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Le second jugement
Saint Tropez, Juin 1995
Un jugement que j’ai été chercher hier à la poste de Saint Tropez
ordonne la remise immédiate de mon seul espace non pollué, seul
logis, seul outil de travail encore sur pied. Un jugement d’une intelligence
rare montrant combien les juges s’attachent au cas d’espèce,
comme on dit dans les facs. Ce jugement 1 ma maison, mon navire.
Tu me vois, avec quatorze tonnes, garé en double file comme dans
un film d’aventures 2 . . . alors qu’il a fallu deux gendarmes pour escorter
le convoi exceptionnel sur deux kilomètres juste pour le mât.
Et puis, quel est ce tribunal qui juge une activité de commerce que
constituait mon navire et mon domicile ? Le tribunal de commerce
n’est il pas dans ce cas le seul compétent ? Ils choisissent tribunaux
et compétences au gré de leurs humeurs. N’est ce pas au juge de
se déclarer incompétent dans une affaire entre une banque et une
société de quirats exerçant une activité commerciale réelle. Mais ce
jugement ne vaut rien. Pour le faire annuler, il faudrait des juges.
Ce jugement va produire, toutefois, son effet. Depuis celui d’Albert,
je n’ai aucune confiance dans le peuple français. Rares sont les nuits
où je ne m’endors pas, sur le dos, en imaginant un flingue sur ma
tempe. Pas un petit, ni un plat dont parle si bien Hemingway. Un
gros barillet rond. Il ne m’était pas forcement destiné, le flingue, car
tu te doutes bien que la pulsion de vengeance te prend dans ces cas
là, aussi sûrement que le désir d’une fille dont tu es fou. J’ai, poussé
par ce jugement, ouvert la porte d’un psychiatre pour ne tuer ni moi
ni un autre.
Au-dessus du confortable fauteuil de ce psychiatre de marin rencontré
par hasard, le baromètre de Pen Duick 3 , vainqueur de la
Transpacifique, enregistre les dépressions même pas atmosphériques
des clients. Je tente de freiner la mienne. Si je plonge vraiment,
quelle victoire pour ceux qui m’ont mis là. Dans ces cas là, je pense
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