Le tango des crocodiles http://www.tango-crocodiles.com [Document]

Le tango des crocodiles
détenir, de l’argent, de la sécurité. Je mesurais aussi à quel point
nos vies affectives dépendaient du destin de notre projet. La plupart
des gens, et peut être même surtout des cadres supérieurs très bien
payés subissent leur boulot. Ça leur rapporte si bien que, malgré
tout, la pilule passe. Le l’ai déjà dit, je le redirai, nous aimions ce
que nous avions créé parce que c’était une construction utile, et pas
seulement à l’export. Nous avions ce livre d’or 2 qui était à l’image
de la satisfaction de nos clients.
Heureux, léger, je quittais les allées, pour offrir à Claudine une
jolie robe Cacharel qu’elle avait regardée et qu’elle hésitait à s’offrir
en ces temps difficiles.
Un rendez-vous est pris dès la semaine suivante entre Damien
Bachelot, alors directeur général d’Ecofinance et le président de
la Générale de Santé. Quand on a mis toutes ses tripes et son cœur,
trois ans de vie et plus de deux millions de francs, dans un projet,
on respire de ne pas le voir finir dans un caniveau. D’ailleurs, cela
paraît impossible, impensable. Le voyage aux Amériques de Jean-
Louis Bouchard ne serait qu’une escale technique.
Je croise Hervieux dans l’ascenseur et m’enquiers de l’avancement
de la négociation.
« Bachelot est-il dans son bureau ? Tu sais qu’il signe l’accord
avec la Générale des Eaux aujourd’hui.
— Bachelot ne rentre de Lyon que demain soir. Il inaugure l’hôtel
que nous avons sur les bras, me coupe Philippe.
— Bachelot n’est pas allé au rendez-vous ! Il l’a donc reporté ?
— Je ne sais pas, a-t-il juste le temps d’articuler avant que les
deux murs d’aluminium de l’ascenseur ne se rejoignent. »
Je suis descendu au bar du coin, m’envoyer deux whisky après
que mon coup de gueule ait résonné dans tout l’immeuble.
Daniel Caille, lui, est parti le lendemain pour l’Angleterre pour
un mois. J’appris par la suite que c’était pour le rachat de tout
un groupe privé de cliniques. Cinquante établissements. Des courses
plus chères que notre Echosynthèse. L’association ne se fera pas.
On a dû quitter la rue Pergolèse. Sylvie, nous et les autres avons
mis notre entreprise dans des cartons et nous sommes allés vivre à
Roissy, dans les locaux du service technique. Trop gros et endetté
pour vivre seul, trop petit et isolé pour motiver quelqu’un qui aurait
eu les moyens de notre liberté, nous avons navigué ainsi plus d’un
an, sans carte météo, manquant d’eau et de vitamines, assurant les
manœuvres quotidiennes de ventes et de livraisons.
74