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Le tango des crocodiles http://www.tango-crocodiles.com [Document]

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26. Bleu sauvage<br />

à sa façon de faire la vaisselle. Deux litres doivent suffirent pour<br />

huit personnes. Bien sûr, pas de robinet ouvert. T’écoutes la pompe<br />

électrique, elle te donne le rythme. Tu rinces à l’eau de mer si tu as<br />

une seconde pompe à pied mécanique. Il en faut toujours une, c’est<br />

<strong>com</strong>me cela qu’on reconnaît les bateaux de marin. Mais de nos jours,<br />

avec leurs <strong>des</strong>salinisateurs, les hommes ont perdu tout le savoir de la<br />

vaisselle maritime. Plus besoin de sextant non plus. Tchoua disait, à<br />

bord de Christeval, la grande goélette rouge, en me tendant un verre<br />

ou une tasse :<br />

« La vaisselle, c’est <strong>com</strong>me les cheveux d’ Éléonore, quand y en a<br />

plus, y en a encore. »<br />

Cela suffisait à nous faire rire. Tout et un rien suffisaient à nous<br />

faire rire, et cette simple pensée suffit à me faire sourire. On oubliait<br />

toujours, à bord, une tasse quelque part, un verre, un plat à poisson<br />

sale, le bac d’essorage de la salade. C’était un de ces récipients en<br />

grille fine, muni de deux poignées, que l’on secouait fortement pour<br />

que l’eau douce, par effet de la force centripète, quitte les lieux. Je me<br />

souviens alors de cette fois où, chargé de cette mission d’évacuation,<br />

je lâchai une <strong>des</strong> poignées, et l’affaire s’effectuant, <strong>com</strong>me beaucoup<br />

d’affaires maritimes, au <strong>des</strong>sus de l’eau, la salade finit à la mer, tandis<br />

que la sauce vinaigrette se faisait poser un lapin. Ce panier à salade,<br />

cheveux de la belle Éléonore, finit sa vie au fond d’une crique, car<br />

l’ayant utilisé <strong>com</strong>me bathyscaphe, afin de rafraîchir quelque canette<br />

de bière par dix mètres de fond, le sandow qui assurait l’équipage<br />

lâcha. Tchoua l’a cherché longtemps, me demandant si je savais où<br />

il était, et ce fut je crois un <strong>des</strong> rares mensonges de ma vie que de<br />

répondre non. C’étaient de belles vaisselles.<br />

« Il reste <strong>des</strong> cheveux, je disais, ce que les clients ne <strong>com</strong>prenaient<br />

pas. »<br />

C’était une infime partie de notre rituel amical, là bas, en crique,<br />

au port, en mer. Mon esprit étant resté vif, je réussis à donner les<br />

os qui restaient aux chats. A bord, je ne lavais jamais une casserole<br />

ou un plat qui contenait encore quelques restes. J’arrimais un petit<br />

bout1 à la queue de l’ustensile de cuisine et le laissais pendre accroché<br />

aux filières. Voilà les pensées que je laisse dévider dans l’évier. Il<br />

parait, mais c’est sûrement faux, que les pensées qui s’écoulent dans<br />

les éviers tournent dans le sesn contraire <strong>des</strong> aiguilles d’une montre.<br />

Dans l’hémisphère nord, tout au moins, <strong>com</strong>me le vent dans les dépressions.<br />

A coup d’éponge double face, efficacement et sobrement,<br />

pour la première fois depuis <strong>des</strong> mois, je cherchais à verifier cette<br />

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