dimanche 26 juillet

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miiuiiu LE 23 JUILLET 1323 iNiiiiiiMimiMniiniMiiimiiiNiiiimiiiinmiiiiiiimiiiniriiiiiiiiiiiiiiimiiiiiiiiiiii 5 LES ROMANS DE LA VIE ■■■■mil ■iiiiiiiiiniiiiiiiii iiiituîiiiiuuiHiiiiiiiuiii 1 itiuiiii DIMANCHE-ILLUSTRÉ MHIHUII GAMAIN, L'HOMME A L'ARMOIRE DE FER par JE AM-BERN ARD> ARMI les chapitres les plus romanesques de l'histoire de la Révolution française, un des plus pittoresques est, assurément, celui de l'armoire de fer. Cette armoire, qui, en fait, était un gros coffret en fer, a joué un grand rôle dans le procès de Louis XVI, et a certainement contribué à sa condamnation. Nous savons aujourd'hui, sans aucun doute possible, quand, comment et par qui fut construit cette faméuse cassette. On connaît à peu près ce qu'elle contenait. Le seul côté mystérieux est celui relatif aux accusations sans preuves, tout à fait invraisemblables, portées plus tard par Gamain, qui prétendit avoir été empoisonné à la suite du travail qu'il avait effectué. Empoisonné par qui ? et pour quoi? Par Louis XVI, n'a pas craint d'affirmer Gamain, qui a ensuite changé de thèse et a accusé Marie-Antoinette. L'histoire en main, on peut dire cjue c'est là un double mensonge. Pourquoi 1 aurait-on empoisonné ? Pour anéantir le détenteur d'un secret qu'on lui avait spontanément et volontairement confié. Nous verrons, tout à l'heure, l'absurdité d'une pareille et si audacieuse affirmation de la part d'un homme dont le moins qu'on puisse penser, c est qu il manqua de reconnaissance, de probité morale et de dignité. Mais, tout d'abord, qu'était Gamain ? Un maître serrurier, ayant sa boutique à Versailles et dont Louis XVI, qui aimait, comme on sait, manier la lime et le marteau, avait demandé le concours pour les divers travaux de sa forge, très complète, située dans une des salles du rez-de-chaussée du château. Gamain était fort habile et il existe encore à Versailles un beau balcon, en fer forgé, qui est son ouvrage. Le roi avait fait avec lui de réels progrès dans le métier de serrurier et il fabriquait avec art des clefs de poche, des petits ouvrages de ferronnerie, de même qu'il savait à merveille réparer les pendules détraquées. Louis XVI, qui avait fait donner à son professeur manuel une pension de 200 livres en 1782, lui servait 1.600 livres d'appointements. Quand, après les journées d'Octobre, les femmes ramenèrent la famille royale à Paris, le roi fit installer une forge au rez-de-chaussée des Tuileries et s'amusa à remettre en état les nombreuses serrures du château qui, par suite du long abandon où on l'avait laissé, étaient en mauvais état. A plusieurs reprises, il avait demandé à Gamain de venir lui donner un coup de main et toujours ce dernier avait été largement payé de sa peine. Au surplus, comme la plupart des petits bourgeois et des artisans aisés, Gamain avait accepté les idées nouvelles ; il fut élu membre du Conseil général de Versailles et il manifesta ses opinions en faisant placer sur le mur de sa maison, 9, rue Neuve, l'inscription suivante : Tyrans, tremblez que la foudre Bientôt ne vous réduise en poudre. Peut-être bien que Gamain, dont les relations journalières, et d'une certaine intimité avec le roi, rendaient les sentiments révolutionnaires suspects aux vigilants Versaillais, força un peu la note pour témoigner son civisme. Toujours est-il que Louis XVI, qui n'avait rien d'un tyran, et ne se considérait pas comme tel, ne s'offusqua point de ces sentiments patriotiques, malgré leur forme un peu dure et il demanda souvent, pendant les années 1790 et 1791, à son ancien chef de ferronnerie, Gamain, de venir à Paris. Il arriva même que le maître serrurier passa plusieurs jours sans rentrer à Versailles. Devant l'enclume, le roi oubliait ses amertumes et les tristesses de sa situation. LE 21 mai 1792, comme Gamain était dans sa boutique, un cavalier s'arrêta devant sa porte -et appela le serrurier par son nom. Gamain sortit et reconnut Durey, un des valets de chambre du roi, qui aidait souvent le souverain dans ses travaux de la forge. — Monsieur Gamain, dit Durey, Sa Majesté m'envoie vous demander de venir aux Tuileries. Vous entrerez par les cuisines pour ne pas inspirer des soupçons. Le serrurier, craignant de se compromettre davantage aux yeux des jacobins de Versailles qui le surveillaient, ne dit ni oui ni non et ne bougea pas. Le lendemain, Durey revint et remit cette fois un billet de la main même du roi, dans lequel Louis XVI priait Gamain, en termes familiers, de venir le plus tôt qu'il pourrait, pour lui donner un coup de main pour un travail difficile et pressé. Le serrurier (F Parmi les chapitres les plus romanesques de l'histoire de la Révolution française, un des plus pittoresques est, assurément, celui de l'armoire de fer. Cette armoire qui, en fait, était un gros coffret en fer, a joué un grand rôle dans le procès de Louis XVI et a certainement contribué à sa condamnation. Dans cette page, notre collaborateur, Jean-Bernard, nous initie à la vie de Louis XVI, serrurier. J se décida et partit pour Paris, promettant à sa femme d'être de retour le soir même. Comme le lui avait recommandé Durey, il entra par les cuisines, par la porte des fournisseurs, sans éveiller l'attention de la sentinelle qui montait la garde. Il se rendit à la forge, qu'il connaissait bien, et il vit une porte de fer nouvellement forgée. Louis XVI entra et avec la familiarité dont il était coutumier avec son ancien maître de serrurerie, il lui dit, en lui frappant sur l'épaule : précieux. Nous avons percé la muraille à nous deux, Durey et moi. Toutes les nuits, Durey allait jeter les graviers à la Seine ; il faisait même plusieurs voyages dans la même nuit. — En quoi puis-je vous être utile ? demanda Gamain. — Il s'agit de placer la porte de fer que j'ai construite et que je t'ai montrée, à l'entrée de ce trou. Je ne sais comment m'y prendre. Mais je compte sur toi pour me rendre ce service. APPARITION DE L'OMBRE DE MIRABEAU DANS L'ARMOIRE DE FER, AUX TUILERIES, (d'après une estampe anonyme de l'époque). CETTE COMPOSITION SATIRIQUE REPRÉSENTE ROLAND, MINISTRE DE L'INTÉRIEUR, FAISANT OUVRIR PAR GAMAIN, LARMOIRE DE FER, AU FOND DE LAQUELLE APPARAIT LE SPECTRE DE MlRABEAU. — Ah ! mon pauvre Gamain, voilà bien longtemps que nous ne nous sommes vus. Puis il lui montra une grosse cassette de fer dont la porte était fermée par une serrure et une clef qu il fit jouer : — Tu vois, dit le roi, j'ai exécuté tout cela, seul, en dix jours. Au cours de la conversation qui suivit, on causa des événements, de Versailles; Gamain parla de la suspicion où on le tenait au club et il prononça le mot de dévouement. — J'en étais bien sûr, lui dit Louis XVI ; j'étais certain de ta fidélité et c'est à elle que je me confie. Passant devant, accompagné de Durey, il conduisit Gamain dans un couloir qui faisait communiquer la chambre du roi avec celle du dauphin. Durey éclairait avec une bougie. Le souverain leva un panneau de la boiserie qui masquait un trou rond " d'à peu près deux pieds de diamètre, pratiqué dans le mur ". — J'ai aménagé cette cachette pour cacher I des bijoux, de l'argent et quelques objets Gamain ayant demandé du plâtre, se mit à fixer les gonds de la porte ; il fut aidé par le roi et par Durey. Le travail dura plusieurs heures et se prolongea assez avant dans la nuit. Plus tard, Gamain assura qu'il avait vu Louis XVI compter deux millions en louis d'or qu'il divisa en quatre sacs et qu'il plaça dans la cassette où Durey apporta des liasses de papier. Jusqu'ici, voici l'histoire telle qu'elle fut vérifiée, sans incidents et sans rien de bien extraordinaire. Mais le drame se dessine et le mystère commence. Sorti des Tuileries,"le serrurier rentra à Versailles, faisant le chemin à pied pendant la nuit. Il était malade ; mais il ne dit à personne la cause de cette maladie subite. Un médecin de Versailles, M. de Lameiran, et le chirurgien Voisin, qui soignèrent Gamain, ont délivré des certificats qui, plus tard, ont disparu des archives. A quelle époque et par qui eut lieu cette suppression ? O.n n'a pu l'établir. Sous la Restauration, a-t-on écrit. Rien ne le prouve, ce qui épaissit le mystère et permit des suppo- sitions qui ne s'appuient sur aucune preuve Mais suivons les événements. Le 18 novembre 1792, Gamain, complètement guéri, vient trouver le ministre de l'Intérieur Roland et lui apprend l'existence de la fameuse armoire de fer. Roland se rend aux Tuileries, mais au lieu de placer sous scellés les dossiers que contenait la cachette, il les emporta chez lui dans deux serviettes de maroquin. Il est certain que Roland expurgea les papiers, qu'il enleva tout ce qui aurait pu compromettre la Gironde et, notamment, la correspondance de Barnave à la reine. Deux jours après, Roland informa la Convention de cet évérj^ment, et on nomma une commission de vingt et un membres. Les pièces principales des documents recueillis étaient la correspondance de Louis XVI avec l'empereur d'Autriche à qui il demandait aide et protection, et des lettres au roi d'Angleterre dans le même sens. On retrouva aussi les lettres de Mirabeau, après que le grand orateur se fut engagé à soutenir la royauté. Toute la campagne de propagande royaliste dans les milieux révolutionnaires fut ainsi connue. Tout cela fut mis en œuvre dans le procès de Louis XVI et hâta sa condamnation. Louis XVI, ne sachant pas que la Convention possédait ces documents et songeant — a-t-on dit — à ne pas compromettre ceux qui l'avaient soutenu et servi, nia et protesta, ce qui, naturellement, se retourna contre lui. QUAND au tôle de Gamain, on s'est demandé pourquoi il avait commis cette dénonciation qui était une vilaine action, puisqu'il allait ainsi pousser à l'échafaud Louis XVI qui avait été toujours très bon pour lui, et avec qui il avait vécu dans une grande familiarité, durant les longues heures de travail dans la forge du château de Versailles. On n'a pu donner aucune explication. Dans tous les cas, le délateur ne réclama aucune récompense pour cet acte sans dignité. Le seul motif plausible, c'est que les idées révolutionnaires devenant plus vives à Versailles où le serrurier jouait un petit rôle comme membre du Conseil général, il devait être suspect à cause des longues relations qu'on lui connaissait avec le roi. Pour garder sa réputation de bon révolutionnaire, il se décida à livrer son élève au bourreau, autant qu'il le pouvait, pour faire tomber toutes ces suspicions et garder sa réputation jacobine. Notons qu'à ce moment Gamain ne parlait nullement d'empoisonnement, ce qui aurait été une explication de son attitude déloyale. On comprendrait qu'il eût dit : " Le roi a voulu m'empoisonner, je me vengé en racontant ce que je sais. " Mais, le 18 novembre 1792, rien de pareil ; le serrurier garde le silence sur ce fait. Peut-être n'a-t-il pas encore inventé la fable invraisemblable dont il se servira plus tard. Le 18 novembre 1792, il dénonce, mais se tait sur les motifs qui le font agir, et ce ne fut que le 8 floréal, an II (27 avril 1794), qu'il adressa une pétition à la Convention pour demander une pension comme victime de l'ancien roi, qui aurait tenté de l'empoisonner . " pour supprimer celui qui était dépositaire du secret de l'armoire de fer ". Il avait attendu que Louis XVI et Marie- Antoinette fussent montés sur l'échafaud, pour invoquer ce grief contre lequel tout proteste. Gamain, d'ailleurs,, varie dans sa version et même dans son système insoutenable. Il ment d'un côté ou de l'autre. Tout d'abord, il affirma que lorsqu'il eut terminé son travail, le 12 mai 1792, le roi lui présenta un verre de vin en lui disant : " Tu es tout en sueur, bois, tu l'as bien mérité ". Gamain aurait bu et, sorti des Tuileries, il serait tombé aux Champs- Elysées en proie à d'affreuses brûlures intérieures. Un Anglais, qui passait par hasard en voiture à cette heure tardive, dans ce quartier désert, l'aurait ramassé, conduit chez un apothicaire de la rue du Bac qui lui aurait administré une potion et l'aurait ainsi sauvé. L'Anglais l'aurait ensuite ramené à Versailles. C'était sombre et machiné comme un mélodrame. La Convention adopta cette version, et sur un rapport de Musset, ancien curé de Falleron (Vendée), qui avait précisément épousé la fille d'un serrurier, elle accorda une pension : Art. I. — François Gamain, empoisonné par Louis Capet, le 22 mai 1792, jouira d'une pension annuelle et viagère de 1.200 livres, à compter du jour de l'empoisonnement. Quelques mois plus tard, Gamain change complètement de système ; ce n'est plus le roi, c'est la reine qui l'a empoisonné. (Lire la suite page 10, 4' colonne).

miiuiiu LE 23 JUILLET 1323 iNiiiiiiMimiMniiniMiiimiiiNiiiimiiiinmiiiiiiimiiiniriiiiiiiiiiiiiiimiiiiiiiiiiii 5<br />

LES ROMANS DE LA VIE<br />

■■■■mil ■iiiiiiiiiniiiiiiiii iiiituîiiiiuuiHiiiiiiiuiii 1 itiuiiii DIMANCHE-ILLUSTRÉ MHIHUII<br />

GAMAIN, L'HOMME A L'ARMOIRE DE FER<br />

par JE AM-BERN ARD><br />

ARMI les chapitres les plus romanesques<br />

de l'histoire de la Révolution<br />

française, un des plus pittoresques<br />

est, assurément, celui de<br />

l'armoire de fer. Cette armoire, qui,<br />

en fait, était un gros coffret en fer,<br />

a joué un grand rôle dans le procès de<br />

Louis XVI, et a certainement contribué à sa<br />

condamnation. Nous savons aujourd'hui, sans<br />

aucun doute possible, quand, comment et par<br />

qui fut construit cette faméuse cassette. On<br />

connaît à peu près ce qu'elle contenait.<br />

Le seul côté mystérieux est celui relatif aux<br />

accusations sans preuves, tout à fait invraisemblables,<br />

portées plus tard par Gamain,<br />

qui prétendit avoir été empoisonné à la suite<br />

du travail qu'il avait effectué. Empoisonné<br />

par qui ? et pour quoi?<br />

Par Louis XVI, n'a pas craint d'affirmer<br />

Gamain, qui a ensuite changé de thèse et a<br />

accusé Marie-Antoinette. L'histoire en main,<br />

on peut dire cjue c'est là un double mensonge.<br />

Pourquoi 1 aurait-on empoisonné ? Pour<br />

anéantir le détenteur d'un secret qu'on lui<br />

avait spontanément et volontairement confié.<br />

Nous verrons, tout à l'heure, l'absurdité d'une<br />

pareille et si audacieuse affirmation de la part<br />

d'un homme dont le moins qu'on puisse penser,<br />

c est qu il manqua de reconnaissance, de<br />

probité morale et de dignité.<br />

Mais, tout d'abord, qu'était Gamain ? Un<br />

maître serrurier, ayant sa boutique à Versailles<br />

et dont Louis XVI, qui aimait, comme on sait,<br />

manier la lime et le marteau, avait demandé le<br />

concours pour les divers travaux de sa forge,<br />

très complète, située dans une des salles du<br />

rez-de-chaussée du château. Gamain était<br />

fort habile et il existe encore à Versailles un<br />

beau balcon, en fer forgé, qui est son ouvrage.<br />

Le roi avait fait avec lui de réels progrès dans<br />

le métier de serrurier et il fabriquait avec art<br />

des clefs de poche, des petits ouvrages de<br />

ferronnerie, de même qu'il savait à merveille<br />

réparer les pendules détraquées. Louis XVI,<br />

qui avait fait donner à son professeur manuel<br />

une pension de 200 livres en 1782, lui servait<br />

1.600 livres d'appointements.<br />

Quand, après les journées d'Octobre, les<br />

femmes ramenèrent la famille royale à Paris,<br />

le roi fit installer une forge au rez-de-chaussée<br />

des Tuileries et s'amusa à remettre en état les<br />

nombreuses serrures du château qui, par<br />

suite du long abandon où on l'avait laissé,<br />

étaient en mauvais état. A plusieurs reprises,<br />

il avait demandé à Gamain de venir lui donner<br />

un coup de main et toujours ce dernier avait<br />

été largement payé de sa peine.<br />

Au surplus, comme la plupart des petits<br />

bourgeois et des artisans aisés, Gamain avait<br />

accepté les idées nouvelles ; il fut élu membre<br />

du Conseil général de Versailles et il manifesta<br />

ses opinions en faisant placer sur le mur<br />

de sa maison, 9, rue Neuve, l'inscription<br />

suivante :<br />

Tyrans, tremblez que la foudre<br />

Bientôt ne vous réduise en poudre.<br />

Peut-être bien que Gamain, dont les relations<br />

journalières, et d'une certaine intimité avec le<br />

roi, rendaient les sentiments révolutionnaires<br />

suspects aux vigilants Versaillais, força un<br />

peu la note pour témoigner son civisme. Toujours<br />

est-il que Louis XVI, qui n'avait rien<br />

d'un tyran, et ne se considérait pas comme<br />

tel, ne s'offusqua point de ces sentiments<br />

patriotiques, malgré leur forme un peu dure<br />

et il demanda souvent, pendant les années<br />

1790 et 1791, à son ancien chef de ferronnerie,<br />

Gamain, de venir à Paris. Il arriva même que<br />

le maître serrurier passa plusieurs jours sans<br />

rentrer à Versailles. Devant l'enclume, le roi<br />

oubliait ses amertumes et les tristesses de sa<br />

situation.<br />

LE 21 mai 1792, comme Gamain était dans<br />

sa boutique, un cavalier s'arrêta devant sa<br />

porte -et appela le serrurier par son nom.<br />

Gamain sortit et reconnut Durey, un des<br />

valets de chambre du roi, qui aidait souvent<br />

le souverain dans ses travaux de la forge.<br />

— Monsieur Gamain, dit Durey, Sa Majesté<br />

m'envoie vous demander de venir aux Tuileries.<br />

Vous entrerez par les cuisines pour ne<br />

pas inspirer des soupçons.<br />

Le serrurier, craignant de se compromettre<br />

davantage aux yeux des jacobins de Versailles<br />

qui le surveillaient, ne dit ni oui ni non et ne<br />

bougea pas. Le lendemain, Durey revint et<br />

remit cette fois un billet de la main même du<br />

roi, dans lequel Louis XVI priait Gamain,<br />

en termes familiers, de venir le plus tôt qu'il<br />

pourrait, pour lui donner un coup de main<br />

pour un travail difficile et pressé. Le serrurier<br />

(F<br />

Parmi les chapitres les plus romanesques de l'histoire de la<br />

Révolution française, un des plus pittoresques est, assurément,<br />

celui de l'armoire de fer. Cette armoire qui, en fait, était un<br />

gros coffret en fer, a joué un grand rôle dans le procès de<br />

Louis XVI et a certainement contribué à sa condamnation.<br />

Dans cette page, notre collaborateur, Jean-Bernard, nous<br />

initie à la vie de Louis XVI, serrurier.<br />

J<br />

se décida et partit pour Paris, promettant à sa<br />

femme d'être de retour le soir même. Comme<br />

le lui avait recommandé Durey, il entra par les<br />

cuisines, par la porte des fournisseurs, sans<br />

éveiller l'attention de la sentinelle qui montait<br />

la garde. Il se rendit à la forge, qu'il connaissait<br />

bien, et il vit une porte de fer nouvellement<br />

forgée. Louis XVI entra et avec la familiarité<br />

dont il était coutumier avec son ancien maître de<br />

serrurerie, il lui dit, en lui frappant sur l'épaule :<br />

précieux. Nous avons percé la muraille à nous<br />

deux, Durey et moi. Toutes les nuits, Durey<br />

allait jeter les graviers à la Seine ; il faisait<br />

même plusieurs voyages dans la même nuit.<br />

— En quoi puis-je vous être utile ? demanda<br />

Gamain.<br />

— Il s'agit de placer la porte de fer que j'ai<br />

construite et que je t'ai montrée, à l'entrée de<br />

ce trou. Je ne sais comment m'y prendre. Mais<br />

je compte sur toi pour me rendre ce service.<br />

APPARITION DE L'OMBRE DE MIRABEAU DANS L'ARMOIRE DE FER, AUX TUILERIES, (d'après<br />

une estampe anonyme de l'époque). CETTE COMPOSITION SATIRIQUE REPRÉSENTE ROLAND,<br />

MINISTRE DE L'INTÉRIEUR, FAISANT OUVRIR PAR GAMAIN, LARMOIRE DE FER, AU FOND DE<br />

LAQUELLE APPARAIT LE SPECTRE DE MlRABEAU.<br />

— Ah ! mon pauvre Gamain, voilà bien<br />

longtemps que nous ne nous sommes vus.<br />

Puis il lui montra une grosse cassette de<br />

fer dont la porte était fermée par une serrure<br />

et une clef qu il fit jouer :<br />

— Tu vois, dit le roi, j'ai exécuté tout cela,<br />

seul, en dix jours.<br />

Au cours de la conversation qui suivit, on<br />

causa des événements, de Versailles; Gamain<br />

parla de la suspicion où on le tenait au club<br />

et il prononça le mot de dévouement.<br />

— J'en étais bien sûr, lui dit Louis XVI ;<br />

j'étais certain de ta fidélité et c'est à elle que je<br />

me confie.<br />

Passant devant, accompagné de Durey, il<br />

conduisit Gamain dans un couloir qui faisait<br />

communiquer la chambre du roi avec celle<br />

du dauphin. Durey éclairait avec une bougie.<br />

Le souverain leva un panneau de la boiserie<br />

qui masquait un trou rond " d'à peu près<br />

deux pieds de diamètre, pratiqué dans le<br />

mur ".<br />

— J'ai aménagé cette cachette pour cacher<br />

I des bijoux, de l'argent et quelques objets<br />

Gamain ayant demandé du plâtre, se mit<br />

à fixer les gonds de la porte ; il fut aidé par le<br />

roi et par Durey. Le travail dura plusieurs<br />

heures et se prolongea assez avant dans la<br />

nuit. Plus tard, Gamain assura qu'il avait vu<br />

Louis XVI compter deux millions en louis<br />

d'or qu'il divisa en quatre sacs et qu'il plaça<br />

dans la cassette où Durey apporta des liasses<br />

de papier.<br />

Jusqu'ici, voici l'histoire telle qu'elle fut<br />

vérifiée, sans incidents et sans rien de bien<br />

extraordinaire. Mais le drame se dessine et le<br />

mystère commence. Sorti des Tuileries,"le<br />

serrurier rentra à Versailles, faisant le chemin<br />

à pied pendant la nuit. Il était malade ; mais il<br />

ne dit à personne la cause de cette maladie<br />

subite. Un médecin de Versailles, M. de Lameiran,<br />

et le chirurgien Voisin, qui soignèrent<br />

Gamain, ont délivré des certificats qui, plus<br />

tard, ont disparu des archives.<br />

A quelle époque et par qui eut lieu cette<br />

suppression ? O.n n'a pu l'établir. Sous la<br />

Restauration, a-t-on écrit. Rien ne le prouve,<br />

ce qui épaissit le mystère et permit des suppo-<br />

sitions qui ne s'appuient sur aucune preuve<br />

Mais suivons les événements.<br />

Le 18 novembre 1792, Gamain, complètement<br />

guéri, vient trouver le ministre de<br />

l'Intérieur Roland et lui apprend l'existence de<br />

la fameuse armoire de fer. Roland se rend aux<br />

Tuileries, mais au lieu de placer sous scellés<br />

les dossiers que contenait la cachette, il les<br />

emporta chez lui dans deux serviettes de<br />

maroquin. Il est certain que Roland expurgea<br />

les papiers, qu'il enleva tout ce qui aurait pu<br />

compromettre la Gironde et, notamment, la<br />

correspondance de Barnave à la reine. Deux<br />

jours après, Roland informa la Convention de<br />

cet évérj^ment, et on nomma une commission<br />

de vingt et un membres.<br />

Les pièces principales des documents recueillis<br />

étaient la correspondance de Louis XVI<br />

avec l'empereur d'Autriche à qui il demandait<br />

aide et protection, et des lettres au roi d'Angleterre<br />

dans le même sens. On retrouva aussi les<br />

lettres de Mirabeau, après que le grand orateur<br />

se fut engagé à soutenir la royauté. Toute la<br />

campagne de propagande royaliste dans les<br />

milieux révolutionnaires fut ainsi connue.<br />

Tout cela fut mis en œuvre dans le procès de<br />

Louis XVI et hâta sa condamnation. Louis XVI,<br />

ne sachant pas que la Convention possédait ces<br />

documents et songeant — a-t-on dit — à ne<br />

pas compromettre ceux qui l'avaient soutenu<br />

et servi, nia et protesta, ce qui, naturellement,<br />

se retourna contre lui.<br />

QUAND au tôle de Gamain, on s'est demandé<br />

pourquoi il avait commis cette dénonciation<br />

qui était une vilaine action, puisqu'il allait<br />

ainsi pousser à l'échafaud Louis XVI qui avait<br />

été toujours très bon pour lui, et avec qui il<br />

avait vécu dans une grande familiarité, durant<br />

les longues heures de travail dans la forge du<br />

château de Versailles. On n'a pu donner aucune<br />

explication. Dans tous les cas, le délateur ne<br />

réclama aucune récompense pour cet acte<br />

sans dignité. Le seul motif plausible, c'est que<br />

les idées révolutionnaires devenant plus vives<br />

à Versailles où le serrurier jouait un petit rôle<br />

comme membre du Conseil général, il devait<br />

être suspect à cause des longues relations qu'on<br />

lui connaissait avec le roi. Pour garder sa réputation<br />

de bon révolutionnaire, il se décida à<br />

livrer son élève au bourreau, autant qu'il le<br />

pouvait, pour faire tomber toutes ces suspicions<br />

et garder sa réputation jacobine.<br />

Notons qu'à ce moment Gamain ne parlait<br />

nullement d'empoisonnement, ce qui aurait<br />

été une explication de son attitude déloyale.<br />

On comprendrait qu'il eût dit : " Le roi a<br />

voulu m'empoisonner, je me vengé en racontant<br />

ce que je sais. " Mais, le 18 novembre 1792,<br />

rien de pareil ; le serrurier garde le silence<br />

sur ce fait. Peut-être n'a-t-il pas encore inventé<br />

la fable invraisemblable dont il se servira plus<br />

tard.<br />

Le 18 novembre 1792, il dénonce, mais se<br />

tait sur les motifs qui le font agir, et ce ne fut<br />

que le 8 floréal, an II (27 avril 1794), qu'il<br />

adressa une pétition à la Convention pour<br />

demander une pension comme victime de<br />

l'ancien roi, qui aurait tenté de l'empoisonner .<br />

" pour supprimer celui qui était dépositaire<br />

du secret de l'armoire de fer ".<br />

Il avait attendu que Louis XVI et Marie-<br />

Antoinette fussent montés sur l'échafaud, pour<br />

invoquer ce grief contre lequel tout proteste.<br />

Gamain, d'ailleurs,, varie dans sa version et<br />

même dans son système insoutenable. Il ment<br />

d'un côté ou de l'autre. Tout d'abord, il<br />

affirma que lorsqu'il eut terminé son travail,<br />

le 12 mai 1792, le roi lui présenta un verre de<br />

vin en lui disant : " Tu es tout en sueur, bois,<br />

tu l'as bien mérité ". Gamain aurait bu et,<br />

sorti des Tuileries, il serait tombé aux Champs-<br />

Elysées en proie à d'affreuses brûlures intérieures.<br />

Un Anglais, qui passait par hasard en<br />

voiture à cette heure tardive, dans ce quartier<br />

désert, l'aurait ramassé, conduit chez un<br />

apothicaire de la rue du Bac qui lui aurait<br />

administré une potion et l'aurait ainsi sauvé.<br />

L'Anglais l'aurait ensuite ramené à Versailles.<br />

C'était sombre et machiné comme un mélodrame.<br />

La Convention adopta cette version, et<br />

sur un rapport de Musset, ancien curé de<br />

Falleron (Vendée), qui avait précisément<br />

épousé la fille d'un serrurier, elle accorda une<br />

pension : Art. I. — François Gamain, empoisonné<br />

par Louis Capet, le 22 mai 1792, jouira<br />

d'une pension annuelle et viagère de 1.200 livres,<br />

à compter du jour de l'empoisonnement.<br />

Quelques mois plus tard, Gamain change<br />

complètement de système ; ce n'est plus le roi,<br />

c'est la reine qui l'a empoisonné.<br />

(Lire la suite page 10, 4' colonne).

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