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Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

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ALAIN CAMPIOTTI<br />

ENVOYÉ SPÉCIALEN TURQUIE<br />

Le bureau <strong>d'information</strong><br />

aux touristes, malgré une<br />

enseigne pétante dans la<br />

rue, n'est plus que le logement<br />

<strong>de</strong> son gardien: il a j<strong>et</strong>é un matelas<br />

parmi les papiers épars.<br />

L'homme, hirsute, pas rasé, est<br />

allé chercher une charr<strong>et</strong>te tirée<br />

. par un âne pour emmener le <strong>de</strong>rnier<br />

meuble du bureau. A quoi<br />

bon informer, désormais? De<br />

touristes, il n'yen a plus à Dogubayazit.<br />

Au mur reste collé un<br />

plan délavé <strong>de</strong>s promena<strong>de</strong>s pro.<br />

posées dans la montagne <strong>et</strong>, sur<br />

la porte vitrée, une page arrachée<br />

dans l'édition française<br />

d'une feuille imprimée à Ankara,<br />

Newspot: «L'arche <strong>de</strong>' Noé se<br />

trouve-t-elle sur le mont Ararat?»,<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> un long article<br />

illustré d'un plan <strong>et</strong> d'un croquis.<br />

Anna <strong>et</strong> Nico Pian ta, Giuseppe<br />

Rezzonico <strong>et</strong> Angelo Palego, leur<br />

ami italien, en étaient convaincus<br />

puisqu'ils étaient partis à la<br />

recherche du biblique bateau,<br />

guidés par les travaux <strong>de</strong> Palego<br />

<strong>et</strong> la foi <strong>de</strong> leur secte quand le<br />

PKK les a enlevés près <strong>de</strong> la ville<br />

il y a dix jours. Où sont-ils maintenant?<br />

Là-bas, au Nord, oil le<br />

mont Ararat dresse son énorme<br />

cône enneigé, <strong>et</strong> où la guérilla<br />

kur<strong>de</strong> cherche <strong>de</strong>puis peu à développer<br />

son action? Plus probablement<br />

au sud, où <strong>de</strong>s montagnes<br />

plus basses vallonne nt vers<br />

la frontière iranienne, toute proche,<br />

qui fait là un cou<strong>de</strong> dans la<br />

continuité du territoire turc,<br />

comme pour offrir aux ravisseurs<br />

<strong>et</strong> à leurs otages, en cas <strong>de</strong><br />

besoin <strong>et</strong> d'offensive <strong>de</strong>s forces<br />

d'Ankara, un abri plus sûr.<br />

A Dogubayazit en tout cas,<br />

toutes traces du passage d'es<br />

Tessinois <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'Italien semblent<br />

s'être effacées, comme <strong>de</strong>s ronds.<br />

dans l'eau. A l'Hôtel Isfahan, qui<br />

se présente comme le ren<strong>de</strong>zvous<br />

<strong>de</strong>s expéditions vers l'Ararat,<br />

<strong>et</strong> où doivent <strong>de</strong>scendre la<br />

plupart <strong>de</strong>s étrangers, le Kur<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> la réception refuse d'ouvrir le<br />

livre <strong>de</strong>s passages <strong>et</strong> montre par<br />

son ton revêche <strong>et</strong> son regard<br />

fuyant qu'il ne souhaite pas. un<br />

~change plus long. A l'Hôtel<br />

Urartu, un étudiant iranien en<br />

.transit, intéressé par l'histoire<br />

.<strong>de</strong> ces enlèvements,. offre <strong>de</strong>s<br />

services d'intermédiaire. SaIlS<br />

.plus <strong>de</strong> résultats. Le livre <strong>de</strong> l'hôtel<br />

a r<strong>et</strong>enu le passage <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

..Suisses il y a peu, mais pas <strong>de</strong><br />

Tessinois <strong>et</strong> pas d'Italien. Et les<br />

nombreux Kur<strong>de</strong>s qui traînent<br />

.leur oisiv<strong>et</strong>é dans le salon d'ac-<br />

102<br />

cueil font mine <strong>de</strong> .ne pas avoir<br />

entendu parler d.'étrangers pris<br />

par le PKK. Même mutisme,<br />

même surprise dans trois autres<br />

<strong>de</strong>s nombreux p<strong>et</strong>its hôtels <strong>de</strong><br />

Dogubayazit, qui donnent à la<br />

ville, kur<strong>de</strong> en majorité, un p<strong>et</strong>it<br />

air <strong>de</strong> prospérité, gagnée grâce<br />

au tourisme, que n~ont pas les<br />

autres villes <strong>de</strong> l'Est. La police elle-même,<br />

participant à c<strong>et</strong>te<br />

sorte d'omerta kur<strong>de</strong>, n'a rien à<br />

dire, se réfugie <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>s difficultés<br />

<strong>de</strong> traduction. Mais il faut<br />

dire que, pour le journaliste en<br />

situation pas très régulière, il<br />

n'est pas recommandé <strong>de</strong> poser<br />

dans ces parages trop <strong>de</strong> questions<br />

trop insistantes à <strong>de</strong>s hommes<br />

en casqu<strong>et</strong>te ...<br />

Pour aller à Dogubayazit<br />

quand on vient <strong>de</strong> Van, il faut<br />

prendre une route qui frôle - là<br />

où la frontière fait un cou<strong>de</strong>, justement<br />

- le territoire iranien. La<br />

région est peu sûre. Ankara affirme<br />

que le PKK a <strong>de</strong>s bases<br />

juste <strong>de</strong>rrière la frontière (ce que<br />

Téhéran, comme toujours, dément).<br />

«N'y allez pas!», disaient<br />

à Van les amis <strong>de</strong> la guérilla, affirmantqu'il<br />

ne fallait pas tant<br />

craindre les militants, mais l'armée<br />

qui tue <strong>et</strong> rej<strong>et</strong>te ensuite la<br />

responsabilité sur le mouvement<br />

kur<strong>de</strong>. En fait, la route est presque<br />

bonne. Les soldats <strong>de</strong>s patrouilles<br />

motorisées sont si peu<br />

inqui<strong>et</strong>s, ce samedi, qu'ils roulent<br />

sans casquè <strong>et</strong> les contrôles<br />

sont bon enfant. Les sympathisants<br />

du PKK, immergés dans<br />

<strong>de</strong>s propagan<strong>de</strong>s permanentes;<br />

finissent par croire à leurs propres<br />

exagérations, <strong>et</strong>. à leurs<br />

mensonges.<br />

«Le régime <strong>de</strong> ce pays<br />

nIest pas<br />

démocratique, dit-il<br />

. en écarquillant<br />

les yeux<br />

<strong>et</strong> en baissant la voix.<br />

Il nous écrase»<br />

Ils disent ainsi que l'armée<br />

.turque bombar<strong>de</strong> la région où les<br />

otages sont r<strong>et</strong>enus, m<strong>et</strong>tant leur<br />

vie en danger. Mais à Van, ils affirment<br />

aussi que <strong>de</strong> violents<br />

bombar<strong>de</strong>ments ont été pratiqués<br />

sur la zone (près du la~<strong>de</strong><br />

Van) où quatre Français ont êté<br />

relâchés.iI y a trois semaines,<br />

rendant périlleuse la libération.<br />

Or, les Français à aucuri moment<br />

n'ont fait allusion à ces bombar- .<br />

<strong>de</strong>ments.<br />

En fait, il suffit <strong>de</strong> parcourir la<br />

volte <strong>de</strong> ceux qui savent que le.<br />

pays, à Istanbul, est aussi opulent.<br />

A Agri, le vent brûlant vous<br />

nourrit <strong>de</strong> sable <strong>et</strong> <strong>de</strong> poussière.<br />

Les oies picorent les ordures en- .<br />

tre les maisons délabrées. Les.<br />

gens ont l'air fourbus, comme<br />

Turquie <strong>de</strong> l'Est pour compren- s'ils avaient <strong>de</strong>rrière eux trop<br />

dre que c<strong>et</strong>te guerre ne peut<br />

guère être visible, <strong>et</strong> qu'elle est<br />

d'Histoire, dont il leur est resté<br />

ul}e pauvr<strong>et</strong>é que viennent disd'abord<br />

nocturne.<br />

parle. Les distances<br />

La nature<br />

sont énortraire<br />

les détestables pollutions<br />

utiles d'Occi<strong>de</strong>nt. La bagnole <strong>et</strong><br />

mes <strong>et</strong> la terre est nue. En plaine la télévision. Là, le bien le plus<br />

ou en montagne, hormis les surfaces<br />

cultivées, la végétation est<br />

commun semble être lesac-pou-<br />

belle; il tient même lieu <strong>de</strong> paà<br />

peu près inexistante. Pas d'arbres,<br />

sinon dans les villages, <strong>et</strong> si<br />

pauvres qu'ils ne cachent rien.<br />

Les montagnes brunes, elles-mênier<br />

à.pliin dans !es restaurants.<br />

Et Agri, c'est l'armée. La<br />

guerre <strong>de</strong>vient soudain visible.<br />

mes, sont lisses comme la peau Des patrouilles <strong>de</strong> réservistes<br />

d'un vieil hippopotame, avec <strong>de</strong>s<br />

. plis <strong>et</strong> <strong>de</strong>s ri<strong>de</strong>s qui ne peuvent<br />

marchent dans les rues, baÏonn<strong>et</strong>te<br />

au canon, coiffés <strong>de</strong> casêtre<br />

<strong>de</strong>s abris. Terrain peu pro- ques qui rappellent ceux <strong>de</strong> l'anpice<br />

à une guerre <strong>de</strong> guérilla.<br />

Des combattants, <strong>de</strong> jour, y seclenne<br />

armée est-alleman<strong>de</strong>. La<br />

circulation <strong>de</strong>s véhicules militairaient<br />

aussi visibles, du ciel ou res est permanente.<br />

.d'un somm<strong>et</strong>, que <strong>de</strong>s fourmis Dans l'hôtel':'" si l'on peut dire<br />

sur la paume d'une main. Les dé~ - qui ouvre sur le carrefour cenplacements<br />

<strong>de</strong>s hommes du PKK<br />

ne peuvent se faire que <strong>de</strong> nuit,<br />

tral, la présence d'un journaliste<br />

a vite été repérée. Au milieu <strong>de</strong> la<br />

<strong>et</strong> vers les villages, si l'armée n'y nuit, un officier qui consulte le<br />

est pas, pour se cacher <strong>et</strong> se préparer,<br />

ou pour y attaquer <strong>de</strong>s<br />

soldats turcs ou les miliciens que<br />

registre à la réception est embar-<br />

rassé d'avoir soudain <strong>de</strong>vant lui<br />

celui dont il cherchait l'i<strong>de</strong>ntité<br />

l'Etat y entr<strong>et</strong>ient. On comprend<br />

pourquoi les villages paient dans<br />

sur le papier. Le moteur <strong>de</strong> sa<br />

voiture tourne <strong>de</strong>vant l'entrée.<br />

c<strong>et</strong>te guerre le plus lourd tribut: Plus loin, <strong>de</strong>s policiers' fouillent<br />

population chassée, maisons détruites<br />

. .on comprend aussi que<br />

la guérilla, dans ces conditions, a<br />

un besoin absolu <strong>de</strong>s bases artoutes<br />

les voitures civiles qui<br />

passent.<br />

Un p<strong>et</strong>it homme maigre fait un<br />

rière établies <strong>de</strong> l'autre côté <strong>de</strong><br />

la frontière, en Iran, en Irak, en<br />

signe <strong>de</strong> la tête <strong>et</strong> m'emmène à<br />

l'étage dans sa chambre, le mi-<br />

Syrie (<strong>et</strong> maintenant en Arménie,<br />

nuscule carré où il vit avec une<br />

affirment les services secr<strong>et</strong>s bonbonne <strong>de</strong> gaz <strong>et</strong> un peu <strong>de</strong><br />

turcs), <strong>et</strong> qui servent aussi les vaisselle. C'est un instituteur, encalculs<br />

<strong>de</strong>s voisins <strong>de</strong> la Turquie. voyé pour quatre ans d'Izmir<br />

dans le Far East. Sa classe est<br />

A l'ouest <strong>de</strong> Dogubayazit, la. dans un village, mais il préfère<br />

route presque droite court au vivre en ville pour pouvoir boire<br />

milieu d'une large vallée - ver- . un coup, le soir, sans avoir sur le<br />

sant sud, la montagne commence dOli les p.arents d'élèves <strong>et</strong><br />

en terrasses, sur lesquelles les •l'imam. Il n'a pas pu échapper à<br />

parcelles cultivées <strong>de</strong>ssinent <strong>de</strong>s . c<strong>et</strong> exil. A 18 ans, à Istanbul,on<br />

carrés jaune clair <strong>et</strong> brun foncé. lui a déjà fait payer <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans<br />

En bas, <strong>de</strong> 'grands troupeaux for- <strong>de</strong> prison un militantisme politiment<br />

<strong>de</strong>s taches mouvantes que trop extrême: gégène aux<br />

autour <strong>de</strong>s tentes <strong>de</strong>s noma<strong>de</strong>s . doigts, aux orteils, au. pénis,<br />

russes. L'ensemble est saisissant «mais pas trop».<br />

d'ancienne beauté. Un convoi militaire<br />

roule lentement vers l'Est. A Agri, avec quelques col-<br />

Il vient d'Agri, où est le C"omman- lègues, il a voulu créer un syndi<strong>de</strong>ment<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te zone frontière, .. cat d'enseignants. Les services<br />

qui possè<strong>de</strong> aussi une gran<strong>de</strong> du gouverneur lui ont fait combase<br />

très visible à Patnos, un peu prendre qu'il ne fallait pas insis-<br />

I d ter. «Le régime <strong>de</strong> ce pays n'est<br />

p us au su . pas démocratique, dit-il en écar-<br />

Pour qui veut connaître l'ari- quillant les yeux <strong>et</strong> en baissant la<br />

dité désolée qui fait la vie <strong>de</strong>s ha- voix. Il nous écrase.» Si un Turc<br />

bitants du sud-est <strong>de</strong> la Turquie, exilé dans leur région le dit, comc'est<br />

par exemple à Agri qu'il ment pourrait-on s'étonner que<br />

faut aller. C<strong>et</strong>te dur<strong>et</strong>é, ajoutée à les Kur<strong>de</strong>s, dont on veut en plus<br />

l'oppression subie par les Kur- nier l'être, aient versé dans la<br />

<strong>de</strong>s, suffirait à expliquer la ré- . fureur? 0

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