voir le synopsis du film - Ville de Sarreguemines
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Lulu<br />
et ses nouveaux<br />
Missi<strong>le</strong>s<br />
un <strong>film</strong> <strong>de</strong><br />
Hélène Hennequin et Jean-Paul Fargier<br />
présenté par Bix Films
La Lorraine, LuLu et Moi<br />
par Hélène Hennequin<br />
Juin 1977<br />
Nous sommes à Nancy en Lorraine, lycée Henri Poincaré. C’est la fin <strong>de</strong> l’année<br />
scolaire, <strong>le</strong>s élèves <strong>de</strong> la classe <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> artistique, <strong>de</strong>ssin et histoire <strong>de</strong> l’art<br />
discutent sous <strong>le</strong>s arca<strong>de</strong>s.<br />
- Lulu s’est fait virer !<br />
- Non, c’est pas possib<strong>le</strong>, pourquoi ?<br />
Lucien Hullar, un élève <strong>de</strong> la classe est exclu <strong>du</strong> lycée.<br />
Ses camara<strong>de</strong>s ne <strong>le</strong> revoient pas à la rentrée <strong>de</strong> septembre.<br />
novembre 2007<br />
Un jour <strong>de</strong> blues, au travail, j’écoute <strong>le</strong>s Sex Pistols.<br />
Je me souviens <strong>de</strong> ce garçon, qui nous avait fait découvrir <strong>le</strong> Punk au lycée.<br />
Il était toujours en avance d’une vague musica<strong>le</strong>... Lulu, Lucien Hullar...<br />
Je tape son nom sur Goog<strong>le</strong>. Oh ! Surprise ! Je vois apparaître Lucien en chair et<br />
en os, dans un clip... Il chante, en Platt, <strong>le</strong> « Lemberger Blo Menda Boogie Blues » !<br />
Je cherche son numéro <strong>de</strong> téléphone et je découvre qu’il habite toujours à<br />
Petit-Ré<strong>de</strong>rching, dans <strong>le</strong> Bitcherland. Je l’appel<strong>le</strong>.<br />
Janvier 2008<br />
Quelques anciens élèves <strong>de</strong> la classe <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> A7bis se retrouvent à Strasbourg<br />
chez Bertrand Vigier.<br />
- Au fait, Lulu, pourquoi tu t’es fait virer à la fin <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> ?<br />
- Ben, parce que <strong>le</strong> prof <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin m’a traité <strong>de</strong> « casque à pointe »...<br />
- ??? Ah ! Bon ! Nous, on pensait que c’était parce que tu séchais <strong>le</strong>s cours !<br />
- Ben, oui, j’ai séché <strong>le</strong>s cours <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin...<br />
C’est ainsi que trente ans plus tard, nous apprenons la véritab<strong>le</strong> cause <strong>du</strong> renvoi<br />
<strong>de</strong> Lucien : il n’a pas supporté que <strong>le</strong>ur professeur <strong>le</strong> traite <strong>de</strong> « casque à pointe » <strong>de</strong>vant<br />
toute la classe. Profondément b<strong>le</strong>ssé par cette remarque, il n’a pas assisté aux cours<br />
<strong>du</strong> troisième trimestre. Malgré ses excel<strong>le</strong>ntes notes en Histoire <strong>de</strong> l’Art, son zéro en<br />
<strong>de</strong>ssin l’a renvoyé dans son Bitcherland natal, en Mosel<strong>le</strong>, et il n’a plus jamais touché<br />
à un crayon.<br />
Sécher <strong>le</strong>s cours à la suite d’une simp<strong>le</strong> réf<strong>le</strong>xion, en arriver à se faire exclure<br />
<strong>du</strong> lycée, comment a-t-il pu être susceptib<strong>le</strong> à ce point ? Cela semb<strong>le</strong> incroyab<strong>le</strong> !<br />
Et pourtant…<br />
2
Juin 2008<br />
Alors que je prépare différents travaux sur la mémoire lorraine, je lis <strong>de</strong>ux livres<br />
<strong>de</strong> Jacques Gan<strong>de</strong>beuf, « Le si<strong>le</strong>nce rompu » et « La paro<strong>le</strong> retrouvée ».<br />
L’auteur est auvergnat d’origine et a travaillé comme journaliste pendant 26 ans<br />
au Républicain Lorrain. Ces <strong>de</strong>ux ouvrages sont <strong>de</strong>s témoignages <strong>de</strong> Mosellans qui<br />
ont vécu <strong>le</strong> chambar<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> l’été 1940.<br />
J’avais oublié, au cours <strong>de</strong> mon « exil parisien », que <strong>le</strong> territoire <strong>de</strong> la Mosel<strong>le</strong> était coupé<br />
en <strong>de</strong>ux, que ce département a une doub<strong>le</strong> culture, romane et germanique : un dia<strong>le</strong>cte<br />
francique <strong>de</strong> type germanophone est parlé au nord, <strong>le</strong> fameux Platt que revendique<br />
Lucien. Au sud, <strong>le</strong>s habitants sont francophones.<br />
Au fil <strong>de</strong>s différents récits, l’importance <strong>de</strong> la frontière linguistique qui divise <strong>le</strong><br />
département est mise en évi<strong>de</strong>nce. Je réalise alors, à travers ces témoignages datant <strong>de</strong><br />
1940, à quel point cette ligne culturel<strong>le</strong> invisib<strong>le</strong> a pu peser sur <strong>le</strong> sort <strong>de</strong>s Mosellans<br />
pendant cette pério<strong>de</strong> troublée.<br />
Je comprends maintenant que Lucien ait pu se sentir humilié par cette réf<strong>le</strong>xion.<br />
C’est presque une insulte !<br />
Et soudain, c’est aussi l’histoire <strong>de</strong> ma propre famil<strong>le</strong>, à moitié mosellane, qui se dérou<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong>vant moi. Je suis née à Metz, en Mosel<strong>le</strong>.<br />
Toute ma famil<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong> vient <strong>de</strong> Vic-sur-Seil<strong>le</strong>, Moyenvic, Amelécourt, <strong>de</strong>s petits<br />
villages <strong>du</strong> sud <strong>de</strong> la Mosel<strong>le</strong> francophone, et cela <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s générations.<br />
Alors... mes quatre arrière-grands-parents sont nés al<strong>le</strong>mands, après l’Annexion <strong>du</strong><br />
département en 1870.<br />
Mes grands-parents sont eux aussi nés al<strong>le</strong>mands, au début <strong>du</strong> 20ème sièc<strong>le</strong>…<br />
Mon arrière-grand-père, celui qui a combattu sur <strong>le</strong> front russe et qui est décédé lors <strong>du</strong><br />
mitraillage d’un train <strong>de</strong> permissionnaires, en juil<strong>le</strong>t 1918 est mort sous uniforme<br />
al<strong>le</strong>mand... De nouveau confrontée aux aléas <strong>de</strong> l’Histoire en juin 1940, sa femme, mon<br />
arrière-grand-mère Lucie, ma grand-mère et ma mère, se réfugient dans une cave, lors<br />
<strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> Moyenvic par <strong>le</strong>s Al<strong>le</strong>mands. En novembre 1940, mon arrière-grand-mère,<br />
est expulsée avec presque tout <strong>le</strong> village. A son retour, <strong>le</strong> village est entièrement détruit...<br />
Ces parcours <strong>de</strong> vies enracinés dans l’Histoire, je <strong>le</strong>s ai racontés spontanément<br />
à Jean-Paul Fargier, un ami réalisateur.<br />
- Jean-Paul, j’ai retrouvé <strong>de</strong>s anciens copains <strong>de</strong> lycée... l’un d’eux s’était fait virer,<br />
on avait jamais su pourquoi...<br />
- Mais c’est incroyab<strong>le</strong>, cette histoire, Hélène, c’est un sujet <strong>de</strong> <strong>film</strong>, tu <strong>de</strong>vrais écrire<br />
quelque chose...<br />
Voilà <strong>le</strong> point <strong>de</strong> départ <strong>du</strong> projet que vous al<strong>le</strong>z lire dans <strong>le</strong>s pages suivantes.<br />
3
ésuMé<br />
C’est un <strong>film</strong> spira<strong>le</strong>, un tourbillon d’histoires emboîtées !<br />
Avec en son centre, un drô<strong>le</strong> d’énergumène qui en parcourt<br />
toutes <strong>le</strong>s strates. Au départ, en 1977, il y a l’histoire <strong>de</strong><br />
Lucien, lycéen humilié à cause <strong>de</strong> son accent par un prof<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin intolérant… humiliation qui <strong>le</strong> pousse à renoncer<br />
bruta<strong>le</strong>ment à une carrière d’artiste, lui qui se rêvait<br />
«<strong>le</strong> futur Picasso <strong>du</strong> Bitcherland»... Mais son élan créateur<br />
trouvera à s’investir dans la musique : il <strong>de</strong>vient dans <strong>le</strong>s<br />
années 80 une ve<strong>de</strong>tte <strong>du</strong> rock’n Platt. ... Du Platt, notre<br />
rebel<strong>le</strong> passe à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> ce pays frontalier et<br />
se passionne pour l’histoire <strong>de</strong>s Celtes... aujourd’hui, tout<br />
en ne ratant pas une occasion <strong>de</strong> sensibiliser ses copains<br />
à cette culture franco-germanique, il se laisse entrainer par<br />
eux à renouer avec la chanson. Jusqu’où ira-t-il ?<br />
4
LULU<br />
ET SES NOUVEAUX MISSILES<br />
Intentions <strong>de</strong> réalisation<br />
Voici l’histoire d’une exclusion qui ne passe pas, d’une exclusion qui en révè<strong>le</strong><br />
d’autres, socia<strong>le</strong>s, historiques, géographiques. Mais aussi l’histoire d’une<br />
résurrection, d’un règ<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> comptes, soldés sans haine, avec <strong>le</strong> ta<strong>le</strong>nt d’un rocker<br />
lanceur <strong>de</strong> missi<strong>le</strong>s wouah wouah. Voici l’histoire d’un tempérament, d’un <strong>de</strong>stin, d’un<br />
petit Prométhée lorrain, vo<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> langues et furet <strong>de</strong> toutes frontières, symbo<strong>le</strong><br />
insolite <strong>du</strong> vrai européen.<br />
Il s’appel<strong>le</strong> Lucien Hullar. « Avec un H comme cheval et <strong>de</strong>ux L comme<br />
brouette », selon sa plaisanterie favorite. Né en Mosel<strong>le</strong> francique, un pays où l’on<br />
par<strong>le</strong> <strong>le</strong> Platt, la langue <strong>de</strong> Char<strong>le</strong>magne, et <strong>le</strong> français « avec un fort accent al<strong>le</strong>mand »<br />
( comme disent <strong>le</strong>s Français qui ont d’autres accents mais ne veu<strong>le</strong>nt pas <strong>le</strong> sa<strong>voir</strong> ).<br />
A cause <strong>de</strong> cet accent, cloué au pilori par un prof rigi<strong>de</strong>, il quitte l’éco<strong>le</strong> d’arts à la fin <strong>de</strong><br />
sa Secon<strong>de</strong> : vexé, humilié, Lulu ne sera jamais <strong>de</strong>ssinateur, son rêve. Un autre <strong>de</strong>stin,<br />
heureusement, l’attend : la musique. Il forme un groupe <strong>de</strong> rock, Lucien et <strong>le</strong>s Missi<strong>le</strong>s,<br />
qui chante en Platt et connaît une certaine célébrité dans la région.<br />
Trente ans plus tard, Lulu n’a pas quitté son pays natal, son Bitcherland où il<br />
travail<strong>le</strong> dans une <strong>de</strong>s déchèteries municipa<strong>le</strong>s... Le Platt qui avait causé sa perte, lui<br />
avait aussi apporté une certaine gloire. Lulu veut en sa<strong>voir</strong> toujours plus sur cette<br />
langue dans laquel<strong>le</strong> il baigne <strong>de</strong>puis sa naissance. Il <strong>de</strong>vient un spécialiste <strong>du</strong> conflit<br />
franc/alémanique. Dès que l’occasion se présente, il rouvre <strong>de</strong>vant ses copains ce<br />
dossier millénaire, qu’il illustre avec verve, en conteur volubi<strong>le</strong>. Quand Lulu se raconte,<br />
se penche sur son passé, on se retrouve vite au temps <strong>de</strong>s Celtes, <strong>de</strong>s Francs, <strong>de</strong>s<br />
Romains et <strong>de</strong>s Goths. Lulu <strong>le</strong> héros se transforme en hérault. Sa voix <strong>de</strong>vient un<br />
porte-voix, son histoire un cas d’espèce, son <strong>de</strong>stin un symbo<strong>le</strong>.<br />
Les hasards <strong>de</strong> la vie font, en 2008, se croiser autour <strong>de</strong> Lucien plusieurs <strong>de</strong> ses<br />
anciens copains et copines <strong>de</strong> lycée. La joie <strong>de</strong>s retrouvail<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s amène à échafau<strong>de</strong>r<br />
un projet un peu fou : revivre l’intensité <strong>de</strong> ces années-là à travers une aventure<br />
col<strong>le</strong>ctive en 2011. Au bout <strong>de</strong> quelques réunions entre Bitche, Strasbourg et Paris,<br />
l’idée <strong>de</strong> relancer une équipée Rock’n Roll surgit. Tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> veut y participer.<br />
5
Ce <strong>film</strong>, qui retracera cette aventure, sera donc un <strong>film</strong> <strong>de</strong> retrouvail<strong>le</strong>s.<br />
Des retrouvail<strong>le</strong>s, pas seu<strong>le</strong>ment tournées vers <strong>le</strong> passé mais bondissantes vers l’avenir.<br />
Une forme s’impose, cel<strong>le</strong> d’un <strong>film</strong> constellation. Avec son so<strong>le</strong>il central<br />
et ses planètes agitées tout autour, pléia<strong>de</strong> <strong>de</strong> témoignages fulgurants, <strong>de</strong> trajets,<br />
<strong>de</strong> rencontres, d’objets per<strong>du</strong>s et retrouvés. Toujours au cœur d’actions partagées.<br />
Ce sera à la fois <strong>le</strong> portrait d’un rebel<strong>le</strong> et un portrait <strong>de</strong> groupe, une plongée<br />
dans une époque qui est encore dans toutes <strong>le</strong>s mémoires.<br />
Il y aura, dans ce <strong>film</strong>, une gran<strong>de</strong> diversité <strong>de</strong> particu<strong>le</strong>s en orbite : <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins,<br />
<strong>de</strong>s <strong>film</strong>s, <strong>de</strong>s clips, <strong>de</strong>s photos, <strong>de</strong>s récits, <strong>de</strong>s expéditions sur <strong>de</strong>s lieux symboliques.<br />
Un <strong>film</strong> musical aussi. Lulu est un chanteur irrésistib<strong>le</strong>, qui a su s’imposer avec<br />
originalité comme chantre d’une époque, d’un pays.<br />
Sa ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> copain témoigne éga<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> ta<strong>le</strong>nts préservés.<br />
Dans ce <strong>film</strong>, on verra donc <strong>le</strong> temps passer et comment aussi il ne passe pas :<br />
<strong>le</strong> présent criblé par <strong>le</strong> passé, <strong>le</strong> futur barré par un présent oblitéré. Mais s’ouvrant<br />
à nouveau vers <strong>de</strong>s horizons... enchantés.<br />
On peut donc s’y attendre : ça va flamber, ça va flamboyer.<br />
6
1<br />
2<br />
Lucien Hullar, « Lulu ».<br />
Lucien Hullar, « Lulu ».<br />
“Scénario”<br />
Marc Lang, « Marlowe ».<br />
Chevauchée mécanique.<br />
années 80. 1. P<strong>le</strong>in feux sur <strong>le</strong> chanteur<br />
Lucien Hullar et sur <strong>le</strong> guitariste<br />
Marlowe. années 2010. 2. Lulu sur<br />
un trike. 3. Marlowe en Vendée.<br />
On dirait un <strong>film</strong> <strong>de</strong> fiction, et d’une certaine façon, cela en est un.<br />
D’après une histoire vraie, comme on dit. Avec <strong>de</strong> vrais personnages.<br />
Le <strong>film</strong> commence par <strong>de</strong> longs travellings accompagnant Lulu sur sa moto…<br />
Il traverse la France, <strong>de</strong> la Lorraine à la Vendée, où il va rendre visite à son pote<br />
Marlowe, qui aujourd’hui dirige une écurie aux Sab<strong>le</strong>s d’Olonne… Ensemb<strong>le</strong>s, ils ont<br />
créé <strong>le</strong> groupe Lucien et <strong>le</strong>s Missi<strong>le</strong>s, qui écumait joyeusement <strong>le</strong> Bitcherland dans <strong>le</strong>s<br />
années 80. Naturel<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> son qui accompagne cette chevauchée mécanique, équipée<br />
sauvage solitaire, est une chanson <strong>du</strong> groupe Lucien et <strong>le</strong>s Missi<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> « Lemberger Blo<br />
Menda Boogie Blues », <strong>le</strong>ur premier succès.<br />
7<br />
3<br />
Marc Lang, « Marlowe ».
Lulu, c’était <strong>le</strong> chanteur <strong>du</strong> groupe. Marc, dit Marlowe, était <strong>le</strong> guitariste.<br />
Ils ont rangé <strong>le</strong>urs guitares <strong>de</strong>puis longtemps mais ils continuent à gratter comme<br />
on <strong>le</strong> voit à la fin <strong>du</strong> premier repas, repas d’accueil, <strong>de</strong> retrouvail<strong>le</strong>, <strong>de</strong> retour au répertoire<br />
d’antan ( ils chantent un peu maladroitement la chanson bien orchestrée, bien enregistrée,<br />
enten<strong>du</strong>e sur <strong>le</strong>s images en moto, au début <strong>du</strong> <strong>film</strong>… ) rires, bonne ambiance…<br />
Ils feuil<strong>le</strong>ttent l’album <strong>de</strong>s photos <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur groupe <strong>du</strong> temps <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur célébrité… on entend<br />
la voix <strong>de</strong> Lulu chantant une ( nouvel<strong>le</strong> ) chanson en Platt, Marlowe essaye <strong>de</strong> suivre et<br />
d’accompagner avec <strong>de</strong>s accords cette mélodie qu’il découvre…<br />
8<br />
Lucien et <strong>le</strong>s Missi<strong>le</strong>s,<br />
années 80<br />
"Trop speed pour<br />
se laisser bourrer<br />
<strong>le</strong> crâne, Lucien a<br />
quitté l’éco<strong>le</strong> à<br />
17 ans et a ainsi<br />
coupé tous <strong>le</strong>s<br />
ponts avec ce qu’il<br />
appelait à l’époque<br />
"une société<br />
merdique d’intel<strong>le</strong>ctuels<br />
pourris<br />
et <strong>de</strong> bureaucrates<br />
verreux". Il était<br />
alors en p<strong>le</strong>ine<br />
phase punk".<br />
archives<br />
d’époque.<br />
Dossier <strong>de</strong><br />
presse,<br />
Lucien et <strong>le</strong>s<br />
Missi<strong>le</strong>s.
ils topent et partent au grand galop...<br />
1. Lulu. 2. La déchèterie <strong>de</strong> Bitche.<br />
3 et 4. Marlowe. il est instructeur<br />
d’équitation et «cavalier <strong>de</strong> concours<br />
comp<strong>le</strong>t» au club hippique <strong>du</strong> sablais.<br />
Lucien Hullar, «Lulu».<br />
11<br />
2<br />
3<br />
9<br />
34<br />
Marc Lang, «Marlowe».<br />
Après la séparation <strong>du</strong> groupe, Lucien et Marlowe sont restés complices :<br />
tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux amoureux <strong>de</strong> chevaux, ils sont <strong>de</strong>venus respectivement animateur <strong>de</strong> colo<br />
et moniteur d’équitation. Puis, Marlowe, Marco dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> <strong>du</strong> cheval, a quitté sa<br />
Lorraine nata<strong>le</strong> pour s’instal<strong>le</strong>r en Vendée...<br />
Le <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, à la détente <strong>de</strong>s chevaux, trottinant <strong>le</strong> long <strong>de</strong>s bocages, Lulu<br />
annonce à son copain qu’il a envie d’enregistrer quelques nouvel<strong>le</strong>s chansons, dont cel<strong>le</strong><br />
qu’il a balancée hier soir… et il lui propose <strong>de</strong> s’occuper <strong>de</strong> l’arrangement. Il en a parlé<br />
à Bertrand, Vigier, un ancien camara<strong>de</strong> <strong>de</strong> classe <strong>de</strong> Poinca ( <strong>le</strong> lycée Henri Poincaré <strong>de</strong><br />
Nancy ), que Marlowe connait. Il a aujourd’hui un studio d’enregistrement à Strasbourg,<br />
Ko Kang, et il est d’accord pour faire <strong>le</strong> boulot.<br />
- Je ne dis pas non, il faut que je m’arrange quelques jours pour <strong>le</strong> soin <strong>de</strong>s chevaux,<br />
ça peut se faire…<br />
Ils topent et partent au grand galop…<br />
Lulu, au boulot à la déchetterie <strong>de</strong> Rohrbach-<strong>le</strong>s-Bitche ; il réceptionne, accueil<strong>le</strong><br />
et oriente <strong>le</strong>s particuliers dans <strong>le</strong> tri <strong>de</strong>s déchets. Il a toujours un mot cha<strong>le</strong>ureux, une<br />
plaisanterie pour chacun. Tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> apprécie son professionnalisme et son humour.
2<br />
1<br />
« Beau matos ! t’as réussi…»…<br />
1. Le studio son <strong>de</strong> Bertrand Vigier<br />
à strasbourg. 2. Vue sur la Mosel<strong>le</strong>.<br />
3. Bertrand à Poinca en 1977.<br />
4. Bertrand et sa femme.<br />
3<br />
Bertrand Vigier, «<strong>le</strong> Vivi».<br />
Quelques jours plus tard, Lulu est à Strasbourg, dans <strong>le</strong> studio <strong>de</strong> Bertrand<br />
Vigier. Régie 16 pistes, écrans <strong>de</strong> contrô<strong>le</strong>…<br />
- Beau matos ! T’as réussi !<br />
Evocation <strong>de</strong>s années <strong>de</strong> galère et <strong>de</strong> bel<strong>le</strong> bohème <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur époque rock.<br />
Chacun avait son groupe, Bertrand, c’était The Facts, ils <strong>le</strong>ur même arrivé <strong>de</strong> se<br />
pro<strong>du</strong>ire ensemb<strong>le</strong>…<br />
- Mais toi, tu étais une star, on était passés avant toi, dit Bertrand à Lulu…<br />
Evocation <strong>de</strong> quelques événements <strong>de</strong> cette époque.<br />
- Ah... Le concert à Freu<strong>de</strong>nstadt en Forêt Noire... Images d’archives à l’appui,<br />
affiches, extraits <strong>de</strong> concert, que Bertrand a dans un <strong>de</strong> ses ordinateurs…<br />
Ils discutent ensuite <strong>du</strong> projet d’enregistrement <strong>de</strong>s nouvel<strong>le</strong>s chansons <strong>de</strong> Lulu…<br />
Bertrand propose la maison <strong>de</strong> ses parents, près <strong>de</strong> Nancy, au bord <strong>de</strong> la Mosel<strong>le</strong>.<br />
- J’embarque tout ça dans <strong>le</strong> camion et on s’instal<strong>le</strong> là-bas ( image sur l’ordi, d’un<br />
simp<strong>le</strong> clic ), y a p<strong>le</strong>in <strong>de</strong> place, on pourra tous dormir dans la maison, et travail<strong>le</strong>r<br />
jusqu’à épuisement !<br />
10<br />
4
Daniel Depoutot, « <strong>le</strong> Depout ».<br />
1<br />
armé d’une télécomman<strong>de</strong> en forme<br />
<strong>de</strong> guitare, Daniel déc<strong>le</strong>nche <strong>le</strong>s<br />
mouvements <strong>de</strong> ses œuvres (3).<br />
Ce « dragon <strong>de</strong> combat », (2) créé dans <strong>le</strong>s<br />
années 2000, a été utilisé pour <strong>de</strong>s combats<br />
<strong>de</strong> robots. 1. Dessin <strong>de</strong> Lulu par Daniel.<br />
2<br />
3<br />
En se remémorant <strong>le</strong>urs amis <strong>de</strong> classe, Bertrand se souvient <strong>de</strong> Daniel<br />
Depoutot, un autre <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs potes <strong>du</strong> temps <strong>du</strong> lycée Poincaré <strong>de</strong> Nancy…<br />
- Ah ! Keep on rocking ! Qu’est-ce qu’il est <strong>de</strong>venu ? s’exclame Lulu en regardant la<br />
tête <strong>du</strong> jeune homme aux cheveux longs que Bertrand pointe sur une vieil<strong>le</strong> photo.<br />
Bertrand et Lulu vont frapper à la porte <strong>de</strong> l’atelier <strong>de</strong> Daniel Depoutot.<br />
Il vit aujourd’hui à Strasbourg. Sculpteur d’incroyab<strong>le</strong>s mécaniques animées ( <strong>du</strong> sty<strong>le</strong><br />
Tinguely en plus drô<strong>le</strong> ) l’atelier <strong>de</strong> Daniel dans <strong>de</strong> vieux entrepôts près <strong>du</strong> Rhin, est<br />
un incroyab<strong>le</strong> capharnaüm sur trois étages. Armé d’une télécomman<strong>de</strong> en forme <strong>de</strong><br />
guitare, Daniel, pour épater Lulu, déc<strong>le</strong>nche <strong>le</strong>s mouvements <strong>de</strong> ses œuvres et <strong>le</strong>ur<br />
tintamarre. Superbe concert <strong>de</strong> bruits in<strong>du</strong>striels, grotesques, érotiques…<br />
Daniel prête à Lulu la guitare télécomman<strong>de</strong>, et ça rugit <strong>de</strong> plus bel<strong>le</strong>.<br />
Bertrand sort <strong>de</strong> sa poche un zoom enregistreur, et grave ces sons improvisés.<br />
- Dommage qu’on ait pas une caméra, dit Daniel.<br />
11
Le professeur <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin, <strong>le</strong> « père Manceau ».<br />
Caricatures <strong>du</strong> «père Manceau» et quelques «grosses<br />
conneries» <strong>de</strong>ssinées en cours <strong>de</strong> maths ou d’histoire-géo.<br />
Dessins <strong>de</strong> Philippe Grabowski, «<strong>le</strong> Phil», 1977.<br />
Le Fred <strong>du</strong> <strong>de</strong>ssin, c’est Frédéric thouron aujourd’hui<br />
Lefred-thouron, auteur <strong>de</strong> ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée et <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssins<br />
<strong>de</strong> presse ( Charlie Hebdo, Canard enchaîné... ).<br />
Après la visite <strong>de</strong> l’atelier <strong>de</strong> Daniel, ils s’attab<strong>le</strong>nt tous <strong>le</strong>s trois dans la cour<br />
<strong>de</strong> l’ancien dépôt <strong>de</strong> la Coop prêté à une dizaine d’artistes dont <strong>le</strong>s œuvres égayent <strong>le</strong><br />
lieu, entre jardin potager et arbres fruitiers… Depoutot est d’accord pour faire quelque<br />
chose avec eux, en souvenir <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs années communes au Lycée <strong>de</strong> Nancy, quand<br />
ils subissaient tous <strong>le</strong>s foudres <strong>du</strong> professeur <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin, <strong>le</strong> père Manceau, surtout Lulu<br />
que ce prof avait pris en grippe.<br />
Retour au projet : Depoutot propose d’apporter dans <strong>le</strong> studio <strong>de</strong> Bertrand<br />
quelques sculptures sonores. Lulu quant à lui suggère <strong>de</strong> composer une œuvre avantgardiste,<br />
<strong>du</strong> 21ème sièc<strong>le</strong>.<br />
- Toi, Daniel, tu es <strong>de</strong> Nancy, <strong>de</strong> la Lorraine francophone, et moi je suis <strong>de</strong> Bitche, <strong>de</strong> la<br />
Lorraine germanophone : on pourrait faire une chanson, un clip, quelque <strong>de</strong> poétique<br />
en Français et en Platt, qui permettrait aux Lorrains d’a<strong>voir</strong> une unité, une i<strong>de</strong>ntité<br />
commune...<br />
Bertrand est sé<strong>du</strong>it par l’idée <strong>de</strong> briser cette frontière interne.<br />
12
La région a toujours été un territoire<br />
à conquérir. 1 et 4. Le château <strong>du</strong><br />
Wasigenstein. 2. statue équestre <strong>de</strong><br />
Char<strong>le</strong>magne. 3. Vue <strong>du</strong> Wasigenstein<br />
( paysage <strong>de</strong>s Vosges <strong>du</strong> nord ).<br />
3<br />
On retrouve <strong>le</strong>s trois copains dans une forêt, escaladant une ruine, <strong>le</strong> château<br />
<strong>du</strong> Wasigenstein, en bor<strong>du</strong>re <strong>du</strong> Bitcherland, <strong>de</strong>ux étroites forteresses plantées sur <strong>de</strong>s<br />
pitons <strong>de</strong> grès rose… Lulu, féru d’histoire, raconte <strong>le</strong>s évènements attachés à ce lieu,<br />
berceau <strong>de</strong>s légen<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s Niebelungen :<br />
- Sur la colline d’en face <strong>le</strong>s Romains avaient bâti un camp. Derrière ce sommet,<br />
aujourd’hui, c’est l’Al<strong>le</strong>magne… Il y a plusieurs sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés <strong>de</strong> la montagne<br />
c’était un seul pays, Char<strong>le</strong>magne régnait, il parlait <strong>le</strong> Platt, qui était la langue<br />
commune… La région a toujours été un couloir <strong>de</strong> passage, un territoire à conquérir<br />
par tout nouvel envahisseur, qu’il vienne <strong>du</strong> Nord ou qu’il vienne <strong>du</strong> Sud…<br />
Ils se prennent en photo, en lançant quelques idées, en cherchant <strong>de</strong>s rimes.<br />
C’est <strong>le</strong> début <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur chanson qui vient <strong>de</strong> jaillir. Bertrand applaudit.<br />
13<br />
1<br />
4<br />
2
1<br />
La civilisation <strong>de</strong>s mégalithes<br />
expliquée par Lulu. 1. la Pierre <strong>de</strong>s 12<br />
apôtres aussi connue sous <strong>le</strong> nom<br />
<strong>de</strong> Breitenstein, borne frontière entre<br />
l’alsace et la Lorraine. 2. statuette d’une<br />
divinité Celte, Bliesbrück-reinheim.<br />
Lulu et ses <strong>de</strong>ux potes tournent maintenant autour d’une pierre <strong>le</strong>vée,<br />
la Pierre <strong>de</strong>s Douze Apôtres, près <strong>de</strong> Meisenthal…<br />
Lulu raconte d’autres faits historiques, cette fois liés aux Celtes… Cette pierre,<br />
qui sert encore aujourd’hui <strong>de</strong> limite entre l’Alsace et la Lorraine, servait déjà <strong>de</strong> borne<br />
frontière entre <strong>le</strong>s Médiomatriques et <strong>le</strong>s Triboques, <strong>de</strong>ux peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l’Antiquité.<br />
Ses copains s’étonnent <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> connaissances… <strong>de</strong>puis quand il s’intéresse à tout ça,<br />
au départ c’était bien artiste qu’il voulait faire, prof <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin ?<br />
- Justement, dit Lulu, c’est à cause <strong>de</strong> ça…<br />
Il raconte alors son arrivée à Nancy... Né <strong>de</strong> parents qui l’ont é<strong>le</strong>vé dans la fierté<br />
d’être Lorrain, peup<strong>le</strong> qui, comme <strong>le</strong>s Alsaciens par<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>ur propre langue, quel choc<br />
<strong>de</strong> constater qu’à Nancy, capita<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Lorraine, on ne par<strong>le</strong> pas <strong>le</strong> Platt !<br />
Le choc atteignant <strong>le</strong> paroxysme après que <strong>le</strong> prof <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin l’eut traité <strong>de</strong> « casque<br />
à pointe », à cause <strong>de</strong> son accent… Il est entré en rébellion, a laissé tomber <strong>le</strong>s étu<strong>de</strong>s,<br />
et est parti à la quête d’une i<strong>de</strong>ntité pour cette région abandonnée…<br />
14<br />
2
Philippe Grabowski, « <strong>le</strong> Phil » ou « <strong>le</strong> Grabo ».<br />
Répétition dans la maison Vigier <strong>de</strong>s bords <strong>de</strong> la Mosel<strong>le</strong>…<br />
Depoutot et Lulu reprennent et développent <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s lancées<br />
lors <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur première rencontre.<br />
Travail sur quelques phrases en Platt, en français, Lulu tra<strong>du</strong>it…<br />
La chanson progresse, <strong>le</strong>s accords se cherchent, ça avance…<br />
Pendant une pause, Lulu évoque Phil ( Grabowski ), interne comme eux au lycée Henri<br />
Poincaré et qui vit aujourd’hui à Metz :<br />
- S’il savait qu’on était si près, il serait vert… On l’appel<strong>le</strong> ?<br />
Voici Phil qui débarque avec un carton p<strong>le</strong>in <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssins faits à cette époque…<br />
souvent à quatre mains ( en collaboration avec Lefred-Thouron qui travail<strong>le</strong> aujourd’hui<br />
pour divers journaux satiriques )… la vue <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins déc<strong>le</strong>nche <strong>de</strong> nouveaux<br />
souvenirs... Fous rires, ambiance <strong>de</strong> l’époque, Neil Young, <strong>le</strong>s Sex Pistols que Lulu avait<br />
fait découvrir aux autres…<br />
15<br />
Phil<br />
Daniel Hélène<br />
schoolboy Blues.<br />
1978. un poème <strong>de</strong> Lulu<br />
( écrit après son éviction<br />
<strong>du</strong> lycée ), mis en image<br />
par Phil. a gauche,<br />
Phil par lui même,<br />
« <strong>le</strong>s joyeux bran<strong>le</strong>urs ».<br />
Bertrand
1<br />
2<br />
Hélène Hennequin,<br />
«la p’tite Hélène».<br />
3<br />
4<br />
Jacqueline Zingraff.<br />
6<br />
Les fil<strong>le</strong>s, qu’est-ce qu’el<strong>le</strong>s sont <strong>de</strong>venues ?<br />
1 et 2. Hélène Hennequin. 3 et 4. Jacqueline Zingraff.<br />
5. emmanuel<strong>le</strong> Vella, la p’tite Vella.<br />
6. La faça<strong>de</strong> <strong>du</strong> lycée Henri Poincaré à nancy.<br />
16<br />
5<br />
emmanuel<strong>le</strong> Vella,<br />
«la p’tite Vella».<br />
Le dortoir <strong>de</strong>s fil<strong>le</strong>s, dans un autre lycée, <strong>le</strong> lycée Frédéric Chopin… qu’est-ce<br />
qu’el<strong>le</strong>s sont <strong>de</strong>venues ? Hélène, Emmanuel<strong>le</strong> Vella, Jacqueline… La p’tite Vella a<br />
disparu… Hélène est à Paris… Jacqueline habite toujours en Mosel<strong>le</strong>… Quelques coups<br />
<strong>de</strong> fil et plusieurs ex-copines rappliquent ( dont Hélène ). El<strong>le</strong>s apprennent l’histoire <strong>de</strong><br />
Lulu. Hélène, très choquée par cette histoire <strong>de</strong> « casque à pointe », propose d’en<br />
informer tous <strong>le</strong>s anciens <strong>de</strong> la classe <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> A7bis, qui n’avaient jamais compris<br />
pourquoi Lulu avait disparu…<br />
- Ce qui serait formidab<strong>le</strong>, ce serait <strong>de</strong> tous se retrouver dans un lieu symbolique qui<br />
permettrait <strong>de</strong> tirer un trait sur <strong>le</strong> passé, et d’effacer cette b<strong>le</strong>ssure par une action…<br />
Vigier et Depoutot approuvent bruyamment... Rou<strong>le</strong>ment d’instruments.<br />
L’idée qui a jailli <strong>du</strong> groupe en répétition c’est que Lulu doit chanter ses<br />
nouvel<strong>le</strong>s chansons ( et aussi <strong>le</strong>s anciennes ), <strong>de</strong>vant tous <strong>le</strong>s copains et toutes <strong>le</strong>s copines<br />
<strong>de</strong> l’époque qu’on pourra retrouver… et même <strong>le</strong>s jeunes d’aujourd’hui, ça <strong>de</strong>vrait <strong>le</strong>s<br />
intéresser… Lulu accepte <strong>de</strong> suivre l’enthousiasme <strong>de</strong> ses potes… Il est d’accord pour<br />
faire un concert, mais il voudrait y ajouter quelque chose en plus... il revient sur son idée<br />
d’œuvre mo<strong>de</strong>rne, pérenne... On pourrait faire un clip avec <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ssins <strong>de</strong> Phil en <strong>le</strong>s<br />
animant, créer quelque chose qui mê<strong>le</strong>rait musique, danse, théâtre, sculpture... une<br />
BELLE œuvre, quoi... qui non seu<strong>le</strong>ment reflèterait l’égrégore <strong>de</strong> ce groupe, mais qui<br />
serait à une plus gran<strong>de</strong> échel<strong>le</strong>, une réconciliation <strong>de</strong> la Lorraine francophone et<br />
germanophone, <strong>du</strong> Pays <strong>du</strong> Fer et <strong>du</strong> Bailliage d’Al<strong>le</strong>magne.
Bitche<br />
57. Mosel<strong>le</strong>, Moyenvic.<br />
Commune annexée par<br />
l’Al<strong>le</strong>magne jusqu’à la fin<br />
<strong>de</strong> la Première Guerre<br />
Mondia<strong>le</strong>, sauf mention<br />
contraire, <strong>le</strong>s soldats dont<br />
<strong>le</strong>s noms sont mentionnés<br />
pour 1914-1918 étaient <strong>de</strong><br />
nationalité al<strong>le</strong>man<strong>de</strong> et<br />
ne sont donc pas tous Morts<br />
pour la France.<br />
Pour annoncer l’événement, Phil et Fred recommencent à <strong>de</strong>ssiner ( ensemb<strong>le</strong> )<br />
l’affiche <strong>de</strong> l’événement… pendant ce temps, <strong>le</strong>s répétitions continuent dans la maison<br />
Vigier près <strong>de</strong> la Mosel<strong>le</strong>… Jacqueline, et Hélène assistent aux répétitions.<br />
A un moment, el<strong>le</strong>s s’iso<strong>le</strong>nt pour papoter en marge et évoquer <strong>le</strong>urs années Poinca…<br />
Jacqueline raconte qu’el<strong>le</strong> a subi <strong>le</strong>s mêmes invectives que Lulu, ayant comme lui un<br />
fort accent… El<strong>le</strong> se souvient aussi que Valérie Akakofi, noire, s’entendait toujours<br />
reprocher par <strong>le</strong> père Manceau ses mains sa<strong>le</strong>s… Hélène dit que tout ça lui était passé<br />
par <strong>de</strong>ssus la tête comme sans doute aux autres élèves, mais cette histoire <strong>de</strong> “casque<br />
à pointe” ne l’a pas laissée indifférente : el<strong>le</strong> lui a rappelé <strong>le</strong>s origines partagées <strong>de</strong> sa<br />
famil<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> a réalisé que son arrière-grand-père, né en Mosel<strong>le</strong> en 1878, était mort<br />
sous uniforme al<strong>le</strong>mand pendant la guerre <strong>de</strong> 14-18.<br />
Hélène commence à travail<strong>le</strong>r <strong>le</strong> clip avec Phil et Fred.<br />
2<br />
1<br />
Philippe Grabowski, «<strong>le</strong> Phil» et Frédéric thouron,<br />
«Lefred-thouron», autoportrait à quatre mains.<br />
1. une « carte posta<strong>le</strong> » envoyée à Hélène, 1978.<br />
2. Le site internet «MémorialGenWeb» effectue <strong>de</strong>s<br />
re<strong>le</strong>vés <strong>de</strong>s monuments aux morts, <strong>de</strong>s soldats tués<br />
ou disparus par faits <strong>de</strong> guerre. Cette page concerne<br />
l’arrière-grand-père d’Hélène.<br />
17
1<br />
2<br />
18<br />
retrouvail<strong>le</strong>s. Mai 2009.<br />
1. Dans l’atelier <strong>de</strong> Daniel, rue <strong>du</strong> Port<br />
<strong>du</strong> rhin. 2. Devant la Poste <strong>de</strong> sty<strong>le</strong><br />
néo-gothique 3<br />
à strasbourg. 3. Jeune fil<strong>le</strong>,<br />
sculpture <strong>de</strong> Daniel Depoutot.<br />
Dans la gran<strong>de</strong> Hal<strong>le</strong> Verrière <strong>de</strong> Meisenthal, projection <strong>du</strong> clip, prélu<strong>de</strong> à un<br />
événement musical, <strong>le</strong> premier concert <strong>de</strong> Lulu et ses nouveaux Missi<strong>le</strong>s.<br />
Dans la sal<strong>le</strong>, public nombreux et enthousiaste : <strong>le</strong>s anciens membres <strong>du</strong> groupe<br />
Lucien et <strong>le</strong>s Missi<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s jeunes musiciens et groupes locaux auxquels Lucien a ouvert<br />
la voie, <strong>le</strong>s potes <strong>du</strong> coin, et bien sûr <strong>le</strong>s camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la classe <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> A7bis…<br />
A la fin <strong>du</strong> clip, <strong>le</strong>s musiciens entrent en scène ; <strong>le</strong>s guitares s’envo<strong>le</strong>nt, <strong>le</strong> clavier<br />
poudroie, <strong>le</strong> Platt fuse, et <strong>le</strong>s casques à pointe posés par Depoutot sur ses bonhommes<br />
dansants s’entrechoquent drô<strong>le</strong>ment, Lulu prend un <strong>de</strong> ces casques et s’en sert <strong>de</strong><br />
tambourin pendant un intermè<strong>de</strong>. Les applaudissements lavent l’humiliation subie<br />
il y a trente ans… Entre <strong>de</strong>ux rappels, Yann Grienenberger, <strong>le</strong> directeur <strong>du</strong> CIAV <strong>de</strong><br />
Meisenthal, fan <strong>de</strong> Lulu <strong>de</strong> la première heure, monte sur scène ; il offre à Lulu une<br />
guitare en verre soufflée, que <strong>le</strong>s ouvriers <strong>de</strong> la Cristal<strong>le</strong>rie ont tenu à faire, pour célébrer<br />
<strong>le</strong> retour <strong>de</strong> Lulu à la création.<br />
Générique-rappel <strong>de</strong>s meil<strong>le</strong>urs moments <strong>de</strong> cette bel<strong>le</strong> aventure…
traitement<br />
Comme cela a été déjà dit, <strong>le</strong> projet a mûri au fil <strong>de</strong> nombreuses rencontres,<br />
lancements d’idées, évocations <strong>de</strong> coups à faire, entre <strong>le</strong>s protagonistes <strong>du</strong> <strong>film</strong>.<br />
Ils ont lu ce que nous avons écrit à la suite <strong>de</strong> ces réunions, suggéré <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s<br />
actions. Ce scénario vaut contrat pour courir l’aventure. Une énergie s’est accumulée,<br />
qu’il va falloir maintenant investir dans <strong>de</strong>s scènes, <strong>de</strong>s séquences, <strong>de</strong>s plans.<br />
Voici comment nous comptons mener notre barque à bon port.<br />
D’abord, être entourés d’une excel<strong>le</strong>nte équipe réactive, précise et engagée,<br />
faisant corps avec <strong>le</strong>s réalisateurs et <strong>le</strong>s protagonistes. Car on va être confronté à<br />
<strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> spontanéité. Le scénario reflète une direction, résume un<br />
ton, que nous savons pou<strong>voir</strong> obtenir, mais la réalité sera certainement beaucoup<br />
plus tumultueuse. Il faudra être rapi<strong>de</strong> pour capter <strong>le</strong> maximum <strong>de</strong> gestes, <strong>de</strong> paro<strong>le</strong>s.<br />
Quitte à tenter <strong>de</strong> faire redire certains « mots » lancés trop vite, trop loin.<br />
On ne se privera pas <strong>de</strong> préparer parfois certaines « scènes » : l’arrivée<br />
d’archives dans <strong>le</strong> déroulé d’une conversation, ça ne s’improvise pas. On balisera donc<br />
ce genre d’événement.<br />
La multiplicité <strong>de</strong>s lieux permettra <strong>de</strong> structurer <strong>le</strong> récit : on aura dans<br />
chaque paysage, décor, une attention particulière à l’environnement dans <strong>le</strong>quel nos<br />
« personnages » évoluent.<br />
En allant <strong>de</strong> lieu en lieu, <strong>le</strong> climat entre <strong>le</strong>s protagonistes changera<br />
certainement. Nous serons attentifs à capter cette évolution.<br />
On va <strong>film</strong>er <strong>de</strong>s gens qui par<strong>le</strong>nt, racontent, mais aussi d’autres qui écoutent,<br />
s’informent. Nous sommes conscients <strong>de</strong> l’importance à accor<strong>de</strong>r aux visages <strong>de</strong>s uns<br />
comme <strong>de</strong>s autres.<br />
19
Le rythme viendra <strong>du</strong> sty<strong>le</strong> <strong>de</strong> suivi, flui<strong>de</strong>, proche <strong>de</strong>s acteurs, fondé davantage<br />
sur <strong>de</strong>s retournements <strong>de</strong> caméra, plutôt que sur <strong>de</strong>s champs/contre-champs. L’esprit<br />
<strong>du</strong> plan séquence règnera sans être tyrannique, exclusif. Le rythme viendra aussi <strong>de</strong>s<br />
nombreux moments musicaux, appelant certes une continuité spatia<strong>le</strong>, temporel<strong>le</strong>,<br />
mais aussi <strong>de</strong>s scansions rapi<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s plans courts, percutants. Sty<strong>le</strong> qui culminera<br />
dans <strong>le</strong> clip entrepris pour <strong>le</strong> premier concert.<br />
Un autre jeu <strong>de</strong> contrastes viendra <strong>de</strong>s types différents d’archives. On ne traite<br />
pas <strong>de</strong> la même façon <strong>de</strong>s photos, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins ou <strong>de</strong>s vieil<strong>le</strong>s affiches, <strong>de</strong>s vieil<strong>le</strong>s vidéos<br />
(archives retrouvées auprès d’une chaîne <strong>de</strong> télévision loca<strong>le</strong>) et <strong>de</strong>s cassettes sons.<br />
A chaque média sa rampe <strong>de</strong> lancement.<br />
C’est aussi un <strong>film</strong> où on entendra par<strong>le</strong>r français et Platt. Le hit <strong>de</strong> Lucien, <strong>le</strong><br />
Lemberger Blo Menda Boogie Blues sera <strong>le</strong> <strong>le</strong>itmotiv <strong>de</strong> cette plongée dans un temps<br />
retrouvé ! Mais on pourra aussi entendre la chanson <strong>de</strong> la Motoby<strong>le</strong>tte et d’autres<br />
groupes auxquels Lulu a ouvert la voie, et surtout <strong>le</strong>s quelques nouvel<strong>le</strong>s chansons que<br />
<strong>le</strong> groupe répète.<br />
Nous avons un point <strong>de</strong> départ, un point d’arrivée : entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s étapes<br />
sont déjà prévues. Il en surgira d’autres et nous nous efforcerons <strong>de</strong> bien <strong>le</strong>s intégrer.<br />
Sans cesse à l’affût <strong>de</strong> l’imprévu. Engagés corps et âme dans cette bel<strong>le</strong> aventure.<br />
20
A N N E X E 1<br />
Historique <strong>du</strong> groupe « Lucien et <strong>le</strong>s Missi<strong>le</strong>s »<br />
1977<br />
Lucien quitte <strong>le</strong> lycée Henri Poincaré à Nancy.<br />
Création <strong>du</strong> groupe punk : « The Schlappschwantzkakès Band ».<br />
Musica<strong>le</strong>ment ils ne se sont jamais pro<strong>du</strong>its en public.<br />
1982<br />
Un lundi soir à Lemberg.<br />
Lulu emmène sa guitare au bistro et commence à gratter « <strong>le</strong> blues <strong>de</strong>s lundis b<strong>le</strong>us <strong>de</strong><br />
Lemberg ». Cette chanson rencontre immédiatement un succès considérab<strong>le</strong>. Tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong><br />
entonne <strong>le</strong> « Lemberger Blo Menda Boogie Blues ». C’est <strong>le</strong> tout début <strong>de</strong>s radios libres.<br />
Louis, un comparse et prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’association, <strong>le</strong> « Foyer Pour Tous <strong>de</strong> Lemberg », obtient<br />
une émission sur Radio Gaemundia à <strong>Sarreguemines</strong>.<br />
Un samedi entre Bitche et <strong>Sarreguemines</strong>.<br />
Enregistrement au Moulin <strong>du</strong> Ramstein <strong>du</strong> « Lemberger Blo Menda Boogie Blues » sur un<br />
petit 4 pistes pour l’émission <strong>de</strong> 16 heures à <strong>Sarreguemines</strong>. Marlowe à la guitare, Ralph,<br />
son frère à la basse et à la batterie, Fred au saxo et Lulu au chant. La cassette fait l’effet d’une<br />
bombe : une langue en voie <strong>de</strong> disparition, <strong>le</strong> Platt, sur un morceau <strong>de</strong> blues-rock américain.<br />
De samedi en samedi, <strong>le</strong> futur répertoire prend forme.<br />
Au bout <strong>de</strong> quelques mois et suffisamment <strong>de</strong> chansons pour tenir <strong>de</strong>ux heures, ils déci<strong>de</strong>nt<br />
<strong>de</strong> former un véritab<strong>le</strong> groupe : ce sera « Lucien et <strong>le</strong>s Missi<strong>le</strong>s ».<br />
25 décembre 1982<br />
Premier concert dans la sal<strong>le</strong> bourrée à craquer <strong>du</strong> Domino <strong>de</strong> Lemberg.<br />
1983<br />
Marlowe et Lulu ne se quittent presque plus. Ils composent d’arrache-pied. Lucien arrête<br />
son job en Al<strong>le</strong>magne pour se consacrer uniquement à la musique et part vivre chez<br />
Marlowe à Strasbourg. Ils se pro<strong>du</strong>isent pendant <strong>le</strong>s festivals d’été dans la région Alsace-<br />
Lorraine et aussi en Al<strong>le</strong>magne. Il <strong>le</strong>ur arrive d’être jusqu’à onze sur scène et ils se<br />
débrouil<strong>le</strong>nt toujours pour être parmi <strong>le</strong>s têtes d’affiche. Leur réputation ne cesse <strong>de</strong> grandir.<br />
1985<br />
Dernier concert au Festival S.O.S. Amor à la Cita<strong>de</strong>l<strong>le</strong> <strong>de</strong> Bitche.<br />
Après trois années d’ar<strong>de</strong>nt Rock & Roll, <strong>le</strong> groupe se sépare.<br />
E n n a issa n t e n L or r a i n e av e c <strong>de</strong> s s a bots | 1
A N N E X E 2<br />
En naissant en Lorraine avec <strong>de</strong>s sabots<br />
Par Lucien Hullar<br />
J’étais très content <strong>de</strong> quitter l’éco<strong>le</strong> <strong>de</strong>s pères franciscains où j’avais<br />
passé <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux années précé<strong>de</strong>ntes. Mes parents m’y avaient inscrit, car je ne foutais plus rien<br />
en classe <strong>de</strong>puis qu’el<strong>le</strong> était <strong>de</strong>venue mixte. L’é<strong>du</strong>cation judéo-chrétienne <strong>de</strong> ma mère lui<br />
laissait croire que c’était la présence <strong>de</strong>s fil<strong>le</strong>s qui me dissipaient. Je me suis donc farci la<br />
quatrième et la troisième au bagne chez <strong>le</strong>s moines. J’avais réussi à convertir la moitié <strong>de</strong> la<br />
classe au bouddhisme et c’est avec joie que je me suis fait virer <strong>de</strong> ce Struthof intel<strong>le</strong>ctuel !<br />
Nancy, capita<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Lorraine, rési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s Ducs <strong>de</strong> Lorraine… ça en<br />
jetait ! Mes parents m’avaient toujours appris que j’étais lorrain et que ma langue (eh oui,<br />
j’affirme que c’est une langue, <strong>le</strong> Platt !) était lorraine el<strong>le</strong> aussi. J’étais bien surpris d’apprendre<br />
que dans la capita<strong>le</strong> <strong>de</strong> ma région on ne parlait que <strong>le</strong> français. J’ai tout <strong>de</strong> suite été repéré par<br />
<strong>le</strong>s autres élèves à cause <strong>de</strong> mon accent. Même la prof d’al<strong>le</strong>mand l’a remarqué dès <strong>le</strong> premier<br />
cours. El<strong>le</strong> me fit al<strong>le</strong>r au tab<strong>le</strong>au et répéter une vingtaine <strong>de</strong> fois <strong>de</strong> suite <strong>le</strong> mot « Katze », car,<br />
d’après el<strong>le</strong>, je <strong>le</strong> prononçais merveil<strong>le</strong>usement bien. Je pensais <strong>de</strong> prime abord qu’el<strong>le</strong> était<br />
déjà surmenée, mais tant pis si el<strong>le</strong> était un peu « Ouf », au moins cette année j’allais enfin me<br />
E n n a issa n t e n L or r a i n e av e c <strong>de</strong> s s a bots | 2
taper <strong>de</strong>s bonnes notes. Que nenni ! J’avais osé contester l’enseignante sur la prononciation<br />
<strong>du</strong> mot « Küche » et <strong>de</strong>puis el<strong>le</strong> me refilait tout <strong>le</strong> temps <strong>de</strong>s zéros sous prétexte que <strong>le</strong>s autres<br />
copiaient sur moi.<br />
Bref, j’étais alors déjà convaincu que <strong>le</strong>s français ignoraient tout <strong>de</strong> ma<br />
culture lorraine et qu’ils étaient spécia<strong>le</strong>ment nuls dans l’usage <strong>du</strong> parlé <strong>de</strong> notre ennemi<br />
héréditaire germanique ! Je me rassurais à la pensée qu’au moins on ne me confondait pas avec<br />
<strong>le</strong>s Alsaciens avec <strong>le</strong>squels je n’avais que peu <strong>de</strong> choses en commun, si ce n’est <strong>le</strong> fait <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r<br />
un autre idiome que <strong>le</strong> français national. Tant pis pour mon égo, j’étais enfin libre et ce n’était<br />
pas ces petites frustrations qui allaient gâcher ma joie d’être à nouveau “Civil” et d’a<strong>voir</strong> <strong>de</strong>s<br />
fil<strong>le</strong>s en classe. J’avais choisi l’option artistique, la secon<strong>de</strong> A7 bis, parce que je ne voulais plus<br />
<strong>de</strong> ce latin que <strong>le</strong>s pères m’avaient imposé ( mais que j’ai su apprécier par la suite ! ).<br />
Mon idée <strong>de</strong> base était <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir prof <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin et <strong>de</strong> consacrer <strong>le</strong> reste <strong>de</strong> ma vie à<br />
l’écriture, justement parce que j’aimais beaucoup <strong>le</strong> français et que j’avais <strong>le</strong> sentiment <strong>de</strong><br />
pou<strong>voir</strong> mieux m’exprimer par écrit. Un accent ne s’entend pas sur <strong>le</strong> papier.<br />
Chez <strong>le</strong>s pères je <strong>de</strong>ssinais beaucoup, j’avais un grand besoin <strong>de</strong> m’exprimer.<br />
Le professeur et artiste François Kuhn Gantner m’avait pris un peu sous sa hou<strong>le</strong>tte et je sentis<br />
grandir en moi la fibre artistique. Mes collègues collégiens achetaient même mes <strong>de</strong>ssins, <strong>de</strong>s<br />
têtes <strong>de</strong> vampires et autres horreurs. Enfin je pouvais me perfectionner en la matière et c’est<br />
avec empressement que j’ai assisté à la première heure avec Manceau, <strong>le</strong> prof <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin <strong>du</strong> Lycée<br />
Henri Poincaré <strong>de</strong> Nancy. Cet établissement était très bien coté à l’académie et je m’attendais<br />
à <strong>de</strong>venir <strong>le</strong> futur Picasso <strong>du</strong> Bitcherland.<br />
Le premier trimestre, à l’instar <strong>de</strong>s autres élèves, je buvais <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />
l’enseignant et essayais <strong>de</strong> m’appliquer <strong>le</strong> plus possib<strong>le</strong>. Mais <strong>le</strong>s résultats ne suivaient pas, mes<br />
notes ne dépassaient pas <strong>le</strong> douze. Je pouvais faire ce que je voulais, je récoltais toujours un<br />
douze. Incroyab<strong>le</strong> ! Un jour je rendis <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin d’un interne, comme moi, spécia<strong>le</strong>ment doué<br />
et qui n’avait jamais eu une seu<strong>le</strong> note au-<strong>de</strong>ssous <strong>du</strong> quatorze, ... douze ! J’en dé<strong>du</strong>isis alors<br />
que quelque chose en moi <strong>de</strong>vait déplaire au prof. J’en eu la triste confirmation au trimestre<br />
suivant. C’est d’ail<strong>le</strong>urs un souvenir assez déplaisant que j’ai plus ou moins refoulé <strong>de</strong> ma<br />
mémoire, car autant mes souvenirs <strong>de</strong> la prof d’al<strong>le</strong>mand ou <strong>de</strong> Bacchus, <strong>le</strong> prof <strong>de</strong> français,<br />
par exemp<strong>le</strong>, étaient très précis, autant <strong>le</strong>s détails <strong>de</strong> cette anecdote restent maintenant vagues<br />
et flous. Je ne sais plus ni comment, ni pourquoi nous étions arrivés à ce sujet, mais ce dont<br />
E n n a issa n t e n L or r a i n e av e c <strong>de</strong> s s a bots | 3
je suis absolument sûr et certain c’est qu’à un moment précis, Manceau me traita <strong>de</strong> son air<br />
hautain et ampoulé <strong>de</strong> “Casque à pointe” <strong>de</strong>vant tous mes camara<strong>de</strong>s. Cela me choqua au<br />
point que je séchais <strong>le</strong> cours suivant. J’allais prendre une douche pendant <strong>le</strong> cours <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin.<br />
J’avais réussi à déjouer <strong>le</strong> système <strong>de</strong>s surveillants et, <strong>du</strong> fait, ils ne s’apercevaient jamais <strong>de</strong> mon<br />
absence. Ce n’est qu’au conseil <strong>de</strong> classe <strong>du</strong> troisième trimestre que la supercherie fut<br />
découverte. On me réorienta alors en une secon<strong>de</strong> linguistique, sans tenir compte <strong>de</strong> mon<br />
dix-huit <strong>de</strong> moyenne en histoire <strong>de</strong> l’art.<br />
J’étais alors obligé <strong>de</strong> revenir près <strong>de</strong> mon Bitcherland natal<br />
à <strong>Sarreguemines</strong>, dans <strong>le</strong> “Baillage d’Al<strong>le</strong>magne”. J’étais obligé <strong>de</strong> prendre l’option “Italien”,<br />
car il n’y avait pas <strong>de</strong> prof d’espagnol dans <strong>le</strong> secteur. Mais au bout <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mois, mes convictions<br />
anarchistes ( mer<strong>de</strong> la France ) et mes penchants pour l’alcool et la drogue prirent <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssus et je<br />
quittais définitivement l’enseignement secondaire pour un stage <strong>de</strong> carrelage AFPA.<br />
Au bout <strong>de</strong> six mois, mon patron, un ami <strong>de</strong> mon père, avait voulu me faire faire <strong>de</strong>s travaux<br />
<strong>de</strong> peinture, je lui ai jeté <strong>le</strong>s pinceaux à la figure et je suis parti travail<strong>le</strong>r dans une scierie. Je ne<br />
voulais plus entendre par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin, peinture ou pinceaux.<br />
Avant ma majorité, je fis un <strong>de</strong>vancement d’appel pour <strong>le</strong> service<br />
national, mais <strong>le</strong> temps que <strong>le</strong>s autorités militaires réagissent, j’avais trouvé un emploi en<br />
déplacement en Al<strong>le</strong>magne comme manœuvre sur <strong>le</strong>s chantiers. J’y gagnais faci<strong>le</strong>ment trois Smic<br />
par mois, et cela sans aucune qualification. Aussi, lorsque j’ai dû revenir à Nancy pour <strong>le</strong>s trois<br />
jours, j’étais considérab<strong>le</strong>ment embêté. Je n’avais plus envie <strong>de</strong> perdre une année avec une sol<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> bran<strong>le</strong>ur, alors que mes employeurs al<strong>le</strong>mands étaient chagrinés à l’idée <strong>de</strong> me perdre.<br />
Mon arrivée à la caserne fut assez remarquée, car j’étais rond comme une queue <strong>de</strong> pel<strong>le</strong> et<br />
travesti en punk, je n’ai pas suivi la ligne jaune ou blanche comme <strong>le</strong>s militaires <strong>le</strong> <strong>de</strong>mandaient,<br />
j’ai quand même touché <strong>le</strong>s quelques francs et <strong>le</strong>s ai tout <strong>de</strong> suite converti en canettes au mess.<br />
Ils m’ont réformé P4, pour comportement asocial et tendances suicidaires et j’ai pu retourner,<br />
chez <strong>le</strong>s casques à pointe, ennemis héréditaires, mais nettement plus humb<strong>le</strong>s et humains que<br />
certains Lorrains. Pour eux la Lorraine a fait partie intégrante <strong>du</strong> Saint-Empire Romain<br />
Germanique, donc nous étions <strong>de</strong> lointains cousins, ils m’appelaient Lutz, car Lucien était trop<br />
<strong>du</strong>r à prononcer et mon accent <strong>le</strong>s amusa.<br />
Je retourne <strong>le</strong> plus rarement possib<strong>le</strong> à Nancy et ne touche plus aucun crayon.<br />
E n n a issa n t e n L or r a i n e av e c <strong>de</strong> s s a bots | 4
A Nancy, j’avais tout <strong>de</strong> même découvert <strong>le</strong> mouvement punk.<br />
Au début il me rebutait, ce n’était pas vraiment beau, comparé à la culture baba cool qui<br />
f<strong>le</strong>urissait à l’époque. Mais en peu <strong>de</strong> temps je fus conquis par cette Rock & Roll attitu<strong>de</strong><br />
provocante. Je coupais cette tignasse d’une année, qui <strong>de</strong>vait témoigner <strong>de</strong> mon insoumission<br />
envers l’autorité <strong>de</strong>s pères, et me teignis <strong>le</strong>s cheveux en rouge. Un collier <strong>de</strong> chien, une fou<strong>le</strong><br />
d’éping<strong>le</strong>s à nourrice et <strong>de</strong>s capsu<strong>le</strong>s <strong>de</strong> canettes <strong>de</strong> bières et me voilà prêt à affronter <strong>le</strong>s ban<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong> freaks régnantes d’ici et Outre-Rhin.<br />
J’aimais ce coté agressif, minimaliste, provocant et frais. Ça changeait<br />
beaucoup <strong>de</strong> ce jazz-rock intel<strong>le</strong>cto-masturbatoire dont la pratique était réservée aux seuls fils<br />
<strong>de</strong> chefs d’entreprises, tel<strong>le</strong>ment l’investissement était lourd vu <strong>le</strong>s tonnes <strong>de</strong> matériel, doub<strong>le</strong>s<br />
batteries, guitares synthés, péda<strong>le</strong>s et autres racks d’effets avec accord <strong>de</strong> douzième, pied<br />
gauche <strong>le</strong>vé, nécessaires au bon dérou<strong>le</strong>ment d’une jig. J’aimais choquer <strong>le</strong>s gens. Ils étaient<br />
effarés <strong>de</strong> me <strong>voir</strong> avec une chainette en éping<strong>le</strong>s à nourrice et capsu<strong>le</strong>s <strong>de</strong> bière, qui partait<br />
d’une éping<strong>le</strong> plantée dans ma joue et allait jusqu’à une énorme éping<strong>le</strong> à jupe écossaise sise au<br />
lobe <strong>de</strong> mon oreil<strong>le</strong>. J’avais réussi à rallier quelques potes et nous avons créé <strong>le</strong> groupe punk :<br />
“The Schlappschwantzkakès Band”.<br />
Nous étions vraiment déjantés ! Tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> se retournait sur notre passage.<br />
Les gens se tapaient <strong>de</strong>s bornes, rien que pour nous <strong>voir</strong>, car nous étions <strong>le</strong>s premiers punks<br />
<strong>de</strong> toute la Mosel<strong>le</strong>-Est. Je ne fréquentais plus <strong>le</strong> pays <strong>de</strong> Bitche, dont <strong>le</strong>s gens me semblaient<br />
trop frustres et incultes. Je préférais zoner sur <strong>Sarreguemines</strong> et une partie <strong>du</strong> bassin houil<strong>le</strong>r.<br />
L’indigène y était plus fêtard, plus épicurien que <strong>le</strong>s stakhanovistes <strong>du</strong> Bitcherland. Nous<br />
étions <strong>de</strong>venus la coqueluche <strong>de</strong>s soirées branchées en sol mineur, mais musica<strong>le</strong>ment nous ne<br />
nous sommes jamais pro<strong>du</strong>its en public, juste par <strong>le</strong> look. Nous répétions uniquement dans<br />
l’ancien poulail<strong>le</strong>r d’un ami.<br />
Durant la semaine je travaillais comme coffreur en Al<strong>le</strong>magne et <strong>le</strong> week-end je<br />
rentrais chez ma mère, y déposais mon sac d’affaires sa<strong>le</strong>s, prenais une douche et je partais<br />
<strong>le</strong> vendredi soir pour ne revenir que <strong>le</strong> lundi à 3 heures <strong>du</strong> matin et repartir illico sur <strong>le</strong>s<br />
chantiers en pays tu<strong>de</strong>sque. Lors d’une <strong>de</strong> ces virées, j’ai rencontré en boîte, <strong>de</strong> l’autre côté<br />
<strong>de</strong> la frontière, une jolie blon<strong>de</strong> <strong>du</strong> Bitcherland. El<strong>le</strong> accepta toutes mes facéties et semblait<br />
m’aimer beaucoup. Doucement el<strong>le</strong> m’amadoua, me fit arrêter <strong>le</strong> déplacement en me trouvant<br />
un emploi dans une entreprise frontalière grâce à son beau-frère. Doucement et<br />
progressivement, el<strong>le</strong> me fit troquer mon éping<strong>le</strong> à nourrice contre une véritab<strong>le</strong> bouc<strong>le</strong><br />
d’oreil<strong>le</strong>. Ma mère en était ravie.<br />
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De fil en aiguil<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> essaya <strong>de</strong> me ranger. Au bout <strong>de</strong> quelques mois, un soir,<br />
un peu éméché, je lui ai même promis <strong>le</strong> mariage. Quel<strong>le</strong> grossière erreur j’ai faite <strong>le</strong> soir-là.<br />
Le <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main toutes <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux famil<strong>le</strong>s, la sienne et la mienne, étaient déjà au courant ! On décida<br />
d’une date et je ne pouvais plus faire marche arrière sans me compromettre méchamment.<br />
Je voyais <strong>de</strong> moins en moins mes amis et <strong>le</strong> nombre mes escapa<strong>de</strong>s<br />
rockanrol<strong>le</strong>sques avait cruel<strong>le</strong>ment diminué. Or cette fameuse date <strong>du</strong> mariage approcha,<br />
et approcha... et un week-end <strong>de</strong> juin 1980, un ami, a<strong>de</strong>pte <strong>de</strong> Rotten, lui aussi, per<strong>du</strong> <strong>de</strong> vue<br />
<strong>de</strong>puis longtemps, pointa son nez chez moi. Ayant planté ma voiture la semaine<br />
précé<strong>de</strong>nte, je sautais sur l’occasion pour sortir avec lui. Ce week-end là commença <strong>le</strong><br />
vendredi soir et termina <strong>le</strong> lundi matin pour al<strong>le</strong>r directement travail<strong>le</strong>r. A l’ancienne, quoi !<br />
Comme je n’avais plus <strong>de</strong> voiture, je n’étais pas allé <strong>voir</strong> ma chérie, qui n’était plus blon<strong>de</strong><br />
d’ail<strong>le</strong>urs, <strong>de</strong> la semaine, ni <strong>du</strong> week-end.<br />
C’en était trop pour el<strong>le</strong>. Le lundi soir el<strong>le</strong> me téléphona, essayant <strong>de</strong> me faire peur dans<br />
l’intention <strong>de</strong> me remettre sur <strong>le</strong> bon chemin, en me faisant sa<strong>voir</strong> que je n’étais pas obligé <strong>de</strong> me<br />
marier avec el<strong>le</strong> et que si je <strong>le</strong> voulais je pouvais reprendre mes affaires déjà entreposées dans<br />
l’appartement que j’étais en train d’aménager pour nous, tout en pensant <strong>le</strong> contraire, bien sûr.<br />
J’ai sauté sur l’occasion, en la remerciant <strong>de</strong> tout cœur, et j’ai récupéré toutes mes affaires dans la<br />
soirée même. El<strong>le</strong> ne s’y attendait pas <strong>du</strong> tout. El<strong>le</strong> en était tel<strong>le</strong>ment pantoise et bluffée qu’el<strong>le</strong><br />
en est restée mé<strong>du</strong>sée comme <strong>le</strong> brochet qui vient juste d’aperce<strong>voir</strong> <strong>le</strong> pêcheur au bout <strong>de</strong> la<br />
gau<strong>le</strong> et ne sait plus où se fourrer. C’est con, mais c’est comme ça que c’est terminée cette histoire<br />
d’amour qui avait <strong>du</strong>ré <strong>de</strong>ux ans. En tout cas, ça m’a ôté définitivement toute idée <strong>de</strong> mariage <strong>de</strong><br />
mon esprit.<br />
Je continuais toujours à travail<strong>le</strong>r sur <strong>le</strong>s chantiers en Al<strong>le</strong>magne<br />
avec son beau-frère. J’habitais encore chez mes parents et ceux-ci commençaient à, comme aurait<br />
dit Audiard, “me <strong>le</strong>s briser menu” ! Ils m’en voulaient pas mal, surtout après <strong>le</strong> coup pendab<strong>le</strong><br />
que je <strong>le</strong>ur avais joué et qui nuisait énormément à la sacro-sainte image à laquel<strong>le</strong> ma mère tenait<br />
tant. Certains <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs amis avaient déjà acheté <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>aux pour mon mariage. Vous pensez,<br />
à la honte que ma mère trainait ! J’ai donc décidé <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir indépendant et j’ai emménagé<br />
chez un pote en instance <strong>de</strong> divorce quelques bornes plus loin, à Lemberg. On remarque bien<br />
que c’est cet esprit bitcherlän<strong>de</strong>r <strong>de</strong> solidarité qui m’a poussé à venir chez Max. Celui-ci était au<br />
chômage et ma contribution lui permettait <strong>de</strong> vivre et <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r son logement. Je quittais mes<br />
vieux, mais je faisais <strong>du</strong> social en même temps. Ce n’est pas rien ça ? Bon, chez Max c’était la<br />
teuf tous <strong>le</strong>s soirs et certains matins j’avais beaucoup <strong>de</strong> mal à me réveil<strong>le</strong>r. En hiver <strong>le</strong>s journées<br />
sont ru<strong>de</strong>s sur <strong>le</strong>s chantiers.<br />
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Je travaillais à Bexbach, Sarre, à la construction d’une centra<strong>le</strong> thermique au<br />
charbon. Nous étions une équipe <strong>de</strong> huit frontaliers, un minibus p<strong>le</strong>in quoi, ramassés tous <strong>le</strong>s<br />
jours par un Ford Transit orange. Sur <strong>le</strong> chantier nous étions toujours bien vu par <strong>le</strong>s chefs,<br />
pas trop par <strong>le</strong>s ouvriers, car on bossait comme <strong>de</strong>s fous, trop à <strong>le</strong>ur goût. Les Al<strong>le</strong>mands<br />
étaient plutôt cools à la tâche. Il parait que dans <strong>le</strong>s usines ce n’était pas pareil, mais sur <strong>le</strong>s<br />
chantiers ils n’en chiquaient pas une, pas grand chose en tout cas. Ils ne <strong>le</strong>vaient pas une<br />
planche <strong>de</strong> plus que toi, ils <strong>le</strong>s comptaient ! On ne peut pas tout faire, compter et travail<strong>le</strong>r,<br />
c’est pourquoi <strong>le</strong>s “Polier”, chefs en al<strong>le</strong>mand, nous aimaient bien. Avec nous ça avançait.<br />
Alors, au début, lorsqu’il m’arrivait <strong>de</strong> ne pas me réveil<strong>le</strong>r un lundi<br />
matin, <strong>le</strong>s chefs fermaient un œil, sachant que <strong>le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main je me donnerais <strong>de</strong> nouveau à<br />
fond. Ils me <strong>de</strong>mandaient toujours combien <strong>de</strong> coups j’avais tirés, riaient et me conseillaient<br />
d’en profiter un max, <strong>de</strong> la vie. Sûrement qu’ils n’y arrivaient plus, eux. C’était comme ça<br />
au début. Mais à la longue ça use tout <strong>de</strong> même et <strong>le</strong>s “Blo Menda”, littéra<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s lundis<br />
b<strong>le</strong>us, commençaient à peser. Or <strong>le</strong>s soirées chez Max étaient <strong>de</strong> pire en pire. Nous avions<br />
créé une communauté <strong>de</strong> bouffe avec <strong>de</strong>ux autres potes, Didi et Flo. Tous <strong>de</strong>ux travaillaient<br />
ensemb<strong>le</strong> comme installateurs sanitaires dans la même entreprise à Bitche. La même d’ail<strong>le</strong>urs<br />
où travaillais mon ex-blon<strong>de</strong> comme secrétaire. Ils créchaient ensemb<strong>le</strong> dans une maison à<br />
Siersthal, quelques kilomètres plus loin. Une semaine nous mangions chez eux et l’autre ils<br />
mangeaient chez nous. Tout l’intérêt <strong>de</strong> cette communauté était basé sur <strong>le</strong> fait que cuisiner<br />
pour un nécessite presque autant <strong>de</strong> travail que pour quatre, et cela quasiment au même prix.<br />
Bon, <strong>le</strong>s économies passaient dans la boisson, mais passons, l’idée était très bonne. Avant <strong>le</strong><br />
covoiturage, <strong>le</strong> co... coocking à quatre !<br />
Je m’étais débrouillé pour être dans l’équipe cuisine. Après une ru<strong>de</strong> journée<br />
<strong>de</strong> boulot hiverna<strong>le</strong> en p<strong>le</strong>in air, <strong>le</strong> repas était généra<strong>le</strong>ment la <strong>de</strong>rnière marche qui te menait<br />
à ton lit, surtout lorsqu’il était copieusement arrosé. Je détestais, et je déteste encore, la corvée<br />
<strong>de</strong> vaissel<strong>le</strong> c’est pourquoi j’ai vite appris à cuisiner. Avec Flo on faisait <strong>de</strong>s merveil<strong>le</strong>s, avec une<br />
courgette et quelques pâtes nous arrivions à nourrir quatre gaillards affamés.<br />
Bonjour la farce... sans par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s steaks au whisky ! Toujours est-il que certaines nanas nous<br />
enviaient même. Ça sentait toujours la bonne cuisine par notre fenêtre, nous reflétions <strong>le</strong><br />
bonheur et, à part Max, nous bossions tous. Chose que <strong>le</strong> bitcherlän<strong>de</strong>r <strong>de</strong> base sait apprécier.<br />
Mais voilà, à ce rythme là, tu fatigues, même quand t’es jeune, et surtout<br />
quand <strong>le</strong> pote Max a décidé <strong>de</strong> rattraper <strong>le</strong> temps per<strong>du</strong> sur son célibat forcé et ramenait tous <strong>le</strong>s<br />
soirs une autre fil<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> lit communautaire. A la fin ça ne m’eut plus ému. Je m’endormais<br />
carrément alors qu’il continuait à lutiner la <strong>de</strong>moisel<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s jambes <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>-ci étalées sur mon dos.<br />
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Il arriva qu’un lundi, après un week-end plus festif que d’habitu<strong>de</strong>,<br />
je ne me suis pas réveillé à la sonnerie <strong>du</strong> réveil, ni au klaxon <strong>de</strong> notre fourgon. Il ne nous<br />
restait plus que l’équiva<strong>le</strong>nt <strong>de</strong> quinze euros pour tout notre ménage jusqu’à la fin <strong>du</strong> mois.<br />
Max et moi, nous étions tel<strong>le</strong>ment atteints que nous étions incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> faire quoi que ce soit<br />
ce jour là. Une vraie gueu<strong>le</strong> <strong>de</strong> bois, d’ébène Johnson ! Ensemb<strong>le</strong> nous nous sommes trainés<br />
au Tonneau, <strong>le</strong> bistro <strong>du</strong> coin où tous <strong>le</strong>s jeunes <strong>du</strong> village se réunissaient et nous avons claqué<br />
nos <strong>de</strong>rnières économies dans <strong>de</strong>ux steaks et une bouteil<strong>le</strong> <strong>de</strong> pif. Mais au fur et à mesure que<br />
la journée vieillissait, <strong>le</strong>s potes rappliquaient. Du coup nous ne sommes rentrés qu’à la<br />
fermeture, faits comme <strong>de</strong>s rats, <strong>le</strong> blouson encore rempli <strong>de</strong> canettes pour la nuit.<br />
Le <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, <strong>le</strong> réveil sonna... et, je me retournais dans <strong>le</strong> lit... Bref, <strong>le</strong> réveil fut encore plus<br />
douloureux que la veil<strong>le</strong> et un méchant sentiment <strong>de</strong> culpabilité commença à m’envahir.<br />
Alors, pour tromper l’angoisse, j’ai sorti la guitare et commencé à gratter <strong>le</strong> blues <strong>de</strong>s lundis<br />
b<strong>le</strong>us <strong>de</strong> Lemberg. Il est courant <strong>de</strong> dire “Faire b<strong>le</strong>u” pour exprimer <strong>le</strong> fait <strong>de</strong> ne pas al<strong>le</strong>r<br />
travail<strong>le</strong>r ou à l’éco<strong>le</strong>, dans toute la Mosel<strong>le</strong> germanophone. Il semb<strong>le</strong>rait que <strong>le</strong>s mineurs <strong>de</strong><br />
fond soient à l’origine <strong>de</strong> cette expression, mais ce n’est pas prouvé.<br />
Cette chanson eut un succès considérab<strong>le</strong> chez <strong>le</strong>s potes par la suite.<br />
Nous emmenions la guitare au bistro et tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> entonnait <strong>le</strong> “Lemberger Blo Menda<br />
Boogie Blues”. C’était, à l’époque, <strong>le</strong> tout début <strong>de</strong>s premières radios libres et Louis, un<br />
comparse et prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> notre association, <strong>le</strong> “Foyer Pour Tous <strong>de</strong> Lemberg”, avait réussi à<br />
obtenir une émission sur Radio Gaemundia à <strong>Sarreguemines</strong>. Il me proposa <strong>de</strong> la jouer en<br />
direct lors <strong>de</strong> sa première, ce que je me suis empressé d’accepter. Par contre, je n’étais pas un<br />
guitariste chevronné et je me mis à la recherche d’un virtuose. Je finis par <strong>le</strong> trouver dans<br />
<strong>le</strong> village à côté et une date fut fixée pour une répétition dans la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> réunion <strong>du</strong> foyer.<br />
Malheureusement il ne se pointa jamais.<br />
Ma guitare et mon ampli étaient remisés dans un coin <strong>de</strong> la pièce jusqu’au jour où<br />
passa Marlowe, un bitchois désireux, lui aussi, <strong>de</strong> créer une association dans sa vil<strong>le</strong> et venu se<br />
renseigner quant aux démarches à suivre. Lorsqu’il vit mon instrument, il me questionna sur<br />
mon projet, qu’il salua, et je lui fis part <strong>du</strong> manque d’assi<strong>du</strong>ité <strong>de</strong> mon guitariste. Son sourire<br />
s’illumina et, d’un air malicieux, il me proposa carrément un enregistrement chez lui, au<br />
Moulin <strong>du</strong> Ramstein. C’était mieux que <strong>du</strong> live à la radio. J’ai aussitôt acquiescé, ravi comme<br />
<strong>le</strong> père <strong>de</strong> Norah Jones !<br />
Vous pensez ! Ce n’était pas encore l’ère <strong>du</strong> numérique et <strong>le</strong>s enregistrements<br />
coûtaient bonbon. Trouver une tel<strong>le</strong> opportunité dans <strong>le</strong> pays <strong>de</strong> Bitche ? Je n’osais même pas<br />
<strong>le</strong> rêver. C’est quand même plus pro <strong>de</strong> se pointer à une radio avec une cassette que d’essayer<br />
<strong>de</strong> bidouil<strong>le</strong>r un son douteux en direct dans un studio aux dimensions inconnues.<br />
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N’ayant pour autre bagage dans ma vie que l’année d’histoire <strong>de</strong> l’art et<br />
la vie sexuel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s bétonneuses al<strong>le</strong>man<strong>de</strong>s, je ne réalisais pas encore ce que pouvait<br />
représenter ce genre <strong>de</strong> travail à ce moment-là. L’enregistrement ne pouvait se faire que <strong>le</strong><br />
samedi matin à Bitche et l’émission <strong>de</strong>vait débuter à 16 heures l’après-midi, à <strong>Sarreguemines</strong>.<br />
Ça risquait d’être court. Mais bon, je n’avais pas <strong>le</strong> choix, c’était ça ou rien. Donc <strong>le</strong> samedi<br />
en question, je me suis ren<strong>du</strong> pour la première fois au fameux Moulin <strong>du</strong> Ramstein à Bitche.<br />
J’y rencontrais Ralph, <strong>le</strong> frère <strong>de</strong> Marlowe, qui était un petit génie <strong>de</strong> la musique. Il était<br />
batteur <strong>de</strong> base, mais il touchait à tout, basse, clavier, accordéon et je ne sais quoi d’autre<br />
encore. Il trafiquait <strong>le</strong> piano familial, par exemp<strong>le</strong>, en fixant <strong>de</strong>s punaises sur <strong>le</strong>s marteaux<br />
afin d’obtenir un son <strong>de</strong> clavecin, mais chose la plus importante, il était l’heureux propriétaire<br />
d’un magnétophone quatre pistes et savait admirab<strong>le</strong>ment bien s’en servir. J’étais aux anges,<br />
car avec <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux frangins j’étais exactement tombé sur ce qu’il me fallait. Et, cerise sur <strong>le</strong><br />
gâteau, il y avait aussi Fred, un <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs potes, saxophoniste <strong>de</strong> son état. Nous étions partis<br />
pour faire <strong>du</strong> bon boulot.<br />
Comme je n’avais jamais eu l’occasion <strong>de</strong> chanter sérieusement, et dans <strong>le</strong>s temps, que<br />
<strong>le</strong> ronf<strong>le</strong>ment d’un moteur é<strong>le</strong>ctrique parasitait tout, l’enregistrement <strong>du</strong>ra plus longtemps<br />
que prévu. Fina<strong>le</strong>ment la maquette était terminée vers 16h, alors que l’émission venait déjà<br />
<strong>de</strong> commencer. Il fallait compter une bonne <strong>de</strong>mi-heure, en speedant bien, pour atteindre<br />
<strong>Sarreguemines</strong>. Nous pouvions y arriver avant la fin <strong>de</strong> l’émission qui <strong>du</strong>rait plus d’une heure.<br />
Mais bon, il fallait encore faire <strong>le</strong> p<strong>le</strong>in.<br />
Alors là, Starsky et Hutch étaient <strong>de</strong> véritab<strong>le</strong>s amateurs par rapport à<br />
notre départ <strong>du</strong> moulin, <strong>du</strong> ravitail<strong>le</strong>ment en essence, whisky et bière au supermarché et la<br />
traversée <strong>de</strong>s quatre premiers villages qui sillonnaient notre chemin... jusqu’au cinquième et<br />
là : Boum ! Ralph, qui con<strong>du</strong>isait, n’a pas réussi à éviter une voiture arrêtée au milieu <strong>de</strong> la<br />
chaussée. En p<strong>le</strong>in dans la boîte à benco ! Notre ai<strong>le</strong> était complètement défoncée et nous<br />
aussi. Surexcités par notre création, nous avions déjà torché <strong>le</strong> pack <strong>de</strong> bière et la bouteil<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
sky, à la moitié <strong>du</strong> chemin seu<strong>le</strong>ment. Impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> repartir. Nous étions effondrés.<br />
Quand tout à coup une moto s’arrêta à côté <strong>de</strong> nous : “Alors <strong>le</strong>s gars, <strong>de</strong>s problèmes ? ”.<br />
Ouah ! hourra, c’était “Jeune”, un gars <strong>de</strong> Bitche, un allumé <strong>de</strong> la<br />
vitesse. En trois secon<strong>de</strong>s Marc lui avait résumé la situation et je me retrouvais, dans la<br />
foulée, assis à l’arrière d’une moto lancée à 160 km/h, en train d’étouffer parce que je n’avais<br />
pas encore eu <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> baisser la visière <strong>du</strong> casque que l’on m’avait prêté, direction<br />
<strong>Sarreguemines</strong>, rue <strong>de</strong> la Montagne. Il nous aura fallu dix petites, mais horrib<strong>le</strong>s, minutes<br />
pour arriver <strong>de</strong>vant la radio. J’entrais, complètement éberlué, à la surprise <strong>de</strong> tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>,<br />
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Dossier <strong>de</strong> presse. Lucien et <strong>le</strong>s Missi<strong>le</strong>s, années 80. Extraits.<br />
car on ne m’attendait plus. Après que je <strong>le</strong>ur ai narré mon aventure, <strong>le</strong> micro coupé, ils me<br />
traitèrent <strong>de</strong> gros mythomane. Mais tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> se ravisa lorsque je sortis la cassette <strong>de</strong> ma<br />
poche. El<strong>le</strong> fit l’effet d’une bombe. Pensez donc, une langue en voie <strong>de</strong> disparition, sur un<br />
morceau <strong>de</strong> blues-rock américain. Eh ben, ça passait super bien. Louis était très emballé et<br />
me proposa <strong>de</strong> revenir la semaine suivante. L’alcool et autres psychotropes absorbés en route<br />
aidant, je promis <strong>du</strong> tac au tac <strong>de</strong>vant tout l’auditoire <strong>de</strong> revenir tous <strong>le</strong>s samedis, je ne pouvais<br />
plus faire marche arrière.<br />
C’est ainsi, <strong>de</strong> samedi en samedi, que notre futur répertoire prit forme.<br />
Ce n’était plus <strong>du</strong> punk, car Marlowe était un compositeur versati<strong>le</strong> aux goûts sûrs et bien<br />
établis. Au bout <strong>de</strong> quelques mois et suffisamment <strong>de</strong> chansons pour tenir <strong>de</strong>ux heures, nous<br />
décidâmes <strong>de</strong> former un véritab<strong>le</strong> groupe. En digne fils <strong>de</strong> représentant, j’estimais qu’il était<br />
important d’a<strong>voir</strong> un nom qui soit <strong>le</strong> plus vu, lu et écrit possib<strong>le</strong>, cela étant notre pub gratuite.<br />
Alors, d’un commun accord, nous avons retenu l’appellation : “Lucien et <strong>le</strong>s Missi<strong>le</strong>s”, car<br />
tous <strong>le</strong>s médias, journaux et télévisions, focalisaient énormément sur ces armes mo<strong>de</strong>rnes à<br />
cette époque troub<strong>le</strong>. Notre premier concert eu lieu à Noël dans la sal<strong>le</strong>, bourrée à craquer, <strong>du</strong><br />
Domino <strong>de</strong> Lemberg.<br />
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Il ne nous en fallait pas plus pour nous embal<strong>le</strong>r. Marlowe composait<br />
d’arrache-pied et j’avais la rime agi<strong>le</strong>. Nous ne nous quittions presque plus. En semaine je<br />
travaillais et <strong>le</strong> week-end je squattais <strong>le</strong> moulin. De temps en temps nous montions sur<br />
Strasbourg ou Haguenau, d’où provenaient certains <strong>de</strong> nos musiciens. De fil en aiguil<strong>le</strong>,<br />
j’arrêtais mon job en Al<strong>le</strong>magne pour me consacrer uniquement à la musique et partis vivre<br />
chez Marlowe à Strasbourg. Là-bas je vivais d’amour et d’eau fraiche, et surtout au crochet <strong>de</strong><br />
Marlowe qui était <strong>le</strong> seul à travail<strong>le</strong>r. Ce <strong>de</strong>rnier avait non seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> sens <strong>de</strong> la<br />
composition, mais aussi la fibre commerçante. Nous étions parmi <strong>le</strong>s musiciens <strong>le</strong>s mieux<br />
payés. Pour cela nous étions parfois onze sur scène et nous nous débrouillons toujours pour<br />
être parmi <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers ou <strong>le</strong> <strong>de</strong>rnier groupe à jouer lors <strong>de</strong>s festivals d’été. Notre réputation<br />
était sans cesse grandissante et notre public fut assez étonné d’apprendre que nous allions nous<br />
séparer au bout <strong>de</strong> trois années d’ar<strong>de</strong>nt Rock & Roll. Toutes <strong>le</strong>s bonnes choses ont un début<br />
et une fin, sauf <strong>le</strong> saucisson qui en a <strong>de</strong>ux. Voilà, nous ne nous entendions plus tel<strong>le</strong>ment,<br />
chacun voulait se diriger vers <strong>de</strong>s voies, tendances différentes.<br />
Cette pério<strong>de</strong> Strasbourgeoise <strong>de</strong> ma vie était assez trucu<strong>le</strong>nte.<br />
Je vivais chez Marlowe au début, puis au gré <strong>de</strong> mes conquêtes, sans mauvais jeu <strong>de</strong> mots,<br />
chez l’habitante. Au niveau pécuniaire, par contre, ce n’était pas trop la joie. Le petit nombre<br />
<strong>de</strong> cachets que je touchais était dépensé dans la soirée. Pour subsister dans la semaine, il fallait<br />
trouver <strong>de</strong>s petites combines. Il m’arrivait <strong>de</strong> passer une journée sans manger. Généra<strong>le</strong>ment je<br />
me débrouillais pour être invité à <strong>de</strong>s vernissages où je me nourrissais <strong>de</strong> champagne et petits<br />
fours. Au bout <strong>de</strong> quelques années, ça use tout <strong>de</strong> même.<br />
Marlowe avait trouvé un job comme “Jeune Volontaire”, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ses heures <strong>de</strong><br />
pion au lycée, à la Fédération Culture et Liberté. Ces <strong>de</strong>rniers avaient acheté un vieux bistro<br />
délaissé, au fin fond <strong>du</strong> Bitcherland, à Opperding. Même moi, pourtant originaire <strong>du</strong> coin,<br />
je ne connaissais pas ce lieu. Je croyais qu’on avait cloué <strong>de</strong>s planches avant pour en<br />
interdire l’accès. La fédé voulait y ouvrir un centre <strong>de</strong> loisirs équestres avec hébergement et<br />
tout <strong>le</strong> toutim. Comme j’étais désœuvré, la moitié <strong>du</strong> temps, et que je m’y connaissais en<br />
travaux et chantiers, Marlowe m’emmena avec lui. Ça payait juste <strong>le</strong>s repas. Au moins mon<br />
alimentation <strong>de</strong>vint plus régulière.<br />
Marc avait fait un peu d’équitation pendant sa petite enfance,<br />
sous la hou<strong>le</strong>tte <strong>de</strong> son grand-père, chez <strong>le</strong>s militaires à Bitche Camp. Il s’épanouit au contact<br />
<strong>de</strong>s bêtes et décida d’en faire son métier. De mon côté, je m’affirmais, au sein <strong>de</strong> la fédération,<br />
comme un brillant animateur enfance. Je me spécialisais dans la découverte <strong>de</strong> la nature,<br />
<strong>le</strong> camping, l’équitation, <strong>le</strong>s énergies renouvelab<strong>le</strong>s, et je ne sais quoi encore. J’étais <strong>de</strong>venu<br />
un vrai mercenaire <strong>de</strong> l’animation. Je partais neuf semaines en classe <strong>de</strong> neige, six en classes<br />
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Classe découverte. Entre Ohrenthal et Opperding.<br />
vertes, plus tard. Je me tapais toutes <strong>le</strong>s colos, camps d’ados, classes découvertes <strong>de</strong> la région.<br />
J’ai même suivi la formation d’animateur-interprète, pour l’Office Franco-Al<strong>le</strong>mand <strong>de</strong> la<br />
Jeunesse et j’accompagnais, comme “Teamer”, <strong>le</strong>s élèves et jeunes a<strong>du</strong>ltes <strong>de</strong> Mosel<strong>le</strong>, pendant<br />
<strong>le</strong>urs excursions dans <strong>le</strong> nord <strong>de</strong> l’Al<strong>le</strong>magne où je <strong>le</strong>urs servais <strong>de</strong> gui<strong>de</strong> et <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>cteur.<br />
Ces jobs étaient toujours à <strong>du</strong>rée déterminée et il me restait <strong>de</strong>s blancs entre <strong>de</strong>ux contrats.<br />
Je profitais <strong>de</strong> ces pério<strong>de</strong>s pour rejoindre Marco, c’est ainsi que <strong>le</strong>s bourgeois<br />
<strong>de</strong> <strong>Sarreguemines</strong> l’appelaient maintenant, “Marlowe” n’étant sûrement pas assez snob pour<br />
eux. Je passais alors mes étriers, éperons et par la suite, galops avec lui et Cyril<strong>le</strong> Bargeton, son<br />
formateur. Le matin je l’aidais au nettoyage <strong>de</strong>s boxes, au “Fum”, comme on dit dans <strong>le</strong> métier.<br />
Après cela, il me faisait travail<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s chevaux ou <strong>de</strong>s poneys jusqu’au repas.<br />
Une petite sieste <strong>de</strong> goret, dix minutes sur chaque oreil<strong>le</strong> et un quart d’heure sur la queue,<br />
et hop, nous voilà reparti au club pour monter un peu et se perfectionner. Et enfin donner<br />
<strong>le</strong>s quelques heures <strong>de</strong> cours aux jeunes. Passionnant comme métier ! Tel<strong>le</strong>ment même que j’ai<br />
pris <strong>le</strong> même virus que Marc et je décidais d’en faire moi aussi mon métier. J’aimais plus<br />
<strong>le</strong> côté nature et axais ma formation vers la randonnée et l’équitation d’extérieur, tout en<br />
continuant <strong>le</strong>s jobs d’animateurs. J’étais même <strong>de</strong>venu moi-même formateur BAFA.<br />
C’est lors d’une colo que j’ai rencontré cel<strong>le</strong> qui allait être la future mère <strong>de</strong><br />
ma fil<strong>le</strong>. C’était une malicieuse et délicieuse petite garce, adorab<strong>le</strong>ment carrossée.<br />
El<strong>le</strong> trompait allègrement son gars, un militaire <strong>de</strong> l’armée <strong>de</strong> l’air, tous <strong>le</strong>s soirs avec moi.<br />
Ma chambre se situait à côté <strong>de</strong> l’infirmerie et el<strong>le</strong> y était tout <strong>le</strong> temps. El<strong>le</strong> était prof <strong>de</strong><br />
danse près <strong>de</strong> Metz. C’était <strong>le</strong> coup <strong>de</strong> foudre sur <strong>le</strong> champ. J’étais chaud,... el<strong>le</strong>, aussi !<br />
J’ai largué ma régulière pour vivre avec el<strong>le</strong>... El<strong>le</strong> aussi ! De notre union est née, Tabata, la<br />
personne que j’aime <strong>le</strong> plus au mon<strong>de</strong> !<br />
E n n a issa n t e n L or r a i n e av e c <strong>de</strong> s s a bots | 12
L’amour rend aveug<strong>le</strong>. Cette nana me mena par <strong>le</strong> bout <strong>du</strong> nez pendant six ans.<br />
Six ans <strong>de</strong> galère, <strong>de</strong> tromperies, <strong>de</strong> misère, d’efforts pour rien. Non, j’ai encore ma fil<strong>le</strong>, c’est<br />
tout et c’est beaucoup déjà. Pourtant ces six années furent aussi la pério<strong>de</strong> où je vécus <strong>le</strong> plus<br />
béatement possib<strong>le</strong>. Ce fut l’ère <strong>de</strong> la passion, passion au lit, passion au travail, sans<br />
discernement, aucun. J’ai mis <strong>de</strong>ux à trois années pour revenir à la réalité après notre<br />
séparation, pour enfin découvrir fina<strong>le</strong>ment que j’ai vécu six années avec une mythomane.<br />
J’étais tota<strong>le</strong>ment investi dans mon métier et el<strong>le</strong> s’était arrangée <strong>de</strong> tel<strong>le</strong> façon que je n’ai à<br />
m’occuper <strong>de</strong> rien d’autre. Le mon<strong>de</strong> <strong>du</strong> cheval est un mon<strong>de</strong> à part, c’est sûr.<br />
Ce n’est pas <strong>le</strong> plus faci<strong>le</strong>, mais je vivais dans un mon<strong>de</strong> onirique<br />
où régnaient la passion, l’amour et la sueur. Il faut beaucoup <strong>de</strong> finesse pour enseigner<br />
l’équitation aux enfants, assumer tout <strong>le</strong> travail autour <strong>de</strong>s poneys et supporter la vanité <strong>de</strong>s<br />
parents d’élèves. C’était <strong>du</strong>r, c’était <strong>du</strong> boulot, mais c’était bien. Le soir, je rentrais vanné,<br />
atten<strong>du</strong> par une femme aimante et attentionnée. J’imagine que beaucoup <strong>de</strong> gens doivent<br />
rêver <strong>de</strong> ça. Je l’ai vécu et je ne <strong>le</strong> regrette pas. Même <strong>le</strong>s tonnes d’emmer<strong>de</strong>s qui me sont<br />
tombées <strong>de</strong>ssus et que j’ai subies par la suite ne me feront pas changer d’avis. Pas que je veuil<strong>le</strong><br />
<strong>le</strong>s revivre, désormais ça appartient au passé. J’ai eu beaucoup <strong>de</strong> mal à franchir <strong>le</strong> cap, je tiens<br />
toujours la barre et je vais toujours en avant.<br />
Quoi <strong>de</strong> plus cruel que <strong>de</strong> se <strong>voir</strong> en<strong>le</strong>ver son enfant. Le re<strong>voir</strong> un weekend<br />
sur <strong>de</strong>ux ne remplace pas la présence quotidienne <strong>du</strong> père et ce n’est pas en <strong>de</strong>ux jours<br />
qu’on rattrape une semaine, ni pour el<strong>le</strong>, ni pour moi. Je voulais <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur pour ma fil<strong>le</strong>, lui<br />
apprendre la vie au quotidien, jour après jour, geste après geste, pour qu’el<strong>le</strong> n’ait pas à subir ce<br />
que j’ai <strong>du</strong> en<strong>du</strong>rer. Je tenais, par-<strong>de</strong>ssus tout, à lui apprendre comment éviter <strong>le</strong>s écueils <strong>de</strong> la<br />
vie et voilà que ça se finit, comme ça, subitement, d’un coup. J’ai eu beaucoup <strong>de</strong> mal à assumer<br />
cela. Je suis même allé consulter une psy. Manque <strong>de</strong> bol, la psy est allée jouer Lady Di sous <strong>le</strong><br />
seul pont <strong>de</strong> Bitche. Parait-il que ce n’est pas bon d’arrêter en p<strong>le</strong>ine analyse, toujours est-il que je<br />
l’ai terminée tout seul.<br />
J’ai mis quelques années à rembourser <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ttes contractées avec notre coup<strong>le</strong>.<br />
J’ai ven<strong>du</strong> mes chevaux, car je ne pouvais plus continuer à <strong>le</strong>s é<strong>le</strong>ver correctement, tout seul.<br />
Je préfère carrément ne pas en a<strong>voir</strong> que <strong>de</strong> mal m’en occuper. Les animaux ont aussi droit<br />
au respect. Je ne travail<strong>le</strong> plus dans l’équitation. Depuis treize ans je suis gardien-réceptionniste,<br />
successivement, <strong>de</strong> l’ancienne décharge <strong>de</strong> Bitche, <strong>du</strong> centre <strong>de</strong> transfert <strong>de</strong>s déchets ménagers,<br />
et maintenant, <strong>de</strong> la nouvel<strong>le</strong> décheterie <strong>de</strong> Rohrbach-<strong>le</strong>s-Bitche. C’est un job peu gratifiant,<br />
mais tranquil<strong>le</strong>. Je n’aspire plus au grand amour, ni à la gloire. Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> simp<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> droit<br />
<strong>de</strong> pou<strong>voir</strong> apprécier <strong>le</strong>s joies <strong>de</strong> la terre.<br />
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