Totem et Tabou - Philosophie pour le Bac
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Sigmund Freud (1912), <strong>Totem</strong> <strong>et</strong> tabou. Interprétation par la psychanalyse 14<br />
de la vie socia<strong>le</strong> des peup<strong>le</strong>s primitifs<br />
Le langage de ces tribus australiennes 1 présente une particularité qui est<br />
certainement en rapport avec ce fait. Les désignations de parenté notamment<br />
dont el<strong>le</strong>s se servent se rapportent aux relations, non entre deux individus,<br />
niais entre un individu <strong>et</strong> un groupe; d'après l'expression de M. L. H. Morgan,<br />
ces désignations forment un système « classificateur ». Ceci signifie qu'un<br />
homme appel<strong>le</strong> père non seu<strong>le</strong>ment celui qui l'a engendré, mais aussi tout<br />
homme qui, d'après <strong>le</strong>s coutumes de la tribu, aurait pu épouser sa mère <strong>et</strong><br />
devenir son père; il appel<strong>le</strong> mère toute femme qui, sans enfreindre <strong>le</strong>s<br />
coutumes de la tribu, aurait pu devenir réel<strong>le</strong>ment sa mère; il appel<strong>le</strong> frères <strong>et</strong><br />
sœurs non seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s enfants de ses véritab<strong>le</strong>s parents, mais aussi <strong>le</strong>s<br />
enfants de toutes <strong>le</strong>s autres personnes qui auraient pu être ses parents, <strong>et</strong>c. Les<br />
noms de parenté que deux Australiens s'accordent réciproquement ne<br />
désignent donc pas nécessairement une parenté de sang, comme c'est <strong>le</strong> cas<br />
dans notre langage à nous; ils désignent moins des rapports physiques que des<br />
rapports sociaux. Nous trouvons quelque chose qui se rapproche de ce système<br />
classificateur dans nos nursery où <strong>le</strong>s enfants saluent comme des « onc<strong>le</strong>s » <strong>et</strong><br />
des « tantes » tous <strong>le</strong>s amis <strong>et</strong> toutes <strong>le</strong>s amies de <strong>le</strong>urs parents, ou bien encore<br />
nous employons <strong>le</strong>s mêmes désignations dans un sens figuré, lorsque nous<br />
parlons de « frères en Apollon », de « sœurs en Christ ».<br />
L'explication de ces expressions qui nous paraissent si bizarres se dégage<br />
faci<strong>le</strong>ment, lorsqu'on <strong>le</strong>s considère comme des survivances <strong>et</strong> des caractères de<br />
l'institution que <strong>le</strong> révérend L. Fison a appelée « mariage de groupe » <strong>et</strong> en<br />
vertu de laquel<strong>le</strong> un certain nombre d'hommes exercent des droits conjugaux<br />
sur un certain nombre de femmes. Les enfants issus de ce mariage de groupe<br />
doivent naturel<strong>le</strong>ment se considérer <strong>le</strong>s uns <strong>le</strong>s autres comme frères <strong>et</strong> sœurs,<br />
bien qu'ils puissent ne pas avoir tous la même mère, <strong>et</strong> considérer tous <strong>le</strong>s<br />
hommes du groupe comme <strong>le</strong>urs pères.<br />
Bien que certains auteurs, comme Westermarck, par exemp<strong>le</strong>, dans son<br />
Histoire du mariage humain 2, refusent d'adm<strong>et</strong>tre <strong>le</strong>s conséquences que<br />
d'autres ont tirées des noms désignant <strong>le</strong>s parentés de groupe, <strong>le</strong>s auteurs qui<br />
1 Ainsi que de la plupart des peup<strong>le</strong>s totémiques.<br />
2 Geschichte der menschlichen Ehe, 2e édit., 1902.