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Dix ans et mille criques
Treilles, janvier 2004
Lorsque l’ enfant a croisé mon regard, j’ai pu à ce moment la
seulement mesurer le temps. Hier, je la tenais dans mes bras, avec
une peur de la briser, le biberon dans mes doigts encore tremblants
d’avoir serré le fil rouge toujours tatoué sous la main, bras courbés
gauchement 1 |. J’ ai ressenti les dix ans passés en voyant l’enfant me
sourire. Elle avait filé du temps, tissé, glissé et grandi, tandis qu’au
ciseau à bois, je taillais et dégauchissais dans les noeuds, contre le
fil du chêne.
Dix ans pendant lesquels je n’ai pas vécu ce que je pensais vivre,
ce pour quoi j’avais étudié, travaillé, pleuré, osé entreprendre, empruntant
des millions.
Dix ans, c’est un grand cap et on ne passe pas comme ça un grand
cap[28]. Les courants contraires des Aiguilles m’avaient poussé sur
les rivages de la cinquantaine, deux cents miles bien en dessous de
celui de ma Bonne Espérance. J’ai au vent les éclats blancs du cap
du déni [1s], les occultations jaunes de [0,5s], des gestes de bracelets
d’or de ma juge, comme une absence de veilleurs dans ce phare. C’est
cela, occulter.
Dix ans d’enfer pour dix secondes d’honnêteté[18] était un juste
diagnostic sur ma cotation du temps sur le marché de l’ exclusion.
Je ne suis pas sûr qu’il se soit agit, de notre part d’honnêteté. Une
résistance naturelle, de l’orgueil trop bien ajusté, et surtout une incapacité
à mesurer la portée de la sanction d’un tribunal chargé du
redressement, à évaluer la réponse sociale d’exclusion, à connaitre la
loi effective de l’économiquement plus fort, l’escroquerie des textes
de lois protectrices votées et imprimées, et jamais mises en oeuvre.
Dix ans, c’est dix mille criques perdues, ôtées à tout jamais, mille
rires noyés, une tranche de vie coupée, bien épaisse, juste au dessus
de l’os prise dans la viande d’entre trente huit et quarante huit ans,
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