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N° 41. Mars 2008. - Centre Régional des Lettres de Basse-Normandie

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Dossier<br />

D.R<br />

Barbey<br />

L’année<br />

Barbey d’Aurevilly,<br />

« Normand trente-six carats » !<br />

2008 sera incontestablement l’année Barbey d’Aurevilly. De nombreuses manifestations, publications salueront<br />

le bicentenaire <strong>de</strong> sa naissance en 1808 à Saint-Sauveur-le-Vicomte dans la Manche. Dominique Bussillet auteure<br />

d’un essai à paraître nous invite aussi à rencontrer l’homme <strong>de</strong>rrière les écrits <strong>de</strong> l’auteur.<br />

Né à Saint-Sauveur-le-Vicomte, Jules-<br />

Amédée Barbey d’Aurevilly fut un auteur fécond : critique,<br />

diariste, épistolier, romancier, nouvelliste…<br />

L’écriture était pour lui une nécessité intellectuelle et<br />

économique. Critiqué et caricaturé à son époque,<br />

Barbey d’Aurevilly dans ses écrits personnels laisse<br />

<strong>de</strong>viner un homme attachant… malgré les clichés et les<br />

raccourcis un peu hâtifs qui l’ont réduit à un personnage<br />

d’écrivain dandy, catholique et moralisateur.<br />

Gageons que cette année, commémoration du bicentenaire<br />

<strong>de</strong> sa naissance oblige, ren<strong>de</strong> justice à cet écrivain<br />

bas-normand exceptionnellement fécond. C’est ce que<br />

Dominique Bussillet, essayiste et romancière attachée<br />

au XIX e siècle, espère.<br />

Livre/échange : Votre essai consacré à Barbey<br />

d’Aurevilly s’intitule Une nature ar<strong>de</strong>nte. Quelle<br />

est la signification <strong>de</strong> ce titre ?<br />

Dominique Bussillet : Mon ambition était d’abord <strong>de</strong><br />

rendre l’univers particulier <strong>de</strong> Barbey d’Aurevilly : le<br />

XIX e siècle, le Cotentin. Et le Cotentin est une nature,<br />

non pas sauvage, mais ar<strong>de</strong>nte et civilisée puisque<br />

paysanne. Une nature, non pas domestiquée, mais<br />

humanisée. Parler <strong>de</strong> nature sauvage par rapport à un<br />

homme qui écrit <strong>de</strong> façon raffinée aurait été injuste. J’ai<br />

aussi choisi ce terme « ar<strong>de</strong>nt » parce que le feu est<br />

l’élément qui revient le plus souvent dans les livres <strong>de</strong><br />

Barbey d’Aurevilly. La nature est également en feu ; en<br />

rébellion, elle se met à l’unisson <strong><strong>de</strong>s</strong> sentiments passionnés.<br />

La flamme amoureuse, c’est tout le langage<br />

classique <strong>de</strong> la passion. Une nature ar<strong>de</strong>nte, c’est à la<br />

fois Barbey d’Aurevilly, ses personnages et le Cotentin.<br />

L/é : En quoi Barbey d’Aurevilly était-il une nature<br />

ar<strong>de</strong>nte ?<br />

D. B. : Barbey d’Aurevilly n’était nullement un être<br />

diabolique et provocateur ! C’était au contraire un<br />

être raffiné et sensible. Mais il avait gardé aussi <strong>de</strong><br />

ses origines espagnoles ce personnage d’hidalgo. Le<br />

feu et le sang, le rouge et le noir, Eros et Thanatos<br />

finalement, traversent son œuvre. Barbey d’Aurevilly<br />

a aussi créé <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages exceptionnels : Barbe<br />

Pétronille par exemple dans Le Chevalier Destouches.<br />

C’est véritablement une amazone !<br />

L/é : Barbey d’Aurevilly était <strong>de</strong>meuré très attaché<br />

à son pays natal.<br />

D. B. : Oui. Il se revendiquait « Normand buvant<br />

sec » et se disait « Normand trente-six carats » ! Il<br />

aimait aussi les repas flamboyants avec ses amis et<br />

s’enorgueillissait <strong>de</strong> tenir l’alcool.<br />

L/é : Les écrits <strong>de</strong> Barbey d’Aurevilly ont traversé<br />

les siècles. Certains ont été adaptés au cinéma.<br />

Comment expliquer cette longévité ?<br />

D. B. : Oui il y a un élément qui fait que certains <strong>de</strong> ses<br />

écrits ont perduré. Barbey d’Aurevilly a été considéré<br />

comme un écrivain catholique. Ses livres n’étaient<br />

pas interdits. Il avait une force d’écriture impressionnante.<br />

Mais il était mal connu à son époque.<br />

L/é : On disait <strong>de</strong> lui qu’il était un écrivain moralisateur.<br />

D. B. : Barbey d’Aurevilly a écrit Les Diaboliques car<br />

se sont <strong><strong>de</strong>s</strong> histoires dont il voulait connaître le <strong><strong>de</strong>s</strong>sous.<br />

Il donne à l’ensemble une valeur moraliste<br />

mais c’était pour montrer jusqu’où l’être humain<br />

peut aller. Son oncle mé<strong>de</strong>cin lui racontait <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

histoires. Des histoires sordi<strong><strong>de</strong>s</strong> qui l’intéressent<br />

au même titre que les légen<strong><strong>de</strong>s</strong>, les écrits anciens<br />

qu’il collationne. Barbey d’Aurevilly s’inspirait d’histoires<br />

vraies, <strong>de</strong> faits divers entendus alors qu’il<br />

était encore enfant. Devenu adulte, il a cherché à<br />

comprendre.<br />

L/é : Barbey d’Aurevilly ne se cache-t-il pas <strong>de</strong>rrière<br />

ses personnages comme <strong>de</strong>rrière cette apparence<br />

vestimentaire sophistiquée ?<br />

D. B. : Barbey d’Aurevilly est un homme distingué,<br />

intelligent et cultivé mais pauvre. Il se croyait laid. Il<br />

est persuadé que si sa mère ne l’aime pas, que s’il<br />

ne trouve pas l’amour, c’est à cause <strong>de</strong> sa lai<strong>de</strong>ur.<br />

Alors pour se rendre « aimable », il soigne son apparence.<br />

Il avance masqué. Mais ce masque <strong>de</strong> beauté<br />

a été forgé par la douleur, l’amertume et la déception.<br />

C’est un masque double, il le porte au propre<br />

comme au figuré. Barbey d’Aurevilly ne veut pas<br />

qu’on le démasque. Il entend rester impénétrable et<br />

joue les indifférents. Cette carapace, il se l’est probablement<br />

forgée très tôt. Toute son œuvre tourne<br />

autour du secret. Ce que Proust cernera très bien<br />

quelques décennies plus tard.<br />

Oui, Barbey d’Aurevilly est comme Hitchcock, il s’introduit<br />

dans ses livres. Mais il n’est pas toujours là<br />

où on le croit, <strong>de</strong>rrière le beau héros.<br />

L/é : Donc Barbey d’Aurevilly est un être plus<br />

complexe qu’il n’y paraît. Il n’est pas seulement<br />

mars 2008 - livre / échange 4<br />

ce dandy moqué par ses pairs et figé par la<br />

postérité ?<br />

D. B. : Dire que Barbey d’Aurevilly est un dandy est<br />

un contresens. Certes, il a écrit cet ouvrage Du dandysme<br />

et <strong>de</strong> Georges Brummell. Mais il écrit dès le<br />

début qu’aucun homme autre qu’Anglais ne saurait<br />

être dandy. Barbey d’Aurevilly admire le dandysme,<br />

le personnage <strong>de</strong> Georges Brummell. Mais c’est ce<br />

qu’il ne peut pas être : son éducation l’en empêche.<br />

L/é : Quelle était votre ambition en écrivant Une<br />

nature ar<strong>de</strong>nte ?<br />

D. B. : Je souhaite rendre sa véritable personnalité à<br />

Barbey d’Aurevilly. Il est adulé mais pas pour les<br />

bonnes raisons. Je ne veux pas que les gens l’aiment<br />

pour autre chose que ce qu’il était. « Si on veut<br />

savoir quelque chose <strong>de</strong> moi, on me lit ! » avait-il<br />

l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> dire. Je veux inviter le lecteur à être<br />

curieux, je lui donne <strong><strong>de</strong>s</strong> pistes pour l’œuvre <strong>de</strong><br />

Barbey d’Aurevilly car l’œuvre décrit l’homme. Elle<br />

dit un amour impossible. Elle parle d’un enfant triste<br />

qui cherche une justification à la vie. Ce que<br />

Proust aimait chez Barbey d’Aurevilly, c’était qu’il<br />

écrivait pour se faire plaisir. Devenu écrivain, je crois<br />

que Barbey d’Aurevilly a pris sa revanche sur cette<br />

pério<strong>de</strong> où on l’a maintenu dans l’infantilisme.<br />

L/é : Comment avez-vous « rencontré » Barbey<br />

d’Aurevilly ?<br />

D. B. : Je l’ai peut-être rencontré grâce à Proust.<br />

C’est véritablement une écriture flamboyante et<br />

ar<strong>de</strong>nte. Et Barbey d’Aurevilly a le sens du dialogue.<br />

Ses personnages ne parlent pas tous <strong>de</strong> la même<br />

manière et c’est un don très rare ! Lire Barbey<br />

d’Aurevilly est un plaisir âpre qui se mérite et s’apprivoise.<br />

Car on ne rentre pas aisément dans son<br />

œuvre. C’est une langue riche, extrêmement flui<strong>de</strong><br />

et contournée. Cela peut paraître compliqué mais<br />

une fois <strong>de</strong>dans, on ne peut plus s’arrêter !<br />

<br />

Propos recueillis<br />

par Nathalie Colleville<br />

Barbey d’Aurevilly, une nature ar<strong>de</strong>nte, essai<br />

<strong>de</strong> Dominique Bussillet et gravures <strong>de</strong> Gilbert Bazard<br />

(Cahiers du temps, 2008)

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