Totem et Tabou - Philosophie pour le Bac
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Sigmund Freud (1912), <strong>Totem</strong> <strong>et</strong> tabou. Interprétation par la psychanalyse 74<br />
de la vie socia<strong>le</strong> des peup<strong>le</strong>s primitifs<br />
signifie tout simp<strong>le</strong>ment que la mort du parent a procuré une satisfaction à un<br />
désir inconscient qui, s'il avait été assez puissant, aurait provoqué c<strong>et</strong>te mort.<br />
C'est contre ce désir inconscient que réagit <strong>le</strong> reproche après la mort de l'être<br />
aimé. On r<strong>et</strong>rouve une pareil<strong>le</strong> hostilité, dissimulée derrière un amour tendre,<br />
dans presque tous <strong>le</strong>s cas de fixation intense du sentiment sur une personne<br />
déterminée : c'est <strong>le</strong> cas classique, <strong>le</strong> prototype de l'ambiva<strong>le</strong>nce de l'affectivité<br />
humaine. C<strong>et</strong>te ambiva<strong>le</strong>nce est plus ou moins prononcée, selon <strong>le</strong>s hommes ;<br />
norma<strong>le</strong>ment, el<strong>le</strong> n'est pas assez forte <strong>pour</strong> provoquer <strong>le</strong>s reproches obsédants<br />
dont nous venons de par<strong>le</strong>r. Mais dans <strong>le</strong>s cas où el<strong>le</strong> existe à un degré très<br />
prononcé, el<strong>le</strong> se manifeste d'une manière d'autant plus intense que l'être<br />
perdu était plus cher <strong>et</strong> plus aimé, <strong>et</strong> dans des circonstances où l'on s'y attend<br />
<strong>le</strong> moins. La disposition à la névrose obsessionnel<strong>le</strong> qui nous a si souvent servi<br />
de terme de comparaison dans la discussion sur la nature du tabou, nous paraît<br />
précisément caractérisée par un degré excessivement prononcé de c<strong>et</strong>te<br />
ambiva<strong>le</strong>nce affective originel<strong>le</strong>.<br />
Nous connaissons maintenant <strong>le</strong> facteur susceptib<strong>le</strong> de nous fournir<br />
l'explication <strong>et</strong> du prétendu démonisme des âmes de personnes mortes<br />
récemment <strong>et</strong> de la nécessité <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s survivants de se défendre contre<br />
l'hostilité de ces âmes. Si nous adm<strong>et</strong>tons que la vie affective des primitifs est<br />
ambiva<strong>le</strong>nte à un degré très prononcé, comme la vie affective des malades<br />
obsédés, tel<strong>le</strong> que nous la révè<strong>le</strong> la psychanalyse, nous ne trouverons pas<br />
étonnant qu'à la suite d'une perte douloureuse ceux-là réagissent de la même<br />
manière que ceux-ci contre l'hostilité existant à l'état latent dans l'inconscient.<br />
Mais ce sentiment si pénib<strong>le</strong> subit chez <strong>le</strong> primitif un sort différent de celui que<br />
nous observons chez <strong>le</strong>s névrosés : il est extériorisé, attribué au mort luimême.<br />
C'est là un processus de défense que nous appelons, aussi bien dans la<br />
vie psychique norma<strong>le</strong> que morbide, projection. Le survivant se défend d'avoir<br />
jamais éprouve un sentiment hosti<strong>le</strong> à l'égard du cher disparu ; c'est, pense-t-il,<br />
l'âme de ce disparu qui nourrit ce sentiment qu'el<strong>le</strong> cherchera à assouvir<br />
pendant toute la durée du deuil. Le caractère de pénalité <strong>et</strong> de remords que<br />
présente c<strong>et</strong>te réaction affective se manifestera, malgré la défense par la<br />
projection, par la crainte, par des privations <strong>et</strong> des restrictions qu'on<br />
s'imposera <strong>et</strong> qui attesteront <strong>le</strong> caractère de mesures de protection contre <strong>le</strong>