Totem et Tabou - Philosophie pour le Bac
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Sigmund Freud (1912), <strong>Totem</strong> <strong>et</strong> tabou. Interprétation par la psychanalyse 156<br />
de la vie socia<strong>le</strong> des peup<strong>le</strong>s primitifs<br />
Des survivances linguistiques prouvent d'une façon certaine que la part du<br />
sacrifice destinée au dieu était considérée au début comme sa nourriture réel<strong>le</strong>.<br />
Avec la dématérialisation progressive de la nature divine c<strong>et</strong>te représentation<br />
est devenue choquante; on crut y échapper, en n'assignant à la divinité que la<br />
partie liquide du repas, L'usage du feu a rendu possib<strong>le</strong> plus tard une certaine<br />
préparation des aliments humains, qui <strong>le</strong>ur donnait une forme, un goût <strong>et</strong> un<br />
aspect plus dignes de l'essence divine. A titre de breuvage, on offrait au début<br />
<strong>le</strong> sang des animaux sacrifiés, remplacé plus tard par <strong>le</strong> vin. Le vin était<br />
considéré par <strong>le</strong>s anciens comme <strong>le</strong> « sang de la vigne » : c'est <strong>le</strong> nom que lui<br />
donnent encore <strong>le</strong>s poètes de nos jours<br />
La forme la plus ancienne du sacrifice, antérieure à l'agriculture <strong>et</strong> a l'usage<br />
du feu, est donc représentée par <strong>le</strong> sacrifice animal dont la chair <strong>et</strong> <strong>le</strong> sang<br />
étaient goûtés en commun par <strong>le</strong> dieu <strong>et</strong> ses adorateurs. Il importait beaucoup<br />
que chaque participant reçût sa part du repas, déterminée <strong>et</strong> réglée d'avance.<br />
Ce sacrifice était une cérémonie officiel<strong>le</strong>, une fête célébrée par <strong>le</strong> clan tout<br />
entier. D'une façon généra<strong>le</strong>, la religion était la chose de tous, <strong>le</strong> devoir<br />
religieux une, obligation socia<strong>le</strong>. Sacrifices <strong>et</strong> fêtes coïncidaient chez tous <strong>le</strong>s<br />
peup<strong>le</strong>s, chaque sacrifice comportait une fête, <strong>et</strong> il n'y avait pas de fête sans<br />
sacrifice. Le sacrifice-fête était une occasion de s'é<strong>le</strong>ver joyeusement au-dessus<br />
des intérêts égoïstes de chacun, de faire ressortir <strong>le</strong>s liens qui rattachaient<br />
chaque membre de la communauté à la divinité.<br />
La force mora<strong>le</strong> du repas de sacrifice publie reposait sur des<br />
représentations très anciennes concernant la signification de l'acte de manger<br />
<strong>et</strong> de boire en commun. Manger <strong>et</strong> boire avec un autre était à la fois un<br />
symbo<strong>le</strong> <strong>et</strong> un moyen de renforcer la communauté socia<strong>le</strong> <strong>et</strong> de contracter des<br />
obligations réciproques; <strong>le</strong> repas de sacrifice exprimait directement <strong>le</strong> fait de la<br />
commensalité du dieu <strong>et</strong> de ses adorateurs, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te commensalité impliquait<br />
tous <strong>le</strong>s autres rapports qu'on supposait exister entre celui-là <strong>et</strong> ceux-ci. Des<br />
coutumes encore aujourd'hui en vigueur chez <strong>le</strong>s Arabes du désert montrent<br />
que <strong>le</strong> repas en commun formait un lien, non en tant que représentation symbolique<br />
d'un facteur religieux, mais directement, en tant qu'acte de manger.