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La barre
« Cinq à gauche, ordonne le lieutenant de vaisseau.
— La barre est cinq à gauche, répond l’officier.
— Lieutenant, quand on prend le commandement de la passerelle,
on dit je prends coupe le pacha.
— Oui commandant, je prends[40] »
On ne prend pas le commandement d’un navire, d’une entreprise,
sans protocole ou obligations civiles et morales.
Me reviennent aussi en mémoire ces images de la prise de commande,
filmées sur Pen Duick VI, bateau d’Eric Tabarly, lors de la
première course autour du monde. Le vent souffle à plus de quarante
nœuds. Le grand ketch noir dévale sous spi le toboggan de
Dieu. Le barreur est fatigué, l’épuisement est sculpté sur son visage
d’avoir dominé la longue coque noire depuis quatre heures. L’homme
de quart sort. Guère plus frais que son compagnon. La sueur de
l’homme à peine réveillé, chaude comme la machine humaine qui l’a
produite se glace soudainement. L’eau salée ruisselante de l’homme
de quart sortant va bientôt devenir chaleur. C’est le changement de
quart. L’image ne se raconte pas. La passation du peu de pouvoir que
l’homme a sur le navire et sur les éléments se fait avec quelques secondes
de décalage. L’homme chaud prend la barre à l’homme froid.
La vague l’a vu. Elle en profite pour soulever les fesses d’aluminium,
et pour coucher le navire sous spi.
Depuis ces images, pour éviter les vracs, sur tous les navires sur
lesquels je navigue et je commande, même l’été, même amoureux et
bronzé, quand on prend la barre, on dit je prends.
En laissant la majorité de l’entreprise à Flesch, qui a pris, j’ai
laissé la barre et la météo à nos nouveaux actionnaires opérationnels,
Flesch et Crespeau. Pour ma part, je ne voulais qu’arrêter d’armer ce
navire, et j’allais seulement livrer le charbon nécessaire à la machine,
signer de nouveaux contrats sur les échographes d’occasion en stock,
comme un vulgaire commercial. Les circonstances avaient oxydé en
moi l’entrepreneur que je voulais être. D’armateur, je passais équipier
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