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Le tango des crocodiles http://www.tango-crocodiles.com [Document]

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8. <strong>Le</strong> fil rouge<br />

moi. Je suis monté à bord. Ai-je nagé pour l’atteindre ? Impossible à<br />

savoir. <strong>Le</strong> canot de survie était là, devant moi, l’ouverture étroite face<br />

à moi. Je n’ai eu qu’à monter à bord. Je crois. J’ai crié, encore depuis<br />

ce pied-à-terre, sans penser qu’il venait d’améliorer ma condition qui<br />

ne m’avait jamais semblé précaire. J’ai crié jusqu’à n’en plus pouvoir,<br />

un immense trou dans le ventre, et attendu que Sylvestre sorte son<br />

nez noir de l’eau. Ce n’est qu’après quelques dizaines de minutes<br />

que je <strong>com</strong>pris, que je ne le reverrai plus. Qu’il était noyé. J’ai tenté<br />

d’imaginer la sensation que cela faisait. Je me disais : ça doit lui faire<br />

ça. Et instantanément c’est idiot, ça ne lui fait rien. Je me souviens<br />

que je voulais aller voir, plonger. Autant pour partager ça que pour<br />

ne pas arriver seul quelque part.<br />

Je n’ai pas croisé ma nuit. <strong>Le</strong>s lumières aperçues depuis plusieurs<br />

heures ont laissé place à la côte. La mer a grossi. D’autant que je<br />

la regarde d’en bas. Un vent de sud pas plus dégueulasse que ça. La<br />

vague venue retourner le canot allait peut-être m’aider à lâcher prise.<br />

L’eau froide devenue écume, la difficulté de respirer, l’embarcation<br />

retournée dérive poussée par les courants de l’exclusion. J’ai peutêtre<br />

voulu la lâcher, fatigué <strong>des</strong> <strong>com</strong>bats perdus, <strong>des</strong> injustices, <strong>des</strong><br />

gras dont l’acharnement cupide avait fini par avoir nos peaux. Mais<br />

là, je me souviens m’être battu pour survivre. Je voulais pourtant ne<br />

pas arriver tout seul sur cette plage. J’ai quand même accroché la fine<br />

cordelette orange qui entoure le plastique du canot et suis remonté<br />

entre les boudins de plastique, que la lueur de l’aube éclairait à<br />

présent. Étalé dans le bassin de plastique au fond noir, rempli d’un<br />

demi mètre d’eau, je voulais vider l’eau sale de toute la mer. Je<br />

voulais vivre autrement, tout de suite, sauter un pas qui m’aurait<br />

mené dans une autre histoire. Sauter trois années. Il n’y avait plus<br />

de ces fins imaginaires. Je venais de perdre un type. Je n’avais pas<br />

réagi assez vite. J’aurais dû l’accrocher à moi par son harnais, quitte<br />

à ce qu’on fasse ensemble une apnée aléatoire. Je n’ai pas pensé que<br />

je passerais <strong>des</strong> mois sans la moindre musique qui raccrochait mon<br />

âme aux étoiles, pas pensé qu’en <strong>des</strong> dizaines d’années au fond de<br />

cette mer, mes disques ne s’abîmeraient pas. Je n’ai pas pensé que<br />

je n’avais pas enlevé du bord les robes de Claudine. J’ai seulement<br />

pensé que plus jamais je ne naviguerai.<br />

Mais pour une fois je vais du bon côté, vers la côte, vers le jour.<br />

Je ne suis pas pressé d’arriver. Je me suis assis sur la fine cordelette<br />

orange qui enserre le radeau de survie à neuf places. Trop grand<br />

et pas assez lesté car les vagues ont tendance à le faire chavirer.<br />

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