Arabic Linguistics

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30.06.2013 Views

sciences de la langue comme je l‘avais montré dans un article paru en 1984 et dans quelques travaux ultérieurs (1985, 1986 trad. fr. 1995). Mon approche s‘inspirait des travaux de von Wright (1971) et de W.A. Wallace (1981) qui affirment que la causalité est toujours comprise en rapport avec l‘action humaine, par analogie avec les agents responsables de leurs actes, et les termes par lesquels diverses langues expriment la causalité portent les traces de cette conception. J‘avais remarqué que la conception des grammairiens arabes sur les causes de la langue, telle qu‘elle se manifeste par le concept de „āmil s‘inscrit elle aussi, par les métaphores anthropomorphes qui se trouvent à l‘origine du terme, dans une conception habituelle de la causalité („āmil qui arrive à désigner dans la théorie grammaticale arabe, le « facteur régissant », signifie, à l‘origine, « celui qui agit »). Le rôle de la métaphore conceptuelle en tant que « procédé de découverte » est bien représenté dans le cas des termes comme „āmil : sans elle on ne peut pas concevoir l‘idée de causalité, ou, plutôt, les idées qu‘on peut se faire de la causalité à partir de ce qui se passe dans la langue. Les mots par lesquels Ibn Ğinnī définit la vraie « cause » dans la langue (voir ci-dessus), qui est le locuteur, en montrant en même temps, que la grammaire est un langage modelé sur les agents réels, qui agissent réellement, sont à même de prouver, à côté d‘autres opinions qu‘il exprime, que son œuvre marque un moment important dans la prise de conscience concernant le statut d‘une théorie de la langue. Sa manière d‘envisager al-„illa (une autre « cause », ou plutôt « principe explicatif » des grammairiens ayant une origine métaphorique dans « défaut, invalidité »), qui est, selon son opinion, plus proche de celle des théologiens que de la „illa des juristes, donc, plus proche de la théorie que de la norme (voir Suleiman, 1999 etc.), et sa manière de parler de ‟us}ūl (mot qui signifie à l‘origine « racines ») comme de « représentations/formes sous-jacentes » (voir Bohas et Guillaume, 1984, surtout les pages 23-47, 341-358) peuvent être considérées elles aussi comme des éléments constitutifs d‘une théorie de la langue qui est elle aussi un « modèle », donc, une métaphore. * * * L‘idée que la langue arabe contient aussi des mots utilisés dans un sens figuré (mağāz) circulait à l‘époque d‘Ibn Ğinnī et bien avant, surtout dans les ouvrages des commentateurs du Coran et dans les ouvrages de rhétorique, mais aussi dans les ouvrages des philosophes (al-Farābī et Ibn Sīnā écrivent ils aussi sur ce sujet, ainsi que al-Rāzī plus tard). Toutefois, il ne faut pas oublier qu‘au moment où Ibn Ğinnī écrit son livre al-H~as}ā‟is} les grands ouvrages qui marqueront l‘histoire de la rhétorique arabe, ceux d‘al-Ğurğānī et al-Sakkākī, par exemple, n‘existent pas encore. Ce qui nous intéresse surtout ici c‘est à voir quelles sont les idées d‘Ibn Ğinnī sur l‘expression figurée (mağāz), en général, sur 13

la métaphore (‟isti„āra), en particulier, qui se situent dans la ligne de la tradition et par quelles idées il dépasse cette tradition. Plus précisément, il s‘agit d‘examiner l‘impact de la pensée linguistique d‘un auteur plus porté vers la théorie que les autres sur le traitement d‘un sujet conçu comme appartenant plutôt à la rhétorique. Dans un article consacré à la genèse de la dichotomie h}aqīqa/mağāz Wolfhart Heinrichs (1984) attire notre attention sur le fait que, avant d‘être envisagé en couple avec h}aqīqa le terme mağāz a eu sa propre histoire, liée aux discussions concernant le langage figuré dans le Coran, premièrement et, deuxièmement, dans le corpus de la littérature préislamique, considéré comme autorité (h}uğğa) non seulement du point de vue linguistique, mais aussi rhétorique. Le terme mağāz ne signifie pas « trope » chez Abū ‗Ubayda (m. 825) considéré comme le premier a avoir utilisé ce terme dans son commentaire intitulé Kitāb mağāz al-Qur‟ān : chez lui, il signifie, conformément à l‘Encyclopédie de l‘Islam « toute tournure linguistique qui, du point de vue sémantique, n‘était pas évidente et exigeait une explication ». Selon l‘opinion de Heinrichs, dans une première période « les phénomènes de mağāz semblent couvrir toute violation imaginable du caractère de miroir du langage » (1984, p. 122). On dira, suivant les sémioticiens de notre époque, qu‘il s‘agit de la violation du principe de l‘iconicité diagramatique selon lequel, par exemple, l‘ordre des mots doit correspondre à l‘ordre naturel, le mot doit correspondre à une chose et à une seule etc. La métaphore, qui exprime le transfert de référence (un mot est compris en termes d‘un autre) contredit évidemment ce principe. En tout cas, le terme mağāz se superpose souvent chez Ibn Ğinnī sur al-‟isti„āra, le terme qu‘on traduit toujours par « la métaphore ». D‘ailleurs Ibn Ğinnī lui-même a mis parfois le signe d‘égalité entre les deux termes, et les exemples qu‘il analyse s‘inscrivent toujours dans la catégorie large de la métaphore. C‘est à cause de cela que nous utilisons le concept de « métaphore » dans le sens large du terme (qui inclut aussi la métonymie) même lorsque Ibn Ğinnī utilise le terme de mağāz. Les commentateurs du Coran et les rhétoriciens ont toujours considéré la catégorie de mağāz comme plus large que celle de ‟isti„āra : Ibn Qutayba, par exemple, introduit en première l‘inversion, l‘élision, l‘allusion, l‘allégorie etc. (apud Heinrichs 1984, p. 131) et, après Ibn Ğinnī, on trouvera chez al-Rāzī, un chapitre de son ouvrage Nihāya al-‟īğāz fī dirāya al-‟i„ğāz (éd. 1985) qui affirme clairement dès le titre que « (le terme) mağāz est plus général que (le terme) ‟isti„āra (al-mağāz ‟a„amm min al-‟isti„āra). La théorie du « sens figuré » (mağāz) a été développée surtout par les auteurs appartenant au courant mu„tazilite ou étant influencés par ce courant, ce qui est le cas pour Ibn Ğinnī également. Pour les promoteurs de cette tendance, il fallait résoudre l‘apparente contradiction entre la transcendance absolue de Dieu, 14

sciences de la langue comme je l‘avais montré dans un article paru en 1984 et<br />

dans quelques travaux ultérieurs (1985, 1986 trad. fr. 1995). Mon approche<br />

s‘inspirait des travaux de von Wright (1971) et de W.A. Wallace (1981) qui<br />

affirment que la causalité est toujours comprise en rapport avec l‘action humaine,<br />

par analogie avec les agents responsables de leurs actes, et les termes par lesquels<br />

diverses langues expriment la causalité portent les traces de cette conception.<br />

J‘avais remarqué que la conception des grammairiens arabes sur les causes de la<br />

langue, telle qu‘elle se manifeste par le concept de „āmil s‘inscrit elle aussi, par<br />

les métaphores anthropomorphes qui se trouvent à l‘origine du terme, dans une<br />

conception habituelle de la causalité („āmil qui arrive à désigner dans la théorie<br />

grammaticale arabe, le « facteur régissant », signifie, à l‘origine, « celui qui agit »).<br />

Le rôle de la métaphore conceptuelle en tant que « procédé de découverte » est<br />

bien représenté dans le cas des termes comme „āmil : sans elle on ne peut pas<br />

concevoir l‘idée de causalité, ou, plutôt, les idées qu‘on peut se faire de la<br />

causalité à partir de ce qui se passe dans la langue.<br />

Les mots par lesquels Ibn Ğinnī définit la vraie « cause » dans la langue<br />

(voir ci-dessus), qui est le locuteur, en montrant en même temps, que la<br />

grammaire est un langage modelé sur les agents réels, qui agissent réellement,<br />

sont à même de prouver, à côté d‘autres opinions qu‘il exprime, que son œuvre<br />

marque un moment important dans la prise de conscience concernant le statut<br />

d‘une théorie de la langue. Sa manière d‘envisager al-„illa (une autre « cause », ou<br />

plutôt « principe explicatif » des grammairiens ayant une origine métaphorique<br />

dans « défaut, invalidité »), qui est, selon son opinion, plus proche de celle des<br />

théologiens que de la „illa des juristes, donc, plus proche de la théorie que de la<br />

norme (voir Suleiman, 1999 etc.), et sa manière de parler de ‟us}ūl (mot qui signifie à<br />

l‘origine « racines ») comme de « représentations/formes sous-jacentes » (voir Bohas<br />

et Guillaume, 1984, surtout les pages 23-47, 341-358) peuvent être considérées<br />

elles aussi comme des éléments constitutifs d‘une théorie de la langue qui est elle<br />

aussi un « modèle », donc, une métaphore.<br />

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L‘idée que la langue arabe contient aussi des mots utilisés dans un sens<br />

figuré (mağāz) circulait à l‘époque d‘Ibn Ğinnī et bien avant, surtout dans les<br />

ouvrages des commentateurs du Coran et dans les ouvrages de rhétorique, mais<br />

aussi dans les ouvrages des philosophes (al-Farābī et Ibn Sīnā écrivent ils aussi<br />

sur ce sujet, ainsi que al-Rāzī plus tard). Toutefois, il ne faut pas oublier qu‘au<br />

moment où Ibn Ğinnī écrit son livre al-H~as}ā‟is} les grands ouvrages qui<br />

marqueront l‘histoire de la rhétorique arabe, ceux d‘al-Ğurğānī et al-Sakkākī, par<br />

exemple, n‘existent pas encore. Ce qui nous intéresse surtout ici c‘est à voir<br />

quelles sont les idées d‘Ibn Ğinnī sur l‘expression figurée (mağāz), en général, sur<br />

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