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Le tango des crocodiles http://www.tango-crocodiles.com [Document]

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<strong>Le</strong> <strong>tango</strong> <strong>des</strong> <strong>crocodiles</strong><br />

Noël, les dizaines de sapins, le long <strong>des</strong> lampadaires, s’agitent aussi<br />

nonchalamment que <strong>des</strong> cocotiers qui se seraient habillés pour <strong>des</strong><br />

vacances de ski. Je fais semblant de laisser proliférer dans la Mer<br />

<strong>des</strong> Affaires l’algue qui la dévore. Que m’importe, la vie <strong>des</strong> affaires<br />

n’est plus ma vie. Je fais semblant de déserter l’esprit d’entreprise.<br />

En réalité, je ne pense qu’à ça. Je revis l’humiliation chaque jour, je<br />

la pèse avec la balance du manque de fric.<br />

Claudine nous fait survivre grâce à ses Assedic qui maigrissent<br />

chaque mois. Je n’ai, pour ma part, droit à rien, mes fonctions de<br />

gérant et de pdg faisant de moi un paria économique. Est-ce normal<br />

dans une société qui prétend encenser l’entrepreneur, et qui n’a à<br />

lui proposer pour s’abriter de son risque, que de nommer un gérant<br />

de paille (tous les petits malins le font) ? Qu’avions nous fait de<br />

différent l’un de l’autre, Claudine et moi, pour êtres ainsi traités à<br />

l’opposé par la société ? Quel problème entre nous cette asymétrie<br />

scandaleuse, allait-elle créer, lorsqu’ elle me prêtait cent francs ? Je<br />

cherchais un statut impossible à trouver dans ce port, écartelé entre<br />

le luxe de mon navire d’aristocrate et ma condition sociale de même<br />

pas chômeur mendiant, qui me restait dans la gorge <strong>com</strong>me une<br />

grosse arête de morue.<br />

Il y eu une fête à laquelle un capitaine de yacht m’avait invité,<br />

avec Claudine. Bien sûr, une femme pétillante vint me tirer d’une<br />

banquette, après quelques danses. <strong>Le</strong>s restes de mes ségas mauriciens<br />

me donnaient quelque tentantes apparences de bon coup. Très vite<br />

ça a failli déraper. Car on vous demande toujours <strong>des</strong> choses intimes.<br />

« Que fais-tu dans la vie ? me demanda la fille. »<br />

Elle pétille. Ses yeux, trop cernés, sont de l’émeraude pâle qui<br />

recouvre les fonds de roches peu profonds de la Méditerranée. Son<br />

regard espiègle laisse transparaître l’énergie libre et l’honnêteté absolue<br />

qu’elle recèle.<br />

Je ne savais que répondre à sa question qui venait de me défaire<br />

instantanément. Je <strong>com</strong>pris que rien n’était fini, que je serai prisonnier<br />

de cette déchéance. Je savais qu’il était inutile de raconter quoi<br />

que ce soit. J’avais tellement souffert sur le clavier durant l’hiver,<br />

afin de raconter l’histoire, et je <strong>com</strong>ptais tellement aboutir, que je<br />

répondis pour la première fois de ma vie :<br />

« Je suis écrivain, j’ai dit.<br />

— C’est bien a répondu, j’aime pas les loosers, a répondu Martine.<br />

»<br />

Parce que je sentais que si je ne disais pas quelque chose de<br />

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