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Le tango des crocodiles http://www.tango-crocodiles.com [Document]

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L’Aude<br />

A quel moment ce lieu d’exil m’est apparu être un paradis ? Il y<br />

avait ce village, la côte que, finalement, je montais malgré le regard<br />

<strong>des</strong> escargots.<br />

Il y avait cette maison, dans laquelle je connus ces amours magiques,<br />

pleines de souvenirs de ma belle à la fenêtre 1 . Elle ressemblait<br />

à un bateau d’il y a cent ans. Je me régalais de sa petite taille,<br />

de ses membrures usées*, de ses courbes tout en douceur, <strong>des</strong> bois<br />

rongés par les vers, de la chaux simple dont Claudine avait maquillé<br />

quelques murs faute d’argent, <strong>des</strong> ferrures anciennes décalées. C’était<br />

une maison que les maîtres laissaient aux vendangeurs. <strong>Le</strong>s maîtres<br />

nouveaux déguisés en juges, lui avaient laissé. Un oubli sans doute.<br />

Elle abritait mes frappes de claviers, mes Hugues, mes Raoul. Cette<br />

maison et sa coque pas trop étanche m’ont sauvé.<br />

On faisait eau, lors <strong>des</strong> violents orages. C’étaient <strong>des</strong> paradis<br />

gigognes : la maison dans le village, le village dans la garrigue, la<br />

garrigue sur la mer, la mer sur laquelle flottait, se moquant d’Archimède,<br />

le Canigou blanc. Pour aller chercher le moindre cubi de<br />

rosé acide, un paquet de tabac, de moins en moins accessible au fur<br />

et à mesure que les taxes augmentaient, il fallait prendre la voiture<br />

qui, à grand bruit de pot crevé, ac<strong>com</strong>plissait son rôle. Jusqu’à la<br />

sortie du village, cela allait encore, mais une fois dépassée l’ancienne<br />

mairie, une fois en haut de la côte, je la voyais. Jamais pareille à elle<br />

même, elle m’explosait à la conscience. Parfois, lorsque la tramontane<br />

se formait, sous l’effet de la dépression sur Gènes, et faute de ne<br />

pouvoir passer les Pyrénées, virant de bord sous l’effet de Coriolis 2 ,<br />

et, dans le sens inverse <strong>des</strong> aiguilles de nos montres, elle rabotait<br />

les épines rousses, arrachant les vagues à l’âme, et on voyait alors,<br />

et en même temps, Sète et le Cap Creus, sur plus de cent quatre<br />

vingt degrés d’horizon, dans la sauvagerie bleue, la beauté extrême<br />

de l’Aude.<br />

Ce coin de planète est poncé par le vent. <strong>Le</strong> vent qui m’a fait me<br />

redresser et dénoncer. <strong>Le</strong> vent qui ne m’a même pas fait sombrer. Ce<br />

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