Totem et Tabou - Philosophie pour le Bac
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Sigmund Freud (1912), <strong>Totem</strong> <strong>et</strong> tabou. Interprétation par la psychanalyse 56<br />
de la vie socia<strong>le</strong> des peup<strong>le</strong>s primitifs<br />
des prescriptions tabou concernant <strong>le</strong> roi : « L'idée, dit Frazer 1 , d'après<br />
laquel<strong>le</strong> la royauté primitive serait une royauté despotique, ne s'applique pas<br />
tout à fait aux monarchies dont nous parlons. Au contraire, dans ces<br />
monarchies <strong>le</strong> maître ne vit que <strong>pour</strong> ses suj<strong>et</strong>s; sa vie n'a de va<strong>le</strong>ur qu'aussi<br />
longtemps qu'il remplit obligations de sa charge, qu'il règ<strong>le</strong> <strong>le</strong> cours de la<br />
nature <strong>pour</strong> <strong>le</strong> bien de son peup<strong>le</strong>. A partir du moment où il néglige ou cesse de<br />
s'acquitter de ces obligations, l'attention, <strong>le</strong> dévouement, la vénération<br />
religieuse dont il jouissait au plus haut degré se transforment en haine <strong>et</strong><br />
mépris. Il est chassé honteusement <strong>et</strong> s'estime heureux lorsqu'il réussit à<br />
sauver sa vie. Aujourd'hui adoré comme un dieu, il peut être tué demain<br />
comme un criminel Mais nous n'avons pas <strong>le</strong> droit de voir dans ce changement<br />
d'attitude du peup<strong>le</strong> une preuve d'inconstance ou une contradiction; bien au<br />
contraire <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> reste logique jusqu'au bout. Si <strong>le</strong>ur roi est <strong>le</strong>ur dieu,<br />
pensent-ils, il doit aussi se montrer <strong>le</strong>ur protecteur; <strong>et</strong> du moment qu'il ne veut<br />
pas <strong>le</strong>s protéger, il doit céder la place à un autre qui est plus disposé à la faire.<br />
Mais tant qu'il répond à ce qu'ils attendent da lui, <strong>le</strong>urs soins à son égard ne<br />
connaissent pas de limites <strong>et</strong> ils l'obligent à se soigner lui-même avec <strong>le</strong> même<br />
zè<strong>le</strong>. Un tel roi vit comme enfermé dans un système de cérémonies <strong>et</strong><br />
d'étiqu<strong>et</strong>tes, entouré d'un réseau de coutumes <strong>et</strong> d'interdictions ayant <strong>pour</strong> but,<br />
non d'é<strong>le</strong>ver sa dignité <strong>et</strong>, encore moins, d'augmenter son bien-être, mais<br />
uniquement de l'empêcher de comm<strong>et</strong>tre des actes susceptib<strong>le</strong>s de troub<strong>le</strong>r<br />
l'harmonie de la nature <strong>et</strong> d'amener ainsi sa propre perte, cel<strong>le</strong> de son peup<strong>le</strong> <strong>et</strong><br />
du monde entier. Loin de servir à lui procurer de l'agrément, ces prescriptions<br />
<strong>le</strong> privent de toute liberté <strong>et</strong> font de sa vie, qu'el<strong>le</strong>s prétendent vouloir protéger,<br />
un fardeau <strong>et</strong> une torture ».<br />
Nous ayons un des exemp<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus frappants d'un pareil enchaînement <strong>et</strong><br />
emprisonnement d'un maître sacré dans la vie que menait autrefois <strong>le</strong> mikado<br />
du Japon. Voici ce qu'en rapporte un récit datant de plus de deux sièc<strong>le</strong>s 2 : «<br />
Le mikado considère comme incompatib<strong>le</strong> avec sa dignité <strong>et</strong> son caractère<br />
sacré de toucher <strong>le</strong> sol de ses pieds. Aussi, lorsqu'il doit se rendre quelque part,<br />
se fait-il porter sur <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s de ses serviteurs. Mais il convient encore moins<br />
1 L. c., p. 7.<br />
2 Kämpfer : History of Japan, chez Frazer, l. c., p. 3.