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Le tango des crocodiles http://www.tango-crocodiles.com [Document]

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<strong>Le</strong> <strong>tango</strong> <strong>des</strong> <strong>crocodiles</strong><br />

Après deux heures sinueuses, il y eut cette heure d’entretien à<br />

huis clos avec un toubib, une psychiatre, forcément, quoique mes<br />

deux côtes cassées me tracassent physiquement. Il a fallu raconter.<br />

Au bout de cette heure, après que je me sois maintes fois effondré,<br />

raconté ma nuit sur le fil rouge, elle me refuse l’hospitalisation<br />

dans son établissement. Non pas pour mon état jugé satisfaisant, il<br />

ne l’est visiblement pas, même pour l’épicier du coin. Non, je suis<br />

refusé d’internement pour une absence de carte d’assuré social. Depuis<br />

le jugement d’exclusion, je n’ai plus aucune couverture sociale,<br />

je suis inexistant aux yeux de cette société. C’est, de la part d’un<br />

établissement spécialisé, une mise en danger délibérée de la personne<br />

d’autrui.<br />

Nous sommes rentrés. Je regrette, en voyant défiler les bornes<br />

kilométriques blanches et rouges de cette petite route, d’être remonté<br />

à bord du radeau, je déteste en moi le chien de Pavlov, qui avait eu<br />

le réflexe de survivre à tout prix.<br />

Il me reste le service public, l’hôpital de Narbonne, où l’on m’a<br />

admis sans le sou, dès le lendemain. Je paierai plus tard. Me voici,<br />

pour ce quatrième voyage au nom et aux frais du peuple français,<br />

dans un couloir verdâtre, enfermé. Pour tenter de recoller les morceaux<br />

éclatés et éparpillés de moi-même, pour ne pas aller rejoindre<br />

mon <strong>com</strong>pagnon de mer, une ancre aux pieds, à quelques miles de la<br />

bouée d’atterrissage de Sète.<br />

Un service hospitalier psychiatrique est un monde nouveau, un<br />

monde dur, que j’ignore encore. Après les Ferrari, les tribunaux achetés,<br />

les ivresses au rosé, le tour du monde dans <strong>des</strong> mon<strong>des</strong> qui se<br />

succèdent sans se recouvrir, le voyage se poursuit. Un grand individu,<br />

maigre et chevelu, ne cesse d’aller et venir, un poste de radio pend le<br />

long de son bras droit sans lui donner le moindre côté rapeur. Totalement<br />

indifférente à la musique émise par cette station mal réglée,<br />

assise au fond du couloir, une jeune femme déguenillée marmonne,<br />

tête baissée. <strong>Le</strong>s portes <strong>des</strong> couloirs sont cadenassées. Tous ces gens<br />

sont sous camisole chimique et il ne reste que <strong>des</strong> formes voûtées,<br />

roulant <strong>com</strong>me sous les houles résiduelles de ce qu’ils ont pu être. On<br />

me donne une chambre, pour moi seul, et, shooté aux médicaments,<br />

je me suis allongé sur le petit lit de fer, le regard rivé au plafond. Je<br />

fais un point, mi conscient, mi assommé sur toutes les choses qui, de<br />

causes en effets, m’ont mené là. J’ai une et mille façons de dévider<br />

la pelote <strong>des</strong> causalités.<br />

Une infirmière entre. Plateau de fer. Médicaments rangés <strong>com</strong>me<br />

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