Octobre - Nervure Journal de Psychiatrie
Octobre - Nervure Journal de Psychiatrie
Octobre - Nervure Journal de Psychiatrie
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
N°7 - TOME XIX - OCTOBRE 2006<br />
subjectale », sont autant <strong>de</strong> concepts<br />
élaborés pour faire <strong>de</strong> la réintégration<br />
dans le socius autre chose<br />
qu’une éviction à rebours. Dans ce<br />
sens, Oury a choisi <strong>de</strong> faire son séminaire<br />
mensuel sur ce thème du « Politique<br />
» <strong>de</strong>puis plusieurs années à Sainte<br />
Anne à Paris. Mais je pense à un<br />
tout autre sujet, celui <strong>de</strong> la périnatalité.<br />
Lorsque j’ai donné mon livre à<br />
Françoise Molénat, qui a été l’inspiratrice<br />
<strong>de</strong>s textes « révolutionnaires »<br />
récents à ce sujet, elle m’a dit combien<br />
elle avait été influencée dans sa<br />
formation par les idées <strong>de</strong> la psychothérapie<br />
institutionnelle. Et quand on<br />
lit ses textes, et qu’on voit les objectifs<br />
qu’elle y expose, il est clair qu’elle en<br />
a intériorisé parfaitement les « invariants<br />
structuraux ». Qui aurait pu penser<br />
une chose pareille ? J’y vois le signe<br />
d’une gran<strong>de</strong> actualité et y retrouve la<br />
pertinence d’une « épistémé » <strong>de</strong> la<br />
relation humaine vulnérable. A ce<br />
titre, la psychothérapie institutionnelle<br />
a <strong>de</strong> beaux jours <strong>de</strong>vant elle !<br />
M. S.-C. : Une autre notion tend à se<br />
perdre, celle qui veut que la psychanalyse<br />
trouve aussi un terrain d’application<br />
dans la psychose. Salomon Resnik est<br />
un personnage qui vous est très cher…<br />
P.D. : Mon maître et ami Salomon<br />
Resnik est une figure impressionnante<br />
<strong>de</strong> la psychiatrie contemporaine,<br />
et je me suis souvent <strong>de</strong>mandé ce qui<br />
aurait pu se passer lorsque Tosquelles<br />
lui a <strong>de</strong>mandé, à l’époque où il hésitait<br />
entre la France et l’Angleterre, s’il<br />
accepterait <strong>de</strong> venir travailler avec lui<br />
à Saint Alban pour la formation psychanalytique<br />
<strong>de</strong> ses collègues. Outre<br />
son premier cursus <strong>de</strong> psychanalyse<br />
en Argentine sous l’égi<strong>de</strong> <strong>de</strong> Pichon<br />
Rivière et <strong>de</strong> ses élèves kleiniens, il a<br />
complété sa formation à Londres avec<br />
Mélanie Klein elle-même, mais aussi,<br />
excusez du peu ! avec Rosenfeld,<br />
Bion, Bick, Winnicott et quelques<br />
autres. Devenu leur ami, il a su explorer<br />
<strong>de</strong>s contrées inhabituelles et<br />
notamment celles <strong>de</strong> la psychose. Il<br />
fait sans doute partie <strong>de</strong>s quelques<br />
personnes qui peuvent comprendre<br />
les personnes psychotiques avec une<br />
intuition et une capacité d’interprétation<br />
proprement époustouflantes. Jean<br />
Ayme le présente comme un génie<br />
<strong>de</strong>s langues, sachant parler aussi bien<br />
l’espagnol, l’anglais, le français, le russe<br />
et l’italien que... « le psychotique » ! Et<br />
non seulement ses talents lui ont permis<br />
<strong>de</strong> soigner <strong>de</strong> très nombreuses<br />
personnes psychotiques, mais <strong>de</strong> plus<br />
il s’est intéressé <strong>de</strong>puis son très jeune<br />
âge à l’art sous toutes ces formes. Et<br />
on voit bien que le domaine <strong>de</strong>s sensations,<br />
que l’étymologie grecque éclaire<br />
puisque ce mot, qui vient <strong>de</strong> « aiesthesis<br />
» qui signifie « sensation », nous<br />
met directement en lien avec celui <strong>de</strong><br />
Revue Santé mentale<br />
au Québec<br />
Revivez la magie du colloque Rencontre<br />
avec quelques Lyonnais qui<br />
a eu lieu le 15 septembre au centre<br />
hospitalier du Vinatier. A travers<br />
le regard <strong>de</strong> cinq Lyonnais (Marcel<br />
Sassolas, Jacques Hochmann,<br />
Francis Maqueda, René Roussillon<br />
et René Kaës), le colloque a réinterrogé<br />
le parcours théorique et<br />
clinique suivi par ceux-ci afin <strong>de</strong><br />
répondre à quatre questions : comment<br />
ont-ils créé leur savoir clinique.<br />
D’où leur sont venues leurs<br />
hypothèses <strong>de</strong> travail ? Comment<br />
les ont-ils modifiées ? Quelle est<br />
l’influence <strong>de</strong>s facteurs personnels<br />
sur ce parcours ?<br />
Prenez connaissance <strong>de</strong> leurs réponses<br />
en visionnant leur conférence<br />
sur le site internet suivant<br />
http://rsmq.cam.org/smq/document/SiteBOA.htm).<br />
L’accès est<br />
gratuit.<br />
l’esthétique. Il y a donc une proximité<br />
logique entre ces mon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la psychose<br />
et <strong>de</strong> l’art et je crois que Salomon<br />
Resnik en a approché les confins<br />
et nous les a rendus accessibles plus<br />
que beaucoup d’autres. Je me souviens<br />
d’un colloque avec lui, Maldiney,<br />
Schotte et Oury au cours duquel<br />
ces notions avaient été exposées d’une<br />
façon très convaincante. Je crois que<br />
cela est paru sous le titre « comprendre<br />
la psychose » dans une <strong>de</strong>s<br />
revues <strong>de</strong> « Psychothérapie psychanalytique<br />
<strong>de</strong> groupe » autour <strong>de</strong> Jean<br />
Clau<strong>de</strong> Rouchy. L’ouvrage <strong>de</strong> Maldiney<br />
Regard, parole, espace est un<br />
<strong>de</strong>s livres les plus passionnants sur ce<br />
sujet, notamment lorsqu’il explicite le<br />
concept <strong>de</strong> « moment pathique ». Nul<br />
doute que les territoires psychiques<br />
en question sont <strong>de</strong> nature à nous<br />
éclairer sur les processus en jeu dans<br />
l’être au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s personnes psychotiques,<br />
jusques et y compris en<br />
matière d’autisme infantile. D’ailleurs,<br />
ce n’est pas par hasard que Tustin et<br />
Meltzer ont creusé la question <strong>de</strong>s<br />
difficultés <strong>de</strong> « consensuality » (à traduire<br />
plutôt par con-sensation que<br />
par consensualité) chez les sujets<br />
autistes.<br />
M. S.-C. : Quelles sont les perspectives<br />
pour <strong>de</strong>main ?<br />
P.D. : Il me semble très important<br />
aujourd’hui <strong>de</strong> reparler <strong>de</strong> toutes ces<br />
« vieilles choses » <strong>de</strong> la psychothérapie<br />
institutionnelle, parce qu’il s’agit d’une<br />
manière <strong>de</strong> pratiquer la psychiatrie<br />
qui a une cohérence profon<strong>de</strong>. Les<br />
impasses dans lesquelles certains bons<br />
esprits s’égarent sous couvert <strong>de</strong> science<br />
me préoccupent énormément et<br />
je rappelle souvent que la relation<br />
médicale est une <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> la<br />
relation humaine, et que si elle peut et<br />
doit bénéficier <strong>de</strong>s apports <strong>de</strong>s<br />
sciences dites dures, elle ne doit pas<br />
oublier qu’elle ne peut en aucun cas<br />
se réduire à la seule science sous peine<br />
<strong>de</strong> surprises éthico-déontologiques<br />
rapi<strong>de</strong>s. Nous avons tout intérêt à<br />
continuer <strong>de</strong> penser la psychiatrie<br />
comme une discipline installée en<br />
pont entre la mé<strong>de</strong>cine et l’anthropologie,<br />
entre les neurosciences et la<br />
psychopathologie, et à défendre cette<br />
position sur les plans éthiques et épistémologiques.<br />
A ce sujet, j’aime bien<br />
l’expression d’« anthropopsychiatrie »<br />
forgée par mon ami Jacques Schotte<br />
<strong>de</strong> l’université <strong>de</strong> Louvain la neuve,<br />
pour décrire ce projet <strong>de</strong> rencontre.<br />
Dans ce combat qui s’amorce, et qui<br />
peut prendre <strong>de</strong>s tours d’une violence<br />
extrême, le champ <strong>de</strong> la psychopathologie<br />
psychanalytique a une<br />
importance cruciale pour étayer la<br />
question humaine, et il serait incompréhensible<br />
d’avancer sans elle, sous le<br />
prétexte fallacieux qu’elle n’est pas<br />
démontrable. Le sens d’une vie est-il<br />
démontrable ? J’espère participer à<br />
mon niveau à cette aventure aussi<br />
passionnante que vitale pour la psychiatrie<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>main. Et dans cette<br />
aventure, la psychiatrie du bébé , et<br />
tout ce qu’elle porte en elle <strong>de</strong> pistes<br />
novatrices, peuvent nous ai<strong>de</strong>r considérablement<br />
à avancer. ■<br />
Notes<br />
(1) Inscriptions auprès <strong>de</strong> madame Caroline<br />
Debaecker, Service <strong>de</strong> formation<br />
médicale continue, Faculté <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine<br />
<strong>de</strong> Lille2, Pôle recherche, 59045, Lille<br />
ce<strong>de</strong>x. c<strong>de</strong>baecker@univ-lille2.fr<br />
(2) Le programme T4 est le texte réglementaire<br />
écrit par les responsables nazis<br />
pour planifier l’extermination du peuple<br />
Juif. Le film <strong>de</strong> Costa-Gavras, Amen, est à<br />
ce titre très intéressant puisqu’il met en<br />
scène cette horreur dans sa première partie<br />
; les critiques n’ont parlé que <strong>de</strong> la<br />
lâcheté du pape <strong>de</strong> l’époque, en omettant<br />
totalement la mise en place <strong>de</strong> ce<br />
programme monstrueux.<br />
(3) Je recomman<strong>de</strong> la lecture <strong>de</strong> L’êtrebébé<br />
<strong>de</strong> Bernard Golse, paru cette année<br />
aux PUF, dans la collection Le fil rouge.<br />
Une personne hospitalisée parce<br />
qu’elle souffre <strong>de</strong> troubles mentaux,<br />
une fois sur trois, a subi <strong>de</strong>s abus<br />
sexuels ou <strong>de</strong>s violences dans l’enfance.<br />
Devenue adulte et mala<strong>de</strong>, elle a<br />
trois fois plus <strong>de</strong> risque d’être victime<br />
<strong>de</strong> violence qu’un simple citoyen.<br />
Cependant, c’est elle qu’on va montrer<br />
du doigt si un crime est commis ;<br />
et la ficher ? Monsieur le Ministre se<br />
trompe <strong>de</strong> tiroir, c’est dans le fichier<br />
<strong>de</strong>s victimes qu’il doit ranger les<br />
mala<strong>de</strong>s mentaux, pas dans celui <strong>de</strong>s<br />
prédateurs.<br />
La croyance que les mala<strong>de</strong>s mentaux<br />
sont <strong>de</strong>s criminels en puissance est un<br />
travers <strong>de</strong> la pensée qui affecte les<br />
esprits les plus éminents. Un citoyen<br />
sur <strong>de</strong>ux est convaincu que les mala<strong>de</strong>s<br />
mentaux sont dangereux pour les<br />
autres, d’après un sondage réalisé par<br />
l’IPSOS en 2001. Malheureusement,<br />
un Ministre en est convaincu. Il eut<br />
mieux valu qu’il soit en charge d’un<br />
office plus futile mais il est à l’Intérieur.<br />
Cependant, il s’agit d’une croyance<br />
incroyablement banale et, à force d’être<br />
répandue, elle pousse les législateurs<br />
<strong>de</strong>s pays occi<strong>de</strong>ntaux à modifier leurs<br />
législation. C’est le cas du Royaume-<br />
Uni. Sept cents meurtres par an, dont...<br />
71 commis par <strong>de</strong>s personnes souffrant<br />
d’un trouble mental. Cela suffit,<br />
semble-t-il, pour proposer <strong>de</strong> modifier<br />
la législation en vigueur « afin que la<br />
population soit bien protégée <strong>de</strong>s individus<br />
qui peuvent être atteints <strong>de</strong> maladies<br />
mentales et représenter un sérieux<br />
danger pour le public, même s’ils n’ont<br />
pas été accusés d’un crime » (discours<br />
<strong>de</strong> Tony Blair le 20 novembre 2002).<br />
Les étu<strong>de</strong>s menées par les psychiatres<br />
anglais ont pourtant montré que le<br />
nombre <strong>de</strong> crimes perpétrés par <strong>de</strong>s<br />
personnes souffrant <strong>de</strong> maladies mentales<br />
est resté stable <strong>de</strong>puis 38 ans. Et,<br />
le nombre <strong>de</strong> crimes augmentant, la<br />
proportion <strong>de</strong> leurs crimes a continuellement<br />
baissé, au rythme <strong>de</strong> 3%<br />
par an. Une étu<strong>de</strong> britannique récente<br />
sur les violences domestiques montre<br />
que la maladie mentale y joue un rôle<br />
minime. Le principal facteur associé à<br />
cette violence est la prise d’alcool pour<br />
plus <strong>de</strong> 50% <strong>de</strong>s cas <strong>de</strong> violence physique.<br />
Ces préjugés contre la maladie<br />
mentale ont poussé les autorités <strong>de</strong><br />
santé <strong>de</strong> Nouvelle-Zélan<strong>de</strong> à comman<strong>de</strong>r<br />
un rapport sur la question. La<br />
réponse est la même : en dépit <strong>de</strong>s<br />
craintes du public, le nombre <strong>de</strong><br />
meurtres commis par <strong>de</strong>s personnes<br />
atteintes <strong>de</strong> maladies mentales a considérablement<br />
diminué <strong>de</strong>puis 1970 au<br />
rythme <strong>de</strong> 4% par an. En 2000, il<br />
représente 5% <strong>de</strong> tous les meurtres :<br />
95% <strong>de</strong>s meurtres sont accomplis par<br />
<strong>de</strong>s personnes ne souffrant pas <strong>de</strong><br />
troubles mentaux. Une étu<strong>de</strong> danoise<br />
menée sur 340 000 personnes, soit<br />
l’ensemble <strong>de</strong>s sujets nés après-guerre<br />
et suivis jusqu’à l’âge <strong>de</strong> 44 ans, montre<br />
que 5000 hommes ont été arrêtés<br />
pour <strong>de</strong>s actes violents commis au<br />
cours <strong>de</strong> leur vie ; seuls 453 présentaient<br />
un trouble mental sévère.<br />
En restant pru<strong>de</strong>nt, il est possible d’estimer<br />
que 90 à 95% <strong>de</strong>s meurtres sont<br />
le fait <strong>de</strong> personnes normales. 5 à 10%<br />
sont le fait <strong>de</strong> personnes souffrant <strong>de</strong><br />
maladies mentales sévères et, dans ce<br />
cas, la victime est le plus souvent un<br />
membre <strong>de</strong> l’entourage. Les crimes sur<br />
<strong>de</strong>s étrangers sont rarement le fait <strong>de</strong><br />
personnes mala<strong>de</strong>s.<br />
Vous ne risquez pas, en vous promenant<br />
dans la rue ou en allant faire vos<br />
courses <strong>de</strong> vous faire assassiner par un<br />
« mala<strong>de</strong> mental ».<br />
Les facteurs associés aux comportements<br />
violents sont les mêmes chez<br />
les personnes atteintes <strong>de</strong> maladies<br />
mentales que chez les personnes<br />
in<strong>de</strong>mnes : il s’agit <strong>de</strong> la consommation<br />
d’alcool ou <strong>de</strong> drogues et <strong>de</strong> la<br />
précarité. Les comportements violents<br />
sont également plus fréquents chez les<br />
hommes, les sujets jeunes et chez les<br />
personnes qui ont déjà commis <strong>de</strong>s<br />
actes violents. Ces facteurs sont connus<br />
<strong>de</strong>puis longtemps. La population seraitelle<br />
plus rassurée si l’on affichait <strong>de</strong>vant<br />
chaque mairie la liste <strong>de</strong> toutes les personnes<br />
qui ont pris une cuite ?<br />
La stigmatisation <strong>de</strong>s<br />
médias<br />
Malheureusement, il ne sert à rien <strong>de</strong><br />
lutter contre les préjugés sociaux. Plusieurs<br />
expériences montrent que la lecture<br />
<strong>de</strong> faits divers où il est indiqué<br />
que le criminel est atteint d’une pathologie<br />
mentale rend les lecteurs plus<br />
craintifs <strong>de</strong> la maladie mentale, plus<br />
favorables à <strong>de</strong>s traitements sous<br />
contrainte et plus enclins à isoler <strong>de</strong><br />
tels patients du reste <strong>de</strong> la société. Ces<br />
lecteurs évitent également <strong>de</strong> fréquenter<br />
<strong>de</strong>s personnes qu’ils savent<br />
atteintes <strong>de</strong> troubles mentaux et, cela<br />
va sans dire, <strong>de</strong> les ai<strong>de</strong>r.<br />
La télévision offre aussi son pesant <strong>de</strong><br />
stéréotypes qui forgent les attitu<strong>de</strong>s<br />
sociales <strong>de</strong>s citoyens. George Gerbner,<br />
un <strong>de</strong>s chercheurs les plus écoutés sur<br />
la violence dans les medias, a observé,<br />
aux USA, que 45% <strong>de</strong>s personnages<br />
télévisés sont violents et que cette proportion<br />
monte à 72% pour les personnages<br />
décrits comme <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s<br />
mentaux. Gerbner note également que<br />
la maladie mentale est, dans l’univers<br />
télévisuel, la seule caractéristique qui<br />
suffit à rendre les personnages féminins<br />
aussi violents que les hommes.<br />
Aucune campagne d’information n’aura<br />
assez d’impact pour contrebalancer<br />
une telle propagan<strong>de</strong> <strong>de</strong> stéréotypes<br />
sociaux. Faut-il, pour autant, créer <strong>de</strong>s<br />
lois pour rassurer le consommateur <strong>de</strong><br />
séries policières ainsi apeuré et prévenu<br />
contre la maladie mentale ? Est-il<br />
plus simple <strong>de</strong> ficher <strong>de</strong>s personnes<br />
mala<strong>de</strong>s que <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s recommandations<br />
aux groupes <strong>de</strong> communication<br />
? Est-il si compliqué <strong>de</strong> fournir<br />
en masse une distraction alternative à<br />
la présentation spectaculaire <strong>de</strong> criminels<br />
délirants ?<br />
Une loi trompeuse pour<br />
rassurer les effrayés<br />
Il faut prévenir les citoyens amateurs<br />
<strong>de</strong> télévision que les conséquences <strong>de</strong><br />
ce projet <strong>de</strong> loi vont aggraver leur situation.<br />
En effet, le principal facteur susceptible<br />
d’augmenter la violence d’un<br />
sujet délirant ou halluciné est le fait<br />
qu’il ne soit pas traité. Croyez-vous<br />
que, sachant qu’il sera fiché, cet individu<br />
acceptera d’aller chercher un traitement<br />
? Bien entendu, non. Le résultat<br />
prévisible <strong>de</strong> cette loi est : le patient<br />
refusera les soins, n’ira pas chercher <strong>de</strong><br />
l’ai<strong>de</strong>. Sans traitement, son risque <strong>de</strong><br />
commettre un acte violent augmente,<br />
une fois celui-ci commis, il sera alors<br />
soumis à l’emprisonnement. La conséquence<br />
sera une augmentation <strong>de</strong> la<br />
criminalité. Avec l’augmentation du<br />
nombre <strong>de</strong> mala<strong>de</strong>s mentaux dans les<br />
prisons, ces patients ne pourront pas<br />
être correctement soignés parce que<br />
tout simplement nos collègues <strong>de</strong>s<br />
SMPR ne sont largement pas assez<br />
nombreux pour soigner tout ce mon<strong>de</strong>.<br />
HUMEUR ■ 11<br />
La double-peine en psychiatrie ou<br />
comment le projet <strong>de</strong> loi <strong>de</strong> prévention<br />
<strong>de</strong> la délinquance va augmenter le<br />
nombre <strong>de</strong> « délinquants »<br />
Ces patients, s’ils ne se sont pas suicidés<br />
et s’ils n’ont pas été victimes <strong>de</strong> violence,<br />
sortiront alors en ayant reçu <strong>de</strong>s<br />
soins élémentaires. Pensez-vous sérieusement,<br />
après un tel parcours, que ces<br />
patients maltraités iront avec confiance<br />
poursuivre leurs soins auprès d’un service<br />
médical ? Ce succès prévisible<br />
<strong>de</strong>vrait inciter nos parlementaires et<br />
Monsieur Houillon, rapporteur du projet<br />
auprès <strong>de</strong> la Commission <strong>de</strong>s Lois,<br />
à examiner l’impact <strong>de</strong>s mesures envisagées<br />
sur l’évolution <strong>de</strong> la violence.<br />
Après s’être désolé <strong>de</strong>s dysfonctionnements<br />
<strong>de</strong> certaine institution, il s’agirait<br />
<strong>de</strong> franchir une étape dans le<br />
progrès et <strong>de</strong> prévenir <strong>de</strong> tels dysfonctionnements.<br />
Ainsi, le législateur contribuera<br />
indirectement à alléger la stigmatisation<br />
<strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s mentaux,<br />
victimes dans leur corps et dans leur<br />
esprit, victimes du regard que leur porte<br />
la société, ses représentants et ses communicants,<br />
victimes <strong>de</strong>s cruautés ordinaires<br />
et <strong>de</strong> la négligence <strong>de</strong>s bien-portants.<br />
Dresser la liste <strong>de</strong> toutes ces<br />
personnes - ces Martin, Durand,<br />
Dupont – c’est dresser la liste <strong>de</strong> nos<br />
carences, établir le fichier <strong>de</strong> nos petitesses,<br />
aménager un tiroir pour notre<br />
bonne conscience. ■<br />
Roland Dar<strong>de</strong>nnes<br />
PU-PH, Université Paris Descartes & Centre<br />
Hospitalier Sainte-Anne.<br />
Bibliographie<br />
BRENNAN PA, MEDNICK SA, HOD-<br />
GINS S, Major mental disor<strong>de</strong>rs and criminal<br />
violence in a Danish birth cohort, Arch Gen<br />
Psychiatry 2000, 57, 494-500.<br />
COID J. YANG M, ROBERTS A, ULLRI-<br />
CH S, MORAN P, BEBBINGTON P, BRU-<br />
GHA T, JENKINS R, FARRELL M, LEWIS<br />
G, SINGLETON N, Violence and psychiatric<br />
morbidity in the national household population<br />
of Britain: public health implications, Br<br />
J Psychiatry 2006, 189, 12-19.<br />
CORRIGAN PW, WATSON AC, WAR-<br />
PINSKI AC, GRACIA G, Implications of<br />
educating the public on mental illness, violence,<br />
and stigma, Psychiatric Services 2004,<br />
55, 577-580.<br />
LEVIN A, Violence and mental illness: Media<br />
keep myths alive, Psychiatric News 2001,<br />
36, 10.<br />
SIMPSON A, MCKENNA B, MOSKO-<br />
WITZ A, SKIPWORTH J, BARRY-WALSH<br />
J, Myth and Reality: the relationship between<br />
mental illness and homici<strong>de</strong> in New Zealand,<br />
Auckland, the Health Research Council<br />
of New Zealand 2003, 74 pages.<br />
TAYLOR PJ & J GUNN J, Homici<strong>de</strong>s by<br />
people with mental illness: myth and reality,<br />
Br J Psychiatry 1999, 174, 9-14.<br />
La mé<strong>de</strong>cine et les sciences<br />
XIX e -XX e siècles<br />
Jean-Paul Gaudillière<br />
La Découverte<br />
L’auteur part <strong>de</strong> l’idée selon laquelle<br />
la mé<strong>de</strong>cine est, <strong>de</strong>puis le milieu du<br />
XIX e siècle, organisée autour <strong>de</strong> trois<br />
pôles. mé<strong>de</strong>cine clinique, mé<strong>de</strong>cine<br />
sociale et mé<strong>de</strong>cine expérimentale.<br />
Leur particularité est affaire <strong>de</strong> lieux,<br />
d’acteurs, <strong>de</strong> rapports à l’économie<br />
ou à la politique mais aussi <strong>de</strong> manières<br />
<strong>de</strong> savoir. L’ouvrage les présente<br />
en insistant sur les multiples<br />
liens qui unissent expérimentation,<br />
soin, production matérielle et gestion<br />
politique <strong>de</strong> la santé. La <strong>de</strong>rnière partie<br />
confronte cette histoire aux enjeux<br />
<strong>de</strong> la biomé<strong>de</strong>cine contemporaine.