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»,' LE <strong>26</strong> JUILLET 1925 IIIIIIIIIIIIIIIIIIIItlIllillIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIllMlllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllt 7 ■IIIIIIIIIIlillllllllllllllllillllIlllIIIIlIlIllilMUIIllllMIIIIIIIIIUIIIIIlMIlIIIIIllllIllIl DIMiiNCHE-ILLUSTRÉ "»"«»'<br />
Tout le monde sait bien que tu es plus<br />
grand et mieux corporé que moi, Bruno. Je<br />
ne suis pas assez aveugle pour ne pas m'en être<br />
aperçu. Mais un jugement de Dieu est un<br />
jugement de Dieu, et la grosseur des bras n'est<br />
pas tout !... Je pense, moi, que nous sommes<br />
de taille à nous mesurer... J'ai bien réfléchi,<br />
et je tiens à mon idée. Tu connais ma proposition<br />
: acceptes-tu, oui ou non ?<br />
Bruno, avec plus d'honnêteté c|ue de méfiance,<br />
se récria encore que la partie n était pas égale,<br />
qu il était, lui, bien sûr de gagner, et que<br />
Jacques n'avait point, ce matin, tout son<br />
bon sens. Jacques secouait la tête et ne démordait<br />
pas. Tant et si bien qu'à la fin Bruno,<br />
perdant patience et jugeant que ce sabotier<br />
avait besoin d'une leçon, lui jeta à la face<br />
cette question :<br />
— Tu le veux ?<br />
— Oui.<br />
— Dans la manière que tu viens de dire ?<br />
— Oui.<br />
— Eh bien, tope-là !<br />
Ils se frappèrent dans la main et s'occupèrent<br />
aussitôt de régler, sans témoins, les<br />
conditions de cé duel d'un nouveau genre.<br />
— Quand irons-nous là-bas ? demanda<br />
Bruno.<br />
— Ce soir, si tu veux, au lever de la lune.<br />
— Au lever de la lune, soit. Et qui commencera<br />
? Il faudra tirer.<br />
— Oui, à la courte paille. Puis on essaiera<br />
d'ôter le coin, à tour de rôle, chacun par trois<br />
fois...<br />
- — Quatre si tu veux. Et pendant combien<br />
de temps, chaque fois ?<br />
— Le temps que l'autre mettra à compter<br />
dix. Ça te va ?<br />
— Oui-da !<br />
— Au revoir donc. Reprends ta cognée,<br />
bûcheron !<br />
— Et toi, retourne à Ion évidoir, sabotier !...<br />
Ce soir, au lever de la iune...<br />
— Je t'attendrai au Vai-Cranioux.<br />
C<br />
A A -A<br />
ETTE journée de juin, remarquent les<br />
anciens du pays qui racontent cette<br />
histoire, fut la plus chaude de toute<br />
l'année. Il semblait qu'on respirât dans le<br />
halo d'un incendie, ou à l'entrée d'une chambre<br />
à four. Mais ce n'était pas seulement la pesanteur<br />
de l'orage " en route " qui travaillait ainsi<br />
les nerfs de Jacques et lui brûlait le sang. La<br />
fièvre. Il avait la fièvre...<br />
A mesure que les heures de l'après-midi<br />
passaient, son excitation augmentait. Enfermé<br />
dans sa boutique, il tournait et retournait entre<br />
ses doigts la plante magique donnée par<br />
Manda Septantin. Elle ressemblait à une<br />
herbe ordinaire, à la sauge ou à la menthe.<br />
Etait-ce vraiment à ces pauvres feuilles toutes<br />
menues, fripées et fanées que Jacques devrait,<br />
ce soir, sa victoire ? Mais le sorcier dirait aussi<br />
des paroles !... Ah oui... les paroles !...<br />
L'ombre du clocher toucha enfin le puits.<br />
Le soleil, voilé par moments, déclinait lentement,<br />
trop lentement...<br />
Lorsqu'il crut l'heure venue, le sabotier,<br />
qui n'avait oublié aucune des prescriptions de<br />
Manda, mâcha avec soin les feuilles amères<br />
de la plante, oignit énergiquement ses deux<br />
bras et mit au fond de sa poche les parcelles<br />
qui restaient, en ayant soin de n'en perdre<br />
aucune. Après quoi, il se munit d'un gros<br />
bâton et sortit dans le jardin tout embaumé de<br />
l'odeur des lis.<br />
Par une porte à claire-voie, toujours ouverte<br />
sous les noisetiers et les pruniers sauvages,<br />
Jacques Girondelle gagna, sans être aperçu<br />
de quiconque, d'abcrd le chemin couvert, puis<br />
les premiers taillis de la forêt, dans laquelle<br />
il s'enfonça par une haie qu'il connaissait.<br />
Les rayons du soleil couchant s'insinuaient<br />
obliquement, par intermittences, sous les<br />
feuillages, rougissant ici le tronc d'un sapin, là<br />
dorant l'écorce d'un bouleau, parfois révélant<br />
dans l'air de claires sarabandes de moucherons.<br />
Soudainement, une demi-obscurité noya la<br />
forêt. Jacques leva la tête et s'aperçut, autant<br />
que le lui permettait l'entre-croisement des<br />
branches, que de noires nuées voguaient làhaut.<br />
Un long souffle passa.<br />
— L'orage vient, se dit le jeune homme.<br />
Tant pis !... Marchons !<br />
Il fallait marcher. Les nuages d'orage<br />
n'empêcheraient pas la lune de se lever, tout<br />
à l'heure... Alors, Manda dirait les paroles.<br />
Et il était nécessaire que l'épreuve eût lieu<br />
dans le même temps, afin que leur vertu, en<br />
laquelle Jacques avait foi, pour tout dire,<br />
plus qu'en la plante aux feuilles amères, fût<br />
agissante. Jacques, marchait donc, tenaillé<br />
seulement par une crainte, celle que Bruno<br />
ne vînt pas...<br />
• Mais Bruno avait promis d'être au Val-<br />
Cranioux au crépuscule, il y serait !...<br />
Par le même chemin que suivait Jacques,<br />
join derrière lui, le bûcheron se hâtait vers<br />
îe lieu du rendez-vous. Il chantonnait. Il<br />
pensait à Lucette et déjà la voyait dans leur<br />
ménage, au foyer ou sur le seuil, brune et<br />
souriant de sa bouche rouge. En vérité, il<br />
l'aurait, Lucette ! C'est comme si ce gringalet<br />
de Jacques Girondelle la lui donnait, aujourd'hui,<br />
de sa main. A n'en pas douter, le sabotier<br />
était fou ! Il courait au-devant de sa confusion !<br />
A moins que, se sentant perdu sans rémission<br />
dans le coeur de la jeune fille, il n'eût voulu<br />
pouvoir accuser le sort de sa défaite... Car<br />
Bruno était, Bruno serait le plus fort !... Il<br />
brandissait son bâton en de terribles moulinets,<br />
cassant les branchettes et faisant voler des<br />
bouquets de feuilles. Il ne sentait nulle fatigue<br />
appesantir son bras, qui pourtant avait manié<br />
la cognée tout le jour. Ah ! la force de Bruno !<br />
A mesure que le bûcheron approchait du<br />
Val-Cranioux, le bois devenait plus épais et<br />
l'aspect des lieux plus sauvage. Le sentier,<br />
par endroits, se perdait. Des blocs de granit<br />
affleuraient, auxquels le pied butait. Une<br />
odeur de pourriture montait des fonds humides<br />
où grouillaient des bêtes sans yeux. Les ronces<br />
cachaient les troncs des arbres et des lianes<br />
unissaient les branches.<br />
U<br />
A A A î<br />
N grondement sourd, prolongé, encore<br />
lointain, retentit. Le tonnerre.<br />
Bruno hâta le pas autant que le per-<br />
mettait la difficulté du terrain. Il trouvait<br />
l'heure de l'épreuve assurément mal choisie.<br />
Cet orage !... Mais fait-il jamais mauvais<br />
tations qu'élevait Bruno à cause de son trop<br />
de précipitation à compter, Jacques commença<br />
une deuxième tentative.<br />
Il s'était mis, cette fois, à cheval sur le tronc,<br />
et il tâchait d'attirer d'abord vers lui le sommet<br />
du coin, pour le repousser ensuite dans le sens<br />
de la fente, et le faire enfin glisser au dehors.<br />
Il n'y parvint pas.<br />
Un coup de tonnerre couvrit la voix de Bruno<br />
qui achevait :<br />
— Neuf... dix 1...<br />
Jacques së redressa. Ses jambes ployèrent<br />
sous 1 effet d'une fatigue soudaine ou de la<br />
fureur. Il lui semblait qu'un serpent lui mordait<br />
le cœur. Il pensa au sorcier. Le misérable<br />
Manda aurait-il menti ? Où donc étaient la<br />
vertu de sa plante et la vertu de ses paroles,<br />
et qu'attendaient-elles pour se manifester ?<br />
Mais déjà le rival détesté, prêt à tenter<br />
l'épreuve pour la seconde fois, enjoignait à<br />
Jacques de commencer à compter... A ce<br />
moment, de larges gouttes de pluie tombèrent<br />
en claquant sur les feuilles.<br />
— Allons I cria Bruno. Finissons !... Il<br />
faut rentrer I<br />
Il s'était presque allongé dans l'herbe, le<br />
corps placé à angle droit avec le tronc d'arbre.<br />
Ses pieds s'arc-boutèrent. II coiffa le coin de<br />
sa paume gauche et saisit solidement de sa<br />
main droite le rebord de la fente béante.<br />
Ayant amené Jacques à l'emplacement qu'il crut propice, il le souleva de terre<br />
et le jeta dans le vide. Mais Jacques s'était agrippé à la longue barbe du sorcier.<br />
temps un jour de victoire ? Au Val-Cranioux<br />
Jacques attendait, assis sur le tronc du chêne.<br />
Au moment où Bruno parut, un éclair illumina<br />
la clairière.<br />
— Dépêchons-nous, dit le sabotier nerveusement.<br />
Le feu du ciel est sur nous !<br />
Un coup de tonnerre accompagna la fin de<br />
sa phrase.<br />
Bruno examina le chêne, dans lequel un<br />
gros coin rouillé s'enfonçait, puis il arracha<br />
un brin de jonc, le coupa en deux tronçons<br />
inégaux qu'il brouilla dans ses mains derrière<br />
son dos :<br />
— Le plus court commence, dit-il. Quelle<br />
main choisis-tu ?<br />
— La gauche.<br />
— C'est à toi !<br />
Jacques se rua sur le tronc, de l'arbre.<br />
Agenouillé dans l'herbe, il saisit à deux mains la<br />
partie saillante du coin de fer et banda ses<br />
muscles.<br />
Le coin ne broncha pas.<br />
Bruno comptait :<br />
— ... Deux, trois, quatre...<br />
Furieusement, Jacques s'efforçait, les genoux<br />
écartés, la tête courbée entre ses épaules<br />
arrondies. En vain.<br />
— Huit, neuf... Debout ! A mon tour !<br />
cria Bruno.<br />
L'orage se rapprochait : tous les échos du<br />
bois s'affolaient aux fracas célestes.<br />
Bruno monta sur le tronc et, le corps<br />
ployé, manifesta l'intention d'arracher le<br />
coin en le tirant verticalement, après l'avoir<br />
ébranlé de gauche à droite par de petites<br />
secousses. Mais le temps qu'il lui fallut pour<br />
placer convenablement ses larges mains autour<br />
de la tête du coin et pour préparer à l'effort<br />
tous ses muscles, suffit à Jacques, dont la voix<br />
haletait, pour atteindre le chiffre dix.<br />
En suite de quoi, sans entendre les protes-<br />
Puis tous ses muscles entrèrent en jeu à la fois.<br />
Jacques, penché sur lui, l'œil fou, articulait<br />
en saccadant : " ... Cinq... six... " lorsque le<br />
grand corps de Bruno se replia tout à coup<br />
comme un ressort qui se tend... Un cri monta,<br />
cri de triomphe, cri de douleur : le coin était<br />
hors, mais les quatre doigts de la main droite<br />
du vainqueur restaient pris dans la fente<br />
refermée, broyés jusqu'à la paume par le<br />
resserrement des fibres du bois.<br />
— Au secours !... Jacques !...<br />
Les gouttes "de pluie crépitaient et le tonnerre<br />
roulait continûment. Bruno se retourna,<br />
la face crispée :<br />
— Jacques !... Le coin !... Remets le coin,<br />
vite !...<br />
La voix du supplicié se perdit dans le bruit<br />
de l'orage. Ses yeux scrutèrent autour de lui<br />
la clairière. Et ses yeux ne virent pas Jacques.<br />
Jacques n'était plus là...<br />
Mû par sa colère et par une joie atcoce,<br />
Jacques avait pris la fuite vers le village, abandonnant<br />
son rival à l'épouvantable torture...<br />
Quand il eut compris qu'il restait seul,<br />
Bruno Vernaire ramassa le coin, le replaça<br />
dans la fente et tenta de l'enfoncer. Mais,<br />
de sa seule main gauche, comment l'eût-il pu<br />
faire? Vainement, il se meurtrit le poing.<br />
Vainement, de son bâton, il essaya de frapper.<br />
La fente ne se rouvrit pas.<br />
Alors, le malheureux- se mit à pousser des<br />
hurlements. Mais qui l'entendait? Le village<br />
était loin et le fracas de l'orage redoublait...<br />
Il secoua son bras prisonnier, fit craquer ses<br />
os dans un effort terrible. Il ne parvint qu'à<br />
accroître sa souffrance, à tel point que, près de<br />
défaillir, il tomba sur les genoux...<br />
Enfin, une idée le hanta :<br />
— Mon couteau... mon couteau' !...<br />
Pour se dégager, Bruno ne voyait plus qu'un<br />
seul moyen : se couper les doigts au ras de la<br />
paume... II courrait ensuite à la fontaine<br />
baigner son moignon dans l'eau fraîche et<br />
reviendrait au village quand il aurait fait une<br />
ligature à son poignet pour arrêter le flux du<br />
sang.<br />
De sa main libre il explora ses poches,<br />
atteignit le couteau, le retira, l'ouvrit et commença<br />
l'affreuse besogne. Mais quand la lame<br />
toucha l'os et ne voulut plus mordre, Bruno<br />
sentit ses muscles se détendre. Toute sa belle<br />
force, soudain, s'anéantit. Il s'évanouit. Son<br />
front heurta le tronc du chêne...<br />
A * A<br />
E lendemain matin, tout le village des<br />
Trois-Moulins apprit la " disparition " de<br />
L Bruno Vernaire. Ses parents, qu'il avait<br />
quittés sur le soir, en leur disant qu'il allait<br />
poser un collet, l'avaient attendu toute la nuit<br />
dans les transes. Maître Le Luquet, pour le<br />
compte de qui Bruno travaillait, et qui était<br />
venu s'enquérir de lui, ne le voyant point<br />
arriver au chantier à l'heure accoutumée, proposa<br />
de battre le bois. Le pauvré garçon avait<br />
sans doute été frappé de la foudre. Car comment<br />
supposer qu'il se tût égaré, surpris par la nuit,<br />
dans la forêt?... Bruno la connaissait, la forêt,<br />
assez bien pour s'y diriger en pleines ténèbres !<br />
— Peut -être, suggéra la mère, qui ne voulait<br />
point croire encore à un accident, peut-être<br />
qu'il est allé à l'affût d'un sanglier?<br />
— Le fusil est au clou ! remarqua le père.<br />
— Quoi qu'il en soit, il faut le chercher !<br />
dit maître Le Luquet. Je vas prévenir les<br />
compagnons !<br />
Bientôt, une petite troupe fut assemblée<br />
i— une douzaine d'hommes et de jeunes gens,<br />
accompagnés de cinq ou six chiens — et l'on<br />
se dirigea vers la sortie du village.<br />
Comme on passait devant la boutique de<br />
Jacques Girondelle, un des garçons heurta à<br />
la vitre :<br />
— Hé, sabotier !... Viens avec nous !<br />
— Qu'est-ce qu'il y a donc? demanda<br />
Jacques, paraissant sur le seuil, de menus<br />
copeaux de hêtre dans ses cheveux ébouriffés.<br />
— Comment? Tu ne sais pas que Bruno<br />
Vernaire, ton ami Bruno, a disparu cette<br />
nuitée ? On va le chercher par le bois. Il faut<br />
que tu viennes aussi !<br />
— Mais... c'est que...<br />
—s II n'y a pas de mais. Nous ne serons<br />
jamais trop ! En route !"<br />
Jacques dut, bon gré, mal gré, suivre le<br />
groupe. On remarqua son teint pâle, ses mains<br />
çjui tremblaient, et l'on pensa que c'était<br />
I annonce brutale de la disparition de Bruno<br />
— le prétendant favori, disaient les uns, de<br />
Lucette Bonnin — qui l'avait jeté dans cet<br />
émoi.<br />
Hommes et chiens entrèrent en forêt. Le<br />
Luquet dirigeait la troupe, qui, dispersée, mais<br />
gardant liaison au moyen de cris convenus, se<br />
rassemblait de temps à autre, aux points fixés,<br />
dans les clairières.<br />
On marcha longtemps. Les soleil était déjà<br />
haut. Les parfums silvestres montaient, développés<br />
par la pluie de la nuit, entêtants. La<br />
chaleur pesait. Onze heures approchaient.<br />
— Il faut revenir, dit Le Luquet, quand les<br />
hommes se furent, pour la cinquième fois,<br />
réunis. Nous sommes loin : nous allons tourner<br />
bride. Par la gauche ou par la droite?<br />
— Prenons par le Val-Cranioux ! lança<br />
Jacques d'une voix qu'il eût voulu raffermir.<br />
— En route, les amis ! Et qu'on se retrouve<br />
tous à la fontaine !<br />
Jacques disparut sous bois, comme les<br />
autres. Mais bientôt ses jambes se raidirent.<br />
II lui semblait que lianes et ronces, enchevêtrées<br />
autour de ses 'pieds, leur donnaient le<br />
poids du plomb. La sueur ruisselait de ses<br />
tempes.<br />
— Allons ! murmura-t-il, allons ! Faut voir,<br />
pourtant ! Faut voir !...<br />
Et il se fit violence pour continuer d'avancer.<br />
Les appels des hommes se répondaient<br />
régulièrement dans le taillis et les échos répétaient<br />
: " Ho... hé !... hé... hé !... " Parfois, la<br />
voix des chiens se mêlait, rauque ou perçante,<br />
à ces clameurs. Une demi-heure encore passa,<br />
et puis parvint soudain un aboiement étrange,<br />
long, déchirant, sinistre... Peu après monta<br />
la voix de maître Le Luquet, amplifiée par les<br />
résonances de 1 endroit :<br />
— Par ici ! Holà ! Camarades !... Holà !...<br />
Ah !...<br />
Et ce dernier ah se prolongeait en une sorte<br />
de plainte effarée.<br />
Jacques Girondelle bondit en avant. Sans<br />
souci des branches qui lui griffaient le visage<br />
et les mains, il allait, maintenant, il allait vers<br />
le Val-Cranioux. Bientôt, il distingua la clairière...<br />
Quelques pas encore... Il écarta les<br />
derniers buissons... Il courut.<br />
Autour du tronc couché dans l'herbe, les<br />
hommes des Trois-Moulins contemplaient,<br />
avec des gestes d'horreur, d'informes débris,<br />
des os roses, sortant, décharnés, de lambeaux<br />
de vêtements, un crâne scalpé, sans visage, et<br />
(Lire la suite page 14, 3 e colonne).