Totem et Tabou - Philosophie pour le Bac
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Sigmund Freud (1912), <strong>Totem</strong> <strong>et</strong> tabou. Interprétation par la psychanalyse 73<br />
de la vie socia<strong>le</strong> des peup<strong>le</strong>s primitifs<br />
L'hypothèse, d'après laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s morts <strong>le</strong>s plus chers se trouveraient<br />
transformés en démons, fait surgir tout naturel<strong>le</strong>ment une. autre question :<br />
quel<strong>le</strong>s furent <strong>le</strong>s raisons qui ont poussé <strong>le</strong>s primitifs à attribuer à <strong>le</strong>urs Morts<br />
une pareil<strong>le</strong> transformation affective? Pour quoi en faisaient-ils des démons ?<br />
Westermarck croit qu'il est faci<strong>le</strong> de répondre à c<strong>et</strong>te question 1 . « La mort<br />
étant <strong>le</strong> plus grave malheur pouvant frapper l'homme, on pense que <strong>le</strong>s décédés<br />
ne peuvent être qu'au plus haut degré mécontents de <strong>le</strong>ur sort. D'après la<br />
conception des peup<strong>le</strong>s primitifs, on ne meurt que de mort vio<strong>le</strong>nte, causée soit<br />
par la main de l'homme, soit par un sortilège ; c'est <strong>pour</strong>quoi la mort rend toujours<br />
l'âme irascib<strong>le</strong> <strong>et</strong> avide de vengeance. On suppose que, jalouse des vivants<br />
<strong>et</strong> voulant se r<strong>et</strong>rouver dans la société des anciens parents, el<strong>le</strong> cherche à <strong>le</strong>s<br />
faire mourir en <strong>le</strong>s frappant de maladies - seul moyen <strong>pour</strong> el<strong>le</strong> de réaliser son<br />
désir d'union... Une autre explication de la méchanc<strong>et</strong>é attribuée aux âmes doit<br />
être cherchée dans la peur instinctive qu'el<strong>le</strong>s inspirent,- peur qui résulte, à son<br />
tour, de l'angoisse qu'on éprouve devant la mort »<br />
L'étude des troub<strong>le</strong>s psychonévrotiques nous m<strong>et</strong> sur la voie d'une<br />
explication plus vaste, englobant cel<strong>le</strong> donnée par Westermarck.<br />
Lorsqu'une femme a perdu son mari ou lorsqu'une fil<strong>le</strong> a vu mourir sa<br />
mère, il arrive souvent que <strong>le</strong>s survivants deviennent la proie de doutes<br />
pénib<strong>le</strong>s, que nous appelons« reproches obsédants », <strong>et</strong> se demandent s'ils<br />
n'ont pas eux-mêmes causé, par <strong>le</strong>ur négligence ou <strong>le</strong>ur imprudence, la mort de<br />
la personne aimée. Ils ont beau se dire qu'ils n'ont rien négligé <strong>pour</strong> prolonger<br />
la vie du ou de la malade, qu'ils ont rempli consciencieusement tous <strong>le</strong>urs<br />
devoirs envers <strong>le</strong> disparu ou la disparue : rien n'est capab<strong>le</strong> de m<strong>et</strong>tre fin à<br />
<strong>le</strong>urs tourments qui représentent une sorte d'expression pathologique du deuil<br />
<strong>et</strong> ne s'atténuent qu'avec <strong>le</strong> temps. L'examen psychanalytique de ces cas nous a<br />
révélé <strong>le</strong>s raisons secrètes de c<strong>et</strong>te souffrance. Nous savons que <strong>le</strong>s reproches<br />
obsédants sont, dans une certaine mesure, justifiés <strong>et</strong> résistent victorieusement<br />
à toutes <strong>le</strong>s objections <strong>et</strong> à toutes <strong>le</strong>s protestations. Cela ne veut pas dire que la<br />
personne en deuil soit réel<strong>le</strong>ment coupab<strong>le</strong> de la mort du parent ou ait commis<br />
une négligence à son égard, ainsi que <strong>le</strong> prétend <strong>le</strong> reproche obsédant : cela<br />
1 L. c., p. 426.