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Vapeur Mauve<br />
44<br />
Captain Beefheart & His<br />
Magic Band<br />
Trout Mask Replica (1969)<br />
Edgar Broughton Band<br />
Wasa Wasa (1969)<br />
Pete Brown & Piblokto<br />
Thousands On A Raft<br />
(1970)<br />
Quand, en 1969, Don Van Vliet publie cet album, il est à peu près certain<br />
que le le monde de la « pop music » n’est pas prêt à l’accueillir favorablement<br />
(l’est-il plus aujourd’hui ?). Beefheart repousse encore plus loin les<br />
frontières du « bon goût », en niant le plus possible ce qui constitue, encore<br />
aujourd’hui, les critères selon lesquels on admet qu’une musique est écoutable<br />
ou pas. Il est vrai que le Captain ne fait aucune concession et poursuit<br />
son œuvre de déconstruction des formes, déjà canonisées, du rock,<br />
du blues ou du jazz. Si on tend bien l’oreille, on retrouve des mélodies,<br />
des harmonies, des rythmes qui nous renvoient aux autres productions<br />
de l’époque. Mais le Magic Band s’y entend pour ne tomber dans aucune<br />
chausse-trappe que le confort d’écoute, d’un hypothétique public, pourrait<br />
lui tendre. Free jazz, dialogues impromptus, jeu bancal des guitares, batterie<br />
toujours à défier les lois de la pesanteur, basse en décalage perpétuel<br />
mais à l’assise impeccable… Et de tout cet apparent bric-à-brac musical<br />
surgit une musique inouïe. Et puis il y a la voix, le chant de Beefheart qui<br />
ne se soucie pas de flatter l’auditeur. Vocifération, mugissement et textes à<br />
l’unisson. Dada et les lettristes ont trouvé ici à qui parler !<br />
En juillet 1969, quand sort le premier disque d’un groupe connu que des<br />
freaks et de l’underground londonien, on n’en est pas encore à parler de<br />
hard rock ou d’un nouveau genre progressif. La musique d’Edgar Broughton<br />
échappe d’ailleurs à tout effort de catégorisation. Des racines blues<br />
évidentes, le son râpeux et corrosif des guitares, un chant proche de celui<br />
de Captain Beefheart (Electric Citizen), et des textes à la charge revendicatrice<br />
et « engagés », font de ce disque un de ceux qui vont faire basculer<br />
les sixties dans les seventies. Avec les Deviants puis Pink Fairies ou, d’une<br />
certaine manière, Hawkwind et High Tide, on assiste à une autre conception<br />
de la « pop music ». La violence tellurique des sons, la furie agressive<br />
des guitares et le refus de se plier à un quelconque format préétabli (d’ordre<br />
esthétique ou politique) font que ces groupes proposent des musiques<br />
moins assimilables, par l’establishment et le grand public, que ne l’étaient<br />
celles de nombre de leurs contemporains. En réécoutant aujourd’hui Evil,<br />
Love in the Rain ou Why Can’t Somebody Love Me, on est frappé par l’extraordinaire<br />
modernité de ce disque.<br />
Eh bien, s’il faut en choisir un de Pete Brown (auteur de nombreuses<br />
chansons pour Cream) ce sera celui-ci, bien que le précèdent (Things<br />
May Come And Things May Go, But The Art School Dance Goes On Forever)<br />
sorti la même année aurait tout à fait mérité de figurer dans cette<br />
sélection. Ou bien encore le premier Battered Ornaments. Thousands on<br />
a Raft est, parmi les disques du rock anglais, celui que je n’ai jamais réussi<br />
à prendre en défaut. Il n’est pourtant pas exempt de longueur (le titre Highland<br />
Song et ses longs soli) qui peut impatienter l’auditeur découvrant<br />
le disque aujourd’hui. Mais les textes poetico-surréalistes, la constante<br />
et lucide présence du musicien qui construit des arabesques guitaristiques,<br />
les mélodies attachantes et lumineuses, le mélange de pop song,<br />
les élans progressifs et la maîtrise instrumentale de chaque musicien font<br />
que, jamais, je n’ai pu me lasser de cet enregistrement depuis sa découverte<br />
en 1972.