légion d'honneur et épingle sur la poitrine de ces braves, figés en<br />

une attitude martiale, les insignes de ces décorations.<br />

C'est, enfin, le tour des mutilés, pitoyables soldats, français et<br />

indigènes, amputés pour la plupart des deux jambes, et se tenant<br />

debout, en équilibre,<br />

grâce à leurs béquilles.<br />

L'imposante cérémonie est terminée, et,<br />

c'est maintenant, aux<br />

accents de « Sambre-et-Meuse », le défilé des troupes devant l'ancien<br />

Généralissime qui les salue face à la mer Céruléenne, le regard braqué<br />

sur la terre de France où il a fait vaillamment son devoir, à la tête<br />

de notre belle armée. Puis, la foule bruyante s'écoule avec des remous ;<br />

le Général Nivelle salue, de la main, les officiers qui l'entourent, et<br />

s'éloigne,<br />

suivi de son escorte.<br />

Charles BARBET.


©®rs©©©©©®©®®<br />

EFFET DU SOIR A M'SILA<br />

C'est le soir, à M'Sila,<br />

D'après un tableau de NOIRE<br />

au seuil des solitudes désertiques. Sous<br />

un ciel zinzolin où s'éparpillent de petits nuages irisés,<br />

pareils à de<br />

légers flocons d'ouate rose ou à des cyprins mordorés, l'Oued-Ksob<br />

aux eaux miroitantes, semble dormir,<br />

aux berges déchiquetées,<br />

comme figé en son large lit<br />

qui s'étale à travers l'oasis où plane à cette<br />

heure crépusculaire, nostalgique, un silence angoissant, solennel.<br />

A l'horizon de nacre et d'améthyste, quelques palmiers s'érigent,<br />

sombres, parmi la pourpre dorée du couchant. Des lueurs incarnadines<br />

flottent encore éparsés, colorant l'on dirait de feux de bengale,<br />

l'ocreuse grisaille des mornes demeures sahariennes, plongées en Une<br />

léthargique torpeur. Peu de vie dans ce décor lumineux, fantasma<br />

gorique. On n'aperçoit là-bas, "émergeant de la nappe argentée de<br />

l'Oued aux reflets métalliques, que la silhouette imprécise d'un<br />

indigène qui se baigne sans bruit, dans l'eau glauque, opaque,<br />

tandis que près de là, au bord de la rivière, apparaît, au fond d'un<br />

couloir obscur, accroupie sur le sol, une mauresque sordide, sur<br />

laquelle le soleil agonisant projette encore une lueur rougeâtre,<br />

cuivrée, qui met, autour d'elle, une prestigieuse auréole, pareille au<br />

nimbe des madones chères aux Primitifs, des vierges d'or de Mem-<br />

ling.<br />

Au cours d'une excursion à M'Sila, j'ai revu, serti dans son cadre<br />

naturel, le lumineux décor brossé par Noire avec une talentueuse<br />

maîtrise.<br />

Le soir tombait. Emmi le plus profond silence, l'Oued-Ksob<br />

étalait, à travers la luxuriante oasis, sa large nappe d'argent bruni<br />

où se reflétaient les façades grises des maisons sahariennes que le<br />

crépuscule avait transformées, comme par magie, en blocs d'améthyste<br />

et de rubis. De ci de là, sur ses bords rongés, ravinés, sablonneux, des


EFFET DU SOIR A M'SILA 141<br />

cailloux arrondis par le flot, scintillaient comme des pierreries irisées<br />

par les feux multicolores du soleil couchant, tandis que dans le ciel<br />

mauve, opalin, voletaient, çà et là, de légères nuées duveteuses,<br />

pareilles à des plumes de flamand rose. Dans le lit de l'Oued rocail<br />

leux, des mauresques demi-nues puisaient de l'eau trouble, jaunâtre,<br />

à l'aide d'amphores en terre cuite, striées d'arabesques noires, ou de<br />

peaux de bouc visqueuses, gonflées comme des outres, évoquant<br />

l'image de gros chiens noyés, au poil luisant,<br />

au ventre ballonné.<br />

L'oasis était verte et rose à cette heure crépusculaire. Derrière<br />

l'entassement, des gourbis éclairés par de minuscules fenêtres, s'éten<br />

dait au loin, jusqu'à l'horizon, le moutonnement des sombres cépées<br />

d'où émergeaient quelques blanches koubbas ovoïdes. Je me dirigeai<br />

vers la ville arabe dont les énormes cubes de boue séchée s'étageaient<br />

pêle-mêle, au delà du gigantesque pont métallique jeté hardiment sur<br />

l'Oued dont les eaux semblent figées, comme une coulée de plomb<br />

fondu. Peu à peu le ciel se vert-de-grise et s'assombrit en teintes d'une<br />

merveilleuse délicatesse de coloris. Des lueurs pourpres d'incendie<br />

enflamment encore l'horizon vers le couchant pailleté d'or rouge,<br />

tandis qu'une pulvérulence de nacre lactescente, opaline, s'essaime<br />

comme une jonchée de pétales de violettes et de roses pâlies, là-bas,<br />

en les lointains vaporeux, désertiques. Je chemine lentement à tra<br />

vers les ruelles sombres, escarpées, polluées de détritus, du village<br />

indigène. Des femmes vêtues d'oripeaux multicolores, les yeux noirs<br />

cerclés d'antimoine,<br />

sont assises sur le seuil de leur gourbi et me re<br />

moutcha-<br />

gardent passer, l'air indifférent cependant que d'autres, un «<br />

chou» crasseux, rebondi, demi nu, dans les bras, m'adressentun salam<br />

amical, en esquissant un sourire éblouissant.<br />

Me voici au pied d'une blanche koubba qui domine les terrasses<br />

grises du village. C'est le marabout de Sidi-Amar Boudjemaa. Des<br />

arabes en burnous et en gandouras, la tête encapuchonnée de laine,<br />

tels des moines au seuil d'un cloître, prient à voix basse, le visage<br />

serein,<br />

tourné vers l'Orient. Ma présence insolite à cette heure cré<br />

pusculaire ne semble point les émouvoir ni les étonner. Je passe au<br />

près d'eux et, franchissant en me baissant, la porte basse du minaret,<br />

je gravis urt petit escalier en colimaçon qui me conduit à l'orée d'une<br />

.contempler blanche terrasse d'où je puis encore, avant la tombée de<br />

la nuit, le<br />

du désert.<br />

merveilleux panorama de l'oasis et les lointains imprécis<br />

Le ciel est de velours bleu pâle gemmé d'étoiles,<br />

purs diamants. Un silence absolu, solennel,<br />

ainsi que de<br />

plane sur la ville saha-


142 EFFET DU SOIR A M'siLA<br />

riehne que l'on dirait endormie. Quelques blancs marabouts mettent<br />

une tache claire, lumineuse, sur les sombres frondaisons qui mouton<br />

nent aux entours du village. Là-bas, devant moi, en un vague loin<br />

tain, derrière une buée mauve, opalescente, je devine la présence du<br />

Chott el-Hodnâ et des steppes sahariens. Soudain, la voix pure, un<br />

tantinet nasillarde du moudden clame, dans l'impressionnante beauté<br />

du soir bleu, l'intangible grandeur et la majesté d'Allah, et, profondé<br />

ment ému, l'âme angoissée, je m'en vais,<br />

nostalgie.<br />

en proie à une indicible<br />

Charles BARBET.


&&&&&&&&&&&&<br />

BIBLIOGRAPHIE<br />

Prosper Alfaric. —<br />

L'<br />

Evolution intellectuelle de Saint-Augustin (Du Manichéisme au Néoplatonisme). Paris, Emile Nourry, in-8°,<br />

1918,<br />

556 pages.<br />

C'est un fort beau livre qu'a écrit M. Alfaric. Documentation sûre et<br />

abondante, critique avisée des textes,<br />

remarquable, style simple et élégant tout à la fois,<br />

composition d'une netteté<br />

sont les qualités<br />

maîtresses de cet ouvrage qui comptera parmi les meilleurs parus en<br />

ces dernières années.<br />

- Bien que le sujet ne paraisse abordable qu'à ceux que préoccupent<br />

les problèmes philosophiques et religieux,<br />

sa lecture sera goûtée par<br />

tous les esprits curieux du passé africain. Dans les pages que l'auteur<br />

consacre aux premières années de Saint-Augustin, dans l'étude<br />

psychologique qu'il esquisse des sentiments, des idées et des aspira<br />

tions du jeune africain, M. Alfaric essaie de faire/ revivre par une<br />

saisissante \évocation les milieux provinciaux de Thagaste, de Ma<br />

dame et de Carthage.<br />

Saint-Augustin était né à Thagaste, aujourd'hui Soukahras ; entre<br />

un père païen ou indifférent à l'égard de toutes les croyances et une<br />

mère catholique et profondément croyante,<br />

sa première enfance<br />

s'écoula tranquille et studieuse, mais elle devait lui laisser le souvenir<br />

assez confus des dissentiments qui séparaient au point de vue reli<br />

gieux les membres d'une même famille. En quittant sa ville natale<br />

pour compléter son instruction, il alla à Madaure (Mdaourouch) où<br />

ilsuivit les leçons d'un grammairien ; dès cette époque, il se laissa<br />

séduire par le paganisme lettré qu'on y professait. Un peu plus tard<br />

il gagna Carthage, la grande métropole africaine,<br />

célèbre par la vie<br />

facile de ses habitants et la profusion de ses richesses ; là, il fréquenta<br />

les écoles de rhéteurs ; là, il se mêla aux controverses religieuses<br />

particulièrement vives dans une population cosmopolite sollicitée<br />

par les sectes les plus diverses. L'existence qu'il y mena fut assez<br />

libre ; à l'exemple des autres étudiants, il vécut avec une concubine<br />

dont il eut un fils Adéodat. Bientôt,<br />

il s'initia à la doctrine mani<br />

chéenne dont il va être pendant neuf ans un des plus brillants défen<br />

seurs.


144 BIBLIOGRAPHIE<br />

En Afrique, Augustin restera encore durant plusieurs années,<br />

enseignant l'éloquence à son tour, prenant part à des concours de<br />

poésie, argumentant contre les adversaires de ses propres convictions<br />

religieuses. Curieuse religion que cette doctrine manichéenne ! Elle<br />

s'était répandue dans les milieux africains, à Carthage surtout, où<br />

ses partisans étaient nombreux et tenaient une grande place dans<br />

le monde intellectuel de la ville ; elle était séduisante par ses appa<br />

rences scientifiques, par sa morale et sa casuistique, tout aussi bien<br />

que par son esprit critique ; elle s'imposa à la curiosité inquiète du<br />

jeune rhéteur. La coexistence de deux principes originels, le bien<br />

et le mal, la lumière et les ténèbres,<br />

— les<br />

lignes directrices de la<br />

conduite humaine, tirées des sceaux de la bouche, de la main et du sein<br />

— la<br />

division de la société en élus, auditeurs et simples pécheurs,<br />

enfin la discussion des dogmes païens, juifs et chrétiens, toutes ces<br />

nouveautés furent acceptées, puis défendues par l'auditeur de Cartha<br />

ge. Pourtant son adhésion n'avait pas été donnée sans réserves ; des<br />

doutes s'élevèrent dans son esprit ; des questions se posèrent qui<br />

restèrent sans réponse de la part de Fauste de Milène, le principal<br />

interprète de la doctrine. Après neuf années de foi relative, l'évolution<br />

des idées de Saint-Augustin l'entraîna hors du Manichéisme, vers<br />

l'école sceptique de Carnéade.<br />

Il est très curieux de constater que celui que l'on a appelé le grand<br />

évêque africain ne vint au catholicisme que lentement et après bien<br />

des hésitations. Quoique inscrit de bonne heure au nombre des caté<br />

chumènes de Thagaste par les soins de sa mère Monique, marqué du<br />

signe de la croix et baptisé du sacrement du sel, le jeune chrétien s'est .<br />

usqu'<br />

j ici éloigné de sa religion primitive pendant son sejdur en Afrique ;<br />

il n'y reviendra qu'après avoir rejeté la religion orientale du Mani<br />

chéisme, puis après avoir passé parles écoles grecques de la Nouvelle-<br />

Académie et du Néoplatonisme. Comme si les Africains, à la sensualité<br />

ardente et à l'intelligence hardie, ne pouvaient se plier à la discipline<br />

et au dogme de l'Eglise latine qu'après cette double épreuve des sens<br />

etide la raison.<br />

La partie de l'ouvrage de M. Alfaric, relative au scepticisme de<br />

Saint-Augustin, puis à la philosophie néoplatonicienne, ne saurait<br />

être analysée ici. Le professeur de rhétorique de Carthage a quitté<br />

l'Afrique et n'en subit plus directement l'influence physique et mo<br />

rale ; il enseigne à Rome, puis à Milan ; dans ces .villes<br />

il<br />

appelle à<br />

côté de lui sa mère, ses parents, ses amis. Ce n'est que, lorsqu'il aura<br />

'<br />

embrassé définitivement la foi catholique, qu'il retournera dans son<br />


BIBLIOGRAPHIE 145<br />

pays natal ; alors recommencera son existence africaine, celle-là<br />

toute d'apostolat catholique.<br />

M. Alfaric nous promet un second ouvrage sur l'évêque d'Hippone.<br />

Faut-il ajouter que tous ceux qui ont lu son premier livre attendront<br />

avec impatience le second ?<br />

'<br />

Victor DEMONTES.<br />

Camille Fidel . —La Paix Coloniale Française,avec une introduc<br />

tion de M. Chailley et une préface de M. Maurice Barrés. Paris, Tenin,<br />

in-8°, 1918. 241 pages, 2 cartes. Prix 6 francs.<br />

Voici un livre qui vient à son heure ; au moment où la Confé<br />

rence de la Paix discute les questions coloniales, il était nécessaire<br />

que la voix de la France fût entendue, non pas celle de la France<br />

officielle, niais aussi celle du parti colonial français. Par l'expérience<br />

personnelle qu'il avait acquise au cours de nombreux voyages, par<br />

les ouvrages qu'il avait écrits, par sp documentation sûre et<br />

abondan-'<br />

te, M. Camille Fidel était plus désigné que tout autre pour préciser<br />

les clauses d'une paix coloniale française ou du moins pour exprimer<br />

les aspirations légitimes du pays dans le règlement qui va intervenir.<br />

Et cela était d'autant plus nécessaire, que, pour des raisons assez<br />

obscures, le Gouvernement n'associait que timidement à l'œuvre<br />

de la Conférence ses propres colonies et protectorats, alors que l'An<br />

gleterre demandait et obtenait pour ses dominions une place privilé<br />

giée.<br />

A la suite de cette guerre et comme conséquence du triomphe des<br />

armées alliées, trois problèmes coloniaux se posent : 1er Quel sera le<br />

sort des colonies allemandes ? 2° Quel sera celui de la Turquie et de<br />

ses possessions asiatiques ? 3° Entre les puissances victorieuses, y<br />

aura-t-il, sous prétexte de rectifications de frontières, des cessions ou<br />

des échanges de territoires aux colonies, et notaniment la France<br />

d'oivtre-mer subira-t-elle de ce fait de douloureuses amputations ?<br />

C'est à étudier ces questions d'un intérêt vital pour notre avenir que<br />

M. Fidel corîsacre la majeure partie de son ouvrage. Toutefois, il<br />

fait précéder la discussion d'un exposé très heureux de l'état dans<br />

lequel se trouve aujourd'hui le domaine colonial français ; il en<br />

montre la répartition et en définit les ressources ; il insiste sur les<br />

avantages que la métropole est appelée à en retirer d'après les ensei<br />

gnements de la guerre actuelle.<br />

10


146<br />

Que les colonies allemandes,<br />

BIBLIOGRAPHIE<br />

conquises par nos troupes ou pai<br />

celles de nos alliés, ne puissent plus revenir à leurs anciens maîtres,<br />

l'auteur n'a pas de peine à le prouver et il énumère les raisons mili<br />

taires et morales que lui-même et d'autres écrivains, tant en France<br />

qu'à l'étranger,<br />

ont développées. Grave a été dans le passé la menace<br />

que faisait courir aux colonies françaises, belges,<br />

portugaises et même<br />

anglaises la politique ambitieuse et brutale de la Germanie annexion<br />

niste,<br />

africain ;<br />

son rêve d'un Mittel-Africa qui aurait absorbé tout le centre<br />

plus dangereuse elle aurait été encore pour la paix du monde<br />

si on avait laissé aux pangermanistes le temps et les moyens de<br />

constituer de solides points d'appui à leurs flottes et de lever de<br />

grandes armées noires. Pour se prémunir contre les pires éven<br />

tualités, les vainqueurs ont le droit et même le devoir d'enlever"aux<br />

vaincus de pareilles armes. Mais comment se partageront-ils ces<br />

territoires ? A vrai dire, le partage est déjà effectué par les conven<br />

tions particulières signées au lendemain de l'occupation. La^France<br />

aurait partie du Cameroun et du Togo, la Belgique recevrai\des dé<br />

dommagements dans la région des grands lacs, le Japon prendrait<br />

les colonies allemandes de l'Extrême-Orient situées au Nord del'Equa<br />

teur, l'Angleterre et ses dominions auraient le reste,<br />

c'est-à-dire le<br />

plus gros morceau. M. Camille Fidel se plaît à démontrer que,<br />

dans ce partage, ce n'est pas la France qui doit être considérée comme<br />

avantagée ; il dresse à ce propos un curieux tableau de la valeur<br />

respective des territoires ainsi répartis.<br />

établi,<br />

Le sort de la Turquie d'Asie paraît devoir être plus malaisément<br />

car les compétitions sont ardentes. L'effondrement delà Russie<br />

a compliqué les difficultés en rendant caducs lès engagements diplo<br />

matiques. Que va devenir Constantinople et qui fera la police des<br />

détroits, dont l'ouverture au trafic mondial doit être assurée désor<br />

mais ? Qui sera chargé de prêter une assistance effective à la réorga<br />

nisation et au relèvement des Arméniens, des Syriens, des Arabes,<br />

des Juifs, etc. ? L'auteur ne cache aucune des convoitises et souligne<br />

même l'exagération de quelques appétits. U se plaît à revendiquer<br />

pour la France la Syrie intégrale, une terre presque<br />

condée par nos capitaux,<br />

française*<br />

fé<br />

où vit une population qui parle notre lan<br />

gue, fréquente nos écoles, se réclame de notre protection.<br />

Là oùle livre de M. Fidel devient d'une lecture passionnante pour<br />

les Français, c'est quand l'auteur entreprend de défendre notre propre<br />

domaine colonial contre les tentatives de nos alliés. Le vrai peut<br />

quelquefois n'être pas vraisemblable ; et pourtant il n'y a rien de plus<br />

vrai que les' demandes de cession, ici d'un port, là de l'hinterland


BIBLIOGRAPHIE * 147 ><br />

d'une colonie. M. Fidel a déjà rompu bien des lances dans le tournoi<br />

engagé entré les coloniaux français et italiens ; il n'ignore sans doute<br />

pas que des manifestations individuelles et collectives n'engagent<br />

point les gouvernements", mais la persistance de ces réclamations est<br />

cependant l'indice d'un état d'esprit peu bienveillant. Cette campagne<br />

au oins inopportune laisserait croire qu'outre- mont l'action de nos<br />

pires ennemis s'exerce encore sous une forme voilée, et c'est ce que<br />

M. Maurice Barrés indique dans sa Préface : « Aucun des alliés,<br />

dit-ilj<br />

ne doit demander ni chercher à agrandir son territoire colonial<br />

aux dépens d'un autre allié. Que les colonies actuelles de chacun des<br />

Etats de l'Entente soient intangibles ! Il semble que ce soit là une<br />

vérité d'évidence. Mais l'Allemagne joue de tous les ressorts. Elle<br />

dispose, en pays neutre et même allié, des moyens d'égarer l'opinion,<br />

de raviver de vieilles querelles, de susciter les rivalités et les appétits.<br />

Diviser ses ennemis, multiplier entre eux les froissements et,<br />

si pos<br />

sible, les rancunes, c'est la dernière carte du vaincu. Le jeu est clas<br />

sique ; ne nous y laissons pas prendre. »<br />

L'intégrité du domaine colonial français, la légitimité de nos<br />

revendications en Syrie, le partage équitable des colonies allemandes<br />

et avec cela la levée des hypothèques qui gênent notre action au<br />

Maroc, tel est le programme que M. Camille Fidel développe dans son<br />

beau livre, livre de franchise courageuse autant que de vérité docu<br />

mentaire.<br />

L'Imprimeur- Gérant,<br />

Pierre Guiauchain.<br />

">($*-<br />

Victor DEMONTES.<br />

Le Secrétaire Général,<br />

V. Démontés


Imprimerie<br />

Algérienne<br />

1 30,r.Sadi-Camot§!<br />

1 Alger<br />

1 il


Les Pétroles Algériens<br />

Comment s'est posée la question des pétroles algériens.<br />

I. Les premières discussions parlementaires et l'interpellation de M.Outrey<br />

à la Chambre des Députés.<br />

II. Historique des recherches pétrolifères en Algérie et possibilités géologiques.<br />

III. Les illusions parlementaires el la seconde interpellation de M. Outrey.<br />

IV. La législation foncière musulmane (Terres melk) et les obstacles qu'elle<br />

oppose au droit de recherches et à l'octroi de concessions.<br />

V. Le Projet Algérien et les critiques du Conseil Supérieur, puis du Comité<br />

Consultatif des Mines.<br />

La loi de M. Loucheur et le Cahier des charges spécial prévu pour son appli<br />

cation à l'Algérie.


Les Pétroles Algériens<br />

L'espoir de trouver en Algérie des nappes pétrolifères se serait-il<br />

évanoui ? Il semble bien qu'après avoir rêvé d'immenses richesses<br />

en ce précieux combustible, on soit devenu plus sceptique ; peut-être<br />

même,<br />

par un mouvement de réaction assez naturel et les derniers<br />

forages n'ayant amené aucun résultat immédiat,<br />

pousse-t-on la<br />

désillusion trop loin. Il en va d'ailleurs ainsi en France dans toutes<br />

les questions économiques ; sur de simples indices,<br />

les projets s'éta<br />

blissent, les suppositions se transforment rapidement en certitudes<br />

et l'on ne se donne pas la peine d'étudier méthodiquement les faits ;<br />

il est toujours si facile de prendre ses propres désirs pour des réali<br />

tés. N'est-il pas curieux de constater que la fièvre pétrolifère, née<br />

en Algérie et entretenue par d'habiles réticences, s'est propagée en<br />

France et à l'étranger et qu'elle y a atteint une violence rare ? Aux<br />

premières nouvelles du jaillissement du pétrole dans la colonie, des<br />

missions furent envoyées ; il en vint d'Angleterre, des Etats-Unis,<br />

de Roumanie, de Russie, et... de France. Si toutes avaient publié<br />

le résultat de leurs recherches, l'opinion publique n'aurait certes<br />

pas admis les suggestions intéressées et vraiment trop hâtives qu'on<br />

voulait lui faire adopter.<br />

Là où de simples présomptions furent tenues pour des vérités<br />

démontrées, là où on escompta précipitamment les ressources à pro<br />

venir des entreprises futures, ce fut dans les milieux parlementaires<br />

français ; à plusieurs reprises des interpellations retentissantes fu<br />

rent adressées au Gouvernement et chaque fois les députés enflèrent<br />

démesurément les chiffres ; ils supputèrent les millions ou les mil<br />

liards que ces précieux pétroles apporteraient au budget de la métro<br />

pole, concurremment avec les produits des autres industries minières.<br />

Aussi, dans une semblable étude, serait-il imprudent de ne pas tenir<br />

compte des débats parlementaires. Non pas que l'on doive y trouver


LES PETROLES ALGERIENS 151<br />

des indications précieuses sur les prospections ou sur les forages, sur<br />

la nature des huiles minérales obtenues ou encore sur les méthodes<br />

employées dans les travaux ; de tout cela, il n'est guère question.<br />

Pour ceux qui parlent comme pour ceux qui écoutent, le problème<br />

est résolu ; il y a du pétrole en Algérie, beaucoup de pétrole, de<br />

véritables nappes inépuisables et exploitables, comme il en existe<br />

en Roumanie, en Russie et aux Etats-Unis. Mieux encore, l'horizon<br />

pétrolifère s'étend sur toute l'Afrique du Nord. La France de demain<br />

ne sera plus sous la dépendance de l'étranger pour une matière pre<br />

mière et ses dérivés dont l'armée, la marine et les industries font<br />

aujourd'hui une si grande consommation ; d'importatrice, elle ne<br />

tardera pas à devenir exportatrice. Quelle source fabuleuse de re<br />

venus au lendemain d'une guerre épuisante ? Quelle facilité pour<br />

équilibrer un budget ? La légende naît et se propage.<br />

Certes, il eût été heureux pour la métropole et la colonie que<br />

les faits répondissent à la légende ; mais toute exagération a ses dan<br />

gers et particulièrement en matière de produits miniers. Bien des<br />

problèmes surgirent et d'autres qui s'étaient posés depuis longtemps<br />

durent être résolus sans plus de délai, ou plutôt on l'affirmait. L'heure<br />

parut venue de refondre complètement la législation minière et de<br />

substituer à la loi surannée de 1810 un texte législatif nouveau plus<br />

souple et mieux adapté aux exigences modernes des industries<br />

extractives. Il était urgent, en présence d'un accaparement possible<br />

des terrains pétrolifères algériens par des sociétés étrangères, de<br />

réserver à peu près exclusivement à nos nationaux les bénéfices de<br />

cette exploitation et d'imposer aux Sociétés concessionnaires la<br />

participation de l'Etat aux bénéfices. Les partis avancés de la<br />

Chambre, et le parti socialiste le premier,<br />

saisirent l'occasion qui<br />

leur était offerte pour condamner une fois encore le mode de conces<br />

sion pratiqué jusque-h) et réclamer la socialisation partielle ou totale<br />

des entreprises minières. Or, dans la situation créée par la guerre,<br />

alors que les préoccupations étaient toutes dirigées vers les opéra<br />

tions militaires, le gouvernement recula devant une solution radi<br />

cale et il n'en proposa qu'une incomplète, timide et sans valeur ap<br />

préciable pour la colonie. De cette incidence des débats parlementaires<br />

sur le problème des pétroles algériens, l'histoire mérite d'être contée ;<br />

elle en explique les vicissitudes parfois déconcertantes.<br />

Pareil exposé des débats parlementaires et des variations gouver<br />

nementales ne saurait suffire, si intéressant soit-il pour l'historien ;<br />

la valeur d'une solution économique ne dépend pas uniquement des<br />

principes sur lesquels elle repose. Les Français ont trop de tendances


152<br />

à croire que des principes,<br />

LES PETROLES ALGERIENS<br />

réputés excellents dans leur application<br />

à la métropole et jugés bons théoriquement par la raison, conservent<br />

leur valeur et leur efficacité dans tous les temps et dans tous les mi<br />

lieux. Bien étonnés ils sont quand les idées auxquelles ils attachent<br />

une vertu universelle rencontrent des contradicteurs et que leur<br />

politique aboutit à des mécomptes,<br />

comme si les hommes et les choses<br />

devaient se plier à leur idéal. Ce qu'il importe de savoir dans toute<br />

exploitation,<br />

ce sont les conditions exactes dans lesquelles elle se<br />

présente : sécurité et facilité d'achat des terrains nécessaires, riches<br />

se exploitable du gîte, probabilité de découvertes nouvelles. Une en<br />

quête faite sur place peut seule fournir ces données ; l'étude géologi<br />

que surtout est indispensable. S'est-on beaucoup<br />

préoccupé de ces<br />

bases scientifiques et a-t-on fait appel à ceux qui par leur profession<br />

auraient pu être des conseillers et des guides '? Quelle est la structure<br />

des couches de terrain dans les contrées où sont effectuées aujour<br />

d'hui les recherches ? N'est-il pas vrai que, faute de ces renseigne<br />

ments préalables, ceux qui parlent de ces découvertes peuvent com<br />

mettre des erreurs regrettables ?<br />

trop<br />

Il est un autre ordre de considérations dont on ne saurait tenir<br />

de compte quand on veut créer une entreprise minière dans un<br />

pays ; à la connaissance du milieu physique, il importe d'ajouter celle<br />

du milieu social et surtout celle de la législation foncière en usage.<br />

La précaution est, dira-t-on, inutile dans le cas particulier de l'Algé<br />

rie. Notre colonie n'a-t-elle pas la même législation foncière que la<br />

métropole ? Et la loi de 1810 n'a-t-elle pas été étendue à l'Algérie<br />

depuis 1852 ? Or, s'il est bien vrai que le régime minier est à peu près<br />

le même, il n'en est pas de même du régime des terres. Les propriétés<br />

indigènes sont restées sous la loi islamique et les dispositions de cette<br />

loi sont profondément différentes de celles qu'a édictées le Code Civil.<br />

En 1843, le Père Enfantin (1), excellent observateur des milieux mu<br />

sulmans, prédisait déjà à cette époque que les plus grosses difficultés<br />

que rencontrerait la France en Afrique auraient pour origine l'oppo<br />

sition des prescriptions du Coran et des articles du Code Civil ; il<br />

conviait, les pouvoirs publics à cette tâche urgente d'essayer de con<br />

cilier ces frères ennemis. Qu'a-t-on fait dans cette voie ? Peu de chose,<br />

si bien qu'actuellement il est plus que malaisé de rendre disponibles<br />

pour des exploitations minières les terres melk indigènes. Demain<br />

le danger qui est déjà grand s'aggravera. Le meilleur eût été, et c'est<br />

(!) Enfantin (Le Père). -Colonisation de l'Algérie. Paris, Bertrand, 111-8°,<br />

1843. Page 46.


LES PÉTROLES ALGÉRIENS 153<br />

à notre avis le seul remède à une situation de plus en plus inextricable,<br />

de se placer franchement au point de vue du droit musulman, de lui<br />

emprunter son principe de la domanialité des gisements miniers et<br />

de corriger par quelques additions ce qu'avait d'incomplet ou de trop<br />

manifestement contraire à nos propres idées ou aux exigences d'une<br />

industrie moderne la tradition islamique. C'est ce qu'ont compris les<br />

protectorats de Tunisie et du Maroc (1), et le Ministère des Affaires<br />

Etrangères dont ils dépendent leur a laissé toute latitude, pour procéder<br />

à cette habile adaptation. Pourquoi l'Algérie, qui souffre de l'appli<br />

cation malheureuse de la loi de 1810, n'aurait-elle pas cette même li<br />

berté ? Notre article n'aurait-il que cette conséquence d'attirer à<br />

nouveau l'attention des pouvoirs publics sur ce grave problème et de<br />

provoquer un autre examen,<br />

que nous aurions atteint notre but. Si la<br />

colonie était dotée d'un organisme plus souple et plus simple, sembla<br />

ble à celui des pays protégés voisins, nul doute que la France et<br />

l'Algérie y trouveraient leur compte dans une augmentation de la<br />

production et par suite dans un accroissement de la richesse ; or,<br />

à l'heure actuelle, produire dans toutes les branches de l'industrie,<br />

produire en France et dans les colonies, produire par tous les moyens,<br />

n'est-ce pas le sûr moyen de notre relèvement économique ?<br />

La question des pétroles algériens ne commença à être connue<br />

dans les milieux parlementaires que vers 1910. A ce moment, on ap<br />

prit qu'il existait des suintements sur plusieurs points et que de<br />

petites compagnies les exploitaient avec de médiocres capitaux. Brus<br />

quement, en 1914, à la veille de la guerre,<br />

elle prit une importance<br />

inattendue ; la Commission du budget de la Chambre s'en occupa et<br />

M. Clémentel, rapporteur général, déclara à ce moment qu'elle ne<br />

(1) Décret du 29 décembre 1913 (Protectorat Tunisien). Ce décret sous forme<br />

de fascicule a été publié par la Direction Générale des Travaux Publics de la<br />

Tunisie. Tunis, Picard, 1914, 45 pages. On en trouvera une étude dans notre<br />

article : Les Lignites de la Presqu'ile du Cap Bon. Bull. Soc. Géogr. Alger, 1918.<br />

Dahir du 19 janvier 1914,<br />

portant réglementation pour la recherche et l'ex<br />

ploitation des Mines dans la zone du Protectorat Français de l'Empire Chérifien.<br />

On trouvera ce Dahir dans l'Annuaire Economique et Financier de 1918-<strong>1919</strong><br />

publié par le Gouvernement Chérifien. Casablanca. G. Mercié et Cle, <strong>1919</strong>, pages<br />

418 à 426.<br />

On trouvera aussi dans ce même volume plusieurs autres dahirs concernant<br />

les Mines au Maroc et des avis de la Direction générale des Travaux Publics,<br />

sur l'application du règlement minier.


154 LES PÉTROLES ALGÉRIENS<br />

répugnait pas à certains monopoles, qu'elle avait étudié un projet de<br />

régie intéressée des pétroles et qu'enfin elle avait demandé unani<br />

mement au gouvernement de vouloir bien éviter que l'on ne concédât<br />

les gisements de pétrole découverts en Algérie ; il ajouta, toujours<br />

au nom de ses collègues de la Commission, que,<br />

ces dernières riches<br />

ses pétrolifères, « nous devions les conserver, non seulement pour<br />

servir de base à la régie ou au monopole que nous souhaitions, mais<br />

parce que cela était nécessaire à la défense nationale ». Cette déclara<br />

tion, faite à la séance du 10 juillet 1914, fut appuyée par le groupe<br />

socialiste ; à son tour, M. Sembat affirma que le seul moyen d'équili<br />

brer les futurs budgets était rétablissement de certains monopoles,<br />

tels que celui de l'alcool et la régie des entreprises minières. Les né<br />

cessités budgétaires s'alliaient donc aux théories de l'école socialis<br />

te pour imposer au Ministère une politique d'attente et lui interdi<br />

saient toute concession. Le gouvernement était au demeurant lié<br />

par un vote antérieur delà Chambre contre l'octroi de concessions<br />

nouvelles.<br />

Survint la guerre ; tout fut bouleversé. Obligation pour la France<br />

de se ravitailler à l'étranger, sortie énorme d'or, besoins grandissants<br />

de combustible et de pétrole pour les services de l'armée et de la flotte.<br />

La logique voulait que, dans l'intérêt bien entendu de l'Etat, les res<br />

sources de notre sous-sol comme celles de notre sol fussent dévelop<br />

pées d'une manière intensive, qu'aucune ne restât inexploitée. Ce<br />

fut le contraire qui arriva ; l'affaire des pétroles algériens ne pro<br />

gressa pas ; elle se compliqua bientôt d'une demande de concession<br />

déposée par la Société anglaise Pcarson and Son. Les péti<br />

tionnaires sollicitaient alors un droit exclusif de recherche de pé<br />

trole dans un périmètre englobant une superficie de 730.000<br />

hectares,<br />

puis un droit exclusif d'exploitation sur une surface<br />

à délimiter de 100.000 hectares. Comme il était urgent de<br />

commencer les travaux si l'on voulait profiter des produits pendant<br />

la guerre, une enquête fut ouverte et poursuivie rapidement tant<br />

au Ministère des Travaux Publics qu'au Gouvernement général de<br />

l'Algérie. Avis favorable fut donné par la Direction des Mines d'Alger<br />

et par le Gouverneur, avec cette réserve toutefois que la concession,<br />

vu son étendue exceptionnelle, ne serait définitive qu'après con<br />

sultation du Parlement ; niais le Ministre, M. Sembat, pressé par les<br />

événements, fit connaître à Alger qu'il serait statué sur la demande<br />

« en la forme ordinaire, par décret délibéré en Conseil d'Etat», ce<br />

qui signifiait qu'on se passerait de l'opinion du Parlement. Quand


LES ETF.OLES ALGERIENS 155<br />

cette lettre fut connue h la Chambre, elle y provoqua une vive émo<br />

tion et M. Outrey interpella le Ministre le 9 novembre 1916 (1).<br />

Ce fut la première interpellation retentissante sur les pétroles<br />

algériens ; elle ne devait pas être la seule. Par les critiques très vives<br />

adressées à la politique ministérielle, par la communication de do<br />

cuments confidentiels et aussi par l'intervention de plusieurs dépu<br />

tés appartenant aux divers groupes, elles présenta un double in<br />

térêt : celui de préciser l'état de la question à cette époque et celui<br />

de faire connaître les sentiments de plusieurs partis politiques.<br />

M. Outrey<br />

rappela les engagements pris à plusieurs reprises par des<br />

membres du Gouvernement et les votes successifs de la Chambre;<br />

il divulgua les lettres échangées entre le Gouverneur et le Ministre<br />

et s'éleva avec vivacité contre les clauses déjà préparées de la con<br />

cession à accorder à la Compagnie anglaise ; il combattit aussi une<br />

proposition de M. Dussert, ingénieur des Mines à Alger, d'octroyer<br />

la concession à l'Algérie laquelle la rétrocéderait ensuite à la Société<br />

Pearson ; il la dénonça comme un simple subterfuge pour échapper<br />

au contrôle parlementaire. Celui qu'il prit surtout à parti fut le<br />

Ministre M. Sembat : comment un Ministre socialiste a-t-il pu aban<br />

donner les principes que deux ans auparavant il soutenait à la tri<br />

bune de la Chambre comme simple député ? Suffit-il de s'asseoir<br />

sur les bancs du gouvernement pour changer d'attitude et de convic<br />

tion ? Comment le Gouvernement a-t-il été amené à faire bénéficier<br />

des étrangers de richesses qui appartiennent à la France et dont l'ex<br />

ploitation aurait, dû être réservée à des nationaux ? Comment n'a-t-il<br />

pas vu qu'il dépossédait des propriétaires français,<br />

alors que la plu<br />

part d'entre eux étaient sur le front et se battaient dans les tranchées?<br />

Ces arguments étaient bienfaits pour impressionner la Chambre :<br />

ils mirent en fâcheuse posture le Ministre. Celui-ci dans sa réponse<br />

plaida les circonstances atténuantes ; il se trouvait entre deux sortes<br />

de critiques. Les Députés lui disaient : « Vous avez oublié vos prin<br />

cipes,<br />

vous les trahissez ! Vous voulez livrer toute l'Algérie à une<br />

Société étrangère. » Les Sénateurs le pressaient d'agir : « C'est par<br />

souci de la doctrine socialiste que vous ne voulez pas donner de con<br />

cessions, mais la défense nationale exige que vous les donniez ; pour<br />

quoi les faites-vous ainsi attendre ? » Puis il laissa entendre que l'ex<br />

ploitation des pétroles algériens n'était pas sûre ; il était préférable<br />

qu'une société étrangère en courût l'aléa et dépensât quatre millions<br />

(1) Journal Officiel. Débats parlement ires (Chambre des Députés). Séance du<br />

9 novembre 1916.


156 LES PETROLES ALGERIENS<br />

dans ses recherches. Au surplus, après la guerre, la France aurait<br />

grand besoin d'associés étrangers afin que nos propres capitaux,<br />

aujourd'hui passés en d'autres mains, pussent y rentrer pour la mise<br />

en valeur du sol français.<br />

Ces réserves ne furent pas comprises ; il était pourtant exact<br />

que les gîtes pétrolifères étaient encore imparfaitement connus.<br />

Un autre député, M. Tissier, membre de la Commission des Mines><br />

confirma indirectement les dires du Ministre ;<br />

car il reprocha au gou<br />

vernement de n'avoir pas inscrit depuis l'ouverture des hostilités<br />

le moindre crédit dans le budget pour la mise en valeur des richesses<br />

minières ou des forces naturelles de la France et de ses colonies :<br />

« Croyez-vous, s'écria-t-il,<br />

que le gouvernement n'aurait pas dû faire<br />

procéder depuis longtemps à la prospection méthodique du sous-sol<br />

au Maroc, en Algérie, à la Nouvelle-Calédonie, à Madagascar et même<br />

en France ? Non pas par des sociétés étrangères, anglaises ou autres,<br />

mais par ses propres agents, aidés au besoin par des organisations<br />

françaises acceptées et organisées sous son impulsion ? »<br />

En dépit de cet avertissement trop général pour être entendu,<br />

en dépit des paroles du Ministre qui ne parurent qu'une excuse ha<br />

bile, la Chambre resta hypnotisée par les prétendues nappes pétroli<br />

fères de l'Algérie et plus ou moins hantée par la menace d'en voir<br />

dépouiller la nation au bénéfice de ressortissants alliés. Naturelle<br />

était en somme son attitude et légitimes ses craintes ; car elle ne<br />

savait pas au juste la valeur de ces gisements, elle ignorait aussi que<br />

l'on était encore dans la période de recherches. N'eût-on pas dû l'en<br />

avertir d'une façon plus explicite et n'était-ce pas le devoir du Gou<br />

vernement mieux renseigné que les députés par les rapports qu'il<br />

recevait d'Alger ? Pour ne l'avoir pas fait à temps, on allait, au cours<br />

d'une période troublée, laisser s'aviver les convoitises et s'exacerber<br />

les appétits. La vérité, dite sincèrement et appuyée sur des documents<br />

irréfutables, aurait calmé ces impatiences, à condition bien entendu<br />

qu'elles fussent sincères. Qu'enseignait donc l'histoire impartiale des<br />

prospections entreprises dans le Dahra et dans la région de Relizane ?<br />

Que laissait prévoir la connaissance géologique du sol, telle du moins<br />

qu'elle existait à ce moment ?<br />

II<br />

U y a en Algérie et un peu partout dans l'Afrique du Nord<br />

de nombreux indices de gîtes pétrolifères. Les notices minéralogiques<br />

publiées par le Service des Mines contiennent l'énumération des


LES PETROLES ALGÉRIENS 157<br />

points où ils ont été observés. Ce sont en général de faibles suinte<br />

ments d'hydrocarbures peu fluides, des sources amenant au jour de<br />

l'eau salée mélangée de pétrole ou de simples veinules de bitume<br />

traversant des formations sédimentaires. Il est à remarquer que le<br />

nombre de ces indices est particulièrement élevé dans le départe<br />

ment de Constantine et moins grand, semble-t-il, en Oranie, bien que<br />

ce soit dans ce dernier département qu'on ait découvert les gîtes les<br />

plus importants.<br />

Deux régions de l'Oranie furent explorées ; elles sont situées toutes<br />

deux dans la vallée inférieure du Chélif, de part et d'autre de ce<br />

fleuve mais à une certaine distance de ses rives ; l'une est la région du<br />

Dahra, l'autre celle de Tliouanet. Lh ont été multipliés les sondages ;<br />

là ont été obtenus des résultats appréciables. D'après M. Neuburger (1)<br />

auteur d'un Rapport sur les Gisements pétrolifères du département<br />

d'Oran, adressé au Gouverneur général et publié en brochure en 1901,<br />

le hasard seul amena le premier européen auprès de la source d'Aïn<br />

Zeft ; un Espagnol, Domingo Gonza.lvès,<br />

cherchait du goudron pour<br />

calfater sa barque ; un arabe passeur sur le Chélif le conduisit à une<br />

source appelée Source Noire par les indigènes. D'autres pêcheurs de<br />

même nationalité vinrent ensuite, creusèrent des tranchées à ciel<br />

ouvert, aménagèrent un réservoir où s'accumula le bitume suintant<br />

le long des parois des tranchées. A Tliouanet, même circonstance<br />

fortuite ; en 1898, toujours d'après M. Neuburger, « la ville de<br />

Relizane résolut de capter certaines sources afin de s'approvisionner<br />

en eau potable. Un garde des eaux. M. Calmette, fut désigné pour<br />

aller surveiller les travaux. Pendant son séjour à Tliouanet, le garde<br />

des eaux fut atteint de douleurs à la gorge et un Arabe des environs<br />

lui déclara qu'il possédait le remède qui pourrait le guérir ; il s'agis<br />

sait simplement d'aller chercher sur les rives de l'oued de Messila<br />

le sang d'un très saint marabout qui coulait là depuis des siècles et<br />

qui, par la grâce d'Allah,<br />

possédait des vertus curatives miraculeuses.<br />

Or le prétendu sang du marabout était du pétrole liquide qui en effet<br />

suintait à Messila depuis des siècles,<br />

sans que jamais on eût daigné<br />

s'en apercevoir. » Ces heureuses trouvailles n'ont rien d'invraisem<br />

blable ; car les suintements bitumineux se rencontrent dans les<br />

terrains les plus divers et ne correspondent point à la surface à des<br />

formations sédimentaires spéciales ; d'autre part les Arabes ont en-<br />

(1) Henri Neuburger. Les Gisements pétrolifères du département d'Oran. (Rap<br />

port adressé au Gouverneur général.) Mustapha, Imprimerie Algérienne, in-8°,<br />

1901. 99 pages et une carte.


158 LES PETROLES ALGERIENS<br />

touré de légendes toutes les sources, à plus forte raison celles dont les<br />

eaux avaient une couleur ou une odeur particulière.<br />

Quoi qu'il en soit, de ces origines, les travaux de recherches por<br />

tèrent tout naturellement autour de ces points et ils y ont été pour<br />

suivis depuis lors avec plus ou moins de régularité et de succès. Dans<br />

le Dahra,<br />

on explora d'abord les couches superficielles par de petits<br />

puits, puis on pénétra plus profondément dans le sous-sol ; plus<br />

de 30 sondages y ont été exécutés. Le premier fut poussé en 1892<br />

jusqu'à 300 mètres, l'huile fut rencontrée à 130 ; des dégagements<br />

gazeux se manifestèrent à 200,<br />

mais des éboulements de terrains<br />

mous entravèrent la marche des travaux. Deux autres puits ne don<br />

nèrent pas de résultats. Un quatrième atteignit de plus grandes pro<br />

fondeurs et à 416 mètres le pétrole jaillit ; on a retiré de ce puits en<br />

viron 700 tonnes d'huile. Une concession fut demandée et instituée<br />

par décret du 30 Mars 1903 ; elle englobait seulement 167 hectares.<br />

Mais la production s'est ralentie puis arrêtée. On continua cependant<br />

les recherches dans les environs ; malgré 14 sondages dont le plus<br />

profond descendit à 715 mètres et dont la hauteur totale dépassa<br />

5 . 000 mètres, malgré les dégagements gazeux rencontrés, les résultats<br />

furent dans leur ensemble peu encourageants. L'activité des cher<br />

cheurs se porta un peu plus loin à Ouled Sidi Brahim, aux Béni<br />

Zenthis et à l'oued Ouarizane ; ces points jalonnaient une zone de<br />

50 kilomètres de longueur et de direction Ouest-Est. Pas de décou<br />

vertes bien intéressantes encore. Enfin, en 1911 et 1912,<br />

à l'exploration de la concession d'Ain Zeft ; six puits nouveaux fu<br />

on revint<br />

rent forés dont un de 1 .100 mètres. En résumé, durant près d'un de<br />

mi siècle, on n'a pas cessé de creuser des puits dans cette région du<br />

Dahra ; la hauteur totale de ces travaux est d'environ 10 . 000 mètres ;<br />

or, si cinq de ces ouvrages ont rencontré des nappes de pétrole,<br />

si les<br />

autres ont révélé des suintements d'huile et des dégagements de gaz,<br />

les débits constatés ont été relativement faibles,<br />

puisque l'on évalue<br />

la production totale à 1.500 tonnes seulement, dont 700 provien<br />

nent d'un seul trou de sonde.<br />

A Tliouanet les perspectives sont évidemment plus séduisantes-<br />

Il y eut deux campagnes de recherches. De 1898 à 1902, d'assez nom<br />

breux puits et sept sondages furent creusés aux lieux dits Messila<br />

et Medjila ; la hauteur totale de ces derniers sondages ne dépassa<br />

pas 1.834 mètres ; le plus profond mesura 420 mètres. Deux ont<br />

été, complètement stériles ; les autres donnèrent de l'eau salée, des<br />

gaz imflammables ou de petites quantités de pétrole; un puits


LES PETROLES ALGÉRIENS 159<br />

près de Messila fournit une centaine de litres d'huile par jour, mais<br />

cette production ne parut pas suffisante à l'administration et elle<br />

se refusa à accorder les concessions demandées par quatre chercheurs.<br />

Une seconde période de travaux conduisit à de meilleurs résultats ;<br />

si un sondage de 902 mètres, mal placé sur une hauteur,<br />

n'a révélé<br />

aucun gîte exploitable, un autre mieux situé dans le ravin de Messila<br />

a rencontré le 14 avril 1914 à la profondeur de 167 mètres une nappe<br />

de pétrole abondante ; de violents jaillissements se manifestèrent<br />

d'abord, puis l'huile minérale dut être pompée ;<br />

on obtint deux<br />

tonnes 500 par journée de travail. Depuis la fin de 1916, le débit du<br />

puits diminue sensiblement. Un second puits fut foré à 156 mètres<br />

au Nord du prédécent : pas de résultat ;<br />

un troisième à 30 mètres<br />

au Sud a recoupé, lé 20 juillet 1916, à 127 mètres de la surface une<br />

veine de pétrole qui fournit au début 4 tonnes de combustible par<br />

jour ; de celui-là aussi la production décroît très vite. Trois autres<br />

forages au Nord n'ont rien donné ; le terrain paraît plus favorable<br />

au Sud, mais la Société est empêchée d'agir par l'opposition des pro<br />

priétaires du sol.<br />

Quant à la qualité des pétroles recueillis,<br />

elle varie d'une région à<br />

l'autre. Quoique nous ne possédions que des analyses déjà anciennes,<br />

citées dans l'ouvrage de M. Neuburger,<br />

cette différence par les chiffres suivants :<br />

(1)<br />

Région Nord ou du Dahra (l)<br />

Aïn-Zeft (4)<br />

on peut se faire une idée de<br />

Sidi-Brahim (2)<br />

Huiles légères et pertes :! 50 % 5 50 °u<br />

Huiles lampantes 1 1 50 11<br />

Huiles lourdes :J2 29 50<br />

Huiles paraffinées 29 29<br />

Mazout et résidus 22 25<br />

Région Sud ou 1 liotjanet<br />

Medjilla (5)<br />

Huiles légères et pertes » 50 % ."><br />

Huiles lampantes 56 50 48<br />

Huiles lourdes T 50<br />

Huiles paraffinées 3 4<br />

Messilla (7)<br />

50 %<br />

Mazout et résidus 28 50 2(i 50<br />

Les chiffres cités après chaque nom de région indiquent les numéros des<br />

puits qui ont fourni les prélèvements d'huiles analysées. M. Neuburger donne<br />

d'autres analyses pour des puits situés à proximité ; elles ne changent rien aux<br />

proportions que nous avons reproduites.<br />

16"


160 LES PÉTROLES ALGERIENS<br />

Ainsi le pétrole de Tliouanet contiendrait beaucoup<br />

plus d'huile<br />

lampante que celui d'Ain Zeft et beaucoup moins d'huile lourde et<br />

paraffinée. Il ressemblerait à certains pétroles des Etats-Unis et<br />

celui d'Aïn Zeft à quelques pétroles de Russie. Or, d'après la tech<br />

nique pétrolifère,<br />

cette différence de composition ne proviendrait<br />

pas de ce que l'un viendrait de plus grandes profondeurs que l'autre,<br />

mais bien de ce que les couches qui les séparent de la surface for<br />

meraient ici une cloison absolument étanche, là une couverture rela<br />

tivement perméable ; dans ce dernier cas, l'huile dans son chemi<br />

nement intérieur perd ses éléments volatils.<br />

De ce rapide exposé il ressort quelques conclusions provisoires :<br />

la découverte de ces sources de pétrole a été due au hasard plus<br />

qu'à la prospection méthodique. D'autre part il est aujourd'hui in<br />

déniable qu'il existe en Algérie des gîtes pétrolifères d'une certaine<br />

importance ; mais il n'est pas démontré que les quantités d'huile<br />

y<br />

soient assez grandes pour être exploitables. Enfin des deux sortes<br />

de pétrole recueillies dans des régions pourtant peu distantes l'une<br />

de l'autre, puisqu'elles ne sont séparées que par la vallée du Chélif,<br />

l'une appartient à la catégorie des pétroles fluides et riches en huiles<br />

lampantes, l'autre à celle des pétroles de densité plus lourde et formés<br />

surtout par la paraffine et le mazout.<br />

*<br />

* *<br />

Le problème se précise. Puisqu'il est maintenant hors de doute<br />

qu'il existe du pétrole dans la colonie, il reste à savoir s'il y a des<br />

nappes susceptibles d'alimenter une fructueuse exploitation ; car<br />

au point de vue économique tout est là. Rien ne sert de signaler<br />

des suintements, si nombreux soient-ils, ou d'atteindre des poches<br />

de volume limité,<br />

si riche qu'en soit le contenu par sa composition<br />

chimique ; l'essentiel est d'avoir la certitude ou du moins la grande<br />

probabilité de pouvoir en extraire certaines quantités et dans des<br />

conditions telles que les dépenses engagées soient aisément récupé-<br />

pérées et que l'entreprise laisse des bénéfices. On sort ici du domaine<br />

des faits constatés pour entrer dans celui des probabilités. Seuls les<br />

géologues sont en mesure de répondre.<br />

Leurs avis seront d'autant plus précieux à recueillir qu'ils repose<br />

ront sur une étude détaillée des formations actuellement connues<br />

et non sur de vastes hypothèses. Parmi ces dernières, il en est une (1)<br />

(l)<br />

Henri Neuburger. Un Bassin Pétrolifère cinumméditerranéen. (et article<br />

a paru dans la Revue minière, industrielle et métallurgique de l'Afrique du Nord.<br />

Février 1912.<br />

(


Les pétroles algériens 161<br />

d'après laquelle il existerait un immense bassin pétrolifère autour<br />

de la Méditerranée. La chose est possible et de plus souhaitable<br />

mais ce n'est là qu'une supposition. De ce que l'Afrique du Nord<br />

est située sur le pourtour de la grande dépression intérieure et que<br />

l'on a signalé des gîtes pétrolifères possibles dans les pays riverains<br />

de cette mer, s'ensuit-il que des nappes se rencontreront en Algérie ?<br />

En Portugal, en Espagne, en France, en Judée et en Egypte, on n'a<br />

encore que des espérances ; ce n'est qu'en Italie, dans ia vallée du<br />

Pô, dans les Abbruzzes et en Sicile que l'exploitation est en progrès.<br />

En Afrique, les recherches entreprises soit du côté de la Tunisie,<br />

soit du côté du Maroc, n'auraient pas donné les résultats qu'on<br />

attendait.<br />

U s'agit d'une géologie plus positive et pour tout dire plus terre<br />

à terre. Nous devons à l'obligeance de M. Brives (1) professeur à la<br />

Faculté des Sciences d'Alger,<br />

un de ceux qui connaissent le mieux<br />

la région du Dahra pour l'avoir parcourue dans tous les sens et en<br />

avoir fait le sujet d'une thèse de doctorat, la plupart des renseigne<br />

ments qui vont suivre. Que l'on admette, d'après cet auteur, la<br />

théorie organique ou la théorie chimique de l'origine du pétrole,<br />

celui-ci une fois formé constitue des gîtes primitifs généralement<br />

peu stables ; ils sont aussi d'une importance secondaire en raison<br />

des dislocations subies par ces terrains anciens et de leur divi<br />

sion en compartiments d'étendue variable ; de là l'existence de<br />

poches dans ces gîtes primitifs. Le plus souvent le pétrole a émigré<br />

à travers des couches plus récentes jusqu'au moment où il a rencontré<br />

un terrain perméable dans lequel il a pu se concentrer : là il a formé<br />

des gîtes secondaires dont l'importance est en rapport avec la puis<br />

sance de cette couche perméable. Les seuls gîtes à rechercher seront<br />

donc ceux-là, parce qu'on a plus de chances d'y découvrir de fortes<br />

concentrations d'huiles sous forme de nappes. Enfin si, dans son émi<br />

gration des gîtes primitifs, le pétrole n'a pas trouvé des terrains<br />

perméables, il arrive à la surface et donne lieu à des suintements<br />

sans grande valeur ; on admet maintenant que les zones voisines de<br />

ces suintements superficiels sont défavorables à la constitution de<br />

dépôts considérables en profondeur. On voit déjà par ces premières<br />

indications très générales combien les apparences extérieures sont<br />

trompeuses,<br />

comment les dislocations du sol ont pu diviser les gîtes<br />

primitifs et quelles difficultés il y a pour déterminer la valeur des<br />

gîtes secondaires.<br />

(1)<br />

du Chélif<br />

Brives. (Thèse de Doctorat es-sciences). Les terrains tertiaires du bassin<br />

et du Dahra. Alger 1897.


162 LES PÉTROLES ALGERIENS<br />

En Algérie,quels sont donc les terrains où l'on aurait quelques chan<br />

ces de découvrir des gîtes primitifs ? Quels sont ceux où, par émigra<br />

tion,<br />

des pétroles avec des terrains à faciès lagunaire est fréquente et<br />

se sont peut-être formés des gîtes secondaires ? L'association<br />

certains auteurs voient dans les formations gypso-salines des condi<br />

tions favorables à la conservation des huiles. Or ce faciès lagunaire<br />

se montre dans le trias, l'oligocène et le sahélien. Dans le trias, on a<br />

noté des traces peu intéressantes,<br />

mais les terrains plus récents<br />

voisins en contiennent de plus sérieuses ; Ain Fakroun, Saint-Arnaud<br />

et Clairfontaine dans le département de Constantine, Sidi-Aïssa<br />

dans celui d'Alger, Tliouanet dans celui d'Oran sont les points où les<br />

suintements paraissent provenir de ces gîtes. Toutefois le terrain<br />

triasique en Algérie est tellement bouleversé et il affleure sur des<br />

surfaces si grandes que l'espoir d'y trouver de fortes nappes pétroli<br />

fères ne laisse pas d'être assez faible ; en outre sa nature argileuse ne<br />

permet pas la constitution d'un gîte important. Les recherches<br />

faites à Tliouanet dans le trias n'ont jamais donné de résultats.<br />

L'oligocène n'a, lui aussi, pour le moment présenté aucun indice à<br />

retenir. Il n'en est pas de même du Sahélien qui montre un peu par<br />

tout une zone très riche en indications pétrolifères au contact des<br />

gypses de cet étage. U reste à démontrer que ces gîtes sont primitifs<br />

ou secondaires. S'ils sont primitifs, les recherches sont faciles, mais<br />

toutes celles qui ont été entreprises dans le Dahra notamment ont<br />

été peu encourageantes. S'ils sont secondaires, alors les indications<br />

nombreuses de la surface ne peuvent provenir que du pétrole en émi<br />

gration d'une zone plus profonde. Les sondages doivent être poussés<br />

plus bas et atteindre les bancs gréso-sableux de la base de cet étage<br />

argileux. Or ces grès inférieurs sont, soit ceux du miocène moyen<br />

(Tortonicn), soit ceux du miocène inférieur (Cartennien) ; là seraient<br />

les gîtes secondaires. Mais n'oublions pas que, pour que la concentra<br />

tion ait pu se faire et se maintenir dans ces terrains perméables, deux<br />

conditions sont nécessaires : il faut que les terrains perméables aient<br />

été recouverts par des formations imperméables dont le rôle est<br />

d'empêcher la dispersion des hydrocarbures fluides et il faut aussi<br />

que ces terrains n'aient pas subi de dislocations depuis le moment où<br />

le gîte s'est formé ;<br />

sans quoi la nappe aurait été divisée et se serait<br />

peut-être perdue ou appauvrie par les suintements superficiels.<br />

Ce sont bien ces deux niveaux gréseux, tortonien et, cartennien,<br />

que les sondages actuels de la Société Pearson s'efforcent d'atteindre.<br />

Cinq à six puits sont à l'heure actuelle en construction ; quelques<br />

forages atteignent 700 mètres, d'autres sont arrêtés à 300, car ce


LES PÉTROLES ALGÉRIENS 163<br />

qui s'était produit dans les premiers sondages s'est répété, des ébou-<br />

lements de terrains ont arrêté les travaux. Plus de sept millions ont<br />

été dépensés sinon en pure perte, du moins sans qu'on puisse encore<br />

prévoir de jaillissements. L'étude géologique de l'Algérie montre<br />

d'ailleurs que le cartennien a été fortement disloqué par le soulève<br />

ment des chainons de l'Atlas et que des érosions considérables l'ont<br />

emporté avant qu'il ait été recouvert par les marnes du Sahélien.<br />

De plus, dans le département de Constantine, des plaques de car<br />

tennien affleurent sur des surfaces plus ou moins considérables sans<br />

traces pétrolifères. Quant au Tortonien, les dislocations y ont été<br />

moins importantes, mais les érosions l'ont été beaucoup plus avant<br />

le dépôt des argiles sahélicnnes, de telle sorte que ces deux dépôts<br />

gréseux ne se présentent pas en zones continues : ils forment des<br />

îlots qui n'ont probablement aucun rapport entre eux.<br />

Que conclure de ces constatations ? Il sera difficile de choisir un<br />

emplacement pour un sondage, car rien à la surface n'indique la<br />

présence en profondeur du Tortonien ou du Cartennien ; d'où un<br />

grand aléa pour les recherches. Sans doute un puits foré au hasard<br />

pourra atteindre l'un ou l'autre de ces niveaux gréseux, mais à cause<br />

de la dislocation et de l'érosion postérieures à la formation de ces<br />

terrains rien n'autorisera à dire qu'un nouveau puits placé dans le<br />

voisinage sera productif ; on risque de rester longtemps encore dans<br />

la période de recherches et de tâtonnements. Enfin,<br />

si l'on se pla<br />

ce à proximité d'un affleurement de ces grès, la dispersion a pu se<br />

produire et on n'aura plus qu'un gîte appauvri.<br />

De ces données,<br />

il eût été utile de faire état avant d'entreprendre<br />

des travaux et surtout avant d'affirmer l'existence de nappes pétro<br />

lifères abondantes dans la colonie. Plus de précautions auraient été<br />

prises et moins de folles espérances auraient été conçues. Si les tra<br />

vaux entrepris ont absorbé des sommes considérables, une vingtaine<br />

de millions à ce jour, affirme-t-on, s'ils ont été poursuivis avec plus<br />

de ténacité que de succès, personne n'ignore aujourd'hui, que ces re<br />

cherches ont été dirigées sans grande expérience de la part des explo<br />

rateurs et sans ressources suffisantes de la part des Sociétés ou des<br />

individus. Que de faits à rappeler pour qui essaierait d'écrire l'his<br />

toire de ces premières tentatives ? Là, c'est une femme qui note au<br />

jour le jour sur un tableau noir les couches de terrains traversées sans<br />

qu'elle ait de notions précises en géologie ; ici, c'est un propriétaire<br />

rural qui croit avoir atteint une nappe pétrolifère parce que l'eau<br />

3


164 LES PÉTROLES ALGERIENS<br />

sortie du trou de sonde, blanchâtre le matin,<br />

le soir et dégage une odeur sulfureuse.<br />

est de couleur sombre<br />

Cette inexpérience a causé bien des mécomptes ; une connaissance<br />

plus complète des conditions géologiques en eût épargné au moins<br />

quelques-uns ; elle eût surtout réduit à leur valeur relative les quel<br />

ques trouvailles faites. Peut-être aussi aurait-elle orienté dans une<br />

direction différente la politique du Gouvernement en matière de<br />

concession. On ne saurait trop l'affirmer ; on n'a pas encore décou<br />

vert une grande zone de concentration, comme on l'a fait pour la<br />

Roumanie ou les Etats-Unis (l). Aussi le moment serait mal choisi de<br />

réduire à quelques hectares le périmètre des concessions à accor<br />

der ; jamais une Compagnie sérieuse ne consentira à employer de<br />

gros capitaux si elle n'a pas le droit exclusif de recherche sur de vastes<br />

superficies et si elle n'obtient pas la promesse formelle d'un autre<br />

droit exclusif d'exploitation sur tout ou partie de la zone où ses son<br />

dages auront prouvé l'existence de cette nappe. Cela est l'évidence<br />

même et la justice stricte. Le contraire n'a pu être soutenu que par<br />

ceux, et c'est là leur excuse, qui,<br />

connaissant mal les expériences<br />

(1) Sur cette zone de concentration, nous trouvons les précisions suivantes<br />

dans la note qui fut communiquée par MM. Fieheur et Brives aux Délégations<br />

Financières et reproduite dans le rapport de M. Bcries (Délégations Financières<br />

de <strong>1919</strong>. Délégation des non-colons. III. Page 1 . 255. Alger, Heintz <strong>1919</strong>).<br />

« 11 est nettement démontré qu'il existe dans toutes les régions pétrolifères<br />

une zone de concentration, dont la surface est parfois infime par rapport à celle<br />

qu'occupent les manifestations pétrolifères superficielles. Ainsi, alors que sur<br />

les deux versants de la chaîne du Caucase, c'est-à-dire sur plus de 2.000 kilo<br />

mètres de longueur, les manifestations pétrolifères sont abondamment répan<br />

dues, deux points seulement sont reconnus industriels. Ce sont Grosny et Bakou-<br />

Dans le district de Bakou, la concentration n'intéresse que 10 kilomètres carrés<br />

sur lesquels 700 hectares sont exploités intensivement.<br />

« Le même phénomène s'est rencontré le long de la chaîne des Carpathes,<br />

où le district de Boryslaw fournit les 4/5 de la production galicienne, tandis que<br />

celuide Frahova a donné, en 1907, les 9/10 de ]a production totale de la Roumanie<br />

(1 .129.000 tonnes). Mais cette zone de concentration n'existe pas toujours;<br />

ainsi, en Italie, malgré les nombreux travaux exécutés, le rendement total n'est<br />

que de 30.000 tonnes.<br />

•-. Partout ces zones de concentration ont été reconnues dès les premières re<br />

cherches. Ainsi, à Grosny, prospecté sérieusement en 1890,<br />

un seul puits foré<br />

a 530 mètres a donné 1.000 tonnes par jour : quelques puits forés ensuite don<br />

nèrent 8.000 et 10.000 tonnes par jour. Au Mexique, alors qu'en 1910 la pro<br />

duction était nulle, elle était de 300.000 tonnes en 1912.<br />

« Par comparaison, on constate qu'en Algérie, où les recherches ont commencé<br />

en 1881, on n'a aujourd'hui qu'un débit de 900 tonnes pour l'année 1918. L'Algé<br />

rie comme l'Italie ne paraît donc pas renfermer de zones de concentration. »


faites et les possibilités géologiques,<br />

LES PÉTROLES ALGÉRIENS 165<br />

ont admis la présence dans le<br />

Dahra et aux environs de Tliouanet de champs pétrolifères nette<br />

ment reconnus et délimités. Evidemment tout bon Français souhaite<br />

ra sincèrement que ces travaux provisoires soient confiés à une<br />

Société française ; mais, au cas où il ne s'en présenterait pas, il se<br />

rait, contraire aux intérêts bien entendus de la France et de l'Algérie,<br />

d'écarter une Compagnie étrangère,<br />

surtout si elle accepte le cahier<br />

des charges imposé aux entreprises minières par la loi nouvelle et si<br />

elle consent à réserver aux français une part prépondérante dans la<br />

formation de son capital social.<br />

III<br />

Que l'on se soit trop hâté à Paris d'admettre que l'Algérie pos<br />

sédait d'inestimables richesses en pétrole, que cette conviction, par<br />

tagée par les parlementaires et peut-être par les Ministres, leur ait<br />

inspiré le désir de ne pas laisser tomber entre des mains étrangères<br />

leur exclusive exploitation,<br />

que l'erreur commise ait eu pour résul<br />

tats de soulever des discussions très vives, de provoquer d'ardentes<br />

compétitions et d'arrêter les recherches, l'histoire des débats par<br />

lementaires suffira à le prouver ; autour du contrat Pearson se li<br />

vreront les grandes batailles et l'on s'y servira des mêmes armes qu'en<br />

1916. D'autres cependant seront employées,<br />

car le problème change<br />

de donnée. Jusque-là on n'avait pas tenu compte de la législation<br />

foncière indigène parce qu'on ne croyait pas qu'elle serait un obstacle;<br />

or,<br />

on s'aperçut que non seulement elle était une grosse difficulté<br />

mais que, au Dahra et à Tliouanet, elle mettait le gouvernement dans<br />

l'impossibilité de donner des concessions nouvelles.<br />

En 1917 et en 1918, la Chambre des Députés (1) s'occupa à plu<br />

sieurs reprises de la question des pétroles algériens : une première fois,<br />

le 29 octobre 1917, d'une façon indirecte, à propos de deux interpel<br />

lations relatives au problème du charbon et à la politique minière<br />

du Gouvernement ; une seconde fois, le 21 septembre 1918, d'une ma<br />

nière plus directe, lors d'une seconde interpellation de M. Outrey.<br />

Du premier débat, nous retiendrons d'abord cette sorte de hantise<br />

qu'exerce sur les milieux parlementaires cette affaire des pétroles.<br />

U n'est pas possible, dans l'état d'esprit où se trouvent les députés,<br />

d'instituer une discussion générale sur les mines sans qu'elle ne<br />

dévie vers le problème plus particulier des pétroles. Encore, M. Ca-<br />

(l)<br />

Journal Officiel. Déb.ts Parlementaires (Chambre des Députés). Séa<br />

c|q 29 octobre I91T.


166 LES PETROLES ALGERIENS<br />

chin, porte-parole du groupe socialiste, traita de préférence du mono<br />

pole et de la socialisation des entreprises minières et il fit le procès<br />

de la loi de 1810 qu'il qualifia de caduque et de périmée. Mais avec<br />

M. Margaine les critiques visent l'application de cette loi aux gîtes<br />

pétrolifères et tendent toutes à montrer que l'on commet une faute<br />

à vouloir conserver une législation surannée ; car elle leur est inap<br />

plicable et dans son esprit et dans sa lettre : « En ce qui concerne le<br />

pétrole, dit-il,<br />

on ne peut l'exploiter qu'en occupant la propriété<br />

elle-même ; le forage pour trouver le pétrole, c'est la sonde elle-même,<br />

c'est le puits d'exploitation lui-même. Le pétrole jaillit, on ne le<br />

pompe pas ou on ne le pompe que dans certains cas exceptionnels,<br />

lorsque, vers la fin de l'exploitation, il en reste une assez grande quan<br />

tité qu'on ne veut pas laisser perdre ; alors on achève l'exploitation.<br />

Mais, normalement, le pétrole jaillit dès que le trou desonde est fait.<br />

On ne peut pas faire autrement que de prendre le terrain du proprié<br />

taire pour faire le trou de sonde. Si par conséquent le propriétaire<br />

réclame la concession, on est obligé de la lui donner. Sinon,<br />

que de<br />

vient l'esprit de la loi de 1810 ? Et pourquoi lui prendre un terrain<br />

puisque l'exploitation ne se fait pas dessus,<br />

qu'il n'est pas indispen<br />

sable au puits projeté, mais seulement à un autre à faire bien plus<br />

tard. » L'argumentation de M. Margaine n'était pas tout-à-fait exac<br />

te"; car le nombre des puits jaillissants n'est que de deux à trois sur<br />

dix et c'est ce que lui fera observer le Ministre. Néanmoins l'objection<br />

est très forte et il est hors de doute que les exploitations pétrolifères<br />

ne ressemblent pas aux autres entreprises minières.<br />

Inapplicable, la loi de 1910 l'est aussi dans sa lettre ; car « elle<br />

réserve explicitement les droits de l'inventeur (Art. 16)... En matière<br />

de pétrole, je crois que vous ne trouverez guère en face de vous que<br />

des inventeurs, de sorte qu'il faut concéder avant même qu'il y ait<br />

inventeur au sens réel du mot, à cause de la façon même dont se fait<br />

la prospection du pétrole. » M. Margaine aurait pu ajouter que l'ap<br />

plication de la loi de 1810 aux pétroles ne résulte pas explicitement<br />

du texte de la loi,<br />

mais d'une interprétation du mot bitume et qu'en<br />

fait l'interprétation adoptée est peu cohérente puisqu'elle déclare<br />

concessibles les hydrocarbures liquides et inconcessibles les hydro<br />

carbures gazeux.<br />

Après cette critique générale de la loi de 1810, M. Margaine appelle<br />

l'attention de la Chambre sur quelques particularités de l'industrie<br />

(1) Journal officiel. Débats Parlementaires (Chambre des Députés) Séances<br />

du 21 septembre 191 s,


LES PÉTROLES ALOÉRÎENS 167<br />

pétrolifère. Reprenant l'idée que le pétrole ne se trouve pas là où se<br />

manifeste le suintement, il attribue la grande superficie des conces<br />

sions demandées à la précaution prise par les prospecteurs de ne pas<br />

laisser soupçonner le point réellement productif. Lorsque cet empla<br />

cement est fixé, les bénéfices des exploitants sont hors de propor<br />

tion avec les dépenses ; ainsi en Roumanie un puits coûtant entre<br />

3.000 et 12.500 francs a rapporté entre 2.500 et 12.000 francs par<br />

jour. Il laisse donc entendre que la région de forte production est<br />

connue en Algérie et que les concessionnaires feront des bénéfices<br />

exagérés ; or rien à cette époque et aujourd'hui encore n'est venu<br />

confirmer cette double supposition. Ce qui est vrai, c'est que les pays,<br />

grands producteurs d'huile minérale,<br />

s'engagent dans la voie d'une<br />

nationalisation effective des terrains pétrolifères ; les Etats-Unis<br />

ont commencé le 25 juin 1910 et, en Angleterre,<br />

depuis le jour où<br />

elle a pu croire que son sous sol renfermait des nappes de ce combus<br />

tible,<br />

un projet a été déposé qui réservait à l'Etat cette exploitation.<br />

Le Ministre de l'armement, M. Loucheur,<br />

défendit la loi de 1810<br />

A M. Cachin, il répondit que cette loi n'était pas morte, qu'elle<br />

vivait encore et qu'il fallait vivre avec elle ; ce qui signifiait qu'il<br />

la maintiendrait avec quelques retouches. U affirma nettement<br />

« que nous devions avoir,<br />

que nous avions même dans notre grande<br />

colonie africaine ou plutôt dans nos départements algériens des mines<br />

de pétrole importantes. ». Il confirmait ainsi,<br />

avec la haute autorité<br />

qui s'attache à la parole d'un Ministre, les longs espoirs dans les<br />

quels on s'était complu jusque-là et,<br />

mot de colonie en ceux de départements algériens,<br />

par la rectification voulue du<br />

il laissait entendre<br />

que l'Etat français devait en bénéficier autant et plus que la colonie.<br />

Mais comment la métropole le pourrait-elle s'il était exact que l'in<br />

venteur dût être nécessairement le concessionnaire et que l'applica<br />

tion de la loi de 1810 instituât en fait et en droit un privilège en fa<br />

veur de cet inventeur ? L'objection a été prévue ; une circulaire<br />

ministérielle,<br />

émanant du département de M. Loucheur, a invité<br />

l'administration préfectorale à'n'accorder d'autorisation de recher<br />

che qu'après lui en avoir expressément référé. La législation minière<br />

sera remaniée ; elle donnera à l'Etat un contrôle absolu, complet,<br />

intégral. Désormais l'Etat pourra être au besoin actionnaire ; il<br />

interviendra dans le capital actions et participera aux pertes comme<br />

aux bénéfices. Restait toutefois la<br />

la<br />

à la<br />

question troublante. A qui irait<br />

participation aux bénéfices ? Serait-ce à l'Etat français ? Serait-ce<br />

colonie ainsi que le prescrivait formellement la loi du 19 décembre


168 LES PÉTROLES ALGÉRIENS<br />

1900 sur le budget de l'Algérie ? La question posée par M. Ajam resta<br />

sans réponse.<br />

Les critiques de M. Margaine, les déclarations de M. Loucheur et<br />

l'intervention de M. Ajam (1) étaient encore trop<br />

imprécises pour<br />

jeter quelques clartés dans le débat ; par leurs sous-entendus, elles<br />

avivèrent plus qu'elles ne calmèrent les appréhensions publiques.<br />

Un an plus tard, M. revint Outrey à la charge. De cette seconde in<br />

terpellation, il serait inutile de parler tant son auteur ne fit que se<br />

répéter et répéter les autres en lisant nombre de citations,<br />

ce qui lui<br />

valut cette interruption d'un de ses collègues que son discours n'était<br />

qu'une anthologie. Il apporta cependant des faits nouveaux : le<br />

contrat avec la Société Pearson avait été signé le 0 juin par le Gouver<br />

neur général ; il portait sur une concession de 74 . 853 hectares mais<br />

le concessionnaire devait constituer une Société cointéressée des pé<br />

troles d'Algérie au capital de 10 millions dont 51 % devaient être<br />

français. La durée du contrat était fixée à soixante ans avec un pro<br />

longement possible de 30 années. M. Outrey<br />

s'étonnait de ce que le<br />

gouverneur ait pu apposer sa signature sur cet acte et il s'efforçait<br />

de mettre en opposition M. Lutaud et le Ministre : « Cela tient, disait-<br />

il, à ce que malheureusement au Gouvernement général de l'Algérie<br />

on ne tient aucun compte des déclarations du Gouvernement et des<br />

sentiments de la Chambre,<br />

ni des votes que nous exprimons et on<br />

poursuit toujours le même but : arriver coûte que coûte à accorder<br />

cette concession au groupe Pearson. > Et c'est toujours le même argu<br />

ment, l'énormité de la superficie concédée. Comme l'interpellateur<br />

a beau jeu quand il rappelle qu'en Galicie, en Roumanie, au Caucase,<br />

les concessions, au lieu de s'étendre sur des dizaines de milliers d'hec<br />

tares, se réduisent à dix, cinq ou même un hectare ; pourtant les ex<br />

ploitants gagnent de beaux bénéfices. U se garde bien d'ajouter que,<br />

dans les pays qu'il cite comme exemples, les limites des champs pro<br />

ductifs sont connues et que dans ces conditions les demandeurs peu<br />

vent borner leurs prétentions à des lots de surface restreinte ;<br />

car ils<br />

savent que les trous de sonde réussiront presque tous à atteindre la<br />

nappe d'huile. N'est-ce pas le cas de dire que comparaison n'est pas<br />

raison ?<br />

M. Loucheur s'empresse de répondre que le Gouvernement métro<br />

politain est d'accord avec le nouveau Gouverneur de l'Algérie, M. Jon-<br />

nart,<br />

qui avait remplacé M. Lutaud. Puis il expose ses pourparlers<br />

(1) Journal Officiel. Débuts Parlementaires (Chambre des Députés). Séances,<br />

du 1 décembre 1918 et suivantes.


avec la Société anglaise,<br />

LES PETROLES ALGERIENS 169<br />

se félicite d'avoir résisté aux nombreuses<br />

sollicitations dont il a été l'objet et même à la pression exercée sur<br />

lui par l'amirauté britannique ; le contrat signé ne saurait être sanc<br />

tionné qu'à la condition d'être conforme à notre législation minière<br />

et notamment au cahier des charges que son administration prépare<br />

et dont à l'avenir on ne devra pas s'écarter : « On ne donne pas des<br />

concessions, dit-il,<br />

avec des tours de passe-passe. Il faut une longue<br />

enquête et de plus j'ai dit à la commission des mines que, pendant la<br />

période de préparation de la loi nouvelle, je ne donnerais pas de con<br />

cession sans l'en aviser... Il ne s'agit nullement de donner sous le<br />

manteau des concessions en Algérie ou ailleurs. Soyez tranquilles.<br />

J'entends respecter strictement et fidèlement la politique minière<br />

que j'ai défendue devant vous. Je garantis que, tant que je serai là,<br />

on ne fera pas autre chose que ce que vous avez approuvé. Ceci est<br />

formel et net. Vous vouliez une déclaration nette. Vous l'avez. «Ces<br />

paroles du Ministre semblaient clore le débat quand M. Sembat le<br />

rouvrit en faisant remarquer qu'il serait dangereux d'éloigner les<br />

capitaux étrangers de toute entreprise minière française ; il se refu<br />

sait en tous cas à admettre la comparaison que l'on établissait entre<br />

les superficies concédées en Roumanie et celles demandées en Afrique.<br />

A quoi M. Loucheur riposte qu'il est lui aussi partisan de la coopéra<br />

tion des capitaux étrangers et français, à la condition toutefois que<br />

les concessionnaires se plient tous aux exigences des lois françaises ;<br />

avec quelque nervosité,<br />

pétroles algériens,<br />

tant il est excédé par cette campagne des<br />

il lui échappe ces paroles : « J'ai voulu qu'on sorte<br />

enfin, je ne dirai pas de ce cauchemar des pétroles algériens,<br />

qui a<br />

soulevé tant de discussions, mais de la situation indécise où se on<br />

trouvait. »<br />

IV<br />

Etait-on près de sortir de ce cauchemar ? Car c'était bien le mot<br />

juste qui caractérisait cette longue et obscure période de discus<br />

sions et de tractations de toutes sortes. Tandis que se manifes<br />

taient au plein jour de la publicité parlementaire quelques incidents<br />

de la lutte entre concurrents avides et pressés, dans l'ombre des in<br />

trigues se nouaient, des convoitises se heurtaient, des positions étaient<br />

prises et l'on allait bientôt se trouver en présence d'oppositions<br />

irréductibles et être acculé à une impasse. Sous le régime de la loi<br />

de 1810, il suffit,<br />

tion des découvertes,<br />

pour empêcher l'octroi des concessions et l'exploita<br />

d'acheter des parts de propriété aux indigènes<br />

voisins ; c'est ce que les spéculateurs s'empressèrent de faire. Aujour-


170 LES PÉTROLES ALGERIENS<br />

d'hui le gouvernement ne peut plus exercer son droit de concéder,<br />

les Sociétés constituées ne peuvent plus profiter de leurs découvertes ;<br />

tout reste en suspens. Une mesure radicale s'impose et elle est ur<br />

gente ; il est nécessaire de décider que la loi minière française ne<br />

s'appliquera plus à la colonie et qu'elle sera remplacée par une légis<br />

lation nouvelle semblable à celle que la Tunisie et le Maroc ont adop<br />

tées avec le consentement du Ministre des Affaires étrangères.<br />

La grande erreur ou,<br />

pour mieux dire la grande illusion de notre<br />

politique coloniale est, on ne saurait trop le répéter, l'assimilation<br />

irréfléchie et immédiate. Lorsqu'on légifère pour la métropole, on<br />

ajoute ordinairement au texte voté une simple addition, stipulant<br />

que la loi nouvelle est applicable à la colonie algérienne ; la chose<br />

est simple et facile,<br />

mais dangereuse. A milieu politique et économi<br />

que distinct, législation différente, voilà le principe ; ce n'est que<br />

plus tard, après une lente et progressive évolution, que, les différences<br />

de ces milieux «'atténuant, les dispositions législatives peuvent de<br />

venir semblables ou même identiques. Les entraves qu'a mises à<br />

notre politique minière en Algérie l'extension maladroite de la loi<br />

de 1810 seront l'illustration de cette vérité si méconnue.<br />

Ces difficultés ne sont d'ailleurs pas nouvelles ; elles ont déjà mo<br />

tivé bien des réclamations, mais avec les pétroles elles se sont mul<br />

tipliées et aggravées pour plusieurs motifs et principalement par<br />

suite de l'état de la propriété indigène dans les régions de Tliouanet<br />

et du Dahra. Là. le plus grand obstacle qu'ait à vaincre un explora<br />

teur est de découvrir le ou les propriétaires, lorsque les gisements qu'il<br />

désire reconnaître sont situés dans les terrains melks ou propriétés<br />

privées ; or c'est cette forme de propriété que l'on trouve à peu près<br />

exclusivement dans les pays pétrolifères de la vallée du Chélif.<br />

La plupart de ces terrains melks sont indivis et cette indivision a<br />

pour origine les dispositions de la loi musulmane en matière de suc<br />

cession ab intestat ; elle ne déclare pas que nul n'est obligé de rester<br />

dans l'indivision et en l'ait les héritages ne sont pas partagés. Qu'une<br />

première succession reste indivise,<br />

que le décès d'un des cohéritiers<br />

en greffe une seconde sur la première et l'on arrive à des complica<br />

tions inextricables. A la seconde ou à la troisième génération, les<br />

parts de chacun des ayants-droit s'expriment par des fractions dont<br />

le dénominateur a souvent trois ou quatre chiffres. Le partage de<br />

vient alors pratiquement impossible ; quant à la licitation judiciaire,<br />

les indigènes la redoutent par dessus tout à cause des frais qu'elle<br />

entraine. Si parfois un partage a lieu, ce n'est qu'un partage provision<br />

nel n'ayant trait qu'à la jouissance et non à la propriété ; il laisse


LES PETROLES ALGÉRIENS 171<br />

par suite subsister des droits qui ne correspondent pas à la possession<br />

de fait. Qu'on se figure déjà les multiples démarches à accomplir<br />

par les demandeurs de concession pour la moindre parcelle de terrain !<br />

Que sera-ce lorsque les périmètres à explorer seront fort étendus et<br />

engloberont de nombreuses propriétés pour chacune desquelles il<br />

faudra se livrer à ce travail de reconnaissance ?<br />

Mais, dira-t-on, parmi ces terrains melks, il en est qui sont fran<br />

cisés et la francisation soumet l'immeuble à la loi française. On ou<br />

blie d'ajouter qu'elle n'a cette conséquence que dans le cas où le<br />

propriétaire est Français ; s'il est indigène, la loi française n'est<br />

appliquée que sous réserve du statut personnel et successoral des<br />

irrdigen'es,<br />

ce qui équivaut à faire retomber la terre sous le régime de<br />

la loi islamique et à ramener l'indivision.<br />

Un autre empêchement procède de l'incertitude des droits des<br />

propriétaires indigènes. La plupart d'entre eux n'ont pas de titres<br />

écrits ou n'en possèdent que d'imparfaits, d'une authenticité dou<br />

teuse et ne contenant que des indications vagues. Les contrats im<br />

mobiliers sont en droit musulman exempts d'éléments formalistes ;<br />

ils sont parfaits par le seul consentement des parties et ne sont sou<br />

mis à aucune condition de publicité. La rédaction d'un écrit, le re<br />

cours au ministère d'un cadi ne sont nullement obligatoires et toute<br />

espèce de transaction, quelle que soit la valeur engagée, est suscep<br />

tible d'être prouvée par témoin. C'est dire que les fraudes sont faciles<br />

et fréquentes,<br />

que les transactions foncières sont fragiles et incer<br />

taines. Dès lors, à supposer que le demandeur du permis de recherche<br />

ait fini par découvrir tous les propriétaires de la surface et qu'il ait<br />

traité avec eux,<br />

ait accompli toutes les'<br />

condition requise par la loi de 1810, à supposer qu'il<br />

formalités longues et indispensables par les<br />

quelles il faut passer, sa sécurité ne sera pas encore complète. Un<br />

indigène auquel on n'avait pas songé se présentera ; il prétendra être,<br />

lui seul, propriétaire d'une parcelle si petite soit-elle et des voisins,<br />

ses coreligionnaires et amis,<br />

viendront témoigner que ses droits sont<br />

réels. De là l'obligation de recommencer de nouvelles démarches et<br />

des retards préjudiciables à l'entreprise projetée ; il n'est même pas<br />

rare qu'il se produise dans les questions de ce genre de véritables<br />

opérations de chantage,<br />

singulièrement favorisées par la situation<br />

embrouillée de cette propriété foncière indigène.<br />

Dans ces conditions, qu'arrivera-t-il lorsqu'un sondage aura révé<br />

lé l'existence, d'une. nappe de pétrole ? Quelque précaution qu'ait<br />

prise l'inventeur en'- «.'-abouchant avec- les propriétaires voisins et


172 LES PÉTROLES ALGERIENS<br />

en s'engageant à leur payer une redevance pour droit de recherche,<br />

un concurrent se présentera ; il excipera de son droit de co-proprié-<br />

taire qu'il aura le plus souvent acheté pour une somme minime à lin<br />

Arabe des environs, il exigera des indemnités énormes dispropor<br />

tionnées avec les intérêts qu'il représente ;<br />

ainsi le futur exploi<br />

tant sera forcé d'arrêter ses travaux et il lui sera impossible d'é<br />

tendre ses investigations aux points favorables (l). Le Gouvernement<br />

à son tour ne pourra en présence de cette opposition accorder la con<br />

cession demandée. Qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas une simple<br />

éventualité ; des réclamations semblables se renouvellent tous les<br />

jours en Algérie. Faut-il préciser ? L'administration, toutes enijêiêtes<br />

accomplies, toutes formalités achevées, était sur le point d'initalttfer<br />

la concession des pétroles de Tliouanet il y a dix ou douze mois | une<br />

opposition tardive fut déposée ; la concession n'a pas été octroyée<br />

à l'heure actuelle et nul ne sait quand elle sera signée. Cette même<br />

société se voit frustrée du bénéfice de ses recherches parce qu'elle<br />

ne peut pas les poursuivre dans des terrains contigus,<br />

ceux où les<br />

forages ont le plus de chances de recouper des veines de pétrole.<br />

Mais l'article 10 de la loi de 1810, dira-t-on,<br />

confère au Gouverne<br />

ment le droit d'accorder par décret l'autorisation d'effectuer des<br />

recherches dans un périmètre donné,<br />

propriétaires delà surface. Sans doute ;<br />

refus soit constaté,<br />

même en cas de refus du ou des<br />

toujours est-il qu'il faut que ce<br />

que le ou les propriétaires soient entendus, et"<br />

cela à peine de nullité. Pour constater le refus, il importe de connaître<br />

les noms des détenteurs du sol, de fixer leurs droits respectifs. Encore<br />

des enquêtes et toujours des enquêtes ; encore du temps perdu.<br />

Combien avaient raison ceux qui affirmaient qu'en Algérie la procé-<br />

(l)Sur les vicissitudes par lesquelles est passéela demande en concession de la<br />

Société de Tliouanet, M. Vieillard Baron, Directeur des Mines au Gouvernement<br />

général et commissaire du Gouvernement auprès des Délégations Financières,<br />

a apporté les renseignements suivants- Us méritent d'être connus de tous ceux<br />

qui s'intéressent à ces questions minières algériennes :<br />

« Il est une société, dit-il aux Délégués, dont vous vous êtes occupé déjà- à<br />

plusieurs reprises danc cette enceinte, la Société de Tliouanet. Après s'être en<br />

tendue avec des propriétaires privés, elle a trouvé du pétrole dans un premier<br />

puits, en avril-mai 1911. 1311e a alors demandé une concession, puis elle à con<br />

tinué ses recherches, non sur toute l'étendue de la concession demandée, car elle<br />

n'a pas pu s'entendre avec tous les propriétaires, maisdans les cinq ou six cefits<br />

hectares que le Gouvernement général lui a proposé de lui concéder. Elle a<br />

trouvé deux autres puits utilisables et elle a produit un moment jusqu'à 120<br />

tonnes de pétrole par mois. En ce moment, sa production a diminué, les puits<br />

commençant à s'épuiser, mais elle obtenait encore, «u commencement de cette<br />

année, environ 75 tonnes niensuejlenjéiit. C'est un cftiffeë intéresstot.


LES PKTROLE.S ALGERIENS 173<br />

dure à suivre pour l'institution d'une concession était plus longue<br />

que dans la métropole ! On en voit ici une des raisons. Rien n'empêche<br />

d'ailleurs que, la première opposition étant levée, il n'en soit point<br />

introduit une seconde, puis une troisième et ainsi de suite. En vérité,<br />

nous le demandons franchement, un pareil régime qui favorise la<br />

fraude et le chantage peut-il être maintenu plus longtemps ?<br />

Vous exagérez, insinuera-t-on. Le tableau que vous présentez est<br />

poussé trop au noir, et la preuve en est que, malgré l'indivision de<br />

la propriété indigène, l'imprécision des titres et la possibilité des<br />

fraudes, l'application de la loi de 1810 à la colonie n'a ni contrarié ni<br />

arrêté le développement des industries extractives. Durant ces vingt-<br />

cinq dernières années surtout, l'Algérie est devenue grande exportrice<br />

de minerais de fer, de plomb, de cuivre, de zinc ; elle a vendu<br />

ses phosphates. L'objection est juste, du moins en apparence, mais<br />

ne l'est qu'en apparence. La plupart des gisements de minerais<br />

métalliques et de phosphates qui ont été concédés étaient situés dans<br />

des terrains incultes appartenant à des collectivités (état, communes<br />

et douars) avec lesquelles il était relativement facile de traiter.<br />

- Mais qu'est-il arrivé "t La Société a demandé la concession vers juin 1915.<br />

L'instruction s'est poursuivie ici assez lentement, à cause de l'état de guerre et<br />

de la réduction du personnel. Mais enfin, en décembre 1917, elle a été terminée<br />

en Algérie et le dossier a été envoyé à Paris en janvier 1918.<br />

» A ce moment-là, il n'y avaitpas d'oppositions ou, plus exactement, il yen<br />

avait une d'une ancienne société d'exploration avec laquelle la société de Tlioua<br />

net s'est arrangée. Par conséquent, rien ne s'opposait à ce que la concession<br />

fut accordée. Mais il s'est rencontré un premier obstacle : à Paris, on ne veut ac<br />

corder de concession qu'à la condition que le concessionnaire éventuel s'en<br />

gage à accepter d'avance le Cahier des charges actuellement soumis au Parlement<br />

et qui, voté il y a quelques semaines par la Chambre des Députés, est en instance<br />

devant le Sénat.<br />

« Pourtant, cet obstacle n'a pas arrêté la Société qui a signé tout ce qu'on a<br />

voulu. Mais le décret de concession n'est pas intervenu immédiatement et, dans<br />

l'intervalle, des tiers, encouragés par les résultats obtenus par la Société, sont<br />

venus acheter des droits de recherche sur des terrains voisins de ceux qu'elle<br />

détenait et ont t'ait des travaux qui n'ont pas donné de résultats importants.<br />

II est possible d'ailleurs qu'ils obtiennent des résultats intéressants, puisque<br />

certains puits de la Société ont rencontré le pétrole à 125 mètres seulement.<br />

« En résumé, il y<br />

a actuellement, sur ce périmètre de la Société deTliouane',<br />

six demandes de concession. Tous ces demandeurs se trouvent pouvoir dire qu'ils<br />

ont des droits : ils sont propriétaires ou du sol, ou du droitderecherches sur le sol.<br />

Nous nous trouvons maintenant en face d'une situation embrouillée,<br />

sais comment le Gouvernement et le Conseil d'Etat pourront en sortir. ..<br />

Comptes-rendus des Délégations Financières. Alger, Heintz,<br />

Pages 116-118.)<br />

et je ne<br />

<strong>1919</strong>. Vol- III


174 .LESPÉTROLES ALGÉRIENS<br />

En ce qui concerne les terres arch les inconvénients sont déjà consi<br />

dérables ; l'autorisation de la djemaa est exigée et,<br />

quand elle est<br />

acquise, elle ne sort effet que du consentement des occupants ;<br />

des divergences de vues sont possibles entre les membres des djemâas<br />

et la commission municipale appelée à présenter son avis. Les com<br />

plications sont incomparablement plus graves lorsqu'on se trouve<br />

sur des biens melks. Or nous ne saurions trop le répéter,<br />

c'est le cas<br />

pour le Dahra et la région de Tliouanet. Et puis il ne s'agit plus<br />

d'entreprises exigeant des travaux préparatoires de mise en train<br />

longs et coûteux avec des bénéfices différés jusqu'à ce que l'exploita<br />

tion soit en pleine activité ; il s'agit de puits de pétrole. Lorsque, com<br />

me par un coup de baguette magique, l'huile jaillit, c'est la fortune,<br />

ce sont les revenus immédiats. On se grise, on rêve de richesses fa<br />

buleuses et cette griserie est faite pour suggérer aux voisins ou aux<br />

spéculateurs le furieux désir de s'approprier une part du trésor qui<br />

coule. Que de gens, en apprenant que des champs pétrolifères avaient<br />

été reconnus en Algérie,<br />

ont songé à ce puits de Bakou dont la pro<br />

duction s'est élevée à 400 . 000 tonnes en un mois ! Que d'autres ont<br />

pensé à cet autre puits de Roumanie, le puits Columbia,<br />

qui a rappor<br />

té à ses heureux propriétaires la somme de 38 millions de francs en<br />

dix-huit mois ! Et l'on s'étonne que dans certains milieux on ait<br />

essayé de mettre à profit la procédure dilatoire et les moyens de dé<br />

possession qu'offrait la législation algérienne.<br />

Inutile d'insister sur les circonstances qui ont rendu aujourd'hui<br />

tout particulièrement fâcheuses les conséquences de l'application<br />

à l'Algérie de la loi de 1810. Nous nous sommes imposé comme règle<br />

de ne citer-aucun nom,<br />

afin de ne pas écrire un article de polémique.<br />

En somme il n'est personne qui ne souffre de la situation présente,<br />

aussi bien le détenteur de la surface que l'inventeur et aussi l'Etat<br />

Algérien. Le propriétaire de la surface a sans doute le droit par<br />

l'article 10 d'effectuer des recherches de mines sur ses terres, mais<br />

il n'a le plus souvent que des capitaux insuffisants, il n'est pas spé<br />

cialiste ; aussi procède-t-il sans méthode, par tâtonnement, et il dé<br />

pense son temps et son argent sans obtenir de résultats utiles, comme<br />

le montre l'histoire de ces quarante dernières années. L'inventeur<br />

ne se crée aucun droit certain à la concession du gîte découvert, il<br />

acquiert seulement des titres soumis à l'appréciation souveraine de<br />

l'administration et il ne devient définitivement concessionnaire qu'à<br />

la suite de formalités dont, la réussite est toujours douteuse par suite<br />

des oppositions qui peuvent se produire ; enfin l'Etat se trouve lésé,<br />

car, lorsqu'un coup de sonde a touché la nappe de pétrole, il faut bien


LES PETROLES ALGÉRIENS 175<br />

donner à l'explorateur l'autorisation de disposer du produit, sous<br />

peine de le voir se perdre, et le fisc ne touchera rien sur cette produc<br />

tion tant que la concession ne sera pas intervenue. Parfois aussi il<br />

arrivera que les lenteurs de la procédure exigeront plusieurs années<br />

et que, au bout de ce temps, les puits dont le débit ne dure que quel<br />

ques années auront tari.<br />

V<br />

Va-t-on persister indéfiniment dans cette politique stérilisante ?<br />

Si l'industrie pétrolifère doit prendre en Algérie quelque développe<br />

ment, arrêtera-t-on plus longtemps son essor ? Ne traitera-t-on pas<br />

la colonie algérienne avec la même bienveillance que les deux pro<br />

tectorats voisins ?<br />

Bien a\ eugles sont ceux qui ne voient pas que la France a in<br />

térêt à provoquer l'établissement de puissantes sociétés minières<br />

sur cette rive de la Méditerranée ;<br />

ceux qui essaieraient de s'y opposer.<br />

plus impolitiques encore seraient<br />

La solution la plus heureuse, celle qu'ont adoptée la Tunisie et<br />

le Maroc, celle que réclame le Gouvernement général (1), est la doma-<br />

nialisation des gisements miniers ou,<br />

si l'on hésite devant cette me<br />

sure générale, la domanialisation des gîtes pétrolifères. Que les<br />

gîtes de bitume, d'asphalte et autres hydrocarbures,<br />

Algérie,<br />

existant en<br />

soient déclarés par la loi comme faisant partie du domaine<br />

de l'Etat ; que le gouverneur général soit autorisé à aliéner temporai<br />

rement par un contrat d'amodiation le droit de rechercher et d'ex<br />

ploiter ces gîtes ; que ces contrats soient libellés de telle sorte qu'ils<br />

fixent exactement les périmètres des terrains, la durée de l'amodia<br />

tion, la participation de la colonie aux produits bruts et aux bénéfices<br />

de l'entreprise en même temps qu'il lui assure un contrôle effectif<br />

sur la marche des travaux et sur les résultats financ ers de l'exploi<br />

tation. Voilà ce que demandait le projet algérien.<br />

Ces propositions n'ont pas été accueillies : elles ont soulevé de très<br />

vives objections de la part du Conseil Supérieur des Mines auquel<br />

elles avaient été soumises. Malgré la très haute autorité qui s'attache<br />

aux avis exprimés par ce Conseil, du moins nous sera-t-il permis de<br />

faire remarquer que sa composition ne garantit pas sa compétence,<br />

lorsqu'il s'agit de questions coloniales et algériennes, car il n'est formé<br />

que d'ingénieurs métropolitains. Ceux-ci, chargés de faire appliquer<br />

la loi de 810, s'en tiennent à la lettre et à l'esprit de cette loi et<br />

(I)<br />

Ce projet a été soumis au Gouvernement métropolitain en 1917.


176 Les pétroles algériens<br />

ne voient qu'imparfaitement les réalités africaines. Que la législa<br />

tion minière ancienne soit bonne pour la métropole, nous n'avons<br />

point à le discuter ici ; nous nous bornerons à observer qu'en France<br />

elle compte des adversaires ardents et convaincus parmi les parle<br />

mentaires, les industriels et les ingénieurs. S'ensuit-il toutefois que<br />

son application à l'Algérie ait été heureuse et profitable ? Tout le<br />

problème est là.<br />

Dire que la refonte de cette loi n'est pas opportune en ce moment<br />

en France, qu'elle ne saurait être achevée qu'après des études dé<br />

taillées et des enquêtes fort longues, nous ne saurions nous inscrire<br />

en faux contre cette opinion, bien que depuis plus d'un demi siècle<br />

son remaniement ait été envisagé ; mais affirmer que les solutions<br />

de principes à adopter devraient être les mêmes pour la métropole<br />

et la colonie et qu'il serait contraire à toute logique de commencer<br />

« par l'adoption spécialisée à l'Algérie d'une loi fondamentale », c'est<br />

nous semble-t-il, faire une pétition de principe. Toujours ce raison<br />

nement vicieux qui consiste à tenir pour vrai ce qu'il s'agit précisé<br />

ment de démontrer ; nous soutenons au contraire que la métropole<br />

et la colonie ne doivent pas avoir un régime minier fondé sur des prinr<br />

cipes identiques, étant donné la différence des milieux et de la législa<br />

tion foncière. Au surplus, dans le projet algérien, il n'était question<br />

que des gîtes pétrolifères ; comme il n'en a pas été signalé encore en<br />

France,<br />

rien n'était plus naturel que d'établir d'abord en Afrique<br />

un régime spécial à ces pétroles. A notre très modeste avis, la logique<br />

voulait aussi que, dans toute l'Afrique du Nord, la même politique<br />

minière prévalut ; puisque le Gouvernement français avait laissé aux<br />

protectorats voisins toute latitude pour adopter chez eux le régime<br />

qui leur paraîtrait le plus favorable,<br />

pourquoi vraiment se montrer<br />

hostile aux demandes fort modérées que leur adressait l'Algérie par<br />

ses plus hautes autorités administratives ? L'équité l'exigeait plus<br />

impérieusement encore ; car nul ne comprendra qu'on ne traite pas<br />

avec la même bienveillance les trois parties de notre domaine Nord-<br />

Africain et que l'on maintienne dans un état manifeste d'infériorité<br />

économique la plus ancienne de nos colonies.<br />

Dire. que le projet algérien confère au Gouverneur général pour<br />

l'amodiation des gîtes pétrolifères, devenus biens nationaux, un<br />

pouvoir discrétionnaire et sans contrôle ; que cela équivaut au droit<br />

de disposer arbitrairement de ces richesses et de les concéder à son<br />

gré ; que le pouvoir régalien, attribué au Gouvernement français<br />

par la loi de 1810, ne s'exerce qu'avec toutes les garanties d'une pro<br />

cédure réglée par le législateur, la chose est exacte, trop exacte


LES PETROLES ALGERIENS 17?<br />

même pour cette dernière affirmation puisqu'on se plaint en France<br />

des longueurs de la procédure, mais est-il vrai que les pouvoirs at<br />

tribués au Gouverneur général seraient plus étendus que ceux du<br />

Gouvernement métropolitain et qu'aucun motif ne justifie une telle<br />

extension ? C'est faire trop peu de cas de la dépendance dans la<br />

quelle se trouve le gouverneur, et du contrôle auquel tous ses actes<br />

sont soumis par les bureaux de Paris et par la presse ; c'est oublier<br />

que ces prétendus droits régaliens lui sont conférés pour l'amodiation<br />

des minières et qu'enfin les complications d'une procédure surannée<br />

sont fatales à des pays neufs, en voie de croissance rapide.<br />

Dire en terminant que les arguments invoqués en faveur d'un ré<br />

gime spécial à l'Algérie et relatifs aux pétroles (indivision de la pro<br />

priété, abus de la concurrence) ne sont pas parti-<br />

fondés, c'est nier de<br />

pris des faits connus de tous, admis par tous,<br />

même par le gouverne<br />

ment métropolitain et condamner l'Algérie à la stagnation.<br />

La surprise, mais une surprise un peu inquiète et douloureuse, est<br />

le sentiment que l'on éprouve en lisant la conclusion catégorique<br />

du Conseil : « Il suffit en résumé d'appliquer simplement aux de<br />

mandes qui se présenteraient les dispositions de la loi du 21 avril<br />

1810. » Se peut-il que la France, inconsciente du danger qui la menace<br />

et des réalités qui l'étreignent,<br />

toire et que,<br />

ne comprenne pas les leçons de l'his<br />

pour n'avoir pas su se débarrasser à temps d'utopies<br />

séduisantes mais mortelles, elle ne soit pas en mesure de reconstituer<br />

sur des méthodes nouvelles ses forces épuisées et d'exploiter prati<br />

quement son domaine colonial,<br />

cette garantie de son relèvement na<br />

tional ? Tant que les Français ne seront pas convaincus que l'inté<br />

rêt de la métropole et des colonies est de laisser plus d'initiative à leurs<br />

agents et plus de liberté aux coloniaux, ils risqueront d'im<br />

mobiliser des forces agissantes qui ne demandent qu'à se dépenser,<br />

et ils ne devront s'en prendre qu'à eux-mêmes des faibles résultats<br />

obtenus.<br />

L'avis du Conseil Supérieur des Mines ne satisfit personne ; le<br />

Ministre ne tarda pas à consulter à nouveau cette assemblée. Entre<br />

temps, sa composition avait été élargie ; peut-être un esprit nouveau<br />

l'animerait-il ! Toutefois, les questions posées ne portaient plus sur<br />

le principe de la loi considéré comme intangible, mais sur les modali<br />

tés de son application ; on consentait donc à reconnaître que les in<br />

convénients si souvent signalés étaient réels. Deux avis furent ex<br />

primés, l'un par la section des Etudes techniques, l'autre par la<br />

sonsection<br />

des Etudes législatives. La première estimait que, si un


1781<br />

LES PÉTROLES ALGÉRIENS<br />

dage heureux faisait découvrir la présence du pétrole, il n'y avait<br />

pas lieu d'en différer l'extraction et que les pouvoirs publics de<br />

vront autoriser l'explorateur à y procéder pour ce puits et<br />

aussi pour d'autres. Cette autorisation ne serait donnée qu'à cer<br />

taines conditions : l'extraction devait être limitée à la durée et à<br />

la quantité indispensables, tant pour recueillir le pétrole des<br />

tiné aux analyses et aux essais que pour vérifier le débit des trous<br />

de sonde, l'influence réciproque de ces débits les uns sur les autres,<br />

la continuité de la nappe,<br />

en un mot pour réunir tous les renseigne<br />

ments nécessaires à la reconnaissance du gisement en vue de son ex<br />

ploitation ultérieure. Par cette interprétation,<br />

les limites de la loi,<br />

on demeurait dans<br />

mais restait-on dans celles de la réalité ? Que le<br />

pétrole jaillisse avec force et abondance, ne recueillera-t-on l'huile<br />

que pour des essais et des analyses ? Laissera-t-on perdre le reste ?<br />

Combien l'administration serait embarrassée si elle devait indiquer<br />

le moment auquel l'extraction serait arrêtée ?<br />

Consulté sur la proportion des puits jaillissants par rapport aux<br />

puits où l'on est obligé de pomper l'huile,<br />

cette section reconnaissait<br />

que cette proportion ne pouvait pas être traduite numériquement<br />

et qu'elle était des plus variables suivant les pays ; elle ne saurait<br />

indiquer non plus les emplacements les plus favorables sans étude<br />

préalable de la contrée. En somme elle n'avait de réponse prête que<br />

dans la mesure où la loi de 1810 lui en fournissait une; encore celle-là<br />

était toute théorique et d'application peu pratique.<br />

Quant à la Section des Etudes Législatives,<br />

elle ne poussait pas<br />

le respect dû au texte de la loi jusqu'à écarter tout changement de<br />

terme par pur esprit systématique : mais ses propositions étaient<br />

timides et insuffisantes. Dans l'article 10 (1) elle jugeait utile de subs<br />

tituer aux mots « et après qu'il (le propriétaire) aura été entendu»,<br />

ceux-ci « et après qu'il aura été mis à même de présenter ses observa<br />

tions dans les conditions fixées par un règlement d'administration<br />

publique. » L'indivision de la propriété indigène et l'absence de titres<br />

étaient donc enfin considérées comme des obstacles réels et dont<br />

il convenait de se préoccuper, mais à peine cette concession était-elle<br />

faite qu'on s'empressait d'en renvoyer la solution à un règlement<br />

d'administration publique, moyen commode et de plus en plus utilisé<br />

(1) —<br />

Art. H). Nul<br />

ne peut faire des recherches pour découvrir des mines,<br />

enfoncer des sondes et tarières sur un terrain qui ne lui appartient pas que du<br />

consentement du propriétaire de la surface, ou avec l'autorisation du Gouverne<br />

ment donnée après avoir consulté l'administration des Mines, à la eh .rge d'une<br />

préalable indemnité envers le propriétaire et après qu'il aura .'te entendu.-


LES PÉTROLES ALGÉRIENS 17Ô<br />

pour éluder les responsabilités. Autre modification proposée par la<br />

Section ou plutôt simple ajout à l'article 12 (1) : entre le pre<br />

mier et le second alinéa, on intercalerait le paragraphe suivant :<br />

« Les travaux de recherches effectués par le propriétaire de la surface<br />

ou, du consentement de celui-ci, par un tiers, ne pourront être entre<br />

pris qu'après qu'une déclaration préalable en aura été faite au<br />

Préfet. » Et voilà tous les changements jugés indispensables pour<br />

rendre plus aisément applicable la loi de 1810 à la colonie,<br />

car ce<br />

ne sont pas de nouvelles modifications que celles que l'on a introduites<br />

dans d'autres articles<br />

—<br />

—<br />

43 et 44<br />

les additions projetées aux articles précédents.<br />

pour les mettre d'accord avec<br />

Ces simples retouches auront-elles pour effet de supprimer les<br />

difficultés ou pour mieux dire les impossibilités qu'a provoquées<br />

l'application de la législation minière française à la colonie ? Heu<br />

reux sont ceux qui y croient ; parmi eux il n'y aura guère d'Algériens.<br />

Longtemps encore, la lutte entre le droit civil et la loi islamique sus<br />

citera des conflits redoutables. Comme il aurait été plus habile, puis<br />

qu'on voulait respecter le statut musulman, de se servir de cette idée<br />

de domanialité et d'établir sur elle une législation minière nouvelle !<br />

C'est ce qu'ont compris la Tunisie et le Maroc et,<br />

nous ne saurions<br />

trop le répéter, ce que le Ministère des Affaires Etrangères leur a per<br />

mis de faire. Mais voilà, on ne sait à l'heure actuelle ce qu'est l'Al<br />

gérie ; elle n'est plus, on le dit du moins, un ensemble de départe<br />

ments français et elle n'est pas davantage une colonie. Elle a les lois<br />

de la métropole et elle conserve la loi islamique. Si elle proteste de<br />

l'impuissance où elle est d'unir les contraires,<br />

on est tenté de lui dire<br />

le mot des soldats : qu'elle se débrouille ! Ce mot même, on ne le<br />

prononce pas ; on la tient en lisière, on la consulte à peine et on pré<br />

tend la convaincre qu'elle a tort de se plaindre et que les lois fran<br />

çaises sont, les meilleures, même quand elles sont inapplicables.<br />

La loi nouvelle que vient d'adopter en Décembre dernier la Cham<br />

bre des Députés et qu'a ratifiée le Sénat apportera-t-elle le remède<br />

qu'attend avec impatience l'Algérie ? Personne qui ne le souhaite<br />

(1)<br />

Art. 12. «Le propriétaire pourra faire des recherches, sans formalité<br />

préalable, dans les lieux réservés par le précédent article, comme dans les autres<br />

parties de sa propriété ; mais il sera obligé d'obtenir une concession avant d'y<br />

établir une exploitation.<br />

« Dans aucun cas, les recherches ne pourront être autorisées dans un terrain<br />

déjà concédé. »


180 LES PÉTROLES ALGÉRIENS<br />

sincèrement,<br />

mais comment oser l'espérer ? Le régime ancien n'est<br />

en somme corrigé que sur deux points : les concessions ne seront<br />

plus perpétuelles et elles seront onéreuses. Or ces deux conditions<br />

seront-elles avantageuses à la colonie ? Il est au moins permis d'en<br />

douter. Que la durée de la concession soit réduite à 99 ans, à 60 ou<br />

même à 25, c'est là, croyons-nous, un progrès assez illusoire. Un dé<br />

puté, M. Margaine,<br />

a taxé assez irrévérencieusement la prétendue<br />

réforme de mauvaise plaisanterie et il a montré que, de toutes les<br />

mines existant actuellement en France,<br />

une seule tomberait sous le<br />

coup de la loi, si celle-ci avait un effet rétroactif ; c'est la concession<br />

d'Anzin instituée en 1749 ; les autres ne prendraient fin que dans un<br />

avenir assez éloigné : Lens en 1951, Carmaux en 1955, Courrières en<br />

1981. De plus les concessionnaires de mines qui n'auront plus devant<br />

eux la pérennité seront tentés de pratiquer la politique de l'écrémage ;<br />

ils ne prendront que le meilleur et abandonneront le reste. Que cette<br />

tactique soit adoptée surtout vers la fin de leur exploitation, cela est<br />

hors de doute ; quand la mine reviendra à l'Etat,<br />

elle sera épuisée<br />

et sans valeur. Le partage des bénéfices entre les Compagnies et<br />

l'Etat était, sans doute, une mesure qui s'imposait ; fort avantageuse<br />

pour les finances métropolitaines, elle devait l'être aussi pour l'équi<br />

libre budgétaire de l'Algérie dont les ressources devront être rapide<br />

ment augmentées, mais il serait téméraire d'escompter ici un revenu<br />

immédiat de ces redevances et de ce partage. Au cours des débats<br />

parlementaires,<br />

plusieurs députés ont fait observer qu'il serait fort<br />

difficile de calculer les bénéfices réels ; aujourd'hui, les entreprises<br />

minières sont entre les mains de Sociétés puissantes et anonymes,<br />

maîtresses des marchés européens et même mondiaux ; demain, les<br />

Sociétés nouvelles qui se constitueront seront fatalement sous la<br />

dépendance de leurs devancières plus riches et mieux organisées et<br />

elles leur consentiront des parts d'intérêt ; combien il sera aisé<br />

alors par un simple jeu d'écriture de dissimuler les gains effectifs !<br />

Et puis il reste à démontrer que ces Sociétés coloniales pourront se<br />

former et se développer normalement. Plus les prélèvements de<br />

l'Etat seront considérables, plus son contrôle sera rigoureux, plus<br />

les capitaux que l'on hésitait hier à engager dans nos possessions<br />

d'outre-mer se feront timides ; ils seront d'ailleurs sollicités pour<br />

l'œuvre de la reconstitution nationale. Se montreront-ils plus au<br />

dacieux demain ? On n'ose point l'espérer. Qu'adviendra-t-il dès<br />

lors ? A moins qu'il ne se produise un revirement bien improbable<br />

dans l'opinion publique, les fonds manqueront pour la mise en va<br />

leur des richesses minières de notre sous-sol.


LES PETROLES ALGERIENS 181<br />

Là n'est pas au demeurant le principal obstacle à l'établissement<br />

des industries extractivcs algériennes : il est tout entier dans la<br />

législation foncière musulmane et ses conséquences : indivision des<br />

terres melk, incertitude des titres de propriété et fraudes toujours<br />

possibles. A la Chambre le danger a été entrevu ; aussi, lors du vote<br />

de la loi de M. Loucheur, M. Outrey fit adopter un amendement (1)<br />

d'après lequel un Cahier des charges spécial réglerait les modes de<br />

son application à l'Algérie et aux colonies. Ce vote est déjà d'un heu<br />

reux "présage ; il prouve qu'enfin on reconnaît la situation par<br />

ticulière de l'Algérie. Mais que pourra bien être ce Cahier des Charges ?<br />

Il est sans doute imprudent d'essayer de prévoir les dispositions<br />

nouvelles qu'on y introduira et nous n'avons pas à discuter les clauses<br />

qui porteront sur la participation de l'Etat et de la colonie aux béné<br />

fices. Peut-être les propositions de la Section législative du Comité<br />

consultatif y seront-elles insérées ; elles ne diffèrent pas en somme de<br />

l'avis déjà formulé par un professeur de droit de la Faculté d'Alger :<br />

« De bons esprits, écrivait M. Larcher (2),<br />

estiment qu'on pourrait<br />

tout au moins faire cesser l'un des inconvénients les plus graves de<br />

l'état législatif actuel, en autorisant les prospecteurs à faire des tra<br />

vaux de recherches et les concessionnaires à occuper les parcelles de<br />

surface nécessaires à l'exploitation, dès qu'ils auraient par une pro<br />

cédure spéciale, entourée d'une publicité suffisante,<br />

mis les proprié<br />

taires en demeure de se faire connaître, leur auraient offert une in<br />

demnité équitablement arbitrée et auraient obtenu l'autorisation<br />

administrative. »<br />

Dans cet ordre d'idées et par analogie avec la procédure instituée<br />

par la loi du 16 février 1897 pour (3) la purge en terre melk, on pourrait<br />

être amené à prendre les simples mesures suivantes : au cas où<br />

l'explorateur n'aurait pas pu déterminer d'une façon certaine le<br />

nombre des propriétaires du sol,<br />

il adresserait au Préfet du départe-<br />

(1 ) Voici le libellé de l'amendement Outrey. tel qu'il a été voté par la Chambre<br />

des Députés, dans sa séance du ;i décembre 191 S :<br />

« Un cahier des charges spécial pour chaque pays déterminera les conditions<br />

dans lesquelles les naines seront concédées en Algérie et dans les colonies et pays<br />

de protectorat où la loi nouvelle est ou serait rendue<br />

(2) Lnr^-her. —<br />

Page 475.<br />

Traité de législation<br />

(3)<br />

foncière en Algérie. Ce n'est qu'une loi<br />

Algérienne. 2"<br />

applicable. ,<br />

Edition 1911. Tome III.<br />

La loi du 10 février 1897 est une des dernières lois votées sur la propriété<br />

provisoire destinée à réaliser les réformes<br />

les plus urgentes ; elle a institué une nouvelle procédure de purge partielle. Voir<br />

Pouyanne^Lr, propriété foncière en Algérie. Alger, Jourd-n, in-8


182 LES PÉTROLES ALGÉRIENS<br />

ment une demande de recherche ; elle serait soumise aux formalités<br />

ci-après : 1° l'affichage en Français et en Arabe à la mairie et à la<br />

porte des justices de paix ou mahakma ; 2° la publication sur les<br />

marchés de la tribu ; 3° le dépôt à la mairie pendant quinze jours de<br />

la demande et du plan ; 4° le procès-verbal des déclarations reçues.<br />

Tous les propriétaires qui ,ne<br />

par acte administratif.<br />

se seraient pas révélés seraient forclos<br />

Cette procédure sur les détails de laquelle nous ne voulons pas<br />

insister écarterait dans une certaine mesure les obstacles qu'oppose<br />

a la recherche des gisements miniers le droit privé musulman ; elle<br />

sera probablement adoptée. Pourtant combien la solution nous<br />

paraît encore imparfaite ! Elle aurait d'abord comme grave inconvé<br />

nient de modifier les droits du détenteur de la surface suivant qu'il<br />

s'agirait d'une propriété privée musulmane ou d'une propriété pri<br />

vée française. Et puis que de complications nouvelles pour l'industrie<br />

en général et que de retards ! En France, les formalités requises<br />

par la loi de 1810 sont si longues et si nombreuses qu'elles rendent<br />

l'institution d'une concession à peu près impossible ; que sera-ce<br />

demain en Algérie quand cette procédure sera encore compliquée<br />

par la recherche des droits des propriétaires ! Que de conflits à pré<br />

voir après la décision administrative !<br />

C'est un essai à tenter, dira-t-on ; une expérience de quelques an<br />

nées. Trop souvent, la colonie a été victime de semblables tâtonne<br />

ments ; cette fâcheuse politique dure depuis plus d'un demi-siècle.<br />

En 1846, sous Bugeaud, un écrivain (1)<br />

définissait l'Algérie le Pays<br />

des Projets et Enfantin y voyait une terre d'élection pour réaliser<br />

les systèmes socialistes ou en éprouver la valeur pratique. Plus que<br />

les autres colonies françaises, l'Algérie a souffert d'expériences aussi<br />

répétées,<br />

elle demande aujourd'hui de sortir du provisoire et d'être<br />

dotée d'un régime définitif. La domanialité des gisements miniers<br />

est en pays musulman, nous en avons l'absolue conviction le seul<br />

principe solide et fécond de la législation nouvelle à établir dans nos<br />

possessions de l'Afrique du Nord.<br />

(I) Mourjolly -<br />

in-8". 181.7.<br />

(Le Général de).<br />

l.c<br />

Victor DEMONTES,<br />

Docteur ès-lcttres.<br />

Pays des Projets. Sur l'Algérie. Paris,


LES PÉTROLES ALGÉRIENS 183<br />

La question des Pétroles Algériens aux Délégations<br />

Financières en <strong>1919</strong><br />

C'est pendant la session des Délégations Financières de Juin 101!) que fut<br />

connue la lettre ministérielle du 21 novembre 1918, contenant les extraordinaires-<br />

instructions que l'on va lire<br />

« J'ai l'honneur de répondre à vos lettres n° 2.802 du 10 octobre 1918 et n°<br />

2.838 du 31 octobre 1918, par lesquelles vous me communique/., en exécution}<br />

de ma circulaire du 28 octobre 1917, les dossiers ci-après désignés des demandes<br />

de permis de recherches de mines de pétrole et autres hydrocarbures<br />

Ces demandes donnent lieu de ma part aux observations suivantes .<br />

1" Superficie da périmètres. —<br />

Il convient dans l'octroi des permis de recher<br />

ches de pétrole, de tenir compte des conditions spéci îles de gisement et d'explo<br />

ration de cette substance. Il convient en outre de prendre des précautions pour<br />

éviter, d'une part qu'un explorateur n'accapare des terrains pétrolifères et fasse<br />

obstacle à la libre concurrence des différents explorateurs ; d'autre p: rt, que les<br />

travaux de recherche ne dégénèrent d'une manière abusive en travaux d'exploi<br />

tation avant l'institution d'une concession.<br />

La recherche du pétrole ne peut être faite que par des sondages relativement<br />

profonds et coûteux, nécessitant un matériel important, et dont le nombre ne<br />

peut être que de quelques unités pour un même explorateur. D'autre part un<br />

permis de recherche n'apparaît pas comme nécessaire pour choisir l'emplace<br />

ment d'un sondage. Il sera donc largement suffisant de donner aujourd'hui aux<br />

différents demandeurs les autoris itions nécessaires pour faire quelques sondages<br />

dont le nombre devra être en rapport avec celui des matériels de sondage dont<br />

ils disposent. Jl sera toujours temps de leur donner ultérieurement d'autres<br />

autorisations, lorsque, les premiers sond'gcs étant en cours d'exécution, les<br />

explorateurs manifesteront l'intention de faire d'autres sondages et prouveront<br />

qu'ils disposeront des moyens matériels de les exécuter.<br />

Pour faire un sondage, un terrain d me .superficie d'un<br />

hectare est très .large<br />

ment suffisant et il n'est pas nécessaire de disposer de plusieurs centànes d'hec<br />

tares. 11 str.:il contraire à l'intérêt général d'accorder à un même explorateur<br />

le droit exclusif de faire des recherches sur une superficie très étendue, car on<br />

pourrait empêcher d'autres explorateurs de faire des recherches dans la même<br />

région .<br />

En résumé, il convient d'accorder aux demandeurs des permis de recherche<br />

en nombre égal à celui des matériels de sondage dont ils disposent, avant chacun<br />

une superficie d'environ un hectare, et dont l'emplacement sera choisi par le<br />

demandeur dans les terrains sabega, domaniaux,<br />

culture de la région qu'il désire explorer.<br />

D'autre part,<br />

communaux ou collectifs de<br />

pour que les travaux de recherche ne dégénèrent pas d'une ma<br />

nière abusive en travaux d'exploitation avant l'institution d'une concession, il<br />

conviendra de stipuler que, si un sondage fait dans l'un des périmètres donne du<br />

pétrole en quantité exploitable, il ne sera pas fait d'autres sondages dans ce péri<br />

mètre.


184 LES PETROLES ALGERIENS<br />

— 2° Conditions de l'octroi des permis de recherche. Ma circulaire du 28 oc<br />

tobre 1917 fait remarquer que la sonde qui recherche le pétrole est aussi celle<br />

qui sert à son exploitation et que, par conséquent, il paraît tout à fait imprudent<br />

de laisser commencer les recherches de pétrole en terrains domaniaux ou com<br />

munaux, s. ns s'être mis au préalable d'accord sur les conditions de la conces<br />

sion éventuelle.<br />

Il conviendra, à cet effet, de n'accorder un permis de recherche de cette nature.<br />

que si le demandeur souscrit un engagement conforme au modèle ci-annexé.<br />

Je vous retourne ci-joint les dossiers communiqués.<br />

Sans attendre qu'un accord soit intervenu avec les demandeurs, conformé<br />

ment aux principes exposés ci-dessus, il y a lieu de prononcer le rejet de leurs<br />

demandes primitives de permis de recherche, afin que la priorité de ces demandes<br />

ne puisse être opposée à d'autres explorateurs et qu'il n'en résulte pas une im<br />

mobilisation de terrains faisant obstacle aux recherches que d'autres explora<br />

teurs voudraient entreprendre dans les mêmes régions. »<br />

Cette lettre, transmise pour communication et avis aux Préfets des trois dé<br />

partements algériens,<br />

seuls chargés de la délivrance des permis de recher<br />

ches, fut connue de bonne heure à Constantine ; elle y provoqua de la part du<br />

Conseil général une très vive protestation et le Préfet de son côté envoya au<br />

Ministre une longue réponse où il montrait l'impossibilité absolue de l'applica<br />

tion des mesures préconisées. Mais ces instructions étaient restées ignorées à<br />

Alger et à Oran ; aussi leur lecture produisit une inapression d'étonnement, pres<br />

que de stupeur, à laquelle s'ajouta bientôt un sentiment de colère et de révolte.<br />

Il faut se reporter au compte-rendu de la séance des Délégations Financières<br />

pour y lire quelques-unes des appréciations sévères et tout-à-fait spontanées<br />

qui en accueillirent certains passages. Toutefois, ce mouvement de mauvaise<br />

humeur passé, les Délégués estimèrent qu'il était préférable de ne point voter<br />

sans étude préalable la motion qu'on leur présentait ; ils chargèrent la première<br />

Commission de leur fournir un rapport à ee sujet.<br />

Ce rapport fut rédigé par M. Bories et discuté à la séance du 7 juin. Son auteur<br />

insiste dès le début sur les différences très profondes qui existent entre la nouvelle<br />

réglementation et le système beaucoup plus large pratiqué jusque là dans 1»<br />

Colonie ; il rappelle les objeetions graves que le Préfet de Constantine a<br />

développées dans son rapport au Ministre ; il cite les conclusions votées par le<br />

Conseil général de Const uatinc ; enfin il fait siennes des indic Lions qu'une note<br />

du service géologique avait fournies sur les zones de concentration du pétrole et<br />

leur étendue fort restreinte.<br />

Dans ce rapport, à côté d'une critique d'idées, on trouve quelques faits fort<br />

suggestifs provoqués par l'intervention ministérielle et pour 1 1 plupart empruntés<br />

au rapport du Préfet de Constantine : , Il est à remarquer, y est-il dit, que si,<br />

avant les instructions du 21 novembre 1918, les demandes de permis de recher<br />

ches furent nombreuses (on en compte 22 pour le département depuis décembre<br />

191ii), portant sur des étendues moyennes de 500 à 700 hectares, situées dans les<br />

communes d'Ain M'iila, Taher, iMorsott. li Meskiani, par contre depuis cette<br />

date aucune demande dans les conditions réglementaires n'a été déposée. Et alors<br />

que ces demandes et ient formées par des groupes d'études sérieux, tels que les


LES PETROLES ALGÉRIENS 185<br />

mines de la Lucette ou la Société Lyonnaise formée par M. Il inique, nulle so<br />

ciété ne s'est depuis risquée à demander un permis de recherches de pétrole >.<br />

En terminant M. Bories ne peut que regretter que la France se montre si lar<br />

gement bienveillante à l'égard du Maroc- dont il étudie la souple législation<br />

minière et si jalousement autorit lire à l'égard de l'Algérie à liquelle elle veut<br />

imposer la loi désuète de 1810. Pour pallier aux incidences déjà désastreuses<br />

des instructions ministérielles, il fait voter par les Délégations Financières les<br />

propositions suivantes :<br />

« ]o Porter à un maximum de t . 000 hectares l'étendue du périmètre de recher<br />

ches ;<br />

« 2° Taxer les superficies soumises aux permis de recherches à raison de 1 franc<br />

par hectare et par an ;<br />

« :{° Soumettre le renouvellement des permis de recherches à la.demonstration<br />

que des travaux d'une réelle importance ont été exécutés.<br />

" I" Limiter à deux périodes successives de deux ans l'étendue maximum des<br />

périmètres accordées, les réduire ensuite à un maximum de 100 hectares au<br />

tour de chaque point d'activité ;<br />

« 5° Mettre à l'étude et décider dans ma court délai l'étendue maximum des<br />

concessions.<br />

Même, si ces mesures et lient acceptées par le elles ne suffiraient pas<br />

.Ministre,<br />

à attirer ici prospecteurs et capitaux ou du moins l'éventualité serait bien im<br />

probable parce qu'on se méfie de plus en plus des variations de notre politique<br />

minière dont les instructions du 21 novembre 1918 sont un des exemples les plus<br />

curieux. On hésite devant les tendances de notre politique sociale dont le princi<br />

pe paraît être d'empêcher les sociétés de trop s'enrichir, au risque de eon lamner<br />

les individus à li misère.<br />

Dans la lettre du Ministre il n'est d'ailleurs question que des terrains doma-<br />

niaux, communaux ou collectifs ; rien n'est prescrit au sujet des terres melk ;<br />

or, c'est du régime de ces terres que dépend, pour le moment du moins, l'avenir<br />

de l'industrie pétrolifère en Oranie. Demain comme aujourd'hui, la situation<br />

restera obscure, embrouillée, impossible à modifier. Et il en sera ainsi tant que<br />

le Gouvernement et le Parlement Français ne se résoudront pas à une refonte<br />

radicale de la loi de 1810 ou bien, s'ils jugent cette loi bonne pour la métropole,<br />

tant qu'ils n'établiront pas en Algérie un régime spécial adapté aux conditions<br />

d'existence de la Colonie.<br />

Alger, le 29 décembre <strong>1919</strong>.<br />

°<br />

V. D


Reconnaissance de la et<br />

de l'ERG IbllIUl et de la UAUA1JA de<br />

exécutée par la Compagnie Saharienne de la SAOURA<br />

du 25 Février au 25 Avril 1914<br />

:r.a:p:foIxLT<br />

du Capitaine MARTIN, Commandant la Compagnie<br />

Saharienne de la Saoura,<br />

chef de l'Annexe de Beni-Abbès, commandant la Reconnaissance.<br />

SITUATION GÉNÉRALE<br />

Les Reconnaissances, exécutées par la Compagnie Saharienne<br />

de la Saoura au cours de l'année 1913, vers le Sud de l'Iguidi et vers<br />

l'Oued Draa, avaient permis de reconnaître d'une façon précise le<br />

point de départ des routes suivies par les grands rezzous venus du<br />

Nord.<br />

Ces rezzous, qui ont abandonné depuis plusieurs années la ligne<br />

de la Saoura que nous occupons, partent de Tinjoub et Tinfichi pour<br />

se diriger vers h- Sud-Ouest de l'Iguidi et gagner le Soudan par la<br />

hammada des Eglabs et l'Erg Ecli ChèClie.


de l'erg IGUIDI et de la hammada de TINDOUF 187<br />

Cette route nous étant aujourd'hui connue, il y avait lieu de<br />

supposer que les pillards sahariens se rejetteraient encore plus à<br />

l'Ouest pour éviter notre rencontre et continuer en toute sécurité<br />

leurs rapines.<br />

De là découlait pour nous cette nécessité de reconnaître tout le<br />

pays à l'ouest des itinéraires connus pour nous assurer s'il n'y<br />

existait réellement aucun chemin possible pour les rezzous du Draa<br />

et du Tafilala se rendant au Soudan.<br />

Ces diverses considérations m'amenaient à proposer,<br />

dès janvier<br />

1914, un programme de Reconnaissance de la lisière Ouest et<br />

Sud-<br />

Ouest de l'Iguidi et des hammadas voisines.<br />

La réalisation de ce programme qui eût été plus facile en février<br />

et en Mars se trouva retardée par la nécessité pour la Compagnie de<br />

la Saoura d'assurer le flanquement de la reconnaissance que devait<br />

effectuer en Mars, vers Taoudeni et le Soudan, le Commandant Mili<br />

taire du Territoire des Oasis.<br />

Je recevais le 2 février le télégramme suivant :<br />

Commandant Groupe Sahariennes à Saharienne Saoura Beni-Abbès<br />

N'° 13 S. —<br />

et Saharienne Touat Timimoun ;<br />

Commandant Mesnier a quitte In-Salah le 2 janvier pour<br />

se rendre dans l'Adrar soudanais. Il doit remonter ligne puits parallèlement<br />

à frontière algéro-soudanaise jusque dam région nord Taoudeni,<br />

où gro'upe<br />

Aoutef en reconnaissance dans l'Erg Chèche viendra le rejoindre fin février<br />

pour revenir avec lui In-Salah oùilcimptc être ce retour 25 mars. Il serait inté<br />

ressant que Compagnie Touat se portât le plus tôt possible dans l'Erg Chèche<br />

à la recherche groupe Aoulef. Avec lui elle irait rejoindre Commandant<br />

Mesnier qui doit selon toute vraisemblance atteindre Taoudeni vers 1er<br />

mars et remonterait de là sur Chenachan. Compagnie Saoura quittera Ta-<br />

belbala le 25 février et se portera directement sur Chenachan où attendra<br />

retour Compagnie Touat. Cette seconde jonction étant exécutée, Compagnie<br />

Saoura remontera sur Oum el Gueddour et Tounassin.<br />

La Compagnie de la Saoura avait donc ainsi à réaliser une double<br />

opération : d'une part sa liaison avec les Compagnies du Touat et du<br />

Tidikelt entre l'Iguidi et l'Erg<br />

Ech Chèche dans une région déjà con<br />

nue ; d'autre part la reconnaissance projetée vers l'Ouest.<br />

C'était une randonnée d'au moins 1.500 kilomètres, donc une<br />

absence d'environ deux mois.<br />

ORGANISATION DE LA RECONNAISSANCE<br />

Si, dans la région de l'Iguidi oriental et de Chenachan où ne<br />

peuvent plus guère circuler les rezzous, je n'avais pas à redouter<br />

la rencontre d'effectifs ennemis considérables, en revanche, je pou-


188 reconnaissance de la région sud et sud-ouest<br />

vais, dans la deuxième partie des opérations projetées vers l'Ouest -<br />

me trouver en présence de bandes de pillards importantes.<br />

Sans parler des rezzous venus du Tafilala et du Draa, qui, d'a<br />

près les renseignements reçus du .Cercle<br />

de Colomb avant le départ,<br />

avaient dû déjà regagner leurs campements, il faut compter dans<br />

toute la région Ouest de l'Iguidi avec les pillards du Sud-Marocain,<br />

Rcguibat, Aït-Oussa. Ce sont ces tribus qui nomadissent dans la<br />

région de la Seguiat cl Hamra et qui ont si souvent eu à faire à nos<br />

troupes Sahariennes de Mauritanie. Elles peuvent former, dit -on,<br />

des rezzous de plus de cent fusils. Il faut pouvoir leur opposer une<br />

force au moins égale,<br />

tance de tout point d'appui.<br />

pour être certain du succès à si grande dis<br />

Ces considérations m'amenèrent à fixer au chiffre de 140 l'effec<br />

tif du groupe de reconnaissance. Ce chiffre permettait de laisser<br />

à Béni Abbès 40 méharistes, jugés suffisants, avec les 50 fantassi: s<br />

de Tebelbala, 50 meghazenis et 60 cavaliers de Béni Abbès, pour<br />

assurer la garde du pâturage et le service de sécurité immédiate du<br />

territoire de l'annexe.<br />

GUIDES<br />

Le pays dans lequel allait avoir à circuler le groupe de recon<br />

naissance était, pour presque tous nos méharistes,<br />

entièrement nou<br />

veau. Quelques-uns avaient accompagaé jadis le Capitaine Flye<br />

vers Aouinet Legraa mais se déclaraient incapables de nous y conduire-<br />

Un seul homme de la campagnie, le brigadier M'hamed bel Ghi-<br />

outi des Chaambas avait circulé dix ans auparavant dans les Eglabs,<br />

le Regbat el Iguidi et vers Tindouf et la Seguiat el Hamra,<br />

avec les<br />

grands rezzous des Chaambas dissidents. Il fallut se contenter de cet<br />

unique guide, faute de trouver un civil connaissant le pays à recon<br />

naître.<br />

Au reste les connaissances du brigaiier M'Hamed Bel Ghiouti<br />

complétées par les renseignements recueillis avant le départ et par<br />

l'étude du voyage d'Oscar Lenz, dont je ne saurais trop vanter la<br />

précision, nous oit permis de circuler sans trop<br />

tout où nous avons voulu.<br />

de difficultés par<br />

Il faut aussi rendre hommage à l'admirable intelligence du pays<br />

saharie.i de tous nos méhavistes Chaamba et Ghenamema, à cette<br />

habileté en quelque sorte miraculeuse qui leur permet en pays<br />

reni'.it nouveau ds se roc «maître, de trouver les chemins, de décou<br />

vrir le-; p )ints d'eau.<br />

entiè"


DE L ERG IGUIDI ET DE LA HAMMADA DE TINDOUF 189<br />

EFFECTIF DE LA RECONNAISSANCE<br />

Capitaine Martin, commandant la reconnaissance.<br />

Lieutenant Recroix ,<br />

Lieutenant Le Quitot J chefs cle peloton.<br />

Lieutenant Mondin \<br />

5 sous-officiers et brigadiers français.<br />

147 indigènes.<br />

APPROVISIONNEMENTS<br />

La longueur de l'itinéraire à parcourir nécessitait un approvi<br />

sionnement en vivres de deux mois. Il n'était pas possible d'imposer<br />

une pareille surcharge aux montures, d'où nécessité d'organiser un<br />

convoi. Celui-ci dont la conduite fut confiée à un détachement de<br />

8 fantassins du poste de Tabelbala portait 15 jours de vivres. Il<br />

accompagna la reconnaissance jusqu'au puits de Boubout et regagna<br />

Tabelbala à vide par la route du Menakeb et le puits d'El Atimine-<br />

Au départ de Boubout, les vivres distribués, le groupe de recon<br />

naissance partit sans convoi emportant sur les montures 50 jours<br />

de vivres, représentant une surcharge de 50 kilos; il faut ajouter les<br />

poids des 2 guerbas d'eau emportées par chaque méhariste, soit<br />

40 kilos environ.<br />

Des méharas en bon état supportent parfaitement cette sur<br />

charge et peuvent ainsi accomplir, montés, de très fortes étapes, si<br />

la nourriture quotidienne leur est assurée.<br />

EXÉCUTION DE LA RECONNAISSANCE<br />

(De Tabelbala à Boubout par Khettamia, 5 heures de marche)<br />

Le groupe de reconnaissance


190 RECONNAISSANCE DE LA RÉGION SUD ET SUD-OUEST<br />

nous faut près de 16 heures pour abreuver tout le troupeau,<br />

nous oblige à y séjourner jusqu'au 8 mars.<br />

ce qui<br />

Au puits de Boubout nous relevons les traces récentes du groupe<br />

mobile du Touat. Mais aucune nouvelle de ce groupe, dont je n'avais<br />

pu, en partant de Tabelbala,<br />

vient.<br />

Néanmoins,<br />

connaître les intentions, ne nous par<br />

comptant qu'un détachement de ce groupe est<br />

encore installé au Menakcb, je mets en route sur cette direction<br />

notre convoi, devenu inutile. Ce convoi emporte une lettre destinée<br />

à donner au Commandant du groupe du Touat tous détails utiles<br />

sur les mouvements que nous devons faire.<br />

Cette tentative de liaison ne fut d'ailleurs pas couronnée de suc<br />

cès et le détachement d'escorte du convoi rentra à Tabelbala, le 17<br />

mars, sans avoir pu rencontrer au Menakeb aucun élément de la<br />

Compagnie Saharienne du Touat.<br />

DE BOUBOUT A CHEMACHAN ET A HACI MOGHIT<br />

(30 heures 30 de marche)<br />

Le groupe de reconnaissance quitte Boubout le 8 mars au matin<br />

reprenant ses traces de l'année précédente ; il arrive à Tilemsi, le 9.<br />

Cette région a bien changé d'aspect depuis mars 1913. Alors<br />

qu'à cette époque nous y avons trouvé une végétation luxuriante,<br />

cette année tout est desséché et nos méharas ne trouvent nulle<br />

part aucune nourriture .<br />

Le puits de Tilemsi, malgré les aménagements qui y ont été faits<br />

par la Compagnie de Touat en 1913,<br />

n'y<br />

est à peu près à sec ; aussi nous<br />

faisons qu'une halte de quelques heures. Pendant celle-ci nous<br />

avons la surprise de voir arriver au puits, venant du Sud,<br />

gène isolé, conduisant deux chameaux.<br />

un indi<br />

C'est le nommé Mokhtar Ben Miloud des Béni M'Hammed<br />

(Tafilala) habitant Tombouetou. Il vient d'Araouan et se rend, dit-il,<br />

au Talifala par Boubout et Ghcmiles pour y chercher divers papiers<br />

qu'il y aurait oubliés à un voyage précédent. Cet indigène n'est pas<br />

un inconnu de nous; c'est, paraît-il, un riche commerçant du Tafi-<br />

lalet. Il est passé déjà en Mai 1913 à Tabelbala, également seul, rap<br />

portant du Soudan des quantités considérables de bijoux d'or qu'il<br />

allait vendre dans le Nord.<br />

Cette Ibis-ci ses deux chameaux ne sont chargés que de guerbas,<br />

de vivres, consistant presque exclusivement en viande desséchée.


DE L'ERG IGUIDI ET DE LA IIAMMADA DE TINDOUF 191<br />

Il n'a aucune arme : il déclare qu'il voyage entièrement seul<br />

depuis Araouan, par l'itinéraire Taoudeni, Oum el Lassel, Taghama-<br />

nant et a rencontré en ce dernier point, le 2 mars, le groupe du Toua,t.<br />

Le Capitaine Mougin avec lequel il s'est entretenu lui aurait dit qu'il<br />

devait arriver à Taoudeni le 10 mars.<br />

Mokhtar nous déclare en outre qu 'il n 'a rencontré personne<br />

entre Taghamanant et Araouan,<br />

Nous étions, grâce à cette rencontre,<br />

ni relevé aucune trace suspecte.<br />

avertis des intentions du<br />

groupe du Touat avec lequel la liaison se trouvait de ce fait en partie<br />

réalisée. Aussi ne manquai-je pas de remercier le M'Hammedi de<br />

ses enseignements par le don de quelques kilogrammes de l'arme<br />

qu'il n'hésita pas d'ailleurs à me demander.<br />

Mais,<br />

si je rapproche maintenant ses déclarations de celles qu'd<br />

fit au Capitaine Mougin (voir rapport manuscrit de tournée de cet<br />

Officier, page 21), j'en arrive à conclure que Mokhtar Ben Miloud<br />

nous a trompés l'un et l'autre en nous donnant des renseignements<br />

inexacts sur son itinéraire et sur les rencontres qu'il a faites en route.<br />

Nous en aurons la preuve par l'examen des traces relevées dans les<br />

Eglabs entre Moghit et Oguilet Ould Yacoub et à Grizin.<br />

A peu près à la date où nous nous trouvions à Tilemsi un fort<br />

rezzou venant de Toufourin passait à moins de 80 kilomètres dans<br />

l'Ouest, à notre se hauteur, dirigeant vers El Ghekes. U n'est pas<br />

possible que notre M'Hammedi n'ait pas rencontré dans l'Erg Ech<br />

Chèche cette forte bande ;<br />

bien plus je demeure convaincu qu'il a<br />

voyagé avec elle jusqu'en lisière d'Erg Ech Chèche. Il l'a abandonnée<br />

sans doute à Toufourin avec mission de lui servir en quelque sorte<br />

de flanc-garde et de la renseigner sur la présence de nos troupes dans<br />

la région. Sa mission se trouva vite remplie de ce fait qu 'il rencontra<br />

à peu de jours d'intervalle les deux groupes Méharistes du Touat et<br />

de la Saoura.<br />

Après nous avoir croisés à Tilemsi, Mokhtar au lieu de prendre,<br />

comme il nous l'avait déclaré, la route de<br />

gagner le Talifala,<br />

Chouikhia-Ghemiles pour<br />

s'est rabattu (nous l'avons su en avril par l'exa<br />

men des vers traces) El Gheres où il a dû rejoindre le rezzou.<br />

les<br />

On ne peut faire un grand<br />

reproche à ce caravanier de ménager<br />

razzieurs avec lesquels il est appelé à se rencontrer constamment<br />

au Sahara et qui ne lui<br />

pardonneraient pas même un manque de<br />

complaisance. Mais il est bon pour l'avenir que nous soyons avertis<br />

du rôle que cet indigène peut éventuellement jouer auprès de nos<br />

adversaires et des déductions à tirer de sa rencontre dans nos régions.


192 RECONNAISSANCE DE LA RÉGION SUD ET SUD-OUEST<br />

Le 11 mars le groupe de reconnaissance arrive à Chenachan. A<br />

la bouche du puits, le Capitaine Mougin,<br />

Touat,<br />

commandant le groupe du<br />

a laissé une lettre datée du 23 février par laquelle il fait con<br />

naître qu'il se rend à Taoudeni par Taghamanant et Oum Lassel<br />

et qu'il repassera, peut-être, à Chenachan, le 21 mars au plus tard,<br />

à moins qu'il ne rentre directement au Menakeb par la route de Zmila<br />

et Grizin.<br />

Il ne m'est pas possible d'attendre 10 jours à Chenachan cette<br />

liaison tout à fait incertaine. Les pâturages font complètement défaut<br />

dans toute la hammada. A Moghit,<br />

ganum-nudatum. salsolaeée)<br />

un pâturage de dhamram (Tra.<br />

assez médiocre me permet de donner<br />

un peu de repos à nos méharas qui ont souffert de la route Boubout-<br />

Chenachan. Mais prolonger le séjour dans cette région eût été con<br />

damner au dépérissement nos montures dont nous allions avoir<br />

besoin pour la deuxième partie de notre reconnaissance. Aussi notre<br />

départ vers l'Ouest est-il fixé au 14 mars.<br />

DE HACI MOGHIT A OGUILET OULD YACOUB<br />

\30 heures de marche)<br />

Le 14 mars le groupe de reconnaissance prend la direction de<br />

l'Ouest. Nous avons laissé au puits de Chenachan une lettre destinée<br />

à renseigner, sur nos intentions, le groupe du Touat,<br />

repasserait par ce point d'eau.<br />

au cas où il<br />

La première partie de notre mission a été remplie autant que<br />

pouvait se faire. La liaison faite par correspondance, nous allons<br />

maintenant faire de l'exploration en région nouvelle.<br />

Le traversée de la hammada des Eglabs de l'Est à l'Ouest n'a<br />

pas encore été tentée. Elle apparaît comme difficile, puisque 200<br />

kilomètres nous séparent vers l'Ouest du Regbat el Iguidi. Mais nous<br />

savons trouver là de nombreux points d'eau.<br />

Toute la journée du 14 est employée à traverser une série de<br />

hammadasetde massifs montagneux très durs aux pieds des méharas<br />

et dans lesquels nous ne trouvons aucun pâturage. Il n'a pas dû<br />

pleuvoir depuis de nombreuses années dans cette région. La végé<br />

tation arbustive d'ailleurs desséchée y est représentée exclusivement<br />

par l'askaf (salsolaeée) dont nos méharas ne mangent pas.<br />

Dans la matinée du 15 mars, nous traversons une série de vallées<br />

couvertes d'une végétation assez belle de had (curnulaca-monachante,<br />

salsolaeée).


DE L'ERG IGUIDI ET DE LA HAMMADA DE TINDOUF 193<br />

Nous sommes là sur la route des grands rezzous, Toufourin el<br />

Ghercs,et nous y relevons les traces très nombreuses et anciennes<br />

de forts troupeaux de méharas. Le grand vent, qui a soufflé toute la<br />

journée précédente, ne permet pas à nos guides de déterminer la<br />

date exacte du passage très récent d'une bande de 80 méharas et<br />

d'une trentaine de piétons, dont nous remarquons les traces se diri<br />

geant vers le nord; mais ce passage ne remonte pas, affirment -ils,<br />

à plus de 6 jours.<br />

C'est évidemment là un rezzou qui, rentrant du Soudan, a dû<br />

passer à notre hauteur vers le 9 mars alors que nous étions à Tilemsi<br />

et qui par suite, dans sa traversée de l'Erg Ech .Chèche,<br />

a<br />

dû cô<br />

toyer de bien près le groupe du Touat.C'est à ce rezzou que le M'Ham<br />

medi, rencontré à Tilemsi, a dû, à mon sens, servir de fianqueur.<br />

Nous ne pouvons songer à tenter la poursuite de ce rezzou qui<br />

a certainement franchi à toute allure la hammada et l'Iguidi où il<br />

redoute notre rencontre, et qui a peut-être 8 jours d'avance sur nous.<br />

Nous continuons donc notre marche vers l'Ouest.<br />

Une fois traversée cette série d'oueds garnis de had,le groupe<br />

de reconnaissance s'engage dans la région appelée, par les indigènes,<br />

El Karet (le papier). C'est un immense plateau de quartzites blancs,<br />

complètement dépourvu de végétation et qui, de loin, a l'apparence<br />

d'une plaine neigeuse.<br />

Le 16 mars, après avoir retrouvé les massifs garnitiques des<br />

Eolabs et avoir laissé à notre gauche les falaises de El Hank et de<br />

Guelb el Delim, nous arrivons e n vue ele l'Erg en lisière duquel nous<br />

couchons.<br />

Le 17, nou s découvrons le puits d'Oguilet Ould Yacoub où<br />

nous ne relevons aucune autre trace que celles laissées par la compa<br />

gnie du Touat en janvier 1914.<br />

Les journées des 17,<br />

18 et 19 permettent à nos méharas ele se<br />

refaire dans de beaux pâturages de halma (lithos peimuni callosuin<br />

borraginacée)<br />

tandis que nos patrouilles de découverte battent toute<br />

la région comprise entre Bir el Abbès et Oum Gueddour.<br />

Le point d'eau d'Cguilet Ould Yacoub est des plus caractéris<br />

tiques. Au fond d'un entonnoir gigantesque formé par la circonvolu<br />

tion d'une dune,<br />

l'eau très abondante et très elouce apparaît en sur<br />

face sur un petit plateau sableux d'environ 50 mètres de diamètre.<br />

Ce point d'eau a été certainement très fréquenté ; de grands medjbeds<br />

(sentiers) sillonnent les gacis limitant le bias d'eig où il se trouve.<br />

Une de nos patrouilles découvre aux enviions un certain nombre


194 RECONNAISSANCE DE LA REGION SUD ET SUD-OUEST<br />

de neba (eau superficielle) de forme analogue mais où l'eau est géné<br />

ralement salée.<br />

Cette région a été autrefois parcouiuepar les rezzous deChambas,<br />

Ouled Djerir de Bou Amama et Doui Menia qui se rendaient en Mau<br />

ritanie. Ces grands mouvements ont cessé du fait de l'installation dé<br />

finitive de la Zaouia de Bou Amama dans la région d'Oujda et à la<br />

suite de quelques insuccès retentissants de ces expéditions militaires<br />

qui trouvaient chez les Reguibat des adversaires sérieux.<br />

Le Regbat el Iguidi a été visité en 1904 par la reconnaissance<br />

du Capitaine Flye Sainte Marie. Cet officier ne s'est certes jamais<br />

douté que sa troupe avait échappé dans cette région à un danger des<br />

plus sérieux.<br />

Au moment où sa petite colonne qui avait été dispersée, en ex<br />

ploration, pendant 8 jours par petits groupes sur un front de 50 kilo<br />

mètres, se mettait en route vers Chenachan,<br />

elle était suivie à 24<br />

heures d'intervalle environ par un rezzou de £00 Chambas Ouled<br />

Djerir,Doui Menia qui s'étaient rassemblés clans l'Iguidi et marchaient<br />

vers Oualata.<br />

Les chefs du rezzou eurent un instant l'idée de poursuivre nos<br />

sahariens, mais, à la réflexion, ils trouvèrent plus sage d'aller piller<br />

des tribus sans défense et continuèrent leur route vers le Sud ; ils<br />

pensèrent qu'ils auraient à payer tiop cher un .succès sur lequel ils<br />

pouvaient compter : la troupe du Capitaine Flye comprenait 90<br />

fusils, mais était alourdie par un convo i de 57 chameaux de bât.<br />

Ce fait nous a été raconté par un indigène qui faisait partie du<br />

rezzou et assista à la discussion des chefs ; il ne saurait être mis en<br />

cloute. Certains de nos méharistes qui accompagnaient le Capitaine<br />

Flye n'ont pas appris sans émotion à 10 ans d'intervalle qu'ils avaient<br />

ainsi côtoyé le danger.<br />

Aujourd'hui les rezzous venant du Draa et du Tafilalet ne peu<br />

vent plus mettre en ligne de pareils effectifs ; la guerre les a usés.<br />

Bou Amama et les Chambas ont disparu. Enfin ils ne parcourent<br />

certainement pas cette région où nous ne relevons aucune trace.<br />

Quant à ceux du Sud-Marocain, nous verrons plus loin qu'ils suivent<br />

une route plus occidentale.<br />

Cette certitude acquise, il devenait nécessaire de voir s'il n'exis<br />

tait pas sur les hammadas de l'Ouest une route permettant de se<br />

rendre du Draa au Soudan, en évitant l'Iguidi.<br />

Nous savons qu'une ligne de puits réunit Tinfichi à Tindouf,<br />

mais nous savons bien que nos razzieurs du Tafilalet et du Draa<br />

n'empruntent jamais cet itinéraire trop long et qui les obligerait à


DE L'ERG IGUIDI ET DE LA HAMMADA DE TINDOUF 195<br />

côtoyer, au Sud de Tindouf, le pays des Reguibat dont ils redoutent<br />

les entreprises.<br />

Mais peut-être leur est-il possible de gagner du dernier puits,<br />

Ichaf, l'Ain Barka et Aouinet Legra, puis Regbat el Iguidi. C'est<br />

ce qu'il importait de savoir. Je décidai donc ele tenter de rejoindre<br />

ce point d'eau d'Ichaf de la Tinfichi et notre itinéraire de Novembre-<br />

Décembre,<br />

en prenant comme base de mon exploration Aouinet<br />

Legra, Bir Anina de Lenz, visité en 1904 par le Capitaine Flve Sainte<br />

Marie.<br />

Mon intention était, de ce point, de gagner la petite oasis de Tin<br />

douf, d'y<br />

entrer en relation avec les Tadjakants qui ont déjà pris<br />

contact en 1912 à Tabelbala avec l'annexe de Béni Abbès, et de leur<br />

demander des guides.<br />

Aucun de mes méharistes ne connaissait en effet la ligne des<br />

points d'eau Ichaf- Tarf M'hamed.<br />

Cette exploration s'annonçait comme dure. Il était à craindre<br />

que la hammada d'<br />

Aouinet Legra-Ain Barka ne fut aussi desséchée<br />

et peu favorable aux méharas que celle des Eglabs.<br />

On verra plus loin, quels événements,<br />

quelles considérations mi<br />

litaires et politiques m'obligèrent à modifier ces projets et à ne les<br />

réaliser qu'en partie au prix de sérieuses fatigues.<br />

mars,<br />

De Oguilet Ould Yacoud à Aouinet Legra<br />

(15 heures de marche)<br />

Néanmoins c'est dans ces intentions que nous quittons, le 19<br />

Oguilet Ould Yacoub.<br />

Nous suivrons presque pas à pas l'itinéraire d'Oskar Lenz, car<br />

notre séjour à Oguilet Ould Yacoub nous a permis (appendice n°<br />

1)<br />

de déterminer de façon presque certaine que c'est bien en ce point de<br />

l'Iguidi que Oskar Lenz s'arrêta en venant de Tindouf.<br />

Quelques heures suffisent pour atteindre la lisière de la<br />

Hammada.<br />

Toute la journée du 20 mars est employée à traverser une ré<br />

gion de reg dépourvue de végétation,<br />

faciles,<br />

c'est le bled Ietti.<br />

mais où la marche est des plus<br />

Nous couchons le soir en vue du kreb Aouina et du puits d'Aoui-<br />

net Ben Legra (les indigènes disent indifféremment Legra ou Ben<br />

Legra)<br />

dont nous apercevons les palmiers au centre d'une vaste<br />

dépression ensablée.<br />

Le 21 Mars, nous atteignons ce point d'eau. Nous y trouvons les<br />

traces récentes de six méharistes, traces qui avaient été déjà signalées<br />

5


196 RECONNAISSANCE DE LA RÉGION SUD ET SUD-OUEST<br />

à une dizaine de kilomètres au Sud ele notre ligne de marche, par<br />

une de nos patrouilles de découverte, le jour précédent.<br />

Ces six méharistes venus à petite allure de la direction de Aouin<br />

Abdelmalek avaient couché deux jours avant nous à Aouinet Legra<br />

et en étaient repartis vers l'Ouest. Ils avaient laissé, dans le beau<br />

pâturage des environs du puits, une chamelle entravée qui, en très<br />

mauvais état, n'avait pu continuer la route.<br />

Quels pouvaient être, dans ce pays entièrement vide et où nous<br />

ne relevions nulle trace ni de caravane ni de campement,<br />

ces mysté<br />

rieux voyageurs ? Il était intéressant de le savoir. Si nous avions la<br />

bonne fortune de rencontrer là une caravane de Tadjakant, notre<br />

exploration était toute simplifiée et nous évitions le voyage à Tindouf<br />

en prenant parmi eux des guides. Si nous étions au contraire en pré<br />

sence de pillards, notre devoir nous commandait de les rejoindre pour<br />

les détruire.<br />

Poursuite et destruction d'un Djich de Ouled Bou Sbah<br />

Une section du 1er peloton (maréchal des Logis Bedel) reçoit<br />

aussitôt l'ordre de prendre les traces relevées et de rattraper le plus<br />

tôt possible les méharistes signalés. Si elle ne peut les atteindre dans<br />

les 12 heures, c'est que les fuyards auront une avance trop considé<br />

rable. Dans ce cas le maréchal des Logis Bedel abandonnera la pour<br />

suite et ralliera le gros de la colonne qui fait séjour et l'attendra à<br />

Aouinet Legra.<br />

Le maréchal des Logis Bedel part le 22 mars à 9 heures du matin.<br />

Le 23 mars à midi, la sentinelle de notre camp signale l'appari<br />

tion, en haut du grand kreb (falaise) qui barre notre horizon Ouest,<br />

de deux méharistes au trot. Ils sont bientôt auprès de nous. Ils ap<br />

portent un compte rendu du maréchal des Logis Bedel qui a entière<br />

ment réussi dans sa mission.<br />

Ce sous-officier, après avoir marché à vive allure toute la journée<br />

du 22 mars, s'était trouvé à 17 heures 30 environ à 90 kilomètres de<br />

Aouinet Legra, en vue des fuyards. Ceux-ci, au nombre de 5, l'aper<br />

cevant avaient mis aussitôt leurs animaux au trot laissant à pied en<br />

arrière d'eux un jeune garçon de 13 à 14 ans, nommé Mohamed Ould<br />

Ali qui demandait à se rendre et avertissait aussitôt nos gens qu'ils<br />

avaient à faire à un Djich de gens de l'oued Noun,rentrant du Soudan.<br />

Le maréchal des Logis Bedel, pemr continuer la poursuite, divi<br />

sait aussitôt sa troupe en 3 groupes, un suivant les traces, les deux<br />

autres formant crochet offensif à 500 mètres à sa droite et à sa gauche.


DE L ERG TGUIDI ET DE LA HAMMADA DE TINDOUF 197<br />

C'est dans cette formation qu'il se heurtait à 18 heures 30 aux<br />

djicheurs qui axaient profité d'un mouvement de terrain pour mettre<br />

pied à terre et s'abriter et ouvraient le feu sur lui à environ 800 m.<br />

Trois de nos méharas étaient atteints, mais bientôt, pris en flanc par<br />

le feu violent du groupe du brigadier Embarek Ould Maamar, les<br />

pillards étaient mis hors de combat. Trois d'entre eux étaient morts,<br />

deux autres grièvement blessés succombaient une demi-heure après.<br />

Ce succès obtenu, le maréchal des Lotis Bedel ralliait sa troupe :<br />

il n'avait heureusement aucun blessé. Les prises rassemblées con<br />

sistaient en cinq méhara, en fâcheux état et que nous dûmes abattre<br />

dans la suite, 4 fusils 74, un fusil 86, nombreuses cartouches, enfin<br />

divers bagages et vêtements surtout ele femmes et d'enfants prove<br />

nant du Soudan.<br />

Après avoir donné à son monde quelques heures de repos, le<br />

maréchal des Logis Bedel, reprenant le chemin du retour lançait en<br />

avant de lui, à 24 heures, pour me prévenir, ces deux méharistes qui<br />

étaient arrivés à Aouinet Legra comme nous l'avons vu plus haut à<br />

midi. Ces derniers, les nommés Moumen Ben Abdelouahad et Lhas-<br />

sen Ben Ali, avaient ainsi parcouru en 12 heures, dont 6 de nuit,<br />

90 kilomètres après avoir parcouru la veille en poursuite la même dis<br />

tance en 9 heures. Ils avaient couvert au total 180 kilomètres en<br />

27 heures.<br />

Toute la section ralliait Aouinet Legra, le 23 mai à 20 heures,<br />

ayant parcouru un total de 180 kilomètres en 36 heures dont 90<br />

kilomètres en 9 heures.<br />

Le Djich détruit était composé des nommés : Si Mohamed<br />

Ben Embarek, Mohamed Ould Itich,<br />

Mohamed Fahl Ould Si Bou-<br />

bekeur, Abderrahman Ould Salah, des Ouled bou Sebah, Ouled<br />

Hamida,<br />

tous djicheurs connus du bas Draa. Ils avaient fait partie<br />

de ce rezzou de gens du Sud marocain dont le Lieutenant Vincent<br />

a raconté, à l'appendice II du rapport de la tournée du Capitaine<br />

Mougin, les<br />

riens de la Mauritanie,<br />

virons de Oualata<br />

périgrinations. Après avoir été poursuivis par les Saha<br />

ces Ouled Bou Salah étaient restés aux en<br />

attendant une occasion de faire une nouvelle<br />

razzia. Ils avaient ainsi réussi à tomber sur un douar isolé de Mech-<br />

douf qu'ils avaient pillé non sans tuer femmes et enfants et auquel<br />

ils avaient enlevé 8<br />

vers le Nord,<br />

hamed Ould Ali les<br />

chevaux. Ils s'étaient ensuite remis en route<br />

c'est alors que nous les avions arrêtés. Le jeune Mo<br />

accompagnait comme domestique. Il n'était<br />

pas armé. Il est rentré librement avec nous à Béni Abbès d'où il<br />

lui sera loisible de gagner son pays d'origine.


198 RECONNAISSANCE DE LA RÉGION SUD ET SUD-OUEST<br />

Cette opération de police était donc des plus heureuses ; une<br />

autre restait à tenter. En effet mes patrouilles de découverte avaient<br />

relevé le 23 mars à 30 kilomètres à l'Ouest d'Aouinet Legra les tra<br />

ces, remontant à environ 2 jours, de 60 méharas montés se dirigeant<br />

vers l'Ouest-Nord-Ouest et venant de la direction d'Aouin Abelma-<br />

lek. Il s'agissait évidemment d'un rezzou rentrant du Soudan vers<br />

le bas Draa.<br />

Il était de notre devoir d'en tenter la poursuite. Si cette bande<br />

avait rencontré des pâturages dans la hammada, peut-être s'y était-<br />

elle arrêtée et nous courions les chances de la rejoindre avant qu'elle<br />

n'ait atteint ses campements.<br />

Enfin cette poursuite rentrait dans le cadre du programme<br />

que nous nous étions tracé puisqu'elle nous donnait l'occasion de<br />

reconnaître toute cette hammada qui s'étend à l'Ouest de l'Iguidi.<br />

POURSUITE D'UN REZZOU DE 00 MEHARISTES DU DRAA<br />

D'Aouinet Legra à la Sebkha de Tindouf<br />

(20 lieures de marche)<br />

De la Sebkha de Tindouf au centre du Haut Plateau du Draa<br />

(10 heures de marche)<br />

Nous quittons Aouinet Legra le 23 mars dans la soirée. Après<br />

avoir franchi la falaise élevée appelée Kreb El Aouina nous couchons<br />

clans un vaste plateau de reg, dépourvu de végétation. Les quelques<br />

rares plantes que nous y rencontrons sont desséchées. Il n'a pas dû<br />

pleuvoir dans cette région depuis fort longtemps et cela nous fait<br />

déjà mal augurer du succès de notre entreprise.<br />

Dans la journée du 21, nous reprenons les traces du rezzou<br />

signalé et qui doivent remonter à t jours environ. Nous franchissons<br />

une série de Kreb (l'alaise) qui nous permettent de reconnaître par<br />

faitement le pays traversé par Oscar Lenz, nous admirons sur l'un<br />

d'eux les nombreux: restes de monuments mégalithiques (gigantesques<br />

dalles dressées, voir appendice 1) qui ont fait donner sans doute à<br />

cette partie de la hammada le nom ele bled des Es Sefdiat (pays des<br />

dalles). Nous atteignions enfin par la montée très rapide d'une fa-<br />

laise (Krel<br />

/T>eb en Neggar), d'environ 80 mètres d'altitude, le plateau<br />

appelé hanunada d'Ain Barka. Tout le pays que nous tra-<br />

calcaire


DE L'ERG IGUID1 ET DE LA HAMMADA DE TINDOUF 199<br />

versons est dessécbé, brûlé, comme par un gigantesque incendie.<br />

En outre, la température qui, jusqu'à ce jour, s'était maintenue très<br />

basse, s'est brusquement élevée. Le soleil brûle comme aux plus<br />

forts jours de l'été.<br />

Nous ne pouvons, maintenant, abandonner notre poursuite.<br />

Peut-être qu'en avant de nous, la région de Douakhil nous offrira<br />

des ressources en pâturages dont auront profité les gens que nous<br />

poursuivons.<br />

Le 25 mars, nous atteignons la Nebka (petit erg) de Douakhil,<br />

bordée par la vaste sebkha qui s'étend jusqu'à Tindouf.<br />

Le rezzou a traversé cette sebkha se dirigeant toujours vers<br />

l'Quest-Norel-Ouest. Nous continuons le 26 à suivre ses traces qui<br />

nous conduisent après avoir franchi une région de collines blanchâtres<br />

sur une hammada couverte de talhas (gommiers) et de neçi (grami-<br />

née).<br />

Cette hammada d'aspect tout différent de celle que nous ve<br />

nons de traverser ne peut être (voir appendice 1) que le continuation<br />

du haut plateau du Draa que nous avons reconnu au Sud ele Tinfichi,<br />

en novembre 1913. La végétation y est abondante mais, comme dans<br />

la région que nous venons de traverser,<br />

entièrement desséchée. A<br />

6 heures du soir la colonne s'arrête dans un petit bois de talhas, où<br />

nos méharas trouvent heureusement un pâturage assez abondant,<br />

mais sec.<br />

Après examen des traces suivies, nous sommes obligés de re<br />

connaître que nous n'avons rien gagné sur les gens que nous poursui<br />

vons,<br />

qui ont conservé leur avance. Nous sommes à 300 kilomètres<br />

à peine de l'Atlantique,<br />

nous ne pouvons continuer à poursuivre<br />

ainsi sans bien savoir où nous pouvons aboutir.<br />

En outre les chefs de peloton me rendent compte que les méha<br />

ristes, surpris par l'extrême chaleur qui nous accable depuis notre dé<br />

part du puits, ont, malgré leurs ordres, usé inconsidérément de leur<br />

eau et n'en ont plus qu'une provision insignifiante.<br />

Une première néecsité s'impose donc,<br />

arriver à un point d'eau ;<br />

et nous sommes à 190 kilomètres d'Aouinet Legra, le seul sur lequel<br />

nous puissions raisonnablement compter.<br />

Nous sommes un peu moins loin d'Ain Barka,<br />

mais nos guides<br />

ne peuvent affirmer que ce puits n'est pas à, sec. En continuant notre<br />

marche vers l'Ouest (c'est ce que propose le guide M'Hamed Ben El<br />

Ghiouti, qui connaît tout le pays jusqu'à la Seguiat el Hamra, nous<br />

trouverons à 7 heures devant nous El Betana. En ce point situé dans<br />

la vallée de l'Oued El Haffra, affluent de la Seguiat el Hamra, les


200 RECONNAISSANCE DE LA RÉGION SUD ET SUD-OUEST<br />

puits abondent : en outre l'exploration de cette région toute nouvelle,<br />

qui nous ramenait sur les itinéraires de Camille Douls, était bien ten<br />

tante. Mais nous sommes presque certains d'y trouver, non pas seule<br />

ment notre rezzou,<br />

mais aussi des campements nombreux de Regui<br />

bat et d'<br />

Ait Oussa. A près de 1 . 000 kilomètres de Béni Abbès, dans<br />

une région qui ne nous était pas connue, une chicane d'abreuvoir eût<br />

pu être désastreuse. La simple raison me commandait de revenir<br />

vers l'Est.<br />

Nous aurions pu nous rabattre sur Tindouf qui était peut-être<br />

à 80 kilomètres de nous et où mon intention, au départ de l'Iguidi,<br />

avait été de me rendre. Mais en passant à Douakhen nous avions rele<br />

vé les traces se dirigeant de l'Est à l'Ouest d'une troupe d'environ<br />

60 méharistes qu'après une étude et une discussion sérieuse, nous<br />

avions dû reconnaître pour celles d'un groupe de la Compagnie du<br />

Touat. Ces traces remontaient à 3 mois environ,<br />

elles étaient pres<br />

que effacées. Dans l'ignorance complète où j'étais de la reconnaissance<br />

faite en janvier par la Compagnie du Touat, j'avais un instant refusé<br />

de croire mes guides qui, eux-mêmes, ne s'expliquant pas que je ne<br />

fusse pas renseigné sur les mouvements opérés par nos troupes dans<br />

cette région,<br />

en arrivaient à clouter d'eux-mêmes. Mais d'où aurait<br />

pu venir un rezzou se dirigeant de l'Est à l'Ouest ?<br />

Un indice certain, une enveloppe ele paquet de cigarettes algé<br />

riennes trouvées sur les traces,<br />

l'exactitude des observations des guides.<br />

nous avait obligés à reconnaître<br />

J'en conclus que la Compagnie du Touat,venant de l'Ain Barka,<br />

avait atteint en janvier le ksar de Tindouf vers lequel ses traces se<br />

dirigeaient.<br />

Quel accueil y avait-elle reçu ? Les habitants de ce ksar, s'ils<br />

n'avaient à cette première visite de nos troupes tenté aucun acte<br />

hostile,<br />

ne se seraient-ils pas depuis préparés à une résistance?<br />

Je risquais là encore des difficultés d'abreuvoir singulièrement<br />

graves contre des adversaires retranchés derrière des murs et qui<br />

pouvaient facilement ainsi nous interdire l'accès de leurs points d'eau.<br />

Je me décidais donc à battre en retraite sur nos traces,<br />

mais en<br />

faisant connaître le pavs à droite et à gauche de notre ligne de mai-<br />

che par des patrouilles de découverte qui, peut-être, trouveraient le<br />

point d'eau de Haci Sebkha qui nous était signalé par nos informa<br />

teurs, ou tout autre ; je donnais, à ces patrouilles qui quittent notre<br />

bivouac dans la nuit, du 26 au 27, rendez-vous à la Sebkha.<br />

La journée du 27 nous ramène dans la région de collines blan<br />

châtres traversées la veille ; nous sommes le soir à la nuit, après un


DE L ERG IGUIDI ET DE LA HAMMADA DE TINDOUF 201<br />

long repos de toute l'après-midi,<br />

rendu indispensable par l'extrême<br />

chaleur, à la sebkha de Tindouf.<br />

Nos patrouilles de découverte nous y rejoignent. Leurs recher<br />

ches ont été sans résultat. La patrouille de gauche a bien trouvé, à<br />

l'extrémité orientale de la Sebkha,<br />

très fréquenté, Haci Sebkha,<br />

un point d'eau qui a été jadis<br />

mais qui est complètement à sec.<br />

Il n'y a plus qu'à regagner le seul point d'eau dont nous soyons<br />

sûr dans ces hammadas désolées : Aouinet Legra. Nous en sommes<br />

à 20 heures de marche (130 kilom,)<br />

et nous n'avons plus pour toute<br />

la colonne qu'une réserve d'environ 50 litres d'eau. La situation est<br />

assez grave, car, avec la température d'été que nous subissons nous<br />

ne pourrons pas marcher au milieu du jour, il ne faut donc pas es<br />

pérer arriver au point d'eau avant le 29 au matin.<br />

J'organise aussitôt un détachement léger de 30 méharistes choi<br />

sis parmi les mieux montés des divers pelotons, qui,<br />

sous les ordres<br />

du maréchal des Logis El Aid Ben Miliani, saharien éprouvé, doit<br />

gagner à la plus vive allure Aouinet Legra, y<br />

abreuver et revenir<br />

au devant de nous, nous rapportant quelques guerbas d'eau qui nous<br />

aideront à terminer la route.<br />

Ce détachement part bon train à 22 heures. Toute la colonne<br />

continue à allure normale et marche toute la nuit,<br />

sans que celle-ci<br />

lui apporte un instant de fraîcheur : il fait plus chaud qu'au plus fort<br />

de l'été.<br />

A 10 heures du matin le 28 mars, nous atteignions le sommet du<br />

grand Kreb (Kreb en Neggar) franchi 3 jours auparavant.<br />

Nous y passons un après-midi pénible,<br />

par une température écra<br />

sante. Notre dernière réserve d'eau, 1/4 par homme, est distribuée.<br />

Malgré la fatigue, malgré la soif et la faim, car l'absence d'eau ne<br />

permet pas de préparer les aliments, la bonne humeur, faite de beau<br />

coup de confiance réciproque et de résignation, n'abandonne personne.<br />

Tout le monde a soif, grand soif même, mais cela n'empêche pas<br />

nos méharistes de songer à débaptiser le Kreb en Neggar, qu'ils<br />

appelleront désormais le Kreb el Atteuch (falaise de la soif).<br />

Au coucher du soleil nous nous remettons en route ; bien que<br />

cette nuit soit encore très chaude,<br />

tout le monde est cependant ra<br />

gaillardi par la pensée que nous approchons du puits et que bientôt,<br />

sans doute,<br />

l'avance.<br />

arriveront au devant de nous les camarades envoyés à<br />

A deux heures du matin en effet,<br />

nous rencontrons, à 40 kilo<br />

mètres de Aouinet Legra, le maréchal des logis El Aid ben Miliani


*<br />

202 RECONNAISSANCE DE LA REGION SUD ET SUD-OUEST<br />

qui, avec une partie de son détachement,<br />

d'eau.<br />

Le maréchal des logis, El Aid ben Miliani,<br />

apporte quelques guerbas<br />

parti le 27 mars à<br />

10 heures du soir de la sebkha de Tindouf, était le 28 à 3 heures de<br />

l'après-midi arrivé à Aouinet Legra,<br />

avec son détachement après<br />

avoir fait, en partie de nuit et de jour, par une chaleur accablante,<br />

130 kilomètres en 17 heures. Il avait dû, au puits, laisser souffler les<br />

méharas, les abreuver ; il s'était remis en route à la nuit pour nous<br />

rejoindre.<br />

L'eau qu'il nous apportait nous eût été mutile. Personne n'en<br />

sentait plus le besoin,<br />

plus manquer.<br />

maintenant que s'affirmait la certitude de n'en<br />

Néanmoins, surtout pour permettre à nos méharistes, dont le<br />

calme et la discipline avaient été admirables pendant toute cette<br />

épreuve, de prendre quelque nourriture,<br />

nuit une halte d'une heure.<br />

nous faisons en pleine<br />

Le 29 à 8 heures du matin, toute la colonne était de nouveau<br />

rassemblée à Aouinet Legra,<br />

son point de départ.<br />

Elle avait parcouru depuis le 24 mars, c'est-à-dire en 5 jours,<br />

■380 kilomètres.<br />

La plupait de nos hommes,<br />

pillé leur réserve d'eau les deux premiers jours,<br />

qui avaient inconsidérément gas<br />

avaient fait presque<br />

toute la retraite de 190 kilomètres sans boire et sans manger et avec<br />

un maximum de un quart d'eau par jour. Pour tout le monde les der<br />

niers 120 kilomètres furent parcourus en 34 heures,<br />

d'eau pour toute nourriture.<br />

Cependant,<br />

avec un quart<br />

nous ne laissions en arrière ni un animal ni un traî<br />

nard ; la colonne arrivait au terme de cette exténuante randonnée<br />

sans un malade, rassemblée comme pour une parade. Quel plus bel<br />

éloge -à faire de nos méharistes et que ne peut-on demander à de<br />

pareilles gens !<br />

Nous faisions repos les journées des 29, 30, 31 mars, repos assez<br />

nécessaire, surtout à nos méharas qui souffrent de la- faim et dont<br />

beaucoup commencent à avoir les pieds usés par le sol dur et sur<br />

chauffé des hammadas que nous avons parcourues. Les pâturages<br />

sont heureusement beaux aux environs immédiats de Aouinet Legra<br />

et nos montures sont vite en état de reprendre leur marche.<br />

La formidable pointe, que nous venions de pousser vers l'Ouest,<br />

n'avait pas été inutile. Elle nous avait permis de reconnaître par<br />

faitement la route ele la Scguia el Hamra, toute la Hammada en<br />

avant et en arrière de Tindouf, le puits d'Haci Sebkha. J'ai exposé


DE L ERG IGUIDI ET DE LA HAMMADA DE TINDOUF 203<br />

plus haut les raisons pour lesquelles j'avais renoncé à mon projet<br />

de visite de Tindouf,<br />

où j'avais l'intention de chercher des guides.<br />

Il ne me restait donc plus qu'à tenter d'atteindre directement ec<br />

point d'Ichaf, connu seulement par renseignements, mais en faisant,<br />

de 24 heures, précéder le gros de la colonne, par une patrouille de dé<br />

couverte qui nous éviterait les tâtonnements et ainsi les marches inu<br />

tiles.<br />

Cette patrouille, dont le commandement est donné au maréchal<br />

des Logis Miloud Ben Naceur, quitte le puits le 1er avril en prenant<br />

la direction d'Ichaf et en suivant les traces très anciennes d'un fort<br />

troupeau de chameaux,<br />

qui nous conduiront aux points intéressants<br />

et suivent peut-être une route fréquentée par les caravanes et les<br />

razzieurs.<br />

D'Aouinet Legra à la Sebkha de Tiandjouk<br />

(21 heures 30 de marche)<br />

Toute la colonne part le 2 avril dans la direction Nord-Ouest,<br />

sur les traces du maréchal des Logis Miloud.<br />

La hammada de ce côté est un peu moins desséchée que sur<br />

l'itinéraire suivi du 23 au 26 mars, en raison des dunes qui sont se y<br />

mées cà et là. Mais elle a les mêmes caractères : c'est une série de<br />

kreb,<br />

s'élevant en escaliers de l'Est à l'Ouest et qui nous amènent par<br />

une série de marches au kreb en Neggar de Lenz et à la hammada<br />

d'Aïn-Barka.<br />

Nous avons trouvé encore sur une de ces falaises (bled de Sefi-<br />

hat) des mégalithes, dont les grandes dalles dressées, se projetant en<br />

ligne sur l'horizon, nous sont apparues au loin comme des lignes de<br />

méharistes.<br />

Le 3 avril, nous recoupons, sur la piste Ain Barka Tindouf, les<br />

traces de la Compagnie du Touat.<br />

Le 4 avril, nous arrivons sur les bords ravinés et ensablés d'une<br />

vaste sebkha,<br />

sur cet itinéraire,<br />

c'est la sebkha ele Tiandjouk qui nous a été signalée,<br />

par nos informateurs.<br />

Le pâturage a dû être beau jadis sur le bord de cette sebkha,<br />

mais la sécheresse a tout détruit,<br />

rien à brouter.<br />

Dans la soirée,<br />

nos méharas ne trouvent presque<br />

notre patrouille de découverte vient nous re<br />

joindre. Le maréchal des Logis Miloud a atteint le matin le rebord<br />

occidental du haut plateau du Draa, à 40 kilomètres de la sebkha de


204 RECONNAISSANCE DE LA RÉGION SUD ET SUD-OUEST<br />

Tiandjouk. Il y a trouvé un puits où la caravane, dont nous suivons<br />

les traces, a abreuvé,<br />

mais qui est mort aujourd'hui<br />

Tout le pays qu'il a traversé est, nous dit-il, entièrement sec,<br />

dépourvu de tout pâturage.<br />

Continuer notre exploration vers le Nord dans ces conditions<br />

devient folie. C'est condamner nos méharas,<br />

qui n'ont presque pas<br />

pâturé depuis 3 jours et que la grosse chaleur assoiffé, à un dépéris<br />

sement certain. Il faut renoncer à rejoindre vers le Nord nos itiné<br />

raires de Novembre 1913,<br />

sans risque pour nos montures, l'hiver prochain,<br />

que nous venons de faire.<br />

opération qui sera maintenant facile et<br />

grâce à l'exploration<br />

Je donnai donc l'ordre de la retraite vers Aouinet Legra, re<br />

traite au cours de laquelle nous explorons complètement la hammada,<br />

découvrant à notre Sud, dans la hammada d'Aïn Barka un puits<br />

mort, dans le bled Sefihat un tilmas (point d'eau intermittent) à<br />

sec. Enfin nous nous familiarisons définitivement avec cette région<br />

que nous savons maintenant entièrement désolée, mais où la Compa<br />

gnie de la Saoura pourra circuler dorénavant aussi facilement qu'aux<br />

environs de Béni Abbès.<br />

D'Aouinet Legra à Glib El Ghoul<br />

(17 heures 30 de marche)<br />

Nous quittons Aouinet Legra, où nous sommes rentrés le 7<br />

avril, le 8 au soir pour gagner directement l'Erg Iguidi.<br />

J'ai décidé en effet de terminer l'exploration de la région par la<br />

reconnaissance complète de tout le Regbat el Iguidi, entre Oguilet<br />

Ould Yacoud et Oura el Gueddour.<br />

Le 9 avril, nous arrivons en lisière d'Erg où nous découvrons<br />

deux nebas abondantes.<br />

Le 10 avril, nous passons à Maraboutia,<br />

visité par René Caillé<br />

et bien facilement découvert grâce aux innombrables medjbels<br />

(sentiers) qui y conduisent, sentiers jadis suivis par les grandes<br />

caravanes esclavagistes, mais abandonnés aujourd'hui. Le puits de<br />

Maraboutia est d'ailleurs sans eau et nous ne relevons aux environs<br />

aucune trace importante même ancienne.<br />

. Nous<br />

couchons le soir en vue de Glib El Ghoul, grosse fara noire<br />

qui au milieu du reg qu'enserrent les deux lignes de dunes du Regbat,<br />

el Iguidi, sert de borne indicatrice à tous les guides.


DE L'ERG IGUIDI ET DE LA HAMMADA DE TINDOUF 205<br />

De Glib El Ghoul à Oum El Gueddour<br />

(6 heures 30 de marche)<br />

— Retour<br />

à Tabelbala<br />

Le 11 avril, nous arrivons à Oum el Gueddour, rentrant dans un<br />

pays déjà visité à plusieurs reprises par la Compagnie ele la Saoura.<br />

Le 13 avril, nous reconnaissons, dans la région ele Mouih el<br />

Fahed, deux nouveaux points d'eau,<br />

auxquels nous donnons les<br />

noms des guides qui les découvrent : Haci Miloud, Haci ben Ghiouti.<br />

bala,<br />

Le 18 avril, nous arrivons à Ghemilles, d'où je lançais, vers Tabel<br />

un courrier rapide pour annoncer notre heureux retour et en<br />

lever toute inquiétude à ceux qui nous attendaient et étaient sans<br />

nouvelle de nous, depuis le 25 février.<br />

Le 25 avril,<br />

après une absence de 2 mois,<br />

tout le groupe ele reconnaissance rentrait à Tabelbala<br />

au cours de laquelle il avait parcouru<br />

2.000 kilomètres dont 1.200 kilomètres d'itinéraire entièrement<br />

nouveau.<br />

En terminant cet exposé, je tiens à rendre hommage au courage»<br />

à l'admirable énergie dont tous ont fait preuve,<br />

pendant toute la<br />

durée de la reconnaissance accomplie par la Compagnie Saharienne<br />

de la Saoura.<br />

Pendant ces deux mois ele marches pénibles, il n'est pas un seul<br />

homme qui n'ait fait constamment et vaillamment son devoir, qui<br />

n'ait supporté les extrêmes fatigues de nos périgrinations dans la<br />

hammada de l'Ouest,<br />

sus de tout éloge.<br />

avec une bonne humeur et un entrain au-des<br />

—<br />

RÉSULTATS OBTENUS CONCLUSION<br />

La randonnée accomplie de février à mai par la Compagnie<br />

Saharienne de la Saoura lui a permis de remplir presque complète<br />

ment le programme d'action<br />

j'exposais dès 1913 à la suite ele notre<br />

chan et l'Iguidi.<br />

Nous<br />

saharienne qu'elle s'était tracé et que<br />

reconnaissance vers Chena<br />

connaissons maintenant entièrement tout le secteur dans<br />

lequel nous avons à circuler et à assurer la paix. En novembre-décem<br />

bre 1913, nous avons visité, en vue du Haut Draa, Tinjoub-Tinfichi,<br />

point de départ de tous les grands rezzous du Tafilalet et du Draa.<br />

Nous connaissons toutes leurs étapes jusqu'au Soudan, grâce au tra<br />

vail accompli parallèlement, du Nord au Sud, par la Compagnie de<br />

la Saoura et du Touat,


206<br />

RECONNAISSANCE DE LA REGION SUD ET SUD-OUEST<br />

Nous savons maintenant qu'à l'Ouest de l'Iguidi,<br />

s'étend sur<br />

une largeur de près de 190 kilomètres une hammada désolée, privée<br />

d'eau, qui présente à la circulation des rezzous un obstacle presque<br />

infranchissable ; que ces rezzous ne peuvent sans s'écarter complète<br />

ment de leur direction et sans risquer de se heurter aux bandes en<br />

nemies, venues du Sud-Ouest Marocain,<br />

points d'eau qui aboutit à Tindouf.<br />

Tous les rezzous, dont les traces ont été relevées,<br />

emprunter la ligne des<br />

tant par la<br />

compagnie du Touat que par la compagnie de la, Saoura, sont passés,<br />

sans exception, à leur retour du Soudan, aux puits Grizim, Oulm el<br />

Gueddour, El Guedehat, Mouih el Fahed, qui ne sont pas à plus de<br />

30 kilomètres les uns des autres.<br />

Ces rezzous ont eu la chance de traverser l'Iguidi, en décembre<br />

après le passage du groupe de la Saoura,<br />

connaissance du groupe du Touat vers Tindouf,<br />

nous étions vers Chenachan et Moghit.<br />

en janvier pendant la re<br />

en mars alors que<br />

Mais cette chance qu'a tout rezzou d'échapper, sur de si grandes<br />

étendues, à notre surveillance, serait singulièrement réduite,<br />

groupes, au lieu de ne faire que passer,<br />

si nos<br />

stationnaient régulièrement<br />

à l'époque convenable aux points de passage obligés. Telle était<br />

d'ailleurs l'idée que j'avais déjà exposée dans mes précédents rap<br />

ports.<br />

Si les groupes de la Saoura et du Touat avaient pu stationner de<br />

novembre à avril dans la région Grizim-el Ghcres, au lieu d'y passer<br />

seulement, ils eussent, à coup sûr arrêté quelques-uns des nombreux<br />

rezzous qui y sont passés.<br />

Grâce à la mobilité de ses patrouilles, à l'activité ele son service<br />

de découverte, un groupe méhariste, installé par exemple à Grizin,<br />

peut assurer la surveillance de la lisière Sud ele l'Iguidi,<br />

de 100 kilomètres, de Boubout à Oguilet Ould Yacoub.<br />

sur un front<br />

Les rezzous ne marchent pas à l'aveuglette. A coup sûr ils ne<br />

viendront pas se heurter au groupe installé au puits. Us l'éventeront<br />

et tâcheront de lui échapper soit à droite soit à gauche. Mais ces<br />

mouvements, en lisière d'Erg,<br />

ne peuvent échapper à un service d'ex<br />

ploration bien fait. Bien renseigné, le groupe peut prendre la poursui<br />

te et il a bien des chances, sur les 300 kilomètres qui lui resteraient à<br />

parcourir vers le Nord pour regagner Tinjoub, de rattraper un rezzou<br />

alourdi par un troupeau de prises.<br />

Ainsi donc la police de cette région du Sahara serait assurée.<br />

Ce serait, là un service pénible pour les groupes qui en seraient char<br />

gés, mais qui serait peu de chose, si les deux compagnies de la Saoura


DE L'ERG IGUIDI ET DE LA HAMMADA DE TINDOUF 207<br />

et du Touat, renforcées d'un peloton de méharistes, se relayaient pour<br />

l'assurer.<br />

La reconnaissance de la région Aouinet Legra-Tindouf nous a<br />

amenés au contact des rezzous qui, partant du Sud Marocain, vont<br />

désoler la Mauritanie. Nous avons pu faire contre eux œuvre effec<br />

tive de police. Les traces nombreuses que nous avons laissées bien<br />

au delà de Tindouf ne manqueront pas d'inspirer une salutaire crainte<br />

à tous les bandits.<br />

Mais il ne semble pas que notre action puisse se faire sentir<br />

bien efficace dans cette région de Tindouf,<br />

d'opération.<br />

si éloignée de notre base<br />

Il nous serait utile incontestablement d'aller à Tindouf, pour y<br />

entrer en relation avec les Tadjakants qui nous rendraient de grands<br />

services comme guides et avec lesquels nous avons des chances de<br />

nouer des relations commerciales. Mais il est à craindre que les Regui<br />

bat, qui sont en Mauritanie nos ennemis acharnés,<br />

ne pardonnent<br />

pas au Tadjakants le bon accueil qu'ils nous feraient sans doute à<br />

Tindouf.<br />

Notre visite dans cette oasis où nous ne pourrions songer à nous<br />

installer définitivement peut avoir comme conséquence son évacua<br />

tion immédiate. C'est une éventualité à laquelle il faut s'attendre et<br />

que nous n'aurions pas la possibilité d'empêcher.<br />

C'est qu'en arrivant à Tindouf, il semble que nous touchons à un<br />

monde nouveau. Géographiquement (voir appendice 1), c'est une<br />

chose qui frappe que la différence d'asjaect, de flore et même ele faune<br />

existant entre nos hammadas et le haut plateau qui s'étend à l'Ou<br />

est de Tindouf et d'où sort l'Oued Seguia (Seguiat el Hamra).<br />

Nous tombons là dans un sahara relativement peuplé qui semble<br />

prolonger, très au Nord et presque jusqu'au Draa, le pays soudanais.<br />

Serâit-il prudent,<br />

serait-il même de bonne politique de chercher<br />

à prendre contact avec les Reguibat, les Ait Ouassa, etc.., qui peu<br />

plent cette région, je ne le crois pas.<br />

Nos groupes méharistes malgré leur valeur très certaine seraient<br />

peut-être d'effectif un peu faible pour s'assurer la maîtrise d'un pays<br />

occupé par des tribus qui peuvent, dit-on, mettre en ligne plus d'un<br />

millier de fusils.<br />

On pourrait être tenté d'exercer contre ces tribus des représail<br />

les, faire contre elles des razzias qui vengeraient nos camarades ele<br />

Mauritanie, opération dont la rapidité assurerait le succès : mais se<br />

rions-nous assurés du succès ?


208 RECONNAISSANCE DE LA RÉGION SUD ET SUD-OUEST<br />

Cela n'est pas certain si l'on se remémore les aventures de grands<br />

rezzous Chaamba et Doui-Menia composés cependant de gens aguer<br />

ris, qui à plusieurs reprises ont essuyé, dans la région du Bou Garfa<br />

Daiat el Khodra, des échecs sanglants. Et de quelle conséquence<br />

serait le moindre insuccès à 1 . 200 kilomètres de tout secours ?<br />

Enfin nos opérations militaires pourraient venir à contre temps<br />

de la politique suivie par les autorités françaises de Mauritanie.<br />

Il me semble que nous arrivons, pour le moment, à Tindouf à<br />

la limite extrême de notre action Saharienne-Algérienne dans l'Ouest.<br />

Est-ce dire que notre rôle dans cette région est terminé ? Loin de<br />

là. Le travail ne nous y manque pas puisqu'il reste à parcourir toutes<br />

les routes joignant, par Tindouf, le Draa au Soudan et à la Mauritanie.<br />

Nous avons enfin à reconnaître encore les itinéraires qui, suivant<br />

l'Iguidi, nous permettront un jour d'aller vers Oualata, les sebkhas<br />

de Zemmour et d'Idjil, tendre la main aux méharistes de Mauritanie,<br />

mener enfin nos méharistes jusqu'à l'Atlantique.<br />

Béni Abbès, le 5 juin <strong>1919</strong>.<br />

Le Capitaine MARTIN,<br />

Commandant la Compagnie Saharienne de la Saoura,<br />

Chef de l'Annexe de Béni Abbès,<br />

APPENDICE N°l<br />

Esquisse géographique des pays traversés par la reconnais<br />

sance de la compagnie saharienne de la Saoura, du 25 février<br />

au 25 avril 1914<br />

Iguidi. —<br />

La<br />

région traversée par le groupe de reconnaissance<br />

de Tabelbala à Boubout est déjà bien connue. Elle a déjà fait l'ob<br />

jet de l'étude jointe au rapport de la tournée de la Compagnie sa<br />

harienne de la Saoura en mars-avril 1913.<br />

Notre itinéraire traverse tout d'abord le Kahal (1 ) Tabelbala,<br />

dont le passage autrefois difficile est aujourd'hui facilité par le beau<br />

travail de route qu'a exécuté, l'hiver dernier, la petite garnison saha<br />

rienne de Tabelbala. Une fois franchi le Djebel Bet Tadjine, nous en<br />

trons dans l'Erg Iguidi, pour boire au puits très abondant de Khet-<br />

tamia.<br />

(I) Kahal, montagne,<br />

ment la partie supérieure du dos.<br />

en dialecte saharien occidental. Signifie littérale


DE L ERG IGUIDI ET DE LA HAMMADA DE TINDOUF 209<br />

De Khettamia la reconnaissance a pris la direction de Chouikhia,<br />

sans s'inquiéter du puits ele Bent Zohra, qui était en dehors de notre<br />

route et qui, en partie effondré, est à peu près inutilisable pour une<br />

forte troupe de méharas.<br />

Ainsi nous avons traversé une partie ele l'Iguidi qui ne nous était<br />

pas encore connue, et vérifié, une fois de plus, combien parait exacte<br />

l'hypothèse que nous avons précédemment émise des lacs Iguidiens.<br />

Dans tout l'Erg, qui s'étend entre Khettamia et Chouikhia, -la<br />

dune est excessivement rare, peu élevée ; partout apparaît le sol an<br />

cien, plateau d'argile rougeâtre qui ne peut être qu'un fond lacustre<br />

et qui se trouve à une altitude d'environ 100 mètres au-dessous du<br />

puits de Khettamia, situé à la lisière Nord de la dépression.<br />

Sur ce sol desséché qui, depuis des millénaires, est balayé, usé<br />

par le vent, apparaissent les pierres qui seules ont résisté au décapage<br />

intense. Ce sont presque toutes des pierres polies ou taillées. Elles se<br />

trouvent en certains endroits en si grande quantité, qu'elles peuvent<br />

être ramassées en ciuelque sorte à poignée. Les haches polies, les<br />

plats creusés dans les lames de grès, les débris de poterie, voisinent<br />

avec des pointes de flèches de tous modèles, certaines d'un travail<br />

et d'un fini admirables.<br />

Il semblerait que ce sont là les vestiges d'habitations lacustres<br />

d'une extrême importance, mis à jour par le dessèchement et l'af-<br />

fouillement éolien des dépôts alluvionnaires des marais disparus.<br />

Toute la partie Nord de cette région de l'Iguidi est d'ailleurs dé<br />

pourvue de points d'eau et la végétation, en raison de la constitution<br />

argileuse du sol, est rare. y<br />

C'est seulement à 40 kilomètres environ de la lisière Sud de l'Erg<br />

qu'apparaissent, en très grand nombre, les nebas (sources dans le<br />

sable)<br />

comme Chouikhia. Dans cette partie de l'Iguidi, les dunes sont<br />

fort élevées et recouvrent davantage le sol ancien, qui est constitué<br />

par un plateau d'argile à ton grisâtre renfermant une quantité in<br />

croyable de coquillages subfossiles ; c'est là, encore, un fond lacustre.<br />

A certains endroits, le décapage du sol par le vent a été si intense, que<br />

les coquillages seuls subsistent,<br />

centimètres.<br />

sur une épaisseur de parfois 0,50<br />

Le travail des eaux souterraines, peut-être artésiennes, qui ap<br />

paraissent en surface dans les nebas, a provoqué en de nombreux en<br />

droits, dans le sol argileux, de vastes effondrements aux bords à pic<br />

au fond desquels on trouve généralement l'eau à faible profondeur.<br />

Le puits de Boubout est un exemple de cette formation.


210 RECONNAISSANCE DE LA RÉGION SUD ET SUD-OUEST<br />

Non loin de Chouikhia,<br />

argileuse d'un de ces effondrements,<br />

contre le rebord et dans la poussière<br />

découvrir des morceaux de défense d'éléphant ( ?)<br />

nous avons eu la surprise de<br />

de très grande<br />

taille. Je ne crois pas que ce soit là un objet perdu jadis par une ca<br />

ravane soudanaise. Ces défenses semblaient bien provenir du dépôt<br />

alluvionnaire. L'ivoire était complètement fossile,<br />

réduit à l'état de<br />

craie très friable. Ce sont là, à n'en point douter, les restes d'un ani<br />

mal qui devait vivre, dans ces régions, aux temps quaternaires an<br />

ciens. Cet éléphant fut sans doute le contemporain de ces hommes qui<br />

travaillaient la pierre avec une habileté qui nous paraît aujourd'hui<br />

incroyable.<br />

Cette découverte tend à prouver une fois de plus que le Sahara<br />

central a été jadis, aux temps préhistoriques,<br />

peut-être même à une<br />

époque historique récente, un pays arrosé, habitable à l'homme,<br />

couvert certainement d'une végétation très abondante.<br />

— Les Eglabs. La<br />

route de Boubout à Chenachan,<br />

suivie par le<br />

groupe de reconnaissance, avait été déjà parcourue par nous en<br />

mars 1913,<br />

mais dans des conditions particulièrement favorables et<br />

qui nous avaient bien trompés sur l'aspect général du pays.<br />

Les pluies abondantes, tombées au cours de l'hiver 1912-1913,<br />

avaient permis aux plantes herbacées de prendre dans cette région<br />

un développement tout à fait extraordinaire.<br />

Nous avions trouvé tous les Oueds, toutes les dépressions, les<br />

montagnes même,<br />

couverts d'une variété infinie de plantes. Cette<br />

année au contraire, soit faute de pluies, soit peut-être du fait du froid<br />

intense que nous avons subi partout au Sahara l'hiver dernier, la<br />

végétation faisait complètement défaut. Et le massif granitique et<br />

volcanique des Eglabs nous est apparu comme un affreux désert de<br />

pierres où nos méharas n'ont, nulle part, trouvé à subsister, sauf aux<br />

environs du puits de Moghit.<br />

De ce point à Regbat el Iguidi la région traversée appartient<br />

encore aux Eglabs. C'est un immense glacis rocheux, d'aspect assez<br />

varié, semé de petits massifs montagneux. Région désolée s'il en fut,<br />

aux horizons illimités et déconcertants, dépourvue presque complè<br />

tement de végétation.<br />

A 100 kilomètres à l'Ouest de Moghit, apparaît le pays que les<br />

indigènes appellent, en raison de son aspect, El Karet (le papier).<br />

C'est un immense plateau de quartzite, d'un blanc éclatant, parfaite<br />

ment uni et sur lequel ne se trouve absolument aucune végétation,<br />

si ce n'est quelques cedras (faux jujubiers) qui ne se rencontrent nulle


DE 1,'ERG IGUIDI ET DE LA HAMMADA DE TINDOUF 211<br />

part ailleurs clans le Sahara méridional et dont je n'avais jamais vu,<br />

clans l'annexe de Béni Abbès, aucun échantillon au Sud d'Igli.<br />

Les plateaux d'El Karet semblent, au loin,<br />

étendue neigeuse.<br />

Entre les derniers contreforts des Eglabs,<br />

comme une vaste<br />

marqués par l'Hank<br />

el Kseib, la gara Delim, la gara O. Delim et le Regbat el Iguidi, un<br />

reg (vaste étendue de sable fin) s'étale sur une largeur d'une cinquan<br />

taine de kilomètres. Du sol émergent, en grosses boules, les sommets<br />

arrondis et unis, presque jusqu'au niveau du sol, des derniers soulè<br />

vements granitiques.<br />

On donne le nom ele Regbat el Iguidi (col de l'Iguidi)<br />

à la bande<br />

de dunes de 40 kilomètres de largeur environ qui s'étend de Grizim<br />

à Bir el Abbès. Au Nord de Grizim nous trouvons El Ouahila (le<br />

bourbier). Au Sud de Bir el Abbès, l'Erg Moughtir, qui s'étend jus<br />

qu'en Mauritanie. Regbat el Iguidi est formé par quatre bras de<br />

dunes parallèles de 1 . 500 mètres de large environ, orientés du Nord-<br />

Est au Sud-Ouest et séparés par de vastes gacis (terrains durs) de<br />

terrains carbonifères aux teintes noirâtres.<br />

Dans les deux bras de dunes centraux, l'eau se trouve partout<br />

en abondance, en puits ou à fleur du sol, elle est souvent magnésienne,<br />

voire même salée. Ce sont les puits de Oglat Touila, Bir el Abbès, les<br />

nebas de la région d'Oguilet Yacoub, Maraboutia. Signalons que ce<br />

puits, qui fut autrefois très fréquenté et était une des étapes connues<br />

des caravanes du Soudan,<br />

est aujourd'hui mort. D'innombrables<br />

sentiers, encore très bien marqués, y conduisent, jalonnés au Nord<br />

par le Glib el Ghoul, énorme gara qui est, pour les voyageurs, un<br />

signal d'orientation des plus précieux.<br />

Au total le Regbat el Iguidi ne diffère guère comme aspect et<br />

comme caractère de toute la lisière Sud de l'Iguidi. Les dunes y sont<br />

seulement moins denses et moins élevées.<br />

C'est une région qui fut autrefois très fréquentée des Reguibat ;<br />

aussi, certains de nos guides l'appellent-ils Reguibat el Iguidi (Iguidi<br />

des Reguibat) au lieu de Regbat, D'autres tribus du Sahel y venaient<br />

nomadiser, tels que Ouled Delim, ces maures, auxquels se confia,<br />

en 1887, au cap Carnet, l'explorateur Camille Douls et qui ont laissé<br />

leur nom à l'un des derniers sommets des Eglabs.<br />

C'est cette partie de l'Iguidi que traversa, en 1880, le voyageur<br />

Oscar Lenz. On peut même affirmer si l'on se rapporte à sa descrip<br />

tion, que c'est au puits même d'Oguilet Ould Yacoub qu'il séjourna.<br />

Comme lui, ,dans<br />

nous avons été témoins<br />

nomène assez rare des sables sonores.<br />

cette<br />

région, du phé<br />

6


212 RECONNAISSANCE DE LA REGION SUD ET SUD-OUEST<br />

Comme lui, nous avons pu y admirer de grands troupeaux d'an<br />

tilopes Addax (Beguer el Ouach) paissant comme des bœufs dans<br />

les pâturages de la dune.<br />

Hammada Aouinet- Legra. —<br />

Immédiatement<br />

à l'Ouest du Reg<br />

bat el Iguidi, s'étend un grand reg semé d'affleurements granitiques,<br />

analogue à celui qui s'appuie à l'Est aux Eglabs; c'est cette région<br />

entièrement dépourvue de végétation que les nomades Sahariens<br />

appellent le bled Ietti.<br />

Au-delà du bled Ietti, le sol se relève insensiblement et l'on<br />

arrive aux premières assises de la hammada qui monte par étage<br />

jusqu'au plateau du Draa.<br />

Cette hammada est constituée par une série de rides rocheuses<br />

orientées Nord-Est Sud-Ouest, de constitution géologique variée,<br />

primaire et secondaire aux étages inférieurs, tertiaire au sommet ;<br />

on dirait les marches d'un gigantesque escalier en dents de scie.<br />

\ beraho^<br />

SMa, Je Zin.doJ><br />

K^ë în. Il* }«t<br />

d'Ain l*Xrlt\tb tt Sifiti<br />

I<br />

Y-«6 II Aiéed.<br />

SCHEMA DE LA HAMMADA ENTRE TINDOUF ET AOUINET LEGRA<br />

Au pied de chacune de ces marches court une dépression (oued<br />

ou sebkha) que les indigènes appellent djouf (creux).<br />

Cette même dépression se retrouve, mais beaucoup moins nette<br />

clans la partie de la hammada située entre Tounassin et Tinfichi.<br />

Cette hammada, dont la configuration est si spéciale, a, d'une<br />

façon générale, le caractère des hammadas de la région de Eeni<br />

Abbès et du Guir, vastes plateaux rocheux, décapés par le vent et à<br />

peu près complètement dépourvus de végétation. Elle est, d'ailleurs,<br />

remarquablement vide.<br />

Si nous en croyons nos informateurs, un certain nombre de<br />

puits en facilitaient autrefois la traversée. Ainsi que nous avons. pu


DE L'ERG IGUIDI ET DE LA HAMMADA DE TINDOUF 213<br />

le constater, ces puits sont, aujourd'hui, morts. Seuls demeurent<br />

Aouinet Legra, Ain Barka.<br />

Aouinet Legra ou Ben Legra est une source à débit abondant<br />

qui sourd sur le bord oriental du djouf d'El Aouina au milieu d'un<br />

bouquet de palmiers. Le djouf El Aouina est une vaste dépression<br />

(peut-être un oued coulant jadis vers le Sud) légèrement ensablée et<br />

couverte d'une belle végétation.<br />

A côté de la source, on distingue encore les restes d'un jardin<br />

jadis cultivé, dit-on, par ce Ben Legra qui lui a donné son nom.<br />

D'assez nombreuses tombes, évidemment musulmanes, attes<br />

tent que le pays a été fréquenté à une époque historique récente.<br />

Mais ce qui caractérise surtout ce pays, c'est la quantité incroyable<br />

de tombes et de monuments préhistoriques qui s'y trouvent.<br />

Toute la rive orientale du Djouf el Aouina est garnie de ces<br />

tombeaux préhistoriques, les « bazina », assez communs clans les<br />

pays sahariens, mais qu'il est rare d'y trouver réunis en aussi grand<br />

nombre.<br />

Les pierres taillées, les débris de toute nature (colliers, ornements»<br />

ustensiles)<br />

abondent autour de ces tombeaux.<br />

En outre, dans toute la région, se dressent généralement, au<br />

sommet des Kreb, des monuments mégalithiques très curieux ; ils<br />

sont surtout abondants et remarquables par leurs proportions Gi<br />

gantesques sur le Kreb situé à 30 kilomètres environ à l'Ouest d'Aoui<br />

net Legra. Ils se dressent là, de l'Est à l'Ouest,<br />

sur une largueur de<br />

plus de 20 kilomètres en lignes successives qui semblent, au loin,<br />

des groupes de cavaliers ou de méharistes. Aucun voyageur n'avait<br />

encore signalé cette particularité remarquable de ce pays. Je ne crois<br />

pas non plus qu'il existe nulle part, dans l'Afrique du Nord, une réu<br />

nion aussi importante de monuments de ee genre.<br />

Ils sont constitués par de gigantesques dalles de 3 à 4 mètres de<br />

hauteur et de 1 mètre de largeur, dressées autour d'une ellipse d'en<br />

viron 8 mètres de diamètre principal. Un seuil s'y distingue assez<br />

nettement.<br />

Cette muraille supportait sans doute une toiture également en<br />

dalles, dont les débris sont visibles au centre de la construction.<br />

Nous n'avons pas eu le temps de faire, autour de ces curieux<br />

édifices, des recherches,<br />

ver quelques armes ou ustensiles en pierre.<br />

qui nous eussent sans doute permis de trou<br />

Mais je crois que l'on peut néanmoins affirmer qu'ici, comme<br />

dans l'Iguidi, des êtres humains ont séjourné aux âges préhistoriques<br />

en groupements très importants et sédentaires.


214 RECONNAISSANCE DE LA RÉGION SUD ET SUD-OUEST<br />

Cependant, le pays est aujourd'hui absolument inhabitable à<br />

l'homme et ses mégalithes sont édifiés dans un affreux désert sans<br />

végétation et sans eau. Comment expliquer une transformation aussi<br />

complète du climat ?<br />

Zones des Sebkhas.— A l'ouest du dernier étage de la hammada<br />

(hammada d'Ain Barka), court une vaste dépression, formée par un<br />

chapelet de bassins sans communication les uns avec les autres, dans<br />

lesquels viennent se collecter les eaux du haut plateau de Tindouf<br />

et du Draa.<br />

L'évaporation de ces eaux, chargées de sulfate et ele chlorure,<br />

a donné naissance, en certains endroits, à de vastes sebkhas qui for<br />

ment une ligne continue, au bas du haut plateau du Draa.<br />

Elles se retrouvent au Nord entre l'Iguidi et Tinjoub ; au centre,<br />

ce sont les sebkhas de Tiandjouk et de Tindouf;<br />

plus au Sud. c'est<br />

toute une ligne de Daya (dépressions commençant à la Daya el Kha-<br />

dra et se prolongeant vers la sebkha de Zemmour).<br />

ractère.<br />

Une fois franchie cette ligne ele Sebkha, le pays change de ca<br />

— Haut-Plateau du Draa et de Tindouf. C'est<br />

d'abord une région<br />

de collines marneuses, blanchâtres, profondément découpées par des<br />

oueds importants. Puis, par des pentes insensibles,<br />

on parvient à<br />

700 mètres d'altitude environ, sur l'immensité d'une hammada unie<br />

comme un miroir, mais qui n'est pas, comme celle traversée depuis<br />

l'Iguidi,<br />

un désert de pierres arides.<br />

C'est évidemment ici le prolongement du haut plateau du Draa,<br />

traversé au Sud de Tinjoub (reconnaissance de la Compagnie Saha<br />

rienne ele la Saoura, dans la région de Tinjoub-Tinfichi, rapport<br />

manuscrit, appendice 1, page VIII) mais combien différent de ce<br />

qu'il est à 300 kilomètres plus au Nord !<br />

Ici nous constatons avec Lenz (voir Tindouf, T. II, page 31) que<br />

le sol y est cultivable, que les végétaux y sont variés ; les talhas (gom<br />

miers), très nombreux, y forment de véritables bois.<br />

Enfin, le gibier y abonde, surtout l'antilope mohor (dama mohor)<br />

qui fait cependant partie de la faune du Soudan. Ce plateau, dont<br />

l'aspect général est celui du plateau des Dayas de la région de La-<br />

ghouat, mais avec plus de végétation, marque la transition entre le<br />

Sahara proprement dit et la région de brousse, qui s'étend au Nord<br />

du Sénégal et du Niger,<br />

et le Sahcl Mauritanien.<br />

Il profite, évidemment, du voisinage relatif de l'Atlantique et<br />

est certainement plus arrosé que toute In zone saharienne située à


DE L ERG IGUIDI ET DE LA HAMMADA DE TINDOUF 215<br />

l'Est sur le même parallèle. Au reste, c'est de là que descendent les<br />

affluents de l'oued Seguia (Seguiat el Hamra), qui traverserait, au<br />

dire de nos informateurs, une région fertile, riche en céréales et en<br />

troupeaux, habitée par une population assez dense.<br />

Flore et Faune des régions visitées.<br />

— Notre<br />

randonnée ne pré<br />

sente aucun intérêt particulier, au point ele vue de l'étude ele la flore<br />

saharienne.<br />

Toute la région que nous avons traversée,<br />

complètement des<br />

séchée par le manque de pluie, ne présentait que des plantes vivaces,<br />

communes dans tout le Sahara.<br />

J'ai signalé plus haut, cependant, la présence assez singulière<br />

de cedra, appelé vulgairement jujubier (ziziphus lotus)<br />

El Karet.<br />

dans le bled<br />

En ce qui concerne la faune, comme toujours, les hammadas nous<br />

sont généralement apparues complètement désertes.<br />

Dans les ergs au contraire,<br />

tous les animaux sahariens abondent,<br />

Dans tout le Sud de l'Iguidi et dans le Regbat el Iguidi,<br />

habituelle au Sahara,<br />

outre la faune<br />

notons la présence de grands troupeaux d'an<br />

tilopes Addax. Nous avons toutefois remarqué que, dans la région<br />

de Boubout, leur nombre avait, depuis l'année dernière, beaucoup<br />

diminué, sans doute en raison de la proximité du groupe mobile de<br />

la Compagnie du Touat, installé au Menakeb.<br />

On peut prévoir que ces antilopes disparaîtront complètement<br />

de cette région, le jour où nous y séjournerons régulièrement,<br />

si des<br />

mesures ne sont pas prises pour leur protection. Rien n'est plus facile<br />

à approcher et à tuer que ces animaux à la démarche et à la physio<br />

nomie stupides.<br />

Dans la région d'Oguilet Ould Yacoub, un chasseur qui voudrait<br />

s'adonner à leur destruction pourrait en tuer journellement, jusqu'à<br />

épuisement de ses munitions.<br />

Les autruches sont également assez nombreuses dans le Regbat<br />

el Io-uidi. Nous en avons relevé plusieurs traces récentes,<br />

mais ces<br />

volatiles, très méfiants, ne se laissent jamais approcher du chasseur.<br />

Dans la hammada du Draa, au milieu du gibier Saharien habi<br />

tuel,<br />

nous avons remarqué l'antilope mohor qui ne se rencontre pas<br />

ailleurs dans le Sahara occidental.<br />

Habitants. —<br />

Tout<br />

le pays que nous avons traversé est vide<br />

d'habitants. C'est bien le désert au sens exact du mot. A part les<br />

djicheurs arrêtés vers Tindouf et Aouinet Legra et qui n'étaient,


216 RECONNAISSANCE DE LA RÉGION SUD ET SUD-OUEST<br />

comme nous, que des passagers,<br />

qui vive.<br />

nous n'avons nulle part trouvé âme<br />

Le Sahara central est un pays où l'on passe,<br />

mais où l'on ne<br />

s'arrête pas. Cependant, si nous en croyons nos informateurs, l'Iguidi<br />

et ses hammadas furent fréquentés jadis par les Aribs et les Tadja<br />

kants du Draa, les Reguibat, les Ait Oussa, les Ouled Delim de la<br />

Seguiat el Hamra. Nous avons encore trouvé, cà et là, des traces<br />

très anciennes de leurs campements.<br />

En 1828, René Caillé signalait déjà le vide complet du Sahara<br />

central ; Oscar Lenz, en 1880, le constate encore ; cet abandon n'est<br />

donc pas récent. L'insécurité en est un peu la cause, mais le dessèche<br />

ment progressif du sol qui se mesure au nombre considérable de puits<br />

jadis fréquentés, aujourd'hui à sec, y a plus contribué encore.Chaque<br />

jour, le soleil et les vents brûlants, la sécheresse parachèvent leur<br />

œuvre de destruction et font de plus en plus de c:ette région, le pays<br />

du vide et de la mort.<br />

Béni Abbès, le 5 juin 1914.<br />

Le Capitaine MARTIN,<br />

Commandant la Compagnie Saharienne de la Saoura,<br />

Chef de l'Annexe de Béni Abbès.


ETHNOGRAPHIE<br />

TRADITIONNELLE<br />

de la Mettidja<br />

L'ENFANCE<br />

CHAPITRE III<br />

Le quarantième jour<br />

Quarante jours après la naissance, la coutume veut que le nouveau-<br />

né et ses parents soient astreints à remplir certaines obligations tra<br />

ditionnelles, dont quelques-unes ne sont pas totalement inédites.<br />

Pour la région de Blida, j'ai décrit ailleurs le « bain du quarantième<br />

jour», «la présentation de l'enfant au Saint local» et le sacrifice votif<br />

d'un taureau en reconnaissance et rémunération d'un enfant « acheté »<br />

à un ouali (1). Au Maroc, à Demnat, «lorsqu'un mois et dix jours se<br />

sont écoulés» après la naissance d'un enfant,<br />

on le conduit avec<br />

apparat chez le Marabout, qui le rase et le tatoue (2). Nous savons<br />

qu'à Tlemcen, « les cérémonies qui accompagnent la naissance se<br />

terminent par un grand repas, le 408 jour» (3). A Ghat, « la mère<br />

qui est restée quarante nuits chez ses parents» rentre chez son ma<br />

ri ce jour-là (4).<br />

(1) Coutumes, institutions, croyances des indig nés de l'Algérie ; édition<br />

1905, p. 109 ; édit. 1912, p. 17-24.<br />

(2) Boulifa, Texteî berbères en dialecte de l'Atlas Marocain, p. 35<br />

(3) Bel, la Population musulmane de Tlemcen.<br />

(4) Nehlil, Etude sur le dialecte de Ghat, p. 89.


218 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

A ces témoignages écrits il conviendrait d'ajouter nombre d'in<br />

formations orales qui nous signalent des usages du même genre en<br />

maints endroits de l'Afrique du Nord. Les habitants de Constantine<br />

ont, dans leur langue, un mot particulier pour désigner l'ensemble<br />

des pratiques quadragésimales, reVania : ce qui suppose qu'elles<br />

forment, chez eux, un groupe caractérisé. Mazouna, Alger, Tizi-<br />

Ouzou, Fort-National, Dra-el-Mizan, Tebessa, Tunis en connaissent<br />

au moins les rites essentiels : les bains et la visite au santon. Il faut<br />

admettre que la solennisation du quarantième jour est une coutume,<br />

sinon générale, comme il est vraisemblable, du moins fort répandue<br />

dans l'Afrique du Nord.<br />

Or, cette coutume, d'un caractère pourtant essentiellement reli<br />

gieux,<br />

ne se rattache nullement à la religion actuelle du pays. Pour<br />

l'Islam, il n'est qu'une fête de l'enfance, après celle de l'octave, c'est<br />

celle de la circoncision. Devons-nous y reconnaître une<br />

survi<br />

de l'époque antérieure à l'islamisation du pays ? Elle fait penser<br />

fatalement aux quarante jours de purification enjoints aux femmes<br />

juives, à la présentation au temple et au sacrifice d'expiation de la<br />

loi hébraïque (Lévitique, eh. XII ; St Luc, ch. II). Nos mauresques,<br />

bien entendu, nient toute imitation et répudient toute accointance<br />

avec le Judaïsme.<br />

Elles préfèrent reconnaître une relation entre ces fêtes du quaran<br />

tième jour et leur retour de couches. C'est le rétablissement de la<br />

mère qui détermine sa première sortie et, par suite, la première sortie<br />

de l'enfant. A cette date, tout danger passe pot.r définitivement<br />

écarté. La veille du quarantième jour, c'est l'habitude à Blida<br />

que la nouvelle accouchée fasse cuire du pain azyme et qu'elle fasse<br />

acheter des figues, afin de distribuer le lendemain aux pauvres ces<br />

deux éléments consacrés de l'aumône funéraire. On dit textuellement<br />

« qu'elle l'ait l'aumône sur sa tombe (tçeddeq'ala qberha) parce<br />

qu'elle a échappé à la mort». D'après un dicton courant, dans la<br />

nuit du quarantième jour, le tombeau de l'accouchée, qui était resté<br />

ouvert jusque-là, se referme. A Cherchcll, dans la même occasion,<br />

en manière d'action de grâces sans doute, la nouvelle accouchée doit<br />

servir un plat de couscouss aux indigents. Il est certain que, dans le<br />

Sahel algérois, tout comme dans certaines campagnes de France,<br />

par exemple de l'Ardèche, où il est le jour traditionnel des rclevailles,<br />

ce quarantième joui-<br />

représente le terme des six semaines que nos<br />

médecins assignent à la période du pmt partant.<br />

Cependant, il ne faudrait pas croire que c'est la nature seule qui<br />

a imposé le choix du quarantième jour, Nous voyons dans Haedo


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 219<br />

que, de son temps, à Alger, la visite aux bains avait lieu le septième<br />

jour. « Sept jours après l'accouchement, dit-il, (Revue africaine, 1871<br />

p. 103),<br />

on invite la famille et les amis à un repas à la suite duquel<br />

on emmène la nouvelle accouchée aux bains.» De nos jours même,<br />

à Blida, il n'est pas rare de rencontrer des femmes qui se rendent à<br />

leur bain de purification quatorze jours après leurs couches, « à la<br />

vieille mode ». Ces faits prouvent que les lois naturelles ne réglemen<br />

tent pas seules les usages : ceux-ci se conforment plus complaisam-<br />

ment aux supertitions qu'aux nécessités physiologiques elles-mêmes.<br />

C'est ainsi que dans la coutume qui nous occupe, comme dans<br />

toutes les coutumes populaires, à des raisons positives se mêlent<br />

des considérations mystiques. La fixation de ce jour a été influencée<br />

certainement par le caractère sacré du nombre quarante. On a<br />

signalé le prestige magique de ce chiffre en Algérie (Doutté, Mag. et<br />

Rel., p. 188). Il serait facile de relever les preuves de la prédilection,<br />

dont il jouit, dans les contes, les légendes sacrées, toutes les concep<br />

tions du peuple. Mais c'est surtout dans la physiologie traditionnelle<br />

de l'homme que la computation quadragésimale affirme sa prépon<br />

dérance. Quand Allah voulut créer notre premier père, il ordonna<br />

à Ridouân, l'ange du Paradis, de pétrir une poignée de terre ; puis<br />

il attendit quarante ans que cette terre eût pris de la cohérence, et<br />

quarante ans encore,<br />

qu'elle prît la finesse de la pâte à potier. Le<br />

corps d'Adam une fois façonné, Dieu le jeta sur le chemin que suivent<br />

les anges pour descendre sur la terre et en remonter,<br />

et ce corps<br />

encore inanimé y resta exposé quarante ans. L'embryologie musul<br />

mane savante, et populaire aussi, veut que le germe,<br />

journé quarante jours dans le sein de la mère,<br />

quand il a sé<br />

soit porté devant<br />

Allah par un ange qui lui dit : « Crée, ô créateur suprême!». . «Et<br />

Dieu accomplit alors en lui ce qu'il a décidé. » Après cela, pendant<br />

quarante autres jours, le fœtus se forme, s'organise ; les différents<br />

membres y apparaissent dans un ordre qui varie suivant les auteurs,<br />

mais dans un temps qui a été fixé par un mot du Prophète : « Chacun<br />

de vous, a-t-il dit,<br />

le sein de sa mère. » Dans un autre hadits du Prophète, on trouve cette<br />

assemble son organisme en quarante jours dans<br />

série : « Pendant quarante jours, on reste liquide (ivjt'fa) ; pendant<br />

quarante autres, grumeau de sang (alaqa) ; pendant quarante autres,<br />

morceau de chair (modgha). Alors Dieu envoyé un ange qui insuffle<br />

l'âme au fœtus. » VA Qort'oubi,<br />

du Pèlerinage,<br />

clans un commentaire de la sourate<br />

fait remarquer que ces trois phases ele quarante jours<br />

forment un total ele quatre mois et que c'est dans le dixième jour<br />

du cinquième mois que la vie est insufflée ; et il ajoute : « C'est, sans


j<br />

220 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

conteste,<br />

cette considération qui a déterminé la durée de la retraite<br />

légale pour la femme qui a perdu son mari.» (1) La grossesse dure<br />

quarante semaines, ou neuf mois,<br />

plus quelques jours d'attente. A<br />

i notre époque la jeunesse de l'homme est fixée à quarante ans ;<br />

passée cette date, il prend le nom de chikh, de vieillard. Un hadits<br />

du Prophète déclare le musulman qui a atteint la quarantaine af<br />

franchi de la crainte des génies, de l'éléphantiasis et de la lèpre. Le<br />

peuple croit effectivement à l'immunité du quadragénaire contre les<br />

coups des génies. Autrefois, aux premiers temps de l'humanité,<br />

c'est-à-dire pour les simples «avant l'hégire», l'homme jouissait<br />

de la jeunesse deux fois plus longtemps : il ne touchait à sa maturité<br />

qu'à quatre-vingts ans. Joseph, fils de Jacob, le type de la perfection<br />

physique, vécut, dit-on, cent-vingt ans, trois fois quarante années.<br />

Quarante jours avant notre mort, la feuille qui porte notre nom se<br />

détache de l'Arbre des vivants, de l'arbre où chacun de nous a sa<br />

feuille. On dit aussi que le qrîne, (sorte de double,<br />

qui naît avec<br />

i l'homme), expire quarante jours avant lui. La mort est triple ou, si<br />

J l'on veut, elle s'effectue en trois temps : premier, troisième (d'autres<br />

{ disent septième) et quarantième jour ; la séparation n'est complète<br />

i<br />

i<br />

qu'après ce quarantième jour, nommé le jour du feraq<br />

ou de la rup-<br />

ture. L'âme, qui abandonne le corps ce jour-là, fréquente cependant<br />

; par intervalles le lieu où ce corps est enterré ;<br />

ces retours n'ont lieu<br />

L que pendant quarante ans après l'inhumation. Enfin, le moment de<br />

la Résurrection venu, Allah donnera un ordre au ciel et une pluie<br />

spéciale de nature fécondante, tombera ; cette pluie durera quarante<br />

jours et les corps des créatures sortiront de la terre comme poussent<br />

les plantes des champs. Ressuscites, les hommes resteront debout,<br />

sans manger, ni boire, ni s'asseoir, ni parler,<br />

près de la tombe qu'ils<br />

viendront de quitter, et cela pendant quarante ans encore.<br />

Ainsi, dans la croyance musulmane, tant populaire que savante,<br />

l'influence mystique de la quarantaine domine, à un certain point de<br />

vue, toute la vie de l'homme. Depuis le jour où notre corps a été tiré<br />

du néant avec Adam jusqu'à celui où il entrera clans l'immortalité<br />

après le Jugement dernier,<br />

notre évolution temporelle apparaît<br />

soumise à une sorte de rythme quadragénaire qui en scande, pour<br />

ainsi dire, les phases, en accuse les arrêts et en détermine les moments<br />

principaux. Nous avons vu que c'est à cette conception, de l'aveu<br />

même des docteurs de l'Islam, que se rattache une institution juri<br />

dique, connue sous le nom d'attente légale.Çidda) dans le code musulman.<br />

(1) V. Nozhat el Medjâlis, tome II, p. 58,


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 221<br />

Certaines coutumes populaires plongent vraisemblablement leurs<br />

racines dans le même fonds, notamment les trois fêtes familiales qui<br />

correspondent aux trois grandes époques de la vie, celles de la nais<br />

sance, du mariage et de la mort. Il est remarquable que ces fêtes<br />

donnent lieu à des cérémonies traditionnelles dont la durée réglemen<br />

taire uniforme est de quarante jours. D'où tiennent-elles cette sy<br />

métrie ? Si l'on peut invoquer des raisons physologiques pour la<br />

naissance, comme nous l'avons vu, et peut-être aussi pour le mariage,<br />

on n'en voit pas de plausibles pour la mort. Il faut donc admettre<br />

que ces usages,<br />

tout comme les diverses croyances que nous avons<br />

citées, ont subi, au moins partiellement, l'ascendant de notre chiffre<br />

sacré.<br />

Mais, sans chercher davantage l'origine de la fête,<br />

voyons-en les<br />

rites. Elle en présente de plus particulièrement purificatoires, d'au<br />

tres plus spécialement propitiatoires ; il en est qui ont l'allure d'ac<br />

tions de grâces. Nous n'essaierons pas de les classer par espèces.<br />

Dans ces pratiques traditionnelles,<br />

les comprendre, l'intention reste toujours vague,<br />

que l'on accomplit souvent sans<br />

variable ou com<br />

plexe. A vouloir les enfoncer clans des cadres tout faits, l'ethnographe<br />

risque de les déformer. L'analyse elle-même les défigure,<br />

enlève tout au moins cette imprécision caractéristique,<br />

ou leur<br />

qui est pour<br />

elles comme la patine du temps, à moins qu'elle soit la preuve de<br />

leur primitivité. Nous nous contenterons donc de les décrire dans<br />

l'ordre de succession qu'elles observent généralement à Blida.<br />

Dans le langage des femmes,<br />

rantième jour porte le nom d'elmah'djoub,<br />

sous les voiles,<br />

*<br />

l'enfant qui n'a pas atteint son qua<br />

celui que l'on tient caché<br />

derrière les portières, dans l'ombre de la maison. Ce<br />

mot fait allusion à la principale interdiction qui pèse sur le nourris<br />

son à cet âge : sous aucun prétexte, il ne doit franchir l'enceinte de la<br />

maison paternelle, ni affronter le grand jour de l'extérieur.<br />

L'état particulier dans lequel on le croit impose à son entourage<br />

nombre d'autres précautions traditionnelles,<br />

rationnelle désavouerait.<br />

Les langes,<br />

que notre puériculture<br />

avant le quarantième jour, ne doivent pas passer la<br />

nuit dehors, qu'ils soient souillés ou lavés : « C'est mauvais ! » Depuis<br />

la prière de l'après-midi jusqu'après le lever du soleil, ils ne sortent<br />

pas de la maison close. La<br />

prescription est la même pour les linges<br />

qui ont servi à l'accouchement. « On craint la malice des génies »,<br />

avouent les femmes. U semble que, pour ce qui est des drapeaux de


222 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

l'enfant,<br />

cette interdiction soit une conséquence de la croyance aux<br />

changeïings, dont nous avons parlé. L'odeur (rih'a) d'une personne<br />

passe pour partie intégrante de cette personne ; peut-être que livrer<br />

aux génies errant dans la nuit les émanations du nouveau-né qui<br />

adhèrent à sa layette,<br />

ravisseurs.<br />

c'est le livrer lui-même ou du moins tenter les<br />

On ne doit pas formuler une remarque désobligeante pour l'enfant<br />

dans la chambre où il est couché. Celui-ci, en effet, pendant ses qua<br />

rante premiers jours, entend tout ce qui se dit autour de lui, même<br />

à voix-basse. S'il saisit jamais des propos malveillants ou seulement<br />

des critiques, il prendra en grandissant un caractère violent,<br />

coléreux, soupçonneux.<br />

On défend expressément aux femmes qui se livrent à l'un quel<br />

conque des travaux de la laine d'approcher du lit d'un nouveau-né,<br />

si c'est un garçon. La laine non ouvrée, en suint, en bourre, en pelote<br />

ne doit jamais pénétrer dans la salle où se trouve le berceau. Toute<br />

prohibition de ce genre est levée quand le nourrisson de moins de<br />

quarante jours est une fille.<br />

Si, par inadvertance ou par mech-<br />

méchanceté, on introduisait une<br />

chekla dans la chambre à coucher d'un garçon âgé de moins de qua<br />

rante jours, tel de ses organes essentiels gauchiraient en grandissant<br />

et prendraient une forme bistournée. La mechchekla est un fuseau<br />

qui sert à tordre la laine.<br />

Ni l'accouchée, ni son mari,<br />

ni ses enfants ne mangent quarante<br />

jours durant, après une naissance, du zellif (tête et pieds de moutons<br />

ou de bouc, ou de chèvre grillés au four). S'ils en mangeaient, ils<br />

perdraient le nouveau-né. Même dans le cas où eelui-ei meurt, ils<br />

croient devoir s'en abstenir ; de sorte qu'il n'entre jamais une tête<br />

de mouton grillée dans la maison d'une accouchée, sinon passés les<br />

quarante premiers jours.<br />

Il est mauvais, dit-on sans préciser pourquoi, qu'un enfant de plus<br />

de quarante jours entre dans une maison où se trouve un enfant de<br />

moins de quarante jours. Une femme, relevant de couches, ayant<br />

donné le sein à une orpheline de deux mois, fut blâmée par toutes<br />

les vieilles qui vinrent lui rendre visite. « C'était là une grave impru<br />

dence, disaient-elles, bien que ce fût une bonne action manifeste.»<br />

Pendant les quarante jours dont nous parlons on teint de henné<br />

les pieds et les mains du nouveau-né, tous les vendredis, à l'heure où<br />

les fidèles assistent aux offices religieux à la mosquée. Les anges se<br />

réjouissent ele lui voir cette parure, ainsi que ele la bonne intention


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 223<br />

de ceux qui la lui ont mise. Elle lui est comptée comme une œuvre<br />

pie (h'sana). L'enfant deviendra merbouh', c'est-à-dire un porte-<br />

bonheur pour sa famille. Et si l'on continue, pendant quarante<br />

semaines, ces applications de henné, il deviendra un savant.<br />

On dit d'un enfant qui a bonne mémoire, (appelé tsebbat clans ce<br />

cas) : « Il a vu son cordon ombilical avant d'avoir atteint son qua<br />

rantième jour ! » Certaines mères prévoyantes montrent effective<br />

ment à leur enfant son cordon ombilical, afin qu'il soit doué d'une<br />

mémoire fidèle et tenace.<br />

Le quarantième jour,<br />

qui est toujours une date dans la vie de<br />

l'enfant, peut marquer pour lui une époque décisive. Dans la légende<br />

de Sidi-Mebrouk, saint de Blida qui a donné son nom à une rue de la<br />

ville, l'enfant prédestiné doit, sur l'ordre des Saints, passer la nuit<br />

de son quarantième jour dans le parc de la ferme où il est né. Sa mère,<br />

qui le veille, remarque la douceur extraordinaire de cette nuit , dont<br />

elle trouve la température paradisiaque. Elle en apprit plus tard la<br />

raison. Le quarantième jour de son enfant était tombé un samedi. On<br />

sait que la nuit du samedi les Saints tiennent leur conseil. Ils s'étaient<br />

réunis dans le parc du nouveau-né, avaient statué sur son sort,<br />

l'avaient admis dans leur communion et avaient tracé par avance<br />

sa carrière hagiographique.<br />

Dans les destinées du commun des mortels, le quarantième jour<br />

remplit rarement ce rôle déterminant ; mais il est toujours conçu<br />

comme exerçant sur elles une certaine influence.<br />

ou<br />

*<br />

* *<br />

Des pratiques propitiatoires, d'importance secondaire, préparent<br />

accompagnent les rites principaux de la journée.<br />

Les Béni Mes'aoud, près de Blida, avant « la sortie » du nouveau-né,<br />

n'oublient pas de se conformer à une vieille coutume. Les femmes de<br />

la famille pétrissent du pain azyme et, achètent des figues ; et, la<br />

veille de la sortie, elles visitent tous les Aoulia,<br />

ou Saints enterrés<br />

dans le voisinage de leur demeure. Sur chacune de leurs tombes ou<br />

de leurs enceintes sacrées,<br />

elles déposent deux petits pains et deux-<br />

figues ; en revanche, elles prennent quelques pincées de la terre qui<br />

les touche et du benjoin qui a séjourné dans leur sanctuaire et elles<br />

les serrent<br />

séparément dans des nouets. Le lendemain, avant de<br />

faire franchir à l'enfant le seuil de la maison, on cache tous ces nouets<br />

sous ses langes. Quand on rentre,<br />

dans la soirée, on reporte la terre


224 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

et le benjoin dans chacun des endroits où on les a pris,<br />

de ne pas se tromper.<br />

en ayant soin<br />

Chez les Béni Khlil de la plaine entre Boufarik et Blida, les femmes<br />

qui se rendent au bain du quarantième jour,<br />

d'indigo sur le front de l'enfant,<br />

mettent une pointe<br />

entre les deux yeux et déposent<br />

un ou deux miroirs d'un sou à plat, la glace en l'air,<br />

Elles effacent ou dissimulent, d'ordinaire,<br />

atteignent la grand'route, ce qui semble prouver que,<br />

sur sa poitrine.<br />

ces phylactères quand elles<br />

dans leur pen<br />

sée, ils gardent l'enfant, non du mauvais œil, mais de la malice des<br />

Esprits des solitudes.<br />

Dans la campagne autour de Douera, la mère,<br />

sortir, —<br />

— sur<br />

pique une épingle<br />

douée<br />

au moment de<br />

de vertus protectrices semblables<br />

le devant du bonnet de l'enfant, entre les deux yeux.<br />

D'autres pratiques ont pour but d'exercer sur la vie entière de<br />

l'enfant une influence bienfaisante. Les montagnards d'origine<br />

Kabyle préparent, pour le jour où a lieu la première sortie du braghrir<br />

(sorte de crêpe) au miel. Les femmes en mangent en commun, au<br />

moment du départ et en font goûter à l'enfant. On dit que c'est pour<br />

que « sa parole sorte douce auprès des gens. »<br />

Quand le cortège des femmes est prêt et que le nouveau-né va<br />

franchir pour la première fois le seuil de la maison, une dernière<br />

observance s'impose. L'une des matrones de l'assistance élève la<br />

voix et, interpellant la mère, lui commande : « Enlève-lui les épines !<br />

nah'h'i loue hchouq. » La mère alors, dénouant ses cheveux, en prend<br />

une poignée qu'elle ramasse en bouchon et elle en frotte, à sept<br />

reprises, la plante du pied droit de son enfant. Evidemment, elle<br />

songe à l'avenir et son amour maternel s'ingénie, par un geste ma<br />

gique, à soigner d'avance les blessures qui attendent le petit homme<br />

dans le sentier épineux de la vie !<br />

Pendant toute cette journée inaugurale, les faits et gestes du nour<br />

risson seront interprétés comme des pronostics. Ses pleurs n'annon<br />

ceront rien de bon ; ses rires lui présageront un avenir heureux.<br />

S'il garde les mains ouvertes, au cours de sa première sortie, il sera<br />

généreux ; si ses poings restent fermés et ses doigts crispés, ce sera<br />

un qornit', un encornet, un poulpe,<br />

symbole des avares.<br />

*<br />

* *<br />

ce mollusque passant pour le<br />

Pour les gens de Blida et, semble-t-il, des villes en général, l'obli<br />

gation essentielle du quarantième jour est le bain. Ce bain est consi-


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 225<br />

déré comme un acte religieux, d'intention purificatoire beaucoup<br />

moins que propitiatoire. Ce serait n'y rien comprendre que de l'en<br />

visager avec notre mentalité utilitaire. Evidemment, une idée d'hy<br />

giène s'y retrouve, mais combien mêlée aux représentations mys<br />

tiques ! La nouvelle accouchée s'y rend bien,<br />

selon l'expression con<br />

sacrée, à Blida et Cherchell « pour que son tombeau se referme sur<br />

la propreté, bâch qberha icnghleq a'ienqa». Mais l'enfant,<br />

nous occupe ici,<br />

qui seul<br />

a été purifié déjà par la lustration de l'octave de la<br />

naissance. Pour lui, la cérémonie n'a de sens qu'en tant que présen<br />

tation. Une présentation encore ? A quelle divinité ?... Voilà qui<br />

déroute les idées reçues sur l'Islam Africain ! La conception du ham<br />

mam-temple, dernier asile de superstitions millénaires,<br />

quelques mots d'explication. D'ailleurs,<br />

mérite bien<br />

si nous voulons saisir la<br />

portée de la présentation du nouveau-né dans ce lieu, il nous faut<br />

essayer d'en pénétrer les mystères.<br />

On ne peut guère douter de l'origine romaine du bain maure. Nos<br />

hammams actuels copient encore les thermes antiques,<br />

plifiant un peu. L'apodyterium,<br />

en les sim<br />

qui était la salle où l'on se déshabil<br />

lait, est devenu le mah'res, à la fois vestiaire et salle d'attente,<br />

« les<br />

quels étaient souvent réunis déjà du temps des romains» (dict. des<br />

antiquités de Daremberg et Saglio). La bit el barda (chambre froide),<br />

est la traduction même du mot latin frigidarium. Le tepidarium,<br />

« qui<br />

était inutile dans les pays chauds » et qui apparaît « petit et comme<br />

secondaire à Timgad» (dict. des Antiquités)<br />

est supprimé dans les<br />

bains maures modernes. Le caldarium s'est conservé sous le vocable<br />

de bit eskhoun,<br />

de disparaître,<br />

qui a le même sens. La piscine antique est en train<br />

emportée par la défaveur où sont tombés les bains<br />

froids ; mais on la retrouve dans certains établissements : c'est le<br />

moght'eç mta'elihoud, le bassin à immersion des Juifs, lesquels la<br />

conservent au titre religieux, car ils s'y plongent encore, à la fin de<br />

leurs ablutions, «pour y laisser leurs péchés.» Enfin, l'organe central<br />

du hammam, la chaufferie, a gardé intact son nom latin de fornaq<br />

(fornax, fournaise)<br />

et le chauffeur s'appelle fornaqdji et n'est autre<br />

que l'ancien fornacator. Ainsi, la langue elle-même nous désigne l'ins<br />

titution des bains dits maures comme une survivance de l'époque<br />

romaine.<br />

Nous savons que les thermes antiques abritaient sous leurs voûtes<br />

un groupe de divinités payennes. Nous pourrions induire ce fait de<br />

la<br />

manière dont le Prophète en permit l'usage aux Vrais croyants.


226 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

« Le hammam, a-t-il dit dans un hadits,<br />

est le meilleur édifice où<br />

puisse entrer un musulman, mais à la condition qu'en y mettant le<br />

pied il demande explicitement à son Dieu (de lui garder) le Paradis<br />

et de le préserver de l'Enfer.» (Nozhat el Medjalis, t. I,<br />

p. 199).<br />

Nous avons, d'ailleurs, des textes formels qui prouvent l'existence<br />

des superstitions de ce genre avant l'Islam. L'espagnol Prudence<br />

disait à ses contemporains : « Vous avez l'habitude d'assigner des<br />

génies particuliers... aux thermes.» (1) L'Afrique connaissait cer<br />

tainement cette croyance populaire. Nous en trouvons un témoignage<br />

irrécusable dans le Corpus des inscriptions latines, n°<br />

8926,<br />

où nous<br />

voyons une dédicace « Au Dieu de la Maurétanie et au génie des<br />

thermes,<br />

Numini Mauretaniœ et genio thermarum. »<br />

11 serait bien étonnant que le vieil édifice romain ait traversé les<br />

siècles sans nous conserver quelques unes des traditions populaires<br />

qui s'y localisaient. Il ne faut pas perdre de vue en effet que le peu<br />

ple de l'Afrique du Nord est fort peu architecte et au contraire fort<br />

mystique. Il sacrifierait, en général,<br />

plus volontiers ses arts libéraux<br />

que ses superstitions. Malheureusement nous ignorons la manière<br />

dont les anciens se représentaient le génie des thermes ; nous ne<br />

pouvons comparer la conception actuelle et la conception antique<br />

et dire s'il y a, entre elles, ou filiation ou simplement ressemblance.<br />

Ce qu'il y a de sûr c'est que des descendants des Maures antiques<br />

adorent encore aujourd'hui des génies des bains, dans des construc<br />

tions de tout point semblables à celles où leurs ancêtres se livraient<br />

à un culte du même genre.<br />

On les désigne communément sous le nom de Maîtres des bains<br />

(mouâlîn el h'ammam). On les appelle aussi les Gens du bain (nâs el<br />

h'ammam) ou la Population qui y vit (el'amâra lli fih). Les négresses<br />

les nomment rdjal allah, les Hommes d'Allah, qu'elles confondent<br />

presque avec les oulâi Allah ou Saints ; car elles donnent aux uns<br />

et aux autres le titre de Essadât, les Seigneurs ; une masseuse, priant<br />

les génies du bain ou les oualis.dira toujours : ia siadi, ô mes Seigneurs.<br />

On distingue parmi eux une catégorie, celle des Maîtres de la<br />

chaudière (mouâlîn el borma) qui passent pour plus « chauds»<br />

c'est-à-dire plus irascibles. Du reste, leur groupe entier forme, en<br />

quelque sorte, une société anonyme. Il comprend un chef, des mâles,<br />

des femelles, des enfants et des esclaves noirs, tous sans noms pro-<br />

(1)<br />

Cur genium Ronwc milii fingitis unum.<br />

Cum partis, rlomi bus, thermis. stabulis soleatis<br />

Assignare suos genios. .(Prudenci:).


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 227<br />

près. Leur mh'alla, (c'est le nom qui embrasse leur collectivité),<br />

semble conçue sur le modèle de la vieille famille patriarcale indigène.<br />

Les femelles de ces esprits s'occuperont des femmes, clientes du<br />

hammam, les mâles se chargeront des hommes. Ils ne seront d'ail<br />

leurs nullement à leur service. Le hammam, dans toutes les légendes,<br />

est donné comme une invention des génies ; ils y sont chez eux ;<br />

c'est leur maison comme le temple païen était la demeure du Dieu ;<br />

ils en sont les maîtres, dans un sens plus complet que le propriétaire<br />

légal ; ils n'y tolèrent, en réalité, la présence des hommes qu'à la<br />

condition que ceux-ci remplissent certaines obligations et respectent<br />

certaines défenses.<br />

En leur qualité de génies, ils pourraient se produire aux regards<br />

sous toutes les formes vivantes ; mais, en fait, ils en affectionnent<br />

un certain nombre, que leur attribue la tradition et dont ils ne s'écar<br />

tent pas. Quand il est dit qu'ils ont apparu sous leur forme véritable<br />

(çourethoum elh'aqqânia), il faut entendre qu'on les a vus sous la figure<br />

humaine. Ce sont bien aussi des génies anthropomorphes que l'oreille<br />

indigène, hallucinée par la croyance commune, croit entendre, sous<br />

les voûtes sonores de l'étuve, dans la seconde moitié de la nuit,<br />

heure où le bain est « à Eux », comme il est réservé aux femmes l'a<br />

près-midi et aux hommes le reste du jour.Quoique leurdémarche soit<br />

légère comme le vol de la mouche et leur bouche habituellement<br />

muette, on perçoit distinctement, affirme-t-on, derrière la lourde<br />

porte de la chambre chaude religieusement fermée, des ruissellements<br />

et des clapotis, des chocs d'écuelles en cuivre, des froissements de<br />

serviettes, des voix étouffées, des claquements de socques en bois<br />

sur les dalles de pierre : tous les bruits coutumiers des humains pro<br />

cédant dans un hammam à leurs ablutions. Dans la légende, maint im<br />

a surpris dans le même lieu des<br />

prudent, à son grand dam parfois,<br />

baigneuses nocturnes, et, malgré leurs cris d'effroi et leur fuite, il a<br />

pu, dans la pénombre,<br />

reconnaître leurs blanches formes féminines.<br />

Les vieilles masseuses racontent volontiers qu'elles y ont vu, elles ou<br />

leurs compagnes, un grand vieillard, aux cheveux blancs, à la barbe<br />

tombant jusqu'au nombril, le buste nu,<br />

couvert seulement de la fouta<br />

bariolée qui sert d'ordinaire de pagne. Elles ne doutaient pas que ce<br />

ne fût le chef de ces Seigneurs-là,<br />

d'entre elles, de la dernière génération,<br />

car tel est son signalement. L'une<br />

voulant couper l'eau par ma<br />

lice fut rejetée du haut de l'échelle sur le sol par deux grands nègres<br />

gigantesques.Une autrejura avoir aperçu une négresse nageantdans les<br />

eaux sombres de la chaudière. Une autre enfin brûla, toutes les se<br />

maines, pendant de longs mois, de petits cierges minuscules qu'elle


228 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

plantait sur le robinet ou sur le bord de la chaudière, disant que sa<br />

protectrice, une négrillonne, naine de la taille de ses cierges, s'était<br />

révélée à elle dans ces endroits. Les mouâlîn el borma appartien<br />

nent el'ordinaire à la race noire,<br />

laquelle, en général,<br />

est de race blanche.<br />

ainsi que les serviteurs de la mh'alla<br />

Parmi les formes animales, les « Maîtres des bains» ont en prédi<br />

lection celle de la blatte américaine, ou cancrelas,<br />

« du cafard rouge».<br />

Le cafard noir passe pour sinistre : il incarne l'âme des morts (Alger).<br />

Le cafard rouge au contraire est regardé partout comme un génie des<br />

maisons. Les bateliers dans les ports de la côte en lâchent exprès<br />

dans leurs barques ; c'est leur porte-bonheur, une sorte d'esprit<br />

protecteur du bord. Vers 1902, on montrait à Blida une vieille négres<br />

se, nommée Djouhara, qui avait longtemps servi comme baigneuse<br />

dans un établissement de la ville, le Hammam essouiqa, et qui vivait<br />

alors de ses rentes. On racontait qu'un jour,<br />

vaquant à ses occupa<br />

tions clans l'étuve, elle avait vu soudain auprès d'elle un cafard rouge,<br />

qui ne pouvait être sorti de terre,<br />

car le dallage n'offrait aucun in<br />

terstice. Ce cafard s'étira sous ses yeux, s'allongea, grossit et finit<br />

par atteindre la taille d'une grosse poule ; puis il diminua à vue d'œil,<br />

reprit ses dimensions normales et s'évanouit, fondant sur place, sur<br />

la pierre où il avait paru. Depuis cette époque,<br />

elle n'avait pas man<br />

qué de déposer chaque jour du benjoin dans l'endroit qu'avait sanc<br />

tifié pour elle cette théophanie et elle en avait été récompensée par<br />

des faveurs journalières des Bonnes Personnes. A sa mort, on remar<br />

qua, sans s'en étonner, la quantité considérable ele bijoux qu'elle<br />

laissait dans sa succession.<br />

,<br />

L'incarnation insectiforme, dont nous venons de parler, ne con<br />

vient, semble-t-il, qu'aux génies balnéaires d'un rang inférieur. Leur<br />

chef, en dehors du corps humain, n'adopte guère que celui du ser<br />

pent. Quelquefois, il combine les deux formes et se montre sous<br />

l'extérieur hybride d'un homme anguipède. « Par la partie supérieure<br />

de son corps, il est adamite, et, par la partie inférieure, il est reptile. »<br />

Ainsi le définissait une visionnaire, vieille baigneuse d'un hammam<br />

de Blida. Mais cette représentation ne paraît pas bien répandue.<br />

L'image que l'on se fait communément du Seigneur des bains, dans<br />

la Mettidja,<br />

et probablement aussi dans les trois départements al<br />

gériens (1), est celle du tso'abâne. Le tso'abâne, c'est le dragon clas-<br />

(1) Voir Cour : Le culte du serpent dans les traditions populaires du nord-<br />

ouest nigérien, d;,ns le Bulletin trimestriel de la Société de Géographie et<br />

d'Arelu-oIe gie d'Oran, mars 1911.


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 229<br />

sique, non pas celui de nos légendes chrétiennes,<br />

avec un corps de<br />

saurien fantastique et une gueule de chimère vomissant des flam<br />

mes,<br />

ni même le dragon à sept têtes des contes indo-européens que<br />

connaît bien la littérature populaire maghrébine, mais le draco ro<br />

main, serpent du genre couleuvre qui ne se distingue de ses congénè<br />

res ni par une taille gigantesque ni par aucun détail de son anato-<br />

mie, mais seulement par la puissance surnaturelle de l'Esprit qui<br />

s'est incorporé à lui. La conception indigène actuelle calque exacte<br />

ment la conception antique : déguisement consacré de la déité des<br />

bains, le tso'abâne pourrait-être défini un genius loci du hammam.<br />

Il se manifeste dans la chambre chaude, dont il ne semble pas fran<br />

chir jamais le seuil. D'après légende localisée dans un bain de Blida,<br />

les employés du bain s'étant enivrés et ayant oublié sa ration jour<br />

nalière d'aromates, le Serpent avance la tête par la porte de la cham<br />

bre chaude, se dresse sur sa queue dans l'encadrement,<br />

se balance<br />

en sifflant, pour montrer son mécontentement. Quand on a fait<br />

droit à ses réclamations, il rentre dans le mur de l'étuve. Il semble<br />

avoir sa résidence dans l'épaisseur du mur ou dans celle du dallage.<br />

On le surprend d'ordinaire dormant, roulé en spirale,<br />

sur la table de<br />

pierre qui surmonte le fourneau de chauffe et que l'on appelle expres-<br />

sivement le nombril du bain maure,<br />

chaudière,<br />

prêt à se réfugier dans son ombre.<br />

ou bien dans le voisinage de la<br />

La forme orbiculaire est si intimement unie à l'idée du tso'abâne<br />

qu'elle fournit l'euphémisme dont on se sert pour éviter de prononcer<br />

son nom. On l'appelle très souvent le kholkhal (l'anneau, le péris-<br />

célide) des bains. C'est un dicton courant, dans le langage des fem<br />

mes,<br />

On prétend que le dragon se dissimule souvent sous la forme d'un<br />

que « chaque hammam a son kholkhal », c'est-à-dire son dragon.<br />

grand anneau d'or. Il tente ainsi la cupidité des clientes. Elles doi<br />

vent le respecter,<br />

s'éloigner de lui en lui adressant une prière. La<br />

voleuse qui croit cacher un bijou de ce genre dans ses effets n'y<br />

trouve chez elle qu'un serpent. Son larcin d'ailleurs est vite connu,<br />

car, en perdant son kholkhal, le bain perd sa chaleur. Dès que le<br />

kholkhal s'éloigne d'un établissement,<br />

celui-ci se refroidit. Les chauf<br />

feurs disent qu'ils reconnaissent la disparition du kholkhal à ce fait<br />

qu'en prodiguant le bois pendant trois jours, ils ne peuvent porter<br />

leur étuve à la température voulue. Le combustible sans doute est<br />

bien le principe du calorique,<br />

mais il ne suffit pas. Les causes naturel<br />

les sont moins nécessaires que les causes mystiques. Que peuvent<br />

la volonté et l'industrie des hommes, si la Divinité ne collabore pas


230 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

à leurs desseins ? Le chauffage,<br />

et il faut ajouter l'achalandage et la<br />

prospérité d'un hammam, dépendent, dans l'opinion commune,<br />

beaucoup moins de ses tenanciers que de ces déités bizarres, le khol<br />

khal, le tso'abâne et les mouâlîn el hammam.<br />

De là leur culte. Tous les soirs, à la tombée de la nuit, quand les<br />

dernières baigneuses sont parties, un garçon du bain, après avoir<br />

balayé et lavé à grande eau les dalles de l'étuve,<br />

prend une sorte de<br />

cassolette en fer-blanc appelée gherrâf (la cuillère), la remplit de<br />

braise et jette sur les charbons ardents du benjoin et du mastic de<br />

Chio. Entrant alors dans l'étuve, il en fait tout le tour, frôlant le<br />

mur de son encensoir fumant qu'il tient de la main droite. Il doit<br />

marcher droit devant lui, sans détourner la tête,<br />

sous peine d'attirer<br />

la colère des génies ; c'est ainsi que, dans une légende répandue, un<br />

de ces thuriféraires, s'étant entendu appeler et s'étant retourné, a le<br />

bras saisi, collé et comme scellé au mur et il n'est dégagé que par<br />

les prières de ses camarades et une septuple circumambulation ac<br />

compagnée d'encensements. II s'arrête devant la borma (la chau<br />

dière). Introduisant sa cassolette dans l'orifice de la chaudière, il<br />

lui en fait suivre lentement le contour. Ce rite achevé, il passe dans<br />

le mah'rcs, qui est, comme nous l'avons dit, l'apodyterium où les<br />

baigneurs déposent leurs habits,<br />

gueur.<br />

et il le parcourt dans toute sa lon<br />

A minuit, avant d'interdire au client l'accès de l'étuve, on y pro<br />

cède à un nouveau nettoyage et à de nouveaux encensements, tou<br />

jours avec le même rituel. Mais, dans la pensée que ce sont les Esprits<br />

qui vont prendre possession de la salle pour leur usage particulier,<br />

on a soin souvent de remplir un baquet d'eau propre, d'y jeter une<br />

pastille d'ambre et de disposer à côté une lavette neuve et du savon.<br />

Certains, surtout les Kabyles, ont l'attention pieuse d'arroser les<br />

dalles avec de l'eau de fleur d'oranger et d'allumer des cierges. Ces<br />

pratiques sont surtout recommandées pour la veille du vendredi<br />

et pour les vigiles des fêtes, parce que, ces nuits-là, l'étuve reçoit,<br />

en sus des moualin el hammam, des baigneurs étrangers, entre<br />

autres les saints du pays. On assure que, le lendemain matin, on<br />

constate à certaines traces évidentes le passage des visiteurs invi<br />

sibles ; et les dévots, naguère encore, se disputaient l'eau qui restait<br />

clans le baquet des Bonnes Personnes ; ils s'en lavaient la figure et<br />

le corps en vue de la baraka, c'est-à-dire des vertus qu'ils lui attri<br />

buaient, et ils en emportaient chez eux. C'est à cette croyance, sans<br />

doute, que se rattache l'habitude de procéder à un nouveau nettoyage


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 231<br />

de l'étine le vendredi, à l'aube, quoique aucun humain n'y soit entré<br />

depuis minuit ; on lave à grande eau et l'on fumige au benjoin et au<br />

mastic de Chio,<br />

avant de permettre aux hommes de succéder aux<br />

personnages surnaturels qui sont censés la quitter.<br />

Le triple encensement de la nuit du vendredi est régulièrement<br />

observé. Quant à l'encensement journalier du crépuscule du soir,<br />

il passe pour tellement obligatoire que les serviteurs d'un hammam<br />

ne s'en croient pas dispensés même quand celui-ci est fermé, pour<br />

cause de réparation, par exemple. Une autre pratique, mensuelle<br />

celle-là, semble également bien accréditée. Il y<br />

a toujours dans le<br />

vestibule du hammam un petit placard ou une niche fermée ejue l'on<br />

appelle la chambre de la balance (bit el mizan), où le caissier de l'éta<br />

blissement renferme la recette de la nuit et de la matinée avant de<br />

l'emporter à midi,<br />

au moment où le bain est ouvert aux femmes. Le<br />

premier jour de chaque mois. Yonqqâf, c'est-à-dire le gérant, avant<br />

de faire la levée de l'argent,<br />

est tenu par la coutume à brûler du<br />

benjoin dans cette niche : c'est une obligation à laquelle il ne manque<br />

jamais, par peur de voir les sommes qu'il y serre aller en diminuant.<br />

« Toutes les mauvaises actions qui se commettent entre les murs<br />

du hammam relèvent de la juridiction des génies du lieu. » Plus encore,<br />

peut être, que le culte qu'on leur rend,<br />

ce rôle moral généralement<br />

reconnu à ces génies les rapproche ele la divinité. On dit que, dans<br />

un bain maure, grâce aux Hommes d'Allah, un délit ne saurait rester<br />

impuni. L'employé infidèle peut cacher longtemps ses larcins.<br />

n'y<br />

Le vol, l'indécence, la lubricité, la malpropreté, le gaspillage de<br />

l'eau, etc.,<br />

clients,<br />

tous les méfaits dont peuvent se rendre coupables les<br />

sont réprimés avec une sévérité inévitable. Les « coups» de<br />

ces Gens-là sont certainement plus redoutés que les sanctions loin<br />

taines d'Allah. Voyez deux femmes qui se sont prises de querelle aux<br />

bains. Le premier mouvement d'humeur passé, elles tomberont dans<br />

une prostration d'origine superstitieuse qui finira par dégénérer en<br />

maladie. Elles savent que les Maîtres du bain punissent ce genre<br />

d'infraction par la possession. Elles s'auto-suggestionnent si<br />

bien qu'elles se persuadent qu'un génie est entré en elles<br />

pour les châtier dans leur délire,<br />

elles se dédoublent, changeant<br />

de voix, suivant qu'elles parlent en leur propre nom ou<br />

qu'elles croient parler pour le génie qui les possède. Elles<br />

ne reviendront à leur état normal que lorsqu'elles appren<br />

dront que la patronne du bain où elles ont péché a demandé aux Es<br />

prits de leur pardonner, qu'elle a brûlé les aromates et allumé le


232 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

cierge expiatoires. Les hommes eux-mêmes,<br />

quoique moins supers<br />

titieux, si en rentrant du bain il éprouvent quelque malaise, crai<br />

gnent d'avoir à leur insu offensé les Maîtres du hammam et dépêchent<br />

en secret une vieille femme qui apaise la colère des Seigneurs.<br />

On demande aux Maîtres des bains, dans les prières qu'on leur<br />

adresse, en général tous les biens de ce bas-monde, mais surtout la<br />

santé, une vie longue, le bonheur en ménage, des enfants. J'ai décrit<br />

ailleurs (Coutumes, Institutions, Croyances, liv. II, le Mariage, p.<br />

100, Jourdan 1913), la scène de présentation de la mariée aux génies<br />

des hammams. Il est bon de la rappeler ici. Toutes les femmes du<br />

cortège se dépouillent de leurs vêtements dans le vestibule, la mariée<br />

comme les autres ; seulement la mariée garde ses bijoux, tous, depuis<br />

la rose en diamants qui tremble au sommet de sa tête jusqu'aux<br />

anneaux de pieds en or et en argent qui cliquettent sur ses talons.<br />

Quelque riche que soit son écrin, il est d'usage que la mariée emprunte<br />

à ses amies les plus belles pièces du leur pour cette cérémonie.<br />

Quelques unes ont même recours aux bons offices de prêteurs qui<br />

font métier de louer des bijoux pour les jours de fête. Ainsi chargée<br />

de spécimens de toute l'orfèvrerie indigène, la mariée,<br />

au milieu du<br />

groupe de ses compagnes, fait son entrée dans l'étuve. Elle avance,<br />

à pas menus, tout d'une pièce, en gardant, autant qu'il se peut<br />

quand on marche, une rigidité, j'allais dire une immobilité, hiéra<br />

tique. On l'asseoie face à la porte de l'étuve, à la place d'honneur.<br />

Un baquet renversé lui sert de siège. Elle y doit prendre et garder,<br />

tout le temps qu'elle y restera assise, l'attitude consacrée de la pré<br />

sentation, c'est-à-dire faire la sourde, la muette, l'absente et trôner,<br />

les mains étendues à plat sur les cuisses, la tête droite, le regard perdu,<br />

avec l'expression sereine et impassible des vieilles statues grecques<br />

ou égyptiennes. La masseuse qui lui donnera ses soins est chargée<br />

de présenter son offrande, du henné, du sucre et du benjoin. Elle<br />

se tient debout dans chacun des quatre coins de la chambre chaude<br />

et, y<br />

déposant quelques pincée des trois cornets qu'elle tient à la<br />

main, elle prononce cette prière : « Celle-ci est votre sœur ; c'est<br />

une jeune femme comme vous, une nouvelle mariée comme vous ;<br />

comme vous, elle s'abandonne au bonheur. Ne lui faites pas de mal,<br />

elle ne vous en fera pas.» A la fin, elle s'avance devant la chaudière<br />

et, y jetant tout ce qui lui reste dans les mains, elle adresse à ses<br />

génies une invocation spéciale, dans le même style, mais plus longue<br />

et moins familière. La chaudière est considérée par bon nombre<br />

fie personnes comme le séjour du Dragon ; ses Esprits sont plus<br />

redoutés. Elle leur demande pour la nouvelle mariée toutes les pros-


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 233<br />

pérités : la santé, la fécondité, la bonne intelligence dans son ména<br />

ge, la grâce de mourir vieille et entourée d'une nombreuse posté<br />

rité dans la maison où elle vient d'entrer.<br />

En tout pays, les avantages que nous venons d'énumérer ne peu<br />

vent être donnés à l'homme que par la divinité. Ces divinités<br />

des bains, puisque c'est le nom qui leur convient, relèvent du fol<br />

klore et non de la religion actuelle du pays. Elles sont conçues, à<br />

la manière populaire, sous une forme naïve et presque baroque<br />

même parfois, comme nous l'avons vu. Leur culte est secret. « C'est,<br />

explique-t-on, parce que le culte des génies aime le mystère. » La<br />

vérité c'est qu'il se dissimule,<br />

comme toutes les observances hété<br />

rodoxes ou vieillies. Il se dissimule d'ailleurs plus ou moins suivant<br />

les milieux. Les femmes le pratiquent ouvertement entre elles et ne<br />

l'avouent qu'avec des réticences en dehors de leur société.<br />

Parmi les hommes, les professionnels des hammams le pratiquent<br />

aussi,<br />

mais commencent à moins croire à sa nécessité et semblent<br />

s'en détacher ; quant aux autres, et particulièrement les gens ins<br />

truits, ils le renient et le condamnent comme une superstition, dans<br />

laquelle, d'ailleurs, ils ne se font pas faute de retomber sous la pres<br />

sion de leur ambiance. Ces traits autorisent en somme à considérer<br />

la croyance dont nous nous occupons comme une survivance de<br />

quelque antique culte que l'Islam n'a pu abolir, parce qu'il s'appuyait<br />

sans doute, comme il le fait encore sous nos yeux,<br />

sur la tradition<br />

orale qui propage et éternise ses légendes, et sur la coutume popu<br />

laire qui maintient d'une génération à l'autre ses rites et ses solen<br />

nités.<br />

C'est sous l'inspiration de la tradition et pour se conformer à la<br />

coutume que la jeune mère indigène vient<br />

—<br />

nous allons le voir<br />

présenter son nouveau-né aux Seigneurs du hammam, le quaran<br />

tième jour après sa naissance,<br />

—<br />

comme elle est venue elle-même se<br />

présenter à eux le quarantième jour après son mariage.<br />

* *<br />

Trois ou quatre jours avant la cérémonie la jeune mère a préparé<br />

des ka'ak,<br />

qui semblent bien la pâtisserie consacrée de cette journée.<br />

Le ka'ak n'est autre que notre gimblette, la cherehella italienne,<br />

un gâteau en pâte dure et sèche,<br />

en forme d'anneau. Il doit avoir<br />

été fort anciennement connu dans l'Afrique du Nord,<br />

car on le<br />

reconnaît nettement sur les stèles votives de Saturne, clans les mains


234 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

des dédicants, Peut-être existe-t-il quelque relation mystique entre<br />

sa forme circulaire et celle du kholkhal des bains ou du Dragon. On<br />

fait porter à toutes les parentes, amies et connaissances, l'invitation<br />

de se rendre tel jour à tel hammam. La mère pétrit aussi trois petits<br />

pains de semoule et apprête une assiette de t'ommina, qui constituent<br />

l'oblation d'usage en pareil cas. Elle confectionne enfin une grande<br />

cruche de charbat ou sorbet, sorte de limonade composée avec du<br />

citron, du sucre et de l'eau de fleur d'oranger. Vers midi, tout est<br />

prêt. C'est l'heure où les bains maures s'ouvrent aux femmes. Deux<br />

négresses du hammam où l'on doit se rendre viennent chercher au<br />

domicile de leur cliente ces différents objets qu'elles emportent avec<br />

la sappa,<br />

—<br />

grand panier en osier enveloppé dans un mouchoir de<br />

couleur et, contenant la trousse de la baigneuse, —<br />

et avec le petit ma<br />

telas où celle-ci se reposera après son bain. Et toutes les femmes,<br />

séparément ou par petits groupes, pour éviter d'attirer l'attention,<br />

se rendent au hammam.<br />

La sage-femme marche en tête, tenant dans ses bras,<br />

sur un cous<br />

sin, l'enfant paré de tous ses atours. Arrivée devant le hammam,<br />

elle s'arrête sur le seuil ; et elle y accomplit le rite du tesbi'<br />

: elle ap<br />

proche l'enfant du înjantant de droite, (les arabes disent de la joue de<br />

la porte), de manière à établir le contact, et elle prononce cette for<br />

mule : « Tu enfantes et j'enfante. Ne me tourmente pas, je ne te<br />

tourmenterai pas. Celui-ci est mon petit et il est ton petit. » Après<br />

quoi, elle presse sept fois l'enfant contre le même montant et compte :<br />

un, deux, trois, quatre, cinq, six,<br />

sept. Elle pénètre alors dans le<br />

vestibule (sqîfa) qu'elle traverse et répète la même cérémonie devant<br />

la porte qui ouvre sur le mah'res (l'apodyterium des thermes). Entrant<br />

ensuite dans celui-ci, elle se rend directement à la fontaine d'eau<br />

froide qui s'y trouve toujours et recommence les mêmes gestes ac<br />

compagnés des mêmes mots. Quand elle a terminé, elle couche l'en<br />

fant dans un berceau qu'elle improvise avec les tapis que les négres<br />

ses ont apportés, sur l'estrade en pierre où s'alignent les lits de repos.<br />

Cependant la jeune mère, franchissant sans s'arrêter la sqifa<br />

et le mah'res, a pénétré, toute habillée, en tenue de ville, dans les<br />

salles intérieures du hammam. Elle a mis dans sa bouche une pincée<br />

du cumin qui se trouvait sous la coh'fa pendant qu'elle accouchait,<br />

comme nous l'avons dit, cumin qui a dormi cinq jours entre elle et<br />

le nouveau-né sous leur oreiller et que, depuis ses relevailles, elle<br />

porte comme un talisman sur sa jambe. Dans la salle froide (bit el<br />

barda), elle crachote du bout des lèvres, rituellement, une fois, un


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 235<br />

peu de ce cumin. Elle en fait autant successivement dans le cabinet<br />

réservé aux épousées, sur la chaudière centrale du bain, en passant<br />

le seuil de la chambre chaude, devant chacun des robinets qui s'y<br />

trouvent, enfin devant la piscine des Juifs. Et, chaque fois, une ma<br />

trone la présente. « Celle-ci est une nouvelle accouchée. Il en est<br />

d'elle ce qui en est de vous. Son enfant est beau comme vous. » Et<br />

elle promet, en son nom,<br />

comme celles-ci la traiteront. »<br />

qu'« elle traitera les Bonnes Personnes<br />

A Médéa, dit-on, après avoir crachoté, la mauresque dépose du<br />

henné, dans chacun des quatre coins de la salle chaude,<br />

en offrande<br />

aux Dames-Génies. Ce n'est qu'après s'être acquittée de ces divers<br />

rites, sans se retourner, sans parler à personne, qu'elle se déshabille,<br />

s'accroupit dans l'endroit où elle veut procéder à sa toilette et se<br />

livre aux mains de son accoucheuse qui, dans cette occasion, doit<br />

remplir auprès d'elle l'office de masseuse.<br />

Quand la sage-femme a mis la dernière main à sa besogne compli<br />

quée,<br />

elle sort de la chambre chaude et va quérir le nourrisson.<br />

Elle le prend dans les bras sur son coussin. Deux matrones lui ser<br />

vent d'acolytes et la flanquent à gauche et à droite, tenant chacune<br />

un cierge allumé. Elle fait une première station devant la porte de<br />

la chambre froide et y marmotte la formule du tesbi'<br />

et en esquisse<br />

le septuple geste, cependant que les servantes de l'établissement font<br />

brûler des aromates qui emplissent cette chambre de leurs fumées et<br />

prolongent, à perdre haleine,<br />

leurs ululations les plus aiguës. Le<br />

nouveau-né est transporté ensuite méthodiquement clans tous les<br />

endroits réputés sacrés et que sa mère vient de saluer,<br />

même chemin qu'elle et marquant les mêmes arrêts,<br />

suivant le<br />

tandis que la<br />

sage-femme répète partout son mouvement de présentation et sa<br />

supplication.<br />

Enfin, l'on plante les deux cierges dans une niche du mur, où on<br />

les laissera s'éteindre d'eux-mêmes, afin, dit-on, qu'à leur image<br />

l'enfant ne meure que de sa belle mort,<br />

On le fait de la même façon que le septième jour,<br />

et l'on lave le nouveau-né.<br />

en ajoutant peut-<br />

être quelque pratique nouvelle du genre médico-magique. Ainsi,<br />

après un premier lavage au savon mou des musulmans on le rince<br />

et on le frotte de la tête aux pieds avec des œufs battus et mêlés<br />

à du cresson alénois. Cette onction que l'on fait disparaître aussitôt<br />

sous des lotions d'eau chaude a pour but d'assurer à l'enfant une<br />

bonne santé.<br />

Après le bain, une agape est obligatoire ; quelque modeste qu'elle<br />

soit, c'est le repas communiel qui clôt la cérémonie. La jeune mère


236 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

distribue une gimblette et un verre de sorbet à chacune des clientes<br />

qui se trouvent dans l'enceinte des bains ce soir-là. Nulle ne doit-<br />

être exceptée. Ni la couleur, ni la nationalité,<br />

en ligne de compte. Les Bonnes Personnes,<br />

cêtres, les Dieux payens, dont elles ont hérité,<br />

ni la religion n'entrent<br />

comme leurs grands an<br />

professent le plus<br />

large esprit de tolérance. Elles ne connaissent pas les barrières qu'ont<br />

dressées les religions impérialistes ; leur culte est international et,<br />

(qu'on passe le mot), interconfessionnel. C'est encore dans leurs<br />

mystères, bien humbles mais cosmopolites, que l'on a vu le mieux,<br />

de nos jours, et avec le moins d'arrière-pensées,<br />

sulmanes avec des juives et des chrétiennes.<br />

communier des mu<br />

On remet à la maîtresse du bain maure deux petits pains de se<br />

moule que la mère a pétris et qui servent d'offrande propitiatoire ;<br />

le troisième est mangé par la famille dans l'intérieur de la chambre<br />

chaude. Ceux qui ont moins bien conservé le sens de ces pratiques pri<br />

mitives donnent ce dernier en aumône à un pauvre. Certaines dévotes<br />

versent une petite somme entre les mains de la gérante pour l'encens<br />

des Maîtres des bains. D'autres, riches, ajoutent un éclat inaccoutumé<br />

à cette fête en y invitant une chanteuse de profession, une mcddâha.<br />

Quand la nuit approche, la sage-femme reprend l'enfant sur son<br />

coussin et sort de la chambre chaude au milieu des «iouiou »; car il<br />

faut que les assistantes, et surtout les employées du hammam, accom<br />

pagnent le départ de l'enfant, comme elles ont accueilli son arrivée,<br />

de ces cris traditionnels,<br />

reuse.<br />

réputés de bon augure et d'influence heu<br />

On veille avec le plus grand soin à ce que deux jeunes accouchées<br />

ne se trouvent pas en même temps au hammam pour la cérémonie<br />

du quarantième jour. On croit que leur rencontre serait cause des<br />

pires malheurs, pour elles-mêmes et pour leurs enfants. Les génies,<br />

habitants du bain, dit-on encore, leur raviraient leurs petits, leur<br />

en substitueraient d'autres ou les frapperaient de quelque infirmité.<br />

A Blida et à Cherchell, quand malgré les précautions que l'on prend,<br />

cet accident redouté se produit, les deux mères, au lieu de se fuir,<br />

accourent l'une au-devant de l'autre, échangent leurs nourrissons et<br />

leur donnent le sein ; elles affectent de traiter l'enfant de leur com<br />

pagne comme s'il était, le leur. En se quittant, elles se rendront leurs<br />

poupons, mais seulement après avoir troqué entre eux leurs béguins,<br />

ou même tous leurs langes. En janvier 1914 encore, à Blida, une riche<br />

bourgeoise protestait contre cette coutume : « Vais-je donner ce joli<br />

burnous pour ce haillon '! Si tu ne h- fais pas, prononça une vieille


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 237<br />

femme, tu as tout à craindre pour toi-même ! » Et l'échange se fit.<br />

A Cherchell, les deux petits sont regardés comme unis pour le reste<br />

de leur vie ; le lien qui s'est formé entre eux est rendu public et, mê<br />

me dans la société des hommes, ils prennent le nom de « frères ».<br />

La prohibition dont nous parlons subsiste dans le cas où les ac<br />

couchées ont perdu leurs enfants ; il leur est également interdit de<br />

prendre simultanément leur bain de purification. On va plus loin<br />

encore dans certains milieux. Deux femmes ayant conçu le même<br />

mois et ayant perdu leurs fruits, de quelque façon et à quelque mo<br />

ment que ce soit, doivent éviter de visiter ensemble les génies des<br />

bains pour la première fois depuis leur accident. « Les génies, dit-on,<br />

ne pouvant frapper les enfants, frapperaient les mères.Elles verraient<br />

mourir la moitié de leur corps ou seraient troublées clans leur raison,<br />

(seraient atteintes de paralysie partielle ou d'aliénation mentale). »<br />

* *<br />

On n'avoue guère l'importance que la coutume attribue au bain<br />

du quarantième jour. En théorie et officiellement, l'obligation es<br />

sentielle de ce jour est la présentation de l'enfant au Saint, patron<br />

du pays. Quand, à la fin des fêtes de l'octave, les mauresques de Blida<br />

se donnent rendez-vous pour celles du quarantième jour,<br />

elles ne<br />

s'invitent pas aux thermes, mais auprès du marabout. « A la pro<br />

chaine fois, disent-elles,<br />

pour le pèlerinage sacré à Monseigneur<br />

Sidilkbir. » Elles emploient pour la circonstance le nom de hadjdja<br />

qui est le terme consacré au grand pèlerinage de la Mecque,<br />

et non<br />

ziâra qui s'applique d'ordinaire aux visites pieuses faites aux<br />

Santons : elles témoignent ainsi du caractère obligatoire qu'elles<br />

prêtent à ce rite.<br />

A Blida et à Alger, le bain précède la visite au marabout. C'est le<br />

contraire à Médéa, à Douera, dans toute la campagne de la Mettidja.<br />

A Blida même, on constate une réaction contre la coutume. D'après<br />

la légende pieuse, la présentation à Sidi lkbir, le patron de la ville,<br />

serait une institution établie par le saint lui-même de son vivant.<br />

« Il exigeait, dit-on,<br />

que l'enfant né sur ses terres vînt le trouver<br />

avant d'entrer dans aucune maison ni visiter aucun ouali. » Comme<br />

excuse, les Blidéennes, qui en tiennent pour les vieux usages, répon<br />

dent qu'il est plus séant pour elles de paraître en état de pureté<br />

devant le Seigneur et de passer au hammam a , ant de se rendre à<br />

son maqam.<br />

Les Blidéennes,<br />

qui ne se font pas scrupule de visiter les génies du<br />

bain avant Sidi lkbir, craindraient de présenter l'enfant pour la


238 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

première fois à un autre marabout, qui ne serait pas son subordonné<br />

hiérarchique. En mai 1914, une femme de Blida, mère d'un enfant de<br />

trois mois qu'elle n'avait jamais présenté à Sidi lkbir, devait se rendre<br />

avec son nourrisson auprès d'un autre marabout de la région, Sidi<br />

Moussa ben Naçeur. Prise d'appréhension,<br />

elle consulta sur son cas<br />

une matrone d'expérience. « Sidi lkbir ne se fâchera pas, lui répondit<br />

celle-ci,<br />

parce que tu ne vas pas porter ton enfant à un marabout<br />

d'un autre pays : Sidi Moussa a été son disciple ; il reconnaît sa<br />

suzeraineté. Quand on fait un pèlerinage à un marabout qui compte<br />

parmi les assas, ou gardiens d'une contrée,<br />

et que l'on a soin de for<br />

muler en soi-même l'intention de rendre hommage en même temps<br />

qu'à ce saint au saint qui est le inouï el blâd, le Maître de la région<br />

entière,<br />

à ce dernier. »<br />

c'est tout comme si l'on faisait un pèlerinage effectivement<br />

Comme Sidi lkbir, le patron de Blida,<br />

en dehors et assez loin de la ville,<br />

a son enceinte sacrée<br />

on lui porte l'enfant le<br />

lendemain du bain de la quarantaine, où au plus tard dans la semaine<br />

qui suit. On choisit de préférence un vendredi, parce que c'est le jour<br />

de la ziara du Saint, c'est-à-dire le jour où le Seigneur reçoit. La jeune<br />

mère est escortée de la mère de son mari, sa duègne inséparable, et<br />

de quelques parentes. Il est interdit de s'y rendre en bande, plusieurs<br />

mères ensemble. « Si deux ou trois enfants y étaient portés en même<br />

temps, surtout appartenant à une même famille, ils feraient trop<br />

d'envieuses ; on les verrait s'envoler (se volatiliser) sous l'action<br />

maligne de la fascination. » La vraie raison en est, semble-t-il, que le<br />

marabout, comme les génies des bains,<br />

exige que les nouveau-nés<br />

lui soient présentés individuellement. Arrivés près du terrain sacré,<br />

les femmes retirent leurs chaussures, « par respect pour le saint »,<br />

disent les unes ; « de peur de blesser les génies qui fourmillent sur le<br />

sol autour du tombeau », disent les autres. Du plus loin qu'elles aper<br />

çoivent le monument, elles se mettent à prier. « O mon Seigneur, ô<br />

l'Ami, qu'Allah fasse resplendir ta lumière ! Qu'il renforce ton pres<br />

tige !...» Debout, « devant le Siïed», elles baisent sa châsse,<br />

elles se<br />

frottent le visage avec le drapeau arboré à un angle de Pédicule,<br />

ou avec la housse de brocart qui drape son tombeau ; et elles en<br />

passent un coin sur le front de l'enfant, « pour lui blanchir la face ».<br />

Après quoi, tandis que ses compagnes vont s'asseoir à l'écart, sur<br />

les tombes voisines, la jeune mère, s'accroupissant près du chevet<br />

du saint, heurte de la main à la pierre dressée qui marque dans les<br />

tombes l'emplacement de la tête : elle appelle sur elle son attention.<br />

Elle introduit alors l'enfant par la petite fenêtre latérale du sarco-


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 239<br />

phage et le pose sur « la poitrine de l'ouali ». Elle allume des cierges,<br />

ainsi que la lampe de terre vernissée que l'on trouve chez<br />

tous les marabouts. Et, ce faisant, elle prie : « Maître de la ville, je<br />

t'apporte ton enfant. Regarde comme il est joli ! Garde-le du mau<br />

vais œil. Fais-le grandir et prospérer. Protection ! Salut ! Longévité !<br />

Ecarte de lui les vices (physiques et moraux),<br />

réjouis-nous en lui.<br />

Et moi, chaque année, je te l'apporterai et je t'apporterai ta rede<br />

vance jusqu'au jour où, devenu grand, il viendra lui-même,<br />

sur ses<br />

pieds, te brûler des cierges, te verser les offrandes pieuses, figurer<br />

dans les saintes théories... » Elle continue ainsi longtemps,<br />

avec la<br />

volubilité propre à la femme en général et aussi avec cette loquacité<br />

captieuse et cette insistance enveloppante qui sont particulières à<br />

la race, dans ce style câlin et mignard que les mauresques affectent<br />

avec les génies et les marabouts : « Vois cet ange ! Il est à toi ; ce<br />

chardonneret, ce joyau, il est tien. Il sera ton petit chien, ton khedim..<br />

Il vient te demander ta baraka. » Et, changeant de voix,<br />

elle fait<br />

parler l'enfant et demander au Saint « sa petite santé. » Les femmes,<br />

éparpillées sous les grands arbres du bosquet sacré,<br />

répondent favo<br />

rablement à ses prières par des ululations de bon- augure. Du bout<br />

de son index,<br />

elle prend dans la lampe du Siïed de l'huile sanctifiée<br />

et elle en frotte le visage, les pieds et les mains de l'enfant et lui en<br />

fait sucer une goutte.<br />

« Que cela profite à cet enfançon ! » dit-elle.<br />

La grand'mère dépose une assiette de t'ommina nouée avec une ser<br />

viette, dans la châsse du saint. Au moment de partir, les pèlerines<br />

remettent à l'oukila, la gardienne du sanctuaire, une petite offrande,<br />

fixée par la tradition à une ouqia (0,30 centimes). Et l'oukila prie<br />

pour elles. « Qu'Allah rende votre visite profitable et agrée votre<br />

pèlerinage, ainsi que celui de tous ! Qu'Allah fasse qu'il soit, Lui,<br />

l'Ami, avec nous, avec vous et avec cet ange, s'il plaît à Dieu ! »<br />

Dans la croyance féminine, la présentation du nouveau-né au<br />

Patron du pays marque un moment décisif dans sa vie. Son sort y<br />

est fixé en quelque sorte. C'est conformément à cette idée que les<br />

mères s'v préoccupent de la carrière future de leurs enfants et même<br />

de leur mariage. Il n'est pas rare de voir deux femmes se promettre<br />

solennellement, devant le tombeau du Saint, d'unir ensemble un joui-<br />

deux poupons encore à la mamelle et prendre le Maître du pays à<br />

témoin de leurs engagements.<br />

On<br />

remarque chez les nègres de la Mettidja une observance du<br />

quarantième jour qui semble leur être particulière. Avant de sortir<br />

ele la maison, les parents se procurent du corail rouge, des perles en<br />

verroterie de diverses couleurs appelées aggach, des cauris, une petite


240 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

boîte contenant des aromates des nègres (bkhour el ouçfan) et qui<br />

se vend à la maison commune, siège de leur association (dar el djem'a)<br />

On y ajoute la chachia de Baba Merzouq, c'est-à-dire le bonnet rouge<br />

qui coiffe le chef de la confrérie le jour où les adeptes se livrent à la<br />

grande danse sacrée (djdâb el kbir). Tous ces objets sont posés sur<br />

la poitrine de l'enfant au moment où, sur le bras de sa mère, il fran<br />

chit le seuil. Chaque fois que le cortège passe auprès d'une fon<br />

taine ou d'une fosse à fumier, il fait halte et l'on jette, dans l'eau<br />

ou au milieu des immondices, des perles, des aromates et des cauris,<br />

en disant : « Les perles sont pour vos enfants, les aromates pour vous<br />

et les cauris pour vos esclaves nègres. » En rentrant du bain ou de la<br />

visite au marabout, suivant les cas, on rapporte respectueusement à<br />

la maison commune le couvre-chef du grand prêtre,<br />

petit coffret empruntés pour la cérémonie.<br />

A Douera, les indigènes,<br />

ainsi que le<br />

avant de porter l'enfant au hammam le<br />

quarantième jour, vont le présenter à Pouali ou saint local. On a soin<br />

de puiser de l'eau à sept puits, ou ravins ou ruisseaux, enfin, dans<br />

sept endroits différents ; on prend une poignée de cendres à sept<br />

foyers ; du lait à sept vaches ou chèvres ; des grains à sept silos. On<br />

recueille de la suie sur trois pierres de foyers. L'eau et le lait sont<br />

portés dans des bouteilles, le reste à la main. La mère, son enfant<br />

sur un bras, sort de la ferme, et, dès le seuil de la porte, jette à sept<br />

reprises différentes dans les quatre directions,<br />

un peu de chacun des<br />

objets qu'elle porte et prononce ces mots : « Les céréales sont pour<br />

vous et le lait pour vos enfants, la cendre pour vos esclaves nègres<br />

et l'eau pour vos khoddam (serviteurs). » Quant à la suie, on<br />

en enduit les pieds de l'enfant. La formule, (appelée tantôt qraïa,<br />

comme la lecture du Qoran, ou 'azima, incantation), est répétée aussi<br />

souvent que l'on jette ou que l'on sème les offrandes aux génies.<br />

A Médéa, comme à Douera,<br />

avant de conduire l'enfant aux bains<br />

(toujours les mêmes, les bains appelés Elguebli), on présente l'enfant<br />

au marabout. Si l'enfant est du sexe masculin, on emporte avec lui<br />

une faucille, un soc de charrue et une clef,<br />

ainsi qu'un pain azyme<br />

pétri avec du beurre fondu. Dès que les parents sont arrivés<br />

au sanctuaire, les assistants se partagent le pain. Puis,<br />

par dessus<br />

le soc posé à terre, on fait passer sept fois le nouveau-né. On croit<br />

par là influencer l'avenir de l'enfant. Le soc doit faire de lui un vail<br />

lant cultivateur. La faucille lui promet de riches récoltes. La clef<br />

lui livre en toute propriété de nombreux immeubles. Plus tard, la<br />

première fois que cet enfant prend rang parmi les moissonneurs, il


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 241<br />

a soin de s'armer de la faucille qui l'a accompagné dans son premier<br />

pèlerinage.<br />

Si l'enfant est une fille, la mère visite le marabout avec un fuseau,<br />

un peigne à carder, une mechehekla. Le fuseau est soigneusement<br />

mis de côté par la mère qui la présente à la fillette le jour où elle<br />

commence à apprendre le travail de la laine.<br />

*<br />

* *<br />

On prétend que, dans l'ancien temps, toutes les familles qui fai<br />

saient le pèlerinage du quarantième jour auprès du Patron de la<br />

ville, étaient tenues de lui offrir un sacrifice sanglant. On égorgeait<br />

une poule, le plus souvent, ou un mouton, voire même un bœuf. De<br />

nos jours, l'oblation d'une victime de ce genre n'a jamais lieu que<br />

dans le cas où l'enfant que l'on présente au Saint lui a été, comme<br />

on dit, «acheté, mechri».<br />

Il arrive souvent, en effet, qu'une femme qui se voit frappée de<br />

stérilité ait recours à un marabout renommé pour « donner des<br />

enfants». Elle se rend à son sanctuaire. Elle allume des cierges, fait<br />

fumer des aromates. Elle se frictionne le ventre avec l'huile sainte.<br />

qu'elle prend à la lampe du Saint. Elle avale un peu de « magie »<br />

comme on dit (reqoua),<br />

c'est-à-dire quelques pincées de la terre qui<br />

entoure le tombeau et qui passe pour si bien imprégnée de la puis<br />

sance du Saint qu'on l'appelle le charme par excellence. Puis, après<br />

avoir baisé la châsse, elle passe la tête par la petite ouverture qui v<br />

est ménagée, et, la bouche proche du visage du marabout, elle lui<br />

dit : « Je te prie et t'adjure par ta réputation, dénoue-moi ma cein<br />

ture et remplis-moi ma maison : je te donnerai un drapeau, je t'of<br />

frirai un mouton, un taureau. O mon Seigneur,<br />

un mouton pour un<br />

enfant ! Un taurillon en échange d'un taurillon ! Une tête pour une<br />

tête!»(l).<br />

Si le vœu ainsi formulé se réalise, les parents du nouveau-né se<br />

hâtent de s'en acquitter ; faute de quoi, ils craindraient de voir mou<br />

rir l'enfant que le Saint mécontent reprendrait. Le père donc, se<br />

solidarisant toujours dans ce cas avec sa femme, le quarantième<br />

jour après la naissance,<br />

lui la victime promise, bouc,<br />

se rend auprès de l'ouali en poussant devant<br />

mouton ou bœuf. Il verse entre les<br />

mains de l'oukil une ou'ada, une offrande en argent,<br />

et demande<br />

au chef de la zaouia la permission de sacrifier au Saint.Les marabouts,<br />

(1) Comparer dans le Corpus inscriptionum latinarum (n° 4408)<br />

mule d'un vœu de substitution: nnimampro anima, agnum pro viro.<br />

cette for


242 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

ou descendants de ce saint,<br />

se partagent la chair de l'animal égorgé.<br />

L'enfant doit obligatoirement porter le nom de Pouah qui l'a vendu.<br />

Si le père, comme il est — fréquent, car cet usage est resté vivace,<br />

surtout parmi les campagnards,<br />

— possède<br />

une ferme,<br />

après avoir<br />

remis effectivement au Saint, dans la personne de ses descendants,<br />

la bête promise, il entre en négociations avec eux et la leur rachète.<br />

Il la ramène donc chez lui et la mâle à son troupeau. Cette bête<br />

consacrée est pour son cheptel une baraka qui le fait prospérer ; et,<br />

de plus, la vie de l'enfant passe pour intimement liée à celle de la<br />

bête, qui assure se longévité ou du moins le garantit contre les périls<br />

du premier âge. Elle est appelée, dans la famille et parmi les voisins,<br />

le « frère » de l'enfant.<br />

Il arrive souvent que l'on croit devoir finir la journée chez le<br />

marabout bienfaiteur et incuber auprès de lui. Dans ce cas, les pa<br />

rents tiennent le plus grand compte des rêves qu'ils peuvent avoir<br />

cette nuit-là. Le Saint, croit-on, manifeste régulièrement ses volontés<br />

ou fait des recommandations ou encore révèle l'avenir. Il est consi<br />

déré comme un signe excellent de voir en songe un lion tournant<br />

autour de l'enfant, comme pour le garder,<br />

ou de se voir soi-même<br />

dans la châsse du Saint, forteresse inexpugnable où l'on peut dormir<br />

à l'abri de tout danger. D'ailleurs, dans ces moments de foi surexcitée,<br />

au sein de cette nature peuplée de souvenirs légendaires, dans cette<br />

vallée de Sidi lkbir où l'horreur sacré, le roub, comme disent les indi<br />

gènes, enveloppe l'homme de toute part, le moindre incident du pèle<br />

rinage prend un sens mystique : le roucoulement d'une tourterelle,<br />

un chant d'oiseau,<br />

une parole entendue ou bien l'apparition d'un<br />

aigle, d'un vol de ramiers, tout est interprété comme un présage que<br />

l'on commente et que l'on note soigneusement dans sa mémoire.<br />

La dévotion au marabout ne fait pas oublier les génies, ses ser<br />

viteurs et ses rivaux. Leur habitat ne se trouve jamais bien loin de<br />

la demeure du Siïed. C'est ainsi qu'à quelques pas de l'enceinte<br />

sacrée de Sidi lkbir on va visiter PAnçeur, la source qui alimente<br />

Blida. On y dresse des tentes avec des draps de lit suspendus ; on y<br />

dîne et l'on y incube pendant l'été. Les rites d'actions de grâces et de<br />

propitiation que nous avons décrits à propos du marabout se repro<br />

duisent ici. Les femmes prient, demandent la protection des génies<br />

pour le nouveau-né, brûlent du benjoin ou le jettent dans la rivière,<br />

allument des cierges et répandent dans l'eau du gâteau de la naissance,<br />

de la t'ommina, qui s'y éparpille bientôt et s'y fond sans laisser de<br />

trace : l'on dit alors que la source l'a avalé, que les génies l'ont en<br />

glouti, l'ont mangé et qu'ils ont agréé Poblation.


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 243<br />

Un peu plus loin, en remontant l'Oued el kebir, dans un vallon<br />

de la rive droite,<br />

s'ouvre une petite grotte où les montagnardes qui<br />

redoutent la stérilité viennent souvent demander l'intervention de<br />

la divinité. La dame du lieu, une fille de Sidi lkbir,<br />

le nom de Lalla Nfisa,<br />

est connue sous<br />

qui veut dire en arabe régulier la Dame Pré<br />

cieuse, mais qui est rapproché dans l'esprit populaire du mot nfas<br />

(couches)<br />

et vaut autant que Dame des accouchements. Pour avoir<br />

des enfants, les femmes de Blida, naguère encore, venaient camper<br />

une nuit devant la kheloua (l'ermitage) de la Sainte ; après avoir<br />

sacrifié à Sidi lkbir,elles sacrifiaient une seconde fois, soit un mouton,<br />

soit plus souvent une poule devant cette kheloua ; la femme qui<br />

sollicitait les faveurs de Lalla Nfisa s'isolait pendant quelque temps<br />

dans sa retraite ; elle devait y faire ses ablutions et formuler son vœu.<br />

On relève, sur les parois et sur le sol de la grotte, des taches de gou<br />

dron et de sang ; ces barbouillages témoignent du mécontentement<br />

de certaines dévotes déçues qui veulent faire honte à Lalla Nfisa de<br />

sa négligence. Mais souvent aussi on voit des mères heureuses venir<br />

y remercier leur bienfaitrice, le quarantième jour après leur couches.<br />

Elles pénétrent dans l'étroite grotte avec leur enfant sur le bras ;<br />

elles poussent des iouious vibrants que la cavité renvoyé aux rochers<br />

du ravin encaissé ; elles prétendent distinguer alors des ululations<br />

lointaines et ténues qui leur répondent ; car tout bruit mystérieux<br />

leur paraît un présage et l'écho, dans cette circonstance, passe pour<br />

une manifestation de la sympathie des Esprits. Elles remplissent<br />

d'huile les lampes en terre vernissée qui,<br />

avec de grossières casso<br />

lettes, forment tout l'ornement du rustique sanctuaire ; elles les<br />

allument, ainsi que des cierges qu'elles ont apportés ; elles fumigent<br />

au benjoin et à l'aloës et, finalement,<br />

sèment sur le sol une couche<br />

aussi épaisse que possible de feuilles brisées de henné. Sur cette<br />

jonchée, la jeune mère dépose son enfant et se retire hors de la grotte.<br />

Elle doit l'abandonner seul quelques instants, pour permettre à Lalla<br />

Nfisa et à ses compagnes de s'approcher de lui. Les oreilles des gens<br />

qui ont la foi, affirme-t-on,<br />

perçoivent alors dans l'ombre des chucho<br />

tements, des voix et de ces sortes de chants propitiatoires dans les<br />

quels les mauresques ont coutume de pronostiquer un avenir heu<br />

reux aux nouveau-nés et qu'elles nomment teqdams. Quand la mère<br />

veut reprendre son enfant, elle le trouve radieux,<br />

des visions qu'il vient d'avoir,<br />

d'après la croyance générale,<br />

— et<br />

—<br />

comme ébloui<br />

car les enfants voient les esprits,<br />

souriant encore des caresses qu'il<br />

a reçues. On dit aussi que les Bonnes Personnes ont pour habitude<br />

de teindre de henné l'enfant qui leur est présenté, ce que l'on cons-


244 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

tate effectivement sur ses mains et sur ses pieds ; et la mère elle-<br />

même, en reprenant ses chaussures laissées à l'entrée de la grotte,<br />

remarque souvent que la plante de ses pieds s'est colorée d'une couche<br />

nouvelle cl'ocre fraîche : c'est que Lalla Nfisa a attaché de son henné<br />

à la mère comme à l'enfant et les a agréés tous deux.<br />

De même que les génies des grottes et des eaux, ceux des arbres<br />

et des rochers passent aussi pour donner des enfants. Leur culte,<br />

encore qu'un peu vieilli ele nos jours, n'en est pas moins fort répandu ;<br />

c'est ce dont le langage courant témoigne ; on dit en effet d'une<br />

personne qui a, suivant notre expression, la foi du charbonnier :<br />

« elle a foi clans l'arbre et la pierre,<br />

andou niia feççdjra ouelh'adjra. »<br />

Naturellement, à la première sortie de l'enfant, dont la naissance<br />

est attribuée à l'intervention de ces sortes d'Esprits,<br />

on va le leur<br />

présenter. On encense le lieu, on l'illumine à l'huile et à la cire, on<br />

sacrifie un poulet quelquefois,<br />

on jette un cornet de benjoin ou de<br />

graines de coriandre, ou une assiette de t'ommina,<br />

ou encore trois<br />

gros sous dans la crevasse du vieil arbre sacré ou clans une cavité<br />

du rocher vénéré. Le rituel n'est jamais bien dispendieux ni com<br />

pliqué dans un milieu pauvre et simple, où le don d'un enfant par<br />

un Esprit ne paraît nullement miraculeux. C'est par l'intention, et<br />

non par la pompe des cérémonies,<br />

que le pèlerinage d'actions de<br />

grâces du quarantième jour se distingue souvent du culte hebdoma<br />

daire que l'on rend à cette sorte de divinités inférieures.<br />

Dans les villes, la reconnaissance des femmes se témoigne non<br />

moins mystérieusement peut-être, mais plus somptueusement, aux<br />

génies à qui elles croient devoir leur titre de mères. Voici la présen<br />

tation d'un « enfant acheté à une deroucha», à Blida, vers 1908. A<br />

cette époque, une négresse, du nom de Bent Mordjana, jouissait<br />

dans la contrée de la réputation de parler sur l'avenir, de guérir les<br />

malades, etc., et aussi d'intercéder avec succès pour les femmes qui<br />

désiraient avoir des enfants. Elle entretenait dans un coffre un<br />

serpent qu'elle nourrissait d'œufs durs et avec lequel "elle affectait<br />

d'avoir de longs colloques. Elle racontait que ce serpent était un<br />

génie, qu'il portait le nom de Baba Merzouq ; qu'elle avait sous ses<br />

ordres, grâce à lui, sept cohortes de génies subalternes de toute es<br />

pèce, chrétiens, juifs, musulmans. Elle avait imposé aux femmes qui<br />

lui « obéissaient», c'est-à-dire qui s'étaient vouées à elles en recon<br />

naissance d'une guérison ou, plus souvent, parce qu'elles lui avaient<br />

« acheté » leur enfant, l'obligation de venir chaque année, le vingt-<br />

sept de Ramadan,<br />

lui apporter à son domicile une redevance pécu<br />

niaire (oua'da) et lui offrir une victime sacri fieutoire (nechra). Beau-


ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA 245<br />

coup ne fournissaient qu'une poule ; mais d'autres, surtout les jeunes<br />

mères, faisaient les frais d'un mouton ou d'un bouc ou d'un taurassin.<br />

On commençait par identifier chaque victime avec l'enfant qu'elle<br />

devait représenter. Pour ce faire, s'il s'agissait d'un volatile,<br />

on le<br />

balançait sept fois autour de la tête pour laquelle il était offert ; et<br />

si c'était un quadrupède, on le tramait sept fois aussi autour de celui<br />

auquel il servait de rançon. Après quoi, un nègre, gendre de Bent<br />

Mordjana, procédait à l'immolation, ce qu'il faisait dans le patio<br />

de la maison, au-dessus de la bouche de l'égoût. Il entravait d'abord<br />

et abattait sur le flanc la plus grosse pièce. Pendant ces préparatifs,<br />

Bent Mordjana,<br />

comme prise d'une fringale et d'une fureur surhu<br />

maines, haletant et gémissant d'impatience, tournait, trépignait<br />

bondissait, —<br />

suivant l'expression et la croyance indigène, soulevée<br />

en Pair et précipitée tour à tour à terre par le génie qui la possédait,<br />

jusqu'au moment où, voyant la gorge de la bête tranchée, elle se<br />

jetait dessus et, collant ses lèvres sur la blessure béante, elle en buvait<br />

le sang à longs traits. Comme soûle bientôt, incapable de se relever,<br />

elle se roulait sur le sol convulsivement. Les affiliées autour d'elle<br />

ululaient. Des négresses, leurs cassolettes en terre dans les mains,<br />

alourdissaient Pair des fumées des aromates. Bent Mordjana vati<br />

cinait. Tous les mots incohérents qu'elle prononçait alors étaient<br />

recueillis comme des oracles.<br />

Venait alors le moment marqué dans la cérémonie pour la consé<br />

cration des nouveau-nés. Les jeunes mères de l'année, celles dont les<br />

enfants n'avaient pas encore vu le jour au Ramadan précédent, se<br />

rangeaient, leurs nourrissons aux bras,<br />

—<br />

autour de la pythonisse.<br />

Derrière se pressaient les femmes dont les enfants avaient reçu cette<br />

sorte de sacrement dans les années antérieures. Trempant l'index<br />

de sa main droite dans le sang de la victime, la deroucha s'arrêtait<br />

devant chacun des<br />

nouveau-nés successivement et les marquait<br />

d'une pointe de sang derrière le pavillon des oreilles et sous la plante<br />

des pieds,<br />

pendant que les assistantes faisaient entendre leurs vi<br />

brantes acclamations coutumières et,<br />

leurs enfants déjà initiés,<br />

engagement ou les faire<br />

du mystère.<br />

Cette scène,<br />

élevant au bout de leurs bras<br />

semblaient vouloir les confirmer dans leur<br />

participer à nouveau aux heureux effets<br />

un peu étrange, si l'on veut, mais commune dans les<br />

« Maisons de réunion » des nègres,<br />

à celles que nous avons<br />

une deroucha n'est pas traité<br />

est au fond étroitement apparentée<br />

précédemment décrites. L'enfant acheté à<br />

autrement que l'enfant acheté à un<br />

marabout. Dans les deux cas nous retrouvons le vœu à la divinité,


246 ETHNOGRAPHIE TRADITIONNELLE DE LA METTIDJA<br />

le sacrifice sanglant, le geste de la présentation ; ici, par le baptême<br />

du sang, là, par l'imposition du nom, en somme, ici et là, par un rite<br />

d'agrégatio:i caractérisé, l'enfant est voué à un Esprit, vis-à-vis du<br />

quel il contracte pour la vie des obligations annuelles. C'est donc<br />

une même inspiration qui anime l'une et l'autre pratique et nous<br />

devions les rapprocher. Mais, d'autre part, une différence se remarque<br />

entre elles ; elle est relative à leur date. La pratique maraboutique<br />

a son moment fixé par la naissance de l'enfant, puisqu'elle doit avoir<br />

lieu après la première quarantaine. L'autre au contraire dépend du<br />

calendrier et doit tomber le 27 Ramadan,<br />

nion »,<br />

—<br />

/<br />

parce que la« Grande réu<br />

c'est ainsi que les adeptes appellent cette solennité,<br />

coïncider avec le jour où les génies,<br />

— doit<br />

emprisonnés pendant la période<br />

du jeûne, reprennent possession de leur empire. A ce point de vue,<br />

cette dernière déborde notre sujet et sa description se trouve<br />

avoir entraîné déjà au-delà du cadre de ce chapitre, que nous avons<br />

réservé aux particularités du quarantième jour.<br />

(A suivre )<br />

J. DESPARMET.


VENISE AU XVIII SIÈCLE<br />

:K=<br />

(Conférence faite à la Société de Géographie<br />

Mesdames, Messieurs,<br />

le 15 février 1918)<br />

En vous entretenant de Venise au XVIIIe siècle, je n'ai pas seule<br />

ment voulu, en ce temps de préoccupations sévères, vous inviter,<br />

durant une heure d'oubli, à venir rêver sous le pont des soupirs ; je<br />

n'ai pas seulement voulu ranimer en vos âmes l'émoi sacré, la fureur<br />

sainte qui nous prirent, lorsque, foulant le sol de la Latinité, l'en<br />

vahisseur menaça Venise d'un sort semblable à celui d'Ypres et<br />

de Louvain ; mais la cité des Doges est là, qui se propose à nos mé<br />

ditations comme un exemple singulièrement propice à illustrer cer<br />

tains décisifs contrastes entre le génie méditerranéen et la mentalité<br />

germanique. Aussi,<br />

avant de vous introduire dans la Venise car<br />

navalesque du Président de Brosses, de Casanova et de Candide,<br />

souffrez que, cédant à une déformation d'esprit professionnel, je vous<br />

montre le côté philosophique et l'opportunité de mon très inactuel<br />

et frivole sujet.<br />

Lorsque l'on met en parallèle l'Allemagne moderne avec ces peu<br />

ples de choix, qui, établis sur des rives fortunées,<br />

l'humanité d'éternelles raisons de vivre,<br />

découvrirent pour<br />

on en arrive immanquable<br />

ment à accuser ce contraste. Le Germain et le Latin ne comprennent<br />

pas de la même façon la notion de civilisation. Qu'est-ce pour nous<br />

qu'un homme civilisé ? C'est, à coup sûr,<br />

un individu qui refrène<br />

ses instincts, tempère ses désirs, maîtrise ses passions ;<br />

qui accepte<br />

l'effort, la lutte, la souffrance, en vue de se procurer cette partie<br />

de la vie sage, tendre, harmonieuse et sereine qui s'appelle le bon<br />

heur. Qu'est-ce qu'un peuple civilisé ? C'est un peuple qui limite ses<br />

ambitions, qui contient ses appétits dans les bornes du droit, des


248 VENISE AU XVIIIe SIECLE<br />

prescriptions de la morale, des commandements de l'honneur ; qui<br />

tend à réaliser, non une augmentation indéfinie de puissance, mais<br />

un idéal de perfection. C'est ainsi que le monde antique et la vieille<br />

Europe ont fait du respect des traditions, de la modération, de la<br />

simplicité, des vertus sociales cardinales et, ont créé des sciences dé<br />

sintéressées, des littératures admirables, des œuvres d'art achevées,<br />

des sagesses consolatrices, des systèmes juridiques accomplis. Tout<br />

autre est la conception germanique. Elle exalte par dessus tout<br />

l'obscure volonté de puissance,<br />

qui s'exerce insatiablement sans se<br />

satisfaire jamais ; elle déclare l'illimité supérieur au fini, l'inachevé<br />

au parfait, le devenir à la forme, la tension stridente de l'effort à la<br />

satisfaction noblement savourée, la guerre qui déchaîne un chaos<br />

à la paix qui dispense l'harmonie. Aux antiques idéals de perfec<br />

tion qualitative, elle substitue un idéal de puissance quantitative, qui<br />

consiste dans l'exploitation frénétique, sans souci de goût, de probité<br />

et de mesure, des ressources et des énergies naturelles ; dans le dé<br />

ploiement forcené, sans égard pour les autres peuples, de son im<br />

périalisme tentaculaire. Et voici bien les conséquences. Alors que le<br />

faîte de leur grandeur marque pour Athènes, pour Rome,<br />

pour les<br />

Républiques italiennes, pour la France louisquatorzième, l'apogée<br />

de leur culture, par un effet tout contraire, la réussite militaire et<br />

économique de l'Allemagne est le signe de sa déchéance spirituelle.<br />

Le temps n'est plus où, laissant à l'Anglais l'empire des mers, au<br />

Français l'empire des terres, l'Allemagne idéaliste se réservait l'em<br />

pire des cieux et manifestait au monde étonné la suréminence de ses<br />

penseurs, de ses poètes et de ses musiciens : à Kant, à Goethe, à<br />

Beethoven, il n'est plus donné ele successeurs aujourd'hui. Potsdam<br />

a détruit Weimar et la prédiction de Nietzsche s'est réalisée : « l'em<br />

pire allemand tuera l'esprit allemand.»<br />

C'est ce que reconnaissent très volontiers les dirigeants actuels de<br />

la nouvelle Allemagne. Ecoutez ce qu'en dit Treitschke : « Si le<br />

rêveur peut déplorer qu'Athènes avec sa culture raffinée ait succombé<br />

devant Sparte, la Grèce devant Rome, Rome devant les Barbares...,<br />

le penseur reconnaît qu'il devait en être ainsi. L'Etat n'est pas une aca<br />

démie d'art ; quand il sacrifie aux aspirations idéales de l'Humanité,<br />

il court à sa ruine. » Les peuples latins se servent de leur puissance<br />

comme d'un moyen en vue de servir ces fins idéales de l'humanité<br />

que raille Treitschke ; ils font au monde l'épiphanie du siècle de Pé-<br />

riclès, du siècle d'Auguste, du siècle des Médicis, du siècle de Louis<br />

XIV. Les peuples germaniques, adorateurs de la force en soi, tro-<br />

rjuant résolument la catégorie de la qualité contre celle de la quantité,


VENISE AU XVIIIe SIÈCLE 249<br />

s'affranchissant de toutes disciplines consacrées, se déliant du res<br />

pect des choses humaines et divines, font de leur âge d'or un âge de<br />

fer, ele leur culture une barbarie organisée, et substituent l'ivresse<br />

dionysiaque de la joie rouge à la fête apollinienne, sous les myrtes,<br />

des Dieux, des Muses et des Grâces.<br />

*<br />

* *<br />

Nulle histoire ne convient, plus proprement peut-être, à illustrer<br />

ce contaste, que celle de Venise. Chassés par l'invasion des Huns,<br />

puis par celle des Lombards, dans les îles infécondes de la lagune, les<br />

Vénètes durent leur prodigieuse fortune au paradoxe in<br />

croyable de leur habitat. Tenus de disputer leur place à la mer, en<br />

étayant le sol incertain sur lequel ils construisent ou en bâtissant sur<br />

pilotis, ils ne peuvent songer à vivre des produits de la terre et le<br />

trafic devient leur unique moyen de subsistance.<br />

Pour s'assurer les routes maritimes, les marchés et les débouchés,<br />

ils sont conduits à reprendre, avec une logique rigoureuse, le vieux<br />

rêve de la domination romaine,<br />

mais sur un autre élément et avec<br />

d'autres divinités éponymes : la louve de Romulus est devenue le<br />

lion de Saint-Marc, le lion qui a des ailes comme les vaisseaux ont des<br />

voiles et qui tient le livre par excellence, le livre de foi, qui est aussi<br />

un livre de bord et un grand livre commercial. C'est ainsi épie Venise<br />

conquiert les côtes de son golfe, Chypre et la Murée, les Cyclades et<br />

Candie. Elle plante l'étendard au lim sur les murs de Byzance et<br />

d'Athènes : elle peuple l'Orient de ses consuls, de ses citadelles et de<br />

ses comptoirs. Intermédiaire obligé entre l'Orient et l'Occident, les<br />

mers sont frangées par le sillage de ses escadres, les déserts sont rayés<br />

par les pistes de ses caravanes, qui s'avancent jusqu'au plateau de<br />

Pamir et au désert de Gobi. Chaque année, 3.000 galères montées par<br />

30.000 marins vont échanger les marchandises de l'Europe contre les<br />

richesses de l'Orient. Son commerce se chiffre à 120 millions. Les<br />

artisans d'une fortune si fabuleuse forment une aristocratie hérédi<br />

taire de commerçants, de guerriers et de diplomates,<br />

dont les noms<br />

sont inscrits au livre d'or de la cité. Servie par une constitution ad<br />

mirable, qui équilibre les pouvoirs, les tempère et les contrôle les<br />

uns par les autres, cette oligarchie met à l'établfssement du plus vaste<br />

empire colonial qu'ait connu le Moyen-âge, les qualités d'organisa<br />

tion et de discipline, d'audace militaire et de prudence politique, de<br />

constance et de patriotisme vigilant, qui firent la fortune de Rome.<br />

A suivre cette histoire en ses péripéties essentielles, il semble que


250 VENISE AU XVIIIe SIÈCLE<br />

jamais plus impénitent impérialisme ne se soit manifesté par le<br />

monde. A première vue, les méthodes d'expansion commerciale des<br />

Vénètes ressemblent à celles des Allemands d'aujourd'hui. Même<br />

mélange de coups de force et de ruse, de cautèle douceureuse et<br />

d'audace brutale, l'action diplomatique et militaire préparant la<br />

pénétration commerciale,<br />

et la flotte servant à créer et à protéger les<br />

comptoirs. Mais comme voici des différences.<br />

Ces marchands, transformés en conquérants d'archipels, avec l'ac<br />

quisition de la richesse, prennent le goût du faste et de la culture. Ils<br />

sont ornés d'esprit et nobles de cœur. Ils convient les humanistes<br />

de Byzance et rivalisent d'élégances platoniciennes sous le laurier.<br />

Sans doute, ils ont bien des façons à eux d'aller par le monde mois<br />

sonner des dépouilles opimes : et les colonnes de Saint-Jean d'Acre,<br />

et le quadrige de Byzance et les lions du Pirée. Oui,<br />

mais c'est pour<br />

en parer la cité magnifique qu'avec les marbres de l'Istrie et des Alpes<br />

Carniques ils construisent à la mesure de leur âme romaine. Sans dou<br />

te, ils drainent tout l'or de la Chrétienté. Oui,<br />

mais c'est pour l'écla<br />

bousser sur les murs de Saint-Marc ; c'est pour le délayer sous le<br />

pinceau du Titien, du Véronèse, du Tintoret, qui peignent, aux pla<br />

fonds orgueilleux de leurs palais splendides, Venise, reine des mers,<br />

entourée de divinités marines, Venise trônant sur le monde, revêtue<br />

du diadème, du sceptre et de l'hermine, Venise dogaresse que couron<br />

ne la Renommée. Sans doute, ils guerroyent incessamment contre<br />

le Turc, contre le Grec, contre le Génois ; ils s'affrontent avec les<br />

barbares et les pirates, les corsaires et les Normands : ils se mesurent<br />

avec l'Europe entière liguée contre eux à Cambrai. Oui, mais leurs<br />

belles victoires se changent en belles fresques, en belles légendes, en<br />

belles fêtes. Pour ces dignitaires, à la robe de femme et au cœur ma<br />

gnifique, tels que, réunis en conseil, ils eussent semblé à Cinéas,<br />

non une assemblée de citoyens, mais une réunion d'empereurs, la<br />

beauté était devenue indispensable comme le souffle du large à l'ha<br />

leine de leurs poumons. « Si vous comparez l'histoire civile de la cité<br />

avec ses mémoires littéraires, écrit le doge Marco Foscarini à ses petits<br />

neveux,<br />

vous rencontrerez de part et d'autres les mêmes noms de séna<br />

teurs, d'avogadori de la*commune, de sages du Conseil, d'ambassadeurs<br />

cl de procurateurs qui, du même coup, la dirigèrent avec la prudence<br />

des conseils et l'ennoblirent avec la profession des beanr-arts.» Oh!<br />

que voilà, Messieurs, une conception de l'Etat tout autre que celle<br />

clc Treitschke, qui a tué la joie de vivre. Pour ces patriciens, beaux<br />

par l'égalité d'Ame et la sécurité de l'orgueil, s'acquitter de la vie,


VENISE AU XVIIIe SIÈCLE 251<br />

c'était obéir à une loi de majesté : c'était servir l'Etat, défendre l'Etat,<br />

accroître son profit, mais c'était aussi orner l'Etat, exalter son pres<br />

tige, et, dans le,loisir des guerres et des ambassades, écrire son his<br />

toire aulique et souveraine.<br />

A aucun moment de son histoire, cette qualité de l'âme vénitienne,<br />

commune aux peuples méditerranéens, n'apparaît mieux qu'à l'heure<br />

de son déclin politique. On dirait que l'énorme et splendide chose<br />

n'a bravé l'élément et l'invasion, n'a étendu ses conquêtes, n'a<br />

équipé ses navires, n'a lutté, duré, commercé, prospéré, que pour<br />

s'épanouir, siècle, en une fragile et délicieuse<br />

fleur de l'esprit, Le temps n'est plus, où les cloches de S. Nicolo del<br />

en cet extrême XVIII'1<br />

Lido sonnaient la venue des galères triomphales, qui traînaient, voiles<br />

baissées, les flottes prisonnières. La nouvelle voie maritime, découver<br />

te par Vasco de Gama, a détourné au profit de Lisbonne et d'Anvers<br />

le commerce des épices, sur lequel reposait le plus clair de la fortune<br />

de Venise. Le Turc a conquis Byzance et la Dominatrice, lambeau par<br />

lambeau, se voit dépossédée de son immense empire colonial. D'autres<br />

naissent à la vie industrielle et commerciale. Sur PAdriaque et sur<br />

la Méditerranée, Trieste, Gênes et Livourne lui opposent une pros<br />

périté blessante comme une insulte. L'Amérique rentre dans le con<br />

cert des grandes nations. Le monde est décidément devenu trop grand,<br />

pour que, Venise, trop petite, y puisse maintenir sa préséance. De<br />

vant ce tour de roue de la fortune, en présence de la force des choses,<br />

que va faire la cité Sérénissime ? Va-t-elle déchaîner une guerre horri<br />

ble et crier, comme l'Allemagne de nos jours : périssent le monde et<br />

la civilisation et les arts, périssent le droit,<br />

et toute moralité et tout<br />

honneur plutôt, que la terre échapper à mon hégémonie ? Ah ! que<br />

voilà, Messieurs, un méchant procédé, digne de butors et, de soudards<br />

sans vergogne. Venise représente la plus vieille aristocratie de l'Eu<br />

rope ; c'est une duchesse de sang bleu, à laquelle il appartient de ne<br />

pas échouer dans le vulgaire, de ne pas tenter de solution désespérée,<br />

mais d'accepter son sort avec une maîtrise parfaite. De l'Europe qui<br />

l'a vaincue, elle se venge en lui jetant à la face son éclat de rire, ses<br />

épigrammes et sa chanson. Du peu de poudre qui lui reste,<br />

elle n'a<br />

cure d'en charger des mortiers comme le roi de Prusse, elle en tire<br />

des feux d'artifice. Sa chute offre de l'attitude,<br />

sa ruine disparaît<br />

sous l'apparat de ses fêtes galantes, son dernier soupir se résoud en<br />

musique. Jamais elle ne goûta si bien la vie, et ne la rendit si belle<br />

qu'au moment de la perdre, et, semblable au soleil s'abîmant dans<br />

elle jette aux choses qu'elle quitte un incomparable adieu de<br />

les flots,<br />

clarté.


252 VENISE AU XVIIIe SIÈCLE<br />

*<br />

* *<br />

Venise, au XVIIIe siècle, est une abbaye de Thélème, la folle et<br />

claire cité des sérénades, des masques et des bergamasques, des tra<br />

vestissements et des divertissements,<br />

des enchantements et des em<br />

barquements pour Cythère, aux agrès d'or et aux lanternes de papier<br />

peint. Par les calli, par les campi, en gondoles parmi les rii, rit et<br />

s'ébat la folle mascarade d'un carnaval qui dure six mois. Des Turcs,<br />

des Grecs, des Dalmates, des Levantins, des Maures, des Derviches,<br />

des Muphtis et des matassins, des poètes et des pédants, des mécènes<br />

et des parasites, des financiers et des perrucruiers, des sénateurs et<br />

des filles galantes, des académiciens et des funambules, des aventu<br />

riers et des virtuoses, des mezzetins et des ballerines, des abbés à<br />

l'éventail et des naturalistes à cabinet,<br />

des croupiers de jeu et des<br />

courtiers d'amour, le Président de Brosses et les rois de Candide, toute<br />

une population de féerie d'opéra, de port de mer et de caravansérail<br />

d'Orient s'agite, se précipite, s'accoste et se bouscule en cette cos<br />

mopolis du plaisir, et gambade et danse, comme sur leurs portées,<br />

chargées d'appogiatures, les quadruples croches du carnaval de<br />

Schumann. Tous les idiomes se confondent au pied du Campanile<br />

qui devient une tour de Babel ; toutes les modes se mêlent et se ma<br />

rient : manteaux de soie et pourpoints brodés, simarres de pourpre,<br />

robes de chambre et robes de palais. Passent des figures de carêmes-<br />

prenants : un Turc avec sa pipe, un Roi avec son sceptre, un diable<br />

avec sa vessie. Se silhouettent les profils tendres et charmants, co<br />

miques et pathétiques de la comédie italienne : les moustaches de<br />

Scapin, les besicles de Tartaglia, le bonnet de laine de Pantalon, la<br />

plume de coq de Scaramouche et la risette de Zerbinette. Turbans et<br />

bonnets pointus, nez postiches et capes envolées, ce sont tous les<br />

manteaux du Rire,<br />

Procuraties,<br />

tous les grelots de la Folie. Sous les arcades des<br />

cette foule se précipite avec un incessant bruit de ruis<br />

sellement ; s'arrête aux trétaux des marchands de perlimpinpin<br />

et des acrobates, des astrologues et des improvisateurs, des chante-<br />

histoire et des frères prêcheurs ; s'empile dans les baraques des ma<br />

rionnettes, dans les ménageries, dans les cirques et les cosmoramas,<br />

qui transforment la Piazza et la Piazzetta en un immense champ de<br />

foire. Venise est devenue l'auberge joyeuse de l'Europe.<br />

Elle ne veut connaître d'autre vie que la vie légère, d'autre oc<br />

cupation que les passe-temps. Si le monde est une plaisanterie,<br />

disait Renan, il faut tâcher de la rendre bonne par la gaîté : à cela<br />

s'efforce Venise. On dirait que les hommes se sont imaginés pour une


VENISE AU XVIIIe SIÈCLE 253<br />

fois d'oublier leurs querelles, d'être simplement et bonnement<br />

heureux. Jamais alors le mot triste ne prit mieux son acception<br />

italienne de méchant, le mot pensée son acception italienne de cha<br />

grin. Chacun s'assigne comme unique devoir de bien tenir le person<br />

nage qu'il a librement choisi en Venise, cité du plaisir, comme les<br />

Stoïciens s'efforçaient à bien remplir le rôle que la providence leur<br />

avait ménagé en la cité de Zeus, qui était le monde. « Si vous parlez<br />

à un Arlequin, dit un auteur du temps, vous le trouverez aussi éva<br />

poré qu'un Irlandais, le jurisconsulte a un ton de dispute, le médecin<br />

a Pair pédant. »<br />

Les masques dissimulent les caractères, comme ils dérobent les<br />

conditions. Les gens d'esprit se déguisent en Allemands, les tempérants<br />

en Polonais, les beaux indifférents prennent des airs jaloux, les vrais<br />

jaloux ne le paraissent qu'en miniature. Autorisé par la République,<br />

le masque est protégé par elle. Un morceau de satin sur les yeux, un<br />

capulet en taffetas noir sur les épaules,<br />

c'est masqué qu'on expédie<br />

ses affaires, qu'au marché on emplette, qu'en visite on se rend. Mas<br />

qué, on peut tout dire, tout oser, tout entreprendre, entrer partout,<br />

dans les églises, dans les salons, au Conseil comme au Ridotto. U n'est<br />

plus de hiérarchie sociale, de patriciens aux longues manches et de<br />

faquins qui les baisent, d'inquisiteurs et de religieuses, de sbires et<br />

de zentildonne, de pauvres et d'étrangers. Le masque établit une douce<br />

égalité et se fait un jeu d'unir les destins les plus disparates. Entre<br />

metteur et bénévole, il noue les intrigues, sème les imbroglios, mul<br />

tiplie les alibis. Il autorise toutes les audaces, il ouvre les portes dé<br />

robées, il suspend aux balcons les éeharpes de soie, il se tapisse en<br />

tapinois aux écoutes. Il entremêle les fils divers des aventures, aven<br />

tures comiques, aventures romanesques, aventures galantes qui font,<br />

de ce pays, le pays de l'invraisemblable.<br />

L'aventure est partout. Le théâtre est un théâtre d'aventures<br />

le roman est un roman d'aventures, l'existence est une existence<br />

d'aventures. Transportée dans un inonde d'enchantement et de<br />

féerie, la vie y trouve des facilités et des accomodements. Les obsta<br />

cles s'y surmontent à l'aide de déguisements et de stratagèmes. Rien<br />

n'empêche qu'un roi en exil courtise une n'y bouquetière, ou qu'une<br />

princesse n'y favorise un baladin. Vous rentrez tranquillement chez<br />

vous : une fenêtre s'ouvre et vous recevez dans les bras, au long d'une<br />

corde qui se déroule, un panier qui contient un enfant. Vous êtes à<br />

deviser avec des amis : survient un barcarol qui vous tire par l'habit<br />

et vous conduit à une gondole où une inconnue tremble, se récrie à<br />

votre approche, se laisse prendre les mains et arracher son histoire


254 VENISE AU XVIIIe SIÈCLE<br />

de princesse napolitaine. Naguère, les grands ancêtres de la funambu<br />

lesque cité avaient, eux aussi, tenté les aventures. Seulement, elles<br />

étaient d'une autre sorte. Montés sur les galères ou à dos de carava<br />

nes, ils s'en allaient,<br />

marchands transfigurés en paladins et en con-<br />

quistadors, à la découverte de débouchés, de comptoirs, de routes<br />

nouvelles, de terres promises, de colonies à rattacher à la mère patrie.<br />

Aiijourd'hui, leurs petits-fils ont hérité leur humeur aventureuse.<br />

Seulement, ils se contentent, sur un moins vaste théâtre, de mener<br />

les existences traversées des Gil Blas et des Figaro. Marco Polo est<br />

devenu Casanova.<br />

A côté des aventures, qui sèment la vie d'imprévu,<br />

ce ne sont<br />

que petits soucis, plaisirs futiles, qui filent la trame de ces heures<br />

d'une incurable frivolité. Intriguer sous le masque, se jeter au visage<br />

des œufs remplis d'eau de senteur,<br />

s'arrêter aux trétaux des marion<br />

nettes, écouter au détour d'une ruelle le flafla que bat la batte d'un<br />

Arlequin, échanger sous les arcades un lazzi avec un Gilles de satin<br />

blanc, jouer le soir au pharaon en buvant du malvoisie, à cela se me<br />

sure la taille de l'intérêt. Un proverbe circule, dont chacun s'efforce<br />

ele faire un programme : « Le matin, une petite messe ; l'après-midi,<br />

une petite partie, et le soir,<br />

une petite femme. » On va dans les églises<br />

transformées en lieux de rendez-vous mondains, pour y écouter, sous<br />

les claires fresques de Tiepolo, le grand orgue de Scarlatti, ou pour<br />

savourer la volupté suprême de donner au plaisir la saveur d'un pé<br />

ché. On va, dans les parloirs des couvents, tenir académie de bel es<br />

prit autour de tasses de chocolat, et visiter, derrière leurs grilles lé<br />

gères, les religieuses décolletées,<br />

qui reçoivent l'hommage d'abbés<br />

galants, de patriciens affables et de nobles étrangers. On va dans les<br />

théâtres, pour y entendre une comédie de mœurs de Goldoni, une far<br />

ce de Gozzi ou un opéra-bouffe. On va dans les casini, qui allument leurs<br />

bougies à deux heures du matin et mêlent les cavaliers et les dames<br />

ele condition.<br />

Lorsque cesse le Carnaval,<br />

qui commence le premier octobre et se<br />

termine le mardi gras à minuit, la fête n'est pas terminée pour cela.<br />

C'est même alors que, cessant d'être cosmopolite, elle devient pro<br />

prement vénitienne. Seulement,<br />

se passe sur terre ferme, à la campagne.<br />

elle ne se passe plus sur Peau ; elle<br />

Emprisonné clans son île de pierre, ce peuple n'a qu'un rêve, lors<br />

que fleurit le renouveau. Fuir vers les ombrages, vers les eaux vives,<br />

vc-rs tout ce qui verdoie et qui fleurit, Là-bas, depuis la marche de<br />

Trévise jusqu'aux rives de la Brenta, il est cent trente palais d'été<br />

et quels palais ! C'est à Maser, la villa Giocomelli, œuvre de Palladio


VENISE AU XVIIIe SIÈCLE 255<br />

et de Véronèse, d'un Véronèse retour de Rome, dont la fougue est<br />

comme assagie par les disciplines classiques ; c'est celle de Valmora-<br />

na, avec les mythologies volantes de Tiépolo ; c'est, à Stra, la fas<br />

tueuse demeure des Pisani,<br />

avec sa façade pompeuse et son hippo<br />

griffe de bronze sur une colonne de marbre rose : toutes, demeures<br />

emphatiques, faites pour la mise en scène d'une vie théâtrale, mais<br />

maisons de plaisance aussi, de paresse noble, de luxueux loisirs et<br />

d'été.<br />

Alors s'inaugurent de nouveaux plaisirs, les plaisirs champêtres :<br />

parties sur l'herbe, mascarades sur la rivière,<br />

calvacades dans la<br />

forêt, Du gazon, couvert de pourpoints et de robes, s'élèvent des hanaps<br />

d'argent : une dinette s'expédie ;<br />

sur la terrasse aux balustres de<br />

marbre, au son d'un fifre, d'un violon et d'une contrebasse,<br />

un me<br />

nuet s'improvise ; dans la salle de verdure, sous lés arceaux de fleurs,<br />

un opéra, inédit de Paisiello se joue sur des vers de Casti. Dans Pair<br />

ému circulent des tendresse de Pergolèse et de Cimarosa. La nature<br />

et le théâtre se marient, la terre devient complice, les bois se font<br />

galants et tous les décamérons se succèdent,<br />

Le jeu, la promenade, le bal, la comédie, la musique, les amuse<br />

ments pastoraux, la toilette et le badinage occupent une société<br />

à humeur de gala. Le Bel-Age s'entretient avec le Passe-temps<br />

dessus trois marches de marbre rose. Les Ris et les Transports jouent<br />

aux grâces sur la pelouse ; les Ébats taquinent les Loisirs. Dans le<br />

ciel flottent les felouques dorées des illusions riantes. Des jets d'eau<br />

s'élancent des fontaines, des feux d'artifice éteignent les étoiles,<br />

des barques pavoisées, chargées de musiciens, mirent leurs cordons<br />

ele lumière dans les eaux de la Brenta. La Brenta devient le Lire ou<br />

le Linon de ce pays de Tendre : et Venise, qui a fait de la vie une partie<br />

de plaisir,<br />

fait de la campagne une partie de campagne.<br />

La reine de cette société,<br />

lant au pied d'Omphale,<br />

qui s'est efféminée comme Hercule fi<br />

c'est la femme. Jadis une coutume barbare<br />

la séquestrait au gynécée. Elle ne comptait pas du tout, à part ces<br />

belles religieuses, chez qui Louis XIV allait chercher des espionnes, et<br />

ces illustres courtisanes à la chevelure fauve, qu'enseignait l'Arétin<br />

et que peignait Véronèse. Aujourd'hui, elles prennent leur revanche.<br />

Elles sont les maîtresses du bal ; elles mènent le chœur de cette fête<br />

heureuse. Ecoutez plutôt ce qu'en dit un personnage de Goldoni :<br />

« A l'heure qu'il est, lorsqu'on veut obtenir quelque grâce, il faut se<br />

recommander à une femme. Qui soupire d'un côté, qui s'agenouille


256 VENISE AU XVIIIe SIÈCLE<br />

de l'autre auprès d'elles, qui leur tend leurs soucoupes,<br />

de secrétaires, qui les assiste,<br />

qui leur sert<br />

qui les évente. Le sexe triomphe et<br />

les hommes sont réduits au rang d'esclaves enchaînés. »<br />

Rosalba Carriéra en a fixé le sourire aux couvercles de ses boîtes ;<br />

Pietro Longhi en a évoqué l'intimité galante en d'exquis tableautins<br />

de mœurs ; l'anthologie vénitienne a chanté, en stances alertes, leurs<br />

brèves amours, si bien que, de les évoquer, il est facile. Coiffées d'un<br />

souple zendaletto de dentelles ou d'un impertinent petit tricorne<br />

sur l'oreille, elles portent des mules blanches,<br />

des paniers bouffants<br />

et des mouches assassines. Elles ont de petites âmes fragiles, diapha<br />

nes et décevantes, comme ces choses irisées que souffle au bout de sa<br />

canne un verrier de Murano. Elles sont délicieusement absurdes, ne<br />

pensent absolument à rien, ou plutôt si : un personnage de Goldoni<br />

s'étant avisé de disséquer le cerveau de l'une d'elles, y trouva : « Un<br />

jeu de cartes, un morceau de l'habit d'Arlequin, des notes de four<br />

nisseurs en souffrance et une montre qui battait la breloque. » La<br />

vérité est qu'à leur montre, il n'est d'heure fidèlement marquée que<br />

celle du berger. Ces ingénues créatures ont beau faire : chaque fois<br />

qu'elles mettent le pied en gondole, c'est un embarquement pour<br />

Cythère. Si l'on admet, d'après la mythologie des anciens Perses,<br />

que le génie du bien est celui qui dit toujours oui, le génie du mal,<br />

celui qui dit toujours non,<br />

on peut dire qu'elles incarnent le Souverain<br />

Bien, à la mode persane. Elles ne savent jamais se refuser à l'occasion<br />

qui passe. Une urbanité exquise, une affabilité naturelle, une suavité<br />

délicieuse font immédiatement leur petit être consentant. Elles sont<br />

en cela aussi éloignées des Florentines futées de Boccace, que des<br />

grandes dames de la Renaissance, telle Isabelle d'Esté, qui,<br />

l'esprit orné et le corps paré,<br />

portait une devise latine sur la man<br />

che et un livre savant dans les mains. Elles sont plus spontanées<br />

que les premières et moins compliquées que les secondes. La formule<br />

latine sur la manche est devenue, chez elles, une devise française d'a<br />

mour brodée en lettre d'or sur leur jarretière. Elles datent de l'Eden,<br />

avant la connaissance du bien et du mal. En donnant au monde du<br />

plaisir et en le partageant, elles ne pensent pas mal faire ; et, grâce<br />

à elles, Venise, anadyomène comme Vénus, plonge dans la volupté<br />

comme elle plonge dans la mer.<br />

Le petit dieu qu'elles servent si gaillardement n'est pas celui de<br />

la Venise des Romantiques, de Byron, de Chateaubriand, de George<br />

Sand et de Musset ; ce n'est pas celui de l'Infelieita et de la mort,<br />

des alanguis du cour et des énervés de l'amour, qui vont demander,<br />

au paludisme de Venise, des fièvres propres à stimuler les songes


VENISE AU XVIIIe SIÈCLE 257<br />

défaillants de leur mélancolie. C'est celui des Grecs d'Ionie, d'Horace,<br />

de Catulle et de Tibulle ; l'Eros espiègle, ambigu et furtif, qui n'a<br />

qui n'accable pas le ciel de ses lamenta<br />

rien de sombre et de fatal,<br />

tions, qui ignore l'angoisse tout aussi bien que la pudeur,<br />

qui n'est<br />

pas une passion, mais un jeu, une jolie habitude, la fleur de jeunesse<br />

du printemps de la vie. Ce n'est pas l'amour, qui est, à vrai dire, une<br />

merveilleuse folie, mais un terrible tourment, parce qu'il est obstiné,<br />

jaloux et exclusif ; c'est le plaisir, qui n'est jamais cruel et douloureux,<br />

parce qu'il est léger, inconsistant, oublieux, successif, divers et in<br />

nombrable. Il n'est rêveur que le temps d'une barcarolle, et, sitôt<br />

que passe en lui le trouble de Chérubin, il pétille comme du vin d'Asti.<br />

Il n'est qu'étreintes fugaces, caresses frileuses, dépits passagers,<br />

émois ravissants, Pâme n'y étant que pour orner les sens, les délasser<br />

et leur sourire, non pour les accabler de scrupules et de remords.<br />

Avant de condamner ce libertinage, il faut songer à bien apprécier<br />

le progrès dans l'adoucissement des mœurs qu'il réalise. Reléguée<br />

naguère à la cuisine ou à l'église, la femme n'avait que des vertus de<br />

procréatrice et des grâces de cendrillon. Au Treeento italien, Franco<br />

Saccheti dogmatisait : « La femme, bonne ou mauvaise,<br />

mérite éga<br />

lement le bâton et l'épouser a la même importance que d'empletter<br />

un cheval »; « Les femmes sont folles et pleines de puces » affirmait<br />

Alberti ; et iEneas Syh ius les traitait sans aménité « d'épileuses de<br />

jeunesse, de mangeuses de patrimoine et de suppôts de l'enfer».<br />

Elles n'étaient bonnes qu'à balayer, relaver, récurer,<br />

ravauder et<br />

prier. Aujourd'hui, quel changement ! La femme a un rôle mondain,<br />

une fonction sociale à remplir. Elle est institutrice de beau langage,<br />

de plaisantes manières, de galanterie ; et, pour estimer à quel point,<br />

au contact des femmes, les hommes se sont policés, parlons plutôt<br />

de l'institution du sigisbée qui étonna si fort le président de Brosses.<br />

Le sigisbée ou cavalier servant est une des figures les plus en vue<br />

de l'Italie du XVIIIe siècle. C'est l'ami en titre qu'une femme, sou<br />

vent par clause stipulée dans son contrat de mariage,<br />

se réserve de<br />

choisir librement, à côté du mari imposé par le père ele famille. Cet<br />

ami a des attributions bien définies, qui n'empiètent jamais sur les<br />

prérogatives de l'époux. On considérait alors comme du dernier<br />

commun de parader avec un mari toujours cousu à ses jupes, et c'est<br />

une opinion courante que les maris ne s'entendent pas à ces soins<br />

menus, à ces prévenances délicates, que le bonheur d'une femme exige,<br />

dit-on, à chaque instant. C'est à ces petits offices qu'est préposé le<br />

sigisbée. Il escorte la dame qui l'a distingué partout où elle va.<br />

Empressé, il lui offre le bras, porte ses gants, son livre d'heures et


258 VENISE AU XVIIIe SIÈCLE<br />

son caniche. Il la conduit à la promenade, au spectacle, au café,<br />

à la table de jeu, dans les assemblées. Il est ponctuel et a charge d'âme.<br />

Son ministère est d'être le confident, le conseiller qui doit protéger,<br />

diriger,<br />

défendre sa dame contre elle-même et contre autrui. A<br />

ce titre, il est un précieux auxiliaire de l'institution conjugale.<br />

En retour d'une servitude si exacte et d'une assistance si tutélaire,<br />

il jouit de précieuses immunités. Il peut visiter sa dame au lit, au<br />

saut du lit, dans le déshabillé galant d'une beauté qu'on vient d'ar<br />

racher au sommeil. Il seconde la camériste, et, entendu,<br />

tend les<br />

épingles, le miroir, la patte de lièvre, pose une mouche, rectifie<br />

une mèche,<br />

accommode à petits coups du plat de la main la jupe de<br />

brocart. Si, d'aventure, survient le mari, celui-ci n'a garde de s'étonner<br />

et de nourrir des susceptibilités exagérées. Discrètement il se dérobe,<br />

trop<br />

heureux qu'un cavalier rende à sa femme ces petits services<br />

qu'il prodigue lui-même à une autre.<br />

A Venise, toutes les femmes ont un sigisbée, et, s'il faut croire un<br />

abbé du temps : « elles aimeraient mieux manquer de pain quotidien<br />

que quotidiennement de cavalier. » La généralité de cette coutume<br />

montre raffinement réel des mœurs. Jamais peut-être, à moins de<br />

remonter jusqu'aux romans montanistes de la seconde génération<br />

du Christianisme, on ne subtilisa tant avec l'instinct, on ne fut plus<br />

en coquetterie avec la nature. Si le cavalier et sa dame se contentent<br />

de privautés charmantes, de menus suffrages qui ressemblent à de<br />

quasi-abandons, ce n'est pas par respect austère de la loi morale,<br />

c'est par souci de délicate esthétique, par jeu de suprême galanterie.<br />

Ils savent que leur réserve volontaire est la condition même de<br />

leur jouissance,<br />

et que, pour mieux savourer leur désir et s'en donner<br />

l'exquis vertige, il faut se garder de le contenter. Succombant à la<br />

tentation commune, ils galvauderaient une félicité d'élection. Ils<br />

n'auraient plus de petits secrets à se dire, de timides aveux à se faire,<br />

d'adorables embarras à surmonter, de piquantes rougeurs à dissimu<br />

ler. Sans les limites qu'ils s'imposent, cesserait d'exister le drame mys<br />

térieux et poignant, le drame aux petits gestes, aux paroles rares, aux<br />

larmes et au sourire à peine esquissés, qui peint, sur les toiles divines<br />

de Watteau, le sempiternel débat du cavalier et de la dame, du glo<br />

rieux et de la coquette. L'office de sigisbée est vraiment le commerce<br />

galant rêvé pour les délicats, pour les mandarins de l'exquis. Il est<br />

l'institution d'une société, artificielle sans doute, frivole assurément,<br />

perverse un peu aussi, mais délicieuse de grâce, de courtoisie et<br />

de civilité, où 1 habitude de la liberté modérait l'empressement


VENISE AU XVIIIe SIÈCLE 259<br />

qu'on a d'en jouir et où la facilita des plaisirs les faisait exiger<br />

quintessenciés et délicats.<br />

Ainsi se divertissait cxquisément cette société à l'agonie, qui<br />

mettait une telle élégance à mourir. Ces vieilles aristocraties, qui<br />

avaient jusqu'ici détenu la maîtrise de la science, des arts, de la ver<br />

tu, qui éduquèrent et civilisèrent les masses profondes des peuples,<br />

ont comme un pressentiment de leur mission historique terminée.<br />

Sous les leçons de ses deux maîtres, Ariel et Prospcro, le clergé et la no<br />

blesse, Caliban, le peuple, s'est lentement dégrossi. Il aspire maintenant<br />

à revendiquer ses droits et à prendre la place de ses bienfaiteurs. L'hu<br />

manité jusqu'ici vivait pour un petit nombre,<br />

que Voltaire appelait<br />

la bonne compagnie ; elle va vivre désormais pour le plus grand nom<br />

bre. Et alors, à l'approche de la Révolution, il semble que cette so<br />

ciété, qui fut la fleur de l'Ancien Régime,<br />

s'empresse de donner une<br />

suprême leçon de savoir vivre et d'art subtil d'être heureux aux dé<br />

mocraties nocives qui s'annoncent turbulemment. Une ferveur<br />

étrange, une hâte de jouir,<br />

un désir de profiter des beaux jours et<br />

d'y être délicieux, possèdent ces hommes et ces femmes, qui ont Pair<br />

d'avoir deviné la menace et qui l'ont subie avec mie grâce incompara-<br />

blé.<br />

A vrai dire, ils s'étourdissaient. De temps à autre, la noblesse de<br />

leur race se révélait en gestes souverains, telle, en 1782, l'œuvre ro<br />

maine des murazzi, qui oppose à la furie des mers un rempart de gra<br />

nit dressé par des Titans ; tel encore Angelo Emo, le dernier amiral<br />

de la Sérénissime, qui purge la Méditerranée de ses corsaires, assiège<br />

Tunis, bombarde Sfax,<br />

réduit Bizerte et songe à conquérir l'Algérie.<br />

Mais, le plus souvent, ils cherchaient l'oubli de leur grandeur pas<br />

sée en se livrant à la fantaisie la plus débridée. Cette fantaisie, elle<br />

e-t partout : elle inspire les mascarades de la rue, les divertissements<br />

champêtres, à Casanova ses aventures, à Tiepolo ses fresques ver<br />

tigineuses, à l'opéra-bouffe ses facétie?-. Jamais art ne fut moins<br />

réaliste. A quoi bon répéter aux hommes la leçon quotidienne,<br />

à laquelle ils assistent chaque jour, et qui dit la platitude, la<br />

méchanceté et les sottises d'une vie sans gloire et sans risque.<br />

Ne vaut-il pas mieux s'échapper de la réalité médiocre,<br />

pour se<br />

procurer les merveilleux alibis du rêve et de l'illusion. Rien n'est<br />

plus significatif, à cet égard, que le théâtre fabiesque de Carlo Gozzi.<br />

Carlo Gozzi, frère de l'homme le plus spirituel de la République,<br />

issu de famille patricienne,<br />

jadis riche et mainterant minée, souffre<br />

■a


260 VENISE AU XVIIIe SIÈCLE<br />

de la déchéance irrémédiable de sa patrie. Le sourcil froncé,<br />

le front<br />

barré, l'humeur hérissée de pointes, prompt aux saillies et aux sar<br />

casmes,<br />

il était fait pour écrire ces satires qui fouettent les nations<br />

vers les nobles destins. Mais à quoi bon ! Il sent trop l'inutilité d'une<br />

pareille tentative. Le temps n'est plus, où l'angoisse toujours pré<br />

sente nourrissait les mâles énergies et forgeait les caractères à la me<br />

sure des vastes entreprises. Frustrée de son influence italienne par<br />

l'Autriche et le Bourbon, dépossédée de la suprématie des mers par<br />

l'Angleterre et la Hollande, Venise doit renoncer à jouer tout rôle<br />

historique. Elle est devenue la vieille chose inoffensive,<br />

territoire en déshérence,<br />

comme un<br />

que l'on épargne à cause de sa faiblesse.<br />

Alors Gozzi se venge de la nullité des temps, en se repaissant de chi<br />

mères. Parmi des contrées improbables, derrière des nuages ourlés<br />

d'ambre et d'argent,<br />

amadou, il habite une terre d'utopie,<br />

par delà des berges d'opale où flotte une voile<br />

le pays de l'oiseau bleu, où rien n'est impossible,<br />

lent, où les fontaines chantent,<br />

un paradis de paradoxe. C'est<br />

où les colombes par<br />

où les statues éclatent de rire aux<br />

mensonges des belles filles. Il n'y est que coutumes bizzares comme<br />

celles de Chine, métamorphoses, lampes merveilleuses : tout l'Orient<br />

fabuleux, dressé comme un mirage, avec l'espalier d'or de ses mythes,<br />

la cîme de ses minarets profilés sur des ciels de turquoise, l'argent<br />

niellé de ses portails ouverts sur des parterres de roses. Affranchis<br />

du temps et de l'espace, des personnages de légende y figurent : des<br />

rois, que l'on dirait de jeux de cartes, des princesses, tout bonnement<br />

enchantées, des mages, des nécromants, des vizirs et d'indispensables<br />

dragons, a .<br />

ee,<br />

pour comble d'invraisemblance, les familiers ele la<br />

Piazza : Tartaglia, Truffaldin, Brighella, Pantalon. Tout cela est<br />

absurde, candide, inoffensif et suranné. Tout cela n'est que billeve<br />

sées, songes en Pair, histoires de nourrice à dormir debout, Et ainsi,<br />

sur le peuple de Venise, redevenu enfant à force d'être vieux, la lon<br />

gue et triste échine de Carlo Gozzi s'est penchée. Sachant qu'il est<br />

inutile de moraliser, il ne prétend qu'à divertir. Et alors, le doigt<br />

levé, il commence comme une douce aïeule: Il était une fois... Sur Veni<br />

se, dépossédée de l'empire du monde, comme une douce aïeule, Carlo<br />

Gozzi s'est penché ; et, pour qu'elle oublie, pour qu'elle s'enchante,<br />

pour qu'elle s'endorme au rythme berecur de sa vague, il lui raconte,<br />

avec douceur, d'adorables vieux contes de fées.<br />

Plus encore que les contes de fées, la musique nous délie des atta<br />

ches terrestres,<br />

pour nous transporter dans PEden splendide des<br />

joies de Pâme. A Venise, la musique est le parler naturel, la langue<br />

maternelle, le verbe ailé qui, aux dentelles de pierre des palais, en-


VENISE AU XVIIIe SIÈCLE 261<br />

lace une perpétuelle arabesque de sons. « A Venise, dit l'Anglais<br />

Burney, si deux personnes se promènent ensemble,<br />

se tenant par le<br />

bras, il semble qu'elles ne causent qu'en chantant». « On chante sur<br />

les places, déclare Goldoni, dans les rues, sur les canaux : les mar<br />

chants chantent en quittant leur travail, les gondoliers en attendant<br />

leurs clients. » Dans les gondoles, qui suivent un sillage de lune, il<br />

n'est que guitares éparpillant les sérénades ; dans les salons,<br />

aux claires boiseries en bois des îles, il n'est que clavecins rythmant<br />

l'accord des menuets ; dans les théâtres, dans les églises, dans les<br />

demeures particulières, on tient partout académie de musique. Mais<br />

c'est surtout par ses fameux conservatoires de femmes, la Pietà, les<br />

Mendicanti, les Incurabili, l'Ospedaletto, que Venise s'impose à l'Eu<br />

rope, comme détenant les premiers séminaires de musique vocale.<br />

Ces conservatoires sont des hospices d'enfants trouvés, élevés<br />

sous la tutelle des principales familles de la cité. On y garde les<br />

orphelines jusqu'à leur mariage, en leur donnant une éducation mu<br />

sicale accomplie. Deux fois par semaine, elles paraissent en public,<br />

jouant de l'orgue, de la flûte, du hautbois, du violoncelle, du basson,<br />

et paraissent si célestement suaves au travers des minces grilles d'or<br />

qui les séparent de l'assemblée, que l'on croirait voir les anges de<br />

Bellini, les petits anges musiciens,<br />

court vêtus et accordant leur<br />

luth. Elles ont des voix divines qui traduisent l'émoi de leur jeune<br />

cœur et elles chantent une musique si passionnée « que, dit Grosley,<br />

la musique étant la base essentielle de leur éducation, celle-ci sem<br />

blerait plutôt propre à former des Lais et des Aspasies que des re<br />

ligieuses et des mères de famille. »<br />

Il est encore à Venise sept théâtres d'opéra séria et d'opéra buffa.<br />

C'est dans leurs parois, à l'éclat des girandoles de Murano,<br />

que sont<br />

nées quelques-unes des œuvres les plus pures du XVIIIe siècle mu<br />

sical : PAgrippina de Hasneîel, PHipermestra de Gluck, la Meropede<br />

Jomelli, la Griselda ele Piccini. On y écoute la plainte d Orphée à la<br />

recherche de son Eurydice et tant de duos de Pergolèse et de Cimora-<br />

sa qui enfermèrent, en leurs minces cloisons de cristal, l'univers<br />

sentimental d'un régime. Tout ce qu'il y a de tendresse éparse dans<br />

le monde passe et repasse dans les mélodies que l'archet noue, brise,<br />

rebrise et renoue. On est loin, si loin, toujours plus loin, transporté,<br />

au fond des jardins de l'âme émerveillé.<br />

par delà le temps et l'espace,<br />

Dans des paysages virgiliens s'évoquent les nobles figures de Métastase<br />

au doux parler racinien. Dans d'antiques forêts, des fées de lumière<br />

dansent dans des rayons de lune. Des sage, sourient parmi des prés


262 VENISE AU XVIIIe SIÈCLE<br />

élyséens. Partout s'ouvrent des champs d'herbe rose et d'amour,<br />

où, au pied de fontaines d'extase,<br />

on boit à la source de l'oubli.<br />

Mais, c'est surtout le soir, lorsque le silence de l'air s'ajoute au si<br />

lence de Peau, que la Bellc-sur-1'onde-dormant, fantomatique et<br />

clairdelunaire comme un mirage vaporeux issu de la lagune, exhale<br />

toute son âme de violon posé sur l'eau. O nuits pures ! nuits inef<br />

fables, nuits divines, nuits de Venise, aux pieds d'argent, aux tresses<br />

en-<br />

bleues que caresse le vent du Lido, qui traduira votre surnaturel<br />

chanteni'-nt ! La lune s'écoule au long des palais pâles et vient trem<br />

bler sur l'eau ridée. Une gondole glisse, fuyant esquif, égrenant de<br />

sa rame sa petite gamme chromatique. Tout s'est tu sur le canal de<br />

poésie. Les choses écoutent dans le recueillement sacré de la nuit.<br />

Un rite va s'accomplir. Alors, du silence oppressé jaillissent aux étoi<br />

les les stances du Tasse et de l'Arioste,<br />

les vocalises ailées qui s'en<br />

volent des lèvres des gondoliers. Elles semblent venir du fond d'un<br />

immémorial passé,<br />

comme la voix séculaire du génie des Lagunes.<br />

Elles s'épanouissent, au ras de l'eau, en larges ondes sonores qui se<br />

répondent en chants alternés et vont se perdre dans les ténèbres.<br />

« Voix lointaines, disait Goethe,<br />

voix d'un effet étrange... voix qui<br />

ont quelque chose d'indéfinissable et émeuvent jusqu'aux larmes,<br />

comme une plainte sans tristesse »; voix nostalgiques, dont s'inspi<br />

rait Wagner, penché sur le grand canal comme sur l'abîme mystique<br />

de Bayreuth, lorsqu'il jetait, vers Mathilde perdue, le sanglot suprê<br />

me de Tristan. Les Vénitiens ont le respect de la nuit. Us n'offus<br />

quent pas la nuit, «C'est la seule musique, écrit un contemporain,<br />

dont les Italiens jouissent en silence, comme s'ils avaient peur de<br />

troubler la quiétude de la nuit. »<br />

*<br />

* *<br />

Telle fut, en la vieille Italie, érudite, frivole et mélomane, la<br />

fête vénitienne. Elle fut le suprême feu d'artifice, l'apothéose splen-<br />

dide et le dernier sourire de ce vieux inonde finissant. L'humanité,<br />

s'affranchissant de la tutelle des vieilles aristocraties, va tenter de<br />

démocratiques expériences. Une dernière roulade retentit, une der<br />

nière fusée monte au crépuscule tendu de linon rose, le transport<br />

des violons se fait plus frénétique ; puis, ceux-ci ayant tu leurs<br />

ritournelles, les canons roulèrent sourdement sur les routes.<br />

En achetant sa vie précaire au prix de sa neutralité, Venise avait<br />

perdu le sens des grandes traditions politiques. Son territoire de<br />

terre ferme étant devenu le champ clos de la lutte entre l'Autriche<br />

et, Bonaparte, elle ne sut point se concilier le vainqueur. Lui, ne


VENISE AU XVIIIe SIÈCLE 263<br />

connaissait pas les grâces de la vie. Il n'avait pas eu le temps de sa<br />

vourer les dix dernières années de l'ancien régime finissant, qu'avait<br />

mieux connues le prince de Talleyrand. Il avait grandi dans le dé<br />

nuement, dans le travail et le silence, nourrissant d'ambition une des<br />

âmes les plus formidables qui se soient repues de la lecture de Plu-<br />

tarciue. Eux, les soldats d'Augercau, de Lannes, de Masséna et de<br />

Murât, les déguenillés sublimes de Raffet, ils avaient fourni l'étape<br />

sans souliers, bivaqué sans eau de vie, mordu la cartouche en guise<br />

de pain. A Lodi, ils avaient pris la course sous la mitraille ; au pla<br />

teau de Rivoli, ils s'étaient battus dans les nuages ; au col de Tarvis,<br />

ils s'étaient battus plus haut que les nuages. Ils allaient pour délivrer<br />

tous les hommes leurs frères, et,<br />

pendant dix-huit mois, ils n'avaient<br />

fait que cela, se battre et marcher, marcher et se battre. Alors,<br />

n'est-ce pas, ces vieilles choses, ces jolies choses d'un autrefois meil<br />

leur, ces soins menus et charmants,<br />

ces âmes futiles et légères, et la<br />

poudre ne servant qu'à des feux d'artifice et l'existence ne servant<br />

qu'au plaisir..., non, ils ne pouvaient pas comprendre cela, admettre<br />

cela, le tolérer. Le massacre des Français à Vérone fut pour Bonaparte<br />

le prétexte d'en finir avec la République. Le 1er mai 1797, il déclare<br />

la guerre à la Sérénissime et, quatre jours après, les Français péné<br />

traient à Venise,<br />

demeurée presque là ina iolée et maîtresse de ses<br />

destinées. Le peuple planta des arbres de liberté, brûla le livre d'or<br />

et le bonnet ducal. Sur le livre, où s'appuye le lion de Saint-Marc, à la<br />

place de l'inscription fameuse : Pax tibi. Marée, evangelista mens,<br />

on grava ces autres mots : Droits de l'homme et du citoyen. Le lende<br />

main, un gondolier facétieux, passant sur la Piazza, déclara : « Enfin,<br />

le lion a tourné la page». 11 aurait pu tout aussi bien dire qu'il avait<br />

fermé le livre, où, durant tant de siècles,<br />

souveraine et magnifique histoire.<br />

Maintenant,<br />

Venise avait écrit une si<br />

c'en est bien fini. Un monde est mort qui ne renaîtra<br />

plus. Une forme d'humanité s'abolit sans retour possible. Isabelle<br />

et Léandre, Lélio et Sylvie et le capitaine Spavcnta, petites burattini<br />

du théâtre de la vie,<br />

les baïonnettes,<br />

Et pourtant non,<br />

de ces contrastes. En Vénétie,<br />

te subjuguer, o Rome des mers,<br />

sur la place de Saint-Marc, où se sont croisées<br />

vos chères petites voix se sont tues....<br />

elles ne se sont pas tues à jamais. L'histoire a<br />

les Français sont revenus, non poin<br />

mais pour te défendre. Florilège de<br />

tant de beautés séculaires, ils n'ont pas admis que les mains icono<br />

clastes des soudards de Souabe et de Prusse et de leur allié damné,<br />

l'Autrichien,<br />

Et j'imagine que,<br />

touchassent à ton patrimoine de gloire et de majesté.<br />

passant par tes routes de terre ferme remplies de


264 VENISE AU XVIIIe SIÈCLE<br />

villages aux beaux noms sonores, les descendants de l'armée d'Italie<br />

et de celle de Solférino ont dû entendre, dans la brise du soir, à l'heure<br />

où, « sur les couchants de PAdrique, sonnent les angélus de Venise »,<br />

les petites voix défuntes de ce lointain passé leur murmurer :<br />

« O guerriers épiques, ne nous méprisez point, parce que nous fûmes<br />

futiles et insouciantes. Ecoutez plutôt la leçon d'une fois. Certes,<br />

nous ne fûmes que les héros d'une fête perpétuelle : oui, mais en con<br />

sacrant le goût des plaisirs fins, en parant 1 instinct de courtoisie,<br />

en insinuant dans les âmes le délicat souci de la beauté, nous avons<br />

fortifié en vous l'horreur de la brutalité et de l'énorme laideur du<br />

peuple qui, au temps de nos fêtes splendides,<br />

ne connut d'autre eni<br />

vrement que l'aigrelet concert de flûtes de Potsdam. Nous fûmes<br />

les héros d'une frivolité charmante : elle sert d'éternel correctif à la<br />

morgue, au pédantisme germaniques, et elle a protégé les races latines<br />

de ce dogmatisme intempérant et de ce colossal outrage au bon sens<br />

qui ont conduit l'Allemagne à sa mégalomanie délirante. Nous fûmes<br />

les héros l'un laisser-aller très aristocratique : il ne s'accommode<br />

pas de cette cupidité forcenée, qui ne ménage à l'homme, dans la<br />

poursuite de la richesse, ni trêve, ni repos,<br />

ni luxueux loisirs, indis<br />

pensables au culte des sciences et des arts, qui adoucissent la vie,<br />

qui l'embellissent et qui la divinisent. Nous fûmes les héros de la<br />

fantaisie ailée, de l'imprévu, du rêve dispensateur de féeriques sli-<br />

bis : ils sauvegardent la dignité de la nature humaine, en empêchant<br />

que l'organisation étatiste préconisée par l'Allemagne ne ravale l'in<br />

dividu à l'automatisme d'une machine-outil, accomplissant une tâche<br />

très spécialisée. Ce goût que nous avons acclimaté en vos âmes d'ane<br />

vie libre, tendre,<br />

spirituelle et fleurie a exalté en elles les sentiments<br />

d'indépendance, de fierté, de révolte, qui, en assurant la victoire de<br />

la civilisation policée sur la Barbarie savante, a sauvé la noblesse du<br />

monde et a renouvelé sa beauté ».<br />

Louis ROUGIER.<br />

professeur au Lycée d'Alger.


FIGURES AFRICAINES<br />

LE GÉNÉRAL LyaUTEY<br />

Parmi les belles figures militaires de notre épeaque, celle du Général<br />

Lyautey apparaît, en première ligne, en vedette, comme à la cimaise.<br />

Grand, souple, élégant, Pair jeune en dépit de ses cheveux blancs<br />

taillés en brosse, l'œil bleu éclairant une physionomie expressive<br />

dont la douceur n'exclut point l'énergie, le buste moulé en un dolman<br />

épingle de la croix de guerre avec palme et de la médaille militaire,<br />

le Résident général au Maroc explore, avec une inlassable activité,<br />

cette contrée prestigieuse, naguère encore inconnue, et qui n'a plus<br />

de secrets pour celui qui la pacifiée, comme Galliéni avait pacifié<br />

notre grande colonie de Madagascar.<br />

Sous le protectorat de la France, le Général Lyautey, déjà très<br />

avantageusement connu et aimé en Algérie, a révélé, comme Rési<br />

dent général au Maroc, d'éminentes qualités d'Administrateur et de<br />

Chef militaire. Par son tact, par son habileté, par sa fermeté souriante,<br />

par son charme personnel, il a su, patiemment et sans brusques heurts,<br />

imposer son autorité aux tribus rebelles et réfractaires, les soumettre<br />

presque sans coup férir et accroître aux yeux des populations maro<br />

caines, le prestige de la France qu'il représente avec une dignité par<br />

faite. « The right man in the right place » disent nos amis les Anglais.<br />

C'est le cas du Général Lyautey, et cet aphorisme s'applique à mer<br />

veille à sa personnalité.<br />

Nommé Ministre de la Guerre dans des conjonctures difficiles, le<br />

Général Lyautey accepta cette mission périlleuse, sans enthousiasme,<br />

estimant néanmoins qu'il avait le devoir de répondre à l'appel flat<br />

teur du Gouvernement de la République. Son séjour à la rue Saint-<br />

Dominique fut de courte durée, et il revint, avec joie, au Maroc qu'il<br />

n'avait pas quitté sans esprit de retour et sans de nostalgiques re<br />

grets.<br />

U rejoignit son poste d'honneur et continua son œuvre momenta<br />

nément interrompue,<br />

avec le ferme désir de la parachever pour la<br />

gloire de la France et pour le triomphe de la civilisation.<br />

Charles BARBET.


Une visite au mausolée de Savorgnan de Brazza<br />

n<br />

Dans un décor merveilleux, paradisiaque, dominant la mer céru-<br />

léenne, l'illustre explorateur de Brazza, dort son dernier sommeil,<br />

à l'abri d'un monument austère, construit en grés bleuté et que sur<br />

plombe un lourd monolithe de granit, Dans une sorte de niche, ap<br />

paraît le buste en bronze vert-degrisé du grand explorateur qui re<br />

garde la baie d'Alger. Sous le buste d'une impressionnante intensité<br />

ele vie,<br />

se dresse une plaque de marbre où est gravée cette belle ins<br />

cription lapidaire :<br />

« A la mémoire de Pierre Savorgnan ele Brazza.<br />

En des obsèques nationales, célébrées à Paris, au milieu d'un grand<br />

concours de peuple, le 3 octobre 1905, la France pleura le fils d'adop<br />

tion, qui avait su, presque seul et sans armes, lui conquérir un em<br />

pire immense dans l'Afrique inconnue, à force de tranquille audace<br />

et de foi invincible en la patience et la bonté. Sa mémoire est pure de<br />

sang humain.<br />

Il succomba le 1 1 septembre 1905,<br />

au cours d'une dernière mission<br />

entreprise pour sauvegarder les droits des indigènes et l'honneur de la<br />

nation.<br />

Sa veuve fit élever ce monument,<br />

— Quelques<br />

« Africains, en passant, saluez ce tombeau<br />

« Celui qui dort ici fut le tendre génie<br />

« Qui se pencha sur vous, dans sa marche bénie<br />

« Et d'une humanité librement rajeunie<br />

« Promena, sur vos fronts, le splendide flambeau.<br />

palmiers pareils à de maigres plumeaux, ombragent<br />

le cénotaphe adorné d'une croix ele bronze. Au pied du monument,<br />

une modeste couronne de perles offerte par le- Souvenir Français, et<br />

c'est tout !...<br />

Autour du mausolée, s'érigent, profilant leur feuillage sombre sur<br />

le satin bleu du ciel, les quenouilles de bronze de noirs cyprès. Sur<br />

une tombe voisine, un pinson chante à plein gosier, mettant une note<br />

gaie dans ce décor funèbre.<br />

Charles BARBET.


&&&&&***.<br />

rçarc&vaLO<br />

ni<br />

La reine Ranavalo mourut subitement à Alger, tel un oiseau des<br />

îles, dans la cage dorée que lui avait octroyée le Gouvernement de la<br />

République et que l'on dénommait modestement « Villa Tananarivo »,<br />

pâle évocation des splendeurs royales d'antan, lorsque la petite<br />

reine exilée trônait en son palais de Tananarive, capitale de cette<br />

grande île de Madagascar pacifiée par le glorieux général Galliéni.<br />

J'ai vu maintes fois Ranavalo, comme on l'appelait familièrement<br />

à Paris et en Algérie. Je l'ai rencontrée dans les rues d'Alger où elle<br />

se promenait souvent en voiture, s'arrêtant dans les magasins, com<br />

me une bourgeoise cossue et faisant ses commandes d'une voix douce,<br />

avec un léger zézaiement pareil au gazouillis des oiseaux des tropi<br />

ques. Elle était devenue une figure algéroise et passait presque ina<br />

perçue, dans sa Victoria attelée de deux superbes alezans.<br />

Au cours de ses pérégrinations, elle rencontrait parfois un autre<br />

roi en exil, le prince d'Annam, Ham N'gui,<br />

non moins familière qui, de sa luxueuse villa d'El-Biar,<br />

autre figure algéroise<br />

se rendait à<br />

Alger, en auto, seul, ou en compagnie de sa femme, une Française,<br />

Mlle Laloc et de ses jeunes enfants. La reine Ranavalo avait renoncé,<br />

depuis longtemps, au costume malgache et s'habillait élégamment, à<br />

la française. La petite reine recevait beaucoup, et d'une façon fort<br />

accueillante,<br />

en sa riante villa Tananarivo.<br />

Le tout Alger des premières fréquentait chez elle,<br />

et elle avait un<br />

mot aimable pour chacun de ses visiteurs. Au cours de ces réceptions<br />

familières,<br />

elle jouait du piano et faisait entendre son gazouillis char<br />

mant, ponctué de gestes menus, d'un étrange exotisme.<br />

La petite reine déchue que l'on rencontrait partout à Alger, dans<br />

les grandes réunions mondaines et dans les fêtes de charité epi'elle<br />

honorait de sa présence souriante, n'est plus hélas ! qu'un souvenir


268 RANAVALO<br />

c|ui s'estompe et pâlit comme un frêle pastel. Elle n'a pas eu la joie<br />

de revoir son pays natal et sa belle ville de Tananarive à laquelle elle<br />

ne songeait jamais sans un nostalgique regret. Elle est allée rejoindre<br />

dans le mystère de l'au-delà, un autre roi, Behanzin, qui eut, naguère,<br />

en Algérie, quelque notoriété, lorsqu'il résidait à Blida où il avait<br />

été exilé et où il végétait, en proie à une morne nostalgie, fumant du<br />

matin au soir, grelottant, en dépit de la douceur du climat blidéen,<br />

et ne pouvant, pauvre déraciné, se consoler d'avoir été arraché à sa<br />

terre natale, à ce lointain où Dahomey il régnait en maître absolu et<br />

où il avait le droit de vie et de mort sur ses sujets qui le vénéraient<br />

à l'égal d'une divinité.<br />

Repose en paix, petite reine exilée, loin de ton île prestigieuse de<br />

venue française et dors paisiblement ton dernier sommeil en ce coin<br />

parfumé d'Algérie où tu as vécu et dont tu aimais la charmeresse<br />

beauté !...<br />

Charles BARBET.


BIBLIOGRAPHIE<br />

La France et l'Algérie, (1)<br />

Nourrit et Cic, éditeurs, 1 , olume in-16.<br />

par Jce.n Mélia. Paris, Librairie Plon-<br />

Sous ce titre, aux noms désormais inséparables, un Algérien.<br />

Jean Mélia,<br />

ancien chef de cabinet du Gouverneur général de l'Al<br />

gérie, auteur d'ouvrages importants, nous fait part des sentiments qui<br />

l'animent en face du grand problème franco-musulman.<br />

Son livre, dégagé des préjugés de milieu, contient des constatations<br />

et des conseils qu'il était ton d'exprimer pour l'amélioration des rap<br />

ports entre les Français Algériens ele toutes les religions : Français<br />

d'origine, Français d'adoption, Français musulmans.<br />

Après de chaleureux appels à la France, à l'Algérie, l'auteur a divisé<br />

son ouvrage en xxx chapitres. Mélia a vécu son livre, il l'écrivit en<br />

apôtre à l'heure de la victoire ; la documentation en est serrée et<br />

devrait être analysée dans tous ses développements.<br />

Nous voyons l'Alger d'avant la guerre, puis Alger vibrant de colère<br />

patriotique le 2 Août 1914, se solidarisant, en ce jour inoubliable,<br />

avec la mère Patrie.<br />

La gloire ele nos soldats est mise en relief : « Si les jours sombres de<br />

la guerre nous ont donné des frères d'armes, les jours de gloire et de<br />

paix doivent trouver des frères unis dans une politique de concorde,<br />

et les lois d'exception doivent disparaître. »<br />

Pour vivre et se développer les nations européennes vont être obli<br />

gées de déborder par-dessus les frontières. Heureuses les nations qui<br />

peuvent s'appuyer sur leurs colonies pour leur œuvre de reconstitu<br />

tion nationale; la France est dans ce cas une nation privilégiée.<br />

C'est dans les colonies que peut se trouver le réservoir d'hommes et<br />

d'argent pour revivifier la France,<br />

nation colonisatrice par excel<br />

lence et c'est de l'Afrique du Nord, à quelques pas de la métropole,<br />

qu'après l'épuisement de 1918 doit venir le salut et l'avenir.<br />

Par l'Afrique du Nord, organisée à l'image même de la France,<br />

nous dominerons les autres Afriques; nous les relierons entre elles par<br />

le transafricain qui deviendra le facteur essentiel du grand mouve-<br />

(1) Ce sujet a lait l'objet d'une conférence faite par M ne Bugéja sous les hospices de la So<br />

ciété de Géographie, le 23 Mai <strong>1919</strong>.


270 BIBLIOGRAPHIE<br />

ment d'expansion nationale sur ce continent. Les sables du Sahara<br />

s'ouvriront ; traçons au désert des artères par où circulera une vie<br />

nouvelle.<br />

Par l'instruction donnée à tous, les indigènes algériens, garçons et<br />

filles, doivent être amenés à adopter notre mentalité et nos mœurs ;<br />

ils apprendront que l'Algérie,<br />

c'est la France elle-même dans son<br />

administration et dans sa justice. M. Mélia défend leur intérêt et<br />

ceux de la patrie, leur conseillant d'agir complètement comme les<br />

vrais enfants de la France. La race arabe admirable de tolérance et de<br />

civilisation doit s'adapter à la nôtre par une politique française de jus<br />

tice et de droit.<br />

Nos vaillants colons peuvent beaucoup pour le rapprochement<br />

des deux races ; l'auteur les invite à être les véritables amis de l'in<br />

digène et il cite l'opinion du D1'<br />

et qui est toujours de mise.<br />

Varnier, écrite il y a plus de 50 ans,<br />

L'union sera féconde pour la prospérité cconomiciuc, agricole, in<br />

dustrielle, intellectuelle, artistique, littéraire,<br />

même touristique de<br />

l'Algérie. « A l'œuvre pour la France intégrale et pour une France<br />

« plus grande et plus prospère; au-dessus de toute religion, il y a h<<br />

« religion ele la Patrie et sur ces bords méditerranéens il n'y a plus<br />

" ni vainqueurs ni vaincus, les âmes sont les mêmes » dit ce livre de<br />

foi patriotique, annonciateur d'un monde nouveau.<br />

Félicitons M. Mélia.<br />

Henri de la Maktinière. —<br />

Nourrit, in-8°, <strong>1919</strong>. 379 pages, avec carte.<br />

Marie BUGEJA.<br />

Souvenirs du Maroc. Paris, Plon-<br />

C'est une impression très vive de charme oriental que laisse la<br />

lecture du beau livre de de la Martinière,<br />

charme fait non seule<br />

ment de la magie des visions africaines et des choses disparues,<br />

mais aussi d Part avec lequel l'auteur évoque les souvenirs vécus<br />

de son existence marocaine. Il est peu d'ouvrages qui offrent aux<br />

africains d'abord,<br />

puis aux français, curieux; des batailles diploma<br />

tiques et des mœurs de l'Islam, un intérêt aussi grand et aussi varié.<br />

M. de la Martinière est à la l'ois un archéologue passionné, un<br />

hardi explorateur, un très délicat observateur de la vie musulmane<br />

et un avisé diplomate, l'ajoute qu'après avoir lu son livre,<br />

mire aussi en lui l'artiste et le lettré.<br />

on ad<br />

L'archéologue a pris plaisir à nous raconter ses missions au<br />

Maroc, ses fouilles à Volubilis recher-<br />

et à Lixus. Poursuivant les


BIBLIOGRAPHIE 271<br />

chcs de Tissât, il a mis à jour de nombreux édifiées de cette grande<br />

ville romaine de Volubilis dont les ruines sont trop proches du<br />

Zcrhoun et du sanctuaire de Moulev Idriss pour que les travaux ne<br />

provoquent pas quelque inquiétude chez les gardiens actuels de ce<br />

lieu saint, mogrebin. A Lixus, ville phénicienne, l'actuelle Tehem-<br />

mieh, les vestiges des peuples disparus se sont accumulés, si bien<br />

qu'on a pu définir cette antique cité « les ruines d'une ville bâtie<br />

sur des ruines». Auprès de l'estuaire du fleuve Lokkos ou Lixus,<br />

en ce lieu célèbre de l'antiquité où se trouvaient vraisemblable<br />

ment le jardin des Hcspéridcs et Pautel d'Hercule, combien de ci<br />

vilisations ont passé, phénicienne, romaine-, berbère, arabe, es<br />

pagnole ! Les découvertes successives de Tissai, de la Martinière et<br />

de leurs successeurs Pont montré.<br />

Avec le même captivant intérêt, l'explorateur nous raconte<br />

les multiples voyages qu'il a pu accomplir au Maroc ; bien que, à<br />

l'époque où il les entreprit, il y eût quelques dangers à parcourir<br />

les pays insoumis, M. de la Martinière se refuse à exagérer le ca<br />

ractère périlleux ele l'aventure. Ce qu'il nous dit de certaine ren<br />

contre au cours de son voyage au Sous et sur la route du retour,<br />

nous laisse deviner les risques réels de ces voyages au Sems, à Ouez-<br />

zan et sur la route bien peu sure de Fez à Tlemcen.<br />

Si les historiens et les géographes trouvent dans cet ouvrage<br />

de curieux détails à glaner, les orientalistes seront plus satisfaits<br />

encore par la description si précise et si attachante des anciennes<br />

villes du Maroc qui, sous la poussée des Européens,<br />

perdent cha<br />

e<br />

que jour leur cachet exotique. C'est le vieux Tanger du xvm<br />

et du xixe siècles que l'auteur évoque en images d'une précision<br />

documentaire ; c'est Fez, le ville du Maghzen,<br />

où les ambassades<br />

européennes sont reçues en grand apparat, mais où elles se sen<br />

tent entourées d'une sourde hostilité ; c'est Marrakech, la grande<br />

cité du Sud, avec ses splendides monuments comme la Koutoubia,<br />

ses mosquées,<br />

ses tombeaux et ses Zaouïas vénérées. Et, dans<br />

ces grandes agglomérations, la vie musulmane, si différente de la<br />

nôtre,<br />

nous apparaît en un relief saisissant par les traits vivants<br />

que l'artiste sait choisir.<br />

Mais si vive que soit l'impression causée par ces descriptions,<br />

ces, aventures ou ces recherches,<br />

elle ne saurait, égaler celle qui se<br />

dégage du récit des intrigues diplomatiques engagées au Maroc<br />

depuis près d'un siècle et poursuivies jusqu'à ces dernières années.<br />

M. de la Martinière a vécu cette bataille où les coups portés et reçus<br />

se cachent sous un masque d'indifférence ; chaque peuple y appa


272 BIBLIOGRAPHIE<br />

rait avec sa diplomatie, pratique et tenace avec les Anglais, tour<br />

à tour active et paresseuse avec les Espagnols, brutale et insolente<br />

avec les Allemands, très souple et à l'occasion énergique avec les<br />

Français. M. .Iules<br />

Cambon,<br />

qui a écrit la préface de ce livre, y dit<br />

fort justement : « Rien n'était plus intéressant alors que le théâtre<br />

politique de Tanger : la concurrence des nations européennes y<br />

trouvait un champ largement ouvert. Chacune des légations y pour<br />

suivait sa tâche avec cette sorte de particularisme étroit que M.<br />

de Bismark a qualifié un jour ele morbus consularis, et le tempéia-<br />

ment, le caractère, les passions même des agents s'y marquaient<br />

en traits profonds. M. de la Martinière a pu nous donner la phy<br />

sionomie de chacune d'elles : on ne peut rien imaginer de plus in<br />

téressant,<br />

puisque la crise marocaine s'annonçait déjà, »<br />

La crise marocaine est aujourd'hui dénouée ;<br />

aux résultats<br />

atteints on peut juger de l'habileté des moyens employés. La France<br />

n'a pas toujours eu une politique aussi bien adaptée aux milieux<br />

musulmans ; elle la doit surtout à l'expérience algérienne. Dans<br />

ce monde de l'Islam où la France a pénétré en 18S0 et où son in<br />

fluence a gagné de proche en proche au point de s'étendre aujour<br />

d'hui sur toute l'Afrique du Nord, l'Algérie reste et doit demeurer<br />

le centre de notre action et l'école de notre politique musulmane ;<br />

car seuls comprennent bien les exigences de cette politique ceux<br />

qui, à l'exemple de M. de la Martinière, sont venus collaborer à<br />

l'administration des affaires indigènes algériennes et qui joignent<br />

à une conception très nette du but poursuivi la connaissance des<br />

procédés les meilleurs à appliquer aux collectivités musulmanes.<br />

Victor DEMONTES.<br />

L'Impriment Gérant, /,, SccrcU.-ir,- Gétrml<br />

Pierre Gl'I.U VI IAIX.<br />

y OKUONTÈS.


P»<br />

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