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<strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong>, <strong>1929</strong>-<strong>1996</strong><br />
Illustration: Francine Auger.
Deborah Cowley<br />
<br />
Deborah Cowley vit à Ottawa. Auteure et réalisatrice,<br />
elle a voyagé dans le monde entier. Elle a signé des<br />
centaines de reportages publiés dans le Reader’s Digest,<br />
et ce, sur des sujets tels que Jane Goodall, gourou des<br />
chimpanzés, l’équipe volante des ophtalmologues<br />
d’ORBIS et la route des pèlerins de Saint-Jacquesde-Compostelle.<br />
Elle a collaboré à des documentaires<br />
tournés en Égypte et diffusés à la télévision de Radio-<br />
Canada et elle a préparé plus de cinquante autres<br />
documentaires radiodiffusés sur les ondes de la CBC.<br />
Elle a également écrit des articles pour différents<br />
journaux et magazines de voyage.<br />
Deborah Cowley est l’auteure de Cairo. A Practical<br />
Guide (Presses de l’Université du Caire), qui en<br />
est à sa douzième réédition. Au début des années<br />
quatre-vingt-dix, elle a coécrit avec son mari, George<br />
Cowley, One Woman’s Journey : A Portrait of Pauline<br />
Vanier (Novalis). Plus récemment, elle a dirigé la<br />
publication de la correspondance de guerre de l’ex-<br />
Gouverneur général Georges Vanier, publiée sous le<br />
titre de Georges Vanier: Soldier (Dundurn Press).
La collection<br />
LES GRANDES FIGURES<br />
est dirigée par<br />
Pierre Angrignon,<br />
professeur à la retraite, Collège de Valleyfield,<br />
diplôme d’études supérieures en histoire, Université de Montréal<br />
Le comité éditorial pour la version anglaise<br />
était composé de<br />
Lynne Bowen<br />
Janet Lunn<br />
T. F. Rigelhof
Dans la même collection<br />
1. Louis-Martin Tard, Chomedey de Maisonneuve. Le pionnier de Montréal.<br />
2. Bernard Assiniwi, L’Odawa Pontiac. L’amour et la guerre.<br />
3. Naïm Kattan, A. M. Klein. La réconciliation des races et des religions.<br />
4. Daniel Gagnon, Marc-Aurèle Fortin. À l’ombre des grands ormes.<br />
5. Mathieu-Robert Sauvé, Joseph Casavant. Le facteur d’orgues romantique.<br />
6. Louis-Martin Tard, Pierre Le Moyne d’Iberville. Le conquérant des mers.<br />
7. Louise Simard, Laure Conan. La romancière aux rubans.<br />
8. Daniel Poliquin, Samuel Hearne. Le marcheur de l’Arctique.<br />
9. Raymond Plante, Jacques Plante. Derrière le masque.<br />
10. André Berthiaume, Jacques Cartier. L’inaccessible royaume.<br />
11. Pierre Couture, Marie-Victorin. Le botaniste patriote.<br />
12. Louis-Martin Tard, Michel Sarrazin. Le premier scientifique du Canada.<br />
13. Fabienne Julien, Agathe de Repentigny. Une manufacturière au XVII e siècle.<br />
14. Mathieu-Robert Sauvé, Léo-Ernest Ouimet. L’homme aux grandes vues.<br />
15. Annick Hivert-Carthew, Antoine de Lamothe Cadillac. Le fondateur de<br />
Detroit.<br />
16. André Vanasse, Émile Nelligan. Le spasme de vivre.<br />
17. Louis-Martin Tard, Marc Lescarbot. Le chantre de l’Acadie.<br />
18. Yolaine Laporte, Marie de l’Incarnation. Mystique et femme d’action.<br />
19. Daniel Gagnon, Ozias Leduc. L’ange de Correlieu.<br />
20. Michelle Labrèche-Larouche, Emma Albani. La diva, la vedette mondiale.<br />
21. Louis-Martin Tard, Marguerite d’Youville. Au service des exclus.<br />
22. Marguerite Paulin, Félix Leclerc. Filou, le troubadour.<br />
23. André Brochu, Saint-Denys Garneau. Le poète en sursis.<br />
24. Louis-Martin Tard, Camillien Houde. Le Cyrano de Montréal.<br />
25. Mathieu-Robert Sauvé, Louis Hémon. Le fou du lac.<br />
26. Marguerite Paulin, Louis-Joseph Papineau. Le grand tribun, le pacifiste.<br />
27. Pierre Couture et Camille Laverdière, Jacques Rousseau. La science des<br />
livres et des voyages.<br />
28. Anne-Marie Sicotte, Gratien Gélinas. Du naïf Fridolin à l’ombrageux Tit-<br />
Coq.<br />
29. Christine Dufour, Mary Travers Bolduc. La turluteuse du peuple.<br />
30. John Wilson, Norman Bethune. Homme de caractère et de conviction.<br />
31. Serge Gauthier, Marius Barbeau. Le grand sourcier.<br />
32. Anne-Marie Sicotte, Justine Lacoste-Beaubien. Au secours des enfants<br />
malades.<br />
33. Marguerite Paulin, Maurice Duplessis. Le Noblet, le petit roi.<br />
34. Véronique Larin, Louis Jolliet. Le séminariste devenu explorateur.<br />
35. Julie Royer, Roger Lemelin. Des bonds vers les étoiles.<br />
36. Francine Legaré, Samuel de Champlain. Père de la Nouvelle-France.<br />
37. Pierre Couture, Antoine Labelle. L’apôtre de la colonisation.<br />
38. Camille Laverdière, Albert Peter Low. Le découvreur du Nouveau-Québec.<br />
39. Marguerite Paulin, René Lévesque. Une vie, une nation.<br />
40. André Vanasse, Gabrielle Roy. Écrire, une vocation.<br />
41. Judith Fitzgerald, Marshall McLuhan. Un visionnaire.<br />
42. Sylviane Soulaine, Johan Beetz. Le petit grand Européen.<br />
43. Francine Legaré, Louis Hébert. Premier colon en Nouvelle-France.<br />
44. Serge Gauthier, Laure Gaudreault. La syndicaliste de Charlevoix.<br />
45. Pierre Couture, Guillaume Couture. Le roturier bâtisseur.<br />
46. Réjean Beaudin, Napoléon-Alexandre Comeau. Le héros légendaire de la<br />
Côte-Nord.<br />
47. Marguerite Paulin, Jacques Ferron. Le médecin, le politique et l’écrivain.
<strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong>
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec<br />
et Bibliothèque et Archives Canada<br />
Cowley, Deborah<br />
<strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong>: docteure courage<br />
(Les grandes figures; 48)<br />
Traduction de: <strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong>: doctor of courage.<br />
Comprend des réf. bibliogr.<br />
ISBN 978-2-89261-494-7<br />
1. <strong>Teasdale</strong>, <strong>Lucille</strong>. 2. Corti, Piero. 3. Hôpital Lacor (Gulu, Ouganda). 4. Chirurgiens —<br />
Ouganda — Biographies. 5. Chirurgiens — Québec (Province) — Biographies. I. Titre. II.<br />
Collection: Grandes figures; 48.<br />
RD27.35.T42C6814 2007 617’.092 C2007-941162-2<br />
Édition originale: <strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong>: Doctor of Courage, XYZ Publishing, 2005.<br />
Traduit de l’anglais par Hélène Rioux.<br />
La publication de cet ouvrage a été rendue possible grâce à l’aide financière du ministère du<br />
Patrimoine canadien par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de<br />
l’édition (PADIÉ), du Conseil des Arts du Canada (CAC) et du ministère de la Culture et des<br />
Communications du Québec (MCCQ) par l’entremise de la Société de développement des<br />
entreprises culturelles (SODEC).<br />
La traduction de cet ouvrage a été rendue possible grâce à une aide financière du Conseil des<br />
Arts du Canada.<br />
© 2007<br />
XYZ éditeur<br />
1781, rue Saint-Hubert<br />
Montréal (Québec)<br />
H2L 3Z1<br />
Téléphone : 514.525.21.70<br />
Télécopieur : 514.525.75.37<br />
Courriel: info@xyzedit.qc.ca<br />
Site Internet: www.xyzedit.qc.ca<br />
et<br />
Deborah Cowley<br />
Dépôt légal: 3 e trimestre 2007<br />
Bibliothèque et Archives Canada<br />
Bibliothèque et Archives nationales du Québec<br />
ISBN: 978-2-89261-494-7<br />
Distribution en librairie:<br />
Au Canada: En Europe:<br />
Dimedia inc. D.E.Q.<br />
539, boulevard Lebeau 30, rue Gay-Lussac<br />
Ville Saint-Laurent (Québec) 75005 Paris, France<br />
H4N 1S2 Téléphone: 1.43.54.49.02<br />
Téléphone: 514.336.39.41 Télécopieur: 1.43.54.39.15<br />
Télécopieur: 514.331.39.16 Courriel: liquebec@noos.fr<br />
Courriel: general@dimedia.qc.ca<br />
Droits internationaux: André Vanasse, 514.525.21.70, poste 25<br />
andre.vanasse@xyzedit.qc.ca<br />
Conception typographique et montage: Édiscript enr.<br />
Maquette de la couverture: Zirval Design<br />
Illustration de la couverture: Francine Auger<br />
Recherche iconographique: Deborah Cowley et Dominique Corti<br />
Photos utilisées avec la permission de Dominique Corti<br />
et de la Fondation <strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong> et Piero Corti,<br />
www.lacorhospital.org<br />
Chronologie: Valerie Frith
TEASDALE<br />
<strong>Lucille</strong><br />
DEBORAAH COWLLEY<br />
DOCTEURE COURAGE
En hommage à<br />
<strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong>,<br />
Piero Corti,<br />
et Matthew Lukwiya,<br />
trois médecins<br />
qui ont donné leur vie<br />
pour leur prochain.
Préface<br />
En octobre 1989, j’ai eu la chance de me rendre<br />
dans le nord de l’Ouganda pour rencontrer <strong>Lucille</strong><br />
<strong>Teasdale</strong> et son mari, Piero Corti. <strong>Lucille</strong> avait été<br />
honorée par l’Association médicale canadienne, et le<br />
Reader’s Digest m’avait demandé d’évaluer la possi -<br />
bilité d’écrire un article à son sujet. J’ai vite découvert<br />
que, sauf en ce qui concernait le prix qu’elle avait<br />
remporté, <strong>Lucille</strong> était pratiquement inconnue au<br />
Canada, pays où elle avait vu le jour. Peu de gens<br />
connais saient son nom et on avait peu écrit sur elle.<br />
Qui plus est, le Haut-Commissariat canadien du Kenya<br />
n’était que vaguement au courant de sa présence en<br />
Ouganda, le pays voisin, et aucun de ses employés ne<br />
l’avait jamais rencontrée, ne lui avait jamais rendu<br />
visite.<br />
À partir des quelques renseignements que j’ai pu<br />
rassembler, j’ai senti que <strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong> était une<br />
femme hors du commun. Après tout, elle avait quitté<br />
sa ville natale, Montréal, vingt ans plus tôt pour aller au<br />
bout du monde, en Ouganda. Là, elle avait vécu pen -<br />
dant de longues périodes de terribles bouleversements<br />
11
<strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong><br />
politiques, sans jamais succomber à la tentation de<br />
rentrer au Canada pour retrouver la sécurité. En 1987,<br />
j’ai décidé d’écrire à <strong>Lucille</strong> pour lui demander<br />
l’autorisation d’aller la voir la prochaine fois que je me<br />
rendrais en Afrique de l’Est.<br />
<strong>Lucille</strong> m’a répondu tout de suite. Bien que<br />
désireuse de m’apporter sa collaboration, elle croyait<br />
qu’il serait trop dangereux pour moi de m’aventurer en<br />
Ouganda, car le pays était encore en pleine agitation<br />
politique. Je lui ai réécrit l’année suivante, mais elle<br />
craignait toujours pour ma sécurité. Une autre année a<br />
passé. Je prévoyais alors me rendre en Afrique de l’Est<br />
et je lui ai demandé une fois de plus si j’allais pouvoir<br />
profiter de ce voyage pour lui rendre visite. Elle a fini<br />
par accepter, mais à condition que je les rencontre à<br />
Kampala, elle et son mari, le docteur Piero Corti, et<br />
que je fasse avec eux le trajet de huit heures jusqu’à<br />
l’hôpital de Lacor, au nord du pays. Je serais en<br />
sécurité dans leur ambulance de la Croix-Rouge.<br />
Nous avons enfin pu nous fixer un rendez-vous à<br />
Kampala. J’ai été immédiatement frappée par la force<br />
de cette femme. Toute mince, elle débordait d’énergie<br />
et faisait preuve d’un grand dynamisme. Je me suis<br />
rapidement sentie à l’aise avec elle.<br />
Nous nous sommes installées sur la banquette<br />
avant, et Piero a pris le volant. Tout au long du trajet,<br />
<strong>Lucille</strong> a parlé avec un enthousiasme fiévreux. En<br />
anglais, elle s’exprimait avec un fort accent, et son<br />
discours était émaillé d’expressions françaises et<br />
italiennes. Elle gesticulait beaucoup quand elle voulait<br />
souligner l’importance d’un propos. Nous avancions<br />
par à-coups, faisant des embardées pour éviter les<br />
12
Docteure Courage<br />
innombrables nids-de-poule, mais <strong>Lucille</strong> ne semblait<br />
pas avoir conscience de la route cahoteuse ou des<br />
soldats qui, à la pointe du fusil, nous obligeaient<br />
régulièrement à nous arrêter pour inspecter les caisses<br />
de fournitures médicales que nous transportions.<br />
Au coucher du soleil, nous avons pris la direction<br />
menant à la ville de Gulu, au nord. Comme nous<br />
approchions de l’hôpital, les grilles se sont ouvertes et<br />
le tintamarre a commencé. En grand nombre, les<br />
infirmières ont entonné un chant rythmique de<br />
bienvenue, et une horde d’enfants se sont rués autour<br />
de la camionnette, exprimant leur affection pour le<br />
couple qu’ils appelaient «nos docteurs chéris».<br />
Au cours de la semaine que j’ai passée avec<br />
<strong>Lucille</strong>, je l’ai suivie dans ses tournées quotidiennes à<br />
l’hôpital et l’ai regardée évaluer les progrès de dou -<br />
zaines de patients. À ses côtés, je l’ai observée lors -<br />
qu’elle entreprenait les opérations les plus délicates, et,<br />
jusqu’à tard dans la nuit, je l’ai écoutée me raconter ses<br />
frustrations et ses joies. Quand je l’ai quittée, à la fin de<br />
la semaine, je me sentais enrichie et je savais que<br />
j’avais fait la connaissance d’une femme vraiment<br />
remar quable, d’une femme généreuse, dévouée, dotée<br />
d’un immense courage.<br />
13
Le cercueil de <strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong> est descendu dans la fosse par le<br />
D r Matthew Lukwiya, surintendant médical, et une équipe de<br />
médecins ayant été formés par la «Docteure <strong>Lucille</strong>».<br />
Crédit: Dominique Corti.
1<br />
Des adieux émouvants<br />
<br />
<strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong> a accompli des miracles… Par<br />
sa seule présence, elle a donné tant d’espoir aux<br />
Ougandais.<br />
— D re Elizabeth Hillman, pédiatre canadienne<br />
Août <strong>1996</strong>, un matin torride. Un petit avion Cessna<br />
se posa sur la piste d’atterrissage de l’aéroport de<br />
Gulu, dans le nord de l’Ouganda. La porte s’ouvrit et<br />
Piero Corti, un médecin italien, descendit sur le tar -<br />
mac brûlant. Derrière lui, à quelques pas, il y avait le<br />
cercueil de sa femme, <strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong>, docteure en<br />
médecine, née au Canada.<br />
Pour Corti, ce moment marquait l’aboutissement<br />
d’un bouleversant voyage, un voyage qu’il appréhendait<br />
15
<strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong><br />
depuis le jour où, onze ans auparavant, il avait appris la<br />
maladie de <strong>Lucille</strong>. Après cela, ils avaient tous deux<br />
connu des hauts et des bas et, tandis que <strong>Lucille</strong> per dait<br />
lentement ses forces, ils avaient prié pour que le ciel<br />
leur accordât encore du temps ensemble. En vain. Après<br />
avoir mené un combat héroïque qui avait laissé sa<br />
famille et ses amis bouche bée, <strong>Lucille</strong> perdit finalement<br />
la bataille. Son décès en Italie mit fin à une association<br />
hors du commun, remplie d’amour, qui s’était déployée<br />
pendant trente-cinq ans, sur trois continents.<br />
En cette journée de canicule, Corti ramenait le<br />
corps de sa femme au pays qu’ils avaient tous deux,<br />
pendant plus de trois décennies, considéré comme le<br />
leur. Depuis l’aéroport de Gulu, une camionnette<br />
transporta le cercueil à travers les plaines arides du<br />
nord de l’Ouganda jusqu’au village de Lacor. Après six<br />
kilomètres de cahots, ils arrivèrent en vue d’une<br />
palmeraie. Les branches de bougainvilliers aux fleurs<br />
écarlates retombaient au-dessus d’un haut mur de<br />
pierre, et une pancarte blanche avec une grande croix<br />
rouge indiquait l’entrée de l’hôpital.<br />
Après avoir traversé les grilles de fer forgé, le<br />
véhi cule pénétra dans le complexe. L’hôpital était<br />
devant eux, cet hôpital où Piero et <strong>Lucille</strong> avaient<br />
travaillé avec amour pendant toute leur vie. À leur<br />
arrivée, en 1961, ils avaient trouvé un petit dispensaire<br />
de quarante lits dirigé par une poignée de religieuses<br />
italiennes. En <strong>1996</strong>, « par la force de leur volonté et de<br />
leur foi», ce dispensaire était devenu le joyau médical<br />
de l’Ouganda, un hôpital de quatre cent cinquante lits,<br />
comptant un personnel de quatre cents employés, tous<br />
africains.<br />
16
Docteure Courage<br />
Piero Corti fit placer le cercueil dans la petite<br />
chapelle de l’hôpital. Le lendemain, les amis de la<br />
défunte affluèrent de toute la région. Certains avaient<br />
pris l’autobus, d’autres étaient venus à vélo, mais la<br />
plupart avaient marché. Ils firent patiemment la queue<br />
dans la cour, puis, lentement, ils défilèrent dans la<br />
chapelle pour rendre un dernier hommage à la<br />
personne qu’ils appelaient « Docteure <strong>Lucille</strong> », leur<br />
chirurgienne et leur amie, celle qui avait soigné un<br />
grand nombre d’entre eux.<br />
Au fil des ans, <strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong> avait beaucoup<br />
donné aux gens de son pays d’adoption. Elle avait<br />
amélioré leur santé chaque fois qu’elle l’avait pu. À<br />
ceux qu’elle n’avait su guérir, comme les milliers qui<br />
souffraient du sida, elle avait offert sympathie et<br />
réconfort. <strong>Lucille</strong> ne connaissait que trop bien les<br />
ravages du virus de l’immunodéficience humaine<br />
(VIH). Elle en était elle-même victime.<br />
Une cérémonie religieuse fut célébrée dans la<br />
cathédrale de Gulu, à proximité, et les dignitaires<br />
locaux vinrent offrir leurs prières et rendre hommage à<br />
<strong>Lucille</strong>. La dépouille fut ensuite retournée au com -<br />
plexe hospitalier pour y être enterrée. <strong>Lucille</strong> avait<br />
choisi l’endroit exact où elle désirait être ensevelie: elle<br />
voulait reposer en vue de l’hôpital, «afin de garder un<br />
œil sur les choses». Elle souhaitait également être près<br />
de la petite chapelle où elle et Piero s’étaient mariés<br />
trente-cinq ans plus tôt.<br />
Le D r Matthew Lukwiya, membre du conseil<br />
d’administration de l’hôpital, vint solennellement se<br />
placer à côté du cercueil. Six autres médecins ou -<br />
gandais, tous vêtus de leur blouse blanche, s’alignèrent<br />
17
<strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong><br />
à ses côtés. Ils faisaient partie des centaines d’Africains<br />
formés par <strong>Lucille</strong>. Ensemble, ils soulevèrent le<br />
cercueil et le descendirent lentement dans la fosse<br />
creusée près d’un frangipanier en fleurs.<br />
Piero Corti s’avança et déposa une couronne de<br />
roses rouges sur la tombe de sa femme. Une jeune<br />
Africaine déposa une autre couronne. Ce message y<br />
était attaché: «D’une représentante des patients». Elle<br />
avait été la dernière patiente de la D re <strong>Lucille</strong>.<br />
Pour finir, chacune des personnes présentes jeta<br />
une fleur sur le cercueil, lequel fut ensuite recouvert<br />
de terre.<br />
Les gens de la région, des Acholis, firent enfin<br />
leur dernier adieu à la défunte. Cet adieu prit la forme<br />
d’une danse funéraire traditionnelle, habituellement<br />
réservée à un chef de tribu.<br />
Une douzaine de danseurs s’avancèrent. Portant<br />
des lances et des boucliers, ils étaient coiffés de<br />
panaches en plumes d’autruche et vêtus de peaux de<br />
léopard. Ils formèrent un cercle autour d’un groupe de<br />
tambourineurs. Le premier batteur inaugura la céré -<br />
monie par un roulement sonore. Accompagné par le<br />
tintement de clochettes, un jeune homme entreprit<br />
ensuite une danse frénétique. Les tam-tams conti -<br />
nuèrent à résonner.<br />
Des femmes s’immiscèrent ensuite dans le cercle<br />
en une seule file. Elles bougeaient lentement, au<br />
rythme des tam-tams. Elles chantaient et ululaient<br />
d’une voix aiguë, leurs chants évoquant des gémis -<br />
sements perçants. L’une d’elles portait une photo enca -<br />
drée de <strong>Lucille</strong> tandis que les autres agitaient des<br />
branches de palmiers. Elles étaient nombreuses à<br />
18
Docteure Courage<br />
essuyer les larmes qui coulaient de leurs yeux. Le<br />
roulement des tam-tams continuait.<br />
<strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong> avait touché la vie d’un grand<br />
nombre de personnes. Bien qu’elle les eût quittées,<br />
elle n’était manifestement pas à la veille d’être oubliée.<br />
19
Crédit: Dominique Corti.<br />
En 1955, <strong>Lucille</strong> obtient son<br />
diplôme en médecine,<br />
avec distinction,<br />
à l’Université de Montréal.<br />
Piero Corti, un jeune<br />
médecin italien, vient étudier<br />
la pédiatrie à Montréal.<br />
Crédit: Dominique Corti.
2<br />
Un médecin en gestation<br />
<br />
Tout le monde a essayé de me dissuader de<br />
choisir la chirurgie… On me disait que c’était de<br />
toute évidence un monde masculin et que jamais<br />
une mère ne confierait la vie de son enfant à une<br />
chirurgienne.<br />
— <strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong>, 1956<br />
<strong>Lucille</strong> <strong>Teasdale</strong> est née le 30 janvier <strong>1929</strong>,<br />
quatrième d’une famille comptant cinq filles et<br />
deux garçons. Ils vivaient à Guybourg, un quartier<br />
ouvrier de l’est de Montréal. Le père de <strong>Lucille</strong>, René,<br />
était boucher et propriétaire de la première épicerie<br />
des environs. Très engagé dans les activités de la com -<br />
munauté et de sa paroisse, il laissait à sa femme Juliette<br />
le soin d’élever leurs sept enfants.<br />
21