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8. Le droit pénal
mon premier contact intellectuel avec le droit pénal, ce qui ne présageait
rien de bon. Vous ne savez pas faire un plan avait conclu
l’assistante, en me rendant ma copie de cet air très distant et dégagé
des petites filles investies d’un pouvoir. Elle allait bien sur ses vingt
huit ans et je reçus cela comme une humiliation publique. Elle avait
pourtant raison, car je n’avais pas de plan précis dans cette affaire,
pas de plan en m’inscrivant à l’université de droit où je passerai mes
deux années de deug en une seule.
Je n’écoute pas les cours de droit pénal ; je les filtre comme
l’huître filtre l’eau de mer pour en faire ma matière, comme le poulpe
l’absorbe pour se propulser et la recracher. Je suis ce naissain, pendu
au bout d’une fine cordelle, qui reconstitue sa coquille nouvelle. Mon
eau, comme en sciences, c’est l’histoire de cette histoire. D’après mes
enseignants et Rousseau, je suis censé avoir renoncé à ma vengeance
personnelle, m’être privé de cette liberté, au profit de celle de l’ État.
Mais l’ État ne l’exerçait pas naturellement.
J’ai relu Montesquieu, l’esprit des lois. J’y ai découvert l’origine
de la pulsion de vengeance, légitime, qui me remplit les bronches,
aussi sûrement que l’eau de mer a rempli celles de mon compagnon
d’infortune. Cette pulsion est à l’origine du droit.
Quiconque veut fonder un État et lui donner des lois doit supposer
d’avance les hommes méchants et toujours prêts à déployer ce
caractère de méchanceté... Machiavel. Discours sur Tite-Live1 Tandis
que certains étudiants n’avaient d’autre souci que d’arracher à
la bibliothèque les pages des arrêts de travaux dirigés à commenter,
pour ne pas que leurs voisins les trouvent, et d’afficher leur zèle lors
de travaux dirigés du soir. C’étaient à n’en point douter de futurs
délinquants, qui seraient éternellement absouts de leurs fautes par
la caste de leurs diplômes de droit.
Je lus l’histoire des doctrines pénales[37] et découvris les théories
de Jeremy Bentham2 en particulier sur l’arithmétique pénale.
Je veux comprendre pourquoi toutes les barrières qui retenaient la
mer de la justice se sont rompues, transformant l’eau navigable en
marais insalubres, en mer vide de toute vie, en Mer d’Aral, pleine
de toutes ces carcasses des injustices, carcasses de textes de lois inappliqués,
carcasses de nos droits rouillés et de nos vies échouées. Je
dois comprendre pourquoi le système judiciaire n’a pas fonctionné,
comment le faire fonctionner, pour ne pas lâcher les pulsions et les
chiens de la vengeance qui m’habitent en permanence3 . J’ai fini par
cette inscription au diplôme universitaire de délinquance financière.
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