En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne
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trouve dans la miniature de Tressan aucun élément surdéterminé symboliquement. Évidemment, un lecteur pourra y projeter des associations intertextuelles et le simple mot « Saint-Graal » pourra, en tant que tel, apparaître comme surdéterminé ; mais dans le texte même, il ne me semble pas qu’il soit possible de trouver un seul de ces « doubles fonds » où se cachent les surdéterminations symboliques. En l’absence de ces noyaux, il est évidemment difficile de parler de densité structurale, faute de pouvoir déterminer sur la base de quels éléments se constitue la « structure » – puisqu’on ne peut isoler de « mythèmes » pertinents. Le texte n’est certes pas relâché comme ces rhapsodies qu’évoquait Philippe Sellier, et il délaisse même bon nombre des épisodes (y compris ceux qui concernent Gauvain) pour se concentrer sur un fil unique. Mais les liens de structure forts qui reliaient ces éléments chez Chrétien se trouvent largement distendus, quand ils ne sont pas simplement rompus. Et surtout, rien dans ce texte ne me paraît susceptible de revêtir cette valeur fascinante dont parlait Dabezies. Nous serions ici typiquement dans un cas où l’histoire racontée n’est perçue comme un mythe ni par celui qui la raconte ni par celui à qui elle est prioritairement destinée. Suffirait-il, dès lors, que notre regard postérieur la constitue en réplique dans le vaste dialogue intertextuel de ce que nous voulons voir comme un mythe littéraire pour que cette valeur fascinante se trouve réinjectée, a posteriori, dans un objet que rien ne disposait à la recevoir ? Il y a là une importante question qui intéresse les théories de la réception, et qui consiste à savoir jusqu’à quel point la lecture d’une œuvre peut être séparée de ce que son auteur a, consciemment ou non, déposé en elle. Sans entrer dans cette discussion d’un point de vue théorique, disons simplement que, dans le cas qui nous concerne ici, il semble qu’il faudrait faire preuve de beaucoup de bonne volonté pour considérer ces récits comme « plus mythiques » que n’importe quelle aventure chevaleresque. Perceval, sevré de tous les éléments que nous venons d’évoquer, ne se distingue plus de Gauvain, de Lancelot ou de n’importe quel autre chevalier. Sa seule spécificité est d’avoir une dimension comique, de par sa naïveté initiale, mais il semble bien que rien de ce qui contribue à donner une coloration mythique au récit de ses aventures ne se retrouve ici. Du coup, l’intérêt que présente ce texte pour nous est essentiellement historique ; il tient bel et bien à cette idée de considérer le mythe comme miroir, mais un miroir « en négatif », qui ne se contente pas d’inverser symétriquement les positions, mais révèle aussi par ses creux, les formes d’une absence. Je veux dire par là que ce miroir isole, parmi la masse quasi-infinie de l’absent, quelques éléments pertinents. Ce qui manque, ce n’est pas la totalité du « non 152
présent » ; ce sont, au contraire, certains éléments clairement identifiés ailleurs et dont l’absence revêt une signification particulière. C’est le « Monsieur Simonnot lui-même, absent en chair et en os » qu’évoque Sartre dans Les Mots, avant de définir la place marquée par ce manque remarquable comme « un néant creusé par l’attente universelle, un ventre invisible d’où, brusquement, il semblait qu’on pût renaître » 253 . Ainsi, ce qui manque à ces miniatures sur Perceval, c’est le mythe de Perceval. Ce qui manque à la période qui a produit ces textes, c’est une place pour recevoir ce récit (et peut- être même tout récit) comme un mythe. Voilà donc bien un manque clairement circonscrit par les formes de quelque chose dont on sait que cela a existé et que cela peut renaître. Ce qui, en revanche, renaît au monde dans le cadre de ces compilations universalisantes, ce sont les récits de chevalerie empruntés au Moyen Âge ; et même si la dimension mythique que peut revêtir l’un ou l’autre de ces récits ne resurgit pas immédiatement avec cette première exhumation, le mouvement entamé est néanmoins digne de retenir notre attention. Même si la trame narrative ne véhicule plus la charge symbolique forte qui avait pu lui être associée, le fait que cette trame réapparaisse au grand jour permet de supposer que peut-être, bientôt, le mythe la retrouvera et la réinvestira. Ainsi, le récit serait cet appât que l’on accroche à son hameçon pour que vienne y mordre le mythe, ce poisson des grands fonds toujours prêt à remonter à la surface pour s’emparer d’une structure narrative nouvelle. Disons plutôt : à remonter juste en dessous de la surface, en cet entre deux eaux où le mythe serait suffisamment présent pour qu’on perçoive, à la surface, les reflets colorés et les remous qu’il provoque, mais suffisamment discret pour qu’on ne le voie jamais que par touches mouvantes… Et si le graal de Paulmy et Tressan ne contient ni lamproie, ni saumon, ni même hostie, il n’en reste pas moins que, chez eux, le Roi Pêcheur, après quelques siècles de repos, a relancé son filet dans l’onde fluente. Peut-être ne prendra-t-il plus jamais de proie, notre poisson ayant déserté ces eaux ou n’ayant plus aucune propension à refaire surface. Mais nous savons bien, en l’occurrence, que les récits percevaliens ne tarderont plus à capturer à nouveau le mythe dans les mailles de leur texte. Ces mailles, encore faudra-t-il pourtant les resserrer un peu ; en l’état, elles se révèlent encore trop lâches pour parvenir à tirer des eaux quelque chose de plus consistant que tel petit 253 JEAN-PAUL SARTRE, Les Mots, Paris: Gallimard, "N.R.F", 1964, pp. 73-4. 153
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Ainsi, ce qui manque à ces miniatures sur <strong>Perceval</strong>, c’est le mythe <strong>de</strong> <strong>Perceval</strong>. Ce qui<br />
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Ce qui, en revanche, renaît au mon<strong>de</strong> dans le cadre <strong>de</strong> ces compilations universalisantes, ce<br />
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Et si le graal <strong>de</strong> Paulmy et Tressan ne contient ni lamproie, ni saumon, ni même hostie, il n’en<br />
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Ces mailles, encore faudra-t-il pourtant les resserrer un peu ; en l’état, elles se révèlent encore<br />
trop lâches pour parvenir à tirer <strong>de</strong>s eaux quelque chose <strong>de</strong> plus consistant que tel petit<br />
253 JEAN-PAUL SARTRE, Les Mots, <strong>Paris</strong>: Gallimard, "N.R.F", 1964, pp. 73-4.<br />
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