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Le tango des crocodiles http://www.tango-crocodiles.com [Document]

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26<br />

Bleu sauvage<br />

Tanger, avril 2002<br />

Claudine pour mon anniversaire m’a invité à Tanger. Je n’y étais<br />

jamais revenu depuis ma naissance, depuis la fuite sous les balles,<br />

j’avais un an.<br />

Nous avons pris le bus devant la gare de Perpignan, dernier centre<br />

du monde connu. <strong>Le</strong> bus, plein à craquer, passait en boucle sur <strong>des</strong><br />

écrans au plafond, <strong>des</strong> émissions de variétés et quelques films humoristiques<br />

en arabe. Nous nous arrêtions toutes les trois heures<br />

environ. Alors, surgit semble t’il de nulle part, un chauffeur qui dormait<br />

à l’intérieur d’une soute, sur le coffre à bagages, prenait la place<br />

de son prédécesseur. Je me souviens de ce séjour qui aurait dû être<br />

un feu de joie, <strong>com</strong>me d’une convalescence. De n’avoir même pu oser<br />

une caresse envers Claudine, la seule vraiment attentive à ce que<br />

j’allais devenir ou faire. Cela devait être épuisant pour elle, de trainer<br />

dans les étroites ruelles montantes de la casbah un homme aussi<br />

lourd que l’espadon, posé sur l’avant de la mobylette que l’homme<br />

poussait, et en travers, le rostre dépassant d’un bon mètre, dans une<br />

pétarade et un flot de fumée grasse et puante, ce poisson qui la nuit<br />

précèdente sautait hors de l’eau dans <strong>des</strong> éclats de bleu violet et de<br />

métal.<br />

<strong>Le</strong> restaurant du marché, dit Populaire et <strong>des</strong> Travailleurs, nous<br />

servait pour trois dirams <strong>des</strong> poissons plats trop grillés, une soupe,<br />

aussi quelques beignets de l’enfance, ceux que l’on tenait par un<br />

morceau de journal passé dans le trou central. <strong>Le</strong> soir, nous soupions<br />

d’un bol de harrira, qui mijotait à même la rue. On laissait nos<br />

frites aux ban<strong>des</strong> d’enfants pauvres qui mendiaient à la porte de ces<br />

troquets face à la mer, et le patron, de mêche, leur mettait les frites<br />

molles dans un sac plastique en faisant semblant de les chasser et de<br />

ne pas les connaître.<br />

Durant ces cinq jours sous Tanger tout vétu de blanc, qui nous<br />

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