Les terrifiants secrets du ver par Thibaut Brix - Diogene éditions libres

Les terrifiants secrets du ver par Thibaut Brix - Diogene éditions libres Les terrifiants secrets du ver par Thibaut Brix - Diogene éditions libres

30.06.2013 Views

Les terrifiants secrets du ver (Une aventure d’Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain) par Thibaut Brix diogene éditions libres publié en pdf par diogene.ch une nouvelle fantastique librement inspirée des oeuvres de Jean Ray et Robert Bloch. Copyright © 25 février 2003 Thibaut Brix (thibaut.brix@netcourrier.com) Copyleft : cette oeuvre est libre, vous pouvez la redistribuer et/ou la modifier selon les termes de la Licence Art Libre. Vous trouverez un exemplaire de cette Licence sur le site Copyleft Attitude http://www.artlibre.org ainsi que sur d'autres sites. 1

<strong>Les</strong> <strong>terrifiants</strong> <strong>secrets</strong> <strong>du</strong> <strong>ver</strong><br />

(Une aventure d’Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain)<br />

<strong>par</strong> <strong>Thibaut</strong> <strong>Brix</strong><br />

diogene <strong>éditions</strong> <strong>libres</strong><br />

publié en pdf <strong>par</strong> diogene.ch<br />

une nouvelle fantastique librement inspirée des oeuvres de Jean Ray et<br />

Robert Bloch.<br />

Copyright © 25 février 2003 <strong>Thibaut</strong> <strong>Brix</strong> (thibaut.brix@netcourrier.com)<br />

Copyleft : cette oeuvre est libre, vous pouvez la redistribuer et/ou la modifier<br />

selon les termes de la Licence Art Libre. Vous trou<strong>ver</strong>ez un exemplaire de<br />

cette Licence sur le site Copyleft Attitude http://www.artlibre.org ainsi que<br />

sur d'autres sites.<br />

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1. <strong>Les</strong> débuts de l’affaire<br />

2. Tom Wills enquête<br />

Table des matières<br />

3. Enquête sur les “Mystères <strong>du</strong> Ver”<br />

4. <strong>Les</strong> notes de Mr. Carbonay<br />

5. Jeffrey Hutton<br />

6. Le puzzle se reconstitue<br />

7. Le monstre venu des étoiles<br />

8. La fin de l’affaire<br />

2


1. <strong>Les</strong> débuts de l’affaire<br />

L’affaire dite <strong>du</strong> Vampire Stellaire a probablement été<br />

l’une des plus effrayantes de toute l’histoire de la<br />

criminalité londonienne. Et cependant, elle passa<br />

presque inaperçue, et fut rapidement classée <strong>par</strong><br />

Scotland Yard. Et c’est peut-être mieux ainsi, <strong>par</strong>ce ce<br />

que la chose a laquelle a été confronté la justice était audessus<br />

de toutes les abominations que l’humanité puisse<br />

imaginer. Cette justice était en l’occurrence représentée<br />

<strong>par</strong> le très célèbre détective américain Harry Dickson,<br />

déjà connu pour avoir mené à terme un nombre non<br />

négligeable d’affaires d’ap<strong>par</strong>ences plus que<br />

mystérieuses et qui touchaient plus au domaine de<br />

l’irrationnel qu’à celui de la science. L’affaire <strong>du</strong> “Temple<br />

de Fer” a laquelle il avait été confronté, <strong>par</strong> exemple,<br />

n’était pourtant rien en com<strong>par</strong>aison de l’enquête qu’il<br />

mena à <strong>par</strong>tir d’un livre occulte recélant de <strong>terrifiants</strong><br />

<strong>secrets</strong>.<br />

La seule trace écrite concernant cette effroyable<br />

aventure se présente sous la forme d’un rapport de Harry<br />

Dickson resté secret et précieusement conservé dans les<br />

archives de la police. Voici comment débute ce compteren<strong>du</strong><br />

:<br />

“J‘hésite encore à mettre au propre l’étrange histoire<br />

que nous avons vécu, le surintendant de Scotland Yard<br />

Goodfield et moi-même, explique Harry Dickson. <strong>Les</strong><br />

mystères auxquels nous avons été confrontés pendant<br />

notre enquête étaient pires que tout ce que l’être humain<br />

peut imaginer. Décrire la créature qui tua un homme à<br />

3


Londres serait vain ; sa nature exacte nous est inconnue<br />

et je doute qu’on puisse déterminer un jour de quoi il<br />

s’agisse. Peu importe. J’espère seulement que jamais<br />

plus un être de la sorte ne reviendra troubler Londres ou<br />

tout autre ville. Je me refuse encore à croire qu’il<br />

s’agisse d’une entité surnaturelle, mais je dois avouer<br />

que cette horreur me laisse fortement perplexe et très<br />

inquiet. Et surtout, le livre interdit connu sous le nom de<br />

“De Vermis Mysteriis” <strong>par</strong>le d’abominations semblables<br />

et bien plus effroyables. Qui croire ? Ou plutôt, que<br />

croire?”<br />

Nous allons à présent essayer de résumer cette affaire<br />

qui boule<strong>ver</strong>sa la police anglaise.<br />

Tout débuta <strong>par</strong> une belle nuit d’août, claire et<br />

silencieuse. Un cri à vous glacer le sang déchira<br />

l’obscurité nocturne peu après minuit. Cela eut lieu en<br />

plein Londres, sur les quais de la Tamise. Un passant qui<br />

avait distinctement enten<strong>du</strong> ce hurlement s’empressa<br />

d’alerter la police qui arriva presque aussitôt sur les lieux<br />

et passa au peigne fin tout le quartier à la recherche<br />

d’une quelconque piste. Piste qu’ils trouvèrent dans un<br />

vieil entrepôt inutilisé et désaffecté depuis de longues<br />

années.<br />

Ce que les représentants de l’ordre trouvèrent en ces<br />

lieux sombres, sales et inquiétamment vides fut un<br />

cadavre. Ce n’était pas tant le cadavre qui écoeura<br />

terriblement les policiers, mais plutôt ce qui lui était<br />

arrivé. Sur le sol dallé gisait un homme, ou <strong>du</strong> moins ce<br />

qu’il en restait : c’est-à-dire une dépouille flasque<br />

4


complètement vidée de son sang, comme si une dizaine<br />

de vampires affamés s’était jetée sur le malheureux.<br />

Seules quelques traînées <strong>du</strong> précieux liquide traçaient çà<br />

et là de macabres arabesques. Enfin, aux côté <strong>du</strong><br />

macchabée traînait un vieux livre en cuir rédigé en latin,<br />

retourné, comme si l’homme l’avait lâché alors qu’il était<br />

en train de le lire. L’ouvrage était maculé de sang, mais<br />

le chief inspector chargé de l’enquête <strong>par</strong>vint cependant<br />

à déchiffrer les mots “De Vermis Mysteriis” sur la tranche<br />

<strong>du</strong> livre. En hollandais, cela voulait dire “<strong>Les</strong> Mystères <strong>du</strong><br />

Ver”...<br />

Tout cela ressemblait en ap<strong>par</strong>ence à un meurtre. Un<br />

meurtre dont le tueur était visiblement un sadique, un<br />

sadique dangereusement fou...<br />

5


2. Tom Wills enquête<br />

Tom Wills, l’élève préféré <strong>du</strong> célèbre détective Harry<br />

Dickson se trouvait en vacances à Dublin, chez une<br />

charmante jeune femme, Lady Fiona Stelington, qui<br />

n’était autre qu’une de ses cousines éloignées, et qui<br />

possédait une somptueuse villa dans la banlieue de la<br />

capitale irlandaise. Cette bâtisse était suffisamment<br />

grande pour que Tom Wills se soit cru dans le palais de<br />

la reine d’Angleterre elle-même. Il y coulait des vacances<br />

tranquilles lorsque le meurtre des docks eut lieu. La<br />

police avait usé de tout son pouvoir auprès de la presse<br />

pour que celle-ci ne dévoile rien de l’affaire. Mais la<br />

presse a toujours le dernier mot et c’était dans un<br />

exemplaire <strong>du</strong> Times londonien que <strong>par</strong>ut ce petit<br />

communiqué au sujet <strong>du</strong> cadavre de l’entrepôt de<br />

Londres.<br />

“<strong>Les</strong> vampires sont de retour à Londres ! y était-il<br />

expliqué. C’est tard dans la nuit de hier qu’un inquiétant<br />

hurlement pétrifia d’effroi un homme qui longeait les<br />

quais de la Tamise. Il prévint la police qui, après<br />

recherches, eut la macabre décou<strong>ver</strong>te dans un entrepôt<br />

des docks d’un cadavre vidé de son sang. Qui a tué cet<br />

homme ? L’énigme persiste. Et tandis que les vampires<br />

digèrent, la police enquête.”<br />

Il n’y était pas fait mention <strong>du</strong> livre trouvé près <strong>du</strong><br />

cadavre, car la pression de la police n’avait pas été<br />

complètement vaine. L’article était coincé au bas d’une<br />

page, et passait quasiment inaperçu pour tout habitant<br />

6


de Londres. Mais Tom Wills était l’élève d’un grand<br />

détective et ce texte attira aussitôt son attention. Un<br />

frisson lui tra<strong>ver</strong>sa le dos après sa lecture et il ne put<br />

s’empêcher de repenser à certaines affaires menées<br />

avec son maître et initiateur Harry Dickson. Tom Wills se<br />

décida à en apprendre davantage sur l’intrigue de<br />

l’entrepôt, afin de savoir si Londres avait besoin d’Harry<br />

Dickson. Et si Harry Dickson voulait bien aider Londres<br />

pour la énième fois.<br />

Il quitta donc le jour même sa cousine et lui promit de<br />

revenir dès que l’enquête serait classée. Tom Wills arriva<br />

à Londres tard dans la soirée. Il se rendit directement à<br />

Baker Street, dans la demeure d’Harry Dickson, lequel<br />

était <strong>par</strong>ti pour quelques jours à New York pour y admirer<br />

une splendide rétrospective sur les impressionnistes<br />

français. Mrs. Crown, la gou<strong>ver</strong>nante de Mr. Dickson était<br />

seule et ne fut pas mécontente d’avoir un homme dans la<br />

maison.<br />

Le lendemain, Tom Wills se rendit directement chez le<br />

surintendant de Scotland Yard, ce très cher Goodfield,<br />

que Dickson et lui-même connaissait bien. Goodfield et<br />

Tom discutèrent près d’une demi-heure sur le meurtre<br />

des docks. Lorsque le policier <strong>par</strong>la <strong>du</strong> livre au titre<br />

hollandais, Tom Wills ne put s’empêcher de rouler ses<br />

globes oculaires.<br />

— Nous n’avons aucune piste, expliquait le policier.<br />

Nous ignorons jusqu’à l’identité de la victime. Il peut être<br />

aussi bien anglais qu’hollandais ou français. Peut-être<br />

même est-il américain. Nous avons déjà envoyé sa<br />

7


signalisation dans différents pays, mais aucune trace de<br />

lui. Il est inconnu des archives de la police et<br />

ap<strong>par</strong>emment il n’a aucune famille qui accepterait de le<br />

reconnaître, ce malgré toutes les informations qui ont<br />

circulé. Nous sommes dans une impasse. Ce n’est pas la<br />

première fois, mais cette fois, il ne semble y avoir aucune<br />

issue, même cachée.<br />

Tom Wills demanda à voir le mystérieux livre, mais<br />

Goodfield ne put répondre à sa demande car l’ouvrage<br />

se trouvait en ce moment chez un expert chargé de<br />

l’analyser et de faire des recherches à son propos. En<br />

revanche, le surintendant donna à l’apprenti-détective<br />

l’adresse de cet expert. Tom Wills s’y rendit après avoir<br />

pris congé de Goodfield.<br />

L’expert était un certain Mr. Carbonay, travaillant<br />

occasionnellement pour le compte de la police. Il habitait<br />

à Charing Cross Road, la rue des libraires, ce qui était<br />

normal pour un homme exerçant son métier. Tom Wills y<br />

a alla en autobus. Il n’eut pas de mal à trou<strong>ver</strong> la<br />

boutique de Mr. Carbonay, mais celle-ci était fermée.<br />

L’expert habitait juste au-dessus. Tom Wills appuya sur<br />

la sonnette mais personne ne répondit. Il réitéra son<br />

geste, toujours sans succès. Il allait <strong>par</strong>tir quand un détail<br />

attira son attention. La serrure de la porte était en métal<br />

noir, récemment repeinte. Mais sur le pourtour <strong>du</strong> trou de<br />

serrure, à certains endroit, on pouvait voir des rayures<br />

brillantes, comme si la peinture avait été rayée <strong>par</strong> un<br />

objet pointu. Instinctivement, Tom Wills appuya sur la<br />

poignée de la porte. Celle-ci s’ouvrit. Le jeune homme en<br />

était à présent sûr : quelqu’un avait forcé la porte de Mr.<br />

8


Carbonay avec un rossignol, d’où les traces de rayures<br />

et la porte non-fermée. Tom Wills regarda autour de lui,<br />

puis entra et ferma doucement la porte derrière lui.<br />

L’intérieur était sombre, car aucune fenêtre n’éclairait<br />

les lieux. Tom Wills distingua pourtant dans la semiobscurité<br />

une grande armorie sur sa droite et un escalier<br />

en face de lui. A gauche, une petite porte devait donner<br />

sur le magasin. Tom Wills fixa toute son attention sur les<br />

sons, mais aucun bruit ne perça le silence. Tom serra la<br />

crosse de son revol<strong>ver</strong> d’une main et avança lentement<br />

<strong>ver</strong>s l’escalier qui craqua lorsqu’il posa le pied dessus.<br />

les marches étaient complètement usées et chaque<br />

pas de Tom Wills semblait menacer d’effondrement<br />

l’escalier. Le jeune détective arriva pourtant sans<br />

encombre à l’étage. Là, la lumière était beaucoup plus<br />

importante et éclairait le palier <strong>par</strong> une petite lucarne qui<br />

donnait ap<strong>par</strong>emment sur Charing Cross Road. Le jeune<br />

homme jeta un coup d’oeil dehors avant d’avancer <strong>ver</strong> la<br />

première porte <strong>du</strong> palier. C’était une cuisine tout à fait<br />

ordinaire. L’apprenti détective ouvrit la porte suivante :<br />

une chambre vide. Au fond de celle-ci, une autre porte<br />

semblait donner sur la pièce voisine également<br />

accessible <strong>par</strong> la palier. C’était la salle de bain. Pendant<br />

un instant, Tom Wills crut être venu pour rien, mais il se<br />

rappela la porte d’entrée ou<strong>ver</strong>te et les rayures sur la<br />

serrure. Où était Mr. Carbonay, d’ailleurs ? Tom se<br />

dirigea <strong>ver</strong>s l’avant-dernière porte de l’étage. Il l’ouvrit.<br />

C’était un bureau. Mr. Carbonay était là, dans son<br />

fauteuil, la gorge tra<strong>ver</strong>sée horizontalement <strong>par</strong> une<br />

grande trace rouge, le visage neutre et vide de toute<br />

9


expression : l’expert était mort. Ses mains tenait encore<br />

un invisible objet qui avait pu être un livre. Un stylo<br />

ou<strong>ver</strong>t était encore posé là, mais pas de papier.<br />

Tom Wills n’attendit pas pour prévenir la police. Le<br />

surintendant Goodfield arriva sur les lieux, accompagné<br />

d’un légiste. Des recherches dans la maison ne<br />

permirent pas de retrou<strong>ver</strong> le livre hollandais. Le<br />

meurtrier de Carbonay était venu dans le but de<br />

récupérer cet ouvrage et avait trouvé l’expert travaillant<br />

dessus, d’où le stylo encore ou<strong>ver</strong>t. Il l’avait ensuite tué<br />

pour s’em<strong>par</strong>er de ce qu’il cherchait et pour effacer les<br />

pistes. Une dernière chose, et non des moindres,<br />

inquiétait Goodfield et Tom Wills : Mr. Carbonay avait<br />

sûrement pris des notes au sujet <strong>du</strong> livre, que le<br />

meurtrier avait soit détruites, soit emmenées. Quelqu’un<br />

ne voulait pas qu’on en sache trop sur le meurtre des<br />

docks et sur les “Mystères <strong>du</strong> Ver”.<br />

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3. Enquête sur les “Mystères <strong>du</strong> Ver”<br />

Harry Dickson arriva un jour plus tard à Londres. Il<br />

avait abrégé son séjour à New York à la demande de son<br />

élève et <strong>du</strong> surintendant de Scotland Yard. Cela ne lui<br />

avait guère plu, mais il s’agissait certainement d’une<br />

affaire de première importance. Et le mystère l’attirait.<br />

Tom Wills lui avait envoyé une lettre qui ne disait que<br />

l’essentiel. Harry Dickson savait qu’il y avait autre chose.<br />

Quelque chose de bien plus sombre et de plus<br />

inquiétant.<br />

Tom Wills ne voulut rien dire de plus à son maître<br />

avant d’avoir rejoint Goodfield qui les attendait dans un<br />

pub de Covent Garden.<br />

Harry Dickson commanda un gin, Tom Wills un<br />

whisky. Goodfield avait vidé plusieurs porto en les<br />

attendant. L’affaire fut rapidement exposée au détective<br />

<strong>par</strong> les deux hommes, qui n’omirent aucun détail.<br />

Lorsqu’ils eurent fini, Harry Dickson resta plongé dans<br />

ses réflexions <strong>du</strong>rant quelques instants. Puis il<br />

commanda un second gin et demanda à Goodfield si Mr.<br />

Carbonay avait un coffre dans une banque quelconque.<br />

La question <strong>par</strong>ut surprendre le policier, mais Tom Wills<br />

comprit de quoi il s’agissait. Dickson l’expliqua à<br />

Goodfield :<br />

— Si Mr. Carbonay a un coffre à son nom dans une<br />

banque, il est fort probable qu’il y ait mis certains<br />

documents <strong>secrets</strong> à l’abri, comme peut-être les notes<br />

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sur les “Mystères <strong>du</strong> Ver”. Je ne suis pas certain de ce<br />

que je dis, mais il y a peut-être une piste de ce côté-ci.<br />

Mr. Goodfield, vous allez faire des recherches dans cette<br />

direction et me ferez signe si vous avez <strong>du</strong> nouveau. Je<br />

pense que Tom Wills et moi-même allons faire un tour <strong>du</strong><br />

côté de la bibliothèque <strong>du</strong> British Museum.<br />

Ils se sé<strong>par</strong>èrent et le détective et son élève se<br />

retrouvèrent bientôt dans un cab qui les ramenait à Baker<br />

Street. Pendant le chemin, Harry Dickson resta pensif et<br />

ne <strong>par</strong>la pas. Tom Wills l’observait <strong>du</strong> coin de l’oeil, sans<br />

mot dire.<br />

Le lendemain, l’élève de Harry Dickson fut chargé <strong>par</strong><br />

celui-ci d’aller visiter toutes les librairies de Londres<br />

susceptibles de posséder les “Mystères <strong>du</strong> Ver” dans leur<br />

stock.<br />

Le détective, quant à lui, se rendit à l’imposant British<br />

Museum, bâtiment qui comprenait une immense<br />

bibliothèque contenant plusieurs milliers d’ouvrages<br />

différents, dont quelques perles rares comme certains<br />

manuscrits des oeuvres de Shakespeare ou de Dickens.<br />

Harry Dickson se dirigea sans hésitation <strong>ver</strong>s un guichet<br />

de renseignements où une femme d’une quarantaine<br />

d’années, aux cheveux grisonnants triait des papiers.<br />

— Excusez-moi, dit Harry Dickson en se raclant<br />

délibérément la gorge.<br />

La femme leva les yeux <strong>ver</strong>s le détective.<br />

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— Vous désirez ? demanda-t-elle d’une voie assurée<br />

et précise.<br />

— Voilà : je cherche un livre peu courant, dont le nom<br />

anglais est “<strong>Les</strong> Mystères <strong>du</strong> Ver”...<br />

— Je vais voir si nous avons cet ouvrage.<br />

Elle <strong>par</strong>tit, laissant Harry Dickson sur place avant de<br />

revenir au bout d’une dizaine de minutes.<br />

— Je suis désolé, Monsieur, mais ce livre fait <strong>par</strong>tie<br />

des archives inconsultables de la bibliothèque. Il faut une<br />

autorisation spéciale de Monsieur le Directeur de la<br />

bibliothèque pour pouvoir le consulter. Mais je peux vous<br />

mener auprès <strong>du</strong> directeur si vous insistez.<br />

— Je vous remercie, cela m’arrangerais grandement.<br />

Elle lui fit signe de le suivre jusqu’au bureau <strong>du</strong><br />

directeur de la bibliothèque. Ce dernier accueillit le<br />

visiteur très poliment. Et quand il le reconnut, il fut deux<br />

fois plus poli.<br />

— Mr. Dickson ! s’exclama-t-il. J’ai vu plusieurs fois<br />

votre photo dans le journal. C’est un honneur pour moi<br />

que de vous recevoir ici. Vous ne venez pas souvent, il<br />

me semble.<br />

— En fait jamais, s’excusa presque le détective. Je ne<br />

lis guère.<br />

13


— Peu importe, dit le directeur. Chacun son travail,<br />

après tout... Mais qu’est-ce qui vous amène ?<br />

— Avez-vous enten<strong>du</strong> <strong>par</strong>ler <strong>du</strong> meurtre de l’expert en<br />

littérature de Scotland Yard ? demanda d’emblée Harry<br />

Dickson.<br />

— Vaguement. Mais pourquoi cette question ?<br />

— Et bien, c’est pour cette affaire que je suis ici. Je<br />

suis à la recherche d’un livre rare que vous possédez<br />

dans vos archives, les “Mystères <strong>du</strong> Ver”. Je pense que<br />

le fait de le consulter pourrait m’aider sur certains point.<br />

— Je ne vois pas le rapport avec le meurtre de l’expert<br />

de la police, mais c’est votre travail après tout. Ce livre<br />

n’est consultable qu’avec une autorisation signée de ma<br />

main que je suis prêt à vous remettre, car vous êtes, je<br />

pense, un homme digne de confiance. Mais avant de<br />

vous l’accorder, je dois vous mettre en garde. “<strong>Les</strong><br />

Mystères <strong>du</strong> Ver” — dont le véritable nom hollandais est<br />

en fait De Vermis Mysteriis — contiennent des choses<br />

terrifiantes qui peuvent boule<strong>ver</strong>ser le plus sensé des<br />

esprits. Je n’ai pas lu ce livre, Dieu soit loué, et je me<br />

refuse à le lire, mais certaines personnes connues de<br />

moi l’ont consulté et ont été presque traumatisées. Aussi<br />

est-ce pourquoi je n’accorde qu’avec réticence<br />

l’autorisation de consulter ce genre d’ouvrages.<br />

Cependant, je pense que vous êtes plus apte à supporter<br />

les chocs émotionnels, Mr. Dickson. Je vous donnerais<br />

donc mon autorisation pour consulter le De Vermis<br />

14


Mysteriis, mais en vous demandant de faire très attention<br />

en le lisant, d’autant plus que sa diffusion a été censurée<br />

<strong>par</strong> l’église...<br />

Ces <strong>par</strong>oles intriguèrent Harry Dickson qui<br />

soupçonnait l’ouvrage de cacher un secret encore plus<br />

grand que celui qu’il aurait pu imaginer. Le directeur<br />

signa une décharge à l’ordre <strong>du</strong> détective qu’il con<strong>du</strong>isit<br />

lui-même dans la salle de lecture de la bibliothèque.<br />

Harry Dickson s’installa seul à une table, à l’écart des<br />

autres lecteurs, tandis qu’on allait lui chercher le livre<br />

étrange qu’il allait feuilleter. Un employé lui déposa<br />

respectueusement le De Vermis Mysteriis sur la table,<br />

accompagné d’une paire de gants en caoutchouc, pour<br />

ne pas abîmer le précieux ouvrage. Harry Dickson enfila<br />

les gants et commença <strong>par</strong> analyser mentalement le livre<br />

sous tous ses angles.<br />

Le De Vermis Mysteriis était un petit volume en cuir<br />

noir, au format in-folio, à la cou<strong>ver</strong>ture austère. Le nom<br />

seul figurait en lettres d’or gothiques sur la tranche <strong>du</strong><br />

livre. La cou<strong>ver</strong>ture était légèrement usée <strong>par</strong> le temps et<br />

les manipulations, mais dans l’ensemble le De Vermis<br />

Mysteriis <strong>du</strong> British Museum de Londres était en bon<br />

état.<br />

Harry Dickson l’ouvrit précautionneusement. <strong>Les</strong><br />

pages étaient jaunies et tra<strong>ver</strong>sées de veines orangées<br />

<strong>du</strong>es à l’âge. Sur la page de garde, le titre était surmonté<br />

<strong>du</strong> nom de l’auteur : Ludwig Prinn. En bas de page était<br />

inscrite la date et le lieu de publication : 1542, Cologne.<br />

Ainsi donc, “<strong>Les</strong> Mystères <strong>du</strong> Ver” avaient plus de quatre<br />

15


siècles. Tout laissait penser que le livre avait un<br />

quelconque rapport avec la magie médiévale ou <strong>du</strong><br />

moins l’astrologie. Le nom de l’auteur et le titre de son<br />

oeuvre étaient hollandais mais le contenu de l’ouvrage<br />

était rédigé en langue latine, écrit en gothique. Harry<br />

Dickson avait des notions de latin qui lui permirent de<br />

tra<strong>du</strong>ire certains passages <strong>du</strong> De Vermis Mysteriis au<br />

hasard des pages.<br />

Lorsqu’il rentra le soir, Tom Wills l’attendait déjà,<br />

fourbu de sa journée et déçu de n’avoir rien trouvé après<br />

avoir <strong>par</strong>couru Londres de long en large, de librairies en<br />

librairies, sans succès. Ce qui était finalement normal,<br />

après ce qu’avait lu Harry Dickson, mais son élève<br />

ignorait tout.<br />

Le soir, Harry Dickson fit venir Tom Wills dans son<br />

bureau, et en ferma la porte. Pendant un long moment, il<br />

resta silencieux, soucieux. Tom Wills était inquiet, car<br />

cette attitude signifiait chez son maître un grand trouble.<br />

Tom Wills attendait donc patiemment que le grand<br />

détective veuille bien <strong>par</strong>ler. Ce qu’il fit enfin, mais d’une<br />

façon plutôt surprenante ?<br />

— Croyez-vous en Dieu ? demanda Harry Dickson à<br />

son élève.<br />

— Et bien, oui, répondit ce dernier, surpris.<br />

— Et bien moi aussi, Tom. Mais si, maintenant on<br />

vous fournissait la preuve incontestable que Dieu n’existe<br />

pas, qu’en penseriez-vous ?<br />

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— Et bien, en toute franchise... Je l’ignore. Peut-être<br />

que je refuserais de le croire, peut-être que je changerais<br />

de religion.<br />

— C’est normal. je pense que je ferais de même. Mais<br />

si maintenant, en plus de vous démontrer que Dieu<br />

n’existe pas, on vous prouve de la même façon qu’il<br />

existe véritablement des dieux, ou plutôt des entités<br />

surnaturelles qui hantent l’uni<strong>ver</strong>s, que feriez-vous ?<br />

— Et bien, soit je rejoindrais leur rang de croyants, soit<br />

je m’orienterais <strong>ver</strong>s une autre religion, comme je l’ai<br />

déjà dit.<br />

— Tom, ce que j’ai lu dans le De Vermis Mysteriis est<br />

véritablement terrifiant. Il n’y a pas d’autre mot pour<br />

qualifier cela...<br />

— Le De Vermis Mysteriis ? demanda l’élève qui<br />

ignorait le vrai nom de l’ouvrage.<br />

— C’est le nom original des “Mystères <strong>du</strong> Ver”, reprit<br />

Harry Dickson. Ce livre a été rédigé il a environ quatre<br />

siècles, <strong>par</strong> un hollandais dénommé Ludwig Prinn.<br />

J’ignore qui il était, mais il pratiquait très certainement la<br />

sorcellerie d’après ce qui est consigné dans son livre.<br />

Jusqu’à présent, je croyais en Dieu, en la Bible, mais la<br />

lecture des “Mystères <strong>du</strong> <strong>ver</strong>” m’a profondément<br />

boule<strong>ver</strong>sé. Voici en quelques mots ce que Prinn déclare<br />

: il y des milliards d’années, à l’aube de l’uni<strong>ver</strong>s, des<br />

17


forces célestes s’affrontèrent. Il ne s’agissait pas de<br />

dieux à proprement <strong>par</strong>ler, mais de créatures<br />

incroyablement puissantes, des sortes d’entités<br />

surnaturelles que Prinn nomme Grands Anciens pour les<br />

“méchants” et Très Anciens Dieux pour les “bons”. <strong>Les</strong><br />

Grands Anciens furent vaincus et exilés hors de l’éther<br />

céleste <strong>par</strong> les Très Anciens Dieux. Ces derniers<br />

emprisonnèrent leurs ad<strong>ver</strong>saires dans différentes<br />

<strong>par</strong>ties de l’uni<strong>ver</strong>s, dont la Terre.<br />

— La Terre ? demanda, intrigué, Tom Wills.<br />

— Oui, la Terre où résiderait d’après le De Vermis<br />

Mysteriis un de ces Grands Anciens que Ludwig Prinn<br />

nomme Cthulhu. Cet être malfaisant et incroyablement<br />

puissant résiderait dans l’île subaquatique de R’lyeh, au<br />

large de Ponapé, dans le Pacifique...<br />

— Et vous croyez en tout cela, maître ?<br />

— Et bien, après ce que j’ai lu dans ce maudit livre, je<br />

ne sais plus où j’en suis. Si notre enquête a un<br />

quelconque rapport avec ces mystérieuses entités, et si,<br />

comme Prinn l’affirme, elles existent vraiment, je pense<br />

que nous n’avons aucune chance...<br />

Il se tut, laissant l’apprenti détective méditer sur ces<br />

<strong>par</strong>oles. Puis le maître sortit de sa poche sa pipe<br />

préférée qu’il bourra et alluma en tirant quelques<br />

bouffées. Tom Wills ne savait que dire. D’un côté, il avait<br />

peine à croire ce que son maître lui avait révélé et il<br />

aurait voulu en rire. Mais d’autre <strong>par</strong>t, le sérieux et le<br />

18


pessimisme de Dickson n’étaient là que pour confirmer le<br />

terrible contraire. Qu’allaient-ils faire à présent ?<br />

C’est la question que Tom posa au détective.<br />

— Nous allons continuer, bien enten<strong>du</strong>, répondit ce<br />

dernier en tirant une nouvelle bouffée. Nous allons tirer<br />

tout cela au clair. Je ne crois qu’en la science.<br />

— Pourtant, bien souvent certains faits lui ont résisté,<br />

conclut Tom Wills.<br />

19


4. <strong>Les</strong> notes de Mr. Carbonay<br />

Le lendemain, le surintendant de Scotland Yard, Mr.<br />

Goodfield, transmettait un message à Harry Dickson pour<br />

lui expliquer qu’il avait trouvé les notes de Mr. Carbonay<br />

dans le coffre-fort bancaire de ce dernier.<br />

Une dizaine de minutes plus tard, Harry Dickson,<br />

Goodfield et Tom Wills se retrouvaient tous trois installés<br />

autour d’une table, dans un pub de Soho qu’affectionnait<br />

tout <strong>par</strong>ticulièrement le policier <strong>du</strong> Yard.<br />

Celui-ci ouvrit une serviette de cuir qu’il avait amené<br />

avec lui et en sortit une liasse de papiers cou<strong>ver</strong>ts d’une<br />

écriture en pattes de mouche. Il les posa devant le<br />

détective qui pris la première feuille de la pile et<br />

commença à la lire en silence.<br />

—- Tout cela est très intéressant, dit-il, pensif, au bout<br />

d’un moment. Le De Vermis Mysteriis que Carbonay a<br />

tenu entre ses mains avait visiblement été cou<strong>ver</strong>t de<br />

notes et de griffonnages obscurs pour l’expert.<br />

Il continua à lire et l’instant d’après, sombra dans une<br />

attitude soucieuse. Goodfield et Tom Wills se<br />

regardèrent, perplexes, et l’élève prit lui aussi une feuille<br />

qu’il se mit à lire.<br />

Puis Harry Dickson posa la page de notes qu’il tenait<br />

et l’étonnement mêlé de frayeur se dessina sur son<br />

visage.<br />

20


— C’est à peine croyable, dit-il à mi-voix.<br />

Goodfield et Tom Wills levèrent les yeux <strong>ver</strong>s lui, en<br />

silence, car ils connaissaient bien Dickson et savaient<br />

qu’il allait leur dévoiler quelque chose de la plus haute<br />

importance.<br />

Ce qu’il fit aussitôt.<br />

— Au moment où il rédigeait ces pages, Carbonay<br />

était sur le point de découvrir quelque chose. Quoi, je<br />

l’ignore, car on le tua pour préser<strong>ver</strong> ce secret qu’il allait<br />

percer. Et ce secret était ap<strong>par</strong>emment lié aux<br />

griffonnages inscrits dans la marge <strong>du</strong> livre maudit.<br />

Carbonay <strong>par</strong>le ici d’un terrifiant rituel magique qui<br />

permettrait l’ap<strong>par</strong>ition d’un être qu’il nomme “Vampire<br />

Stellaire”. Le pauvre homme n’a pas eu le temps de<br />

tra<strong>du</strong>ire la formule d’invocation de cette créature, mais il<br />

était dit que “celui qui convoque cet être des ténèbres<br />

obtiendra la jouissance éternelle et donnera son nectar à<br />

l’envoyé des étoiles”. Le nectar en question, c’est le sang<br />

humain. Ce qui me permet de dire que l’homme des<br />

docks a invoqué un Vampire Stellaire, lequel lui a sucé le<br />

sang jusqu’à la dernière goutte.<br />

— C’est impossible, déclara soudain Goodfield en bon<br />

policier, droit et strict.<br />

— Peut-être, mais tout tend ici à penser cette seule<br />

hypothèse. Quand à la mort de Carbonay, je pense<br />

qu’elle est l’oeuvre d’un sectaire de cette créature, le<br />

21


Vampire Stellaire...<br />

— C’est à peine croyable, murmura Tom Wills qui<br />

commençait à faire le rapprochement entre la mythologie<br />

dont lui avait <strong>par</strong>lé Dickson la veille et ce monstre, ce<br />

vampire venu des étoiles.<br />

Goodfield, lui, ne suivait plus <strong>du</strong> tout, et ne comprenait<br />

plus vraiment ce qui se disait.<br />

— Nous avons peut-être le moyen de retrou<strong>ver</strong> le<br />

meurtrier de Carbonay, et <strong>par</strong> la même occasion,<br />

d’éclaircir cette sombre histoire de dieux antiques. Voici<br />

ce que vous allez faire, Mr. Goodfield : vous allez vous<br />

rendre au siège <strong>du</strong> Times et leur demander de passer<br />

l’article suivant dans leur édition de demain : “Le mystère<br />

des docks enfin éclairci : c’est grâce à l’aide de Mr. Harry<br />

Dickson, détective, que la police a décou<strong>ver</strong>t le<br />

coupable. Mais le détective s’est cependant refusé à<br />

dévoiler l’identité <strong>du</strong> tueur, qui n’est connu pour l’instant<br />

que sous l’étrange pseudonyme <strong>du</strong> ‘Vampire Stellaire’...”<br />

Vous mettrez ensuite ce que vous voulez.<br />

Goodfield ne comprenait toujours pas, mais se<br />

contenta de noter ce que venait de lui dire Harry Dickson.<br />

Puis il quitta le pub tandis que le détective et son élève<br />

mettait leur plan au point.<br />

Tom Wills commençait à comprendre.<br />

— Si le meurtrier de Mr. Carbonay lit le Times demain<br />

matin, il saura que c’est vous qui l’avait démasqué et<br />

22


tentera de vous éliminer...<br />

— Tout à fait, Tom, acquiesça Harry Dickson. Nous<br />

n’aurons qu’à l’attendre et à l’arrêter.<br />

Ils commandèrent tous deux un double whisky en<br />

pensant déjà à la suite des opérations.<br />

Le soir, ils établirent leur camp à Baker Street. Harry<br />

Dickson congédia sa gou<strong>ver</strong>nante, Mrs. Crown, jusqu’au<br />

lendemain pour ne pas la mêler à l’affaire qui pouvait<br />

tourner mal. Le détective se rappelait de nombre<br />

d’enquêtes qui avaient fait d’innocentes victimes. Tom<br />

Wills se posta dans le couloir, et endossa provisoirement<br />

le rôle de domestique de maison. Harry Dickson s’installa<br />

dans son bureau. Il plaça un revol<strong>ver</strong> dans sa ceinture, à<br />

portée de main et attendit.<br />

Ils passèrent la nuit ainsi. Tom Wills veilla de minuit<br />

jusqu’au matin tandis que son maître était plongé dans<br />

les rêves dans le fauteuil de son bureau. Des rêves bien<br />

agités, d’ailleurs.<br />

23


5. Jeffrey Hutton<br />

Au matin, ils se pré<strong>par</strong>èrent à recevoir la visite de<br />

l’indésirable visiteur qu’ils attendaient. Tom Wills ajusta<br />

son arme sous son gilet noir sans manches et surveilla<br />

l’extérieur à tra<strong>ver</strong>s les rideaux de l’entrée. Enfin, au bout<br />

d’une heure d’attente, un personnage se dirigea <strong>ver</strong>s la<br />

porte d’entrée. Tom Wills alla frapper deux coups à la<br />

porte <strong>du</strong> bureau de son maître et attendit. Bientôt, on<br />

sonna. Le faux domestique prit un air occupé et alla<br />

ouvrir après quelques instants, aussi rigide et neutre<br />

qu’un serviteur le serait.<br />

— Monsieur ? demanda-t-il froidement au visiteur, tout<br />

en mémorisant son ap<strong>par</strong>ence.<br />

L’homme qu’il avait en face de lui avait une tête et<br />

demi de moins que lui-même et se tenait courbé. Son<br />

visage était véritablement répugnant à voir. On aurait cru<br />

une caricature d’homme, plus proche <strong>du</strong> batracien que<br />

de l’être humain. Son visage était large et plat. Le nez<br />

était presque atrophié et d’épais plis de graisse<br />

pendaient sous sa gorge. La bouche était démesurément<br />

large et les yeux jaunes et globuleux fixaient l’apprenti<br />

détective d’un air soupçonneux. L’homme portait un<br />

chapeau et avait remonté le col de son manteau, sans<br />

doute pour ne pas montrer sa laideur.<br />

— Je désirerais <strong>par</strong>ler à Mr. Dickson, dit-il très<br />

poliment, d’une voix désespérément sifflante et assez<br />

rauque qui collait bien au personnage.<br />

24


— De la <strong>par</strong>t de ? reprit Tom Wills, toujours aussi froid.<br />

— De Mr. Jeffrey Hutton.<br />

— Je vais voir s’il peut vous recevoir.<br />

Tom Wills referma la porte et fit silence pendant<br />

quelques minutes. Dehors, il entendait l’autre murmurer,<br />

comme impatient. Le sifflement de sa voix était presque<br />

insupportable, même aussi peu fort et Tom Wills croyait<br />

avoir affaire à un monstre venu d’une autre planète...<br />

Cette réflexion lui rappela le Vampire Stellaire qui venait<br />

des étoiles. Il frissonna.<br />

Tom Wills ouvrit une seconde fois la porte et demanda<br />

au visiteur de le suivre. Il ferma la porte derrière lui et le<br />

con<strong>du</strong>it <strong>ver</strong>s le bureau de Harry Dickson.<br />

Ce dernier serra la main sur son arme, inspira à fond<br />

et attendit. La porte s’ouvrit sèchement et le faux valet<br />

s’effaça pour laisser passer Mr. Hutton. Harry Dickson<br />

congédia Tom Wills et fit asseoir son interlocuteur. Celuici<br />

examinait chaque angle de la pièce et semblait<br />

visiblement nerveux. Cependant, il s’assit et enleva son<br />

chapeau avec répugnance. Le détective put voir son<br />

crâne lisse et <strong>ver</strong>dâtre sous la lumière de la pièce, crâne<br />

<strong>par</strong>semé de rares cheveux, comme si ce Mr. Hutton était<br />

en pleine métamorphose.<br />

— Que puis-je pour vous ? demanda Harry Dickson<br />

d’une voix assurée.<br />

25


— J’ai enten<strong>du</strong> dire que vous aviez trouvé le meurtrier<br />

des docks...<br />

— C’est cela, en effet. Etes-vous journaliste.<br />

— Non. (Il hésita.) En fait, j’écris un livre sur les<br />

mystères de notre temps ; le fait d’avoir lu dans le Times<br />

les termes de “Vampire Stellaire” m’a aguiché l’esprit et<br />

j’ai souhaité en savoir plus à ce sujet.<br />

— Savez-vous d’où vient cette appellation ?<br />

— Et bien, non, sinon je ne serais pas ici, Mr. Dickson.<br />

J’aurais pensé que vous puissiez m’aider à ce sujet.<br />

— Mais bien enten<strong>du</strong>. Si les journaux n’ont pas encore<br />

donné de détail sur cette affaire, c’est simplement que<br />

ceux-ci eussent été inutiles pour le lecteur commun.<br />

Mais, vous, Monsieur ?<br />

— Hutton, Jeffrey Hutton.<br />

— Vous, Mr. Hutton, vous semblez vous intéresser de<br />

très prêt à tout cela aussi répondrais-je sans aucun<br />

problème à vos questions si je suis en mesure de vous<br />

donner de plus amples informations. Au sujet <strong>du</strong> Vampire<br />

Stellaire, j’ai lu ce nom dans un très ancien livre, les<br />

“Mystères <strong>du</strong> Ver”...<br />

Harry Dickson n’eut même pas le temps de finit sa<br />

phrase que son étrange interlocuteur bondissait de sa<br />

chaise tel un kangourou et se plaçait en un tour de main<br />

26


derrière la porte <strong>du</strong> bureau, tout en braquant un revol<strong>ver</strong><br />

sur le détective. Celui-ci resta <strong>par</strong>faitement calme, mais<br />

Hutton n’ayant fait presque aucun bruit, Tom Wills<br />

n’interviendrait pas. Harry Dickson était seul face à cet<br />

homme armé.<br />

— Vous saviez que j’allais venir... Avouez-le.<br />

— Mais quelle idée farfelue.<br />

— Je suis tombé dans votre piège, et je vais vous dire<br />

pourquoi : il y a un instant, vous m’avez demandé mon<br />

nom, alors que votre domestique devait vous l’avoir dit.<br />

— J’ai dû l’oublier, j’ai tant de choses à penser.<br />

— Vous mentez Harry Dickson, vous mentez.<br />

Hutton s’agitait nerveusement, ce qui commençait à<br />

inquiéter Dickson. S’il tirait, Tom Wills interviendrait, mais<br />

le détective serait peut-être tué. Il avait honte car<br />

l’homme armé avait raison. Leur plan avait échoué. Mais<br />

il restait peut-être une chance.<br />

— Très bien, Mr. Hutton, je vous dirais tout ce que<br />

vous voulez savoir.<br />

— Cela n’a plus d’importance, car je suis ici pour vous<br />

tuer, Mr. Dickson !<br />

Le détective avait vu juste. Il devait trou<strong>ver</strong> une<br />

solution, très vite. Hutton agita son revol<strong>ver</strong> et Harry<br />

27


Dickson feint l’émotivité. Il manqua de tomber de sa<br />

chaise et fit tomber son pot à stylo métallique au<br />

passage... Il espérait que Tom Wills entendrait ce bruit et<br />

arri<strong>ver</strong>ait. Si cela échouait, alors lui, Harry Dickson,<br />

pouvait faire sa prière...<br />

Tom Wills attendait nerveusement devant la porte <strong>du</strong><br />

bureau de Harry Dickson. Cela faisait bien un quart<br />

d’heure que son maître et l’homme étrange palabraient.<br />

Peut-être n’était-ce pas le tueur, mais son ap<strong>par</strong>ence<br />

seule suffisait à éveiller la méfiance <strong>du</strong> jeune homme. Il<br />

serrait son revol<strong>ver</strong>, attendant un quelconque signal qui<br />

n’arrivait pas. Il se hasarda un instant à écouter à la<br />

porte, mais elle était trop épaisse pour qu’il puisse<br />

entendre quoi que ce soit.<br />

<strong>Les</strong> minutes défilaient, lentement, inquiétantes. Peutêtre<br />

que l’homme avait tué son maître autrement, en<br />

silence, et qu’il s’était enfui <strong>par</strong> la fenêtre. C’était peu<br />

probable, car le volet était à moitié fermé et grinçait<br />

horriblement lorsqu’on l’ouvrait. Tom Wills l’aurait<br />

enten<strong>du</strong>.<br />

Puis, un indistinct bruit métallique résonna dans le<br />

bureau, sec et bref. Tom Wills ne pouvait savoir de quoi il<br />

s’agissait. Mais pour lui, c’était un signal. Il s’arma de<br />

son revol<strong>ver</strong>, respira un grand coup et ouvrit la porte en<br />

coup de vent, avant de rouler sur le sol, <strong>ver</strong>s le bureau,<br />

cherchant <strong>du</strong> regard l’homme à l’horrible faciès. Il<br />

l’aperçut derrière la porte, mais inaccessible pour lui. En<br />

revanche, l’autre le visa et tira, blessant l’apprentidétective<br />

à la cuisse. Une seconde détonation retentit à<br />

28


son tour. Plop ! Jeffrey Hutton poussa un râle d’agonie et<br />

s’effondra, touché <strong>par</strong> une balle meurtrière d’Harry<br />

Dickson.<br />

Celui-ci commença <strong>par</strong> demander une ambulance.<br />

Puis il appela Goodfield, le surintendant de Scotland<br />

Yard afin de s’occuper <strong>du</strong> cadavre éten<strong>du</strong> dans son<br />

bureau. Harry Dickson regrettait d’avoir tué Jeffrey<br />

Hutton, mais il n’avait pas eu le choix. Tom Wills <strong>par</strong>vint<br />

à atteindre un fauteuil où il s’installa en attendant<br />

l’ambulance.<br />

29


6. Le puzzle se reconstitue<br />

Dans les poches d’Hutton, Harry Dickson trouva un<br />

morceau de journal négligemment déchiré et plié en<br />

quatre : l’annonce qu’il avait fait passer dans le Times. Il<br />

n’y avait à présent plus aucun doute : l’homme qui était là<br />

était bien le meurtrier de Mr. Carbonay ; mais il n’avait<br />

aucun papier d’identité sur lui, qui aurait confirmé son<br />

identité. Mis à <strong>par</strong>t l’article <strong>du</strong> Times, ses poches ne<br />

contenaient qu’un ticket de bus et un peu de monnaie<br />

anglaise.<br />

Harry Dickson eut beau retourner les vêtements, il n’y<br />

avait aucun moyen de savoir qui était ce Jeffrey Hutton,<br />

ni d’où il venait.<br />

L’ambulance et la police arrivèrent quelques minutes<br />

plus tard, en même temps, et se chargèrent <strong>du</strong><br />

macchabée et de Tom Wills. Goodfield, quant à lui,<br />

rejoignit le détective.<br />

— Nous avons trouvé l’identité <strong>du</strong> cadavre des docks,<br />

déclara-t-il victorieusement à son ami. C’est un Irlandais<br />

<strong>du</strong> nom de Peter O’Becket, qui était professeur de<br />

gaélique, de grec ancien et de latin à l’Uni<strong>ver</strong>sité de<br />

Dublin...<br />

— Cela ne m’étonne guère... La nature est <strong>par</strong>fois bien<br />

énigmatique, dit avec un soupçon de mystère Harry<br />

Dickson.<br />

30


— Pourquoi donc ? demanda le superintendant, qui ne<br />

saisissait pas les <strong>par</strong>oles d’Harry Dickson.<br />

— Le puzzle se reforme, mais je doute encore de<br />

certains faits. Tout ne nous a pas été dévoilé et nous<br />

n’en saurons pas davantage si nous n’allons pas de<br />

l’avant.<br />

— Que voulez-vous dire ?<br />

— Voilà ce que j’ai pu reconstituer : l’homme des<br />

docks, Peter O’Becket, latiniste, probablement attiré <strong>par</strong><br />

la magie noire, s’appropria le De Vermis Mysteriis d’un<br />

quelconque moyen. Peut-être l’avait volé à Hutton. Peu<br />

importe. Le professeur lut très certainement le livre en<br />

entier, ce qui le secoua émotionnellement. J’ai lu<br />

quelques passages de cet ouvrage et ce qui est contenu<br />

dedans est terrifiant, Goodfield, terrifiant. O’Becket devait<br />

être émotionnellement instable car ce livre le rendit fou et<br />

il décida d’essayer l’un des sortilèges contenu dans le<br />

livre, en l’occurrence l’invocation au Vampire Stellaire.<br />

Ce qui, a priori, entraîna sa mort. Pourquoi ? Je n’en sais<br />

rien. Peut-être que ce vampire existe vraiment... J’ai <strong>du</strong><br />

mal à comprendre cette <strong>par</strong>tie de l’histoire. Quoi qu’il en<br />

soit, le mystérieux volume échoua chez Carbonay, suite<br />

à l’enquête de la police. Hutton, ici présent (il désigna le<br />

cadavre), eut vent de cela et décida de récupérer<br />

l’ouvrage ; ce qu’il fit en tuant Carbonay et en volant le<br />

De Vermis Mysteriis. L’enquête aurait pu s’embourber ici,<br />

mais l’annonce <strong>du</strong> Times inquiéta et affola Hutton qui<br />

s’empressa de venir me tuer. Et c’est moi qui le tua.<br />

31


— Cela me <strong>par</strong>aît vraisemblable. Mais croyez-vous<br />

vraiment qu’un Vampire Stellaire puisse exister ?<br />

— Je n’en sais rien, mais tout ce que j’ai lu dans le De<br />

Vermis Mysteriis et tout ce que j’ai appris pendant cette<br />

enquête me laisse perplexe. Avez-vous vu le détestable<br />

faciès de ce Hutton. Il a une ap<strong>par</strong>ence repoussante. Je<br />

suis sûr qu’il y un rapport plus que hasardeux entre lui et<br />

le vampire. Mais lequel ? J’ignore si nous connaîtrons la<br />

réponse, mais nous en saurons plus ce soir.<br />

— Ce soir, comment cela ?<br />

— Je compte invoquer le Vampire Stellaire...<br />

32


7. Le monstre venu des étoiles<br />

Goodfield n’avait su comment réagir devant la<br />

déclaration harry Dickson. Il ne croyait pas <strong>du</strong> tout à ce<br />

mystérieux Vampire Stellaire, mais il avait tout de même<br />

peur que quelque chose de fâcheux arriva à son ami.<br />

Aussi le surintendant avait-il insisté pour établir un<br />

périmètre de sécurité avec ses hommes. Harry Dickson<br />

avait catégoriquement refusé. Goodfield avait cependant<br />

réussi à le convaincre de rester avec lui, puisqu’il était<br />

seul, Tom Wills étant à l’hôpital.<br />

<strong>Les</strong> deux hommes se retrouvèrent donc le soir, dans le<br />

même dock où Peter O’Becket avait trouvé la mort. Il<br />

faisait déjà nuit. Un voile d’obscurité recouvrait Londres.<br />

<strong>Les</strong> ténèbres avaient englouti la ville. Au loin, on<br />

entendait encore les klaxons des voitures. A <strong>par</strong>t ces<br />

bruits lointains, tout était silencieux dans les docks.<br />

Goodfield frissonna. Il n’aimait pas <strong>du</strong> tout cet endroit,<br />

ren<strong>du</strong> inquiétant <strong>par</strong> le silence et l’obscurité. Il avait<br />

amené une lampe-torche mais Harry Dickson lui avait<br />

donné l’ordre de la garder éteinte et avait allumé un<br />

grand cierge. Il chargea le surintendant de Scotland Yard<br />

de le tenir.<br />

— J’ai l’impression d’assister à une messe noire,<br />

Dickson, dit le policier. La prochaine fois, vous vous<br />

débrouillerez tout seul...<br />

— C’est vous qui avait insisté pour venir, Goodfield. Et<br />

puis sans moi, où irait Londres ? demanda ironiquement<br />

33


le détective.<br />

C’est vrai, pensa Goodfield. Il renifla, car la brise<br />

marine se faisait fraîche. Le cierge manqua de s’éteindre<br />

et le surintendant <strong>du</strong>t mettre sa main devant la flamme<br />

pour la protéger.<br />

Dans l’obscurité, il distinguait à peine Harry Dickson<br />

qui dégageait le terrain.<br />

— Que faites-vous, Dickson, demanda-t-il à ce dernier.<br />

— Je pré<strong>par</strong>e une aire d’atterrissage pour le vampire,<br />

répondit Dickson en riant.<br />

Goodfield ne riait pas <strong>du</strong> tout.<br />

— Et ça va <strong>du</strong>rer longtemps, ce cinéma ? Vous ne<br />

savez même pas comment invoquer ce maudit vampire<br />

lunaire.<br />

— Pas lunaire, stellaire. Quant à la formule<br />

d’invocation, je l’ai apprise <strong>par</strong> coeur à la bibliothèque cet<br />

après-midi. Une formule plutôt compliquée, mais je<br />

pense pouvoir la dire sans problèmes.<br />

— Et vous croyez vraiment que cette créature va<br />

tomber des étoiles et nous sucer le sang ?<br />

— Je l’ignore, mais... Pourquoi pas ?<br />

34


Goodfield frissonna une nouvelle fois. mais ce n’était<br />

pas le froid, c’était la peur...<br />

Harry Dickson le rejoignit. Il enclint le policier de se<br />

taire et commença à <strong>par</strong>ler d’une voix grave et<br />

solennelle. Goodfield comprit bientôt que le détective<br />

psalmodiait lentement, méthodiquement l’invocation <strong>du</strong><br />

De Vermis Mysteriis. Goodfield frissonna une nouvelle<br />

fois : toujours la peur. Mais il n’y a aucune raison, pensat-il,<br />

un Vampire Stellaire n’existe pas...<br />

Un coup de vent tra<strong>ver</strong>sa l’entrepôt. <strong>Les</strong> deux hommes<br />

crurent un instant voir venir le vampire, mais il n’y avait<br />

rien. Ou presque. Harry Dickson venait de recommencer<br />

son étrange prière et le vent soufflait à nouveau. mais ce<br />

n’était pas une brise classique, fraîche, marine. C’était un<br />

vent amer, désagréable, qui dégageait une étrange<br />

odeur. Harry Dickson ne cessa pas sa psalmodie et leva<br />

les bras <strong>ver</strong>s le ciel. Goodfield avait bien <strong>du</strong> mal à tenir la<br />

petite flamme <strong>du</strong> cierge vivante. Soudain, un cri guttural<br />

résonna dans le vide. Harry Dickson cessa son<br />

invocation, et Goodfield et lui regardèrent tout autour<br />

d’eux, pour voir d’où provenait ce cri. mais ils ne voyaient<br />

rien. En revanche, un rire lointain s’élevait des éons de<br />

l’espace. Un rire glacial, animal, inhumain. Goodfield<br />

frissonna encore une fois.<br />

Soudain, un coup de vent ren<strong>ver</strong>sa les deux hommes<br />

qui s’étalèrent de tout leur long sur le sol dallé. Harry<br />

Dickson porta la main à son revol<strong>ver</strong> et murmura au<br />

surintendant de l’imiter. Puis dans un cri ignoble, une<br />

masse tomba tout prêt d’eux, à l’endroit même où Harry<br />

35


Dickson avait dégagé l’entrepôt. Cela ressemblait à une<br />

masse caoutchouteuse et flasque, mais la faiblesse de la<br />

flamme ne leur permettait pas de voir de quoi il s’agissait.<br />

<strong>Les</strong> deux hommes étaient sur leurs gardes. Harry<br />

Dickson avait sorti son revol<strong>ver</strong>, prêt à faire feu. Le rire<br />

reprit, mais bien réel, cette fois. Il provenait de la chose<br />

qui venait de tomber devant eux. Harry Dickson crut voir<br />

bouger quelque chose, mais il n’y avait rien. Il comprit<br />

trop tard.<br />

Une serre invisible lui attrapa la cheville et le fit<br />

basculer. Harry Dickson tira <strong>ver</strong>s la chose qui le tenait.<br />

— Feu ! cria-t-il à l’adresse de Goodfield.<br />

Celui-ci lâcha le cierge et fit feu à son tour. Le rire fut<br />

bientôt remplacé <strong>par</strong> un cri agonisant, mais la pince<br />

tenait toujours le détective. Une horrible piqûre lui<br />

déchira la cheville et il sentit un liquide chaud couler sur<br />

sa jambe. C’était <strong>du</strong> sang, son sang ! Ils tiraient toujours.<br />

— La lampe ! cria Harry Dickson. Eblouissez-le !<br />

Goodfield sortit sa lampe-torche en un tour de main et<br />

l’alluma droit sur la masse invisible sur laquelle ils<br />

s’acharnaient. Une ombre légèrement teintée de rose se<br />

révéla à la lumière. La lampe allumée fit lâcher prise à la<br />

créature et Harry Dickson recula en rampant. Goodfield<br />

vidait son arme sur la chose. Celle-ci était indistincte,<br />

mais on pouvait distinguer une masse de tentacules, ou<br />

de tuyaux caoutchouteux s’agitant frénétiquement. Deux<br />

36


longs bras terminés <strong>par</strong> trois puissantes griffes<br />

émergeaient de cette chose, dont l’un dégoulinait <strong>du</strong><br />

sang d’Harry Dickson. Ce dernier avait vidé son chargeur<br />

sur le monstre et cherchait une autre arme. La créature<br />

rampait légèrement <strong>ver</strong>s eux, sans doute attiré <strong>par</strong> le<br />

sang <strong>du</strong> blessé. Goodfield pressait Harry Dickson de<br />

trou<strong>ver</strong> une solution. Le détective rampa jusqu’à un vieux<br />

tonneau métallique rouillé proche. Il était vide. Dickson le<br />

souleva sans problème et le lança de toutes ses forces<br />

<strong>ver</strong>s le monstre. Celui-ci cria douloureusement lorsque le<br />

poids de métal l’atteignit. Enfin, la créature démoniaque<br />

recula lentement et commença à s’éle<strong>ver</strong> <strong>du</strong> sol.<br />

Goodfield n’avait plus de cartouches.<br />

— A plat ventre ! cria Harry Dickson.<br />

— <strong>Les</strong> deux hommes se baissèrent juste à temps pour<br />

céder le passage au monstre qui s’envola <strong>ver</strong>s la nuit<br />

bleutée de Londres et dis<strong>par</strong>ut dans les cieux.<br />

<strong>Les</strong> deux hommes s’assurèrent qu’il n’y avait plus<br />

aucun danger et Goodfield alla appeler une ambulance.<br />

37


8 . La fin de l'affaire<br />

— Mais qu’était donc cette abomination surgie des<br />

cieux ? demanda Goodfield.<br />

Ils étaient trois, réunis dans une chambre de l’hôpital<br />

principal de Londres : Harry Dickson, le pied bandé, Tom<br />

Wills, la jambe plâtrée et Goodfield.<br />

— C’était le Vampire Stellaire, répondit le détective,<br />

pensif.<br />

— Quelle horrible créature. J’ai l’impression d’avoir<br />

rêvé, mais votre blessure me prouve le contraire,<br />

Dickson.<br />

Le grand détective était sombre.<br />

— Dans le De Vermis Mysteriis, j’ai lu que le Vampire<br />

Stellaire n’est qu’une race inférieure. D’autres créatures<br />

bien plus puissantes rôdent dans les courants spatiaux...<br />

Mon Dieu, je n’ose imaginer l’existence de tels<br />

monstres...<br />

Goodfield, dit-il en se tournant <strong>ver</strong>s le surintendant,<br />

nous avons peut-être vu quelque chose de terrifiant, mais<br />

imaginez que les “Mystères <strong>du</strong> Ver” ne <strong>par</strong>lent que<br />

d’entités semblables. Je pense qu’il faut préser<strong>ver</strong> les<br />

hommes de ces monstruosités. C’est pourquoi je vous<br />

demanderais de placer le De Vermis Mysteriis de la<br />

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ibliothèque hors de portée de quiconque...<br />

— Et au sujet de la provenance <strong>du</strong> livre de Hutton ?<br />

demanda Tom Wills.<br />

— Peter O’Becket a dû le dérober à Jeffrey Hutton, l’a<br />

lu et analysé, d’où les griffonnages qui en couvraient<br />

certaines pages. J’ignore où est ce livre à l’heure<br />

actuelle, mais je pense que Hutton avait des amis<br />

chargés de conser<strong>ver</strong> l’ouvrage que nous ne devrions<br />

pas revoir avant longtemps.<br />

— C’est mieux ainsi, conclut Tom Wills.<br />

Ainsi se termina l’affaire. Le livre fut enfermé pour une<br />

longue période dans un coffre-fort. L’identité de Jeffrey<br />

Hutton ne fut jamais décou<strong>ver</strong>te. Lorsqu’il fut enterré, son<br />

corps dégageait une atroce odeur de poisson pourri...<br />

<strong>Les</strong> deux détectives furent bientôt guéris. Harry Dickson<br />

ne put jamais trou<strong>ver</strong> de solution satisfaisante sur toute<br />

cette affaire. Très franchement, il préférais oublier tout ce<br />

qu’il avait lu dans l’ouvrage maudit de Ludwig Prinn. Le<br />

dossier de Scotland Yard concernant cette enquête fut<br />

rangé dans les archives et y demeure toujours<br />

aujourd’hui, loin des curieux. Il ne fut plus jamais<br />

question <strong>du</strong> Vampire Stellaire, mais Harry Dickson savait<br />

que quelque <strong>par</strong>t dans l’uni<strong>ver</strong>s, des forces cosmiques<br />

redoutables pré<strong>par</strong>aient leur vengeance...<br />

Des forces dont la seule existence nous dépasse...<br />

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