En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne
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victoire de la vraie foi sur les croyances trompeuses. Mais il n’en reste pas moins que la figure de Perceval, en soi, est particulièrement intéressante pour appréhender la problématique du passage d’une foi à l’autre, dans la mesure où Perceval appartient à la fois à l’un et l’autre monde – ou disons plutôt qu’il peut appartenir soit à l’un soit à l’autre, tout comme le graal. Selon la lecture que l’on privilégie, Perceval et le graal peuvent être rattachés aussi bien à la sphère celtique qu’à la sphère chrétienne, et, dans une pièce comme celle-ci, la problématisation de ce passage d’un monde à l’autre s’ouvre spontanément à une dimension métatextuelle où ce sont les soubassements mêmes de la matière traitée qui se trouvent interrogés. En d’autres termes, conclure Le Triomphe du Graal par l’abjuration de Velléda et la mort extatique de Perceval, c’est trancher la question des origines de la légende en faveur du christianisme contre le druidisme. Le graal n’est pas un « vase magique » mais la coupe de la Cène, et Perceval en est le héros très chrétien, plutôt que l’avatar d’un quelconque Peredur. En dépit des travaux de La Villemarqué, c’est bien la vision d’un Perceval chrétien qui semble s’imposer de plus en plus clairement. La voie était déjà nettement ouverte par Wagner, mais on peut noter ici une concentration sur la seule dimension religieuse, au détriment de tous les motifs qui s’y agrégeaient dans Parsifal. Découverte de soi, compassion avec la souffrance d’autrui, lutte contre la tentation, ancrage dans une problématique familiale : tous ces éléments se trouvent gommés dans les deux pièces que nous venons d’évoquer. Il me semble que nous retrouvons ici, toutes proportions gardées, une dynamique proche de celle qui se joue entre le Conte du graal et la Queste. La christianisation porte à simplifier radicalement une figure dont on ne retient que certains traits pertinents – qui risquent bien, en outre, de ne pas être les traits les plus originaux. C’est comme si, pour la seconde fois, Perceval perdait une part de sa personnalité pour redevenir le héros d’un drame purement chrétien. Le héros du graal, dans ces deux pièces, pourrait aussi bien s’appeler Galaad : exception faite de son amour pour une femme, aucun trait ne le rattache à la riche figure forgée par Chrétien de Troyes et refondue par Wagner, plus spécifiquement qu’au profil toujours émacié du très pur Galaad. Pourtant, le Perceval celte n’est pas tout à fait mort. Quelques années plus tard, un certain Framboise Paré cherchera à le ressusciter à travers son Nouveau Sein-Graal, qu’il présente lui-même comme un livre « obstinément conçu sur le mode le plus persistant d’un paganisme sensuel » contre tous « les faussaires, les menteurs des siècles et leurs disciples lettrés, les 278
latins, les bâtards de France » qui ont réussi à faire « de cette terre par excellence des Celtes, "les Gaules" » 455 . • Parsifal et la druidesse Mais avant d’en venir à Framboise Paré, je voudrais profiter de cette réflexion sur l’association de Perceval à une tradition celtique pour évoquer un point d’histoire de l’art, qui nous ramène un peu en arrière dans le temps, mais entre parfaitement dans cette problématique. Le 11 octobre 1891, Huysmans reçoit de Redon un « joli rouleau » contenant trois lithographies parmi lesquelles un Parsifal et une Druidesse que Huysmans décrit comme « l’une si étrangement douce et dolente avec sa flèche, l’autre si terriblement bestiale avec son profil fruste, son œil verni » 456 . En 1976, deux chercheuses de l’Art Institute de Chicago font une découverte surprenante, qui donne à ce « diptyque » (qui pouvait paraître fortuit) un éclairage tout différent : elles découvrent une première version de Parsifal, qui ne figure pas dans le catalogue de l’œuvre de Redon, et qui ressemble beaucoup à la version « officielle ». Mais surtout, elles démontrent que ce Parsifal a été gravé sur la même pierre que Druidesse, et qu’il suffit de retourner l’un pour voir à l’évidence apparaître un souvenir de l’autre. Reprenant ce dossier dans un récent article, Dario Gamboni, après avoir mis en évidence plusieurs éléments qui, dans l’imaginaire de l’époque, cautionnent un rapprochement symbolique des deux figures que sont Parsifal et la druidesse, s’interroge sur le sens de cette superposition. Une observation attentive le porte à faire l’hypothèse que la forme première du tableau ne serait pas Parsifal I, mais une Druidesse I dont aucune trace n’est restée, qui aurait ensuite été retravaillée pour donner lieu à Parsifal I ramené ensuite à la Druidesse que nous connaissons, tandis que Redon gravait sur une autre pierre un Parsifal II qui conserve la physionomie globale du premier, mais avec quelque chose de plus doux, de plus féminin dans les traits. 455 FRAMBOISE PARE, Le Nouveau Sein-Graal, ou Les Nuits savoureuses de Perceval-le-François et des Quarante Vierges du Tour de France olympique et de la Féérie retrouvée, Annemasse: Bibliothèque de la zone franche, 1934, p. n.n. 456 Lettres de Gauguin, Gide, Huysmans, Jammes, Mallarmé, Verhaeren... à Odilon Redon, éd. Roseline Bacou, Paris: José Corti, 1960, p. 125. 279
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mon<strong>de</strong> – ou disons plutôt qu’il peut appartenir soit à l’un soit à l’autre, tout comme le graal.<br />
Selon la lecture que l’on privilégie, <strong>Perceval</strong> et le graal peuvent être rattachés aussi bien à la<br />
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<strong>En</strong> dépit <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> La Villemarqué, c’est bien la vision d’un <strong>Perceval</strong> chrétien qui<br />
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mais on peut noter ici une concentration sur la seule dimension religieuse, au détriment <strong>de</strong><br />
tous les motifs qui s’y agrégeaient dans Parsifal. Découverte <strong>de</strong> soi, compassion avec la<br />
souffrance d’autrui, lutte contre la tentation, ancrage dans une problématique familiale : tous<br />
ces éléments se trouvent gommés dans les <strong>de</strong>ux pièces que nous venons d’évoquer. Il me<br />
semble que nous retrouvons ici, toutes proportions gardées, une dynamique proche <strong>de</strong> celle<br />
qui se joue entre le Conte du graal et la Queste. La christianisation porte à simplifier<br />
radicalement une figure dont on ne retient que certains traits pertinents – qui risquent bien, en<br />
outre, <strong>de</strong> ne pas être les traits les plus originaux. C’est comme si, pour la secon<strong>de</strong> fois,<br />
<strong>Perceval</strong> perdait une part <strong>de</strong> sa personnalité pour re<strong>de</strong>venir le héros d’un drame purement<br />
chrétien. Le héros du graal, dans ces <strong>de</strong>ux pièces, pourrait aussi bien s’appeler Galaad :<br />
exception faite <strong>de</strong> son amour pour une femme, aucun trait ne le rattache à la riche figure<br />
forgée par Chrétien <strong>de</strong> Troyes et refondue par Wagner, plus spécifiquement qu’au profil<br />
toujours émacié du très pur Galaad.<br />
Pourtant, le <strong>Perceval</strong> celte n’est pas tout à fait mort. Quelques années plus tard, un certain<br />
Framboise Paré cherchera à le ressusciter à travers son Nouveau Sein-Graal, qu’il présente<br />
lui-même comme un livre « obstinément conçu sur le mo<strong>de</strong> le plus persistant d’un paganisme<br />
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