Le tango des crocodiles http://www.tango-crocodiles.com [Document]

8. La barre
d’avant. Flesch, à la barre de l’entreprise est plus vif qu’à celle de
mon yacht. Il a embauché. Il n’était pas question pour Claudine et
moi de recruter qui que ce soit avec les problèmes de trésorerie que
nous avions. Je savais aussi qu’il me fallait au moins un an pour
former un débutant à la vente, un technicien aux images. Je n’avais
pas cette disponibilité.
Flesch embaucha le technicien, Gilles Siméon, que nous employions
par intérim pour ne pas charger la barque. Gilles était un bon technicien
qui ne comptait pas ses heures. Blond, maigre de façon presque
maladive, timide. Pourtant au fond de ses yeux marron clair brillait
une agressivité et une lueur d’intelligence. Encore un de ces types
qu’on avait massacré pendant l’enfance. Combien de temps allaitil
mettre avant de comprendre le truc et nous voler, comme tout
bon technicien de base ? Flesch embaucha Line Jomphe, une jolie
petite Canadienne qui avait eu l’idée de nous envoyer une candidature
spontanée pour un poste de commercial. Nous pensions refuser.
Malgré sa qualification de manipulatrice en radiologie qui lui donnait
toutes les compétences nécessaires, ses yeux verts, sa jolie figure, ses
jambes superbes. Mais Flesch embaucha surtout Lydie Ross. J’étais
bien sûr, contre. Ross appliquait une des règles de la Coupe de l’América
: l’essentiel pour gagner n’est pas d’être le plus rapide, mais de
contrôler l’autre. Je savais comment nous venions de mettre au placard
ses amis, j’avais vécu avec elle six mois, et avais une idée sur la
mission qu’elle avait chez nous. Un type comme Flesch sortant d’une
grande école de commerce et d’ingénieur avait sûrement son idée et
des ressources, me dis-je 1 . Il avait pris la manœuvre. Comme prévu
dans notre convention, qui me permettait de rembourser l’argent
emprunté à mes meilleurs amis.
J’allais parfois me réfugier dans mon navire, dans mon second
squelette, exo squelette, pour farfouiller dans le coffre à jouets de
mes rêves d’enfant, dans cette cage de Faraday contre mes emmerdements,
la force de négocier sans cesse avec des gens que j’aurais
presque tué. Il n’y a que dans mon navire que je sois vraiment bien.
J’y investis tout mon salaire, tandis que nous vivions avec celui de
Claudine. Mais cela ne suffit pas à payer traites et entretien. Alors
je le loue à quelque type qui se prenait pour le Tabarly du mois
d’août. Je voyais à la barre de cette superbe unité, large et solide,
un type et sa famille, partir pour la Grèce pendant tout un mois
d’été. 60 000 F était le prix de cet arrachement. Cela me serrait
l’âme aussi sûrement qu’un presse-étoupe. Je devais ensuite parfois
107