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Le tango des crocodiles
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Journal de bord, Avril 1984
Toutes les rencontres, celles des riches comme celles des pauvres,
se font toujours par une collision entre particules excitées dans un
espace géographique, fut-il numérique. Mais les forces qui les engendrent
sont de nature bien différentes selon les milieux sociaux.
Les uns prennent garde à ce que les particules nées de la collision
soient à leur place dans l’organigramme qu’il s’agit de bâtir à côté
de celui de la vie dite professionnelle. L’espace expérimental idéal
pour les collisions intelligentes sont souvent les chambre à bulles des
grandes écoles, la table à coussin d’air sans frottements des facs de
pharmacie, les salles des pas pas perdus pour tout le monde de la
fac de droit. Parce qu’on va pouvoir, un jour, additionner de façon
assurée nos salaires futurs, nos intelligences, nos carnets d’adresse,
diviser nos risques. A chacun son grand groupe, bien que les pharmaciens
officient souvent en couples, mais à l’abri de la sécurité dite
sociale. On se dit qu’en plus elle est jolie, même très jolie, intelligente,
que la sélection a déjà été opérée, et que, globalement ce sera
une bonne affaire. D’autant qu’à ces âges on croit facilement qu’on
est amoureux. Une sortie de bureau, une rencontre de palier, un voisinage
tropézien, et tout est presque déterminé. Moi, j’en ai jamais
trop fait, des rencontres comme ça.
Ma première amoureuse, parce que j’allais pêcher sur le plan
d’eau dans lequel nagent les futurs carabins, traite aujourd’hui les
peaux des boutonneux et assure ses vacances en greffant mamelles
et autres appendices aux fausses belles. Avec la carrière chez Elf ou
l’Oréal que je n’ai pas faite, ça nous aurait fait du confort.
Ma vie en cité universitaire, cette piaule partagée avec un malgache
beau comme un dieu, un réfugié politique, un chasseur sous
marin hors pair, m’a fait préférer la chasse en eaux profondes à l’élevage
des loups en bassin. J’aime lorsqu’on ne se reconnaît qu’après
coup, là où l’on ne s’attend pas. J’aime chercher le destin là où il ne
m’attend pas, le surprendre avant qu’il ne me surprenne, le déterrer,
le remonter des fonds au bout de ma flèche tahitienne. Je lui laisse
sa chance.
J’ai donc traversé la rue, comme les pauvres et les chiens, en sentant
cette femme. Je l’ai sentie chimiquement, j’ai détouré, à même
l’espace, le pantalon de cuir de cette étrangère à ma sphère. Je n’ai
surtout pas eu le choix. La chimie est le maître à bord du vaisseau
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