Le tango des crocodiles http://www.tango-crocodiles.com [Document]

Le tango des crocodiles
quai le rêve de gosse qui, finalement, est là. Que m’importe le reste.
Sauf que, depuis neuf mois, je ne paie plus les traites de ma maison
flottante. Je ne bénéficie plus du salaire bien mérité que j’avais dans
l’entreprise, les 20 000 F par mois qui en totalité étaient injectés
dans mon bateau. Depuis neuf mois, mon dossier est au contentieux.
Une fois exclu du plan de cession par Albert, les types du contentieux
ont compris que j’étais fini, et le ton s’est durci.
Les dernières semaines, j’avais été récupérer la première machine
en fin de contrat, à Lyon, chez un toubib qui m’avait appelé
sur mon portable. J’ai mis cet Hitachi 410 dans le coffre d’une bagnole
2 . Si j’avais voulu piquer des bécanes (il y en avait pour 6 MF en
stock), et elles auraient disparu sans que personne ne s’en émeuve 3 .
J’imaginais les deux cents autres machines. Puis j’ai, dans les semaines
qui suivirent créé Mosaïque, afin de louer mon bateau et de
développer des applications maritimes avec pour seul terminal un
micro ordinateur.
Mon sillage dans la mer des errances, sans boulot, sans autres
rencontres que celles des bistrots de marinas, n’a plus de goût.
Sonné.
Un KO sans gong ni arbitre.
Défoncé et épuisé de toutes mes ressource lâchées dans neuf mois
d’un redressement réussi techniquement, devenu pillage et exclusion,
je vais tenter de prendre n’importe quel racourci délirant, imaginaire,
pour shunter ma vie, pour ne plus me voir dans ce miroir, pour n’y
plus voir le regard de ma compagne d’entreprise et de vie.
Pour tenter d’échapper à notre histoire, pour passer dans un
autre monde, je navigue entre rêves et irréalités.
Pour ne pas crever de cette histoire, pour commencer un autre
voyage, j’ai voulu un enfant. Que m’importait qu’il fût celui d’une
fille croisant mon sillage alcoolique qui fut belle et aimait nager, ou
celui que je voulais adopter. J’en avais aimé, éduqué et les aimer sans
autre paternité que celle du coeur, et baiser le destin sordide qui ne
les fait pas naître où il faut, les enfants, et en adopter un sur ma route
me plaisait davantage encore. Je suis pour l’occasion, je l’ai déjà dit.
J’imaginais les jeux d’une enfant avec les tortues, l’émerveillement
devant les surfs de dauphins, les plongées des baleines, quelque raie
manta. Je ne voulais pas lui mettre d’entrée un cartable sur le dos
et une carte bleue aux pieds. Je croyais en savoir assez sur ce monde
pour lui en apprendre un peu sans la couvrir immédiatement de
toutes les peaux d’âne scolaires dont j’avais passé tant de temps à
198