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Octobre - Nervure Journal de Psychiatrie

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N°7 - TOME XIX - OCTOBRE 2006<br />

groupe schizophrène, avec en premier<br />

lieu la mise en évi<strong>de</strong>nce d’un<br />

effet d’interférence <strong>de</strong> son propre<br />

visage, qui s’est traduit par un ralentissement<br />

du traitement <strong>de</strong>s combinaisons<br />

incluant le visage propre du<br />

sujet, alors que l’on s’attendait au<br />

contraire à une facilitation <strong>de</strong> ce traitement.<br />

Cet effet paradoxal a été<br />

retrouvé dans les <strong>de</strong>ux groupes, mais<br />

<strong>de</strong> manière encore plus manifeste<br />

chez les patients schizophrènes, et<br />

d’autant plus dans <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong><br />

traitement explicite ; on retrouve ainsi<br />

la notion classique <strong>de</strong> la littérature<br />

<strong>de</strong> dissociation avec un traitement<br />

explicite déficitaire et un traitement<br />

implicite conservé dans la population<br />

schizophrène. De plus, alors que l’on<br />

faisait l’hypothèse d’un seuil <strong>de</strong> détection<br />

<strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité plus élevé chez<br />

les patients schizophrènes, un profil<br />

similaire au groupe témoin a été<br />

retrouvé. Toutefois, cette équivalence<br />

<strong>de</strong>s performances a été corrélée à<br />

un coût cognitif plus élevé dans le<br />

groupe schizophrène, les temps <strong>de</strong><br />

réaction s’allongeant avec l’augmentation<br />

du pourcentage du visage<br />

propre du sujet au sein <strong>de</strong> la combinaison.<br />

D’autre part, <strong>de</strong>s secteurs <strong>de</strong><br />

vulnérabilité ont été mis en évi<strong>de</strong>nce<br />

chez les patients schizophrènes, avec<br />

un traitement <strong>de</strong>s visages fragilisé par<br />

rapport aux témoins. En effet, ce traitement<br />

s’est révélé sensible à <strong>de</strong>s<br />

effets d’ordre (diminution <strong>de</strong>s performances<br />

en condition <strong>de</strong> présentation<br />

aléatoire), ou au contraire il<br />

s’est trouvé facilité pour <strong>de</strong>s visages<br />

intermédiaires, à l’i<strong>de</strong>ntité floue, et<br />

ce d’autant plus pour les combinaisons<br />

familier/inconnu.<br />

En conclusion, si le signe du miroir<br />

apparaît comme un symptôme historique,<br />

particulièrement rare, nous<br />

avons pu mettre en évi<strong>de</strong>nce au travers<br />

<strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong> un soubassement<br />

cognitif avec <strong>de</strong>s singularités du traitement<br />

<strong>de</strong> son propre visage dans<br />

le groupe schizophrène, qui pourraient<br />

participer à un déficit <strong>de</strong> la<br />

reconnaissance <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité dans<br />

cette population. ■<br />

Docteur Charles Gheorghiev<br />

Assistant <strong>de</strong> psychiatrie, Hôpital d’Instruction<br />

<strong>de</strong>s Armées Percy, 101 avenue Henri<br />

Barbusse, 92140 Clamart.<br />

Texte <strong>de</strong> la communication présentée à la<br />

104ème session du Congrès <strong>de</strong> <strong>Psychiatrie</strong> et<br />

<strong>de</strong> Neurologie <strong>de</strong> Langue Française à Brest,<br />

du 6 au 7 juin 2006 dans le cadre du Prix<br />

Première Communication <strong>de</strong> Bristol-Myers<br />

Squibb - Otsuka Pharmaceutical France.<br />

Bibliographie<br />

(1) ABELY P, Le signe du miroir dans les<br />

psychoses et plus spécialement dans la démence<br />

précoce, Annales Medico Psychologiques<br />

1930, 88, I, 28-36.<br />

(2) BRUCE V, & YOUNG A, Un<strong>de</strong>rstanding<br />

face recognition, British <strong>Journal</strong> of Psychology<br />

1986, 77, 305-327.<br />

(3) DELMAS FA, Le signe du miroir dans la<br />

démence précoce, Annales Médico-Psychologiques<br />

1929, 87, I, 227-233.<br />

(4) HARRINGTON A, OEPEN G, SPIT-<br />

ZER M, Disor<strong>de</strong>red recognition and perception<br />

of human faces in acute schizophrenia<br />

and experimental psychosis, Comprehensive<br />

Psychiatry 1989, 30, 376-384.<br />

(5) JOSEPH AB, Focal central nervous system<br />

abnormalities in patients with misi<strong>de</strong>ntification<br />

syndromes, 68-79, in : CHRISTODOULOU<br />

GN, The Delusional Misi<strong>de</strong>nti- fication Syndromes,<br />

Karger : Bibliotheca Psychiatrica,<br />

n°164, 1986.<br />

(6) KIRCHER TT, SENIOR C, PHILLIPS<br />

ML et al, Recognizing one’s own face, Cognition<br />

2001, 78, B1-B15.<br />

(7) LOCKE J, Essai philosophique concernant<br />

l’enten<strong>de</strong>ment humain, Paris, Vrin,<br />

1972.<br />

(8) MERLEAU-PONTY M, Phénoménologie<br />

<strong>de</strong> la perception, Paris, Gallimard, 1976.<br />

(9) POREH AM, WHITMAN RD, WEBER<br />

M et al, Facial recognition in hypothetically<br />

schizotypic college stu<strong>de</strong>nts. The role of generalized<br />

poor performance, <strong>Journal</strong> of Nervous<br />

and Mental Disease 1994, 182, 503-<br />

507.<br />

(10) SCHWARTZ BL, ROSSE RB, JOHRI S<br />

et al, Visual scanning of facial expressions<br />

in schizophrenia, <strong>Journal</strong> of Neuropsychiatry<br />

and Clinical Neurosciences 1999, 11,<br />

103-106.<br />

Le vol : « Acte <strong>de</strong> prendre ou <strong>de</strong> s’approprier<br />

sans autorisation le bien<br />

d’autrui » est largement répandu. Il fait<br />

partie <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’humanité (Eve<br />

n’at-elle pas volé la pomme ?) Il est<br />

présent dans toutes les cultures, accompli<br />

à tous les âges, indépendant <strong>de</strong> toute<br />

origine, classe ou croyance et implique<br />

une désapprobation morale et sociale.<br />

Conduite fréquente chez l’enfant et<br />

l’adolescent (4), le vol quand il persiste<br />

chez l’adulte est une réaction anti-sociale,<br />

souvent pathologique.<br />

La tolérance dont font preuve certaines<br />

cultures vis-à-vis <strong>de</strong> ces passages à l’acte<br />

à l’adolescence, nous fait penser que<br />

c’est peut-être un phénomène s’inscrivant<br />

dans une phase du développement<br />

humain et que seule sa persistance<br />

a valeur <strong>de</strong> symptôme : le vol<br />

comme solution à un conflit sous-jacent<br />

inconscient qu’il soit utilitaire (occasionnel,<br />

professionnel) ou franchement<br />

pathologique.<br />

C’est un fait juridique puni par la loi (à<br />

<strong>de</strong> rares exceptions près relevant <strong>de</strong><br />

l’article 122-1 et 2 du nouveau Co<strong>de</strong><br />

Pénal) même si on lui reconnaît parfois<br />

<strong>de</strong>s motivations sociologiques.<br />

Nous centrerons cette étu<strong>de</strong> sur la kleptomanie<br />

ou « désir irrationnel <strong>de</strong> voler<br />

pour <strong>de</strong>s motivations distinctes <strong>de</strong> l’utilité<br />

et reliées à l’inconscient chez un individu<br />

dont les autres aspects <strong>de</strong> la personnalité<br />

sont par ailleurs intacts ».<br />

Cette entité nosologique est apparue en<br />

France dans la première moitié du<br />

XIXème siècle. Pinel la distinguait déjà<br />

<strong>de</strong>s autres formes <strong>de</strong> vols pathologiques<br />

: « combien <strong>de</strong> mala<strong>de</strong>s, dit-il, au<br />

retour <strong>de</strong> leur accès ne peuvent s’empêcher<br />

<strong>de</strong> voler et <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s tours <strong>de</strong><br />

filouterie, tandis que dans leurs moments<br />

luci<strong>de</strong>s on les cite comme <strong>de</strong>s modèles<br />

d’une probité austère. Mais dans le cas<br />

dont je veux parler ici, le penchant au vol<br />

est permanent et n’est point accompagné<br />

d’aliénation mentale. La raison<br />

conserve tout son empire, elle résiste<br />

contre cette impulsion secrète ; mais le<br />

penchant l’emporte, il subjugue la volonté<br />

». (6)<br />

« L’impulsion à voler, ou vol sans nécessité<br />

» a été décrite (sous le terme <strong>de</strong><br />

klopémanie) pour la première fois en<br />

1816 par Matthey puis par Marc en<br />

1840 qui lui donna son nom <strong>de</strong> kleptomanie<br />

(du grec « je vole et folie »).<br />

Elle fut d’abord considérée comme une<br />

maladie (monomanie) puis comme un<br />

syndrome, et enfin comme un symptôme.<br />

Elle a parfois été niée, certains en<br />

faisant « une affection mentale fictive au<br />

profit <strong>de</strong>s classes aisées » comme<br />

Anteaume en 1925.<br />

Sa définition première rejoint celle du<br />

DSM IV : impossibilité répétée <strong>de</strong> résister<br />

aux impulsions <strong>de</strong> vol d’objets<br />

n’ayant ni utilité immédiate ni valeur<br />

monétaire avec tension croissante avant<br />

<strong>de</strong> commettre l’acte et gran<strong>de</strong> satisfaction<br />

après sa réalisation.<br />

C’est un acte solitaire qui n’est pas dû<br />

à un trouble <strong>de</strong>s conduites (ex : toxicomanie),<br />

ou le fait d’une personnalité<br />

antisociale. Il n’est pas commis sous<br />

l’influence d’une hallucination ou<br />

d’idées délirantes, ni pour exprimer la<br />

colère ou la vengeance.<br />

Ce vol pathologique doit être distingué<br />

d’un vol utilitaire « conscient et organisé<br />

» et d’un trouble mental organique<br />

(débilité, épilepsie, démence, troubles<br />

post-encéphalitiques etc ... )<br />

On peut y associer les troubles bipolaires<br />

avec le vol du mélancolique (1)<br />

ou du maniaque.<br />

Les discussions actuelles à propos <strong>de</strong> la<br />

kleptomanie s’efforcent d’expliquer le<br />

conduite kleptomaniaque et sa signification<br />

inconsciente plutôt que <strong>de</strong> lui<br />

assigner une place nosographique qu’elle<br />

a eu du mal à reconquérir en 1980<br />

dans le DSM III. C’est une pathologie<br />

très répandue mais difficile à évaluer<br />

car les patients ne viennent pas consulter<br />

spontanément (il s’agit souvent<br />

d’obligations <strong>de</strong> soins suite à <strong>de</strong>s problèmes<br />

judiciaires).<br />

D’autres l’évoquent avec plus ou moins<br />

<strong>de</strong> culpabilité au cours <strong>de</strong> thérapies<br />

Le vol et la<br />

kleptomanie*<br />

comme un phénomène transitoire lié à<br />

<strong>de</strong>s moments difficiles <strong>de</strong> leur vie.<br />

Véritable court circuit <strong>de</strong>s processus<br />

<strong>de</strong> mentalisation et <strong>de</strong>s affects, la kleptomanie<br />

est souvent associée à d’autres<br />

troubles comme l’anxiété, la dépression,<br />

la boulimie ou <strong>de</strong>s troubles<br />

sexuels (2). Les conditions <strong>de</strong> réalisation<br />

transgressives dans le suspens et<br />

la peur permettent <strong>de</strong> dénier l’angoisse<br />

mais aussi d’avoir une réelle fonction<br />

anti-dépressive tant au niveau <strong>de</strong>s<br />

mécanismes <strong>de</strong> défense et <strong>de</strong> la symbolique<br />

du vol qu’au niveau biochimique.<br />

Cette fonction thérapeutique du vol a<br />

été décrite dans le cadre <strong>de</strong> pathologies<br />

dépressives : psychasthénie, psychopathie<br />

: « pour revigorer un élan mental<br />

déficient » ou « comme compensation à<br />

l’auto-dépréciation par la satisfaction du<br />

vol réussi » (5), mais aussi, bien que rarement,<br />

dans le cadre <strong>de</strong> la mélancolie<br />

comme une conduite symbolique compensatoire<br />

<strong>de</strong> la perte d’objet (7).<br />

Pierre Janet rapporte ainsi en 1911<br />

l’observation d’une patiente mélancolique<br />

qui au décours d’un troisième<br />

accès dépressif grave guérit brutalement<br />

en découvrant par hasard le vol<br />

dans les grands magasins.<br />

L’explication <strong>de</strong> celle-ci fut que, en pratiquant<br />

son premier vol, elle avait ressenti<br />

un « bouleversement délicieux » à<br />

l’idée qu’elle était une vraie voleuse,<br />

et qu’elle s’était «sentie guérie en rentrant<br />

chez elle ». Elle recommence par<br />

la suite ces vols dès qu’elle a un nouvel<br />

affaissement <strong>de</strong> l’humeur et cela pendant<br />

plusieurs mois jusqu’à l’arrestation,<br />

qui provoque la rechute mélancolique.<br />

« On peut facilement vérifier, dit P. Janet,<br />

les rapports entre impulsion et dépression,<br />

et constater comment l’impulsion<br />

tire sa force du besoin d’excitation qui<br />

se développe au cours <strong>de</strong> la dépression<br />

par les sentiments d’incomplétu<strong>de</strong> qu’elle<br />

engendre (3) ».<br />

Cette patiente <strong>de</strong>vient en quelque sorte<br />

dépendante <strong>de</strong> sa « thérapie par le vol »<br />

avec une faça<strong>de</strong> <strong>de</strong> kleptomane qui<br />

fait écran quelques temps à la maladie<br />

cyclothymique.<br />

Cela démontre la limite du concept <strong>de</strong><br />

kleptomanie qui n’est en fait qu’une<br />

« impulsion symptôme », la plupart du<br />

temps sans obsession préalable (l’impulsion<br />

kleptomane étant le plus souvent<br />

sollicité par la vue <strong>de</strong> l’objet ce<br />

qui la distingue <strong>de</strong> l’obsession-impulsion<br />

<strong>de</strong> la névrose obsessionnelle.) Il<br />

s’agit plutôt d’une contrainte interne à<br />

laquelle le patient ne peut résister sous<br />

menace <strong>de</strong> rechute dépressive (réelle<br />

ou fantasmée).<br />

Mais il peut aussi prendre un autre<br />

« raccourci » associant recherche <strong>de</strong><br />

sensation et impulsivité.<br />

Ainsi, la boulimie, ou d’autres conduites<br />

addictives dont on connaît la comorbidité<br />

et qui ont pour caractère commun<br />

leur répétition, l’envahissement<br />

<strong>de</strong> la vie psychique et la <strong>de</strong>struction<br />

du champ <strong>de</strong> conscience au moment<br />

<strong>de</strong> l’acte : achats pathologiques, jeux<br />

pathologiques, dépendance à une substance<br />

psychoactive, etc... En effet :<br />

« L’imagination du kleptomane transforme<br />

la réalité en un mon<strong>de</strong> autre où il<br />

peut agir a sa guise. Il atténue les vives<br />

informations <strong>de</strong> la conscience et se transpose<br />

par l’imaginaire en un état hypnoï<strong>de</strong><br />

qui permet la réalisation du désir ».<br />

Stekel (8).<br />

Cette compulsion à se remplir <strong>de</strong> nourriture<br />

ou d’objets nous renvoie à <strong>de</strong>s<br />

carences précoces <strong>de</strong> la petite enfance.<br />

Car, comme nous le rappelle Winnicott,<br />

« L’enfant qui vole ne cherche pas<br />

l’objet volé mais cherche la mère sur<br />

laquelle il a <strong>de</strong>s droits (...). Il réclame à sa<br />

mère et à son père <strong>de</strong>s dommages et<br />

intérêts parce qu’il se sent privé <strong>de</strong> leur<br />

amour ». Il rapproche également cette<br />

boulimie d’objet <strong>de</strong> la gloutonnerie<br />

« précurseur du vol » : « En d’autres<br />

termes si un enfant est glouton il y a<br />

une certaine carence affective et une certaine<br />

recherche compulsive d’une thérapie<br />

par l’environnement en rapport avec<br />

cette carence ». (9)<br />

Le kleptomane ferait donc payer<br />

inconsciemment à la société la faillite <strong>de</strong><br />

l’environnement <strong>de</strong> sa petite enfance,<br />

mais l’impulsivité se limiterait à un territoire<br />

restreint (chez un individu par<br />

ailleurs normal ayant bien repéré la<br />

loi), et ne <strong>de</strong>viendrait pas comme chez<br />

le psychopathe un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> relation<br />

aux autres.<br />

Certains auteurs distinguent ainsi selon<br />

le type <strong>de</strong> kleptomanie, la symbolique<br />

<strong>de</strong>s objets volés, une fixation orale,<br />

anale (collectionneurs) ou phallique (2).<br />

Winnicott associe également vol et<br />

vagabondage à l’adolescence : le vol<br />

étant un geste centripète « ce geste <strong>de</strong> la<br />

main qui se tend vers le fruit mûr »<br />

(Lacan), véritable déplacement <strong>de</strong> l’interdit<br />

sexuel, et le vagabondage une<br />

tendance centrifuge, fuite du mon<strong>de</strong><br />

sexué <strong>de</strong>s adultes et l’acceptation <strong>de</strong><br />

sa propre finitu<strong>de</strong>. Dans les <strong>de</strong>ux cas il<br />

s’agit <strong>de</strong> refuser <strong>de</strong> grandir et <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r<br />

l’illusion infantile du sentiment d’éternité<br />

et <strong>de</strong> la toute puissance. Etre obligé<br />

<strong>de</strong> grandir c’est en quelque sorte<br />

être volé <strong>de</strong> son enfance ; en volant, le<br />

kleptomane se fait ainsi justice et se<br />

réapproprie avec jouissance l’objet <strong>de</strong><br />

ses désirs : sa mère. Cet acte s’accomplit<br />

le plus souvent en public dans les<br />

grands magasins avec le risque d’être<br />

pris, ce qui augmente l’excitation.<br />

On peut ainsi avancer l’hypothèse que<br />

la kleptomanie est un acte quasi incestueux<br />

avec en toile <strong>de</strong> fond la<br />

recherche inconsciente <strong>de</strong> la punition,<br />

<strong>de</strong> la loi du père.<br />

Ce serait donc un aménagement pervers,<br />

une solution permettant au sujet<br />

<strong>de</strong> conserver la mégalomanie primaire,<br />

sans pour cela verser dans la psychose,<br />

l’objet volé étant le fétiche à moins que<br />

ce ne soit l’acte en lui-même.<br />

Mais la signification sexuelle du vol<br />

échappe en règle au kleptomane alors<br />

qu’elle est nettement perçue par le fétichiste.<br />

Il s’agit ici plutôt d’un substitut <strong>de</strong><br />

la satisfaction sexuelle que d’une réelle<br />

jouissance. « L’objet d’amour du kleptomane<br />

est bien plus qu’un simple fait<br />

isolé, c’est le lieu d’invasion et <strong>de</strong> fixation<br />

<strong>de</strong> la réalité amoureuse, sensuelle et érotique<br />

dans un acte qui dépasse ne fusse<br />

qu’un instant très court les limites <strong>de</strong><br />

temps et d’espace » (8).<br />

La kleptomanie permettrait ainsi, <strong>de</strong><br />

manière transitoire à l’adolescence ou<br />

à certains moments <strong>de</strong> la vie, le retour<br />

à l’unité première où le sujet et objet<br />

étaient confondus, où le narcissisme<br />

ne connaissait aucune fissure.<br />

Beaucoup d’auteurs font remarquer sa<br />

plus gran<strong>de</strong> fréquence chez la femme<br />

et le lien avec la vie génitale, véritable<br />

« remè<strong>de</strong> » contre la perte d’objet : stérilité,<br />

décès ou départ d’enfant, ménopause<br />

etc..., d’autres mettent l’accent<br />

sur la crainte <strong>de</strong> la castration, l’envie<br />

du pénis et justifie ainsi sa fréquence en<br />

pério<strong>de</strong> menstruelle.<br />

La kleptomanie se caractérise donc par<br />

<strong>de</strong>ux pôles : d’un côté la révolte contre<br />

l’interdit du vol et <strong>de</strong> l’inceste, <strong>de</strong> l’autre<br />

le désir <strong>de</strong> punition.<br />

C’est dans le sens <strong>de</strong> cette recherche <strong>de</strong><br />

limites que le kleptomane doit être<br />

puni mais avec une « peine atténuée »<br />

car même s’il agit sous la « contrainte »<br />

pulsionnelle, il reste responsable <strong>de</strong> ses<br />

actes et ne peut être totalement exonéré<br />

<strong>de</strong> sa responsabilité pénale.<br />

Nous avons remarqué, au cours <strong>de</strong><br />

notre pratique, que beaucoup <strong>de</strong> « kleptomanes<br />

débutants » arrêtaient dès le<br />

premier procès et d’autres dès qu’ils<br />

CLINIQUE ■ 13<br />

avaient une vie affective satisfaisante. En<br />

effet « les conditions favorables peuvent<br />

avec le temps permettre à l’individu <strong>de</strong><br />

trouver une personne à aimer, au lieu<br />

<strong>de</strong> poursuivre sa quête en jetant son<br />

dévolu sur <strong>de</strong>s substituts <strong>de</strong> l’objet dont la<br />

valeur symbolique est perdue » (9).<br />

Cette étu<strong>de</strong> nous a permis <strong>de</strong> situer la<br />

kleptomanie comme solution dans la<br />

reconquête <strong>de</strong> la complétu<strong>de</strong> narcissique<br />

et <strong>de</strong> démontrer qu’il se joue là<br />

quelque chose <strong>de</strong> la perte <strong>de</strong> l’objet et<br />

<strong>de</strong> la jouissance.<br />

Le péché originel n’est-il pas plutôt<br />

d’avoir (acte sexuel) que d’avoir volé<br />

(sans nécessité)le fruit défendu du jardin<br />

d’E<strong>de</strong>n.<br />

Ce mythe fondateur <strong>de</strong> notre société<br />

ne renvoie-t-il pas simplement à l’insatisfaction<br />

fondamentale <strong>de</strong> l’homme et<br />

à sa crainte d’être dépouillé ou privé<br />

d’affection ? ■<br />

Le lavage <strong>de</strong> cerveau :<br />

mythe ou réalité<br />

Dick Athony<br />

Massimo Introvigne<br />

L’Harmattan, 17,50 €<br />

Régis Airault<br />

CH Mayotte, BP04, 97600 Mamoudzou<br />

* « Nom que l’on donne au vol quand il est commis<br />

par une personne appartenant aux classes dirigeantes<br />

» (Selon un humoriste du début du<br />

XX ème siècle).<br />

Bibliographie<br />

(1) DUBOIS J.Cl., RANCUREL G., Vol et<br />

mélancolie : à propos <strong>de</strong> 5 observations,<br />

Société Médico-psychologique, séance du<br />

20 mars 1967, 572-579.<br />

(2) GOLDMAN M.J., Kleptomania : making<br />

sense of the nonsensical, J. Psychiatry, 148,<br />

1991<br />

(3) JANET P. La kleptomanie et la dépression<br />

mentale, J. <strong>de</strong> <strong>Psychiatrie</strong>, 1911, 97-103.<br />

(4) LAUZEL J.P., Les vols chez l’enfant,<br />

Cahiers <strong>de</strong> l’hôpital Henri Rousselle, 4<br />

octobre 1960.<br />

(5) MARTIMOR E., Contribution à l’étu<strong>de</strong><br />

médico-psychologique du vol. Les états dépressifs,<br />

Annales médico-psychologiques,<br />

124ème année, 5, 635-643.<br />

(6) PINEL Ph, Traité Médico-philosophique<br />

sur l’aliénation mentale ou la manie, Paris,<br />

Richard, Caille et Ravier, an. IX, 318.<br />

(7) RAMELLI E., MAPELLI G., Du vol<br />

mélancolique, Acta. Psychiat. 1979, 79, 56-<br />

74.<br />

(8) SEGUIER H., Revue historique <strong>de</strong> la,<br />

notion <strong>de</strong> Kleptomanie, 1ère et 2ème partie.<br />

(9) WINNICOTT, De la pédiatrie à la psychanalyse,<br />

Petite bibliothèque Payot 1969.<br />

Cet ouvrage résume l’histoire scientifique<br />

et juridique <strong>de</strong> la question <strong>de</strong><br />

savoir si la notion <strong>de</strong> « lavage <strong>de</strong> cerveau<br />

», appliquée à <strong>de</strong>s « sectes » religieuses,<br />

politiques et thérapeutiques,<br />

est une notion utile dotée d’un statut<br />

scientifique, ou bien s’il s’agit d’un<br />

mythe <strong>de</strong> stigmatisation employé à<br />

<strong>de</strong>s fins <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong>. Cette question<br />

a fait l’objet d’analyses nombreuses<br />

et exhaustives <strong>de</strong>puis les années<br />

1950.<br />

Ce livre, qui résume l’essentiel <strong>de</strong> la<br />

recherche, retrace l’histoire <strong>de</strong>s conflits<br />

entre les différentes approches du lavage<br />

<strong>de</strong> cerveau, aux Etats-Unis et<br />

plus récemment en France. Comme<br />

il le démontre, l’une <strong>de</strong>s carences <strong>de</strong><br />

l’approche du lavage <strong>de</strong> cerveau dans<br />

la perspective anti-sectes, tient au fait<br />

que, en raison <strong>de</strong> sa nature ambiguë<br />

et peu scientifique, on peut l’appliquer<br />

à n’importe quel mouvement<br />

post-mo<strong>de</strong>rne. De surcroît, elle ne sert<br />

à rien pour déterminer quels groupes<br />

sont véritablement nocifs et quels<br />

groupes ne le sont pas. Un grand besoin<br />

<strong>de</strong> recherche se fait sentir, et une<br />

bonne part <strong>de</strong> celle résumée et mentionnée<br />

ici peut être d’un certain secours.

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