Totem et Tabou - Philosophie pour le Bac
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Sigmund Freud (1912), <strong>Totem</strong> <strong>et</strong> tabou. Interprétation par la psychanalyse 70<br />
de la vie socia<strong>le</strong> des peup<strong>le</strong>s primitifs<br />
une va<strong>le</strong>ur essentiel<strong>le</strong> <strong>et</strong> de trouver que son nom ne fait qu'un avec sa personne.<br />
Rien d'étonnant, dans ces conditions, si la pratique psychanalytique trouve si<br />
souvent l'occasion d'insister sur l'importance qu'attribue aux noms la pensée<br />
inconsciente 1 . Les névrosés obsédés se comportent à l'égard des noms, <strong>et</strong> l'on<br />
pouvait prévoir ce fait a priori, tout comme <strong>le</strong>s sauvages. Ils réagissent (comme<br />
<strong>le</strong>s autres névroses d'ail<strong>le</strong>urs) par <strong>le</strong> même « comp<strong>le</strong>xe de sensibilité » à<br />
l'énoncé ou à la perception auditive de certains mots <strong>et</strong> noms, <strong>et</strong> bon nombre<br />
de <strong>le</strong>ur troub<strong>le</strong>s proviennent de <strong>le</strong>ur attitude à l'égard de <strong>le</strong>ur propre nom. Une<br />
de ces malades tabou, que j'ai connue, a pris <strong>le</strong> parti d'éviter d'écrire son nom,<br />
de crainte qu'il ne tombe entre <strong>le</strong>s mains de quelqu'un qui se trouverait ainsi<br />
en possession d'une partie de sa personnalité. Dans ses efforts désespérés <strong>pour</strong><br />
se défendre contre <strong>le</strong>s tentations de sa propre imagination, el<strong>le</strong> s'était imposé la<br />
règ<strong>le</strong> de ne rien livrer de sa personne, qu'el<strong>le</strong> identifiait en premier lieu avec<br />
son nom, en deuxième lieu avec son écriture. Aussi a-t-el<strong>le</strong> fini par renoncer à<br />
écrire quoi que ce soit.<br />
Nous ne sommes donc plus surpris par <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong>s sauvages voient dans<br />
<strong>le</strong> nom une partie de la personne <strong>et</strong> en fassent l'obj<strong>et</strong> du tabou concernant <strong>le</strong><br />
défunt. Le fait d'appe<strong>le</strong>r <strong>le</strong> mort par son nom se laisse d'ail<strong>le</strong>urs ramener, lui<br />
aussi, au contact avec <strong>le</strong> mort. Aussi devons-nous à présent aborder un<br />
problème plus vaste <strong>et</strong> nous demander <strong>pour</strong> quel<strong>le</strong>s raisons ce contact est<br />
frappé d'un tabou aussi rigoureux.<br />
L'explication qui vient tout naturel<strong>le</strong>ment à l'esprit est cel<strong>le</strong> qui invoque<br />
l'horreur instinctive qu'inspirent <strong>le</strong> cadavre <strong>et</strong> <strong>le</strong>s altérations anatomiques<br />
qu'on observe après la mort. On <strong>pour</strong>rait ajouter à c<strong>et</strong>te raison cel<strong>le</strong> qu'on tire<br />
du deuil dans <strong>le</strong>quel la mort d'un proche plonge sa famil<strong>le</strong> <strong>et</strong> son entourage. Et,<br />
cependant, l'horreur qu'inspire <strong>le</strong> cadavre ne suffit évidemment pas a expliquer<br />
tous <strong>le</strong>s détails des prescriptions tabou, <strong>et</strong> <strong>le</strong> deuil ne nous explique pas <strong>pour</strong>quoi<br />
l'énoncé du nom du mort constitue une grave offense <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s survivants.<br />
Les gens p<strong>le</strong>urant un mort préfèrent s'occuper de tout ce qui <strong>le</strong> <strong>le</strong>ur rappel<strong>le</strong>,<br />
conservent de lui un souvenir aussi durab<strong>le</strong> que possib<strong>le</strong>. Les particularités des<br />
coutumes tabou doivent donc avoir d'autres raisons <strong>et</strong> répondre à des<br />
1 Stekel, Abraham.