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Du Fabliau à la Farce: encore la question performancielle?

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<strong>Du</strong> <strong>Fabliau</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>Farce</strong>: <strong>encore</strong> <strong>la</strong> <strong>question</strong> <strong>performancielle</strong>? 99<br />

(vv. 1–29): exposition soigneuse, départ de Rogier, son attente en ville, son<br />

retour <strong>à</strong> <strong>la</strong> maison, et son observation du couple adultère par un pertuis.<br />

Ensuite, dès son appel pour s’annoncer, toute est vitesse (vv. 32–42): panique<br />

du prêtre, ruse de <strong>la</strong> femme, et dép<strong>la</strong>cement du prêtre qui se met <strong>à</strong><br />

nu, avant de courir se cacher dans l’atelier de l’imagier. Dans un troisième<br />

temps, <strong>la</strong> lenteur se rétablit (vv. 43–55): le mari se met froidement <strong>à</strong> table,<br />

puis se met froidement <strong>à</strong> aiguiser son couteau, puis mesure froidement les<br />

mots qu’il adresse <strong>à</strong> <strong>la</strong> femme, avant de passer dans son atelier. En ce moment,<br />

le rythme redevient rapide, saccadé (vv. 60–92): castration, sortie du<br />

prêtre, chasse au prêtre dans <strong>la</strong> rue, prêtre assommé, chute du prêtre sur<br />

un fumier, et enfin <strong>la</strong> rançon vite payée par <strong>la</strong> victime tant de fois humiliée.<br />

Toutes ces péripéties se prêtent <strong>à</strong> une performance jongleresse non moins<br />

dramatique, jalonnée de trucs gestuels. Repus de menu détail, les cent vers<br />

du texte permettent au conteur professionnel d’incarner chaque personnage,<br />

dans chaque circonstance et dans chaque état d’âme. En plus, le dialogue<br />

(que Graham Runnalls juge insuffisant 45 ) est très bien choisi pour évoquer<br />

ces trois personnages, aux moments les plus ‘dramatiques’ du récit: paroles<br />

désespérées du prêtre, paroles rusées de <strong>la</strong> femme, et surtout paroles du mari<br />

<strong>à</strong> <strong>la</strong> fois moqueuses et menaçantes. 46<br />

Pour conclure: plus nous étudions ces deux exemples d’un fabliau mis en<br />

farce – l’un transformé par toute une suite d’amplifications, l’autre transmis<br />

avec beaucoup plus de fidélité – plus nous sommes mené <strong>à</strong> prononcer<br />

un jugement <strong>la</strong>rgement favorable au conte <strong>à</strong> rire en vers. A notre avis, toute<br />

dramatisation d’un fabliau – que ce soit dans une farce du 15 e /16 e siècle, ou<br />

dans une version moderne 47 – risque d’en affaiblir l’effet comique. C’est par<br />

45 “[the fabliau] is very undramatic [. . . ] and contains only three or four brief exchanges<br />

of dialogue” (p. 14).<br />

46 “Deus, dist li prestres, que ferai?” / Dist <strong>la</strong> dame: “Je vous dirai: / Despoilliez vous<br />

et si alez / Laiens, et si vous estendez / Avec ces autres crucefis” (vv. 33–37); – “Dame,<br />

tost m’alumez / Une chandelle, et si venez / Laienz o moi ou ge ai afaire!” (vv. 53–55);<br />

“Dame, fait il, vi<strong>la</strong>inement / Ay en cest ymage mespris / J’estoie yvres, ce vous plevis /<br />

Quant telz menbres je y <strong>la</strong>issé / Alumez, si l’amenderé!” (vv. 64–68); “Seignor, prenez<br />

mon croucefis / Qui orendroit m’est eschapé!” (vv. 78–79).<br />

47Il suffit de citer deux exemples de cette dramatisation moderne. L’un est imprimé:<br />

<strong>Farce</strong>s et <strong>Fabliau</strong>x du Moyen Age, traduits par Christian Pos<strong>la</strong>niec, adaptés<br />

pour le théâtre par Robert Boudet (Paris: L’ École des loisirs, 1986). Les fabliaux<br />

ainsi traités sont ceux des Perdris, de Brunain, de <strong>la</strong> Housse partie et de Saint<br />

Pierre et le jongleur. On trouvera l’autre sur Internet: Les <strong>Fabliau</strong>x. Trois fabliaux<br />

des XIIIe et XIVe siècles mis en <strong>la</strong>ngage théâtral (Le testament de l’âne, Les trois<br />

bossus ménestrels, Saint Pierre et le jongleur), adaptés par Antoine Bordier (1993:<br />

http://www.facere.net/fabliaux/index.htm). Pleines de bonne volonté, ces adaptations<br />

sont néanmoins (il faut le dire) parfaitement médiocres, et même parfois expurgées.

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