Du Fabliau à la Farce: encore la question performancielle?
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<strong>Du</strong> <strong>Fabliau</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>Farce</strong>: <strong>encore</strong> <strong>la</strong> <strong>question</strong> <strong>performancielle</strong>? 93<br />
épisodes’ dramatiques, dont chacun provoquera le rire: prologue au public<br />
(avec moquerie générale du vi<strong>la</strong>in); vi<strong>la</strong>in ma<strong>la</strong>de cloué au lit; diablotin<br />
tendant sac au cul; tourments du mal au ventre; diablotin piétinant; pet<br />
lâché; retour avec sac rempli; puanteur du pet libéré; conc<strong>la</strong>ve de diables,<br />
et ‘jugement dernier’; conclusion (Rutebeuf devant ses lecteurs, jongleur<br />
devant son public), et derniers rires. . .<br />
Passons <strong>à</strong> <strong>la</strong> représentation, en l’an 1496, <strong>à</strong> Seurre en Bourgogne, du<br />
grand Mystère de saint Martin du basochien André de <strong>la</strong> Vigne, accompagné,<br />
en entr’acte, de <strong>la</strong> Moralité de l’Aveugle et du boiteux, et de <strong>la</strong> <strong>Farce</strong><br />
du Meunier de qui le diable emporte l’âme en enfer. 24 Dans cette dernière,<br />
André de <strong>la</strong> Vigne s’inspire évidemment du Pet au vi<strong>la</strong>in, tout en transformant<br />
le paysan en meunier, et en reléguant l’action du fabliau de Rutebeuf<br />
au dernier tiers d’une pièce de presque 500 vers. 25 Pour le reste, il confectionne<br />
un bon drame domestique (ce qui explique <strong>la</strong> disparition du vi<strong>la</strong>in,<br />
remp<strong>la</strong>cé par un artisan plus embourgeoisé 26 ), dans lequel il ne manque pas<br />
d’introduire plusieurs procédés devenus typiques de <strong>la</strong> farce: ménage perturbé<br />
par <strong>la</strong> rivalité entre mari et femme; p<strong>la</strong>ce de <strong>la</strong> cuisine, avec insistance<br />
sur l’alimentation; motif de <strong>la</strong> confession comique ‘<strong>à</strong> <strong>la</strong> Pathelin’; prêtreamant<br />
déguisé pour mieux parvenir; et thèmes scatologiques développés <strong>à</strong><br />
p<strong>la</strong>isir (poussant beaucoup plus loin les deux présences du pet, sur lesquelles<br />
Rutebeuf a soin d’axer son fabliau). 27<br />
Or, étant données toutes ces amplificationes farcesques, <strong>la</strong> <strong>question</strong> s’impose:<br />
pourquoi André de <strong>la</strong> Vigne aurait-il choisi ce fabliau de Rutebeuf? 28 A<br />
notre avis, ce serait pour <strong>la</strong> même raison qui fait du Pet au vi<strong>la</strong>in un exemple<br />
insolite de son genre: c’est <strong>la</strong> présence de l’enfer et de tous les diables. A<br />
son tour, grâce <strong>à</strong> cet emprunt <strong>à</strong> l’œuvre de Rutebeuf, André a pu composer<br />
une farce unique (aucune autre farce ne mettant sur scène le Malin). La<br />
trouvaille d’André de <strong>la</strong> Vigne, c’est d’établir une correspondance notable<br />
entre son Mystère de saint Martin – où figurent, comme attendus, le diable<br />
et sa troupe dans leur mansion de l’Enfer (<strong>à</strong> côté des autres mansiones de <strong>la</strong><br />
24Pour raison d’intempéries, <strong>la</strong> mise en scène du Mystère fut reportée <strong>à</strong> un autre jour:<br />
ainsi, exceptionnellement, <strong>la</strong> <strong>Farce</strong> comique dut précéder <strong>la</strong> drame religieux.<br />
25A part <strong>la</strong> donnée première du personnage tombé ma<strong>la</strong>de (évoquée dès le début de <strong>la</strong><br />
farce), et celle de ses coliques (“A Dieu, le ventre!”, v. 19), on attendra les vv. 318–62,<br />
374–81 et 430–90 [fin] pour reconnaître le fabliau de Rutebeuf.<br />
26Le choix d’un meunier permettra aussi quelques p<strong>la</strong>isanteries traditionnelles contre<br />
ce métier (voir sa confession, vv. 409–26).<br />
27Pour tous les thèmes farcesques de cette pièce, voir Recueil de <strong>Farce</strong>s, éd. Tissier,<br />
t. IV, pp. 174–76.<br />
28Notons, en passant, que cette pièce de Rutebeuf était bel et bien connue <strong>à</strong> l’époque<br />
tardive: dans le MS A, le titre Le pet au vil<strong>la</strong>in a été ajouté d’une main postérieure (fin<br />
du 14e / début du 15e s.).