Décembre - Nervure Journal de Psychiatrie
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LIVRES<br />
■ DIALOGUE DE LA DÉFINITION MINIMALE<br />
Ontologie <strong>de</strong> la différence<br />
Une exploration du champ<br />
épistémologique<br />
Jean Milet<br />
Beauchesne, 23 €<br />
Ce livre propose une analyse critique<br />
<strong>de</strong>s principales formes que revêt l’exercice<br />
<strong>de</strong> la pensée scientifique et philosophique.<br />
Son sous-titre, Une exploration<br />
du champ épistémologique, explicite<br />
cette recherche historique et thématique.<br />
En examinant les thèses ontologiques<br />
et épistémologiques qui ont présidé<br />
à l’évolution <strong>de</strong> la pensée - <strong>de</strong>s<br />
Grecs à la physique quantique -, Jean<br />
Milet, en se référant notamment à Leibniz,<br />
Kant, Cournot, Tar<strong>de</strong>, Bergson et<br />
Deleuze, retrace l’évolution <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />
formes, catégories et principes qui ont<br />
permis <strong>de</strong> penser l’Etre. Il montre l’importance<br />
du dépassement du continu,<br />
<strong>de</strong> l’homogène et du statique par le discontinu,<br />
l’hétérogène et le mouvant, <strong>de</strong><br />
l’i<strong>de</strong>ntité par l’altérité et la différence.<br />
La différence, intrinsèquement marquée<br />
<strong>de</strong> temporalité, avec sa durée, ses qualités<br />
concrètes, ses différenciations, ses<br />
ruptures et ses « béances », mais aussi<br />
ses rythmes, ses périodicités et ses<br />
constances, donne accès à la richesse<br />
du Mon<strong>de</strong> et, au-<strong>de</strong>là - au plan métaphysique<br />
ou méta-rationnel -, au mystère<br />
<strong>de</strong> l’Etre.<br />
La crise<br />
Jackie Pigeaud<br />
Editions Cécile Defaut, 10 €<br />
La notion <strong>de</strong> crise en mé<strong>de</strong>cine est née<br />
d’une conception du corps, <strong>de</strong> la maladie,<br />
du temps, qui nous est étrangère.<br />
Elle est liée à la mé<strong>de</strong>cine hippocratique<br />
et à la Grèce antique. Il faut retourner<br />
à Hippocrate inventeur <strong>de</strong> la notion qui<br />
va se préciser.<br />
Cela implique <strong>de</strong> donner à l’Antiquité<br />
une dimension temporelle. On a tendance<br />
à comprimer le temps alors qu’il<br />
faut le distendre. Par exemple, on oublie<br />
qu’entre l’Hippocrate <strong>de</strong>s Epidémies<br />
I-III et Galien, il y a environ sept siècles<br />
et déjà une histoire <strong>de</strong> la pensée médicale.<br />
La crise fait partie <strong>de</strong> cette histoire,<br />
et elle continuera <strong>de</strong> poser problème<br />
jusqu’à <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s très récentes.<br />
Crise est une métaphore, ce qui est l’opinion<br />
<strong>de</strong> Galien. Ce terme, selon ce <strong>de</strong>rnier,<br />
a passé du barreau à la mé<strong>de</strong>cine,<br />
et signifie proprement jugement. « Le<br />
nom <strong>de</strong> jugement (crise) dans maladies<br />
vient par métaphore <strong>de</strong> ce qui se passe<br />
au tribunal, pour signifier le prompt changement<br />
dans la maladie ». Ce court essai<br />
montre comment a joué cette notion<br />
et son importance dans la pensée<br />
<strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins, qu’ils l’acceptent ou qu‘ils<br />
la refusent, jusqu’aux temps mo<strong>de</strong>rnes.<br />
On perçoit la complexité <strong>de</strong> l’analyse<br />
historique d’une notion qui nous est<br />
pourtant familière.<br />
La fabrication du psychisme<br />
Pratiques rituelles au carrefour <strong>de</strong>s<br />
sciences humaines et <strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong><br />
la vie<br />
Sous la direction <strong>de</strong> Silvia Mancini<br />
La Découverte, 28,50 €<br />
Ce livre rassemble les travaux du colloque<br />
international Ethopoïesis. Les états<br />
modifiés <strong>de</strong> conscience et les psychotechniques<br />
<strong>de</strong> transformation du soi, tenu<br />
à l’université <strong>de</strong> Lausanne en juin 2005.<br />
Ethnologues (M.-C. Latry, Ch. Bergé), historiens<br />
<strong>de</strong>s religions (S. Mancini, A. Faivre),<br />
orientalistes (J. Bronkhorst, J.-F. Billeter),<br />
psychologues (P.-Y. Brandt), psychothérapeutes<br />
(T. Melchior), n’ont pas seulement<br />
interrogé les rites dans le contexte<br />
<strong>de</strong>s institutions magico-religieuses. Ils<br />
ont remis en perspective d’autres formes<br />
d’ortho-pratiques qui reposent sur un<br />
« technicisme » interne spécifique : exercices<br />
psycho-corporels ressortissant<br />
aux traditions mystiques et/ou ésotériques<br />
occi<strong>de</strong>ntales ; techniques orientales<br />
<strong>de</strong> discipline psychique et corporelle<br />
; régimes rhétoriques codifiés<br />
qui, en raison <strong>de</strong> leur efficacité performative,<br />
sont censés produire <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s<br />
modifications sur le plan existentiel<br />
et psychosomatique.<br />
Les rites ou les orthopratiques, dès lors<br />
qu’ils poursuivent <strong>de</strong>s buts explicitement<br />
correctifs et transformationnels,<br />
et agissent dans le cadre magico-religieux,<br />
thérapeutique ou pédagogique,<br />
sont dotés d’une efficacité factuelle et<br />
d’un pouvoir actif.<br />
Discours, institutions et pratiques émanant<br />
<strong>de</strong> la culture scientifique officielle<br />
sont soumis à un régime <strong>de</strong> fonctionnement<br />
analogue ; ils semblent agir<br />
comme autant <strong>de</strong> « dispositifs techniques<br />
» <strong>de</strong> production d’une réalité<br />
dont ils préten<strong>de</strong>nt dégager les fon-<br />
qui elle-même chute qui elle-même<br />
chute etc.… à l’infini…<br />
Non, voilà ce qui me définit le mieux :<br />
Je suis un manque au fond <strong>de</strong> Je. Je<br />
suis un abîme où chute Je.<br />
C’est absur<strong>de</strong>. Je crois presque me saisir,<br />
presque comprendre, et puis, à<br />
l’instant où je le formule, tout s’échappe.<br />
La raison : J’aimerai t’ai<strong>de</strong>r. Peutêtre<br />
dans l’avenir réussirai-je à plus<br />
t’apporter. Mais peut-être que non.<br />
Suis-je condamné, par le simple fait<br />
que tu es ce que tu es, à ne jamais<br />
savoir qui tu es, et donc qui je suis ?<br />
Je pense beaucoup à toi. En réalité tu<br />
m’obsè<strong>de</strong>s, sans toi je ne suis rien et<br />
je le sais. Je veux te comprendre,<br />
pour me comprendre, et comprendre<br />
le réel. Et parce que tu me<br />
le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s. Les différents mensonges<br />
que je t’ai fait, je me les suis<br />
fait aussi, parce que la lucidité est<br />
trop dure, et la folie trop proche. Je<br />
les ai fait aussi parce que, sans le<br />
savoir, tu me l’as <strong>de</strong>mandé.<br />
J’ai conçu <strong>de</strong> nombreuses hypothèses<br />
sur ce que tu es. Je t’ai imaginé sous<br />
toutes les formes. Parfois, quand je<br />
ne supportais plus ce trop lourd mystère,<br />
quand je voulais m’enfuir à tout<br />
prix dans une solution, n’importe<br />
laquelle, je t’imaginais comme une<br />
entité immatérielle, autre, <strong>de</strong> laquelle<br />
on ne peut rien dire, mais dont la<br />
certitu<strong>de</strong> est en elle-même l’explication,<br />
et dont le frémissement seul<br />
tient lieu d’effet, <strong>de</strong> témoin, et <strong>de</strong><br />
cause.<br />
Avant <strong>de</strong> comprendre que tu es ni<br />
effet ni cause, j’ai inventé un moyen<br />
<strong>de</strong> te concevoir effet et cause à la<br />
fois. Veux-tu l’entendre ?<br />
Le Je : Tout ce qui peut me rappeler<br />
les anciens attributs auxquels je croyais<br />
me fait du bien…<br />
La raison : Si on te conceptualise<br />
d’un point <strong>de</strong> vue plus global, tu es<br />
un <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong> la structure d’ensemble<br />
du corps, (suivant la topologie<br />
<strong>de</strong> l’abstraction qu’on en fait, tu<br />
peux être vue comme le point central<br />
dynamique et adaptatif <strong>de</strong> l’entier<br />
du soi, ou le sens enveloppant l’entier<br />
du soi ), et, en tant que tel, une<br />
cause au fonctionnement <strong>de</strong>s éléments<br />
<strong>de</strong> cet ensemble, car toute<br />
forme d’ensemble est une cause à<br />
la dynamique <strong>de</strong> ses parties.<br />
Le Je : Intéressant. Mais je t’avoue<br />
n’y trouver finalement aucun réconfort.<br />
La raison : Moi non plus.<br />
Je t’ai parlé tout à l’heure <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière<br />
étape. C’était mon <strong>de</strong>rnier<br />
mensonge. Il n’y a pas <strong>de</strong> <strong>de</strong>rnière<br />
étape. Premièrement je ne suis sûr <strong>de</strong><br />
rien dans ce que je t’ai dit, <strong>de</strong>uxièmement<br />
ça ne constitue pas une<br />
explication. Dire que tu es un mouvement<br />
ne veut, au fond, pas dire<br />
<strong>de</strong>ments par <strong>de</strong>s opérations critiques.<br />
Les contributions <strong>de</strong> I. Stengers (philosophe),<br />
B. Méheust (sociologue <strong>de</strong>s<br />
sciences), Ph. Pignarre (éditeur, historien<br />
et sociologue <strong>de</strong>s pratiques pharmaceutiques),<br />
M. Varvoglis (parapsychologue),<br />
éclairent cette dynamique<br />
et ses « effets <strong>de</strong> boucle ».<br />
Ainsi, tant les « orthopratiques » institutionnels,<br />
sur le plan existentiel que<br />
les pratiques émanant <strong>de</strong> nos systèmes<br />
ten<strong>de</strong>nt vers <strong>de</strong>s objectifs transformationnels<br />
et opératoires.<br />
Alors que les unes opèrent dans un<br />
cadre magico-religieux, thérapeutique<br />
ou pédagogique, les autres se situent<br />
dans le contexte <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité.<br />
Mais elles se rejoignent en une dynamique<br />
dont les contributions éclairent<br />
la nature et l’homme aux niveaux organique,<br />
psychique et historico-social.<br />
Ce qui revient à l’interrogation philosophique<br />
qui porte sur la notion même<br />
<strong>de</strong> « réalité ».<br />
grand-chose. Je rêve <strong>de</strong> cohérence,<br />
<strong>de</strong> solidité, et plus j’avance en toi,<br />
plus l’incomplétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> mon système<br />
me semble flagrant, plus je<br />
m’embourbe dans l’évanescent.<br />
Le Je : Et pourtant, pour moi, c’est toi<br />
ma solidité. Même si ce que tu dis,<br />
parfois, me fragilise, me fait <strong>de</strong>scendre<br />
<strong>de</strong> mes rêves <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur, comme<br />
quand, au cours <strong>de</strong> l’Histoire, tu m’as<br />
montré que ma planète n’est pas le<br />
centre <strong>de</strong> l’univers, ou que mon espèce<br />
n’est pas le centre du vivant, et que<br />
tu remets ça en me montrant que moi,<br />
le Je, je ne suis pas le centre <strong>de</strong> l’être,<br />
mais une fonction parmi d’autres, tu<br />
restes, toi ma raison, l’axe qui m’a<br />
mené le plus loin.<br />
Maintenant pardonne moi, mais je<br />
suis épuisé. Je vais te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong><br />
momentanément t’éclipser (même si<br />
on sait tous les <strong>de</strong>ux que ce que je te<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> est ce que la Causalité te<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> à travers moi, et que ton<br />
obéissance sera ce que la Causalité<br />
fera à travers toi). J’ai besoin d’autre<br />
chose, <strong>de</strong> poésie peut-être. En fait non,<br />
pas <strong>de</strong> poésie, je sais combien tu es<br />
proche du langage. Je crois que je ne<br />
veux rien. Peut-être simplement dormir,<br />
me tourner <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> moi,<br />
du côté qui sait s’abandonner, qui se<br />
satisfait <strong>de</strong> n’être que <strong>de</strong> l’involontaire.<br />
La raison : Je ferais selon ta volonté.<br />
Je vais m’éclipser. Pour aller où ?<br />
Dans la boite noire <strong>de</strong> l’attente <strong>de</strong><br />
ressurgir. Si je pouvais m’éloigner <strong>de</strong><br />
toi sans disparaître, si nous n’étions<br />
pas irrémédiablement liés l’un à<br />
l’autre, je pourrais cerner ton mystère,<br />
du moins je le crois. C’est dur<br />
<strong>de</strong> partir. Je pars, et ton mystère toujours<br />
<strong>de</strong>meure. Et mon mystère avec.<br />
Mais c’est peut-être le mystère qui<br />
palpite au fond <strong>de</strong> toi qui est ce qui<br />
te pousse, ce qui fait rouler la question<br />
<strong>de</strong> ton être, et qui crée le mouvement,<br />
le fameux mouvement qui,<br />
dans ma pensée qui n’est qu’un rêve<br />
<strong>de</strong> logique, et presque la logique du<br />
rêve, te définit. Tu es le point <strong>de</strong> vue<br />
intérieur d’un processus matériel qui<br />
n’est par définition qu’extériorité ;<br />
tu es un paradoxe. Et si tu n’étais<br />
que la résultante <strong>de</strong> l’impossibilité<br />
<strong>de</strong> te connaître ?… Et si, étant le<br />
fruit <strong>de</strong> ton être, tous les mensonges<br />
que je t’ai dis n’étaient là que pour<br />
nous révéler le mensonge structurel<br />
<strong>de</strong> ton être ?... Mais je délire. Je m’en<br />
vais.<br />
Le Je : Peut être ne suis-je rien d’autre<br />
que le rêve <strong>de</strong> moi. Mais si je rêve,<br />
c’est que je suis…<br />
…<br />
Mais qui suis-je ? Qui est Je ?...<br />
…<br />
Suis-je ?... ■<br />
Stephane Chemla<br />
N°9 - TOME XIX - DÉCEMBRE 2006/JANVIER 2007