LES VOIX INTÉRIEURES - Site auxiliaire de l'IUFM de l'académie ...
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CRÉATION : KAVIIIK - 06.80.44.00.45 • IMPRIMERIE UBERTI-JOURDAN - 04.50.97.24.79<br />
LE JOURNAL DE LA MAISON D’ARRÊT DE BONNEVILLE<br />
N°3<br />
<strong>LES</strong> <strong>VOIX</strong> <strong>INTÉRIEURES</strong>
2<br />
«<br />
E D I T O R I A L<br />
Rien <strong>de</strong> ce qui est humain<br />
ne m'est étranger.<br />
Les<br />
voix<br />
intérieures<br />
ECRIRE<br />
»<br />
est un acte créateur qui permet <strong>de</strong> déposer dans <strong>de</strong>s<br />
mots <strong>de</strong>s instants <strong>de</strong> vie. En publiant les écrits <strong>de</strong>s<br />
détenus, nous voulons leur donner la parole et<br />
montrer que leurs pensées méritent d'être lues et<br />
écoutées. L'incarcération est une situation limite, et<br />
il est bon d'en parler, pour en sortir. Grâce à la<br />
publication du <strong>de</strong>uxième numéro <strong>de</strong>s Voix intérieures,<br />
peut-être serons-nous un peu parvenus à repousser<br />
l'exiguité <strong>de</strong>s murs... Nous espérons que lors <strong>de</strong> cette<br />
lecture, chacun, qu'il soit <strong>de</strong>dans ou <strong>de</strong>hors, se<br />
rappellera la très belle phrase <strong>de</strong> Térence « Rien <strong>de</strong><br />
ce qui est humain ne m'est étranger ». Les prisons<br />
sont multiples et les modalités d'enfermement tout<br />
autant. L'important, c'est <strong>de</strong> s'interroger sur les<br />
moyens qui sont à notre disposition pour amorcer <strong>de</strong>s<br />
mouvements d'ouverture, pour faire refleurir <strong>de</strong>s<br />
possibles.<br />
Ce petit journal est le résultat d'une<br />
collaboration où chaque contribution a apporté une<br />
touche <strong>de</strong> couleur particulière, indispensable à la<br />
beauté <strong>de</strong> l'ensemble. Nous exprimons toute notre<br />
reconnaissance au Directeur <strong>de</strong> la Maison d'Arrêt,<br />
Monsieur Régis Pascal qui, par son engagement<br />
profondément humaniste et son soutien constant,<br />
en a rendu la réalisation possible.<br />
Ce projet a vu le jour grâce à <strong>de</strong>s rencontres,<br />
dans ce qu'elles ont d'imprévu et <strong>de</strong> fécond.<br />
Rencontres <strong>de</strong> trois institutions : la maison d'arrêt,<br />
<strong>l'IUFM</strong> et la mairie <strong>de</strong> Bonneville. Rencontre entre <strong>de</strong>s<br />
personnes : entre les détenu(e)s et <strong>de</strong>s enseignant(e)s,<br />
en poste à la maison d'arrêt ou intervenant(e)s<br />
ponctuels, qui ont permis l'élaboration <strong>de</strong> la première<br />
partie <strong>de</strong> ce journal : Les voix intérieures (pp. 3-8).<br />
Rencontres, par le biais d'échanges épistolaires, entre<br />
<strong>de</strong>s détenus et <strong>de</strong>s écrivains, philosophes, artistes et<br />
universitaires, qui sont présentées dans la <strong>de</strong>uxième<br />
partie intitulée : L'extérieur vous a entendu (pp. 9-25).<br />
Rencontre entre tous les acteurs du stage d'action<br />
citoyenne qui a eu lieu du 12 au 21 juin 2007 à la<br />
maison d'arrêt et qui est relaté dans la troisième<br />
partie du journal (pp. 26-31). En annexe figure un<br />
petit compte-rendu <strong>de</strong> la sortie en Vanoise qui a été<br />
proposée aux détenus par le moniteur <strong>de</strong> sport (p. 32).<br />
Afin <strong>de</strong> préserver l’anonymat <strong>de</strong>s détenus, leurs noms et prénoms<br />
ne sont pas mentionnés et leurs visages ont été floutés.<br />
Nous remercions infiniment tous les<br />
détenus pour leurs écrits.<br />
Merci à toutes les personnes <strong>de</strong> l'extérieur qui ont<br />
accepté d'offrir leur contribution : Jean-René Bachelet,<br />
Michel Butor, André Comte-Sponville, Guy Coq, Christian<br />
Desseaux, Daniel Dezeuze, Raphaël Enthoven, Luc Ferry,<br />
Alexandre Jollien, Franck Pavloff, Marie-Christine<br />
Schrijen, Skimao, Maria Villela-Petit et Ghislain Waterlot.<br />
Un immense merci à Kaviiik qui s'est chargé <strong>de</strong><br />
transformer ce petit journal en œuvre d'art ! Un grand<br />
merci à Claire Amoudruz et à toute l’équipe <strong>de</strong><br />
l’Imprimerie Uberti-Jourdan pour leur précieuse<br />
collaboration. Nos vifs remerciements à Martial Saddier<br />
pour le soutien financier <strong>de</strong> la mairie <strong>de</strong> Bonneville.<br />
Un salut très reconnaissant à Marcel Tamet-Crozet qui<br />
nous a offert les photos illustrant ce numéro.<br />
Nous tenons également à remercier<br />
chaleureusement toutes les personnes qui se sont<br />
impliquées <strong>de</strong> près ou <strong>de</strong> loin à la parution <strong>de</strong> ce<br />
journal : Christophe Amblard, Alain Aubert, Katia Bel,<br />
Sophie Bernadi, Stéphane Blot, Karine Caillot, Thierry<br />
Caquais, Marie-Françoise Chevallier, Chrystèle Doucet,<br />
Clotil<strong>de</strong> Dumont-Lamy, Luc Duwat, Brigitte Folliguet,<br />
Magali Lambersend, Nicolas Lanfroy, Sophie Lebrun,<br />
Laurène Lion, Isabelle Maignan-Dorioz, Patricia<br />
Malingrey, Nicole Marchand, Patrick Men<strong>de</strong>lsohn,<br />
Alexandra Mollière, Pascale Moutel, Michèle Nicolaï,<br />
Gabriel Pépin, Isabelle Petit-Jean, Jocelyne Pradarelli,<br />
Damien Ricaut, Didier Rigal, Virginie Rubiot, Francis<br />
Saillard, Cédric Saunier, Frédéric Subileau, Johanne<br />
Touvenin,Valérie Vaux, Maud Vercasson, Lionel Vernet et<br />
les surveillants.<br />
Claire Rösler.<br />
Coordinatrice du journal<br />
Si vous souhaitez nous écrire :<br />
<strong>LES</strong> <strong>VOIX</strong> <strong>INTÉRIEURES</strong><br />
Régis Pascal, Chef d’établissement<br />
<strong>de</strong> la Maison d’Arrêt <strong>de</strong> Bonneville<br />
171, Avenue Mozart - BP 137 - 74137 Bonneville<br />
Fax : 04 50 25 48 98<br />
E-Mail : regis.pascal@justice.fr
ATELIER FRANÇAIS - GABRIEL PEPIN 3<br />
« Il s’agit là d’écrire pour raconter<br />
un moment <strong>de</strong> sa vie où on a été fier <strong>de</strong><br />
soi, où on s’est dit « je suis peut-être<br />
quelqu’un <strong>de</strong> bien », <strong>de</strong> raconter ce<br />
qu’est sa vie, <strong>de</strong> trouver les mots pour<br />
dire sa différence. Le plaisir d’écrire<br />
était au ren<strong>de</strong>z-vous. Moi, je suis fier<br />
d’avoir accompagné <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s<br />
femmes incarcérés et d’avoir toujours<br />
regardé chacun comme quelqu’un <strong>de</strong><br />
bien. Je souhaite que ces quelques<br />
textes, parfois drôles, souvent forts et<br />
émouvants, apportent, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s<br />
murs, un chouette moment <strong>de</strong> lecture ».<br />
J-Y.<br />
« Dans mon quartier j’avais un pote d’enfance<br />
à qui la vie n’avait pas fait <strong>de</strong> ca<strong>de</strong>au. Il sombrait<br />
dans l’alcool, la drogue l’avait détruit. Tous ses anciens<br />
amis, qui étaient aussi les miens, ne lui prêtaient plus<br />
aucune attention. Quand il a perdu sa mère, ça a été<br />
un choc pour lui, le coup <strong>de</strong> grâce. Il s’enfonçait <strong>de</strong><br />
plus en plus dans la drogue et se retrouva à la rue.<br />
Les rapports avec son père ne passaient pas.<br />
Moi, pour ma part, à cette époque-là, je<br />
travaillais, j’avais une bonne situation. Le voir comme<br />
ça dans la rue, avec pour seules amies la misère et<br />
la drogue me faisait mal au cœur. Je ne pouvais pas<br />
le laisser dans cet état-là car c’était quelqu’un <strong>de</strong><br />
bien et tout le mon<strong>de</strong> l’avait oublié. C’est vrai qu’il<br />
n’avait pas un rond, mais il avait une richesse du<br />
cœur. Je l’ai hébergé chez moi. Petit à petit, il<br />
reprenait goût à la vie. Il avait diminué les drogues,<br />
surtout la cocaïne car je lui avais posé comme<br />
condition qu’il ne sniffe pas chez moi. Tout <strong>de</strong> même<br />
j’acceptais qu’il continue à boire, mais modérément,<br />
et qu’il fume son herbe, car on ne peut pas arrêter<br />
du jour au len<strong>de</strong>main.<br />
J’ai été fier <strong>de</strong> moi, car au fil du temps il avait<br />
complètement arrêté la coke et l’alcool et s’était<br />
refait une bonne situation, il a trouvé un travail qu’il<br />
a toujours, et il a aussi trouvé un logement. Ça m’a<br />
fait plaisir et je me suis dit que peut-être je lui avais<br />
sauvé la vie. Dieu seul sait ce qui aurait pu lui arriver<br />
s’il était resté dans la rue avec son désespoir et<br />
toutes ses drogues. Aujourd’hui il a bonne mine, et<br />
tous les jours il me prouve sa reconnaissance en me<br />
soutenant dans ma situation actuelle ».<br />
H.<br />
« C’était un jour ordinaire. Je <strong>de</strong>vais être en<br />
sixième ou bien en cinquième. Sur la route <strong>de</strong> l’école,<br />
j’ai trouvé un porte-monnaie et tout ce qui va avec :<br />
carte <strong>de</strong> crédit, permis <strong>de</strong> conduire, pièce d’i<strong>de</strong>ntité<br />
et environ <strong>de</strong>ux cents francs. Au début, j’ai pensé à<br />
prendre l’argent et jeter le porte-monnaie. J’ai pensé<br />
à mon père, lui qui me disait toujours : « Ne fais pas<br />
aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ».<br />
Je me suis mis à la place <strong>de</strong> la personne qui l’avait<br />
perdu. J’ai remis le portefeuille à la police municipale<br />
<strong>de</strong>vant le collège. J’étais plutôt fier <strong>de</strong> moi, même si<br />
je regrettais un peu le billet <strong>de</strong> 200 francs.<br />
Environ dix ans après, j’ai moi-même perdu<br />
mon portefeuille, à 600 km <strong>de</strong> chez moi. Je l’ai<br />
cherché dans tous les lieux que j’avais fréquentés<br />
dans la journée. J’avais perdu tout espoir quand<br />
mon portable a sonné. Le commissariat <strong>de</strong> Fréjus<br />
m’informait que quelqu’un avait rapporté mon<br />
portefeuille. J’ai immédiatement repensé à l’enfant<br />
que j’étais, au portefeuille que j’avais moi-même<br />
restitué 10 ans auparavant ».<br />
D.<br />
« J’ai toujours vécu en<br />
caravane. Quand j’étais petit je<br />
voyageais avec mes parents, mon frère<br />
et ma sœur dans toute la France. On<br />
vendait <strong>de</strong>s chaises, <strong>de</strong>s matelas et <strong>de</strong>s<br />
tapis au porte à porte. Sur les marchés<br />
on vendait <strong>de</strong>s bonbons au miel <strong>de</strong><br />
sapin, moi j’étais à côté <strong>de</strong> l’âne. On<br />
restait un mois ou <strong>de</strong>ux dans une<br />
région. J’allais à l’école <strong>de</strong> temps en<br />
temps. A l’école, j’étais toujours au fond<br />
<strong>de</strong> la classe. On m’appelait le bohémien.<br />
Je n’avais jamais <strong>de</strong> copain, je ne pouvais<br />
pas jouer aux billes avec les autres enfants.<br />
J’étais exclu et ça me faisait mal au cœur. J’ai<br />
appris à lire un peu par correspondance, un peu<br />
avec la Bible et un peu à l’école, surtout avec<br />
Madame Chaffard qui était très gentille.<br />
Maintenant j’habite en chalet <strong>de</strong>puis 8 ans.<br />
La mairie nous prête un terrain. Je suis <strong>de</strong>venu<br />
sé<strong>de</strong>ntaire à 24 ans.<br />
A 15 ans j’étais papa. Mon fils a maintenant<br />
17 ans. Malheureusement, il a fait <strong>de</strong>s conneries et<br />
il a été en prison pour mineurs. Je pense que je n’ai<br />
pas été un bon exemple pour mon fils. Quand je vais<br />
sortir, je vais l’ai<strong>de</strong>r à trouver un travail. Dans<br />
6 mois, c’est lui qui va être papa, je vais être grandpère.<br />
Je suis à la fois content et malheureux. Je me<br />
sens vieux et je suis inquiet pour mon fils et son<br />
gamin ».<br />
T.<br />
« J’ai vécu avec ma femme pendant <strong>de</strong>ux ans<br />
avant <strong>de</strong> vouloir un enfant. Nous avons connu <strong>de</strong>ux<br />
échecs et la troisième fois ma femme m’a annoncé<br />
qu'elle était enceinte <strong>de</strong> trois mois. J’étais super<br />
heureux <strong>de</strong> cet événement, je suis immédiatement allé<br />
prévenir ma famille. Trois mois après, ma belle-mère<br />
m’a appelé au travail pour m’annoncer que ma<br />
femme avait dû rentrer d’urgence à la clinique, car<br />
elle avait <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> santé et nous risquions<br />
<strong>de</strong> perdre encore une fois notre enfant.<br />
Elle a été hospitalisée. Elle est restée à peu<br />
près un mois à la clinique d’Annemasse. Les mé<strong>de</strong>cins<br />
ont décidé <strong>de</strong> faire une césarienne pour sauver le<br />
bébé et l'ont transférée à l’hôpital <strong>de</strong> Chambéry. Ils<br />
n’étaient pas assez équipés pour ce genre<br />
d’opération. Elle était enceinte <strong>de</strong> cinq<br />
mois et <strong>de</strong>mi. J’étais mort d’inquiétu<strong>de</strong>.<br />
La césarienne s’est bien passée. Elle est restée<br />
<strong>de</strong>ux mois à l’hôpital <strong>de</strong> Chambéry après<br />
l’accouchement pour subir <strong>de</strong>s examens<br />
supplémentaires. Moi, je faisais <strong>de</strong>s allers-retours<br />
Annemasse-Chambéry pour rencontrer ma femme car<br />
nous ne pouvions pas voir notre enfant tout <strong>de</strong> suite.<br />
Plus tard, <strong>de</strong>ux semaines après l’opération, nous avons<br />
eu le droit <strong>de</strong> le voir, il ne pesait qu’un kilo<br />
cinquante. Les mé<strong>de</strong>cins m’ont dit que je pouvais<br />
le prendre dans mes bras, mais je n’ai pas voulu<br />
car j’avais trop peur, je tremblais tellement ! J’étais<br />
content. Il était si petit, si léger. J’avais peur <strong>de</strong> le<br />
casser.
4<br />
Pour venir le voir, nous <strong>de</strong>vions passer dans une salle<br />
pour nous désinfecter les mains, mettre une charlotte<br />
sur la tête, mettre une blouse et <strong>de</strong>s protections par<br />
<strong>de</strong>ssus les chaussures. Pendant quatre mois qu’il était<br />
à Chambéry, nous l’avons vu mourir et revenir à la<br />
vie. Quand la machine fait un « bip » continu, stri<strong>de</strong>nt<br />
et que la ligne <strong>de</strong>vient horizontale, on croit mourir en<br />
même temps que son bébé. Et puis quand la ligne se<br />
remet en mouvement, on ne sait plus où on en est.<br />
Nous avons vu évoluer notre enfant sans pouvoir le<br />
toucher, c’était dur, mais émouvant en même temps.<br />
Mais les mé<strong>de</strong>cins nous ont dit que cela était normal<br />
car c’est un prématuré. Après quatre mois à l’hôpital<br />
<strong>de</strong> Chambéry, ils ont transféré notre enfant à l’hôpital<br />
d’Annemasse et il y est resté un mois. J’ai enfin osé<br />
le prendre dans mes bras. C’est à ce moment-là que<br />
j’ai ressenti un grand bonheur. Je me suis juré <strong>de</strong> le<br />
protéger et <strong>de</strong> m’en sortir pour pouvoir vraiment<br />
m’occuper <strong>de</strong> lui. Nous avons appris à le changer ».<br />
K.<br />
« Quand je suis arrivée en France, j’ai trouvé<br />
que c’était un pays merveilleux. J’ai aimé la cuisine,<br />
l’organisation par exemple pour le ramassage <strong>de</strong>s<br />
poubelles. J’ai aimé aussi l’hiver et la neige.<br />
Maintenant, il y a <strong>de</strong>s choses que je n’aime pas.<br />
Je trouve qu’on ne voit pas beaucoup d’enfants<br />
dans les rues, ils sont tous à la maison ou dans les<br />
crèches. On voit plus <strong>de</strong> chiens et <strong>de</strong> chats que <strong>de</strong><br />
petits enfants. On voit aussi beaucoup <strong>de</strong> personnes<br />
âgées, beaucoup plus que dans mon pays. Je vois aussi<br />
beaucoup <strong>de</strong> jeunes <strong>de</strong> 13 ou 14 ans qui fument et<br />
les filles se maquillent très jeunes et ne s’habillent pas<br />
comme chez nous.<br />
Je trouve que les Français ne parlent pas<br />
beaucoup avec les étrangers, ils ne sont pas très<br />
chaleureux. Beaucoup <strong>de</strong> choses me manquent, le<br />
climat tropical, ma famille, la nourriture <strong>de</strong> chez moi.<br />
En fait, tout me manque... ».<br />
R.<br />
« Il y a environ <strong>de</strong>ux ans, j’étais en compagnie<br />
<strong>de</strong> quatre collègues. On avait décidé <strong>de</strong> passer la<br />
soirée ensemble, histoire <strong>de</strong> faire la fête pour oublier<br />
la galère. Pour picoler on s’est installé au <strong>de</strong>rnier<br />
étage d’une tour, dans les escaliers. Je parlais avec<br />
mes collègues, quand subitement en pleine<br />
conversation on aurait dit que Dieu m’a mis une<br />
grosse gifle dans la tête, et je me suis levé d’un coup<br />
sec. J’ai vu mon copain passer sa <strong>de</strong>uxième jambe<br />
<strong>de</strong>rrière la petite fenêtre, et il était <strong>de</strong>bout sur une<br />
petite bordure <strong>de</strong> 20 cm et il était K.O, rempli<br />
d’alcool. Il était au bout du rouleau à cause <strong>de</strong> ses<br />
problèmes familiaux très graves. C’était pas la<br />
première fois qu’il faisait le con, comme ça.<br />
Quand je l’ai vu, j’ai couru et je l’ai attrapé.<br />
A ce moment-là, il se laissait glisser dans le vi<strong>de</strong>. Sa<br />
vie était entre mes bras. J’ai appelé mes collègues<br />
pour qu’ils viennent m’ai<strong>de</strong>r, mais ils sont restés sans<br />
bouger. J’ai cru que je n’y arriverais pas, mon copain<br />
faisait 80 kilos et moi, je n’étais pas dans ma<br />
meilleure forme. Mais avec les nerfs, heureusement, j’ai<br />
réussi à le ramener dans l’escalier. Je me suis senti<br />
heureux et important. Honnêtement, je me serais levé<br />
cinq secon<strong>de</strong>s plus tard il ne serait plus là<br />
aujourd’hui. Je lui ai sauvé la vie et j’en suis fier ».<br />
S.<br />
« Il y a bientôt <strong>de</strong>ux ans que je suis incarcérée<br />
et je réalise que je n’ai jamais vraiment souffert <strong>de</strong><br />
cette privation <strong>de</strong> liberté. Bien sûr je ne parle pas<br />
<strong>de</strong> la séparation d’avec mes <strong>de</strong>ux enfants. Je me suis<br />
tout <strong>de</strong> suite sentie en sécurité ici, protégée par ces<br />
murs, comme par une paroi utérine. Je pouvais<br />
commencer à préparer ma renaissance. Pour m’en<br />
sortir vivante, j’avais besoin <strong>de</strong> faire le point sur mon<br />
passé, et aujourd’hui, je peux dire que je me suis<br />
reconstruite, j’ai repris confiance en moi, je me sens<br />
quelqu’un. La vie n’a jamais été aussi présente en<br />
moi, plus forte que la lassitu<strong>de</strong>, les doutes et la<br />
colère. Les murs et la psy. <strong>de</strong> la prison m’ont permis<br />
d’avoir une réflexion sur moi-même qui m’a sauvée.<br />
L’amour <strong>de</strong> mes enfants m’a beaucoup aidée, ils sont<br />
ma force, mon courage et ma fierté.<br />
La prison a aussi été une sacrée expérience sur<br />
la nature humaine. J’ai cohabité avec <strong>de</strong>s personnes<br />
que je n’aurais même pas regardées <strong>de</strong>hors, j’ai<br />
partagé mon intimité comme jamais je ne le ferai<br />
avec un homme, j’ai appris à conjuguer avec <strong>de</strong>s<br />
caractères tellement éloignés <strong>de</strong> moi, j’ai appris en<br />
vivant avec d’autres milieux que le mien. Le quartier<br />
femmes est petit et les surveillantes ont du temps<br />
pour nous écouter, nous ai<strong>de</strong>r et gérer le moindre<br />
débor<strong>de</strong>ment. Même si nous n’avons pas assez<br />
d’activité, je trouve toujours une occupation, j’écris<br />
beaucoup, je lis, je bricole et le travail pénal structure<br />
le temps et me permet <strong>de</strong> subvenir à mes besoins.<br />
Je suis responsable du travail pénal <strong>de</strong>puis vingt mois<br />
et je pense que cette responsabilité a participé à ma<br />
reconstruction mentale.<br />
J’ai été jugée et maintenant je pense à<br />
préparer ma sortie en libération conditionnelle. Même<br />
si moi, j’ai la chance d’avoir du soutien et <strong>de</strong>s<br />
perspectives pour ma sortie, ce n’est pas le cas <strong>de</strong><br />
tout le mon<strong>de</strong>. Je crois qu’il faudrait plus <strong>de</strong> moyens<br />
pour la réinsertion, ne jamais sortir sans rien.<br />
Je ne remercierai jamais assez ma famille et<br />
mes amis qui me soutiennent <strong>de</strong>puis le début. Grâce<br />
à eux, je peux penser à un futur. Je sais maintenant,<br />
que j’ai ma place dans « la vie après la prison ». Je<br />
sais que mes enfants ont grandi, qu’ils m’atten<strong>de</strong>nt<br />
avec amour malgré leur colère et leur chagrin ».<br />
J-M.<br />
« Je vis en caravane <strong>de</strong>puis toujours. C’est une<br />
façon <strong>de</strong> vivre en camping toute l’année. On fait<br />
chauffer son eau pour se laver et on est libre <strong>de</strong> faire<br />
un feu quand on veut pour <strong>de</strong>s grilla<strong>de</strong>s. Quand on<br />
ouvre sa porte, on est dans la nature. C’est ma façon<br />
<strong>de</strong> vivre. Je n’en connais pas d’autre et je ne voudrais<br />
pas en changer.<br />
Quand j’étais jeune, on vivait en famille, on<br />
avait <strong>de</strong>s lits superposés. On était quatre frères et<br />
sœurs dans une petite chambre. Et on était bien. J’ai<br />
36 ans, j’ai 3 enfants et je suis 2 fois grand-père. Je<br />
vis avec mon papa et un <strong>de</strong> mes frères. On a une<br />
vie très simple, on se serre les cou<strong>de</strong>s. Je suis bien<br />
dans ma caravane et j’y resterai toute ma vie ».
ATELIER PHILO - CLAIRE RÖSLER 5<br />
« L'atelier <strong>de</strong> philosophie nous<br />
a permis, cette année, d'avancer<br />
ensemble sur <strong>de</strong>s chemins <strong>de</strong> pensée<br />
inédits, dont voici quelques sentiers.<br />
Ces promena<strong>de</strong>s philosophiques, dans<br />
la salle <strong>de</strong> cours au bout du couloir<br />
fermé, nous auront offert à chacun<br />
<strong>de</strong>s paysages intérieurs nouveaux et,<br />
je l'espère, <strong>de</strong>s<br />
horizons ouverts,<br />
malgré tout.<br />
La teneur <strong>de</strong>s débats, et la qualité <strong>de</strong> ces<br />
moments <strong>de</strong> réflexion partagés, est perceptible à la<br />
profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s pensées exprimées. Je salue avec un<br />
respect infini le courage et l'intelligence <strong>de</strong> tous les<br />
détenus qui, à l'exemple <strong>de</strong> Sisyphe, sont parvenus à<br />
hisser le poids <strong>de</strong> leur condition au sommet <strong>de</strong>s<br />
pensées créatrices. Il est admirable <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> soi,<br />
en osant exprimer <strong>de</strong>s idées personnelles, alors que<br />
l'enfermement carcéral constitue une clôture qui, en<br />
entravant la liberté, menace l'accès à la parole. Ces<br />
textes sont <strong>de</strong>s victoires gagnées sur les pesanteurs<br />
et les fatalités. Ils s'enracinent sur <strong>de</strong>s terrains<br />
chaotiques, mais portent <strong>de</strong>s fruits savoureux et <strong>de</strong>s<br />
fleurs printanières. Ils sont riches <strong>de</strong>s promesses<br />
d'espérance et <strong>de</strong>s semences d'avenir.<br />
Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux lecteurs <strong>de</strong> prendre la mesure<br />
<strong>de</strong> ce que représentent ces mots : ils sont un appel,<br />
un cri, un essai pour ne pas cé<strong>de</strong>r à la tentation du<br />
désespoir. Leur mo<strong>de</strong>stie, leur fragilité, leur éventuelle<br />
imperfection, sont le reflet d'une situation qu'il est<br />
difficile <strong>de</strong> concevoir. Au détour <strong>de</strong>s lignes, vous<br />
entendrez le bruit métallique <strong>de</strong>s grilles qui se<br />
ferment, vous sentirez le poids du temps figé entre<br />
<strong>de</strong>s murs, vous côtoierez quelques moments la<br />
privation <strong>de</strong> liberté, son vertigineux silence et son<br />
cortège <strong>de</strong> souffrances. Imaginez un instant les<br />
conditions dans lesquelles ces textes ont vu le jour :<br />
pendant les quelques heures volées aux cellules<br />
étriquées, bruyantes et surchargées, sur <strong>de</strong>s tables<br />
précaires et <strong>de</strong>s feuillets incertains, voyez un détenu<br />
s'efforçant d'échapper aux rouages du mal-être, aux<br />
morsures paralysantes <strong>de</strong> la tristesse et du dégoût,<br />
résistant à la dureté d'un huis-clos étouffant, essayant<br />
<strong>de</strong> penser, <strong>de</strong> parler, d'écrire. Peut-être serez-vous<br />
touchés par ces essais, trempés dans l'encre noire <strong>de</strong><br />
la vie. Alors peut-être sentirez-vous peu à peu grandir<br />
en vous un sentiment étrange et bienfaisant, qui par<strong>de</strong>là<br />
les murs <strong>de</strong> toutes les prisons, dans les têtes et<br />
les nations, en pierres ou en béton, rejoint un<br />
espace infini <strong>de</strong> compassion. De ces profon<strong>de</strong>urs<br />
insoupçonnées, <strong>de</strong> cette rencontre avec la conscience<br />
<strong>de</strong> l'humanité, vous reviendrez porteurs d'un regard<br />
neuf, aimant, simple, sans jugement. La clémence<br />
neutralise la démence, par ses armes <strong>de</strong> paix ».<br />
A MES DETENUS<br />
<strong>LES</strong> MAINS D'OPALE.<br />
Vous m'avez <strong>de</strong>mandé un poème<br />
Qui serait pour vous l'emblème<br />
D'un temps au-<strong>de</strong>là du temps<br />
Sans haine et sans jugement.<br />
Il y aurait une infinie clémence<br />
Qui nous sortirait <strong>de</strong> la démence,<br />
D'un mon<strong>de</strong> incertain et hautain,<br />
Pour re<strong>de</strong>venir humble et humain.<br />
Nous irions sur <strong>de</strong>s chemins d'avenir,<br />
Découvrir les regards du sourire.<br />
Les reflets <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>s cristallins<br />
Eclaireraient <strong>de</strong> nouveaux matins.<br />
Dans la limpidité calme <strong>de</strong>s consciences,<br />
Nous irions cueillir <strong>de</strong>s fleurs <strong>de</strong> patience,<br />
Qui <strong>de</strong>ssineraient une belle révérence<br />
Aux couleurs limpi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'enfance.<br />
Parler en silence nous serait un plaisir<br />
Car <strong>de</strong> tout nous saurions nous réjouir.<br />
Chacun verrait dans le regard d'autrui<br />
Des voies <strong>de</strong> nuit aux douceurs infinies.<br />
La poésie suprême est celle <strong>de</strong> la vie<br />
Il faut encore l'écrire, en être le génie,<br />
Devenons ces parchemins <strong>de</strong> vérité,<br />
Ces songes calmes, ces rêves d'éternité.<br />
Les voix <strong>de</strong> l'intérieur <strong>de</strong> grilles fermées,<br />
Parlent à l'extérieur, parloir <strong>de</strong> liberté,<br />
Une photo éléphant, un arbre merveilleux,<br />
C'est amusant, et pourtant très sérieux.<br />
Alors les mots, sortant <strong>de</strong> la banalité,<br />
Retrouveront une saveur d'humanité.<br />
Ces mots, les vôtres, vous, les détenus,<br />
Reçoivent <strong>de</strong>s mains d'opale tendues.
6<br />
CITATIONS COMMENTÉES<br />
F.<br />
« RIEN NE SERT DE COURIR, IL VAUT MIEUX<br />
PARTIR À L’HEURE ».<br />
« Il ne faut pas confondre efficacité et précipitation.<br />
Ce proverbe signifie qu’il ne faut pas surestimer ses<br />
compétences. On peut évoquer l’exemple du lièvre et<br />
<strong>de</strong> la tortue. Le lièvre se fait rattraper par la lente<br />
tortue, car il croyait être plus fort et plus rapi<strong>de</strong> et<br />
à la fin, il court pour essayer <strong>de</strong> la rattraper, mais<br />
c’est trop tard. Pour moi, ce proverbe peut finalement<br />
signifier qu’il faut préférer la qualité (faire les choses<br />
au bon moment et tranquillement) à la quantité<br />
(vouloir faire beaucoup <strong>de</strong> choses trop vite et donc<br />
mal) ».<br />
J-P.<br />
« IL VAUT MIEUX AVOIR LA TÊTE BIEN FAITE<br />
QUE BIEN PLEINE » MONTAIGNE.<br />
« On dit que l’instruction et l’intelligence se<br />
complètent, mais parfois, elles ne vont pas <strong>de</strong> pair.<br />
Un homme instruit en a plein la tête, mais est-ce<br />
suffisant ? S’il a l’intelligence en plus, alors cela va.<br />
En tous les cas, je crois qu’un être intelligent, mais<br />
pas forcément instruit, s’en tirera toujours mieux<br />
qu’un érudit pas astucieux ».<br />
J-J.<br />
« L’AMOUR N’EST PAS AVEUGLE, IL EST<br />
AVEUGLANT » YVAN AUDOUARD.<br />
« Effectivement, l’amour peut parfois être aveuglant<br />
quand les sentiments sont si forts qu’ils peuvent être<br />
<strong>de</strong>structeurs et qu’ils annihilent la perception logique<br />
<strong>de</strong>s choses ».<br />
C.<br />
« AIE LE COURAGE DE PENSER PAR TOI-<br />
MÊME » KANT.<br />
« Dans nos sociétés stéréotypées, penser par soimême<br />
est difficile et courageux. Nous sommes formés<br />
par l’éducation <strong>de</strong> nos parents, puis par l’éducation<br />
nationale, et enfin par le milieu dans lequel on vit.<br />
On se masque <strong>de</strong>rrière une image passe-partout. Pour<br />
sortir <strong>de</strong> ce carcan, il faut beaucoup <strong>de</strong> maturité et<br />
<strong>de</strong> force <strong>de</strong> caractère ».<br />
SÉANCE SUR LA RÉSISTANCE<br />
C’EST QUOI LA RÉSISTANCE ?<br />
F. « Cela peut être le fait <strong>de</strong> résister face à une<br />
tentation plus ou moins forte. C’est la possibilité dont<br />
on dispose <strong>de</strong> se retenir face à quelque chose qui<br />
fait envie. Donc cela débouche sur un combat contre<br />
soi-même, contre <strong>de</strong>s tendances, en vue <strong>de</strong> se prouver<br />
qu’on est fort intérieurement ».<br />
J-P. « Il y a diverses résistances : la résistance<br />
physique face à l’effort, la résistance mentale face à<br />
<strong>de</strong>s idéologies non-conformes à son point <strong>de</strong> vue. La<br />
résistance lors <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> guerre mondiale<br />
associait les <strong>de</strong>ux (elle était physique et morale). Cette<br />
époque <strong>de</strong> notre histoire m’intéresse beaucoup, et<br />
pourtant, je ne l’ai pas vécue. Alors pourquoi ? Mes<br />
parents en ont souffert, ils étaient <strong>de</strong> jeunes Italiens<br />
et ils vivaient en France. Comme le fascisme <strong>de</strong><br />
Mussolini triomphait, ils n’étaient pas bien vus. Dans<br />
certaines familles, elles, bien françaises et savoyar<strong>de</strong>s,<br />
un garçon était dans la milice et un autre dans la<br />
résistance. Je crois qu’en ce temps-là, il en fallait très<br />
peu pour faire pencher la balance. Un beau parleur,<br />
un homme un peu faible, et voilà, on était embarqué<br />
dans une idéologie. Pour ma part, je ne sais pas dans<br />
quel camp j’aurais été. J’espère que j’aurais incorporé<br />
la résistance ».<br />
C. « Chaque individu a <strong>de</strong>s façons <strong>de</strong> résister<br />
personnelles. Les animaux résistent aux agressions<br />
extérieures. Pour l’être humain, qui a mis <strong>de</strong>puis<br />
longtemps ses instincts naturels en sommeil et qui<br />
s’est coupé <strong>de</strong> la nature jusqu’à en chambouler<br />
aujourd’hui l’équilibre, les attaques extérieures ne<br />
sont pas les seules attaques auxquelles il doit résister.<br />
A ses besoins primitifs, l’homme en a ajouté d’autres<br />
qui conditionnent nos vies actuelles (argent, pouvoir,<br />
réussite sociale sont les buts avoués <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong><br />
gens). Peut-on résister à ces tendances ? L'homme en<br />
veut toujours plus. Il est indispensable <strong>de</strong> lui mettre<br />
<strong>de</strong>s limites à ne pas franchir (par le biais <strong>de</strong> la<br />
religion, <strong>de</strong>s lois, <strong>de</strong> son éducation) ».<br />
JE VEUX RÉSISTER, OUI,<br />
MAIS À QUOI ? ET COMMENT ?<br />
J-P. « Je veux résister à boire <strong>de</strong> l’alcool et faire<br />
la fête. D’un côté, c’est facile <strong>de</strong> résister : pour moi,<br />
il suffit que je ne sorte pas, que je ne voie pas<br />
d’amis, car qui dit alcool dit convivialité. Je n’éprouve<br />
aucun besoin <strong>de</strong> boire <strong>de</strong> l’alcool quand je suis seul<br />
à la maison ou ailleurs. Par contre, j’aime trop<br />
l’ambiance conviviale d’un bar. Je résiste au début,<br />
durant les premiers verres, puis, ma résistance<br />
s’amenuise. L’alcool me transforme et m’anéantit. C’est<br />
sans doute pour cela qu’on enivrait les soldats avant<br />
<strong>de</strong> les envoyer au casse-pipe. Bon, mais moi, je veux<br />
m’en sortir, alors je vais m’efforcer <strong>de</strong> résister ».<br />
C. « Moi, personnellement, j’ai voulu résister au<br />
besoin <strong>de</strong> réussite sociale qui façonne notre société. Il<br />
me suffit d’avoir mes enfants en bonne santé, une<br />
femme aimante et heureuse, un travail qui me convient.<br />
On ne prend plus le temps <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong> la vie, <strong>de</strong>s<br />
personnes que l’on aime. On n’arrête pas <strong>de</strong> courir, sans<br />
raison réelle. Se donner un but dans la vie permet, dans<br />
la mesure où l’on suit ce chemin, d’apaiser, ou <strong>de</strong><br />
dompter ses démons. Il est vrai qu’il faut résister, mais<br />
trouver la paix, c’est encore mieux ».
SÉANCE SUR LE NORMAL<br />
ET LE PATHOLOGIQUE<br />
QU'EST-CE QUE CELA SIGNIFIE :<br />
ÊTRE « NORMAL » ?<br />
M. « Etre normal, c'est être comme tout le mon<strong>de</strong><br />
à l'extérieur. Suivre la même routine, accepter les lois<br />
établies, et les suivre sans jamais s'y opposer. Au fond,<br />
c'est faire le mouton. Mais, c'est oublier que personne<br />
n'est pareil ! ».<br />
K. « Etre normal, c'est une maladie créée par<br />
l'homme ! Est-ce que l'on <strong>de</strong>vient anormal par une<br />
erreur ? L'erreur est humaine ».<br />
G. « Pour moi, être normal se définit par nos idées<br />
positives, notre côté humaniste, notre joie <strong>de</strong> vivre,<br />
l'amour <strong>de</strong> son prochain ».<br />
B. « La normalité, c'est l'image renvoyée par tous<br />
les vecteurs sociaux, médiatiques, qui font que l'on<br />
doit tous se ressembler ; si l'on en sort, on risque <strong>de</strong><br />
s'exclure et <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir « anormal ». Mais la seule<br />
puissance, c'est d'être sincère et donc <strong>de</strong> faire<br />
résolument les choses que l'on veut, que l'on aime,<br />
et tant pis si l'on est jugé... ».<br />
A. « Etre normal, c'est être taillé comme le co<strong>de</strong><br />
pénal. Souvent, c'est un terme qui nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en<br />
fait d'être quelqu'un d'autre... ».<br />
R. « Etre normal présuppose que l'on soit comme<br />
tout le mon<strong>de</strong>. Or, cela est impossible, car personne<br />
n'est i<strong>de</strong>ntique à l'autre. Personne ne correspond à la<br />
perfection <strong>de</strong> la « norme » et il est cruel d'en<br />
postuler une : les handicapés et les mala<strong>de</strong>s mentaux<br />
le savent ».<br />
L'EMPLOI DE CE TERME PEUT-IL<br />
DEVENIR DANGEREUX ?<br />
L. « L'emploi <strong>de</strong> ce terme est souvent blessant et<br />
exclut <strong>de</strong>s gens. Il <strong>de</strong>vient dangereux lorsqu'il conduit<br />
à exclure du travail, interdire l'accès au logement,<br />
couper <strong>de</strong> la société. Ceux qui ont <strong>de</strong>s problèmes<br />
psychologiques sont souvent marginalisés ».<br />
M. « Oui, il peut <strong>de</strong>venir dangereux, car il consiste<br />
à juger <strong>de</strong>s gens. Et cela a pour conséquence que<br />
souvent on ne dit pas le fond <strong>de</strong> sa pensée, on essaye<br />
<strong>de</strong> coller à une image qui n'est pas nous ».<br />
J. « Pour être normal dans notre société, il faut<br />
avoir un revenu minimum qui permet <strong>de</strong> s'assumer<br />
(d'ailleurs cela influe sur le regard <strong>de</strong>s autres). Mais,<br />
en fait, être normal, c'est plutôt être conscient <strong>de</strong> soi,<br />
maîtriser son corps et son esprit. Il ne faut pas se<br />
laisser envahir par <strong>de</strong> mauvaises pensées, il faut<br />
parvenir à une vie stable et simple ».<br />
K. « Oui, ce terme peut <strong>de</strong>venir dangereux. Il<br />
conduit à introduire plusieurs catégories dans<br />
l'humanité, en fonction <strong>de</strong> sa classe sociale,<br />
<strong>de</strong> son savoir, <strong>de</strong> sa culture, et surtout <strong>de</strong> son image.<br />
Ce terme sépare l'homme <strong>de</strong> l'homme ».<br />
A. « Oui, s'il cautionne le racisme, <strong>de</strong>s guerres ou<br />
<strong>de</strong>s dictatures. Hitler s'est servi <strong>de</strong> l'idée <strong>de</strong> normalité<br />
(la race aryenne) pour exercer une violence terrible ».<br />
B. « Il est certain qu'avec certaines visions du<br />
mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s choix <strong>de</strong> société, le terme <strong>de</strong><br />
« normalité » peut <strong>de</strong>venir extrêmement néfaste,<br />
voire pire, comme nous le montrent certains exemples<br />
du passé qui ont voulu imposer une normalité, une<br />
uniformité : cela conduit à <strong>de</strong>s désastres ».<br />
A. « Oui, et c'est pour cela que je ne serai jamais<br />
« normal ». Le <strong>de</strong>venir, ce serait comme vouloir qu'un<br />
oiseau ne décolle pas ses pattes du sol ! »<br />
LE « HANDICAP » EST-IL SEULEMENT<br />
« PHYSIQUE » OU « MENTAL » ?<br />
EST-IL, SELON VOUS, POSSIBLE DE<br />
PARLER DE « HANDICAP SOCIAL » ?<br />
M. « Non, il ne faut pas utiliser le même terme<br />
pour désigner <strong>de</strong>s choses distinctes. Il ne s'agit pas<br />
du même combat : le « handicap » social peut être<br />
dépassé. Il est possible <strong>de</strong> s'en sortir en fonction <strong>de</strong><br />
sa motivation. Par le travail par exemple. Le handicap<br />
physique ou mental est une chose qui vous suit tout<br />
le temps ».<br />
J. « Le handicap est physique et mental. C’est une<br />
barrière du corps ou <strong>de</strong> l'esprit. En ce sens, s’entourer<br />
<strong>de</strong> la barrière <strong>de</strong>s préjugés, c'est être handicapé<br />
mentalement ! Le « handicap » social signifie : être en<br />
marge. Les gens du voyage sont marginalisés et ne<br />
peuvent que très difficilement dépasser cette barrière.<br />
L’illettrisme est aussi une limitation qui tend à exclure.<br />
J'ai une profon<strong>de</strong> colère au sujet <strong>de</strong>s personnes qui<br />
abusent <strong>de</strong> la faiblesse <strong>de</strong>s handicapés ! ».<br />
K. « Oui, le handicap social existe, mais je pense<br />
qu'il régresse grâce à la soif <strong>de</strong> réussite. Avoir un<br />
handicap peut donner plus <strong>de</strong> force pour avancer<br />
dans la vie. Mieux vaut avoir un « handicap »<br />
quelconque plutôt que <strong>de</strong> rester dans la sclérosante<br />
normalité ! ».<br />
G. « Non, un handicap n'est pas seulement<br />
physique ou mental, il peut être social aussi. On ne<br />
vous donne pas toujours la chance <strong>de</strong> pouvoir<br />
développer vos talents. A-t-on le droit <strong>de</strong> pouvoir<br />
s'exprimer ? ».<br />
A. « Pour moi, le handicap social n'existe que si<br />
on l'entretient : certaines personnes ont la flemme<br />
d'aller au travail et profitent <strong>de</strong>s dons sociaux ».<br />
B. « La notion <strong>de</strong> handicap est très vaste. C'est l'image<br />
qui nous est renvoyée par les autres. Lorsque l'on est<br />
diminué physiquement ou mentalement, les autres nous<br />
jugent. Le handicap social est peut-être le plus insidieux<br />
et le plus courant, car il touche une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> la<br />
population. Il est difficile d'en sortir : <strong>de</strong>s ghettos se<br />
forment. Les préjugés sont parfois plus forts que la<br />
volonté <strong>de</strong> s'en sortir, c'est triste, non ? »<br />
R. « Souvent, les personnes handicapées ont <strong>de</strong><br />
gran<strong>de</strong>s forces en elles pour surmonter leurs<br />
limitations ».<br />
7
8<br />
SÉANCE PHILO SUR<br />
« LA FEMME »<br />
POUR DES FEMMES.<br />
(Participation <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux formateurs qui ont<br />
accepté d'écrire, eux aussi, sur la femme).<br />
QU'EST-CE QUE CELA SIGNIFIE POUR<br />
VOUS : ÊTRE UNE FEMME ? SIMONE<br />
DE BEAUVOIR SOUTIENT QU'ON<br />
« NE NAÎT PAS FEMME, ON LE DEVIENT ».<br />
PARTAGEZ-VOUS SON IDÉE ?<br />
S. « Etre une femme, c'est donner la vie, pour moi,<br />
c'est une suite logique et naturelle. Nous avons toutes<br />
en nous une part <strong>de</strong> masculinité, comme les hommes<br />
ont aussi une part <strong>de</strong> féminité ».<br />
A. « La femme est responsable, donne <strong>de</strong>s enfants,<br />
soutient son mari, éduque ses enfants, s'occupe <strong>de</strong> son<br />
foyer, elle est battante ».<br />
K. « Je suis une femme paumée.<br />
Je voudrais sortir d'ici ».<br />
A. « Non, on ne naît pas femme, on naît du sexe<br />
féminin et on <strong>de</strong>vient une femme quand<br />
il y a un déclic qui peut venir <strong>de</strong> la rencontre avec<br />
un homme, <strong>de</strong> la venue d'un enfant ».<br />
G. « Connaître son corps, l'amour, la vie ».<br />
C. « Simone <strong>de</strong> Beauvoir fait penser aux « garçons<br />
manqués ». Il y a une part importante qui revient à<br />
l'éducation. On fait référence à <strong>de</strong> très anciens<br />
modèles. Les activités proposées aux filles sont<br />
souvent différentes <strong>de</strong> celles proposées aux garçons<br />
comme en témoignent les catalogues <strong>de</strong> jouets à Noël<br />
(pages roses <strong>de</strong>stinées à formater les filles aux tâches<br />
domestiques, pages aux couleurs plus vives pour les<br />
garçons qui se doivent d'être bricoleurs, aventuriers,<br />
soldats...). Mais faire la cuisine, le ménage, le<br />
repassage, en quoi est-ce typiquement féminin ? ».<br />
EST-CE QU'UNE FEMME DOIT ÊTRE BELLE ?<br />
QUE SIGNIFIE CETTE PHRASE DE PAUL<br />
RAYNAL : « IL NE SUFFIT PAS, POUR<br />
ÊTRE BELLE, D'ÊTRE BELLE » ?<br />
P. « Je pense qu'une femme avec une beauté<br />
intérieure est beaucoup plus mystérieuse qu'une<br />
femme au corps parfait qu'un homme aimerait avoir<br />
pour un instant, mais en aucun cas pour la vie ».<br />
S. « Oui, mais elles le sont toutes, à nous <strong>de</strong> savoir<br />
mettre en valeur nos qualités. Nous avons toutes un<br />
certain charme ou un charme certain ! ».<br />
K. « Cet écrivain respecte beaucoup la femme ».<br />
A. « La beauté n'est pas seulement physique, la<br />
plus belle beauté vient <strong>de</strong> l'intérieur. On peut dire<br />
d'une femme qu'elle est vraiment belle quand sa<br />
beauté intérieure est aussi belle que sa beauté<br />
physique. Ce qui constitue pour moi la beauté<br />
intérieure, c'est la gentillesse, l'honnêteté, la franchise,<br />
le respect <strong>de</strong>s gens, le calme <strong>de</strong> la personne et<br />
l'ouverture d'esprit ».<br />
G. « Une femme doit être belle pour se sentir<br />
bien dans sa peau ».<br />
C. « Qu'est-ce que c'est être belle ? L'art montre<br />
qu'il y a <strong>de</strong>s variations importantes <strong>de</strong> ce qui est<br />
considéré comme beau. Il suffit <strong>de</strong> se rappeler <strong>de</strong>s<br />
tableaux ou <strong>de</strong>s sculptures <strong>de</strong> femmes ron<strong>de</strong>s. Marilyn<br />
Monroe ne serait plus « belle » aujourd'hui. Etre<br />
« belle », c'est se soumettre aux exigences du<br />
moment, sans savoir d'où elles viennent ».<br />
D. « Je parlerai plutôt <strong>de</strong> séduction. On ne doit<br />
pas nécessairement être belle pour séduire. Pour<br />
séduire, il suffit d'agir. La beauté ou la lai<strong>de</strong>ur<br />
m'évoquent l'idée <strong>de</strong> fatalité. Alors que l'on peut<br />
toujours espérer <strong>de</strong>venir séduisante par <strong>de</strong>s actes et<br />
pas seulement par une apparence ».<br />
LA FEMME EST-ELLE PLUS FRAGILE QUE<br />
L'HOMME ? M ME DU DEFFAND AFFIRME :<br />
« <strong>LES</strong> FEMMES NE SONT JAMAIS<br />
PLUS FORTES QUE LORSQU'EL<strong>LES</strong><br />
S'ARMENT DE FAIB<strong>LES</strong>SE ».<br />
ETES-VOUS D'ACCORD AVEC ELLE ?<br />
P. « Je trouve que la femme est plus combative<br />
que l'homme et qu'elle peut aller plus loin dans ses<br />
efforts. Quand elle a pris une décision dans sa vie<br />
privée ou sa vie active, elle est déterminée. Mais elle<br />
peut être soumise parfois, et se sentir très faible ».<br />
S. « Oh non ! La femme a une force mentale à<br />
toute épreuve, l'art <strong>de</strong> gérer beaucoup <strong>de</strong> situations<br />
et <strong>de</strong> relever la tête plus rapi<strong>de</strong>ment que l'homme.<br />
Un homme se renferme. Une femme s'ouvre et parle<br />
face à une difficulté, ce qui l'ai<strong>de</strong> à avancer ».<br />
K. « Je suis fragile ».<br />
G. « Oui, la femme est plus fragile : elle a plus<br />
d'émotions dans son cœur. Elle a plus facilement <strong>de</strong>s<br />
larmes aux yeux que les hommes ».<br />
C. « Je pense à Bourdieu et à sa théorie sur la<br />
domination masculine. Des hommes souffrent du fait qu'on<br />
leur refuse le droit à la faiblesse. A force <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir gar<strong>de</strong>r<br />
une apparence et cacher leurs souffrances, certains sont<br />
acculés au suici<strong>de</strong>, preuve s'il en est besoin <strong>de</strong> leurs<br />
faiblesses non réservées aux femmes. Cette citation ne ditelle<br />
pas qu'en n'affrontant pas <strong>de</strong> face, on peut obtenir<br />
plus en faisant comme si on se soumettait ? ».<br />
D. « L'homme est aussi fragile parce qu'il est plus<br />
habité par l'idée <strong>de</strong> la performance. On se doit <strong>de</strong><br />
réussir, d'être fort, et l'échec est plus difficile à<br />
porter. On tendra plus facilement la main à une<br />
femme fragile. La fragilité sera reçue comme un<br />
défaut chez l'homme ».
L’EXTERIEUR VOUS A ENTENDU 9<br />
Pour que les « voix intérieures » soient entendues, j'ai <strong>de</strong>mandé à <strong>de</strong>s amis et collègues, écrivains, artistes, philosophes,<br />
universitaires, historiens ou témoins <strong>de</strong> la déportation d'écrire aux détenus. Je tiens à leur exprimer à tous ma très vive<br />
reconnaissance, car leurs mots et leurs œuvres ont profondément interpellé les prisonniers, comme en témoignent les écrits qui<br />
ont été rédigés en réponse. Un merci tout particulier à Marcel Tamet-Crozet qui nous a offert toutes les photographies qui<br />
illustrent ce journal (mis à part « l'arbre-éléphant » <strong>de</strong> Marie-Christine Schrijen). Un grand merci à l'artiste Kaviiik pour ses<br />
illustrations.<br />
L'extérieur a répondu à l'appel <strong>de</strong> l'intérieur. Et à travers les murs, <strong>de</strong>s paroles se sont échangées, reliant <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s parfois<br />
très éloignés et permettant, par-<strong>de</strong>là l'enfermement, <strong>de</strong> stimulantes rencontres : un vent <strong>de</strong> liberté a soufflé dans les murs...<br />
Je souhaite remercier <strong>de</strong> tout cœur tous les détenus qui, malgré leur situation<br />
difficile, ont eu le courage et la bonté d'écrire à leur tour. Lors <strong>de</strong> la rédaction <strong>de</strong><br />
ces textes, nous avons vécu <strong>de</strong>s moments marquants qui resteront gravés dans nos<br />
mémoires. Je souhaite qu'ils soient <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> lumière pour nous ai<strong>de</strong>r, chacun,<br />
à traverser les moments éprouvants, car ces échanges ont été vivifiants,<br />
constructifs et profondément touchants.<br />
LUC FERRY<br />
PHILOSOPHE, ANCIEN MINISTRE<br />
DE L'ÉDUCATION<br />
« J'ai fort apprécié vos voix intérieures. Je les<br />
ai lues et entendues avec le plus grand intérêt. J'ai<br />
été très touché par la profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s réflexions dont<br />
elles témoignent. Tous mes vœux pour l'avenir. Très<br />
chaleureusement à vous, avec mes plus cordiales<br />
pensées, Luc Ferry »<br />
RÉPONSE DE J.<br />
Claire Rösler.<br />
« Monsieur le Ministre,<br />
Je tiens à vous remercier profondément pour<br />
l'écoute et le soutien que vous nous témoignez. Vous<br />
avez pris le temps pour essayer <strong>de</strong> nous comprendre,<br />
pour nous répondre alors qu'il n'y a pas <strong>de</strong> point<br />
d'attachement entre nous. Je trouve aimable <strong>de</strong> votre<br />
part d'avoir été touché par notre souffrance, en tant<br />
que prisonniers. J'ai bien aimé que vous nous ayez<br />
considérés comme <strong>de</strong>s êtres humains, malgré nos<br />
erreurs, et que vous ne nous ayez pas jugés pour nos<br />
actes. Merci <strong>de</strong> nous avoir souhaité du bonheur et le<br />
meilleur pour l'avenir.<br />
Je tiens à vous faire remarquer que votre programme<br />
concernant l'éducation scolaire est bien constitué,<br />
mais il serait encore mieux d'augmenter les activités<br />
sportives et <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s réunions d'élèves avec <strong>de</strong>s<br />
débats, afin d'essayer <strong>de</strong> leur conseiller <strong>de</strong> ne pas<br />
brûler les étapes <strong>de</strong> la vie ».
10<br />
MICHEL BUTOR POÈTE ET ÉCRIVAIN<br />
SESAME<br />
Une voix <strong>de</strong> l’intérieur<br />
qui passe à travers le mur<br />
et <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à l’extérieur<br />
quelque moment d’attention<br />
je prépare dans ma tête<br />
un chant <strong>de</strong> libération<br />
serez-vous là pour l’entendre<br />
Une voix dans le silence<br />
rompu par le bruit <strong>de</strong>s clefs<br />
ranime le temps d’enfance<br />
où l’on découvrait les bois<br />
prédit le jour d’ouverture<br />
où l’on trouvera sa voix<br />
dans le mon<strong>de</strong> rajeuni<br />
Nous chercherons ensemble<br />
formules pour ouvrir<br />
les écluses coincées<br />
du fleuve <strong>de</strong>s fortunes<br />
Et ferons naviguer<br />
ta barque <strong>de</strong> sourires<br />
<strong>de</strong> phares en détresse<br />
jusqu'aux îles <strong>de</strong>s jeux<br />
Jusqu'aux feux <strong>de</strong> la paix<br />
jusqu'à l'exploration<br />
<strong>de</strong>s astres et <strong>de</strong>s bêtes<br />
sur les vagues du temps.<br />
Avec toute ma sympathie et ma<br />
compassion<br />
Michel Butor.<br />
RÉPONSE COLLECTIVE<br />
« Nous avons été très touchés par vos poèmes<br />
et votre message d'encouragement. Nous vous en<br />
remercions infiniment ».<br />
REPONSE DE B.<br />
« Le seule puissance, c'est d'être sincère ».<br />
REPONSE DE A.<br />
« L’Ange sait ce qu'il dit, mais le sage ne dit pas ce<br />
qu'il sait ».<br />
ANONYME<br />
« Nos murs ne s'arrêtent pas à ceux que l'on voit.<br />
Il faut vivre pour soi ! ».<br />
REPONSE DE L.<br />
« Remerciements pour ces quelques vers d'espoir ».<br />
REPONSE DE R.<br />
« Un grand merci pour vos poèmes qui ont été très<br />
touchants et nous ont offert un moment <strong>de</strong> bonheur<br />
lors <strong>de</strong> leur lecture. Encore un grand merci et que<br />
Dieu vous gar<strong>de</strong> ».<br />
REPONSE DE P.<br />
« Merci <strong>de</strong> ne pas oublier le mon<strong>de</strong> parallèle qui<br />
entoure votre société ».<br />
REPONSE DE J.<br />
« Je suis très honoré <strong>de</strong> l'attention que vous nous<br />
avez porté, pour un moment, j'ai continué à exister<br />
et à ne pas être oublié ».<br />
POÈME DE J.<br />
BATEAU DE PAPIER<br />
D'une plume importante<br />
Quelques mots à partager<br />
ont ravi mon âme <strong>de</strong> savoir<br />
Que je ne suis pas réduit à mes actes<br />
et au passé.<br />
Les mots ne sont que du vent,<br />
Mais ils soufflent fort<br />
Sur les murs qui m'entourent<br />
Et qui m'emprisonnent bien au-<strong>de</strong>là<br />
<strong>de</strong> l'instant.<br />
Au bruit du <strong>de</strong>rnier tour <strong>de</strong> clef, je<br />
découvrirai<br />
Un mon<strong>de</strong> qui n'a pas arrêté <strong>de</strong><br />
tourner sans moi<br />
Et pourtant je le contemplerai<br />
Comme si je venais <strong>de</strong> naître à<br />
nouveau.<br />
Ensemble avons ouvert l'écluse,<br />
Pour laisser s'échapper une barque<br />
Chargée d'émotions bienfaisantes.<br />
Quelques mots enfermés<br />
M'ont permis d'oublier la tempête<br />
affolante<br />
Et les vagues du temps contre les<br />
murs immenses.
ANDRÉ COMTE-SPONVILLE<br />
PHILOSOPHE, ÉCRIVAIN<br />
<strong>LES</strong> DEUX LIBERTÉS<br />
« La prison fait partie - avec le <strong>de</strong>uil, la<br />
maladie grave ou le handicap - <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s<br />
souffrances qu’on puisse imaginer. « Privation <strong>de</strong><br />
liberté », dit-on. Il s’agit ici <strong>de</strong> la liberté d’action<br />
(faire ce qu’on veut). Reste la liberté <strong>de</strong> l’esprit<br />
(penser ce qu’on veut, et d’abord ce qu’on sait être<br />
vrai). Que celle-ci ne console pas <strong>de</strong> la perte <strong>de</strong> cellelà,<br />
j’en suis convaincu. Mais la liberté d’action n’a non<br />
plus jamais suffi à la liberté <strong>de</strong> l’esprit, ni ne saurait<br />
en tenir lieu. Un fou qui fait ce qu’il veut, il n’est<br />
pas libre pour autant. Ni celui que la haine ou la<br />
colère gouverne. Aucune <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux libertés ne tient<br />
lieu <strong>de</strong> l’autre. C’est pourquoi les <strong>de</strong>ux sont<br />
nécessaires et méritent tous nos soins. Bon courage<br />
à vous, en prison comme à votre sortie. Et veillons<br />
tous, en tant que citoyens, à ce que cette privation<br />
<strong>de</strong> liberté soit la seule peine réellement imposée par<br />
l’incarcération. Tout le reste (humiliations, violences,<br />
brima<strong>de</strong>s…) n’est qu’une injustice <strong>de</strong> plus ».<br />
REPONSE DE A.<br />
« Bonjour Monsieur André Comte-Sponville,<br />
Je vous remercie pour le courrier que la prof.<br />
<strong>de</strong> philo. nous a fait parvenir à la maison d'arrêt.<br />
Je suis d'accord avec vous, si on se laisse emprisonner<br />
par la haine et la colère, on n'arrive plus à s'en<br />
sortir. Ici, dans la Maison d'Arrêt, on n'a plus notre<br />
liberté d'action, mais <strong>de</strong>hors, celle qu'on avait était<br />
déjà très réduite. La liberté est toujours accompagnée<br />
<strong>de</strong> limites, mais en se donnant les moyens, on peut<br />
en dépasser quelques-unes, et en particulier quand on<br />
est à plusieurs.<br />
La liberté intérieure, pour moi, ressemble à une<br />
fleur qu'il faut arroser, il faut en prendre soin, même<br />
si ce n'est pas évi<strong>de</strong>nt, et que cela <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
beaucoup d'efforts et <strong>de</strong> souffrances, surtout<br />
intérieure. Il faut résister à la tristesse et à ce qui<br />
détruit le cœur. L'ennemi le plus dangereux en prison,<br />
c'est l'inactivité et la paresse : certains ne font plus<br />
rien, ils se laissent aller, prennent <strong>de</strong>s cachets pour<br />
oublier. Ici, c'est une formation à une constante<br />
patience. Il faut que l'on <strong>de</strong>vienne plus fort que<br />
la porte fermée... ».<br />
11
12<br />
KAVIIIK ARTISTE<br />
Chien <strong>de</strong> nuit<br />
oublié...<br />
sa vie<br />
est un pourboire<br />
Pourtant il y a<br />
encore<br />
à renaître<br />
toujours<br />
Encore<br />
- à s'offrir -<br />
les mystères<br />
<strong>de</strong> vents détachés<br />
sans retour...<br />
Se donner<br />
aux fon<strong>de</strong>ments impérieux<br />
essentiellement<br />
sans réserve<br />
et recevoir<br />
<strong>de</strong>s pluies <strong>de</strong> fleurs chau<strong>de</strong>s<br />
foisonnantes<br />
<strong>de</strong> joies balbutiées<br />
ou affirmées<br />
S'ouvrir<br />
S'exiger – bleuté -<br />
en valeurs<br />
en fournaises circonflexes<br />
Laisser son temps<br />
à l'éphémère et<br />
parcourir son chemin<br />
épiloguant le durable...<br />
S'éveiller – émerveillé -<br />
grandi<br />
orné<br />
<strong>de</strong> son ciel capital...<br />
Encore !<br />
Très cordialement et chaleureusement,<br />
Kaviiik<br />
RÉPONSE DE K.<br />
« Ce poème est très touchant, cela permet <strong>de</strong><br />
s'éva<strong>de</strong>r, d'oublier toute pensée qu'on aimerait voir<br />
disparaître, et <strong>de</strong>venir une pensée joyeuse ».<br />
RÉPONSE DE J.<br />
« Ce poème m'a permis <strong>de</strong> m'éva<strong>de</strong>r spirituellement,<br />
avec le vent. Je remercie Monsieur Kaviiik pour ce<br />
poème, il apporte la joie, la confiance en soi. Les<br />
valeurs bleutées, les pluies vraies permettent la<br />
renaissance <strong>de</strong>s fleurs. La vie est merveilleuse pour<br />
celui qui la voit du bon côté.»<br />
RÉPONSE DE A.<br />
« Ange révolté <strong>de</strong>venu démon. La main qui donne le<br />
plus est la plus supérieure. Tant qu'il y aura <strong>de</strong> la<br />
vie, il y a <strong>de</strong> l'espoir. Profiter <strong>de</strong>s vents chauds et<br />
<strong>de</strong>s vents frais. S'ouvrir... à ses proches, à la famille.<br />
Prendre la vie comme un étranger dans ce mon<strong>de</strong><br />
éphémère. Merci pour votre poème ».
ALEXANDRE JOLLIEN<br />
PHILOSOPHE, ÉCRIVAIN<br />
« Bonjour, je suis <strong>de</strong> tout cœur avec vous et<br />
je forme tous mes vœux pour que cette expérience<br />
douloureuse soit une invitation à avancer vers la<br />
liberté intérieure, celle que personne ne peut nous<br />
arracher ».<br />
RÉPONSE DE A.<br />
« Merci pour ce message <strong>de</strong> votre part,<br />
qui s'adresse à toutes les formes d'exclusion, pas<br />
seulement à celles qui concernent la prison, mais qui<br />
parlent <strong>de</strong> tous les « handicapés <strong>de</strong> la vie ».<br />
Le manque <strong>de</strong> culture, l'ignorance, conduisent<br />
à l'enfermement <strong>de</strong> l'esprit. Pour se sentir libre, il faut<br />
passer par l'acceptation <strong>de</strong> soi, <strong>de</strong> son statut<br />
« d'handicapé <strong>de</strong> la vie ». Grâce à <strong>de</strong>s personnes<br />
telles que vous, nous ne pouvons nous permettre <strong>de</strong><br />
nous plaindre <strong>de</strong> l'enfermement choisi ».<br />
RÉPONSE DE M.<br />
« Nous ne partageons pas la même souffrance,<br />
mais votre soutien peut nous rendre fort pendant la<br />
détention. C'est un moment dur à encaisser, surtout<br />
quand c'est pour la première fois. Etant privé <strong>de</strong>s<br />
bienfaits <strong>de</strong> la vie extérieure, c'est une gran<strong>de</strong> leçon<br />
<strong>de</strong> courage que vous me transmettez. Je ne peux pas<br />
me plaindre <strong>de</strong> ma situation. Ce n'est pas une<br />
décision <strong>de</strong> la nature, où l'on doit subir ce que la<br />
vie vous inflige. Cela fait du bien <strong>de</strong> voir comment<br />
vous profitez <strong>de</strong> la vie et le courage que vous<br />
dégagez. La vie est un combat, mais elle est trop belle<br />
pour rester K.O. Ici, je comprends tout le sens <strong>de</strong> la<br />
liberté intérieure, pour vous, comme pour moi. Il y a<br />
une chose <strong>de</strong> sûre, qui s'adresse à tous les êtres<br />
humains : le regard d'autrui ne doit pas s'arrêter à<br />
la faça<strong>de</strong> extérieure, parce que nous sommes tous<br />
égaux, malgré nos différences ou nos handicaps. C'est<br />
une vraie leçon <strong>de</strong> vie que vous me donnez. Merci <strong>de</strong><br />
votre attention ».<br />
RÉPONSE DE J.<br />
« Bonjour Alexandre. Vos quelques phrases ont<br />
attiré toute mon attention. Vous avez su trouver les<br />
mots justes pour parler <strong>de</strong> notre situation, notre<br />
souffrance. J’ai lu quelques-uns <strong>de</strong> vos écrits. Ils m’ont<br />
donné <strong>de</strong> l’enthousiasme et <strong>de</strong> la force. J’aime écrire,<br />
<strong>de</strong>s poèmes, <strong>de</strong>s pensées. Je vous remercie <strong>de</strong> votre<br />
attention <strong>de</strong> votre compassion à notre égard. A cette<br />
occasion, je vous ai composé un poème :<br />
Une âme libérée, aimerait partager quelques mots<br />
d’amitié,<br />
Quelques mots à échanger, quelques mots à façonner.<br />
J’aime entendre dans le silence, mon âme ravie qui<br />
chante.<br />
Croire que la vie commence là où <strong>de</strong>ux âmes<br />
chantent ».<br />
13
14<br />
FRANCK PAVLOFF ÉCRIVAIN<br />
Questions <strong>de</strong>s détenus à Franck Pavloff, suite à la<br />
lecture <strong>de</strong> « Matin Brun ».<br />
F. P. : « Bonjour à tous, J’ai trouvé vos questions<br />
très intéressantes, parce qu’elles nous font réfléchir à<br />
<strong>de</strong>s sujets essentiels à partir d’un simple débat. Il faut<br />
continuer. L’enfermement du corps n’est pas celui <strong>de</strong><br />
la pensée. J'apprécie vraiment le travail entrepris par<br />
vos soins à la maison d'arrêt <strong>de</strong> Bonneville, pour que<br />
les barreaux ne confisquent pas aussi la parole ».<br />
A.<br />
« PENSEZ-VOUS QUE LA LIBERTÉ<br />
D’EXPRESSION SOIT EXCESSIVE DE NOS<br />
JOURS ? »<br />
F. P. : « La liberté n’est jamais excessive, donc la<br />
liberté d’expression non plus ! La première chose que<br />
font les dictateurs, c’est <strong>de</strong> confisquer cette liberté :<br />
journaux, livres, radio, etc… Mais est-ce qu’on est<br />
libre d’insulter les valeurs <strong>de</strong>s autres ou <strong>de</strong> s’en<br />
moquer (la religion surtout… ?) A vous d’en<br />
débattre ».<br />
R.<br />
« EST-CE QUE VOUS PENSEZ QUE LA<br />
LECTURE DE VOS OUVRAGES PEUT NOUS<br />
PERMETTRE DE MIEUX VIVRE NOTRE<br />
DÉTENTION, NOUS OFFRIR UNE ÉVASION<br />
PAR LA PENSÉE ? »<br />
F. P. : « La lecture est une forme d’évasion bien sûr.<br />
Un passe-temps aussi. Il faut bien que les jours<br />
passent. J’aime les romans, parce que parfois les<br />
personnages <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s amis. Et les amis, en<br />
détention, c’est précieux ».<br />
T.<br />
« POURQUOI L’HOMME A-T-IL AUTANT DE<br />
FACILITÉ À SE FAIRE ENDOCTRINER ? »<br />
F. P. : « Le fait d’être un homme nous place, jour<br />
après jour, <strong>de</strong>vant la question : comment vivre sans<br />
trop craindre la mort ? Ça s’appelle la peur : peur<br />
du chômage, peur <strong>de</strong> perdre ceux qu’on aime, peur<br />
<strong>de</strong> ceux qui ne nous ressemblent pas. Alors, parfois<br />
l’homme cherche quelqu’un qui lui enlèverait cette<br />
peur. Un sauveur. C’est le début <strong>de</strong> l’endoctrinement ».<br />
J-Y.<br />
« POURQUOI AVEZ-VOUS CHOISI LA<br />
COULEUR BRUNE COMME SYMBOLE ? »<br />
F. P. : « Quand j’ai écris « Matin Brun », je voulais<br />
dire avec force que personne n’avait le droit <strong>de</strong> nous<br />
confisquer les couleurs <strong>de</strong> l’arc-en-ciel. J’ai choisi le<br />
brun, comme le symbole d’une couleur qui étoufferait<br />
les autres. Et puis, mes parents m’ont appris que les<br />
miliciens d’Hitler s’appelaient les « chemises brunes ».<br />
Brun, symbole aussi du fascisme ».<br />
H.<br />
« VOUS ÊTES VOUS INSPIRÉ DU NAZISME ? »<br />
F. P. : « Mes parents, donc, ont traversé l’Europe à<br />
l’époque du nazisme. Ils m’ont appris que cette<br />
doctrine avait pour but <strong>de</strong> détruire une partie <strong>de</strong> la<br />
population, parce qu’elle était différente dans ses<br />
coutumes et sa religion. J’y fais souvent référence ».<br />
P.<br />
« AVEZ-VOUS ÉTÉ DIRECTEMENT<br />
CONFRONTÉ DANS VOTRE VIE À UN<br />
SYSTÈME DICTATORIAL ? »<br />
F. P. : « Non, pas personnellement. Mais j’ai beaucoup<br />
voyagé, et il y a encore <strong>de</strong> nombreux systèmes<br />
qui ten<strong>de</strong>nt vers <strong>de</strong>s organisations totalitaires.<br />
En connaissez-vous vous-même ? »
GUY COQ<br />
PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES AMIS<br />
D'EMMANUEL MOUNIER, A PUBLIÉ “DIS<br />
MOI TON ESPÉRANCE”, ED. LE SEUIL<br />
« Quel que soit mon présent, je peux déci<strong>de</strong>r<br />
pour l'espérance. Car l'espérance vient d'une décision :<br />
celle qui consiste à reconnaître qu'il y a <strong>de</strong> l'avenir,<br />
que celui-ci n'est pas tout fait dès maintenant.<br />
Espérer, c'est refuser à la fois l'optimisme (croire que<br />
tout ira mieux quoi que je fasse) et le pessimisme<br />
(croire que l'avenir est mauvais quoi que je fasse).<br />
L'homme <strong>de</strong> l'espérance dit : il y a <strong>de</strong> l'avenir, je ne<br />
sais pas ce qu'il sera, j'ai quelque chose à faire pour<br />
le construire ».<br />
RÉPONSE DE K.<br />
« Bonjour Monsieur,<br />
Merci pour votre texte, ce n'est pas donné à<br />
tout le mon<strong>de</strong> d'avoir <strong>de</strong>s contacts avec <strong>de</strong>s détenus.<br />
Ce sont <strong>de</strong>s gestes qui vont droit au cœur.<br />
En prison, on peut gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l'espérance : le<br />
bonheur m'attend <strong>de</strong>rrière le grillage. Je reste<br />
optimiste (mais pas au sens <strong>de</strong> ce que vous dites<br />
dans votre texte). Il faut vouloir le bonheur pour<br />
l'obtenir, même si ce n'est pas toujours facile. Dans<br />
la vie, on n'a pas tout ce que l'on veut, mais en se<br />
battant, on s'aperçoit qu'on a aussi réalisé quand<br />
même <strong>de</strong>s bonnes choses.<br />
Le pessimiste n'a rien compris à l'essentiel. Il<br />
n'a pas vu qu'il y a encore pas mal <strong>de</strong> bonnes choses<br />
à faire. Derrière la galère, si on gratte bien, on peut<br />
trouver <strong>de</strong> très bonnes choses. L'épanouissant, c'est<br />
pas forcément le matériel.<br />
On n'obtient pas tout tout <strong>de</strong> suite. Je pense<br />
comme vous que l'avenir est à portée <strong>de</strong> main, mais<br />
qu'il n'est pas dans la main : il faut le saisir. Il n'y<br />
a pas <strong>de</strong> combats perdus d'avance, sauf les graves<br />
maladies. La détention, on peut en tirer du bien. Cela<br />
permet à certains d'entre nous <strong>de</strong> se remettre à<br />
niveau, <strong>de</strong> partager avec <strong>de</strong>s gens que l'on ne connaît<br />
pas, <strong>de</strong> revenir sur nous-même et réfléchir au bien et<br />
au mal. J'ai compris que la malhonnêteté ne paye<br />
pas, je sais <strong>de</strong> quoi je parle. Il ne faut pas chercher<br />
la facilité ».<br />
MARIA VILLELA-PETIT<br />
PHILOSOPHE, CHERCHEUR ÉMÉRITE DU<br />
CNRS ET PROFESSEUR D'ESTHÉTIQUE DE<br />
L'INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS,<br />
MAINTENANT À LA RETRAITE<br />
« Etre libre, c'est d'abord être capable <strong>de</strong> se<br />
libérer. Se libérer <strong>de</strong> quoi ? De tout ce qui nous<br />
retient prisonniers <strong>de</strong> nous-mêmes : nos colères, nos<br />
convoitises, nos petitesses, en un mot, <strong>de</strong> tous ces<br />
encombrements qui rétrécissent nos cœurs.<br />
« Etre à l'extérieur » ne garantit pas qu'un<br />
travail <strong>de</strong> libération soit à l'œuvre au-<strong>de</strong>dans <strong>de</strong> soi.<br />
« Etre à l'intérieur » peut fournir l'occasion<br />
d'enfin commencer ce travail <strong>de</strong> libération. Il n'est<br />
qu'une première étape. Comment l'envisager ? Comme<br />
la préparation <strong>de</strong> notre âme à accueillir la semence<br />
du bien qui vient d'en haut ».<br />
RÉPONSE DE M.<br />
« Pour se libérer, il faut être capable <strong>de</strong><br />
s'exprimer, et en avoir les moyens. Nous sommes<br />
victimes <strong>de</strong> privations. Les gens <strong>de</strong> l'extérieur<br />
<strong>de</strong>vraient se rendre compte combien ils ont <strong>de</strong><br />
la chance d'être libres, car si un jour ils se trouvent<br />
à notre place, ils comprendront notre mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie,<br />
en cellule. Le manque <strong>de</strong> moyens, les privations,<br />
me donnent le sentiment <strong>de</strong> vivre une double peine.<br />
Le pire à vivre, c'est le regard d'autrui. J'ai l'impression<br />
d'être <strong>de</strong>venu une autre personne au regard <strong>de</strong>s gens.<br />
Pour moi, être libre, c'est quand on respecte mon<br />
intimité, ma vie familiale. Comme vous, je crois en<br />
Dieu, et cela m'ai<strong>de</strong> à tenir ».<br />
15
16<br />
GHISLAIN WATERLOT<br />
MAÎTRE DE CONFÉRENCE À LA FACULTÉ<br />
DE THÉOLOGIE PROTESTANTE DE<br />
L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE<br />
« Humanité.<br />
Etrange condition : nous croyons tout<br />
savoir, et nous ne savons pas voir.<br />
Etrange constat : nous, les humains,<br />
avons encore à <strong>de</strong>venir humains.<br />
Nous <strong>de</strong>vons apprendre à voir.<br />
Voir <strong>de</strong>vant.<br />
Regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>rrière, c'est rester<br />
prisonniers <strong>de</strong> nous-mêmes.<br />
Voir au-<strong>de</strong>là.<br />
Regar<strong>de</strong>r au-<strong>de</strong>çà, c'est buter sur les<br />
murs qui cachent l'horizon.<br />
Voir plus haut.<br />
Regar<strong>de</strong>r plus bas, c'est être obnubilés<br />
par ce qui nous empèse.<br />
Voir plus beau...<br />
et saisir, dans les rencontres,<br />
l'occasion qui nous grandira ».<br />
SI VOUS LE SOUHAITEZ, VOUS POUVEZ<br />
ADRESSER UN MESSAGE EN RÉPONSE<br />
À L'AUTEUR DE CE TEXTE.<br />
M. « Merci <strong>de</strong> vous intéresser à nous, car<br />
l'humanité, il faut en parler sérieusement. Merci <strong>de</strong><br />
vous intéresser à nous, car même nos amis ne<br />
s'intéressent pas à nous autant que vous. Merci<br />
beaucoup ».<br />
O. « Merci d'avoir <strong>de</strong> la pensée pour nous,<br />
les détenus ».<br />
K. « Comment apprendre à voir pour comprendre<br />
ce qu'on ne comprend pas ? ».<br />
J-Y. « J'ai trouvé que vous aviez une bonne vision<br />
<strong>de</strong>s choses pour que l'être humain puisse évoluer.<br />
Sans que vous le preniez mal, votre texte me rappelle<br />
mon histoire, parce que j'ai cru tout savoir, mais j'ai<br />
fait une erreur. Moi, je suis prisonnier, parce que je<br />
regar<strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière vers mon passé au lieu <strong>de</strong> voir<br />
<strong>de</strong>vant, vers mon avenir. Regar<strong>de</strong>r en-<strong>de</strong>çà, c'est<br />
m'empêcher d'avancer, alors que si je regardais au<strong>de</strong>là,<br />
cela me permettrait <strong>de</strong> changer mon avenir pour<br />
qu'il soit meilleur ».<br />
A. « Vous avez un vocabulaire un peu trop<br />
complexe, c'est trop du langage soutenu. Mais penser<br />
à nous et passer du temps comme ça pour un texte<br />
qui peut nous ouvrir les yeux, c'est sympa. Il n'y a<br />
pas que les choses qu'on ne sait pas voir, il y a aussi<br />
celles qu'on a du mal à voir ».
POURQUOI <strong>LES</strong> RENCONTRES SONT-EL<strong>LES</strong><br />
IMPORTANTES ? EN QUOI NOUS<br />
PERMETTENT-EL<strong>LES</strong> DE GRANDIR ?<br />
M. « Cela sert <strong>de</strong> discuter <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong> savoir<br />
pourquoi on est là ».<br />
O. « Les rencontres sont importantes, cela permet<br />
<strong>de</strong> grandir, grâce au dialogue ».<br />
A. « C'est à travers l'autre qu'on grandit ».<br />
E. « Les rencontres sont importantes pour<br />
approcher l'autre et avancer ».<br />
J. « Car elles nous permettent <strong>de</strong> comprendre les<br />
divergences qui peuvent exister, et qu'il faut les<br />
respecter pour mieux vivre ».<br />
J. « La haine nous enferme, la méchanceté nous<br />
coupe, nous repousse et nous plonge dans la solitu<strong>de</strong>.<br />
Je pense que la vie commence, jaillit, là<br />
où <strong>de</strong>ux êtres se rencontrent, échangent, partagent.<br />
On peut présenter une comparaison : ce n'est que<br />
sous les doigts d'un potier que le vase (qui<br />
représente notre être) peut prendre la forme voulue.<br />
La rencontre <strong>de</strong>s doigts avec la glaise parle <strong>de</strong> toutes<br />
les rencontres ».<br />
J-Y. « Parce qu'en faisant <strong>de</strong>s rencontres, cela<br />
nous permet justement <strong>de</strong> voir que nous ne savons<br />
pas tout et qu'il nous faut nous servir <strong>de</strong>s différences<br />
<strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres pour grandir ».<br />
A. « Chaque personne a une opinion, une façon<br />
différente <strong>de</strong> voir les choses ».<br />
B. « Les rencontres sont indispensables, elles nous<br />
élèvent souvent ».<br />
K. « Les rencontres nous permettent <strong>de</strong> partager<br />
le savoir <strong>de</strong> chacun, les connaissances, le vécu. Tout<br />
ce que l'on découvre et apprend, nous permet <strong>de</strong><br />
grandir un peu chaque jour. Rencontre = partage =<br />
découverte = évolution ».<br />
CE TEXTE SE RÉFÈRE À LA CONDITION<br />
HUMAINE : COMMENT EST-ELLE<br />
CARACTÉRISÉE ?<br />
M. « Avant tout, il faut se respecter les uns les<br />
autres ».<br />
O. « Ce texte caractérise l'humanité par le regard ».<br />
A. « L'humanité est caractérisée par la conscience<br />
<strong>de</strong> soi et l'éveil ».<br />
J. « Pour l'humanité : prendre conscience <strong>de</strong> ce<br />
que l'on est ; <strong>de</strong> ce que l'on pourrait être ; et <strong>de</strong> ce<br />
que l'on pourrait <strong>de</strong>venir ».<br />
J-Y. « L'humain fait tout le contraire <strong>de</strong> ce qui<br />
est dit dans le texte : il ne regar<strong>de</strong> pas <strong>de</strong>vant, mais<br />
en arrière, il ne regar<strong>de</strong> pas au-<strong>de</strong>là, mais en <strong>de</strong>ssous,<br />
il ne regar<strong>de</strong> pas vers le haut, mais vers le bas, il ne<br />
regar<strong>de</strong> pas plus beau, mais plus moche ».<br />
A. « Etre humain, c'est aimer, savoir faire preuve<br />
d'humanisme ».<br />
K. « Elle est caractérisée par l'indifférence, plutôt<br />
que par le respect <strong>de</strong>s différences ».<br />
B. « La condition humaine est caractérisée par le<br />
manque <strong>de</strong> connaissance, <strong>de</strong> respect <strong>de</strong> l'autre, par<br />
le fait d'être imbu <strong>de</strong> notre personne, sans vraiment<br />
regar<strong>de</strong>r autour <strong>de</strong> nous. Nous pensons être <strong>de</strong>s<br />
humains, mais il nous manque l'essentiel : apprendre<br />
à l'être, c'est-à-dire à aimer...»<br />
GHISLAIN WATERLOT PROPOSE D'ADOPTER<br />
UN AUTRE REGARD SUR LA VIE :<br />
DE QUELLE NATURE EST-IL ?<br />
M. « Il propose <strong>de</strong> voir la vie autrement : si on<br />
est là, ce n'est pas pour rien ».<br />
O. « Le regard qu'il a adopté, c'est <strong>de</strong> voir vers<br />
l'avant ».<br />
J. « Ce regard doit conduire à surmonter les<br />
épreuves <strong>de</strong> la vie. Il faut adopter un autre regard<br />
sur les gens en essayant <strong>de</strong> les comprendre ».<br />
J-Y. « Ce regard est ambitieux ».<br />
A. « Il veut nous faire prendre conscience que<br />
l'humain a <strong>de</strong>s limites, que l'humain lui-même<br />
s'impose <strong>de</strong>s limites ».<br />
B. « Il insiste sur notre incompétence à voir<br />
vraiment ce qui nous entoure. Et donc il propose<br />
d'avoir un vrai regard, profond, sur l'autre. Il faut<br />
VOIR et non pas seulement regar<strong>de</strong>r, creuser un peu<br />
plus, aller vers l'autre, dépasser nos peurs, nos<br />
angoisses, nos far<strong>de</strong>aux et surtout tirer expérience <strong>de</strong><br />
toutes rencontres, c'est l'amour ».<br />
K. « Il propose <strong>de</strong> ne pas se fier aux<br />
apparences, et au contraire, d'approfondir les<br />
différences ».<br />
17
18<br />
SKIMAO ARTISTE, CRITIQUE D'ART<br />
<strong>LES</strong> VIEIL<strong>LES</strong> HESPÉRIDES<br />
à C. R.<br />
Les pommes <strong>de</strong>s Hespéri<strong>de</strong>s<br />
Teintent le soir <strong>de</strong> mille feux<br />
Pommes <strong>de</strong> discor<strong>de</strong><br />
Leur scintillement sera fatal<br />
Tu glisses vers le couchant<br />
Résultat d’un hardi pari<br />
Les pommes terribles<br />
Choisissent ton <strong>de</strong>stin<br />
D’un jardin cultivé<br />
Elles dressent la carte<br />
Le héros pour vivre<br />
Argue d’un choix absolu<br />
Les mauvaises langues<br />
Parlent d’un ra<strong>de</strong> cra<strong>de</strong><br />
Aux Hespéri<strong>de</strong>s le mal nommé<br />
Le patron essuie les tables<br />
Hercule en survêtement<br />
Il compte ses sous<br />
Tragédien d’une pièce<br />
Où les pommes se barrent<br />
Christian Skimao<br />
RÉPONSE DE B.<br />
« Merci Skimao. Ce poème est très beau. Il<br />
parle <strong>de</strong> la tentation. Bien souvent, on est attiré par<br />
ce qui brille. Il y a un effet d'annonce : les pommes<br />
apporteront la discor<strong>de</strong> et leur scintillement sera<br />
fatal. L'obscurité du soir est en contradiction avec les<br />
mille feux du fruit défendu. Mais l'homme est faible.<br />
La pomme <strong>de</strong> la discor<strong>de</strong> évoque un conflit intérieur :<br />
va-t-on, oui ou non, cé<strong>de</strong>r au scintillement ?<br />
Les pommes représentent l'attirance vers <strong>de</strong>s biens<br />
matériels, vers ce qui est superficiel.<br />
Au paragraphe <strong>de</strong>ux, le mal commence à<br />
prendre le <strong>de</strong>ssus. Le verbe « glisser » parle d'un<br />
mouvement insidieux qui conduit inévitablement à la<br />
perte. Le « pari » évoque un choix hasar<strong>de</strong>ux, mais<br />
aussi l'attirance pour le jeu et le risque. Tu paries<br />
avec toi-même et avec <strong>de</strong> l'argent, pour gagner quoi ?<br />
Pour moi, le jardin <strong>de</strong>s Hespéri<strong>de</strong>s, c'est la société qui<br />
est faite <strong>de</strong> telle manière qu'on n'a pas le choix. On<br />
croit qu'on nous laisse le choix, mais en fin <strong>de</strong><br />
compte, on est conditionné <strong>de</strong> telle sorte que l'on est<br />
condamné à cé<strong>de</strong>r. On constate une inversion <strong>de</strong> la<br />
causalité : les pommes <strong>de</strong>viennent sujet, et c'est elles<br />
qui sont à l'origine <strong>de</strong> l'action <strong>de</strong> l'homme qui est<br />
soumis à leur attirance : « elles choisissent ton <strong>de</strong>stin ».<br />
Le troisième paragraphe est philosophique.<br />
Il s'agit <strong>de</strong> l'illusion que l'on peut avoir <strong>de</strong> tout<br />
maîtriser. Il faut savoir prendre du recul. Bien <strong>de</strong>s<br />
réactions individuelles sont prévisibles. Hercule se<br />
considère comme un héros, alors que c'est un pauvre<br />
type. Il ne lui reste plus qu'une fausse fierté, un<br />
orgueil minable. Il faudrait qu'il se pose la question<br />
<strong>de</strong> l'humilité. Derrière la convoitise <strong>de</strong>s pommes, il y<br />
a la quête <strong>de</strong> la reconnaissance. Normalement, on<br />
dresse une table et pas une carte. La carte dont il<br />
s'agit, est-ce une carte où figurent les boissons que<br />
l'on peut choisir ou s'agit-il d'une carte qui<br />
symboliserait une géographie sociale, les frontières<br />
entre les privilégiés et les défavorisés ?<br />
Au quatrième paragraphe, les « mauvaises<br />
langues » représentent ceux qui jugent, ceux qui<br />
n'ont rien d'autre à faire que <strong>de</strong> pointer du doigt<br />
les autres. On est dans la bassesse humaine :<br />
on imagine <strong>de</strong>s gens misérables qui se consolent en<br />
regardant <strong>de</strong>s plus misérables qu'eux. Pour eux,<br />
Hercule est un « mauvais garçon ». Maintenant,<br />
les Hespéri<strong>de</strong>s, on pourrait penser que c'est le nom<br />
d'un bar mal fâmé, cra<strong>de</strong>, avec les poivrots du coin.<br />
Le patron, je ne sais pas qui c’est : peut-être Dieu ?<br />
Peut-il laver les péchés <strong>de</strong>s gens qui cè<strong>de</strong>nt aux<br />
tentations ?<br />
Le <strong>de</strong>rnier paragraphe nous plonge dans une<br />
histoire d'alcool. Les pommes, en fin <strong>de</strong> compte, sont<br />
une drogue, un opium, elles sont le symbole d'une<br />
dépendance. Il y a un jeu <strong>de</strong> mot à la fin : les<br />
« pommes se barrent », mais on peut entendre aussi<br />
le mot « bar ». La pomme est un fruit qui tue, c'est<br />
un poison. Le « héros », c'est un faux Hercule,<br />
un tragédien à <strong>de</strong>ux balles. Au pays <strong>de</strong>s aveugles,<br />
les borgnes sont rois. La « pièce », c'est le lieu du<br />
bar où les poivrots se saoûlent, la scène <strong>de</strong> la<br />
tragédie, et aussi la pièce <strong>de</strong> monnaie.<br />
Au fond, ce poème est très complexe et appelle<br />
plusieurs lectures possibles. Pourquoi le héros veut-il<br />
se donner l'illusion <strong>de</strong> la liberté ? C'est sans doute<br />
parce que la liberté vaut plus que le reste. Pourtant,<br />
il perd volontairement sa liberté en pensant<br />
l'affirmer. Il y a un paradoxe : il est pris au piège<br />
d'une fausse liberté, c'est terrible. Il est manipulé, par<br />
la société, les co<strong>de</strong>s, et aussi par lui-même. C'est une<br />
vaste tragédie : la fin présage du mauvais. Les<br />
pommes se barrent, et la vie avec. Elles ont eu<br />
sa peau. Cela peut être une mort sociale, symbolique :<br />
c'est un homme vi<strong>de</strong>, un Hercule raté. Comment<br />
résister aux tentations ? Pour moi, la foi me permet<br />
<strong>de</strong> prendre du recul, c'est une protection pour ne pas<br />
tomber. »
MARIE-CHRISTINE SCHRIJEN PHOTOGRAPHE<br />
"L'arbre éléphant" - 2003<br />
RÉPONSE DE J.<br />
« Bonjour Marie-Christine Schrijen,<br />
Merci pour cette belle photographie, c'est très<br />
rare <strong>de</strong> pouvoir en avoir ici. Elle m'évoque mon pays<br />
<strong>de</strong> naissance où j'ai grandi : la Côte d'Ivoire. Le<br />
symbole <strong>de</strong> mon pays, c'est l'éléphant. L'arbre <strong>de</strong><br />
votre photo, il ressemble à un baobab où les anciens<br />
se retrouvent pour trouver <strong>de</strong>s solutions à <strong>de</strong>s<br />
problèmes du village.<br />
Cette photo, elle est magnifique, elle m'apporte<br />
<strong>de</strong> la tranquillité, elle me montre comment essayer <strong>de</strong><br />
prendre les choses du bon côté, elle me permet <strong>de</strong><br />
m'éva<strong>de</strong>r en esprit. J'imagine m'asseoir au pied <strong>de</strong><br />
l'arbre, à l'ombre, en fermant les yeux et en me<br />
laissant emporter par le vent, je me sens très bien.<br />
C'est un symbole qui me donne <strong>de</strong> la force et <strong>de</strong> la<br />
paix. Merci ».<br />
19
20<br />
JEAN RENÉ BACHELET<br />
GÉNÉRAL D'ARMÉE, PRÉSIDENT DE<br />
L'ASSOCIATION DES GLIÈRES<br />
« Vous me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z d’écrire quelques mots<br />
à l’attention <strong>de</strong>s détenus <strong>de</strong> la maison d’arrêt<br />
<strong>de</strong> Bonneville avec lesquels vous partagez<br />
ces exceptionnels échanges philosophiques que je<br />
découvre. Or, je ne connais rien au mon<strong>de</strong> carcéral<br />
et, à vrai dire, à ce jour, je n’ai jamais eu vraiment<br />
l’occasion <strong>de</strong> m’y intéresser. Et puis, voici que vous<br />
me donnez à lire ces échanges. J’y vois s’exprimer <strong>de</strong>s<br />
hommes. Jusque-là, rien <strong>de</strong> surprenant : la faute qui<br />
vaut condamnation ne fait pas du condamné un soushomme.<br />
Mais ce qui me frappe, c’est que l’humanité<br />
dont témoignent ces hommes est en quelque sorte<br />
« aiguisée ». C’est celle que j’ai bien connue dans les<br />
situations extrêmes : face aux risques, aux épreuves,<br />
au danger, on ne triche pas et l’homme se révèle<br />
alors dans sa vérité. En l’occurrence, j’imagine que<br />
l’épreuve est avant tout morale. Y succomber, alors<br />
même que l’on est déjà privé <strong>de</strong> liberté physique,<br />
ce serait abdiquer sa liberté morale, plus encore,<br />
sa dignité d’homme qui est le bien le plus précieux.<br />
Alors, on se redresse, on se tient <strong>de</strong>bout. Voilà ce que<br />
j’ai cru percevoir à lire ces lignes.<br />
Au même moment, nous venons <strong>de</strong> célébrer, au<br />
Plateau <strong>de</strong>s Glières, l’anniversaire <strong>de</strong> l’Appel du<br />
Général <strong>de</strong> Gaulle du 18 juin 40. Alors, le malheur et<br />
la désespérance étaient collectifs. Et puis, un homme,<br />
<strong>de</strong>s hommes se sont dressés, au nom <strong>de</strong> la liberté et<br />
<strong>de</strong> la dignité <strong>de</strong> l’homme. C’est ce que j’ai voulu<br />
dégager dans l’allocution que j’ai prononcée sur le<br />
Plateau : je vous l’adresse ci-jointe.<br />
J’ai le sentiment qu’elle est <strong>de</strong> nature<br />
à encourager « vos élèves » à rester <strong>de</strong>bout.<br />
Je leur adresse un salut fraternel. ».<br />
ALLOCUTION PRONONCEE<br />
PAR LE GENERAL J.-R. BACHELET<br />
PLATEAU DES GLIERES, LE 18 JUIN 2007<br />
Plus les années passent et plus le 18<br />
juin 40, loin <strong>de</strong> s’estomper dans le brouillard<br />
du temps, se révèle à nous comme l’un <strong>de</strong>s<br />
évènements phares <strong>de</strong> l’histoire nationale,<br />
voire universelle. Ce jour-là, quand la France<br />
sombrait dans un incommensurable désastre,<br />
quand, face à un <strong>de</strong>stin implacable, rien ne<br />
semblait pouvoir résister à l’abandon et à la<br />
résignation, un homme seul, inconnu du plus<br />
grand nombre, démuni <strong>de</strong> tout, a montré ce<br />
que peut accomplir la force d’âme d’un esprit<br />
juste.<br />
Mesurons-nous bien la portée <strong>de</strong> l’acte<br />
inouï, apparemment déraisonnable et<br />
insensé, <strong>de</strong> cette intervention radiophonique<br />
à la radio <strong>de</strong> Londres. Car enfin, ce qui était<br />
raisonnable, n’était-ce pas ce que les Français<br />
avaient entendu la veille, <strong>de</strong> la voix<br />
chevrotante d’un maréchal <strong>de</strong> France<br />
octogénaire, le prestigieux vainqueur <strong>de</strong><br />
Verdun ? Fort <strong>de</strong> son immense popularité,<br />
n’avait-il pas prononcé les mots qu’imposait<br />
l’ampleur <strong>de</strong>s malheurs <strong>de</strong> la France dans<br />
l’évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la déroute, lui qui déclarait<br />
« … je fais à la France le don <strong>de</strong> ma personne<br />
pour atténuer son malheur » ou encore « C’est<br />
le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il<br />
faut cesser le combat » ? Tout cela était<br />
raisonnable, et <strong>de</strong> surcroît légal, puisque le<br />
maréchal Pétain parvenait au pouvoir à la<br />
faveur d’une procédure d’une incontestable<br />
légalité…<br />
En quoi donc un acte déraisonnable et<br />
frappé d’illégalité, l’Appel du 18 juin, peut-il<br />
revêtir une exemplarité telle qu’il soit<br />
aujourd’hui célébré comme l’évènement phare<br />
qui nous réunit, susceptible d’éclairer le<br />
présent et l’avenir, bien loin <strong>de</strong>s circonstances<br />
qui l’ont vu naître ? Un acte déraisonnable,<br />
bien sûr, si, en l’occurrence, il est raisonnable<br />
<strong>de</strong> se soumettre à la loi du plus fort, cette loi
universelle qui est celle <strong>de</strong> la conservation <strong>de</strong>s<br />
espèces…<br />
Et si être homme, c’était précisément refuser<br />
la loi du plus fort ? Refuser toute soumission<br />
à la fatalité ? Refuser l’abandon ? Eh bien<br />
oui, être homme, c’est, au nom <strong>de</strong> notre<br />
pleine liberté d’homme, rester <strong>de</strong>bout quand<br />
tout incite à se coucher. S’agissant <strong>de</strong> notre<br />
pays, c’est <strong>de</strong>meurer d’une indéfectible<br />
fidélité à l’âme même <strong>de</strong> la France, elle qui,<br />
du fond <strong>de</strong>s âges, porte le flambeau <strong>de</strong> la<br />
liberté aux yeux du mon<strong>de</strong>. Depuis Charles <strong>de</strong><br />
Gaulle et son Appel du 18 juin, cela s’appelle<br />
« Résister », cela s’appelle « l’esprit <strong>de</strong><br />
Résistance ».<br />
Mais ce refus allait bien au-<strong>de</strong>là du refus<br />
circonstanciel <strong>de</strong> la défaite ; tout se passe en<br />
effet comme si <strong>de</strong> Gaulle avait pressenti qu’on<br />
était là dans un enjeu <strong>de</strong> civilisation. « La<br />
flamme <strong>de</strong> la Résistance » qu’il allume alors<br />
est la seule réponse qui vaille à l’inimaginable<br />
inversion <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong> civilisation <strong>de</strong><br />
l’idéologie nazie, telle qu’elle ne tar<strong>de</strong> pas à<br />
se révéler dans sa régression barbare.<br />
Ce n’est pas seulement la liberté qui est<br />
en cause, c’est le principe même d’humanité,<br />
notre conception <strong>de</strong> l’homme, son<br />
universalité, l’unicité et la dignité <strong>de</strong> la<br />
personne humaine. Dès lors que ce principe<br />
est bafoué, aujourd’hui autant qu’hier<br />
s’impose le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> Résistance, quoi qu’il en<br />
coûte, aussi déraisonnable cela puisse-t-il<br />
paraître. Tel est le premier enseignement,<br />
résolument pérenne, <strong>de</strong> l’Appel du 18 juin.<br />
Il se complète d’un <strong>de</strong>uxième enseignement<br />
lorsqu’on considère « l’illégalité » <strong>de</strong><br />
fait <strong>de</strong> l’initiative gaullienne du 18 juin 40.<br />
En fait, on le savait <strong>de</strong>puis Antigone, au-<strong>de</strong>là<br />
<strong>de</strong> la légalité prévaut la légitimité. Autrement<br />
dit, il est <strong>de</strong>s valeurs que nulle loi humaine ne<br />
peut enfreindre, encore moins abroger. Ainsi<br />
<strong>de</strong>s valeurs exprimées par la <strong>de</strong>vise <strong>de</strong> la<br />
République, qui fait la synthèse <strong>de</strong> notre<br />
principe d’humanité. Or, en juin 40, la Liberté<br />
est abdiquée d’emblée, dès lors qu’on s’est<br />
abandonné à la soumission à la loi du plus<br />
fort.<br />
Quant à l’Egalité et à la Fraternité, dès<br />
le mois d’octobre, avec l’ignominieuse « loi<br />
portant statut <strong>de</strong>s Juifs », elles sont à leur<br />
tour reniées et bafouées. Dès l’origine, ce que<br />
l’on allait appeler « l’Etat Français » en lieu<br />
et place <strong>de</strong> la « République Française » était<br />
ainsi frappé d’illégitimité. Voilà qui fon<strong>de</strong>, a<br />
contrario, au premier jour <strong>de</strong> la France Libre,<br />
la légitimité du général <strong>de</strong> Gaulle, lui qui s’est<br />
« ressaisi du tronçon du glaive » au nom <strong>de</strong><br />
la pérennité <strong>de</strong> la France et <strong>de</strong>s valeurs dans<br />
lesquelles elle se reconnaît en tant que<br />
nation. La leçon vaut pour aujourd’hui :<br />
au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s clivages idéologiques et partisans,<br />
il n’est <strong>de</strong> légitimité que dans le respect <strong>de</strong><br />
ces valeurs multiséculaires qui fon<strong>de</strong>nt notre<br />
volonté <strong>de</strong> vivre ensemble.<br />
Il n’est pas anodin que cette célébration<br />
ait lieu ici, au plateau <strong>de</strong>s Glières. Car, où,<br />
mieux qu’ici, <strong>de</strong> janvier à mars 1944, a-t-on<br />
illustré l’esprit <strong>de</strong> Résistance ? Où, mieux qu’à<br />
Glières a-t-on proclamé la passion <strong>de</strong> la<br />
liberté, exprimée par la <strong>de</strong>vise choisie par Tom<br />
Morel : « Vivre libre ou mourir » ? Partagé<br />
l’égalité entre tous, ceux <strong>de</strong> l’A.S. et ceux <strong>de</strong>s<br />
F.T.P., les chrétiens et les juifs, les jeunes<br />
réfractaires, les Républicains espagnols et<br />
les chasseurs du 27 ème BCA ? Vécu, enfin,<br />
l’exceptionnelle fraternité <strong>de</strong>s risques et <strong>de</strong>s<br />
épreuves affrontés en commun ? Oui, en ces<br />
lieux inspirés, vivent les valeurs qui ont fait,<br />
qui font et qui feront la France, telles que le<br />
général <strong>de</strong> Gaulle les relève le 18 juin 40<br />
quand elles sont mises à bas. (...) Ensemble,<br />
en célébrant le 18 juin et l’esprit <strong>de</strong><br />
Résistance, ici, à Glières, nous pouvons<br />
méditer ces vers du poète Philippe Saimbert :<br />
“Car il y aura toujours au milieu <strong>de</strong>s tempêtes<br />
Quand le vent est si fort que vacille la flamme<br />
Alors que la plupart préfèrent baisser la tête<br />
Des hommes pour souffler sur les braises <strong>de</strong>s<br />
âmes.”<br />
RÉPONSE DE B.<br />
« Mes hommages mon Général, mes respects,<br />
« Debout », toujours, partout, en toutes<br />
circonstances, eh oui, votre message est plein <strong>de</strong><br />
dignité et <strong>de</strong> force. Vous ne connaissez pas le mon<strong>de</strong><br />
carcéral, mais je pense que c'est sans commune<br />
mesure avec les atrocités qu'ont vécues ceux qui se<br />
sont battus pour notre liberté. Je pense à mon père<br />
fait prisonnier en Algérie par l'armée française, parce<br />
qu'il s'est mis <strong>de</strong>bout pour la liberté, pour son<br />
indépendance. Je pense à ma grand-mère maternelle<br />
enceinte, recevant <strong>de</strong>s coups au ventre parce qu'elle<br />
ne veut pas dire où sont les « maquisards ». Sans<br />
vouloir polémiquer, il y a certaines choses qui font<br />
partie <strong>de</strong> nous et qu'on ne peut pas dissocier <strong>de</strong><br />
notre pensée. Se battre pour la liberté, c'est notre<br />
combat quotidien, mais à notre niveau...<br />
Heureusement, il y a <strong>de</strong>s hommes, <strong>de</strong>s femmes,<br />
qui nous donnent l'espoir, <strong>de</strong> la force : De Gaulle<br />
(le 18 juin), Claire Rösler aussi. Elle est notre 18 juin,<br />
elle nous invite régulièrement à ne pas baisser les<br />
bras, à nous battre, à être dignes. L'humanité dont<br />
elle témoigne est comparable à celle <strong>de</strong>s grands<br />
hommes <strong>de</strong> l'histoire. Elle fait partie <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong><br />
l'ombre, <strong>de</strong> ceux qui croient profondément en l'âme<br />
humaine. Nous sommes <strong>de</strong>bout grâce aussi à <strong>de</strong>s gens<br />
comme elle.<br />
Mon Général, votre combat est juste, il est<br />
nécessaire d'avoir <strong>de</strong>s contacts avec <strong>de</strong>s gens<br />
d'expérience pour pouvoir comparer, comprendre, nous<br />
faire avancer... Je pense qu'il faut « prolonger » la<br />
voix du 18 juin éternellement, sans frontières...<br />
Mon Général, continuez à promouvoir la liberté,<br />
la fraternité. Nous avons besoin d'exemples. Je vous<br />
fais mes compliments et vous adresse tous mes<br />
respects ».<br />
21
22<br />
CHRISTIAN DESSEAU<br />
ANCIEN DÉPORTÉ DE LA RÉSISTANCE,<br />
OFFICIER DE LA LÉGION D'HONNEUR<br />
« Je m'appelle Christian Desseaux. En 1942, à<br />
l'âge <strong>de</strong> 16 ans, j'ai refusé les contraintes <strong>de</strong> l'armée<br />
d'occupation alleman<strong>de</strong>, victorieuse d'une gran<strong>de</strong><br />
partie <strong>de</strong> l'Europe. A 17 ans, j'étais dans un Réseau<br />
<strong>de</strong> Résistance, j'ai été arrêté avec <strong>de</strong>s camara<strong>de</strong>s le<br />
14 juillet 1943 sur dénonciation, enfermé dans une<br />
vieille prison cellulaire à Saint Quentin dans l'Aisne,<br />
nous avons été torturés. Chaque jour, très tôt quand<br />
la porte <strong>de</strong> ma cellulle s'ouvrait, déjà j'avais la peur,<br />
celle que l'on vienne me chercher pour être fusillé.<br />
Chaque jour, à la même heure, un pigeon, toujours le<br />
même, venait se poser sur le rebord <strong>de</strong> ma lucarne<br />
et me regardait, il s'envolait, et moi, j'imaginais mon<br />
envolée vers la liberté ».<br />
RÉPONSE DE J.<br />
« Bonjour. Je m'appelle J.. J'ai 29 ans. Ce que<br />
vous avez vécu m'a touché.Vous avez supporté jusqu'à<br />
la limite du supportable, le dépouillement <strong>de</strong> soi<br />
radical. Je pense que dans vos pires cauchemars, il y<br />
a une lueur d'espoir. Cette colombe est une lueur «<br />
divine ». Nos chemins continuent. Sur le moment, on<br />
ne sait où et quand.Vous avez fait preuve d'un grand<br />
courage, face à la haine <strong>de</strong>s hommes. Je vous<br />
remercie <strong>de</strong> votre attention. Amicalement ».<br />
RÉPONSE DE N.<br />
« Bonjour Monsieur Christian Desseaux, Je<br />
m'appelle N.. En voyant votre parcours et en voyant<br />
que vous avez gardé le moral, je vous dis<br />
« chapeau ». Maintenant les prisons ont changé, sauf<br />
la peur, qui est toujours là, mais moins forte que la<br />
vôtre. La peur que nous connaissons, c'est celle qu'on<br />
vienne nous chercher pour prendre plus long ou avoir<br />
une autre affaire. La peur aussi <strong>de</strong> perdre un proche<br />
<strong>de</strong> la famille. Pour moi, pour gar<strong>de</strong>r le courage et le<br />
moral, je ne pense pas. Et en moi, je me dis : « La<br />
porte s'ouvrira un jour ». Merci <strong>de</strong> nous avoir écrit<br />
ce texte ».<br />
RÉPONSE DE M.<br />
« Salut, je m'appelle M.. J'ai entendu ton<br />
histoire et elle m'a beaucoup impressionné. Le<br />
courage que vous avez trouvé, j'aimerais le trouver<br />
aussi. Je crois aussi que le pigeon, il t'a donné<br />
la force et le courage <strong>de</strong> vivre tout ça. N'oublions<br />
pas que la vie continue. Merci pour votre<br />
attention ».<br />
RÉPONSE DE L.<br />
« Comment, cher Monsieur Desseaux, oser<br />
se comparer à votre héroïsme et votre courage.<br />
Le parallèle entre votre détention et la nôtre est<br />
tellement éloigné. Vous avez eu le courage <strong>de</strong> refuser<br />
la facilité <strong>de</strong> l'occupation à laquelle tant <strong>de</strong> Français,<br />
par lâcheté ou par intérêt, se sont pliés.Vous avez eu<br />
le courage <strong>de</strong> prendre les armes face à cette armée<br />
qui semblait invincible, face à cette force noire qui<br />
balayait tout sur son passage. Et vous n'aviez que 16<br />
ans. C'est face à votre témoignage que nous ne<br />
pouvons que nous incliner et nous retourner sur<br />
nous-mêmes pour voir à quel point nos vies sont si<br />
superficielles. Pour la plupart, nous avons recherché<br />
cette adrénaline, cette émotion qui nous a fait nous<br />
croire libres, et qui nous a menés entre quatre murs,<br />
alors que vous, vous y étiez confronté tous les jours,<br />
face à la mort, avec ce seul espoir <strong>de</strong> liberté que<br />
représentait cet oiseau. Espoir si dérisoire face à la<br />
violence, face à l'idéologie <strong>de</strong> ces fous, mais espoir<br />
écrasant toutes les barrières et frontières <strong>de</strong> l'esprit<br />
enfermé. Finalement, même si nos excuses et nos<br />
erreurs sont tellement moins louables que les vôtres,<br />
seul l'espoir compte pour l'homme ».
DANIEL DEZEUZE ARTISTE PEINTRE<br />
Les vieux ont la prison <strong>de</strong> leur corps.<br />
Les jeunes uniquement<br />
celle d’une architecture <strong>de</strong> béton,<br />
d’un carcan construit<br />
par <strong>de</strong>s siècles <strong>de</strong> répression.<br />
Avez-vous oublié les « fillettes »,<br />
celles <strong>de</strong> Louis XI,<br />
ces petites cages où l’on se tenait<br />
<strong>de</strong>bout à <strong>de</strong>mi-courbé<br />
et couché en chien <strong>de</strong> fusil<br />
sans pouvoir s’allonger ?<br />
Maintenant on vous enferme<br />
dans un poste <strong>de</strong> télé.<br />
Lisez <strong>de</strong>s livres pour en réchapper.<br />
Et quand vous serez libres, à travers les livres<br />
et vos rêves<br />
éprouvez votre liberté.<br />
RÉPONSE DE J.<br />
« Bonjour Monsieur Dezeuze, je m'appelle J..<br />
Je suis détenu actuellement, j'ai aimé votre poème.<br />
Je suis d'accord avec vous « il faut relativiser » notre<br />
situation. Nos pires prisons françaises ont été celles<br />
<strong>de</strong> Louis XI. Je connais cette histoire <strong>de</strong> notre pays.<br />
Vous avez raison, la télé tue les vraies relations.<br />
On perd nos traditions, nos savoir-vivre par trop<br />
d'informations. Ces privations nous permettent<br />
<strong>de</strong> découvrir <strong>de</strong>s choses, <strong>de</strong> remettre <strong>de</strong>s émotions<br />
à leurs justes valeurs. Le dépouillement <strong>de</strong> la prison<br />
peut être curatif. Mais il peut aussi détruire le peu<br />
que l'on possè<strong>de</strong>. De toute façon, on ne peut<br />
empêcher nos libertés <strong>de</strong> penser. Merci énormément<br />
pour l'attention que vous nous avez portée ».<br />
RÉPONSE DE A.<br />
« Moi, je fais partie <strong>de</strong>s jeunes qui ont été<br />
jetés dans une architecture <strong>de</strong> béton, mais c'est pas<br />
comme si j'étais dans une petite cage qui, elle, faisait<br />
souffrir physiquement comme au temps <strong>de</strong> Louis XI,<br />
mais dans une cellule où ils me blessent en faisant<br />
pleurer mes proches. Ce système n'emprisonne pas<br />
qu'une seule personne. Pour ce qui est d'être enfermé<br />
dans un poste <strong>de</strong> TV, tu parles <strong>de</strong> quoi ? De loft story<br />
ou <strong>de</strong>s trucs <strong>de</strong> TV-réalité, si c'est ça, cela ne veut<br />
pas dire grand chose pour moi. Pour ce qui est <strong>de</strong><br />
la liberté, c'est sûr que mes rêves sont le seul moyen<br />
<strong>de</strong> la toucher, mais pas aussi longtemps que je le<br />
voudrais ».<br />
23
24<br />
RAPHAËL ENTHOVEN<br />
PHILOSOPHE, ÉCRIVAIN<br />
« Peu d'hommes savent enseigner l'art subtil<br />
d'aller où le cœur dit d'aller. C'est pourtant le seul<br />
chemin qui ne soit pas une impasse » in « Un jeu<br />
d'enfant. La philosophie », p. 66.<br />
RÉPONSE DE J.<br />
« Bonjour Monsieur Enthoven. Je m'appelle J..<br />
J'ai 29 ans. J'ai été très touché par votre façon <strong>de</strong><br />
penser. Cette phrase est vraie. La voie du cœur, voilà<br />
la voie la plus sincère. Peu d'hommes se laissent<br />
gui<strong>de</strong>r par elle. C'est bien dommage, car c'est celle<br />
<strong>de</strong> nos âmes, qui nous mène à l'épanouissement.<br />
La plupart <strong>de</strong>s gens sont enfermés dans une « prison<br />
<strong>de</strong>s âmes ». Parfois la prison <strong>de</strong>s corps libère l'âme !<br />
Amicalement ».<br />
RAPHAËL ENTHOVEN<br />
« Il m'arrive <strong>de</strong> penser que cette phrase est juste,<br />
comme il m'arrive <strong>de</strong> me dire, en pensant à ceux qui<br />
sont privés <strong>de</strong> liberté, que c'est la sentence d'un<br />
enfant gâté qui, parce que personne ne l'empêche<br />
d'aller où il veut, se paie le luxe <strong>de</strong> dire que la<br />
liberté intérieure est la seule qui vaille... Cela étant,<br />
la « voie du cœur » (comme dit J.) me semble être<br />
la seule qui épargne les déceptions. C'est la liberté<br />
qui ne dépend que <strong>de</strong> soi, la liberté <strong>de</strong> vouloir ce<br />
qu'on fait, plutôt que celle <strong>de</strong> faire ce qu'on veut.<br />
C'est, comme dit Camus, « la sagesse où tout est<br />
conquis » <strong>de</strong> l'homme qui préfère aimer ce qu'il a<br />
sous la main, plutôt que regretter ce qui lui manque.<br />
Les hommes passent la vie à chercher un sens à la<br />
vie, sans voir que le fait même <strong>de</strong> le chercher<br />
condamne à ne jamais en trouver un qui soit à la<br />
hauteur (là est l'impasse)... Ceux qui savent<br />
transmettre ce goût <strong>de</strong> la fidélité à soi sont <strong>de</strong>s<br />
maîtres <strong>de</strong> vie, plus encore que <strong>de</strong>s professeurs.<br />
Tous mes vœux à vous tous, <strong>de</strong> courage pour l'avenir.<br />
Très cordialement ».
26<br />
STAGE D’ACTION CITOYENNE<br />
BILAN DU STAGE D'ACTION CITOYENNE (12 AU 21 JUIN 2007)<br />
HUIT STAGIAIRES DE L'IUFM DE BONNEVILLE SE SONT RENDUS À LA MAISON D'ARRÊT POUR DONNER DES COURS AUX<br />
DÉTENU(E)S.<br />
RÉGIS PASCAL<br />
DIRECTEUR DE LA MAISON D'ARRÊT DE<br />
BONNEVILLE<br />
« Cette expérience, nouvelle pour l’institution<br />
que je dirige, a été pour nous tous riche<br />
d’enseignements. Le partenariat déjà bien installé<br />
entre l’IUFM et la maison d’arrêt <strong>de</strong> Bonneville, a été<br />
renforcé cette année par une convention permettant<br />
à <strong>de</strong>s stagiaires en <strong>de</strong>uxième année <strong>de</strong> venir en<br />
détention, aux côté <strong>de</strong>s enseignants titulaires du<br />
poste, dispenser leurs premières heures <strong>de</strong> cours face<br />
à un public en difficulté. La population accueillie à<br />
l’établissement a, pour la majorité d’entre elle, un<br />
grand besoin d’éveil à la culture ou <strong>de</strong> parfaire ses<br />
connaissances, gage d’un retour à la liberté dans <strong>de</strong>s<br />
conditions satisfaisantes. L’engagement <strong>de</strong>s stagiaires a<br />
été remarquable et à la hauteur <strong>de</strong> leur désir<br />
d’apporter un savoir et un soutien qu’ils ont su faire<br />
partager. Cette expérience a été très positive et je<br />
crois utile <strong>de</strong> la reconduire ».<br />
PATRICK MENDELSOHN<br />
DIRECTEUR DE L'IUFM DE GRENOBLE<br />
« Je suis très sensible à l'expérience qui a été<br />
conduite à Bonneville par les formateurs et les jeunes<br />
stagiaires autour du questionnement sur le rôle <strong>de</strong><br />
l'école dans l'apprentissage <strong>de</strong>s valeurs citoyennes.<br />
Qu'ils soient ici félicités pour avoir su aussi s'y<br />
exercer dans les murs ».<br />
LIONEL VERNET<br />
RESPONSABLE DU SITE DE L'IUFM<br />
DE BONNEVILLE<br />
« Il n’y a pas d’espace hors <strong>de</strong> portée <strong>de</strong><br />
l’action. Du <strong>de</strong>dans, comme au <strong>de</strong>hors, il importe<br />
d’agir. L’enseignement est un engagement personnel<br />
qui ne s’arrête pas sur le pas <strong>de</strong>s portes d’écoles,<br />
qui entre, avec la force <strong>de</strong> la conviction <strong>de</strong> ceux qui<br />
le portent dans les lieux les plus isolés, les plus<br />
meurtris. Apporter un contact humain ne suffit pas,<br />
il faut qu’il soit chargé <strong>de</strong> l’engagement du partage<br />
<strong>de</strong>s savoirs. C’est pourquoi, je renouvelle mon soutien<br />
à cette action <strong>de</strong> jeunes enseignants, engagés<br />
personnellement dans le meilleurs <strong>de</strong>s projets :<br />
enseigner pour tous ».<br />
CLAIRE RÖSLER<br />
ORGANISATRICE DU STAGE,<br />
FORMATRICE EN PHILOSOPHIE<br />
À L'IUFM DE BONNEVILLE<br />
« Nous avons partagé <strong>de</strong>s moments<br />
inoubliables, qui donnent sens à tous nos mo<strong>de</strong>stes<br />
essais. Nous restons trop souvent sur le seuil <strong>de</strong> la<br />
porte. Il faut avoir le courage <strong>de</strong> l'ouvrir, et alors<br />
adviennent <strong>de</strong>s possibles insoupçonnés, <strong>de</strong>s rencontres<br />
inattendues. Trop souvent, <strong>de</strong>s barrières imaginaires,<br />
ou <strong>de</strong>s murs dans les têtes, viennent arrêter l'élan<br />
créateur qui, <strong>de</strong>s profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> l'être, peut inscrire<br />
dans le réel <strong>de</strong>s actions rayonnantes. Et rien n'est<br />
plus fécond qu'un engagement commun, où chacun<br />
apporte sa touche personnelle, car alors <strong>de</strong>s<br />
complémentarités souriantes interagissent pour une<br />
finalité qui dépasse les préoccupations du soi,<br />
en s'ouvrant aux autres, dans une perspective<br />
d'universalité. J'adresse mes plus vifs compliments aux<br />
huits stagiaires qui ont osé faire le pas. Leurs<br />
contributions généreuses ont permis <strong>de</strong>s « petits<br />
miracles » dont chacun gar<strong>de</strong>ra une clef ! ».
ALEXANDRA MOLLIÈRE<br />
PROFESSEUR STAGIAIRE, PARTICIPANTE<br />
AU STAGE<br />
« UNE CLEF D'HUMANITÉ<br />
Petite personne <strong>de</strong> l'extérieur<br />
Ayant trouvé à l'intérieur, le reflet <strong>de</strong> l'extérieur<br />
Eclairé par une lumière d'humanité.<br />
Evasion d'un instant, grâce à <strong>de</strong>s grands <strong>de</strong> l'intérieur<br />
Qui extériorisent leurs sentiments, leurs pensées bien<br />
au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s barrières intérieures.<br />
Regard neuf sur l'extérieur <strong>de</strong>puis cet enrichissement<br />
intérieur<br />
Regard neuf sur mon intériorité apporté par <strong>de</strong>s<br />
rencontres intérieures<br />
Que l'on ne peut pas juger seulement d'après un œil<br />
extérieur.<br />
Un grand merci à l'intérieur <strong>de</strong> m'avoir ouvert ses<br />
portes.<br />
En espérant prochainement que le mon<strong>de</strong> extérieur<br />
vous permette un avenir radieux ».<br />
CHRYSTÈLE DOUCET<br />
PROFESSEUR STAGIAIRE, PARTICIPANTE<br />
AU STAGE<br />
« L'expérience que j'ai vécue à la MA <strong>de</strong><br />
Bonneville a été extrêmement riche. Au travers <strong>de</strong>s<br />
différents ateliers que j'ai pu animer, j'ai pris<br />
conscience <strong>de</strong>s nombreux paradoxes <strong>de</strong> la détention<br />
qui inspirent <strong>de</strong>s sentiments contradictoires, <strong>de</strong><br />
questionnement, mais aussi <strong>de</strong> compassion et <strong>de</strong><br />
fraternité. Des hommes et <strong>de</strong>s femmes aux visages<br />
fermés, marqués par le poids <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong><br />
l'isolement nous ont ouvert leur cœurs et nous ont<br />
livré une peu <strong>de</strong> leurs histoires et <strong>de</strong> leurs<br />
souffrances. J'ai été immensément touchée par<br />
<strong>de</strong>s regards <strong>de</strong> reconnaissance, mais aussi d'espoir.<br />
Le travail <strong>de</strong>s enseignants est remarquable, mais on<br />
sent qu'il faudrait encore davantage <strong>de</strong> moyens pour<br />
toucher un public en très large <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. La prison<br />
n'est pour la plupart <strong>de</strong>s détenus qu'un mauvais<br />
passage dans la vie. Mais ne <strong>de</strong>vrait-ce pas être aussi<br />
l'occasion d'un moment <strong>de</strong> reconstruction personnelle<br />
pour ses hommes et ses femmes marqués par la vie ?<br />
En tous cas un grand merci à Claire et Isabelle<br />
d'avoir porté ce projet et d'avoir rendu possible cette<br />
magnifique aventure ».<br />
SOPHIE LEBRUN<br />
PROFESSEUR STAGIAIRE, PARTICIPANTE<br />
AU STAGE<br />
« Par où commencer ? Peut-être tout<br />
simplement par dire que sans Claire Rösler, ce projet<br />
n’aurait pas vu le jour et que je la remercie<br />
beaucoup pour toute cette énergie dépensée pour<br />
nous les futurs profs et pour les détenus. Ma première<br />
impression en rentrant dans la maison d’arrêt a été<br />
que c’était du surréalisme que je me trouve là. La<br />
première chose qui m’a marquée quand je suis<br />
entrée, ce sont ces bruits <strong>de</strong> clés et <strong>de</strong> portes qui<br />
ne cessent pas. C’est pourtant votre quotidien, à vous<br />
les détenus, et c’est cela qui est difficile à imaginer<br />
quand on vient <strong>de</strong> l’extérieur, pour une « simple<br />
visite ».<br />
Je me suis <strong>de</strong>mandée comment ces ateliers<br />
allaient se dérouler, comment le contact allait<br />
s’établir, quel serait l’accueil qui nous serait fait…<br />
Puis, tout s’est déroulé simplement et très vite aussi,<br />
ce qui me laisse un peu d’amertume quand même,<br />
en me disant que je suis partie aussi vite que je suis<br />
venue et que vous vous y êtes toujours. En tous cas,<br />
je témoignerai <strong>de</strong> cette belle expérience, je dis belle<br />
parce que cela a été une expérience à la fois<br />
touchante et enrichissante. Bien à vous tous ».<br />
MAUD VERCASSON<br />
PROFESSEUR STAGIAIRE, PARTICIPANTE<br />
AU STAGE<br />
« Ce qui reste <strong>de</strong> ce stage : rentrer dans une<br />
maison d’arrêt c’est percevoir le temps et l’espace <strong>de</strong><br />
manière différente voir paradoxale. On se sent,<br />
d’abord confiné dans les sas <strong>de</strong> sécurité, les couloirs,<br />
les minuscules parloirs, et l’étroite salle <strong>de</strong> classe.<br />
Le temps, lui aussi, subit la distorsion <strong>de</strong> cet<br />
environnement. Il s’allonge : l’attente entre <strong>de</strong>ux<br />
portes <strong>de</strong> sécurité <strong>de</strong>vient interminable. On attend…<br />
Les détenus ne parlent plus en jours mais en<br />
mois. Lorsque les personnes se racontent, leur enfance,<br />
leurs souvenirs, leur famille… Alors, on oublie<br />
la lour<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s murs. C’est comme si ils s’écartaient,<br />
que les fenêtres laissaient plus <strong>de</strong> lumières entrer,<br />
comme si le plafond s’élevait, le temps s’accélère,<br />
il nous échappe. On oublie presque où l’on est…<br />
Presque, car par les mots, les regards <strong>de</strong>s détenus qui<br />
se mettent à évoquer leur peine, leur jugement, leur<br />
vie enfermée, la prison ressurgit comme pour ne pas<br />
nous illusionner sur la condition carcérale, et<br />
les décisions <strong>de</strong> justice qui la précé<strong>de</strong>nt. Puis,<br />
les échanges et les rencontres humaines reprennent<br />
le pas. Merci aux personnes qui travaillent, <strong>de</strong> près<br />
comme <strong>de</strong> loin, autour <strong>de</strong>s prisons pour améliorer<br />
la qualité <strong>de</strong> vie avant, pendant et après une peine.<br />
Merci aux familles, courage. Merci à Claire ».<br />
KATIA BEL<br />
PROFESSEUR STAGIAIRE, PARTICIPANTE<br />
AU STAGE<br />
« Une expérience magique, remplie d'humanité<br />
et <strong>de</strong> relations vraies, justes et chaleureuses. Ce stage<br />
m'a permis une ouverture sur un milieu qui m'était<br />
inconnu. Certes, la prison est une privation <strong>de</strong> liberté,<br />
et pourtant lors <strong>de</strong> nos séances, en classe et en<br />
cuisine, j'ai pu me surprendre à m'éva<strong>de</strong>r <strong>de</strong> ce lieu<br />
par l'esprit et ceci avec les détenus. Nos échanges ont<br />
été tellement forts qu'ils resteront à jamais gravés<br />
dans ma mémoire. Merci indéfiniment à Claire <strong>de</strong><br />
nous avoir permis ce stage. Les vraies valeurs <strong>de</strong><br />
citoyenneté sont ici remises à leur place.<br />
Il est vrai que nous avons eu beaucoup <strong>de</strong><br />
remerciements pour nos interventions, mais je crois<br />
que la plus belle reconnaissance pour moi, ce sont<br />
les sourires <strong>de</strong>s détenus et les poignées <strong>de</strong> mains<br />
échangées en fin <strong>de</strong> séances. Il est difficile <strong>de</strong> mettre<br />
en mots mes ressentis, tellement ces <strong>de</strong>ux semaines<br />
ont été intenses et chargées en émotions et pourtant,<br />
je pense qu'après une prise <strong>de</strong> recul, il me serait<br />
possible d'en faire un livre. Merci à tous <strong>de</strong> votre<br />
investissement dans notre projet que ce soient les<br />
détenus, monsieur le Directeur, l'ensemble du<br />
personnel pénitentiaire, les juges, les familles, nos<br />
formateurs ».<br />
27
28<br />
CHRISTOPHE AMBLARD<br />
PROFESSEUR STAGIAIRE, PARTICIPANTE<br />
AU STAGE<br />
« Ce stage aura été, pour moi, une expérience<br />
très riche sur au moins <strong>de</strong>ux plans. Tout d’abord, sur<br />
le plan <strong>de</strong> la citoyenneté. Avec mes collègues, nous<br />
avons beaucoup appris sur le fonctionnement d’un<br />
versant <strong>de</strong> notre société très souvent maintenu dans<br />
l’ombre. Dans un cadre plus professionnel, nous avons<br />
aussi pu avoir un aperçu d’un milieu dans lequel nous<br />
avons la possibilité d’exercer notre métier : professeur<br />
<strong>de</strong>s écoles en prison. Ce stage nous a amené<br />
à découvrir l’enseignement avec <strong>de</strong>s détenus, dont<br />
beaucoup faisaient face à <strong>de</strong> grosses difficultés avec<br />
la langue française (problème <strong>de</strong> connaissance orale<br />
ou quasi-illettrisme). Ensuite, au niveau humain, cette<br />
courte pério<strong>de</strong> aura été très <strong>de</strong>nse en rencontres<br />
fortes, émouvantes, voire poignantes. De nombreux<br />
moments <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> confiance et <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> sincérité<br />
nous ont été offerts. Au final, ce sont <strong>de</strong>s moments<br />
d’espoir dans l’Humanité ».<br />
VIRGINIE RUBIOT<br />
PROFESSEUR STAGIAIRE, PARTICIPANTE<br />
AU STAGE<br />
« Si je <strong>de</strong>vais faire un portrait <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong><br />
carcéral que, pendant quelques jours, j’ai entrevu,<br />
assurément, il serait fait <strong>de</strong> contrastes. Pas <strong>de</strong> blanc,<br />
pas <strong>de</strong> noir non plus. Le gris est la couleur <strong>de</strong> la<br />
prison. Mais j’y ajouterais du jaune, rayons <strong>de</strong> soleil<br />
entrevus au fond <strong>de</strong>s yeux ou au coin <strong>de</strong>s lèvres.<br />
Il me faudrait aussi du vert, couleur <strong>de</strong> l’espérance,<br />
qui est là, partout. Espoir <strong>de</strong> sortie, espoir d’un travail<br />
pour gagner un peu d’argent pendant sa détention<br />
et passer son permis à la sortie, espoir d’un parloir<br />
ou encore notre espoir à nous, stagiaires, d’avoir<br />
apporté, un peu. J’ai longtemps cherché la couleur<br />
que j’ai vue dans la maison d’accueil <strong>de</strong>s familles en<br />
attente d’un parloir. C’était le rose. Le rose qui<br />
représente l’amour sans faille <strong>de</strong>s familles pour leurs<br />
proches incarcérés, celui qui conduit une grand-mère<br />
mala<strong>de</strong> à venir <strong>de</strong>ux fois par semaine, celui qui<br />
conduit une jeune femme à traverser la moitié <strong>de</strong><br />
la France pour voir son mari une heure seulement,<br />
celui qui les conduit tous, pour leurs proches, à être<br />
simplement présent. Oui, c’est sombre, la prison, mais<br />
<strong>de</strong> temps en temps, on peut y apercevoir <strong>de</strong> belles<br />
taches <strong>de</strong> couleur et <strong>de</strong> grands rayons <strong>de</strong> soleil ».<br />
ISABELLE PETIT-JEAN<br />
PROFESSEUR STAGIAIRE, PARTICIPANTE<br />
AU STAGE<br />
« Si j'avais un adjectif pour caractériser cette<br />
expérience, ce serait le mot paradoxal. Paradoxe <strong>de</strong>s<br />
rencontres, paradoxe <strong>de</strong>s lieux, paradoxes <strong>de</strong>s actes,<br />
paradoxe <strong>de</strong>s sentiments. Ce dont je suis sûre, c'est<br />
que ceci restera gravé en moi. Jamais je n'oublierai<br />
vos sourires, vos « mercis » en fin d'activités.<br />
En ce moment, un sentiment <strong>de</strong> frustration me frôle,<br />
ce temps <strong>de</strong> partage est passé très vite. A vous tous,<br />
à mon tour, je vous dis MERCI ».<br />
ISABELLE MAIGNAN-DORIOZ<br />
PROFESSEUR STAGIAIRE, PARTICIPANTE<br />
AU STAGE<br />
« C'est avec un immense plaisir et beaucoup<br />
d'émotion, que j'ai pu accompagner les stagiaires <strong>de</strong><br />
<strong>l'IUFM</strong> : chanter et échanger avec les femmes détenues<br />
fut une expérience unique que nous souhaitons<br />
renouveler dès la rentrée prochaine... ».<br />
GABRIEL PÉPIN<br />
ENSEIGNANT À LA MAISON D'ARRÊT<br />
« Convaincu que le savoir, la culture, la parole<br />
et l’écriture sont <strong>de</strong>s éléments d’insertion et <strong>de</strong> lutte<br />
contre l’exclusion, je me réjouis <strong>de</strong> l'initiative <strong>de</strong><br />
ces jeunes stagiaires. Un partenariat entre l'Unité<br />
Locale d’Enseignement <strong>de</strong> la MA et <strong>l'IUFM</strong> va être mis<br />
en place l’année à venir, afin <strong>de</strong> donner une suite à<br />
ce stage. Cette expérience qui a laissé entrevoir une<br />
part <strong>de</strong> la réalité carcérale suscitera peut-être, parmi<br />
les stagiaires, une vocation d’enseignant en milieu<br />
pénitentiaire ».<br />
DIDIER RIGAL<br />
ENSEIGNANT À LA MAISON D'ARRÊT<br />
« Moi-même en formation cette année, je ne<br />
m’étais au départ que timi<strong>de</strong>ment associé au projet.<br />
J’avais même quelques inquiétu<strong>de</strong>s, nourries par<br />
l’organisation <strong>de</strong> visites parfois guidées par<br />
la curiosité ou la compassion, difficiles à justifier<br />
auprès <strong>de</strong> nos élèves. Il n’en a rien été et l’accueil<br />
<strong>de</strong>s détenus a été à la hauteur du dynamisme et <strong>de</strong><br />
la bonne humeur <strong>de</strong>s stagiaires. C’est bien<br />
d’enseignement qu’il a été question, même si<br />
l’émotion était souvent présente, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés.<br />
J’ai aussi appris <strong>de</strong>s stagiaires qui ont souvent osé<br />
proposer activités et organisations originales. Nul<br />
doute que je serai volontaire pour participer à une<br />
prochaine expérience ».<br />
PATRICIA MALINGREY<br />
DIRECTRICE-ADJOINTE DE LA MAISON<br />
D'ARRÊT DE BONNEVILLE<br />
« C’est avec beaucoup <strong>de</strong> plaisir que nous vous<br />
avons accueilli au sein <strong>de</strong> notre établissement, je<br />
pense qu’effectivement cette expérience a été très<br />
riche pour tous et que vous avez apporté beaucoup<br />
à cette population pénale qui a su apprécier votre<br />
investissement professionnel et personnel dont vous<br />
avez fait part. Je reprendrais simplement les paroles<br />
<strong>de</strong> Marylise LEBRANCHU que je trouve très justes<br />
« Pour que <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> détention soient dignes,<br />
il faut que les prisons le soient, mais les murs<br />
ne sont rien si on ne s’occupe pas <strong>de</strong>s hommes »<br />
et c’est ce que vous avez su si bien faire ! ».<br />
LUC DUWAT<br />
DIRECTEUR DU SPIP<br />
« La prison est un mal nécessaire au maintien<br />
du fragile équilibre <strong>de</strong> la démocratie. Elle ne peut<br />
être un lieu secret où se joue un « drame » entre<br />
exclus et représentants <strong>de</strong> l’ordre social. La prison est<br />
une transition entre la liberté et la liberté, transition<br />
qui doit permettre à celui qui la subit <strong>de</strong> se forger<br />
les outils lui permettant un retour définitif à la vie
sociale. Je souhaite que ce stage a fait prendre<br />
conscience aux futurs professeurs tout l’intérêt pour<br />
la société civile <strong>de</strong> participer activement à cette<br />
action <strong>de</strong> resocialisation ».<br />
FRÉDÉRIC SUBILEAU<br />
DIRECTEUR ADJOINT DU SPIP<br />
« Il y a une contradiction évi<strong>de</strong>nte entre les<br />
motivations qui poussent la société à priver <strong>de</strong> liberté<br />
un individu et le désir concomitant <strong>de</strong> le réinsérer<br />
dans la vie <strong>de</strong> la communauté. Il faut donc, en<br />
conséquence, que la prison soit organisée <strong>de</strong> manière<br />
à favoriser la réinsertion <strong>de</strong>s détenus dans la société<br />
tout en contrecarrant les conséquences néfastes<br />
<strong>de</strong> la privation <strong>de</strong> liberté. L’expérience <strong>de</strong> l’IUFM<br />
<strong>de</strong> BONNEVILLE montre l’intérêt <strong>de</strong> développer<br />
<strong>de</strong>s liens constructifs avec l’extérieur permettant<br />
<strong>de</strong> s’enrichir mutuellement, faisant en sorte que<br />
le présent prépare à un meilleur avenir ».<br />
JOCELYNE PRADARELLI<br />
TRAVAILLEUSE SOCIALE DU SPIP<br />
« La démocratie suppose, comme la justice,<br />
<strong>de</strong> la visibilité. La prison fait partie <strong>de</strong> la Cité, mais<br />
on préfère souvent l’ignorer plutôt que <strong>de</strong> l’intégrer.<br />
On a tendance à gar<strong>de</strong>r la prison cachée. Pourtant<br />
se donner les moyens <strong>de</strong> la regar<strong>de</strong>r en face, c’est<br />
assumer le côté sombre <strong>de</strong> la démocratie, sans laisser<br />
libre cours aux idées reçues. A ce titre, on ne peut<br />
que se féliciter <strong>de</strong> l’expérience menée par l’IUFM<br />
<strong>de</strong> BONNEVILLE, tant pour les détenus, par le biais<br />
d’échanges extérieurs toujours enrichissants, que pour<br />
les stagiaires qui ont pu « toucher du doigt »<br />
le ressenti <strong>de</strong> l’enfermement ».<br />
FRANCIS SAILLARD<br />
PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION POUR<br />
L'ACCUEIL DES FAMIL<strong>LES</strong> DE DÉTENUS<br />
« A l'initiative <strong>de</strong> leur professeur <strong>de</strong> philo,<br />
Claire Rösler, huit jeunes diplômés <strong>de</strong> <strong>l'IUFM</strong> (sept<br />
jeunes femmes et un jeune homme) ont approché par<br />
différentes démarches, le mon<strong>de</strong> judiciaire et carcéral.<br />
C'est donc tout naturellement et avec grand plaisir<br />
que nous les avons reçus les 19 et 20 juin à l'accueil<br />
<strong>de</strong>s familles.Le dialogue s'est instauré immédiatement,<br />
d'une part, avec les bénévoles présents qui ont donné<br />
<strong>de</strong>s explications sur l'origine, le rôle et le<br />
fonctionnement <strong>de</strong> l'association « ACCUEIL DES<br />
FAMIL<strong>LES</strong> », d'autre part, avec les familles présentes<br />
ces jours là, qui ont beaucoup apprécié la démarche<br />
<strong>de</strong> ces jeunes professeurs trés motivés. Nous avons<br />
eu beaucoup <strong>de</strong> plaisir et <strong>de</strong> satisfaction à les<br />
rencontrer, à parler avec eux et voir à quel point<br />
ils souhaitaient s'investir au service <strong>de</strong>s autres, ce qui<br />
laisse augurer beaucoup d'espoir dans l'exercice<br />
<strong>de</strong> leur beau métier <strong>de</strong> professeurs <strong>de</strong>s écoles.<br />
La conclusion <strong>de</strong> notre échange a été <strong>de</strong> dire<br />
qu'il se fait beaucoup <strong>de</strong> belles choses, que <strong>de</strong> belles<br />
actions sont menées dans la discrétion et que l'adage<br />
« le bruit ne fait pas <strong>de</strong> bien, le bien ne fait pas<br />
<strong>de</strong> bruit » est plus que jamais d'actualité. Nous<br />
espérons que cette initiative ne sera pas la <strong>de</strong>rnière<br />
et nous les remercions tous. A vous tous merci pour<br />
votre enthousiasme et bonne route vers votre avenir.<br />
Francis, Noëlle, Nicole. ».<br />
MAGALI LAMBERSEND<br />
LIBRAIRIE PRÉFACE DE BONNEVILLE<br />
qui a soutenu le projet<br />
« Un grand, grand merci à Claire, pour le don<br />
<strong>de</strong> sa personne optimiste, généreuse, souriante,<br />
réconfortante, en quête perpétuelle d'humanité.<br />
A notre rencontre pleine <strong>de</strong> bonheur et d'espoir,<br />
à une gran<strong>de</strong> amie ».<br />
29
30<br />
ATELIER ARTS PLASTIQUES<br />
Difficile <strong>de</strong> faire son propre portrait ! Nous avons eu l’idée d‘emprunter leurs traits à <strong>de</strong>s personnalités connues. Nous avons<br />
proposé aux participants à l’atelier <strong>de</strong> choisir parmi plusieurs portraits <strong>de</strong> personnalités ceux qui leur plaisaient le plus ou les<br />
intriguaient le plus. Ensuite, nous avons copié la simplification extrême <strong>de</strong> l’image et le style très coloré propres à Andy Warhol.<br />
Nous nous sommes aidés pour cela <strong>de</strong> papier-carbone et <strong>de</strong>s portraits à la craie ont ainsi été réalisés. Au lieu <strong>de</strong> montrer un<br />
même visage dupliqué, décliné en plusieurs couleurs flashy, un, <strong>de</strong>ux, parfois trois portraits, différents, ont ainsi été réalisés.<br />
Quelle est la part d’autoportrait dans ses portraits empruntés, modifiés ? Le mystère reste entier…<br />
Tout l'équipe en pleine concentration<br />
pour parvenir à réaliser les portraits<br />
à la façon d'Andy Warhol.<br />
Et il faut savoir être convaincant !<br />
Exposition <strong>de</strong>s chefs d'œuvres<br />
une fois l'atelier terminé !
ATELIERS CUISINE - TERRE - CHANT<br />
ATELIER CUISINE<br />
Un enseignant <strong>de</strong> l'AFPA prépare les détenus<br />
à l'obtention du CAP cuisine. Il accepte <strong>de</strong> nous<br />
recevoir dans le cadre <strong>de</strong> ses cours théoriques<br />
et pratiques.<br />
Le Chef nous montre comment plier la pâte feuilletée.<br />
Nous sommes logés à la même enseigne que<br />
les détenus. Quand le chef parle, on obéit !<br />
La technique du maniement du rouleau pour étaler<br />
la pâte comporte bien <strong>de</strong>s secrets... que les détenus<br />
connaissent parfaitement, contrairement à nous,<br />
qui sommes bien néophytes à leur côté.<br />
ATELIER TERRE GLAISE<br />
Un moment <strong>de</strong> détente et <strong>de</strong> créativité qui nous<br />
permet <strong>de</strong> façonner <strong>de</strong>s objets en terre glaise, tout<br />
en discutant d'une chose ou l'autre. L'ambiance<br />
est joyeuse et les réalisations variées.<br />
ATELIER CHANT<br />
A.<br />
« Qu'il est formidable <strong>de</strong> chanter<br />
Quand on n'a que ses mains à tendre ou à donner,<br />
Quand on n'a que ses yeux pour rire ou pleurer,<br />
Quand on n'a que sa voix pour crier et chanter,<br />
Quand on n'a que sa peine à dire ou à cacher,<br />
Quand on n'a que sa joie à taire ou à partager,<br />
Quand on n'a que ses rêves à faire voyager,<br />
Qu'il est formidable <strong>de</strong> chanter ! »<br />
« Merci <strong>de</strong> tout cœur <strong>de</strong> venir chanter avec<br />
nous qui sommes à l’intérieur, chanter, sourire,<br />
se regar<strong>de</strong>r dans les yeux, s’émerveiller s’élargir sans<br />
cesse grâce à vous. Que Dieu vous bénisse ».<br />
« Quel bonheur <strong>de</strong> vous avoir rencontré,<br />
je n’oublierai pas ce moment <strong>de</strong> partage et<br />
<strong>de</strong> convivialité ! Bonne continuation, un grand merci<br />
sincère ! »<br />
« Vous m’avez apporté un rayon <strong>de</strong> soleil dans<br />
ce passage sombre <strong>de</strong> ma vie, un bon goût <strong>de</strong> liberté<br />
et d’évasion restera gravé. Sincèrement : MERCI ».<br />
31
32<br />
S T A G E M O N T A G N E<br />
SORTIE EN MONTAGNE POUR QUELQUES DETENUS, ORGANISEE PAR LE MONITEUR DE SPORT DE LA MAISON D'ARRET.<br />
DIRECTION LA VANOISE !<br />
S.<br />
« Il y a à peine trois heures que nous avons<br />
quitté la maison d’arrêt et j’ai déjà un sentiment<br />
d’entière liberté. On oublie le stress, l’anxiété, la<br />
pression <strong>de</strong> la vie pénitentiaire. Après <strong>de</strong>ux heures <strong>de</strong><br />
route, nous arrivons à Pralognan, une petite station<br />
<strong>de</strong> ski familiale ».<br />
R.<br />
« A cet instant, il est à peine 6h10 du matin.<br />
Mes yeux sont ouverts <strong>de</strong>puis un moment, c'est<br />
sûrement dû à l’excitation qui m’empêche <strong>de</strong> dormir,<br />
comme n’importe quel jour <strong>de</strong> départ en vacances.<br />
Ça et l’idée <strong>de</strong> revoir le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la liberté, avouez<br />
qu’il y a <strong>de</strong> quoi se lever <strong>de</strong> bonne heure ».<br />
A.<br />
« Jamais je n’aurais imaginé que c’était aussi<br />
difficile mais c’était la première fois que je faisais une<br />
expérience aussi passionnante. J’ai bien aimé<br />
l’ambiance. Les gui<strong>de</strong>s ne nous ont pas jugés, genre :<br />
on était <strong>de</strong>s détenus, on venait <strong>de</strong> prison ».<br />
C.<br />
« Dans ce milieu montagnard, isolé, protégé,<br />
l’hiver stoppe la vie. Les animaux vivant à l’année<br />
dans ces contrées - chamois, mouflons, bouquetins,<br />
perdrix, marmottes - me font penser à mes camara<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong> Bonneville, recroquevillés durant l’hiver au fond<br />
<strong>de</strong> leurs cellules pour affronter le froid <strong>de</strong> la vie ».<br />
DIDIER ENSEIGNANT<br />
« Pour nos compagnons ce séjour n’était<br />
ni une récompense, ni une récréation : je pense qu’ils<br />
re<strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt un peu changés, comme j’ai pu l’être<br />
par mes premiers séjours en montagne. De retour à<br />
Bonneville, il n’y a qu’à entendre le plaisir qu’ils ont<br />
à partager ces moments avec ceux qui n’ont pas eu<br />
l’occasion d’en profiter ».<br />
ERIC GUIDE DE HAUTE MONTAGNE<br />
« Si ces moments vécus là-haut pouvaient<br />
rester quelque part dans l'esprit <strong>de</strong> chacun comme<br />
un exemple <strong>de</strong> ce que peut être la vie, lorsqu'on<br />
accepte <strong>de</strong> se rencontrer et <strong>de</strong> partager ensemble<br />
plaisirs et efforts, que l'on soit détenus, surveillants,<br />
journalistes, gui<strong>de</strong>s, alpinistes ou randonneurs<br />
<strong>de</strong> passage, que l'on ait été plus ou moins épargnés<br />
par les acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> la vie, alors pour moi l'objectif<br />
est atteint ».<br />
STÉPHANE SURVEILLANT<br />
« Ce qui m’impressionna le plus fut le moment<br />
où nous nous sommes encordés pour franchir<br />
le passage le plus difficile. Nous étions tous reliés<br />
les uns aux autres par une seule cor<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie et<br />
notre confiance réciproque nous poussait au sommet.<br />
Quel bonheur <strong>de</strong> voir dans les yeux <strong>de</strong> chacun<br />
la joie du défi réussi ! ».<br />
STÉPHANE MONITEUR DE SPORT<br />
« Dans la souffrance pour certains, dans<br />
l’appréhension du vi<strong>de</strong> pour d’autres, ils ont su se<br />
dépasser, sans que jamais je n’enten<strong>de</strong> une plainte.<br />
Ils ont gagné leur montée au refuge et au sommet<br />
à la sueur <strong>de</strong> leurs fronts. Ce fut une belle<br />
récompense pour le Moniteur <strong>de</strong> Sport que je suis,<br />
je ne suis pas trompé sur leur motivation,<br />
ma confiance n’a jamais été trahie ».