Le tango des crocodiles http://www.tango-crocodiles.com [Document]

8. Le fil rouge
me demander. C’était pas le genre de type à hurler. Ni le genre de
type à poser des questions cons à un type ruisselant de larmes d’eau
douce et d’eau salée.
« Je dois téléphoner ai-je dû répéter au type jusqu’à ce qu’on se
comprenne et qu’il me fasse le numéro, et me tende le combiné par
terre. Claudine est inquiète. Elle sait.
— Bonjour, tu vas bien ?
— Oui.
— Ça c’est bien passé ?
— Non.
— Et Sylvestre ?
— Et le navire ?
— Non plus. On a coulé. Sylvestre est noyé. »
Sur le bar, je vois un pistolet, plutôt une sorte d’arquebuse, un
fusil probablement rustique dont on aurait scié le canon, mais il
subsiste un barillet. Une arquebuse on dirait. Lorsque je fermais les
yeux à l’adolescence, puis après, j’imaginais un grand cercle vu de
l’arrière, une immense barre à roue de grand bateau. C’était un truc
à moi pour m’endormir. Un cercle de rayons en inox ou en bois gainé
de cuir comme est la barre d’un navire. Je fermerai à présent les yeux
plus de mille nuits sur le barillet de ce flingue, cercle épais orné de
trous. Je commençais déjà à regretter la nuit, la survie, la dérive sur
l’eau.
Les pompiers m’ont téléphoné à l’hôpital de Sète, pour guider
leurs recherches d’hélicoptères. D’un autre côté, l’hôpital lui voulait
me garder, manu militari pour les côtes fracturées et le soi disant
traumatisme psychique. C’était vraiement pas le moment. Errant,
j’ai sauté dans le pantalon prêté par l’hôpital, d’un type qui n’en
avait plus besoin certainement. Quelques dizaines de minutes après,
je tentais de guider les hélicoptères pour des investigations que je
savais vaines. Je menais les deux hélicoptères, ici ou là, selon la
carte étalée sur le bureau du sémaphore. J’avais arrêté de chialer,
comme un gosse à qui on dit maintenant ça suffit et qui ravale son
affaire pour ne pas prendre une mandale supplémentaire. On cherchait,
comme si il existait une chance de trouver. Mon vieux compagnon
de mer, François Charpentier, qui m’avait appris à naviguer
avait un jour perdu un équipier. Putain. Ça l’a marqué. Même s’il fut
retrouvé par un cargo plus de vingt quatre heures plus tard, en été ;
aperçu par un type qui jetait des épluchures de patates par dessus
bord. Mais en janvier, la durée de vie d’un type comme Sylvestre
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