N° 41. Mars 2008. - Centre Régional des Lettres de Basse-Normandie
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Livres<br />
Le Soleil meurt dans un brin d’herbe - Møtus<br />
Le temps dans les rets du poète<br />
Jean Rivet publie un nouveau recueil dédié et consacré à ses petites-filles. Des poésies accessibles aux enfants<br />
mais fortement recommandées aux grands !<br />
Jean Rivet n’a pas oublié que lui aussi<br />
fut un enfant. Ce souvenir traverse ce nouveau recueil<br />
<strong>de</strong> poèmes offert à ses petites-filles. Son titre évocateur<br />
Le Soleil meurt dans un brin d’herbe dit joliment<br />
l’évanescence, la précarité <strong>de</strong> ces années d’enfance :<br />
la cruauté du temps qui passe consolée par la poésie,<br />
riche <strong>de</strong> son pouvoir <strong>de</strong> le retenir. « Quand tu seras<br />
mort/ Tu me donneras un souvenir ? » Il n’est pas<br />
vain le proverbe qui dit que la vérité sort <strong>de</strong> la bouche<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> enfants. Cette petite fille qui n’a connu qu’un chat<br />
tandis que son grand-père, lui en a déjà connu neuf…<br />
Pour le poète, le temps qui passe se mesure en chats…<br />
carte blanche<br />
Ses petites-filles ne resteront pas <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants éternellement.<br />
Elles <strong>de</strong>viendront <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes. Les verrat-il<br />
? Dans le poème, elles seront encore et pour toujours<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> petites-filles. Comme si la balançoire<br />
(balancier ?) qui les emporte parfois dans leurs jeux<br />
s’immobilisait pour l’éternité. En écrivant, le poète les<br />
gar<strong>de</strong> encore un peu contre lui. « Ne rien écrire/Ou<br />
juste pour toi / Parce que tu grandis / M’échappes ».<br />
Le livre a la politesse <strong>de</strong> ne pas s’étioler comme les<br />
souvenirs.<br />
Jean Rivet <strong>de</strong>meure incontestablement le poète <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
petits riens, le poète <strong><strong>de</strong>s</strong> instants, <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants pas en-<br />
mars 2008 - livre / échange 12<br />
core <strong>de</strong>venus grands ou bien peut-être <strong><strong>de</strong>s</strong> grands<br />
restés encore <strong><strong>de</strong>s</strong> enfants. Les riens qui font tout, les<br />
riens du tout : la jeune illustratrice <strong>de</strong> ce recueil en a<br />
tout compris. Ses montages délicats mettent en<br />
images ce que le poète met en mots. C’est vrai, la<br />
poésie est partout.<br />
Nathalie Colleville<br />
Les consignes sont faites pour être détournées ! Livre/échange avait commandé à Jean Rivet la chronique<br />
d’un ouvrage aimé. Mais ce qu’aime Jean Rivet avant tout, c’est écrire…<br />
« Je m’enfonce dans la nuit doucement. Sans espoir <strong>de</strong> possible retour.<br />
Mais qu’est-ce que l’espoir ?<br />
Je m’enfonce dans la nuit, et c’est bien ainsi. C’est bien ainsi qu’on le veuille ou<br />
pas.<br />
Quand j’écris <strong><strong>de</strong>s</strong> mots que je ne comprends pas toujours dans ce grand cahier<br />
à petits carreaux, j’ai en moi un espoir passager qui me submerge, <strong><strong>de</strong>s</strong> chemins<br />
parcourus, <strong><strong>de</strong>s</strong> soirs d’été, <strong><strong>de</strong>s</strong> soirs <strong>de</strong> jeunesse que j’ignorais. Que j’ignorais<br />
parce qu’il faut être vieux pour les goûter.<br />
Petit garçon, les petites filles venaient vers moi, me donnaient la main dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
nuits étoilées, éternelles.<br />
Et ce jardin ouvrier <strong>de</strong> mon père, qui était beaucoup plus qu’un jardin ouvrier :<br />
une allée droite qui conduisait à l’infini. Une allée droite avec à sa droite <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
gueules <strong>de</strong> loup, <strong><strong>de</strong>s</strong> gaillar<strong><strong>de</strong>s</strong> aux pétales jaunes, au centre presque rouge.<br />
Une petite allée bien nette –comme mon père– qui conduisait au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong><br />
l’horizon (parce qu’il n’existe pas), qui n’allait pas plus loin que l’enfance.<br />
La nuit.<br />
Il faudrait que je fasse quelques petits travaux : réparer la grille du jardin,<br />
nettoyer la véranda, retourner un peu <strong>de</strong> terre, changer une ampoule grillée.<br />
Mais à quoi bon ?<br />
Laissons les araignées dans leurs toiles, et les étoiles à leur place.<br />
Il faudrait que je l’embrasse dans le cou, juste à la naissance <strong><strong>de</strong>s</strong> ri<strong><strong>de</strong>s</strong> et que je<br />
lui dise encore « je t’aime ».<br />
Mais je ne fais plus rien.<br />
Plus rien sauf continuer à écrire.<br />
À écrire.<br />
À écrire jusqu’au bout, jusqu’à la fin.<br />
La vie défait tout. La mémoire refait le passé à sa manière. Cet après-midi j’étais<br />
avec ma chienne et ma chatte. J’ai eu le bourdon, alors je lui ai téléphoné. Elle<br />
m’a dit que je l’avais fait courir. Difficile d’être au diapason après plus <strong>de</strong> cinquante<br />
ans <strong>de</strong> mariage, difficile d’accepter ces corps blessés, <strong>de</strong> voir encore une petite<br />
musique dans nos yeux, d’accepter que la flamme se fasse rare puis s’éteigne.<br />
À vingt ans, mes modèles étaient les aventuriers <strong>de</strong> René Caillié, Alain Gerbault,<br />
Henri Lhôte… J’avais décidé <strong>de</strong> m’éloigner, <strong>de</strong> traverser le désert. Et pour me<br />
préparer je ne mangeais que du riz au lait, ne buvais pas une goutte <strong>de</strong> vin et<br />
même me rationnais en eau. J’allais traverser le désert, comme ça, pour rien et<br />
peut-être pour mourir en pleine jeunesse pour un appel que je ressentais infini.<br />
Mais voilà, elle avait, un beau matin, soudain traversé mon regard et j’avais été<br />
ébloui. Dix-huit ans, une silhouette parfaite, une taille fine, une poitrine qui<br />
appelait irrésistiblement la caresse, <strong><strong>de</strong>s</strong> yeux bleus qui valaient certainement<br />
une mort dans un vent <strong>de</strong> sable. J’étais <strong>de</strong>venu, en une secon<strong>de</strong> –le nez sur les<br />
bor<strong>de</strong>reaux <strong>de</strong> réescompte à la banque <strong>de</strong> France, un amoureux transi.<br />
Chaque trimestre, Livre/échange invite un lecteur à partager son coup <strong>de</strong> cœur<br />
« Plus rien sauf continuer à écrire »<br />
<br />
Le Soleil qui se meurt dans un brin d’herbe <strong>de</strong> Jean Rivet.<br />
Illustrations d’Au<strong>de</strong> Léonard (Møtus, 2007).<br />
Avec le concours du CRL et le soutien financier <strong>de</strong> la Région<br />
<strong>Basse</strong>-<strong>Normandie</strong>.<br />
Un jeune homme qui n’avait plus qu’une idée : la voir. Même pas la toucher, la<br />
voir, seulement la voir. Les longues attentes dans les couloirs du métro pour<br />
l’entrevoir. Le cinéma, parfois, le dimanche après-midi. L’argent qui me<br />
manquait pour lui faire <strong><strong>de</strong>s</strong> ca<strong>de</strong>aux. Alors je vendais mes livres, ceux d’Alain<br />
Gerbault, <strong>de</strong> René Caillié ou d’Henri Lhôte, tous mes livres d’aventure.<br />
Seulement pour qu’elle soit à côté <strong>de</strong> moi.<br />
L’amour se défait peut-être avec le temps, ce temps dont je sais qu’il n’existe<br />
que parce que nous sommes mortels.<br />
(Dis papy, c’est quoi l’amour ? Je ne sais pas ma chérie !)<br />
Vais-je aujourd’hui , n’écrire qu’un mot, pas une phrase, seulement un mot :<br />
verbe, adjectif, préposition (pourquoi pas ?), interjection, onomatopée ? Et bien<br />
d’autres, probablement. L’eau est verte, la fenêtre est fermée. Un mot, une<br />
phrase ? Du bleu ou du noir ? Juste ce qu’il faut pour continuer à avancer, pour<br />
accompagner les fruits mûrs, pour chercher à essayer <strong>de</strong> rejoindre, enfin, les<br />
vingt ans <strong>de</strong> la femme qu’on aime, ces jardins maintenant ensevelis qui furent<br />
chargés <strong>de</strong> roses, <strong>de</strong> lèvres entrouvertes.<br />
Et ne plus bouger. Juste la main. Juste la main, non pour le début <strong>de</strong> l’amour,<br />
mais pour écrire.<br />
Pour écrire comme si cela était naturel. Comme si le ciel ni l’horizon n’étaient<br />
jamais changeants.<br />
Toujours la neige fond. La balustra<strong>de</strong> noire ne m’a jamais quitté. Au-<strong>de</strong>là était<br />
l’aventure vers <strong><strong>de</strong>s</strong> continents inexplorés. Sur le rebord <strong>de</strong> la fenêtre, dans un<br />
reste <strong>de</strong> neige, <strong><strong>de</strong>s</strong> piafs attendaient quelque vaine nourriture. Je rêvais d’être<br />
avec eux, d’attendre la fonte <strong><strong>de</strong>s</strong> neiges et <strong>de</strong> survoler bientôt les rives <strong>de</strong> la<br />
Marne.<br />
Et je lisais. Je lisais Nils Holgersson, l’histoire <strong>de</strong> ce petit garçon, transformé en<br />
tomte, qui allait traverser la Suè<strong>de</strong> sur le dos d’une oie.<br />
Ce serait trop facile <strong>de</strong> disparaître comme ça, <strong>de</strong> tout oublier <strong><strong>de</strong>s</strong> bouquinistes<br />
près <strong>de</strong> la Seine dans un après-midi <strong>de</strong> dimanche, <strong>de</strong> toi avec moi après l’amour,<br />
<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> flocons silencieux qui nous faisaient penser à Utrillo, <strong>de</strong> ces séances <strong>de</strong><br />
cinéma dans les petites salles qui ont disparu.<br />
Oui, ce serait trop facile d’oublier son enfance, ce merle sur la balustra<strong>de</strong> noire<br />
quand tombait la neige, cette neige qu’on n’oublie pas parce qu’elle nous<br />
conduit à <strong><strong>de</strong>s</strong> territoires que nous chercherons toujours en vain.<br />
Jean Rivet<br />
<br />
Poète, Jean Rivet vit dans le Calavados. Il est le prési<strong>de</strong>nt <strong><strong>de</strong>s</strong> Rencontres pour Lire, lectures d’ouvrages<br />
par <strong><strong>de</strong>s</strong> comédiens, mise sen scène par François <strong>de</strong> Cornière, à Caen et en région.