Totem et Tabou - Philosophie pour le Bac
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Sigmund Freud (1912), <strong>Totem</strong> <strong>et</strong> tabou. Interprétation par la psychanalyse 157<br />
de la vie socia<strong>le</strong> des peup<strong>le</strong>s primitifs<br />
Quiconque a partagé avec un Bédouin <strong>le</strong> moindre morceau ou bu une gorgée<br />
de son lait, n'a plus à craindre son inimitié, mais peut toujours être assuré de<br />
son aide <strong>et</strong> de sa protection, du moins aussi longtemps que la nourriture prise<br />
en commun demeure, d'après ce qu'on suppose, dans <strong>le</strong> corps. Le lien de la<br />
communauté est donc conçu d'une manière purement réaliste; <strong>pour</strong> que ce lien<br />
soit renforcé <strong>et</strong> qu'il dure, il faut que l'acte soit souvent répété.<br />
Mais d'où vient c<strong>et</strong>te force, ce pouvoir de lier qu'on attribue à l'acte de<br />
manger <strong>et</strong> de boire en commun ? Dans <strong>le</strong>s sociétés <strong>le</strong>s plus primitives, il<br />
n'existe qu'un seul lien qui lie sans conditions <strong>et</strong> sans exceptions : c'est la<br />
communauté de clan (Kinship). Les membres de c<strong>et</strong>te communauté sont<br />
solidaires <strong>le</strong>s uns des autres; un Kin est un groupe de personnes dont la vie<br />
forme une unité physique tel<strong>le</strong> qu'on peut considérer chacune d'el<strong>le</strong>s comme<br />
un fragment d'une vie commune. Lorsqu'un membre du Kin est tué, on ne dit<br />
pas : «<strong>le</strong> sang de tel ou tel a été versé », mais on dit : « notre sang a été versé ».<br />
La phrase hébraïque, par laquel<strong>le</strong> est reconnue la parenté triba<strong>le</strong> dit : « tu es<br />
l'os de mes os <strong>et</strong> la chair de ma chair ». Kinship signifie donc : faire partie<br />
d'une substance commune. Aussi la Kinship n'est-el<strong>le</strong> pas seu<strong>le</strong>ment fondée<br />
sur <strong>le</strong> seul fait d'être une partie, de la substance de la mère dont on est né <strong>et</strong> du<br />
lait de laquel<strong>le</strong> on s'est nourri, mais aussi sur c<strong>et</strong> autre fait que la nourriture<br />
qu'on absorbe ultérieurement <strong>et</strong> par laquel<strong>le</strong> on entr<strong>et</strong>ient <strong>et</strong> renouvel<strong>le</strong> son<br />
corps est de nature à conférer <strong>et</strong> à renforcer la Kinship. En partageant un repas<br />
avec son dieu, on exprime par là-même la conviction qu'on est fait de la même<br />
substance que lui, <strong>et</strong> on ne partage jamais de repas avec celui qu'on considère<br />
comme un étranger.<br />
Le repas de sacrifice était donc primitivement un repas so<strong>le</strong>nnel réunissant<br />
<strong>le</strong>s membres du clan ou de la tribu, conformément à la loi que seuls <strong>le</strong>s<br />
membres du clan pouvaient manger en commun. Dans nos sociétés modernes,<br />
<strong>le</strong> repas réunit <strong>le</strong>s membres de la famil<strong>le</strong>, mais cela n'a rien à voir avec <strong>le</strong> repas<br />
de sacrifice. Kinship est une institution plus ancienne que la vie de famil<strong>le</strong>; <strong>le</strong>s<br />
plus anciennes famil<strong>le</strong>s que nous connaissions se composent régulièrement de<br />
personnes appartenant à différentes associations de parentage. Les hommes<br />
épousent des femmes appartenant à d'autres clans ; <strong>le</strong>s enfants suivent <strong>le</strong> clan