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RÈpublique de CÙte díIvoire Union ñ Discipline ñ Travail ACTION POUR LA RENAISSANCE DU CENTRE 06 BP 1270 ABIDJAN 06 - TÈl/Fax : 240 00 026 ñ Site Internet : http://arc-nwanyo.org LE CORPS DES FEMMES : PERCEPTIONS ET REPRESENTATIONS par HÈlËne Houphouet-Koffi Institut díEthno-Sociologie UniversitÈ díAbidjan-Cocody ´ Les hommes ne sont jamais lassÈs de faÁonner des expressions pour exprimer la force contraignante qui attire líhomme vers la femme et parallËlement ‡ son envie, la phobie que par elle, il puisse mourir ou se pendre.. ª 1 . La femme en tant que genre a toujours fait líobjet de curiositÈ, de crainte et díadmiration mÍlÈe de critique dans toutes les sociÈtÈs. Parler des canons de beautÈ, de la femme africaine et des reprÈsentations sociales de la maternitÈ nous amËne díabord ‡ circonscrire et ‡ prÈciser notre sujet dans le contexte culturel africain puis ‡ expliquer le lien de cause ‡ effet entre la beautÈ du corps de la femme avec la possibilitÈ de procrÈation ou de donner la mort. DËs lors, quels sont les canons de beautÈ de la femme africaine en milieu rural et en quoi puissent-ils Ítre des facteurs de procrÈation, de chance ou de mort ? La femme en tant quíentitÈ humaine et sociale est Èvidemment perÁue comme diffÈrente de líhomme par certains aspects de sa morphologie et de son fonctionnement biologique. La diffÈrence essentielle entre ces deux entitÈs est liÈe ‡ la fonction de procrÈation ou de maternitÈ de la femme. En effet, le dÈveloppement corporel et physiologique de la jeune fille se distingue de celui du jeune garÁon, dËs le processus de la pubertÈ. Les modifications, qui en dÈcoulent, apparaissent chez les femmes, au niveau de la poitrine et de líappareil de reproduction humaine. A ce niveau, líhomme et la femme jouent desles complÈmentaires, complÈmentaritÈ qui pourtant servira de base de diffÈrenciation et díinÈgalitÈ sociale. Le corps fÈminin est perÁu en milieu rural africain ‡ la fois comme un objet fascinant, voire redoutable. Il est aussi mythe et mystËre suivant le contexte (lieu, pÈriode, circonstance, culture, etc.), objet de communication et de mÈdicalisation ‡ souhait. Support publicitaire donc objet commercial, le corps naturel et superficiel, corps spectacle et secret, corps ritualisÈ et cÈlÈbrÈ, corps outil díindividualisation et moyen de subsistance, corps identitaire, corps langage et organe de vie, tel se prÈsente en substance le corps en gÈnÈral, mais surtout celui de la femme. 1 K. HORNEY, La psychologie de la femme, Paris, Edit. PBP, Coll. ´ BibliothËque scientifique ª, 1969, p.282.

RÈpublique de CÙte díIvoire<br />

Union ñ Discipline ñ Travail<br />

ACTION POUR LA RENAISSANCE DU CENTRE<br />

06 BP 1270 ABIDJAN 06 - TÈl/Fax : 240 00 026 ñ Site Internet : http://arc-nwanyo.org<br />

LE CORPS DES FEMMES : PERCEPTIONS ET<br />

REPRESENTATIONS<br />

par HÈlËne Houphouet-Koffi<br />

Institut díEthno-Sociologie<br />

UniversitÈ díAbidjan-Cocody<br />

´ Les hommes ne sont jamais lassÈs de faÁonner <strong>des</strong> expressions<br />

pour exprimer la force contraignante qui attire líhomme vers la<br />

femme et parallË<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ‡ son <strong>en</strong>vie, la phobie que par el<strong>le</strong>,<br />

il puisse mourir ou se p<strong>en</strong>dre.. ª 1 .<br />

La femme <strong>en</strong> tant que g<strong>en</strong>re a toujours fait líobjet de curiositÈ, de crainte et díadmiration<br />

mÍlÈe de critique dans toutes <strong>le</strong>s sociÈtÈs.<br />

Par<strong>le</strong>r <strong>des</strong> canons de beautÈ, de la femme africaine et <strong>des</strong> reprÈs<strong>en</strong>tations socia<strong>le</strong>s de la<br />

maternitÈ nous amËne díabord ‡ circonscrire et ‡ prÈciser notre sujet dans <strong>le</strong> contexte culturel<br />

africain puis ‡ expliquer <strong>le</strong> li<strong>en</strong> de cause ‡ effet <strong>en</strong>tre la beautÈ du <strong>corps</strong> de la femme avec la<br />

possibilitÈ de procrÈation ou de donner la mort.<br />

DËs lors, quels sont <strong>le</strong>s canons de beautÈ de la femme africaine <strong>en</strong> milieu rural et <strong>en</strong> quoi<br />

puiss<strong>en</strong>t-ils Ítre <strong>des</strong> facteurs de procrÈation, de chance ou de mort ?<br />

La femme <strong>en</strong> tant quí<strong>en</strong>titÈ humaine et socia<strong>le</strong> est Èvidemm<strong>en</strong>t perÁue comme diffÈr<strong>en</strong>te<br />

de líhomme par certains aspects de sa morphologie et de son fonctionnem<strong>en</strong>t biologique. La<br />

diffÈr<strong>en</strong>ce ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong> <strong>en</strong>tre ces deux <strong>en</strong>titÈs est liÈe ‡ la fonction de procrÈation ou de<br />

maternitÈ de la femme.<br />

En effet, <strong>le</strong> dÈveloppem<strong>en</strong>t corporel et physiologique de la jeune fil<strong>le</strong> se distingue de<br />

celui du jeune garÁon, dËs <strong>le</strong> processus de la pubertÈ. Les modifications, qui <strong>en</strong> dÈcou<strong>le</strong>nt,<br />

apparaiss<strong>en</strong>t chez <strong>le</strong>s <strong>femmes</strong>, au niveau de la poitrine et de líappareil de reproduction<br />

humaine. A ce niveau, líhomme et la femme jou<strong>en</strong>t <strong>des</strong> rÙ<strong>le</strong>s complÈm<strong>en</strong>taires,<br />

complÈm<strong>en</strong>taritÈ qui pourtant servira de base de diffÈr<strong>en</strong>ciation et díinÈgalitÈ socia<strong>le</strong>.<br />

Le <strong>corps</strong> fÈminin est perÁu <strong>en</strong> milieu rural africain ‡ la fois comme un objet fascinant,<br />

voire redoutab<strong>le</strong>. Il est aussi mythe et mystËre suivant <strong>le</strong> contexte (lieu, pÈriode, circonstance,<br />

culture, etc.), objet de communication et de mÈdicalisation ‡ souhait.<br />

Support publicitaire donc objet commercial, <strong>le</strong> <strong>corps</strong> naturel et superficiel, <strong>corps</strong><br />

spectac<strong>le</strong> et secret, <strong>corps</strong> ritualisÈ et cÈlÈbrÈ, <strong>corps</strong> outil díindividualisation et moy<strong>en</strong> de<br />

subsistance, <strong>corps</strong> id<strong>en</strong>titaire, <strong>corps</strong> langage et organe de vie, tel se prÈs<strong>en</strong>te <strong>en</strong> substance <strong>le</strong><br />

<strong>corps</strong> <strong>en</strong> gÈnÈral, mais surtout celui de la femme.<br />

1 K. HORNEY, La psychologie de la femme, Paris, Edit. PBP, Coll. ´ BibliothËque sci<strong>en</strong>tifique ª, 1969, p.282.


Au regard de ces perceptions globa<strong>le</strong>s, que peut-on dire du <strong>corps</strong> de la femme <strong>en</strong> termes<br />

de beautÈ et de charme <strong>en</strong> milieu rural africain ?<br />

En Afrique Noire, il est <strong>en</strong> effet pratiquem<strong>en</strong>t imp<strong>en</strong>sab<strong>le</strong> de par<strong>le</strong>r de la corporÈitÈ<br />

fÈminine simp<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>en</strong> termes dí<strong>en</strong>veloppe de chair, díobjet de plaisir et de manipulation<br />

sans se rÈfÈrer ‡ ce qui est de fait admis de considÈrer comme une fonction utilitaire cíest-‡dire<br />

la reproduction humaine, díautant plus quíel<strong>le</strong> constitue de toute Èvid<strong>en</strong>ce une finalitÈ<br />

socia<strong>le</strong> <strong>en</strong> milieu rural.<br />

Cíest partant de cette logique quíil nous apparaÓt opportun de rapprocher <strong>le</strong>s thËmes :<br />

´ <strong>le</strong>s canons de beautÈ de la femme africaine et <strong>le</strong>s reprÈs<strong>en</strong>tations socia<strong>le</strong>s de la maternitÈ <strong>en</strong><br />

milieu rural ª.<br />

Ces deux thËmes particip<strong>en</strong>t de la mÍme logique tant et si bi<strong>en</strong> que la <strong>le</strong>cture de la<br />

beautÈ du <strong>corps</strong> fÈminin africain peut se concevoir comme une certaine philosophie de la vie<br />

dans la mesure o˘ <strong>le</strong> <strong>corps</strong> constitue un tout. Corps de tremplin, <strong>corps</strong> symbo<strong>le</strong>, <strong>corps</strong><br />

analyseur, quíest-ce donc ce <strong>corps</strong> de la femme africaine traditionnel<strong>le</strong> ?<br />

Avec Emi<strong>le</strong> Durkheim, pour distinguer un individu díun autre, ´ il faut un facteur<br />

díindividualisation, cíest <strong>le</strong> <strong>corps</strong> qui joue ce rÙ<strong>le</strong> ª 2 . Le <strong>corps</strong> humain ne se rÈsume donc pas<br />

seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ‡ ´ une col<strong>le</strong>ction díorganes et de fonctions ag<strong>en</strong>cÈes selon <strong>le</strong>s lois de líanatomie et<br />

de la physiologie. Il est díabord une structure symbolique, une surface de projection<br />

susceptib<strong>le</strong> de rallier <strong>le</strong>s formes culturel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus larges ª 3 .<br />

Cette dÈfinition fait apparaÓtre <strong>le</strong> <strong>corps</strong> comme un ´ phÈnomËne social et culturel,<br />

matiËre et symbo<strong>le</strong>, objet de reprÈs<strong>en</strong>tation et díimaginaire ª 4 . Le <strong>corps</strong> devi<strong>en</strong>t dËs lors un<br />

objet de signification, un objet comp<strong>le</strong>xe qui, selon líÈpoque et <strong>le</strong> contexte socioculturel,<br />

pr<strong>en</strong>d du s<strong>en</strong>s et donne du s<strong>en</strong>s. Le <strong>corps</strong> est de ce fait signe de vie et expression du rapport au<br />

monde <strong>en</strong>vironnant ou de la relation aux autres.<br />

La relation aux autres est aussi une relation au g<strong>en</strong>re <strong>en</strong> tant que rapports sociaux <strong>en</strong>tre<br />

<strong>le</strong>s sexes. Ce rapport au sexe nous permet díaxer prÈcisÈm<strong>en</strong>t notre rÈf<strong>le</strong>xion sur <strong>le</strong> <strong>corps</strong> de la<br />

femme africaine traditionnel<strong>le</strong>. Quel<strong>le</strong>s interrogations peut-on faire sur <strong>le</strong>s <strong>femmes</strong> africaines<br />

du monde rural si nous savons au dÈpart que, la sociÈtÈ Ètant sexuÈe (masculin-fÈminin), la<br />

structure physique de lí<strong>en</strong>titÈ socia<strong>le</strong> femme conditionne cel<strong>le</strong>-ci ‡ <strong>des</strong> fonctions non<br />

seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t fondam<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>s et/ou utilitaires mais <strong>en</strong>core, líoblige ‡ maint<strong>en</strong>ir sinon ‡ susciter un<br />

imaginaire toujours imaginatif, conduisant nÈcessairem<strong>en</strong>t ‡ une diffÈr<strong>en</strong>ciation <strong>des</strong><br />

comportem<strong>en</strong>ts sociaux et m<strong>en</strong>taux chez <strong>le</strong>s groupes humains. Autrem<strong>en</strong>t dit, <strong>le</strong> <strong>corps</strong> fÈminin<br />

peut servir díanalyseur <strong>des</strong> comportem<strong>en</strong>ts socioculturels dans <strong>le</strong>s rapports hommes et<br />

<strong>femmes</strong>. Cela Ètant, ´ líhomme semb<strong>le</strong> Ítre nÈ et ÈduquÈ pour dominer la femme ª 5 .<br />

Aussi la <strong>des</strong>tinÈe de cel<strong>le</strong>-ci est-el<strong>le</strong> vouÈe ‡ mettre tout <strong>en</strong> úuvre pour plaire ‡ líhomme<br />

<strong>en</strong> demeurant uti<strong>le</strong> <strong>en</strong> toute circonstance. De ce constat empirique, líhomme <strong>en</strong> tant que g<strong>en</strong>re<br />

masculin sera ou se s<strong>en</strong>tira <strong>le</strong> mieux indiquÈ pour reconnaÓtre et/ou Ètablir <strong>le</strong>s canons de<br />

beautÈ de la femme, de mÍme que <strong>le</strong>s conceptions et reprÈs<strong>en</strong>tations de la maternitÈ seront<br />

cel<strong>le</strong>s <strong>en</strong> vigueur dans une sociÈtÈ donnÈe ‡ une Èpoque donnÈe et ce, <strong>sous</strong> líinflu<strong>en</strong>ce<br />

masculine. Cíest dire que <strong>le</strong>s thËmes proposÈs sur <strong>le</strong>s perceptions du <strong>corps</strong>, <strong>le</strong>s canons de<br />

beautÈ et <strong>le</strong>s reprÈs<strong>en</strong>tations de la maternitÈ sont <strong>en</strong>core basÈs fondam<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t sur<br />

líimaginaire de líhomme dans <strong>le</strong> contin<strong>en</strong>t noir.<br />

En raison du caractËre succinct de cet artic<strong>le</strong>, nous níÈvoquerons que quelques cas de<br />

groupes ethniques prov<strong>en</strong>ant <strong>des</strong> points cardinaux de la CÙte díIvoire, <strong>en</strong> passant par <strong>le</strong><br />

C<strong>en</strong>tre, <strong>le</strong> Sud-Ouest, líOuest, <strong>le</strong> Sud-Est et <strong>le</strong> Nord.<br />

2<br />

E. DURKHEIM, Les formes ÈlÈm<strong>en</strong>taires de la vie religieuses, Paris, PUF, 1968.<br />

3<br />

D. LE BRETON, la sociologie du <strong>corps</strong>, Paris, PUF, Coll. ´ Que sais-je ? ª, n 2678, p.31.<br />

4<br />

Ibid.<br />

5<br />

G. LAFONT, La libÈration de la femme, Paris, Coll. GT, 1975, p.8.<br />

2


Díune maniËre gÈnÈra<strong>le</strong>, <strong>en</strong> Afrique traditionnel<strong>le</strong> et mÍme aujourdíhui, líon <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<br />

souv<strong>en</strong>t dire que la ´ beautÈ ª díune femme ne saurait síapprÈcier quí‡ travers ses maternitÈs.<br />

Autrem<strong>en</strong>t dit, la beautÈ de la femme serait-el<strong>le</strong> liÈe au temps, au phÈnomËne de longue durÈe<br />

comme une ´ d<strong>en</strong>rÈe rare ª quíil faut pr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong> temps de dÈguster ou <strong>en</strong>core, une úuvre díart,<br />

un tab<strong>le</strong>au qui devrait síobserver, se lire att<strong>en</strong>tivem<strong>en</strong>t pour <strong>en</strong> s<strong>en</strong>tir <strong>le</strong>s Èmotions ?<br />

Si tel est <strong>le</strong> cas, la beautÈ níapparaÓt-el<strong>le</strong> pas comme un fait, un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t, une va<strong>le</strong>ur<br />

relative ?<br />

Le mot beautÈ caractÈrise ce qui est beau et síapplique aux choses, aux personnes ou aux<br />

úuvres díart. ´ Beau ª dÈrive du latin bonelus et bellus qui donn<strong>en</strong>t bonus, avantage cons<strong>en</strong>ti.<br />

Le beau est donc ce qui suscite comme un tel plaisir dÈsintÈressÈ, produit par la contemplation<br />

et líadmiration díun objet ou díun Ítre. Kant disait que : ´ <strong>le</strong> beau est ce qui plaÓt<br />

universel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t sans concept ª, cíest-‡-dire ce qui est líobjet díun jugem<strong>en</strong>t de go˚t re<strong>le</strong>vant<br />

de la s<strong>en</strong>sibilitÈ esthÈtique non de líintellig<strong>en</strong>ce conceptuel<strong>le</strong> portant sur un cas particulier<br />

donnÈ, mais dÈterminant un accord universel <strong>des</strong> sujets, affirme Louis-Marie Morfaux 6 .<br />

Le beau indique aussi <strong>des</strong> critËres que sont <strong>le</strong>s formes, <strong>le</strong>s proportions et <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs qui<br />

plais<strong>en</strong>t et font naÓtre líadmiration <strong>en</strong> ce quíil suppose grandeur, nob<strong>le</strong>sse et rÈgularitÈ,<br />

síadressant ‡ la fois au <strong>corps</strong>, ‡ lí‚me, au moral et au physique.<br />

La notion de beautÈ fÈminine dans nos traditions africaines ne semb<strong>le</strong> pas síÈcarter<br />

fondam<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t de ce qui prÈcËde. Par exemp<strong>le</strong>, chez <strong>le</strong>s BaoulÈ du C<strong>en</strong>tre de la CÙte<br />

díIvoire, ‡ la question de savoir : quíest-ce quíune bel<strong>le</strong> femme, líon vous rÈpond : ´ il faut<br />

líapprÈcier certes corporel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t mais surtout mora<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ª (Bla yi wunin kplo, yi wakaba, yi<br />

klun ni y awunimba : la peau de la femme, son ´ arbre ª, son v<strong>en</strong>tre et son cúur). Autrem<strong>en</strong>t<br />

dit, la beautÈ de la femme comporte deux niveaux dont líextÈrieur et líintÈrieur. Líaspect<br />

extÈrieur compr<strong>en</strong>d un <strong>en</strong>semb<strong>le</strong> díÈlÈm<strong>en</strong>ts extÈrieurs, objectifs, perceptib<strong>le</strong>s ‡ tous, ‡ savoir<br />

la morphologie (arbre), la peau (<strong>le</strong> teint) et un <strong>en</strong>semb<strong>le</strong> díÈlÈm<strong>en</strong>ts internes tels que <strong>le</strong> v<strong>en</strong>tre<br />

et <strong>le</strong> cúur <strong>en</strong> plus de lí‚me qui est imperceptib<strong>le</strong>. Cette face cachÈe est, semb<strong>le</strong>-t-il, la chose<br />

la mieux apprÈciÈe tant chez une femme que chez un homme <strong>en</strong> Afrique, mÍme si cela est<br />

plus exigÈ de la premiËre. En fait, la femme doit se montrer plus s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> et plus<br />

respectueuse <strong>des</strong> normes et va<strong>le</strong>urs socia<strong>le</strong>s de sa sociÈtÈ que líhomme.<br />

Ce qui revi<strong>en</strong>t ‡ dire que, líon ne peut par<strong>le</strong>r de la beautÈ fÈminine <strong>en</strong> milieu rural sans<br />

faire allusion ‡ la fois ‡ la dim<strong>en</strong>sion matÈriel<strong>le</strong>, organico-physique et cel<strong>le</strong> affÈr<strong>en</strong>te au<br />

psychosocial. DËs lors, quels sont, díune part, <strong>le</strong>s parties staturo-pondÈra<strong>le</strong>s et, díautre part,<br />

<strong>le</strong>s ÈlÈm<strong>en</strong>ts psychosociologiques qui constitu<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s canons de beautÈ de la femme africaine<br />

traditionnel<strong>le</strong> ? Et <strong>en</strong> quoi, <strong>le</strong> ´ v<strong>en</strong>tre ª, <strong>le</strong> ´ cúur ª et ´ lí‚me ª contribu<strong>en</strong>t-ils ‡ la beautÈ<br />

díune femme ?<br />

En rÈsumÈ, que faut-il compr<strong>en</strong>dre par <strong>le</strong> terme de beautÈ de la femme <strong>en</strong> Afrique<br />

traditionnel<strong>le</strong> ?<br />

Avant de donner quelques ÈlÈm<strong>en</strong>ts de rÈponse ‡ ces interrogations, il convi<strong>en</strong>t de<br />

distinguer la ´ beautÈ extÈrieure ª ou corporÈitÈ de la ´ beautÈ intÈrieure ª ou sociopsychique.<br />

Le savant anglais Darwin, dans sa thÈorie de la sÈ<strong>le</strong>ction de líespËce sexuel<strong>le</strong> (masculinfÈminin),<br />

annonÁait quíil existe une diffÈr<strong>en</strong>ce fondam<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s facultÈs intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>s<br />

de líhomme et cel<strong>le</strong>s de la femme, la supÈrioritÈ se trouvant du cÙtÈ de la g<strong>en</strong>te masculine. La<br />

femme Ètant donc assimilÈe aux races <strong>le</strong>s plus primitives, cíest líhomme jugÈ <strong>le</strong> plus<br />

courageux, <strong>le</strong> plus fort et <strong>le</strong> plus ingÈnieux qui <strong>en</strong> acquÈrait la plus jolie et la plus saine 7 .<br />

6 L.M. MORFAUX, Dictionnaire de la philosophie et <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>ces humaines, Paris, A. Colin, 1980.l<br />

7 H. BOURCHARDEAU, Un coin dans <strong>le</strong>ur monde, Paris, Edit. Syras, Coll. ´ A la premiËre personne ª, 1980,<br />

p.34 Sq. 134 p.<br />

3


Les adjectifs ´ jolie ª et ´ saine ª font rÈfÈr<strong>en</strong>ce aussi bi<strong>en</strong> ‡ la corporÈitÈ <strong>en</strong> tant que<br />

matiËre organique quí‡ son fonctionnem<strong>en</strong>t physiologique et m<strong>en</strong>tal. La beautÈ est avant tout<br />

organico-physique. Cíest ce que nous allons essayer de dÈcrire ‡ prÈs<strong>en</strong>t.<br />

I. Les perceptions du <strong>corps</strong> : <strong>le</strong>s canons de beautÈ de la femme africaine<br />

Le monde social t<strong>en</strong>d ‡ p<strong>en</strong>ser et ‡ regarder <strong>le</strong> <strong>corps</strong> humain <strong>en</strong> termes de sexe car<br />

´ depuis toujours, cíest <strong>le</strong> regard <strong>des</strong> hommes qui nous Èvalue, qui nous apprÈcie, qui nous<br />

donne droit ‡ exister par consÈqu<strong>en</strong>tÖ Toute líÈducation <strong>des</strong> fil<strong>le</strong>s nous avait dÈj‡ appris ‡<br />

cultiver <strong>le</strong> paraÓtre plutÙt que líÍtre ª 8 .<br />

Ce chapitre qui porte sur <strong>le</strong>s parties constitutives du <strong>corps</strong> de la femme et susceptib<strong>le</strong><br />

díattirer <strong>le</strong> regard díautrui sur soi, se subdivise <strong>en</strong> deux parties : <strong>le</strong> niveau supÈrieur et <strong>le</strong><br />

niveau infÈrieur. Ces deux niveaux constitu<strong>en</strong>t <strong>des</strong> parties ´ franche ª et ´ interdite ª‡ tout<br />

complim<strong>en</strong>t ou attouchem<strong>en</strong>t de tout homme (g<strong>en</strong>re masculin) Ètranger ‡ la famil<strong>le</strong> díune<br />

femme africaine. Cíest ce que nous verrons ‡ travers <strong>le</strong>s niveaux ci-<strong>des</strong><strong>sous</strong>.<br />

I.1 Niveau supÈrieur du <strong>corps</strong> et canons de beautÈ<br />

La partie supÈrieure du <strong>corps</strong> qui part de la tÍte ‡ la ceinture est perÁue comme une zone<br />

autorisÈe parce que, extÈrieure et exposÈe au regard social, el<strong>le</strong> ne peut faire, a priori, líobjet<br />

de pudeur comme cíest <strong>le</strong> cas du corporel intÈrieur. La partie supÈrieure du <strong>corps</strong> comporte<br />

deux niveaux dont la tÍte et <strong>le</strong> tronc.<br />

I.1.1 La tÍte<br />

Les constituants de la tÍte pris <strong>en</strong> compte dans la beautÈ ´ extÈrieure ª de la femme<br />

sont :<br />

La tÍte qui est un <strong>en</strong>semb<strong>le</strong> díorganes de s<strong>en</strong>s doit Ítre de forme ronde et rÈguliËre.<br />

Pour ce faire, il existe <strong>des</strong> pratiques traditionnel<strong>le</strong>s de modelage de la tÍte du<br />

nouveau-nÈ chez certains groupes akan : BaoulÈ, EbriÈ, NíZima, etc. ;<br />

La chevelure doit Ítre abondante et díun noir brillant ;<br />

Le beau visage est de forme ronde ou ova<strong>le</strong>, proportionnel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t potelÈ et <strong>en</strong><br />

harmonie avec <strong>le</strong>s autres ÈlÈm<strong>en</strong>ts tels que <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s yeux, <strong>le</strong> nez, <strong>le</strong>s lËvres,<br />

<strong>le</strong> m<strong>en</strong>ton, <strong>le</strong>s joues, etc. ;<br />

Les oreil<strong>le</strong>s ne doiv<strong>en</strong>t pas Ítre ni trop dÈcollÈes comme cel<strong>le</strong>s díun lapin ni trop<br />

petites comme cel<strong>le</strong>s díune souris ;<br />

Les yeux doiv<strong>en</strong>t Ítre moy<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t saillants comme <strong>des</strong> noisettes ;<br />

Les lËvres doiv<strong>en</strong>t Ítre rÈguliËres et ni trop Èpaisses ni trop minces. Si <strong>le</strong>s <strong>femmes</strong><br />

peu<strong>le</strong>s et autres sahÈli<strong>en</strong>nes se ´ pi<strong>le</strong>nt ou se noirciss<strong>en</strong>t ª <strong>le</strong>s lËvres pour <strong>le</strong>s mettre<br />

<strong>en</strong> va<strong>le</strong>ur 9 , <strong>en</strong> CÙte díIvoire, ce sont plutÙt <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>cives qui sont frÈquemm<strong>en</strong>t<br />

´ pilÈes ª et noircies pour laisser apparaÓtre <strong>des</strong> d<strong>en</strong>ts blanches et rÈguliËrem<strong>en</strong>t<br />

implantÈes. En CÙte díIvoire, <strong>le</strong> tatouage <strong>des</strong> g<strong>en</strong>cives a, semb<strong>le</strong>-t-il, une fonction<br />

sinon seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t esthÈtique mais aussi thÈrapeutique. En effet, aux dires de nos<br />

informatrices, <strong>le</strong>s <strong>femmes</strong> qui se font ´ pi<strong>le</strong>r ª rÈguliËrem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>cives ne<br />

dÈvelopp<strong>en</strong>t pas de caries d<strong>en</strong>taires du moins, el<strong>le</strong>s sont rarem<strong>en</strong>t exposÈes aux<br />

affections odonto-stomatologiques (maladie du systËme d<strong>en</strong>taire et de la bouche).<br />

Les bel<strong>le</strong>s d<strong>en</strong>ts blanches sur <strong>des</strong> g<strong>en</strong>cives noires ou b<strong>le</strong>u-nuit doiv<strong>en</strong>t laisser apparaÓtre<br />

une brËche d<strong>en</strong>taire c<strong>en</strong>tra<strong>le</strong>, de prÈfÈr<strong>en</strong>ce naturel<strong>le</strong> au niveau de la m‚choire supÈrieure. La<br />

brËche d<strong>en</strong>taire c<strong>en</strong>tra<strong>le</strong> supÈrieure et naturel<strong>le</strong> serait autant un critËre de charme que de<br />

8 B. HOLAS, Image de la mËre dans líart ivoiri<strong>en</strong>, Abidjan, Edit. N.E.A, 1975.<br />

9 ´ Se pi<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>cives ª : consiste ‡ attacher une dizaine au moins díaiguil<strong>le</strong>s ‡ coudre <strong>en</strong> forme de balai que<br />

líon plonge dans la suie díune lampe ‡ pÈtro<strong>le</strong> mÈlangÈe ‡ de la poudre vÈgÈta<strong>le</strong> servant de pansem<strong>en</strong>t sur <strong>des</strong><br />

g<strong>en</strong>cives saignantes <strong>sous</strong> la pression du balai díaiguil<strong>le</strong>s.<br />

4


chance dans la vie pour cel<strong>le</strong> ou celui qui <strong>en</strong> porte. Cíest <strong>en</strong> cela que líon explique certaines<br />

pratiques traditionnel<strong>le</strong>s dont la ´ tail<strong>le</strong> ª <strong>des</strong> deux incisives supÈrieures chez certaines<br />

populations du c<strong>en</strong>tre, du Nord et de líOuest de la CÙte díivoire. se faire ´ tail<strong>le</strong>r ª <strong>le</strong>s d<strong>en</strong>ts a<br />

pour but de crÈer artificiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>le</strong> charme et si possib<strong>le</strong>, la chance que confËre une brËche<br />

d<strong>en</strong>taire mÈdiane.<br />

Somme toute, <strong>le</strong> beau visage ou la bel<strong>le</strong> tÍte doit t<strong>en</strong>ir sur un beau ´ cou de statuette ª<br />

comme dis<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s BaoulÈ. Le beau cou est ce quíil est coutume díappe<strong>le</strong>r ´ cou de VÈnus ª.<br />

Cíest un cou long et fin, mais surtout striÈ, plissÈ, signe de líart divin.<br />

Pour nous rÈsumer, il faut ret<strong>en</strong>ir ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t que líabondance de la chevelure sur<br />

une tÍte ronde avec une physionomie harmonieuse portÈe sur un cou naturel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ´ sculptÈ ª<br />

sont <strong>des</strong> signes de beautÈ extÈrieure chez une femme ivoiri<strong>en</strong>ne.<br />

Le second niveau de cette partie concerne <strong>le</strong> reste du buste, allant du cou ‡ la ceinture.<br />

I.1.2 Le buste infÈrieur<br />

Des Èpau<strong>le</strong>s au dos, de la poitrine au v<strong>en</strong>tre, <strong>le</strong> buste díune femme doit Ítre<br />

harmonieusem<strong>en</strong>t potelÈ. La tail<strong>le</strong> nía pas grande importance contrairem<strong>en</strong>t ‡ la poitrine qui<br />

doit Ítre garnie e seins ronds, suffisamm<strong>en</strong>t charnus et proportionnels au reste du buste. Les<br />

seins sont un attrait charnel certes, mais cíest <strong>le</strong>ur fonction nutritive virtuel<strong>le</strong> qui semb<strong>le</strong><br />

prÈoccuper <strong>le</strong> monde rural africain. Chez <strong>le</strong>s BaoulÈ du C<strong>en</strong>tre de la CÙte díIvoire par<br />

exemp<strong>le</strong>, il existe un type de petits seins appelÈs seins de chËvre (boli-gnonflin). Les ´ seins<br />

de chËvres ª ne síaffaiss<strong>en</strong>t pas ou du moins trËs peu, <strong>en</strong> dÈpit <strong>des</strong> maternitÈs quíune femme<br />

peut avoir. Toutefois, ce type de seins ne semb<strong>le</strong> pas Ítre apprÈciÈ parce quíils ne sont pas<br />

suffisamm<strong>en</strong>t volumineux pour líallaitem<strong>en</strong>t naturel díune Èv<strong>en</strong>tuel<strong>le</strong> progÈniture nombreuse.<br />

Juste au niveau de la poitrine, <strong>le</strong>s bras doiv<strong>en</strong>t apparaÓtre proportionnels au reste du<br />

<strong>corps</strong>. A ce niveau, ce qui importe, cíest la soup<strong>le</strong>sse dans líarticulation de líavant-bras et du<br />

poignet. Ceci laisse <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre que toute bel<strong>le</strong> femme est cel<strong>le</strong> qui sait mettre <strong>en</strong> va<strong>le</strong>ur<br />

certaines parties de son <strong>corps</strong>, notamm<strong>en</strong>t <strong>le</strong> bras et ses articulations. Une femme qui ´ sait<br />

marcher ª, sait balancer <strong>le</strong>s bras au rythme de sa dÈmarche. Ce balancem<strong>en</strong>t doit marquer de<br />

la soup<strong>le</strong>sse dans <strong>le</strong>s cou<strong>des</strong> et poignets. Líexpression consacrÈe ‡ ces mouvem<strong>en</strong>ts dirigÈs est<br />

<strong>le</strong> verbe ´ casser <strong>le</strong>s bras ª (bÈ sa bubulË) chez <strong>le</strong>s BaoulÈ. Pour líhomme akan, prÈcisÈm<strong>en</strong>t<br />

baoulÈ, ´ savoir casser ses bras ª <strong>en</strong> marchant donne du charme et du rythme ‡ la femme.<br />

Cel<strong>le</strong> qui ne sait pas marcher de cette maniËre-l‡, ne sait pas manifester sa soup<strong>le</strong>sse<br />

corporel<strong>le</strong> est peu perÁue comme dit líexpression : ´ Áa, cíest femme-garÁon ª, <strong>en</strong> díautres<br />

termes, cette femme marche comme un homme. Et ceci est bi<strong>en</strong> Èvidemm<strong>en</strong>t dit avec une<br />

pointe de rail<strong>le</strong>rie.<br />

En plus de la soup<strong>le</strong>sse dans <strong>le</strong>s membres supÈrieurs, une femme aux bras velus ñ mais<br />

la qualification <strong>en</strong> langue loca<strong>le</strong> dit ´ bras duveteux ª - est particuliËrem<strong>en</strong>t apprÈciÈe <strong>en</strong> zone<br />

forestiËre : Ouest (chez <strong>le</strong>s BÈtÈ, Gouro, Yacouba) et mÍme au C<strong>en</strong>tre, chez <strong>le</strong>s BaoulÈ. Une<br />

pilositÈ remarquab<strong>le</strong> au niveau <strong>des</strong> membres infÈrieurs díune femme est, dit-on, s<strong>en</strong>suel<strong>le</strong><br />

dans <strong>le</strong>s rÈgions sus-citÈes.<br />

Le v<strong>en</strong>tre qui est souv<strong>en</strong>t assimilÈ au bassin et aux hanches doit Ítre rond et large. Un tel<br />

v<strong>en</strong>tre serait prÈsumÈ bon rÈceptac<strong>le</strong> pour la reproduction humaine chez une femme. Jadis, <strong>le</strong>s<br />

<strong>femmes</strong> se faisai<strong>en</strong>t faire <strong>des</strong> scarifications autour de la zone ombilica<strong>le</strong> <strong>en</strong> vue de mettre <strong>le</strong><br />

v<strong>en</strong>tre <strong>en</strong> va<strong>le</strong>ur. Cela devait rehausser líattrait du v<strong>en</strong>tre avec une lÈgËre cambrure dorsa<strong>le</strong><br />

uti<strong>le</strong> au port au dos <strong>des</strong> <strong>en</strong>fants Èv<strong>en</strong>tuels. Le tout doit mettre <strong>en</strong> relief la partie infÈrieure du<br />

<strong>corps</strong> fÈminin.<br />

5


I.2 Niveau infÈrieur du <strong>corps</strong> et canons de beautÈ<br />

Cette partie allant de la ceinture aux orteils, qui dans nos habitu<strong>des</strong> vestim<strong>en</strong>taires<br />

ancestra<strong>le</strong>s semb<strong>le</strong> laisser <strong>le</strong> <strong>corps</strong> ‡ moitiÈ nu est, par excel<strong>le</strong>nce, <strong>le</strong> lieu de toute la<br />

symbolique du sexe fÈminin avec la pudeur que cela implique. La partie infÈrieure du <strong>corps</strong><br />

fÈminin rÈvË<strong>le</strong> effectivem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s canons ess<strong>en</strong>tiels de la beautÈ de la femme africaine tout <strong>en</strong><br />

exprimant <strong>le</strong>s reprÈs<strong>en</strong>tations de la maternitÈ. Depuis la nuit <strong>des</strong> temps, <strong>le</strong> postÈrieur de la<br />

femme est perÁu par líhomme africain comme Ètant <strong>le</strong> signe de s<strong>en</strong>sualitÈ <strong>le</strong> plus Èvid<strong>en</strong>t et <strong>le</strong><br />

plus irrÈsistib<strong>le</strong>.<br />

Les critËres díapprÈciation du postÈrieur fÈminin sont la chair et <strong>le</strong>s rondeurs. Cíest dire<br />

que <strong>le</strong>s fesses doiv<strong>en</strong>t Ítre charnues, fermes et bi<strong>en</strong> ron<strong>des</strong> sur un bassin large. Si tel est <strong>le</strong> cas,<br />

la femme est alors t<strong>en</strong>ue de valoriser de moins, est c<strong>en</strong>sÈe savoir <strong>le</strong>s valoriser ‡ travers sa<br />

dÈmarche. Cela veut dire quíil existe líart de la dÈmarche fÈminine comme nous líavons<br />

signalÈ pour <strong>le</strong> balancem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> bras.<br />

En fait, cíest un <strong>en</strong>semb<strong>le</strong> de mouvem<strong>en</strong>ts harmonieux que produit la dÈmarche díune<br />

femme, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s que, <strong>sous</strong> <strong>le</strong> balancem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> bras, <strong>le</strong>s hanches doiv<strong>en</strong>t ´ síarticu<strong>le</strong>r ª de<br />

maniËre ‡ faire rythmer <strong>le</strong>s fesses. Cette ´ valse <strong>des</strong> rondeurs de fesses ª qui est supposÈe<br />

suivre la cad<strong>en</strong>ce de la dÈmarche doit Èga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t transparaÓtre au travers du vÍtem<strong>en</strong>t,<br />

notamm<strong>en</strong>t du pagne. Le rou<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>des</strong> fesses est aussi important que <strong>le</strong> balancem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> bras<br />

chez la femme africaine.<br />

Ces techniques du <strong>corps</strong> qui sont traditionnel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t acc<strong>en</strong>tuÈes lors <strong>des</strong> danses rituel<strong>le</strong>s<br />

ou de simp<strong>le</strong> rÈjouissance font partie intÈgrante de líÈducation de la petite fil<strong>le</strong>. Ceci est díun<br />

intÈrÍt tel quíune femme que la nature nía pas dotÈe díun postÈrieur apprÈciab<strong>le</strong> se voit<br />

obligÈe de se ´ bourrer ª de morceaux de pagne <strong>en</strong> guise de jupon autrem<strong>en</strong>t, el<strong>le</strong> pourrait Ítre<br />

la risÈe de sa communautÈ.<br />

Si cette partie du <strong>corps</strong> de la femme fait líobjet díadmiration et de convoitise <strong>des</strong><br />

hommes africains, el<strong>le</strong> ní<strong>en</strong> est pas moins un objet de dÈrision, chansonnÈe depuis toujours<br />

dans nos sociÈtÈs traditionnel<strong>le</strong>s. Les fesses y sont ÈvoquÈes <strong>en</strong> tous <strong>le</strong>s termes, tantÙts<br />

mythiques, tantÙt sarcastiques. Dans <strong>le</strong>s reprÈs<strong>en</strong>tations africaines traditionnel<strong>le</strong>s du <strong>corps</strong><br />

fÈminin, <strong>le</strong>s fesses sont líexpression du bi<strong>en</strong> et du mal, du plaisir et de la souffrance, de Dieu<br />

et du mal, ainsi que de la vie et de la mort. Les fesses, <strong>en</strong> constituant pour ainsi dire un code d<br />

<strong>le</strong>cture de la beautÈ et de la sexualitÈ fÈminine doiv<strong>en</strong>t se dresser sur <strong>des</strong> jambes robustes, aux<br />

mol<strong>le</strong>ts rondem<strong>en</strong>t <strong>des</strong>sinÈs. Pour bi<strong>en</strong> marquer ces rondeurs, <strong>le</strong>s <strong>femmes</strong> port<strong>en</strong>t <strong>des</strong> atours<br />

aux g<strong>en</strong>oux et aux chevil<strong>le</strong>s.<br />

A líinstar <strong>des</strong> bras, <strong>le</strong>s jambes doiv<strong>en</strong>t Ítre proportionnel<strong>le</strong>s et recouvertes díune pilositÈ<br />

remarquab<strong>le</strong>. El<strong>le</strong>s doiv<strong>en</strong>t se terminer par <strong>des</strong> cous-de-pied naturel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t Èpais avec de longs<br />

orteils fins ou gros, mais surtout droits.<br />

Dans <strong>le</strong>s reprÈs<strong>en</strong>tations du <strong>corps</strong> fÈminin africain, certains peup<strong>le</strong>s du c<strong>en</strong>tre et de<br />

líOuest de la CÙte díIvoire p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t quíune femme et díautant mieux apprÈciÈe quíel<strong>le</strong> est<br />

virtuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t portÈe ‡ reproduire <strong>le</strong>s stÈrÈotypes sociaux de son milieu. Ainsi, une femme aux<br />

jambes Èpaisses (y compris lí<strong>en</strong>semb<strong>le</strong> <strong>des</strong> mol<strong>le</strong>ts, pieds et orteils) sera-t-el<strong>le</strong> mieux<br />

apprÈciÈe quíune femme aux jambes fines, parce que la premiËre est susceptib<strong>le</strong> dí<strong>en</strong>g<strong>en</strong>drer<br />

de beaux <strong>en</strong>fants vigoureux et pot<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t douÈs pour <strong>le</strong>s travaux champÍtres.<br />

Dans la logique du beau <strong>corps</strong> africain et spÈcifiquem<strong>en</strong>t fÈminin, il níy a pas que<br />

líaspect purem<strong>en</strong>t esthÈtique qui r<strong>en</strong>tre <strong>en</strong> observation. Il y a, <strong>en</strong> plus de cela, la perception<br />

symbolique et <strong>le</strong> non-dit de la corporÈitÈ qui font de la beautÈ, un tout culturel important dans<br />

la vie socia<strong>le</strong>. Líon pourrait mÍme avancer que <strong>le</strong> <strong>corps</strong> est un beau tab<strong>le</strong>au ‡ doub<strong>le</strong> <strong>le</strong>cture<br />

antithÈtique, ‡ savoir <strong>le</strong> beau positif, bi<strong>en</strong> faisant, et <strong>le</strong> laid nÈgatif, malfaisant. Cíest dire que<br />

la corporÈitÈ fÈminine síexpose ‡ une <strong>le</strong>cture approfondie, mais discrËte <strong>en</strong> certaines<br />

occasions. Il est connu de tous, quí<strong>en</strong> Afrique Noire, il est gÈnÈra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t admis que ri<strong>en</strong> ne se<br />

produit par <strong>le</strong> fait du hasard car tout síexplique. Des circonstances prÈcises comme la<br />

6


naissance (ÈvÈnem<strong>en</strong>t heureux), la maladie (ÈvÈnem<strong>en</strong>t malheureux) mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> exergue la<br />

subtilitÈ de la problÈmatique du <strong>corps</strong> de la femme. Pour <strong>le</strong>s BaoulÈ par exemp<strong>le</strong>, une femme<br />

aux pieds plats (vo˚te plantaire affaissÈe) ou aux pieds <strong>en</strong> ciseaux ouverts (jambes <strong>en</strong> x) ou<br />

<strong>en</strong>core <strong>en</strong> ciseaux fermÈs (jambes <strong>en</strong> o) porte malheur <strong>en</strong> gÈnÈral. Une tel<strong>le</strong> femme sera<br />

díoffice disqualifiÈe pour porter secours ‡ un par<strong>en</strong>t malade, alitÈ ou grabataire, <strong>sous</strong> prÈtexte<br />

quíel<strong>le</strong> pourrait causer la mort de celui-ci.<br />

Líexpression baoulÈ dit littÈra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ceci : ´ bla nígamon lÈman dja nízuÈnou tiaman<br />

toukpatchËfouË bË sou ª (la femme qui nía pas díeau dans <strong>le</strong>s pieds ne doit pas marcher ou<br />

poser <strong>le</strong>s pieds sur la natte díun malade couchÈ). Ce qui revi<strong>en</strong>t ‡ dire quíil est interdit ‡ toute<br />

femme aux pieds plats (pieds sans vo˚te plantaire prononcÈe) de rester au chevet díun malade<br />

‡ pronostic incertain. Une tel<strong>le</strong> femme níest pas supposÈe avoir un c<strong>en</strong>tre de gravitÈ suffisant<br />

pour affronter toute sorte de situations tant physique, mystique que spirituel<strong>le</strong>.<br />

En revanche, <strong>le</strong>s pieds ´ parallË<strong>le</strong>s ª (jambes norma<strong>le</strong>s) et la vo˚te plantaire bi<strong>en</strong> creuse<br />

r<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans la normalitÈ, voire la positivitÈ.<br />

Les canons de beautÈ de la femme africaine ne se rÈsum<strong>en</strong>t pas ‡ la morphologie<br />

matÈriel<strong>le</strong>, il faut y signa<strong>le</strong>r líimportance de la notion de cou<strong>le</strong>ur qui est prise <strong>en</strong> compte dans<br />

nos sociÈtÈs traditionnel<strong>le</strong>s. Si la forme ´ architectura<strong>le</strong> ª ou structure corporel<strong>le</strong> ou <strong>en</strong>core<br />

´ líarbre humain ª aux dire <strong>des</strong> BaoulÈ, a un attrait certain <strong>en</strong> fonction du sexe, celui-l‡ sera<br />

plus ou moins vivace selon <strong>le</strong> milieu et <strong>le</strong>s nuances de sa carnation. Aussi, <strong>le</strong> teint díÈbËne,<br />

díappar<strong>en</strong>ce propre et luisante de que celui dit basanÈ sont-ils mieux apprÈciÈs que <strong>le</strong>s<br />

nuances ternes et de luminositÈ irrÈguliËre. Mais nous constatons, empiriquem<strong>en</strong>t, que dans<br />

nos rÈgions sub-sahari<strong>en</strong>nes, <strong>le</strong> phÈnomËne de la dÈpigm<strong>en</strong>tation mÈdicam<strong>en</strong>teuse ou<br />

artificiel<strong>le</strong> nía pas ÈbranlÈ <strong>le</strong> choix social portÈ sur la peau naturel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t claire. Les<br />

informations recueillies auprËs <strong>des</strong> personnes ‚gÈes (hommes et <strong>femmes</strong>) du monde rural<br />

confirm<strong>en</strong>t quí<strong>en</strong> rËg<strong>le</strong> gÈnÈra<strong>le</strong>, dans nos sociÈtÈs traditionnel<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s <strong>femmes</strong> de teint<br />

naturel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t clair ont toujours exercÈ un attrait particulier. La carnation claire fait líobjet de<br />

reprÈs<strong>en</strong>tations socia<strong>le</strong>s diverses dont <strong>le</strong>s rÈfÈr<strong>en</strong>ces mystique, mythique ou historique sont<br />

plus ou moins prÈgnantes suivant <strong>le</strong> contexte. La femme de teint clair est <strong>en</strong> fait tout un<br />

symbo<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> reprÈs<strong>en</strong>te pour <strong>le</strong>s uns, une source pot<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong> de richesse et de bonheur <strong>en</strong><br />

mÈnage, tandis quíel<strong>le</strong> reflËte la propretÈ pour <strong>le</strong>s autres. La femme claire incarne, pour<br />

certains, dÈlicatesse et fragilitÈ avec une santÈ prÈcaire parce que <strong>le</strong> ´ clair relËverait du<br />

monde surnaturel <strong>des</strong> gÈnies. Cette prÈsumÈe appart<strong>en</strong>ance serait marquÈe díaffectivitÈ et de<br />

susceptibilitÈ excessives <strong>en</strong> dÈpit du prÈt<strong>en</strong>du rayonnem<strong>en</strong>t de son asc<strong>en</strong>dant personnel dans<br />

<strong>le</strong> champ díaction de líÍtre clair.<br />

Nous ne pouvons pas terminer ce chapitre sur la prÈs<strong>en</strong>tation succincte de la beautÈ<br />

morphologique de la femme africaine du monde rural sans m<strong>en</strong>tionner quelques aspects de la<br />

beautÈ intÈrieure et non matÈriel<strong>le</strong>.<br />

Dans bon nombre de nos communautÈs ethniques ivoiri<strong>en</strong>nes, il est imp<strong>en</strong>sab<strong>le</strong> de par<strong>le</strong>r<br />

díesthÈtique physique au fÈminin ou au masculin sans <strong>en</strong> souligner líaspect moral, celui qui,<br />

dit-on, parachËve la nob<strong>le</strong>sse de la beautÈ fÈminine <strong>en</strong> Afrique Noire. Aux dires <strong>des</strong> anci<strong>en</strong>s,<br />

la beautÈ díune femme ne peut Ítre socia<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t reconnue que si cela síaccompagne de vertus.<br />

Une femme vertueuse est gÈnÈra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t perÁue comme ayant une conduite exemplaire <strong>en</strong><br />

rapport avec <strong>le</strong>s normes socioculturel<strong>le</strong>s <strong>en</strong> vigueur ‡ savoir <strong>le</strong> respect díautrui et <strong>des</strong> normes<br />

socia<strong>le</strong>s ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>s tel<strong>le</strong>s la politesse, <strong>le</strong> courage et bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du la soumission de la femme ‡<br />

líautoritÈ masculine. Il faut Èga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t remarquer que ce dernier aspect de la beautÈ fÈminine<br />

exprime une forme de sociabilitÈ devant conduire nÈcessairem<strong>en</strong>t la femme au mariage, ce qui<br />

rime naturel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t avec la maternitÈ comme finalitÈ.<br />

7


II. Les conceptions et <strong>le</strong>s reprÈs<strong>en</strong>tations de la maternitÈ<br />

´ Dans <strong>le</strong>s sociÈtÈs traditionnel<strong>le</strong>s díAfrique, la maternitÈ est comprise comme une<br />

consÈcration, la finalitÈ mÍme de líexist<strong>en</strong>ce ª. ´ Et si la femme se rÈsigne ‡ dev<strong>en</strong>ir Èpouse,<br />

cíest ‡ cause de son grand dÈsir díÍtre mËreÖ Lí<strong>en</strong>fant Ètant <strong>le</strong> seul bi<strong>en</strong> qui unit líhomme et<br />

la femme ª 10 .<br />

De ces deux citations, nous ret<strong>en</strong>ons líidÈe fondam<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> qui est que la femme africaine<br />

du monde rural aspire au mariage avec <strong>le</strong> vif espoir díÍtre mËre, prÈcisÈm<strong>en</strong>t, mettre au<br />

monde un ou <strong>des</strong> <strong>en</strong>fants. Ainsi, la maternitÈ serait-el<strong>le</strong> intimem<strong>en</strong>t liÈe au dÈsir de tout<br />

systËme de mariage <strong>en</strong> Afrique.<br />

´ Selon certaines traditions ivoiri<strong>en</strong>nes (BaoulÈ), <strong>le</strong> mariage nía lieu que lorsquíune<br />

liaison prÈmarita<strong>le</strong> a abouti ‡ une grossesse, <strong>le</strong>s prestations <strong>des</strong> premiËres grossesses sont<br />

alors indissociab<strong>le</strong>s <strong>des</strong> prestations matrimonia<strong>le</strong>s ª 11 .<br />

Que reprÈs<strong>en</strong>te dËs lors la maternitÈ dans nos traditions ?<br />

Le souci de mieux saisir la portÈe du phÈnomËne maternitÈ nous <strong>le</strong> fait situer ‡ deux<br />

niveaux, ‡ savoir la notion de conception de lí<strong>en</strong>fant, díune part, et <strong>le</strong>s effets induits, díautre<br />

part.<br />

II.1 La conception de lí<strong>en</strong>fant <strong>en</strong> milieu rural<br />

Si dans <strong>le</strong>s civilisations cartÈsi<strong>en</strong>nes la procrÈation est vue comme un phÈnomËne tout ‡<br />

fait naturel et humain, <strong>en</strong> Afrique Noire traditionnel<strong>le</strong>, ´ ne procrÈe pas qui veut ª car cela<br />

relËve du sacrÈ et du surnaturel. Le monde rural p<strong>en</strong>se quíil existe <strong>des</strong> puissances numineuses<br />

c<strong>en</strong>sÈes favoriser, de bon grÈ, la conception dí<strong>en</strong>fants normaux, anormaux et<br />

´ exceptionnels ª chez <strong>le</strong>s humains. Ces Ítres numineux serai<strong>en</strong>t partout dans la nature, ce<br />

sont tantÙt Dieu, <strong>le</strong>s gÈnies de forÍt, de lac, de f<strong>le</strong>uve, de montagne, tantÙt <strong>des</strong> ancÍtres et<br />

autres.<br />

La maternitÈ est pour ainsi dire un don. Le don díune certaine nature qui investit la<br />

femme díun pouvoir ´ surnaturel ª et <strong>des</strong> droits maternels inaliÈnab<strong>le</strong>s.<br />

Dans son s<strong>en</strong>s gÈnÈral (conception, grossesse, accouchem<strong>en</strong>t), la maternitÈ est<br />

Èga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t perÁue dans nos traditions comme un combat physique, spirituel, moral et mystique<br />

o˘ la notion de souffrance et de risque de perdre la vie níest jamais ÈludÈe. Cíest díail<strong>le</strong>urs <strong>en</strong><br />

partie, dans cette logique conceptuel<strong>le</strong> que la maternitÈ est investie díun prestige social<br />

incontestab<strong>le</strong> dans nos sociÈtÈs traditionnel<strong>le</strong>s. Par ail<strong>le</strong>urs, la maternitÈ constitue, ‡ moy<strong>en</strong> et<br />

‡ long terme, une sorte de prÈvoyance socia<strong>le</strong>. La procrÈation reprÈs<strong>en</strong>te, <strong>en</strong> fait, une source<br />

pot<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong> de capitalisation humaine pour une femme, une famil<strong>le</strong>, une col<strong>le</strong>ctivitÈ loca<strong>le</strong> et<br />

<strong>en</strong>fin pour une sociÈtÈ. La maternitÈ ´ est si positivem<strong>en</strong>t perÁue et vÈcue chez nous que,<br />

lorsquíil est impossib<strong>le</strong> ‡ une femme ou ‡ un coup<strong>le</strong> de procrÈer, la sociÈtÈ lui a trouvÈ un<br />

palliatif <strong>en</strong> la ´ maternitÈ socia<strong>le</strong> ª (Mona Eti<strong>en</strong>ne, 1979). Il existe donc parallË<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ‡ la<br />

maternitÈ biologique et naturel<strong>le</strong>, ce que <strong>le</strong>s sci<strong>en</strong>ces socia<strong>le</strong>s ont dÈnommÈ : ´ maternitÈ<br />

socia<strong>le</strong> ª.<br />

La maternitÈ socia<strong>le</strong> est <strong>le</strong> don dí<strong>en</strong>fant <strong>en</strong> adoption. Dans cette pratique de don dí<strong>en</strong>fant<br />

<strong>en</strong> adoption, lí<strong>en</strong>fant adoptÈ provi<strong>en</strong>t gÈnÈra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t de la par<strong>en</strong>tÈ ou díune liaison amica<strong>le</strong> de<br />

líadoptant. Dans la plupart <strong>des</strong> cas díadoption surtout de ce g<strong>en</strong>re, cíest la famil<strong>le</strong> de lí<strong>en</strong>fant<br />

‡ adopter qui fait <strong>le</strong>s premiers pas, cíest-‡-dire quíel<strong>le</strong> propose et ´ offre ª, sans condition, son<br />

<strong>en</strong>fant soit ‡ une par<strong>en</strong>te proche ou ÈloignÈe soit ‡ une amie ou ‡ un coup<strong>le</strong> sans <strong>en</strong>fant. La<br />

pratique du don dí<strong>en</strong>fant <strong>en</strong> adoption qui existe dans <strong>le</strong> monde, <strong>en</strong> OcÈanie (PolynÈsie, etc.),<br />

10 M. ETIENNE, MaternitÈ socia<strong>le</strong>, rapports díadoption et pouvoir <strong>des</strong> <strong>femmes</strong> chez <strong>le</strong>s BaoulÈ de CÙte<br />

díIvoire ª, LíHomme, juil<strong>le</strong>t-dÈcembre, 1979, XIX (3-4), pp. 63-107.<br />

11 M. ETIENNE, Ibid.<br />

8


<strong>en</strong> Europe, <strong>en</strong> Afrique et ail<strong>le</strong>urs, est trËs peu courante <strong>en</strong> CÙte díIvoire. Chez <strong>le</strong>s BaoulÈ de<br />

CÙte díivoire par exemp<strong>le</strong>, líon distingue deux formes ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>s díadoption :<br />

1 ) Líadoption ´ temporaire ª ou lí<strong>en</strong>fant ´ prÍtÈ ª constitue une aide familia<strong>le</strong> pour sa<br />

mËre adoptive durant une pÈriode donnÈe est lÈgion sur toute líÈt<strong>en</strong>due du territoire ;<br />

2 ) Líadoption ´ dÈfinitive ª o˘ lí<strong>en</strong>fant est ´ mis dans <strong>le</strong> v<strong>en</strong>tre ª de sa mËre adoptive<br />

(fa ba wlË yi klun = mettre lí<strong>en</strong>fant dans son v<strong>en</strong>tre) est plus comp<strong>le</strong>xe que la premiËre.<br />

Líadoption dÈfinitive qui favorise une rupture symbolique <strong>en</strong>tre la mËre biologique et<br />

son ´ ex-<strong>en</strong>fant ª donnÈ <strong>en</strong> adoption, disons ´ offert ª, mÈrite ‡ notre s<strong>en</strong>s líexpression<br />

´ maternitÈ socia<strong>le</strong> ª dans la mesure o˘ cette forme díoffre díadoption, sans condition, ne se<br />

sollicite point. La proposition dí ´ offrir ª son <strong>en</strong>fant ‡ naÓtre se fait avant une Èv<strong>en</strong>tuel<strong>le</strong><br />

conception, soit p<strong>en</strong>dant son exist<strong>en</strong>ce in-utero ou aprËs sa naissance. Bi<strong>en</strong> que par principe<br />

ce don ne se nÈgocie pas, il ne saurait Ítre refusÈ, parce quíil comporte une certaine grandeur<br />

dí‚me tant du cÙtÈ du donateur ou de la donatrice que de celui du bÈnÈficiaire. Partant, la<br />

mËre adoptive pourra exercer tous <strong>le</strong>s droits requis sur son ´ <strong>en</strong>fant acquis ª díautant plus que<br />

toute la communautÈ la reconnaÓt comme tel<strong>le</strong>. Si la maternitÈ biologique, naturel<strong>le</strong> apparaÓt<br />

comme un don mystique prov<strong>en</strong>ant díun Ítre numineux, la maternitÈ socia<strong>le</strong> <strong>en</strong> revanche est<br />

un don social de grande portÈe psychosociologique. Cíest pourquoi <strong>le</strong>s effets induits de la<br />

maternitÈ mÈrit<strong>en</strong>t une att<strong>en</strong>tion particuliËre.<br />

II.2 <strong>le</strong>s effets induits de la maternitÈ<br />

En Afrique Noire, la rÈf<strong>le</strong>xion sur <strong>le</strong> phÈnomËne maternitÈ est <strong>en</strong>core <strong>en</strong> friche bi<strong>en</strong> que<br />

sa portÈe aux plans humain, philosophique, Èconomique, culturel, social et symbolique ne soit<br />

pas <strong>des</strong> moindres.<br />

Il apparaÓt gÈnÈra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t inconcevab<strong>le</strong> pour un Africain du monde rural de demander <strong>en</strong><br />

mariage ou de garder indÈfinim<strong>en</strong>t <strong>sous</strong> don toit, une femme prÈsumÈe stÈri<strong>le</strong>, quand bi<strong>en</strong><br />

mÍme il líaimerait car la pression socia<strong>le</strong> lí<strong>en</strong> empÍcherait. La stÈrilitÈ est donc perÁue<br />

comme la pire <strong>des</strong> malÈdictions quíune femme puisse connaÓtre. Cela síexplique <strong>en</strong> partie par<br />

ce qui suit.<br />

Certaines populations de la basse cÙte ouest-ivoiri<strong>en</strong>ne (<strong>le</strong>s Kroum<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre autres)<br />

considËr<strong>en</strong>t que lí<strong>en</strong>noblissem<strong>en</strong>t díune femme passe nÈcessairem<strong>en</strong>t par la maternitÈ car<br />

cel<strong>le</strong>-ci confËre ‡ la femme un droit de paro<strong>le</strong> <strong>en</strong> public et ‡ <strong>des</strong> responsabilitÈs sociopolitiques.<br />

Aux dires de certains informateurs kroum<strong>en</strong>, une femme sans <strong>en</strong>fant ne peut Ítre<br />

reconnue compÈt<strong>en</strong>te pour gÈrer une famil<strong>le</strong>, quels que soi<strong>en</strong>t son ‚ge, sa fortune, ses statuts<br />

et rÙ<strong>le</strong>s dans la sociÈtÈ. Cette croyance est si fortem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>racinÈe quíun dicton kroum<strong>en</strong><br />

affirme quíune femme stÈri<strong>le</strong> est supposÈe ignorer la meil<strong>le</strong>ure technique douce pour taper un<br />

<strong>en</strong>fant. Ce qui laisse croire quíune tel<strong>le</strong> femme stÈri<strong>le</strong> tape bruta<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t un <strong>en</strong>fant qui mÈrite<br />

correction díune ´ main ouverte alors díune vraie mËre, biologique sí<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d, saura <strong>le</strong> taper<br />

subti<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t díune ´ main fermÈe ª. Autrem<strong>en</strong>t dit, une femme stÈri<strong>le</strong> níayant jamais connu<br />

<strong>le</strong>s affres de la maternitÈ ne saurait mesurer <strong>le</strong>s risques de son geste par rapport ‡ la sagesse de<br />

cel<strong>le</strong> qui <strong>en</strong> a líexpÈri<strong>en</strong>ce.<br />

Par consÈqu<strong>en</strong>t, la procrÈation confËre une certaine autonomie díaction et sagesse, une<br />

capacitÈ socio-politique ‡ la femme tout <strong>en</strong> r<strong>en</strong>forÁant son prestige par la reconnaissance<br />

socia<strong>le</strong> dont el<strong>le</strong> fait líobjet. Cíest <strong>en</strong> cela que la maternitÈ socia<strong>le</strong> apparaÓt comme une<br />

pratique salutaire pour <strong>le</strong>s <strong>femmes</strong> seu<strong>le</strong>s ou <strong>le</strong>s coup<strong>le</strong>s incapab<strong>le</strong>s de procrÈer.<br />

La maternitÈ socia<strong>le</strong> vi<strong>en</strong>t alors comb<strong>le</strong>r un ´ vide prÈjudiciab<strong>le</strong> ª ‡ la femme et ‡ sa<br />

famil<strong>le</strong> parce que <strong>le</strong> devoir de reproduction humaine est <strong>le</strong> premier <strong>des</strong> rÙ<strong>le</strong>s assignÈs ‡ lí<strong>en</strong>titÈ<br />

socia<strong>le</strong> femme avec toutes <strong>le</strong>s prÈrogatives que cela implique. La maternitÈ socia<strong>le</strong>, qui ne<br />

r<strong>en</strong>tre dans aucune logique explicite de spÈculation, exprime cep<strong>en</strong>dant une volontÈ socia<strong>le</strong><br />

rÈel<strong>le</strong> et gÈnÈra<strong>le</strong> de solidaritÈ humaine.<br />

9


Outre cela, la maternitÈ socia<strong>le</strong> consiste ‡ Ètablir ou ‡ consolider effectivem<strong>en</strong>t <strong>des</strong><br />

relations interpersonnel<strong>le</strong>s et col<strong>le</strong>ctives <strong>en</strong> crÈant une nouvel<strong>le</strong> dynamique socio-affective au<br />

sein <strong>des</strong> groupem<strong>en</strong>ts humains.<br />

La maternitÈ socia<strong>le</strong> qui rÈsulte díune forme díassistance humaine au devoir conjugal et<br />

familial sert ‡ faire pr<strong>en</strong>dre consci<strong>en</strong>ce ou ‡ rappe<strong>le</strong>r ‡ la femme infÈconde quíel<strong>le</strong> ne saurait<br />

´ se dÈrober ª, volontairem<strong>en</strong>t ou involontairem<strong>en</strong>t ‡ son sort presque divin de procrÈatrice.<br />

Cette maniËre de survaloriser la maternitÈ contribue ‡ voir líinterruption volontaire de<br />

grossesse comme un sacrilËge dans <strong>le</strong>s sociÈtÈs traditionnel<strong>le</strong>s africaines.<br />

La maternitÈ socia<strong>le</strong>, <strong>en</strong> jouant un rÙ<strong>le</strong> rÈgulateur, facilite líintÈgration de la femme non<br />

procrÈatrice, ´ reconstitue ª son id<strong>en</strong>titÈ socia<strong>le</strong> díadulte majeur. Une femme níest donc<br />

rÈel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t reconnue ´ objet de va<strong>le</strong>ur ª quí<strong>en</strong> fonction de sa capacitÈ ‡ Ítre mËre ainsi quí‡ la<br />

qualitÈ de sa progÈniture (nombre dí<strong>en</strong>fants, <strong>le</strong>s statuts et rÙ<strong>le</strong>s, la proportion <strong>des</strong> sexes :<br />

masculin et fÈminin de ceux-ci).<br />

En guise de conclusion, nous pouvons affirmer que ces donnÈes empiriques nous<br />

<strong>en</strong>seign<strong>en</strong>t quíil existe un li<strong>en</strong> Ètroit <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s canons de beautÈ et <strong>le</strong> phÈnomËne de maternitÈ<br />

dans certaines communautÈs ivoiri<strong>en</strong>nes.<br />

La beautÈ níest pas quíextÈrieure, morphologique, ´ structurel<strong>le</strong> ª, el<strong>le</strong> est aussi socia<strong>le</strong>,<br />

spirituel<strong>le</strong> et ´ fonctionnel<strong>le</strong> ª. El<strong>le</strong> est rythme, thÈrapeutique, nutritive.<br />

En milieu rural ivoiri<strong>en</strong>, la femme doit Ítre bel<strong>le</strong> non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t au regard, mais surtout<br />

pour la sociÈtÈ. Tout simp<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, la femme doit avoir une beautÈ uti<strong>le</strong>, cel<strong>le</strong> qui laisse<br />

prÈsager ses fonctions organiques : une beautÈ ‡ fonction de reproduction humaine, une<br />

beautÈ maternitÈ.<br />

La femme africaine ne demeure-t-el<strong>le</strong> pas pour ainsi dire un sujet de beautÈ<br />

Ènigmatique ?<br />

HÈlËne Houphouet-Koffi<br />

BIBLIOGRAPHIE<br />

Insitut díEthno-Sociologie<br />

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Colin.<br />

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