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Le tango des crocodiles
le lundi, pour aller commettre l’acte de baraterie sociale prévu par
le banquier et ses hommes de main. Je sais qu’à présent, mon corps
se creusera bientôt, que je deviendrai un homme creux comme il
y a des arbres creux dans lesquels je jouais enfant. Il se remplira
d’eaux usées, qui s’évaporant, laisseront l’ambre de révolte, cette aigreur
calcaire, sans dureté, ce kyste social. Alors je vidange de façon
discontinue, dès que l’on ne me voit pas, comme ces pétroliers qui dégazent
au large des côtes la fiente de leurs cales, la substance épaisse
qui remplit mon estomac. Elle est crachée au dehors dans de grands
bruits, par à coups successifs, dans des souffles brutaux.
Je viens, pour la tranquillité de mes amis, de vendre mon âme
d’entrepreneur pour le prix de ma liberté d’homme.
Quelle liberté ? Pas celle que j’avais imaginé, car nous n’étions de
toute façon, plus libres depuis bien longtemps. L’avions-nous été un
jour ? Les six premiers mois certainement. J’ai enfoui par larges pelletées
des tonnes de charbon dans les fourneaux, mais je m’aperçois
que je n’ai jamais dirigé le vapeur. Ce dépôt de bilan frauduleux,
et dont j’ai droit à quelques miettes, m’est de plus en plus étranger.
Je quitte mon histoire d’entrepreneur. Cela fait plusieurs mois
que je n’ai pas pris le temps de marcher dans la tempête. Paris et
les hommes dits d’affaires, c’est à dire les délinquants n’ayant pas
peur d’utiliser la violence, le chantage, la corruption, m’ont étouffé.
Je mesure, par chaque rafale de tramontane, les pressions énormes,
aussi fortes que celles de ce vent qui frappe la maison, subies depuis
des mois. Je mesure la tétanisation de mon esprit.
Je tends mon visage à le faire rougir pour faire arracher les
concrétions d’affaires par ce vent. Un coup de karsher sur ma conscience
qui va changer nos vies, d’une façon que je ne peux pas imaginer. Je
viens de décider de me battre, de dénoncer cette histoire à la justice,
de relever mon entreprise, moi-même et ma vie par les moyens de
droit existants.
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