Mémoire - Strate Collège
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Omniscience du voyageur moderne<br />
D’autre part, une certaine omniscience s’est développée dans les<br />
déplacements : on connaît déjà tout des autres lieux : leur géographie, leur<br />
ethnographie, leur culture. Le guide du Routard propose environ 140 titres,<br />
concernant des villes, des pays ou des régions. Le Lonely Planet suggère<br />
environ 1000 itinéraires thématiques ou géographiques. Le voyage est<br />
désormais « pré-mâché » pour le voyageur : les sites lui sont conseillés,<br />
les restaurants et hôtels ont été essayés avant lui, un préambule lui résume<br />
l’histoire du pays parcouru.<br />
De plus le voyageur a de moins en moins besoin de s’adapter spécifiquement<br />
au pays qu’il parcourt. La barrière de la langue a quasiment disparu des<br />
transports : l’anglais est partout. La même nourriture est disponible partout :<br />
il y a désormais des Mac Donald et des Starbucks Coffee dans chaque<br />
aéroport. Le succès de ce type de fast-food s’explique par le fait que les<br />
consommateurs s’y sentent chez eux : les menus sont universels, ainsi que<br />
les décors et ameublements. Ces chaînes de fast-food servent de point de<br />
repère et rassurent le voyageur. Elles lui facilitent la tâche en lui permettant<br />
de se restaurer rapidement, et lui donnent l’impression de rejoindre pour un<br />
court laps de temps son pays d’origine. Il s’y isole le temps d’un repas du<br />
stress généré par un environnement inconnu.<br />
Déséquilibres du déplacement actuel<br />
Ennui du trajet moderne<br />
On s’est toujours ennuyé en voyage, mais la qualité de cet ennui a changé.<br />
Autrefois, durant les longs trajets, le voyageur vivait presque physiquement<br />
les aléas du chemin, les cahots et les ornières. L’allure n’altérait pas le<br />
sentiment de la distance et des obstacles surmontés ; le parcours était aussi<br />
une épreuve.<br />
L’ennui des voyageurs modernes est en partie fait de résignation. Du fait des<br />
progrès en techniques et en rapidité, les modes de locomotion se dévalorisent<br />
entre eux. Le voyageur en train soupire « en avion, j’y serai déjà ». De plus,<br />
être assis dans un avion ou un train, c’est être assis nulle part ; être comme<br />
au spectacle. Les voyageurs n’ont aucune perception inutile, il leur suffit<br />
d’admettre le paysage, il ne s’en suivra aucune conséquence pour eux. Le<br />
Dehors ne les touche pas. La vitre du train ou le hublot de l’avion sont<br />
comme un écran sur lequel un film se déroule.<br />
En voyageant, nous n’avons aucun droit aux lieux traversés. Nous<br />
appartenons finalement au couloir aérien ou aux rails du train. D’où notre<br />
fascination pour l’arrêt d’un train en rase campagne : c’est comme si l’on se<br />
réveillait d’un long somnambulisme de la vitesse.<br />
Le confort est donc un oubli des particularités propres de chaque moyen de<br />
transport : le tangage du bateau, le balancement du train, les tremblements<br />
de l’avion. La stabilité et l’insonorisation filtrent tout, jusqu’aux odeurs et<br />
aux rayons du soleil. Ce confort et cette linéarité créent une impression de<br />
vide. Cela s’apparente au confort de se tenir sur la surface de la terre : nous<br />
parcourons jusqu’à 40 000 kilomètres en 24 heures sans rien ressentir.<br />
L’ennui qu’on éprouve dans un train ou un avion n’est pas ordinaire, c’est<br />
un ennui qui n’attend rien, qui s’inquiète peu de la destination. Un ennui qui<br />
jouit de sa torpeur.<br />
26 / 70 Le Voyage / Omniscience<br />
Le Voyage / Ennui<br />
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