Du Fabliau à la Farce: encore la question performancielle?
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<strong>Du</strong> <strong>Fabliau</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>Farce</strong>: <strong>encore</strong> <strong>la</strong> <strong>question</strong> <strong>performancielle</strong>? 89<br />
Malgré son titre prometteur (‘Metaphorical obscenity in French farce’ 7 ),<br />
Barbara Bowen ne fait allusion <strong>à</strong> nos récits comiques que dans une petite<br />
phrase au début de son exposé: “farces have plots often very simi<strong>la</strong>r to the<br />
plots of fabliau and conte” (p. 331). Elle se contente de relever le problème<br />
évident pour les auteurs de farces de présenter le coït sur scène, en passant<br />
en revue l’éventail fort inventif de métaphores sa<strong>la</strong>ces déployées dans les<br />
farces pour désigner les parties génitales, et surtout l’acte sexuel. A notre<br />
avis, ses conclusions méritent d’être poussées un peu plus loin, et dans le<br />
sens comparatiste, car elles indiquent <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois les liens entre fabliau et<br />
farce, et <strong>la</strong> distinction qu’il convient de maintenir entre ces deux genres. Il<br />
est évident que les auteurs de farces partagent avec nos fableors le p<strong>la</strong>isir<br />
(méchant) de parler métaphoriquement – et zoologiquement – des parties<br />
génitales. 8 D’autre part, cependant, le fabliau n’a guère besoin de recourir<br />
<strong>à</strong> d’autres métaphores sexuelles, car le foutre est l<strong>à</strong>, en nu et en cru, pour<br />
démolir les tabous et pour susciter le rire comico-pornographique. S’il est<br />
permis aux fabliaux narratifs d’aller droit au but, les farces sont obligées<br />
d’esquiver l’acte de chair que l’on ne saurait voir. . . 9 Mais, ce qui est <strong>à</strong><br />
mon avis intéressant, c’est que Mme Bowen note en passant (p. 336), dans<br />
<strong>la</strong> farce de Frère Guillebert, l’émergence du mot-tabou vit sorti du grand<br />
tas des métaphores anatomiques attendues. Or <strong>la</strong> présence de ce phallus<br />
sans euphémisme est peut-être non sans hasard: car ce Frère Guillebert du<br />
16 e siècle est un analogue fort intéressant des deux fabliaux des Braies au<br />
cordelier et des Braies le prestre, et nous aurions le droit de voir dans ce vit,<br />
exceptionnel dans une farce, un legs du genre dont sont sorties les premières<br />
versions de cette histoire grivoise.<br />
Quelques-uns des rapports entre ces trois pièces ont été étudiés par<br />
Christopher Pinet, dans un article, ‘From fabliau to farce’, paru en 1982. 10<br />
Pinet n’a malheureusement pas <strong>à</strong> sa portée l’édition O’Gorman du fabliau<br />
des Braies au cordelier (parue en l’an suivant), qui a le grand mérite de rassembler<br />
en annexe tous les textes analogues, y compris Frère Guillebert. 11<br />
7 B.C. Bowen, ‘Metaphorical obscenity in French <strong>Farce</strong>, 1450–1560’, Comparative<br />
Drama 11 (1977–78), pp. 331–43.<br />
8 Pour être plus exact, s’il y a une distinction <strong>à</strong> faire ici entre les deux genres, c’est<br />
qu’<strong>à</strong> <strong>la</strong> faune obscène des fabliaux (pou<strong>la</strong>ins, hérons, écureuils, souris, et j’en passe. . . )<br />
répondent, dans <strong>la</strong> farce, des objets plutôt domestiques: chandelle, broche, corbeille, ou<br />
<strong>la</strong>nterne.<br />
9 D’où ces ‘activités quotidiennes’ employées par <strong>la</strong> farce pour désigner le coït: tisser,<br />
faire <strong>la</strong> lessive, travailler <strong>à</strong> <strong>la</strong> bêche, jouer aux billes, etc.<br />
10 C. Pinet, ‘From fabliau to farce: a case study’, dans Essays in Early French Literature<br />
presented to Barbara M. Craig, éd. N.C. Lacy et J.C. Nash (York, SC: French Literature<br />
Publications Company, 1982), pp. 93–108.<br />
11 Les Braies au Cordelier, Anonymous <strong>Fabliau</strong> of the Thirteenth Century, éd. R.<br />
O’Gorman (Birmingham, AL: Summa, 1983).