Mémoire - Strate Collège
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L’EXPÉRIENCE<br />
DU VOYAGE<br />
COLLECTIF<br />
MODERNE.
L’EXPÉRIENCE DU VOYAGE<br />
COLLECTIF MODERNE.<br />
<strong>Mémoire</strong> de diplôme.<br />
Esther Bacot.
Sommaire<br />
Le voyage<br />
4 / 70 5 / 70<br />
1.<br />
1.1 Moyens de transports<br />
12<br />
Le déplacement individuel<br />
La révolution industrielle et les voyages imaginaires<br />
Le voyage collectif moderne<br />
La recrudescence des pélerinages<br />
1.2 Typologies<br />
19<br />
Le voyage initiatique<br />
Le fait de partir<br />
Le voyage comme un remède<br />
1.3 Le voyage collectif actuel 25<br />
La banalité du déplacement<br />
Les déséquilibres du déplacement actuel<br />
Innovations actuelles
2.<br />
La perception et le ressenti<br />
2.1 La perception du temps 36<br />
Le temps et la durée<br />
Le rythme et la musique<br />
Le rêve<br />
2.2 La perception de l’espace 40<br />
Comment nous le ressentons<br />
Mécanismes cognitifs de la perception spatiale<br />
accès conscient et inconscient aux espaces<br />
2.3 La perception des autres 46<br />
Les sentiments induits par la perception d’autrui<br />
Le jugement<br />
Le besoin de souplesse<br />
6 / 70 7 / 70<br />
3.<br />
3.1 L’île de Pâques : exemple<br />
d’isolement complet 50<br />
3.2 Espace propre ou public: une<br />
frontière flexible 52<br />
Pratiques de l’espace public<br />
Produits industriels permettant de s’isoler en<br />
public<br />
3.3 Les objets s’adaptent au corps<br />
humain 58<br />
La souplesse dans l’objet<br />
L’ergonomie<br />
L’exemple de la position assise
Résumé 64<br />
Summary 66<br />
Bibliographie 68<br />
Introduction<br />
Le voyage est aujourd’hui omniprésent et accessible à tous. Le trajet qui y<br />
mène constitue un entre deux curieusement décalé : on sait où l’on va, on<br />
n’y est pas encore, et pourtant on est déjà parti, bref on est ailleurs. Le trajet<br />
est la première étape du voyage et sa conclusion ; il encadre les vacances<br />
ou le rendez-vous d’affaire. Notre vécu de ce déplacement conditionne<br />
beaucoup notre façon de voyager. Ce mémoire tente de retranscrire et<br />
d’élucider nos perceptions du déplacement et les interactions avec ce qui<br />
nous entoure pendant les trajets.<br />
Comment faire évoluer l’expérience et le ressenti dans l’ « entre-deux » du<br />
voyage : le transport?<br />
Le voyage a énormément évolué, à la fois dans les moyens de transport et dans<br />
ses typologies : les objectifs d’un voyage ne sont plus les mêmes que jadis.<br />
L’évolution qui mène du voyage solitaire et pédestre du manœuvre agricole<br />
au voyage collectif et touristique actuel sera l’objet d’un premier chapitre.<br />
Par ailleurs le fonctionnement des perceptions sensorielles nécessite d’être<br />
explicité. Nos perceptions sont omniprésentes, mais exacerbées lors d’un<br />
voyage qui nous sort de notre environnement quotidien. Ces perceptions<br />
influent sur notre bien-être. Le deuxième chapitre tentera donc de montrer<br />
l’écart entre la réalité et la manière dont nous la ressentons, notre capacité<br />
à être illusionnés. Enfin, dans le contexte d’un voyage moderne collectif,<br />
il semble nécessaire d’analyser les comportements humains en société.<br />
En effet on constate entre les sphères publiques et privées un besoin de<br />
frontières, mais souples, aussi bien au niveau d’un peuple tout entier qu’à<br />
celui d’un individu. Le troisième chapitre sera l’objet de cette analyse, au<br />
travers d’exemples comme celui de l’île de Pâques.<br />
8 / 70 9 / 70
Le Voyage 1 / 3<br />
VOYAGE: du latin viaticum, argent pour le voyage,<br />
Allée et venue d’un lieu à un autre.<br />
10 / 70 11 / 70
Moyens de Transport<br />
Autrefois déplacement individuel<br />
Les premiers voyageurs sont les ménestrels et troubadours, les marchands<br />
ambulants, les écuyers à la recherche d’un seigneur, se déplaçant à pied ou<br />
à cheval. Au-delà de leur fonction d’amuseurs et de guerriers, ces premiers<br />
voyageurs répandent les nouvelles à travers les régions. En effet avant<br />
l’arrivée des moyens de communication tels que la poste sous Louis XIV,<br />
l’échange d’informations est nécessairement associée au voyage.<br />
D’autre part le voyage pédestre est une action et une initiative personnelles :<br />
on se déplace, on choisit son trajet, on se confronte au chemin. Les premiers<br />
marchands ambulants du Moyen-Age sont d’ailleurs appelés les « pieds<br />
poudreux ». Le voyageur d’autrefois, en plus de la fatigue physique de la<br />
marche ou de l’équitation, peut facilement être victime des difficultés du<br />
trajet : le mauvais temps, les loups, les bandits de grands chemins. Les<br />
déplacements en diligence, qui se développent après la Renaissance,<br />
impliquent également des étapes dans les auberges, les calèches s’embourbent<br />
dans les ornières des chemins boueux, les essieux se brisent : le trajet reste<br />
aléatoire et l’arrivée à bon port hypothétique.<br />
Jusqu’à la révolution industrielle, le voyage est donc une épreuve difficile : le<br />
voyageur n’est jamais certain d’arriver en temps et en heure à destination.<br />
La révolution industrielle et les voyages<br />
extraordinaires<br />
La révolution industrielle au XIXème siècle voit naître les transports collectifs<br />
tels que les trains et les paquebots.<br />
Le déplacement devient alors nettement plus rapide. Un trajet parcouru à<br />
pied ou à l’aide d’une force animale (cheval) reste parcouru à une vitesse<br />
humaine. Mais se déplacer à l’allure d’un chemin de fer au XIXème prend<br />
un sens surnaturel, d’autant plus que la plupart des passagers ignorent les<br />
principes moteurs de la machine à vapeur. Du fait de la vitesse des premières<br />
locomotives, très importante par rapport à l’allure d’un cheval, les notions<br />
de distance et de durée changent. Le monde commence à se rétrécir : on<br />
quitte l’échelle humaine pour l’échelle industrielle.<br />
« C’était comme un grand corps, un être géant couché en travers de la<br />
terre, la tête à Paris, les vertèbres tout le long de la ligne, les membres<br />
s’élargissant avec les embranchements, les pieds et les mains au Havre<br />
et dans les autres villes d’arrivée. Et ça passait, ça passait, mécanique,<br />
triomphal, allant à l’avenir avec une rectitude mécanique, dans l’ignorance<br />
volontaire de ce qu’il restait de l’homme, aux deux bords, cachés et toujours<br />
vivaces, l’éternelle passion et l’éternel crime. » *<br />
Les repères du voyageur évoluent considérablement avec l’ère industrielle<br />
du fait de la vitesse et de l’aspect collectif dans un espace clos, mais aussi du<br />
fondement mécanique des nouveaux moyens de locomotion. Il y a désormais<br />
un clivage, une frontière entre la région traversée et le moyen de transport.<br />
« À ce moment, le train passait dans sa violence d’orage, comme s’il eût tout<br />
balayé devant lui. La maison trembla, enveloppée d’un coup de vent.»*<br />
Le déplacement à pied ou à cheval est supporté par un organisme vivant,<br />
donc une structure souple. Les articulations et les tendons amortissent les<br />
cahots du chemin. Au contraire, le trajet industriel repose sur une structure<br />
mécanique, particulièrement rigide. Jusqu’à la Renaissance, l’élaboration<br />
des constructions se base sur l’expérience, l’intuition, l’expérimentation au<br />
moyen de maquettes et de règles empiriques. La révolution industrielle<br />
a introduit la technologie et la physique dans cette discipline; à partir<br />
du XVIIIème les structures peuvent être calculées et leur comportement<br />
mécanique prévu analytiquement. Cette évolution permet le développement<br />
d’une grande variété de nouvelles solutions structurelles, et d’engins<br />
beaucoup plus impressionnants.*<br />
* L’art des structures, d’Aurelio Mutonni et Pierre-Alain Croset, Presses<br />
Polytechniques, p5.<br />
* La bête humaine, Emile ZOLA, édition Livre de Poche p 89<br />
12 / 70 Le Voyage / Déplacement Individuel<br />
Le Voyage / Nouveaux Repères<br />
13 / 70
Sur le taurreau de fer qui fume, souffle et beugle,<br />
L’homme a monté trop tôt. Nul ne connaît encor<br />
Quels orages en lui porte ce rude aveugle,<br />
Et le gai voyageur lui livre son trésor;<br />
Son vieux père et ses fils, il les jette en otage<br />
Dans le ventre brûlant du taureau de Carthage,<br />
Qui les rejette en cendre aux pieds du dieu de l’or.<br />
Mais il faut triompher du temps et de l’espace,<br />
Arriver ou mourir. Les marchands sont jaloux.<br />
L’or pleut sous les charbons de la vapeur qui passe,<br />
Le moment et le but sont l’univers pour nous.<br />
Tous se sont dit: «Allons!» mais aucun n’est le maître<br />
Du dragon mugissant qu’un savant a fait naître;<br />
Nous nous sommes joués à plus fort que nous tous.<br />
Le paquebot est constitué d’une immense armature d’acier, bien éloignée<br />
des voiliers de bois. La locomotive et ses wagons roulent sur des rails de fer.<br />
Cet état de fait confère une grande linéarité au transport de l’ère industrielle.<br />
Les trajets deviennent moins cahotiques, mais nettement plus violents en<br />
cas d’accidents. La violence de ces accidents créé une ambivalence entre<br />
la modernité des transports et le respect craintif envers les machines. Lors<br />
de l’accident spectaculaire de la gare Montparnasse, le 22 octobre 1895, les<br />
Parisiens sont venus en cortège observer la locomotive suspendue dans la<br />
rue pendant 4 jours, jusqu’à ce qu’elle ait pu être dégagée.<br />
L’ère industrielle voit apparaître des espaces publics dans les transports ;<br />
le pont d’un paquebot comme le couloir d’un wagon à compartiments. Le<br />
passager du XIXème est donc confronté aux autres dans un espace clos et<br />
restreint. Cet espace est beaucoup plus isolé qu’une diligence du fait de<br />
sa vitesse de déplacement. D’autre part les grands trajets sont devenus<br />
accessibles à un plus large éventail de classes sociales. Le moyen de<br />
transport devient un microcosme qui résume la société, et la segmente en<br />
trois classes.<br />
Le transport commence à se généraliser, tout en restant dans l’univers de la<br />
modernité de cette époque : une bulle mystique et grandiose pour la majorité<br />
des gens. Les voyages imaginaires narrés à cette époque, notamment par<br />
Jules Verne, revêtent un aspect fantastique.<br />
La révolution industrielle élabore un nouvel univers autour du passager :<br />
effectuer un trajet consiste désormais à se tenir à plusieurs dans un espace<br />
clos, espace qui lui-même se déplace à grande vitesse. C’est justement ce<br />
qu’affirme la devise du Capitaine Nemo à bord du Nautilus : mobilis in<br />
mobili : mobile dans l’élément mobile*. Le déplacement pédestre devient<br />
obsolète, tandis que les nouveaux moyens de transport, du train et des<br />
voitures jusqu’à l’aviation, se développent et exaltent l’imaginaire.<br />
14 / 70 La gare Saint-Lazare, Claude MONET, 1877<br />
Les Destinées, Alfred de VIGNY, strophes 1&2, 1842<br />
Le Voyage / Trajet Fantastique<br />
15 / 70<br />
.<br />
* Vingt mille lieues sous les mers, Jules Verne, édition livre de poche, p80.
Voyage collectif moderne<br />
Au cours du XX ème siècle, le transport se développe avec la démocratisation<br />
du tourisme, aussi bien dans le secteur ferroviaire que dans l’aviation. Les<br />
trajets sont alors optimisés au maximum : à la fois plus de rapidité et plus<br />
de passagers. La mise en place du TGV duplex en 1995 illustre bien cette<br />
optimisation : on cherche à augmenter la capacité et l’efficacité des lignes.<br />
Les transports et les déplacements deviennent peu à peu inévitables et<br />
incontournables dans nos sociétés : les routes et lignes ferroviaires tapissent<br />
le territoire, des autoroutes traversent les régions les plus reculées. En 2026,<br />
il y aura une autoroute à moins de 30km partout en France. Les couloirs<br />
aériens survolent l’ensemble. À chaque instant, toute une partie de la<br />
population est déplacée à grande vitesse, d’une frontière à l’autre, comme<br />
dans un monde parallèle.<br />
Ces transports ont perdu l’aspect mystique et impressionnant du XIXème siècle. Ils ont désormais le statut d’outil élémentaire et de service anodin.<br />
Hormis les enfants, personne ne s’émerveille d’aller de Paris à Marseille en<br />
3 heures. Cet anonymat du transport moderne semble venir de l’absence de<br />
sensations du trajet d’aujourd’hui : les bruits et secousses sont atténués au<br />
maximum. Après accélération, la vitesse est constante. Donc le passager ne<br />
ressent pas son déplacement.<br />
Le trajet collectif moderne, du fait de sa grande efficacité, cesse d’être un<br />
déplacement géographique et ressemble à un voyage dans le temps.<br />
Recrudescence des pèlerinages<br />
Cependant, on observe actuellement une recrudescence des déplacements<br />
pédestres. Ces types de déplacements nécessitent de disposer de beaucoup<br />
de temps, ils sont donc réservés aux vacanciers. En 2007, 114 026 pèlerins<br />
ont été à Saint Jacques de Compostelle, ils étaient 16 000 de plus qu’en<br />
2006. De même les randonnées à pied, à cheval, ou à vélo se développent :<br />
il y a 60 000 kilomètres de sentiers de grande randonnée en France. Cet<br />
engouement montre une volonté de vouloir être acteur de son déplacement,<br />
de s’inscrire dans le paysage et les régions traversées. Ces vacanciers veulent<br />
vivre leur trajet et être protagoniste de leur déplacement. Ils s’incorporent<br />
au paysage.<br />
Ce développement des randonnées ne concerne plus uniquement les sportifs,<br />
mais toutes les tranches d’âge et d’activité. Il peut être interprété comme<br />
une opposition inconsciente à la société du toujours plus vite, toujours<br />
plus efficace. Se déplacer à pied, compte tenu des outils industriels mis à<br />
notre disposition, est le summum de l’inefficacité : c’est une activité lente<br />
et fatigante. Elle s’oppose à la définition rentable des vacances : partir vite<br />
et s’y reposer beaucoup. Mais le succès de cette lenteur prouve son propre<br />
intérêt. Certaines personnes recherchent désormais une activité calme,<br />
répétitive et contemplative.<br />
Le moyen de transport et les motivations du voyage sont donc corrélés.<br />
16 / 70 Le Voyage / Evidence<br />
Le Voyage / Epreuve<br />
17 / 70
Évitons ces chemins. Leur voyage est sans grâces,<br />
Puisqu’il est aussi prompt, sur ses lignes de fer,<br />
Que la flèche lancée à travers les espaces<br />
Qui va de l’arc au but en faisant siffler l’air.<br />
Ainsi jetée au loin, l’humaine créature<br />
Ne respire et ne voit, dans toute la nature,<br />
Qu’un brouillard étouffant que traverse un éclair.<br />
On n’entendra jamais piaffer sur une route<br />
Le pied vif du cheval sur les pavés en feu:<br />
Adieu, voyages lents, bruits lointains qu’on écoute,<br />
Le rire du passant, les retards de l’essieu,<br />
Les détours imprévus des pentes variées,<br />
Un ami rencontré, les heures oubliées,<br />
L’espoir d’arriver tard dans un sauvage lieu.<br />
Typologies du voyage<br />
Le voyage initiatique<br />
La première motivation du déplacement humain a été la survie : avant la<br />
sédentarisation, les chasseurs-cueilleurs sont contraints de suivre le gibier<br />
pour se nourrir. De plus les événements naturels comme les incendies de<br />
forêts, sécheresse, séismes ou inondations le contraignent souvent à la<br />
fuite.<br />
Pendant la préhistoire, les hommes se déplacent dès les premiers homo<br />
erectus. Il ne s’agit pas de migration, mais de se détacher du groupe<br />
existant, pour assurer sa subsistance. Entre deux générations, environ 60km<br />
les séparent d’un point A à un point B. Peu à peu, ils passent d’un continent<br />
à l’autre. Durant l’ère quaternaire, il y a plusieurs vagues de grand froid,<br />
le niveau de la mer est 120m au-dessous du niveau actuel ; les îles et les<br />
continents sont donc reliés : les Îles Britanniques, le Japon, l’Amérique du<br />
Nord et le nord-est de l’Asie.<br />
Le voyage permet donc aux hommes préhistoriques de survivre et de<br />
peupler toute la planète, sans pourtant avoir d’autre moyen de transport que<br />
la marche. L’évolution découle en partie de ces déplacements : l’homme<br />
s’adapte peu à peu aux climats et aux contraintes.<br />
En parallèle, les évolutions démographiques poussent l’homme à<br />
s’approprier de nouveaux territoires. Lorsque la population augmente et<br />
s’enrichit, il conquiert d’autres régions pour subvenir à ses besoins. Les<br />
conquêtes impériales sont la suite logique d’un enrichissement du pays et<br />
d’une organisation sociale stable. Le parcours de l’empire romain suit cette<br />
logique, de même que celui de l’empire de Gengis Kahn.<br />
Mais au-delà de la survie, un individu peut aussi voyager pour lui-même :<br />
pour apprendre et progresser, pour s’enrichir.<br />
18 / 70 Les Destinées, Alfred de VIGNY, strophes 3 et 4<br />
Le Voyage / Survie<br />
19 / 70
Le premier objectif des explorateurs est souvent de découvrir de nouvelles<br />
richesses ou de nouveaux savoirs. Christophe Colomb obtient le budget de<br />
son voyage parce qu’Isabelle la Catholique espère une nouvelle route des<br />
épices, le commerce des épices étant jusqu’alors contrôlé par les Arabes et<br />
les Portugais.<br />
De même, les échanges entre civilisations leur permettent de se développer.<br />
L’empire romain reprend le savoir de la Grèce antique, puis la conquête<br />
de la Gaule développe la civilisation gallo-romaine. Le voyage est donc<br />
associé à l’apprentissage : les compagnons, en France, allaient de ville en<br />
ville apprendre le savoir des artisans de différentes régions, pour ensuite<br />
construire les cathédrales.<br />
Ainsi, le voyage permet à la culture et au savoir de circuler et d’évoluer.<br />
De nos jours, du fait de la mondialisation, une expérience internationale<br />
est généralement exigée pour l’obtention des diplômes et par les<br />
entreprises. Cette expérience ne vise pas seulement l’apprentissage d’une<br />
nouvelle langue, mais également l’épanouissement personnel, une capacité<br />
d’adaptation et une ouverture d’esprit. Par ailleurs, passer de l’adolescence<br />
à l’âge adulte est souvent associé au fait de quitter le nid familial.<br />
L’apprentissage en Allemagne, par exemple, ne consiste pas seulement à<br />
apprendre son métier sur les routes, mais aussi à ne pas revenir chez ses<br />
parents pendant 3 ans.<br />
En effet, s’imprégner de la variété des cultures révèle qu’il n’y a pas de<br />
vérité absolue et intemporelle dans le domaine des affaires humaines. Une<br />
époque, c’est-à-dire une période historique marquée par des événements<br />
importants ou par certains états de choses, est par définition différente de la<br />
suivante. Les groupes organisés d’êtres vivants qui constituent les sociétés<br />
créent ces différences. Tout varie en fonction des peuples et des époques<br />
donc en fonction de l’espace et du temps.<br />
La certitude de détenir la vérité est universelle, mais non la vérité ellemême.<br />
Le fait de partir<br />
Le travail a longtemps occupé la plus grande partie de la vie d’un homme.<br />
Cependant, on constate actuellement que la part de vie consacrée au travail<br />
chez les Occidentaux se réduit, pour laisser plus de place à la vie personnelle<br />
et aux vacances*. Cela s’est accentué en France depuis l’instauration des 35<br />
heures. Mais dès les premiers congés payés, le travail n’avait plus pour seul<br />
but de permettre de survivre, c’est-à-dire nourrir et loger sa famille. Il avait<br />
en partie pour objectif de financer les vacances. Ces vacances sont attendues<br />
avec expectative et font rêver. Elles commencent dés que l’on franchi le<br />
seuil de chez soi. Cet oubli du quotidien doit donc inclure le trajet.<br />
Le voyage de loisir, qui autrefois était surtout réservé à une population qui<br />
ne travaillait pas, est désormais lié au travail : on travaille pour pouvoir<br />
partir en vacances.<br />
Même s’il n’est pas indispensable, pour s’évader du quotidien, de partir<br />
physiquement, le réel est toujours plus riche, plus intéressant, plus<br />
surprenant que l’imaginaire. En effet, voyager, c’est en partie chercher à<br />
vérifier un rêve, et la rencontre avec un ailleurs concret. Les rêveries, les<br />
voyages immobiles ne sont qu’une sorte de consolation.<br />
*La civilisation des loisirs, Joffre Dumazedier, Seuil, 1972.<br />
20 / 70 Le Voyage / Apprentissage<br />
Le Voyage / Fuite<br />
21 / 70
Le voyage comme un remède<br />
L’habitude anesthésie la perception : nous sommes insensibles à la beauté<br />
des paysages familiers. Savourer son voyage consiste donc à être curieux et<br />
disponible, à suspendre son jugement. Ce qu’on retire du voyage dépend de<br />
l’état d’esprit dans lequel nous sommes.<br />
L’homme ressent le besoin d’aller à la rencontre d’autres peuples, d’autres<br />
cultures, quand il n’attend plus rien des repères habituels de son existence.<br />
Il veut rencontrer d’autres personnes que celles qui peuplent son quotidien.<br />
On peut remarquer que l’homme est très différent, durant son voyage : il a<br />
confiance dans le genre humain, va vers les gens, leur parle naturellement,<br />
est ouvert d’esprit, savoure le plaisir d’une relation à autrui plus authentique<br />
que celles que lui propose la vie quotidienne. En un mot, il est plus naturel<br />
et spontané. Nous ressentons du plaisir à l’idée d’être étranger : on y gagne<br />
un supplément de liberté.<br />
Le mot sédentaire vient du latin Seder : être assis. Aujourd’hui, il signifie,<br />
en partie, être assis dans une routine sans surprise et rassurante. Lorsque<br />
cette routine pose problème, que la lassitude ou la morosité s’installent, on<br />
espère que le voyage nous guérira.<br />
« Il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas »*<br />
Baudelaire,<br />
Le voyage n’est plus une fin en soi, mais un remède, un moyen. En effet,<br />
l’immobilité dans un lieu favorise l’introspection. L’homme moderne<br />
assis dans un lieu fixe et banal comme son bureau centre son esprit sur ses<br />
problèmes et ses angoisses, sur ses impératifs. Le voyage lui permet de se<br />
perdre de vue, d’avoir l’esprit occupé par l’ « ailleurs » qu’il découvre.<br />
L’homme moderne ne voyage pas pour voyager, mais pour aller mieux.<br />
Le véritable sens du voyage est peut-être de brouiller la conscience<br />
de soi et de lui substituer une conscience ébahie du monde.<br />
Le voyageur est confronté à une multitude de perceptions inédites<br />
qui absorbent son attention, et le détournent de lui-même.<br />
En rêve ou physiquement, il faut s’échapper du quotidien, pour reprendre<br />
conscience de la valeur du lieu qu’on habite. Pour trouver un juste équilibre<br />
entre ces deux extrêmes, et ainsi savoir les savourer à égale mesure.<br />
Les transports modernes ne semblent participer que très peu à ce besoin<br />
de guérison qui nous pousse aujourd’hui à voyager : les contraintes sont<br />
nombreuses et le rêve n’est pas là.<br />
22 / 70 Le Voyage / Remède<br />
*Étude sur Baudelaire: le spleen de Paris.<br />
Ellipses, 2000, p24.<br />
23 / 70
La distance et le temps sont vaincus. La science<br />
Trace autour de la terre un chemin triste et droit.<br />
Le Monde est rétréci par notre expérience,<br />
Et l’équateur n’est plus qu’un anneau trop étroit.<br />
Plus de hasard. Chacun glissera sur sa ligne,<br />
Immobile au seul rang que le départ assigne,<br />
Plongé dans un calcul silencieux et froid.<br />
Le voyage collectif moderne<br />
Banalité du déplacement<br />
Les trajets modernes ont été banalisés. En effet, le trajet en lui-même<br />
aussi bien que le voyage tout entier ne laisse plus beaucoup de place à<br />
l’imprévu.<br />
Il est presque impossible de s’égarer dans les transports modernes ; ces<br />
déplacements de masse laissent très peu d’autonomie au passager, donc très<br />
peu d’expérience individuelle. Pourtant l’errance et la lenteur permettent la<br />
réflexion.<br />
Dans son récit Voyage avec un âne dans les Cévennes*, Stevenson<br />
démarre son périple plein d’attentes touristiques, chargé d’atours savants et<br />
sociologiques. Il souhaite se cultiver, voir et apprendre autant que possible.<br />
Cependant son ânesse Modestine a un fort caractère, elle l’égare et le ralentit.<br />
Par sa lenteur et son hasard, l’ânesse plonge Stevenson dans l’errance. Grâce<br />
à Modestine, le voyage n’est plus géographique mais philosophique. Elle<br />
lui enseigne la patience, l’égarement, l’inconnu et la résignation.<br />
Le voyage de Stevenson est le parfait opposé du trajet moderne, qui est<br />
indéniablement calibré et efficace : chaque passager se voit attribuer une<br />
place, et attend que le trajet se passe sans avoir à chercher son chemin.<br />
Les points de départ et d’arrivée tels que les gares ou les aéroports, qui<br />
pourraient lui poser problème, sont surchargés d’informations : panneaux<br />
indicatifs lumineux, annonces vocales, parcours autocollants au sol. Les<br />
trajets en voiture peuvent parfois être associés à un transport collectif : sur<br />
l’autoroute. Les voitures, certes individuelles, roulent en flux continu, à<br />
vitesse réglementée, ne peuvent pas quitter la voie à tout moment, mais<br />
doivent attendre les sorties et payer un péage qui s’apparente finalement à<br />
un titre de transport.<br />
Cette organisation illustre bien la recherche de toujours plus d’efficacité,<br />
qui nous pousse finalement sur les rails du prévisible.<br />
*disponible chez Flammarion<br />
24 / 70 Les Destinées, Alfred de VIGNY, strophe 5<br />
Le Voyage / Banalité<br />
25 / 70
Omniscience du voyageur moderne<br />
D’autre part, une certaine omniscience s’est développée dans les<br />
déplacements : on connaît déjà tout des autres lieux : leur géographie, leur<br />
ethnographie, leur culture. Le guide du Routard propose environ 140 titres,<br />
concernant des villes, des pays ou des régions. Le Lonely Planet suggère<br />
environ 1000 itinéraires thématiques ou géographiques. Le voyage est<br />
désormais « pré-mâché » pour le voyageur : les sites lui sont conseillés,<br />
les restaurants et hôtels ont été essayés avant lui, un préambule lui résume<br />
l’histoire du pays parcouru.<br />
De plus le voyageur a de moins en moins besoin de s’adapter spécifiquement<br />
au pays qu’il parcourt. La barrière de la langue a quasiment disparu des<br />
transports : l’anglais est partout. La même nourriture est disponible partout :<br />
il y a désormais des Mac Donald et des Starbucks Coffee dans chaque<br />
aéroport. Le succès de ce type de fast-food s’explique par le fait que les<br />
consommateurs s’y sentent chez eux : les menus sont universels, ainsi que<br />
les décors et ameublements. Ces chaînes de fast-food servent de point de<br />
repère et rassurent le voyageur. Elles lui facilitent la tâche en lui permettant<br />
de se restaurer rapidement, et lui donnent l’impression de rejoindre pour un<br />
court laps de temps son pays d’origine. Il s’y isole le temps d’un repas du<br />
stress généré par un environnement inconnu.<br />
Déséquilibres du déplacement actuel<br />
Ennui du trajet moderne<br />
On s’est toujours ennuyé en voyage, mais la qualité de cet ennui a changé.<br />
Autrefois, durant les longs trajets, le voyageur vivait presque physiquement<br />
les aléas du chemin, les cahots et les ornières. L’allure n’altérait pas le<br />
sentiment de la distance et des obstacles surmontés ; le parcours était aussi<br />
une épreuve.<br />
L’ennui des voyageurs modernes est en partie fait de résignation. Du fait des<br />
progrès en techniques et en rapidité, les modes de locomotion se dévalorisent<br />
entre eux. Le voyageur en train soupire « en avion, j’y serai déjà ». De plus,<br />
être assis dans un avion ou un train, c’est être assis nulle part ; être comme<br />
au spectacle. Les voyageurs n’ont aucune perception inutile, il leur suffit<br />
d’admettre le paysage, il ne s’en suivra aucune conséquence pour eux. Le<br />
Dehors ne les touche pas. La vitre du train ou le hublot de l’avion sont<br />
comme un écran sur lequel un film se déroule.<br />
En voyageant, nous n’avons aucun droit aux lieux traversés. Nous<br />
appartenons finalement au couloir aérien ou aux rails du train. D’où notre<br />
fascination pour l’arrêt d’un train en rase campagne : c’est comme si l’on se<br />
réveillait d’un long somnambulisme de la vitesse.<br />
Le confort est donc un oubli des particularités propres de chaque moyen de<br />
transport : le tangage du bateau, le balancement du train, les tremblements<br />
de l’avion. La stabilité et l’insonorisation filtrent tout, jusqu’aux odeurs et<br />
aux rayons du soleil. Ce confort et cette linéarité créent une impression de<br />
vide. Cela s’apparente au confort de se tenir sur la surface de la terre : nous<br />
parcourons jusqu’à 40 000 kilomètres en 24 heures sans rien ressentir.<br />
L’ennui qu’on éprouve dans un train ou un avion n’est pas ordinaire, c’est<br />
un ennui qui n’attend rien, qui s’inquiète peu de la destination. Un ennui qui<br />
jouit de sa torpeur.<br />
26 / 70 Le Voyage / Omniscience<br />
Le Voyage / Ennui<br />
27 / 70
Solitude et angoisse<br />
« L’humanité transportée est une humanité assise : se déplacer, c’est mettre<br />
un uniforme au corps et limiter les attitudes »*<br />
Les transports modernes rassemblent un maximum d’individus dans un<br />
minimum d’espace. Mais ils séparent les personnes convoyées : la position<br />
assise fige les passagers dans l’immobilité.<br />
Lorsqu’on est debout, en mouvement, dans un environnement souple, il est<br />
envisageable de faire connaissance avec autrui, d’adresser spontanément la<br />
parole à un inconnu. Une fois assis dans un siège qui nous est dédié pour<br />
8 heures de vol ou 5 heures de train, cette spontanéité est beaucoup plus<br />
ardue. On ne pourra pas s’éloigner, on est comme pris au piège.<br />
D’autre part, dans les transports modernes, le passager n’est plus maître de<br />
son déplacement. Il est impossible de descendre d’avion avant l’arrivée. Les<br />
passagers sont dépendants de la compagnie qui les transporte, ils ne peuvent<br />
qu’être passifs.<br />
Une certaine incompréhension est générée par les nouveaux types de<br />
déplacements : en avion par exemple, on ne voit pas son déplacement.<br />
On aperçoit éventuellement la terre ou la mer en bas. La visualisation<br />
du déplacement est plus souvent virtuelle : grâce aux écrans devant les<br />
passagers, dans la cabine. Cette visualisation sert à rassurer le passager.<br />
28 / 70 *Au coin de la rue, l’Aventure.<br />
Pascal BRUCKNER et Alain FINKIELKRAUT, Seuil 1979, p196<br />
29 / 70
Démesure<br />
De plus la quantité d’énergie consacrée au transport est extrêmement<br />
importante. Les déplacements sont de plus en plus rapides, et de plus en plus<br />
longs. Nous cherchons toujours plus d’efficacité, en occultant la fonction<br />
psychologique du voyage.<br />
Cela entraîne certains déséquilibres : le voyageur n’a plus le temps<br />
de s’adapter au décalage horaire, ni aux changements de saison. Les<br />
déplacements modernes s’apparentent parfois plus à un voyage dans le<br />
temps qu’à un déplacement géographique.<br />
Au lieu d’avoir le temps de se préparer à la découverte, de voir peu à peu<br />
la faune et la flore évoluer, de percevoir les différentes tonalités dans le<br />
parler des autochtones, le passager moderne lit frénétiquement son guide<br />
du routard ou prévoit ses rendez vous du mois. Il utilise au mieux ce laps<br />
de temps, durant lequel il refuse de ne rien faire. Il aurait l’impression de<br />
le perdre s’il n’essayait pas de le rattraper. Il ne cesse de craindre la notion<br />
abstraite de « temps perdu ».<br />
Les vols intercontinentaux sont responsables de nombreux désordres<br />
physiques et psychiques : ils altèrent le rythme circadien classique (jour –<br />
nuit). Ils entraînent donc des troubles du sommeil, une fatigue excessive,<br />
une baisse de la capacité cognitive et des troubles de la mémoire.<br />
Une étude dirigée par le professeur Kwangwook Cho, de l’université de<br />
Durham, a montré que le personnel des vols longs courrier présente une<br />
plus grande concentration de cortisol, un indicateur du stress, dans la salive.<br />
Cette concentration excessive n’est constatée que sur les vols transméridiens<br />
(plus de trois heures de décalage horaire).<br />
De plus le personnel affecté aux vols transméridiens depuis plus de quatre<br />
ans présente un temps de réaction plus long aux tests de mémoire. En effet,<br />
l’exposition chronique à des concentrations élevées de cortisol entraîne une<br />
altération des capacités cognitives.<br />
Cet effet n’est pas observé sur le personnel des compagnies bénéficiant d’un<br />
délai plus important entre deux vols intercontinentaux (plus de 14 jours).<br />
Cet intervalle de temps permettrait donc d’éliminer les effets induits par les<br />
décalages horaires.<br />
Les innovations actuelles<br />
De nombreuses évolutions cherchent à personnaliser le voyage collectif<br />
Services à bord<br />
Pour correspondre au besoin d’évasion et d’oubli des tracas quotidiens qui<br />
génèrent les voyages aujourd’hui, on cherche à plonger le passager dans<br />
une bulle de bien-être. Les menus des repas sont désormais alléchants, la<br />
décoration intérieure est soignée, et des services sont mis en place (ID TGV,<br />
location DVD).<br />
Le sigle TGV est devenu non plus un sigle mais une marque. Il s’agissait,<br />
il y a environ 25 ans, d’un nouveau concept de transport ; en effet l’aérien<br />
commençait à grignoter des parts de marché.<br />
Les forces de ce produit sont la fiabilité, la sécurité, le respect de<br />
l’environnement, l’innovation constante et le confort à bord ; mais aussi<br />
la souplesse de réservation et la fluidité. En effet, le nouveau logo TGV<br />
évoque la fluidité du voyage.<br />
Cependant, selon les dernières études marketing, les faiblesses de l’offre<br />
selon les clients étaient l’univers de la gare, les modalités d’accueil et le<br />
service à bord, jugé impersonnel. Le travail marketing d’innovation dans le<br />
TGV avait donc pour objectif de rehausser le produit en service, notamment<br />
avec un concept-signature : « TGV, prenez le temps d’aller vite ». La<br />
Fontaine, lui, disait « Hâtons-nous avec lenteur ».<br />
Cela revenait à faire de la marque un véritable service de voyage :<br />
- Choix du sens de la marche lors de la réservation.<br />
- Restauration diversifiée<br />
- La garantie d’un service de référence en gare avec le déploiement<br />
de l’escale (accueil, disponibilité, prise en charge des voyageurs,<br />
possibilité de réserver un taxi à bord du train)<br />
30 / 70 Le Voyage / Démesure<br />
Le Voyage / Choix<br />
31 / 70
Equipements et innovations techniques<br />
La rénovation des aménagements intérieurs des TGV agit également sur le<br />
bien-être des passagers : il s’agit d’espaces à la fois créatifs et intemporels,<br />
notamment par la rénovation intérieure de Christian Lacroix et de l’agence<br />
MBD. De plus, les bureaux sur les plateformes, équipés de prises de courant,<br />
contribuent à valoriser le temps de voyage.<br />
Cet environnement ludique, utile, agréable, contribue au bien-être des<br />
passagers, donc favorise la communication. On remarque en effet que, dans<br />
le métro parisien, les lignes en rames continues, c’est-à-dire les lignes 1 et<br />
14, sont beaucoup moins sujettes aux actes de violence et de vandalismes.<br />
On peut donc supposer qu’un espace dégagé, agréable et non cloisonné met<br />
les passagers plus à l’aise.<br />
Le nouveau service IDTGV permet déjà au voyageur de choisir un cadre qui<br />
corresponde à ses envies durant le trajet. Le nouveau concept IDTGVandCo<br />
(Co pour communauté et communication) va plus loin en proposant aux<br />
voyageurs de se rencontrer. Il est issu du constat selon lequel 69% des<br />
voyageurs du TGV voyagent seuls. Il permet donc aux voyageurs d’entrer<br />
en contact avec des personnes partageant les mêmes centres d’intérêt au<br />
cours du trajet.<br />
De même, à bord des avions, de nombreuses innovations techniques<br />
contribuent à améliorer l’environnement des voyageurs.<br />
Les écrans collectifs lui permettent de se tenir informé : localisation, altitude,<br />
vitesse, trajet restant et heure d’arrivée prévue.<br />
Les écrans individuels le divertissent : films, jeux vidéo, chaînes TV, et<br />
même vidéo-achat ou jeux de hasard. De plus, sur certains appareils, l’écran<br />
permet de voir les paysages survolés.<br />
Virgin America vient de lancer officiellement son service Gogo : accès<br />
internet par liaison Wifi à bord. Ce service est pour l’instant réservé aux<br />
classes affaires, mais on peut imaginer qu’il sera disponible prochainement<br />
pour toutes les classes. Le futur accès à un réseau intranet à bord est<br />
également probable : pour commander son menu ou bien des films.<br />
De nouveau aménagements sont également disponibles à bord des avions,<br />
bien que pour l’instant dédiés aux clases affaire ou première. Air France<br />
créé de véritables cabines à bord des appareils : le voyageur dispose d’un<br />
vrai lit, d’un coin-repas, d’un écran, d’un téléphone…<br />
Des espaces bar ou snacks se développent (déjà mis en place sur la Qatar Air<br />
Lines) ; mais des douches, des bibliothèques, des coins jeux pour les enfants<br />
pourraient faire leur apparition dans les années à venir.<br />
Cependant, malgré tout le confort proposé à bord, certains problèmes restent<br />
irrésolus. Les aéroports sont en général très éloignés des villes. Malgré une<br />
vitesse de transport de plus en plus rapide, le parcours du voyageur de la<br />
porte de chez lui jusqu’à la zone d’embarquement reste généralement long<br />
et sujet à des difficultés anxiogènes: embouteillages, grèves. La rigidité des<br />
horaires fixes des trajets actuels est également une cause de difficulté.<br />
C’est en cela que le voyage collectif moderne s’apparente à un voyage dans<br />
le temps : le souci n’est plus d’arriver au bon endroit, mais d’y arriver à<br />
temps pour pouvoir enchaîner sur le trajet suivant.<br />
Le trajet collectif d’aujourd’hui ne se résume donc pas à un simple<br />
déplacement géographique. Il exprime notre manière de penser et d’agir,<br />
ainsi que les tendances de la société moderne. On peut finalement considérer<br />
le trajet collectif actuel comme un ensemble de liens tissés entre l’espace, le<br />
temps et les individus. Il est donc nécessaire d’étudier le fonctionnement et<br />
la logique des perceptions que ceux-ci ressentent.<br />
32 / 70 Le Voyage / Espace communautaire<br />
33 / 70
Expérience<br />
et<br />
Ressenti<br />
2 / 3<br />
EXPÉRIENCE: Connaissance acquise par une longue<br />
pratique jointe à l’observation.<br />
RESSENTI: Le souvenir d’une sensation ou d’une<br />
épreuve.<br />
Lors d’une trajet collectif, l’environnement du<br />
passager peut se segmenter en trois éléments: le<br />
temps, l’espace et les autres voyageurs.<br />
34 / 70 35 / 70
La perception du temps<br />
Il est quasiment impossible, dans les sociétés actuelles, de vivre sans prendre<br />
en compte le temps, et ce de manière précise.<br />
En effet, le temps est toujours compté, et l’homme moderne est souvent<br />
pressé. Il semble en être esclave. Cependant, nous mesurons le temps de<br />
manière métrique alors que la notion du temps est beaucoup plus aléatoire : en<br />
fonction des événements, des émotions ressenties, de l’activité pratiquée.<br />
Le temps / la durée<br />
Saint Augustin écrit « Qu’est-ce que le temps ? Si personne ne me le<br />
demande, je n’ai pas de problème. Mais dés qu’on me le demande, je ne<br />
sais plus »<br />
Le temps serait donc subjectif dans sa perception.<br />
Il est problématique de définir la notion du temps par rapport à la réalité de<br />
l’expérience. Il est possible de faire revenir le passé, c’est-à-dire le souvenir<br />
de l’expérience, mais impossible de ramener l’expérience elle-même. Dès<br />
qu’une expérience nous arrive, nous la conceptualisons, et c’est ce concept<br />
que nous ramenons en souvenir.<br />
La notion du temps, qui était cyclique chez les Indiens et chez les Grecs, est<br />
devenue linéaire avec la tradition chrétienne : on a un point zéro, une ligne<br />
vers le futur et une ligne vers le passé.<br />
Nous vivons donc dans le présent, mais aussi dans le passé et surtout dans le<br />
futur, en prenant ce qui va arriver comme quasiment certain, comme acquis<br />
et réel. Pourtant le futur appartient totalement à l’imaginaire.<br />
Les Indiens Hopis n’ont pas de mot pour décrire le temps (passé, présent,<br />
futur) et n’additionnent pas les jours (un jour a disparu, l’autre n’est pas<br />
encore là, ils n’existent pas simultanément, donc on ne les cumule pas). Ils<br />
ne vivent pas dans un espace stable dans lequel le temps se déroule, et ne<br />
connaissent pas l’ennui.<br />
Ce qui produit de l’ennui et crée un sentiment de longueur dans les transports,<br />
c’est que nous visons un objectif : l’arrivée, le but. Nous vivons dans la<br />
durée au lieu de vivre dans l’instant.<br />
36 / 70 Expérience et Ressenti / le Temps<br />
37 / 70
La temporalité musicale<br />
La perception du temps dépend également du rythme que nous suivons : le<br />
rythme de vie comme le rythme d’une musique.<br />
En effet, des recherches ont montré que la musique d’attente téléphonique<br />
affecte le temps passé avant que les personnes ne raccrochent. Une série<br />
d’expériences (dans les lieux de consommation, les réfectoires scolaires,<br />
les salles de sport) ont montré que la musique d’ambiance diminue les<br />
comportements agressifs. Elle fait également estimer le temps plus court,<br />
favorise les dépenses physiques et l’aide que l’on est susceptible d’apporter<br />
à quelqu’un. De plus, le mode majeur conduit à sous-estimer le temps passé<br />
(par rapport à une musique en mode mineur) ainsi qu’une musique familière<br />
(par rapport à une musique non-familière). Les mécanismes cognitifs<br />
agissent donc sur notre perception du temps ; la musique fait paraître le<br />
temps passé à attendre comme moins long.<br />
C’est notamment le fait de suivre un rythme qui influence notre perception<br />
du temps. Une journée aussi bien qu’une année, rythmée par exemple<br />
par l’emploi du temps scolaire pour un collégien, passe tout compte fait<br />
extrêmement vite. Le premier jour de septembre, les vacances de Noël lui<br />
paraissent inaccessibles. Au mois de juin, il est soudain surpris de constater<br />
que l’année se termine.<br />
Notre perception du temps est donc aléatoire, abstraite et subjective. Nous<br />
vivons dans la durée, ce qui relève de l’imaginaire.<br />
Le rêve<br />
Nous pouvons échapper totalement à l’écoulement métrique du temps par<br />
le rêve et la somnolence.<br />
Le rêve est une activité cérébrale incontrôlée, et l’homme y passe près de<br />
10% de sa vie. C’est un phénomène étonnant : on fait quelque chose (courir,<br />
voler…) sans pourtant le faire. Jusqu’au XVIIIème siècle, on admettait que<br />
le corps matériel subissait la « mort périodique » du sommeil, tandis que<br />
l’âme immatérielle lui échappait.<br />
Sur le plan éco-éthologique, le rêve signifie « non-danger » : les animaux<br />
dorment sur leur territoire à un endroit où ils ne risquent pas d’être<br />
attaqués.<br />
Sur le plan neurophysiologique, le rêve est l’absence d’excitation du<br />
système d’éveil par les télérécepteurs. Il s’agit par exemple de l’absence<br />
d’aboiement ou d’odeur de chien pour le lièvre. Freud a écrit que le rêve<br />
était le gardien du sommeil. Or c’est le moment le plus dangereux qui soit<br />
pour un animal : il est paralysé.<br />
On se met donc dans une situation dangereuse en s’endormant ailleurs que<br />
chez soi, on s’expose sans défense au monde extérieur.<br />
La rêverie, en plus d’échapper au temps, permet également de changer<br />
d’espace, de percevoir un autre lieu. Se remémorer un souvenir s’apparente<br />
à un voyage dans le temps et dans l’espace. En effet, la perception de<br />
l’espace peut également être aléatoire.<br />
38 / 70 Expérience et Ressenti / le Rythme<br />
Expérience et Ressenti / le Rêve<br />
39 / 70
La perception de l’espace<br />
<br />
<br />
<br />
Comment nous ressentons l’espace<br />
La perception qu’a un individu de l’espace qui l’entoure déteint sur<br />
son état d’esprit. Les différentes configurations d’environnement le<br />
font réagir différemment. Un espace modulable comme un intérieur<br />
japonais n’entraîne pas les mêmes sentiments qu’un espace figé, comme<br />
un appartement occidental. Un intérieur de train est immuable : sièges<br />
fixes, espaces compartimentés. Dans la nature, tout est en constante<br />
évolution, aussi bien les plantes que la terre en elle-même avec les<br />
volcans et séismes. Il n’est donc pas écrit dans le passé de l’homme<br />
qu’il doive occuper un espace fixe.<br />
De plus notre perception de l’espace est perturbée par le déplacement :<br />
sans point de repère, nous sommes perdus et égarés. Lorsqu’on est dans<br />
un train, parallèle à un autre train : il est impossible de savoir lequel<br />
se déplace. Pendant un trajet en avion, nous ne sommes absolument<br />
pas en mesure de vérifier la trajectoire ni la vitesse. Cela est rendu aux<br />
voyageurs de manière artificielle par les écrans montrant la trajectoire.<br />
On doit faire confiance au pilote, mais la perception cognitive de<br />
l’espace et du déplacement peut être trompée.<br />
Enfin la perception de l’espace est modifiée lorsque nous découvrons un<br />
nouveau lieu : nous prenons plus en compte notre environnement, qui,<br />
étant inconnu, paraît hostile. Ce mélange d’hostilité et de découverte<br />
fait également passer le temps de manière différente : l’inconnu de<br />
l’environnement est perçu comme un événement ou une action.<br />
Mécanismes cognitifs de la perception spatiale<br />
Quelle géométrie le cerveau utilise-t-il pour la perception et l’action ? Pour<br />
la géométrie euclidienne, le concept de ligne est un des fondements de la<br />
pensée de l’espace.<br />
Mais pour l’imagerie cérébrale : le cerveau utilise des réseaux différents.<br />
- Pour l’espace proche - lointain.<br />
- Pour le traitement des formes naturelles (animaux, visages) -<br />
environnementales (bâtiments).<br />
- Pour la mémoire spatiale égocentrée - allocentrée.<br />
Le problème de la multiplicité des référentiels se pose. Si l’on place deux<br />
personnes de chaque côté d’une route et qu’un homme passe en courant : un<br />
des deux observateurs dira qu’il va à droite, l’autre à gauche. On constate<br />
immédiatement que le mouvement observé est relatif à l’observateur, tout<br />
dépend du cadre de référence. De plus le cerveau choisit un référentiel<br />
suivant la tâche. Il peut changer de référentiel d’une phase à l’autre du<br />
mouvement.<br />
Le cerveau impose au monde ses grilles d’interprétation : illusions<br />
perceptives. Le système visuel créé des groupements de formes et de<br />
mouvements (qui n’existent pas au niveau de la rétine) pour maintenir<br />
l’identité des objets perçus pendant leur mouvement. Nous voyons donc des<br />
choses qui n’existent pas.<br />
Nous « subissons » les interprétations de notre cerveau au niveau de l’espace,<br />
il est donc possible de créer des illusions spatiales.<br />
40 / 70 Expérience et Ressenti / l’Espace<br />
Expérience et Ressenti / Mécanismes Cognitifs<br />
41 / 70
L’accès conscient ou inconscient aux espaces<br />
La spatialisation est une propriété fondamentale de l’organisation du<br />
vivant.<br />
La disposition des gènes a une dimension spatiotemporelle : ils sont placés<br />
selon l’endroit où est la partie du corps qu’ils gèrent et selon le moment où<br />
elle va se développer, au stade embryonnaire.<br />
D’autre part, une des hypothèses de l’autisme est que les autistes ont du mal<br />
à gérer l’identité de leur corps propre et la relation spatiale avec autrui.<br />
La locomotion humaine est rendue très simple, mais est pourtant, à l’origine,<br />
une action extrêmement compliquée. C’est à partir de ce constat qu’Alain<br />
Berthoz, professeur au <strong>Collège</strong> de France, a développé la théorie de la<br />
Simplexité.<br />
Le cerveau ne se contente pas de RECEVOIR des informations,<br />
il les interprète et projette sur le monde ses interprétations et ses<br />
hypothèses.<br />
Il perçoit des formes qui n’existent pas.<br />
Il modifie les relations spatiales.<br />
Il prédit et anticipe.<br />
42 / 70 Impossible Cube, Interprétation d’images 2D en objets 3D<br />
Expérience et Ressenti / Référentiels<br />
43 / 70<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
La manipulation mentale des référentiels spatiaux a donc une grande<br />
importance.<br />
Des études ont montré que la construction de l’espace est différente selon<br />
les peuples<br />
- Relatif, soit égocentré. Les Européens utilisent principalement ce<br />
référentiel : devant moi, à ma gauche…<br />
- Intrinsèque, soit référé à un objet.<br />
- Absolu, soit allocentré. C’est le référentiel des langages indigènes :<br />
au zénith, au nord…
On peut noter que l’espace est souvent utilisé par les écrivains comme<br />
un support de roman. Dans les Rougon-Macquart, Zola déplace<br />
géographiquement ses protagonistes selon leur évolution sociale : de<br />
Plassans à Paris, des chambres de bonnes aux appartements bourgeois.<br />
L’Art de la mémoire montre aussi l’importance de la perception spatiale<br />
dans les mécanismes de l’intelligence. Cette « méthode des lieux » est<br />
une méthode mnémotechnique pratiquée depuis l’Antiquité. Elle consiste<br />
à associer chaque partie d’un discours à une image saisissante ou à un<br />
symbole. Puis, après avoir parcouru plusieurs fois un édifice dans le même<br />
ordre, à déposer en pensée chaque image dans une partie de l’édifice. En se<br />
souvenant du parcours accompli, on reconstruit ainsi tout le discours.<br />
Par ailleurs, le concept du labyrinthe est universel. Ils apparaissent dans<br />
la Grèce et l’Egypte ancienne, puis dans les Eglises et les jardins. Bien<br />
que concrets, ils représentent un mode de pensée. La sortie du labyrinthe<br />
représente la victoire de l’intelligence sur l’instinct. Le roman Le nom de la<br />
rose, d’Umberto Ecco, utilise cette dualité entre le labyrinthe concret et la<br />
difficulté intellectuelle. Le savoir de la bibliothèque de l’abbaye, épicentre du<br />
roman, est isolé dans un labyrinthe concret parsemé d’énigmes. La solution<br />
du labyrinthe est finalement un raisonnement intellectuel. L’architecture et<br />
l’organisation spatiale des jardins est également témoin des mode de pensée :<br />
des jardins rigoureux français aux compositions vallonnées anglaises.<br />
Le labyrinthe pourrait donc être un outil fondamental de la pensée humaine :<br />
les embranchements, les impasses et les fausses pistes sont le cheminement<br />
de la recherche intellectuelle.<br />
L’organisation spatiale va donc de pair avec le cheminement intellectuel.<br />
44 / 70 RELATIVITY, Escher 1953, lithographie<br />
Expérience et Ressenti / Cheminement Spatial<br />
45 / 70
La perception des autres<br />
La perception de l’espace est également influencée par la perception des<br />
autres personnes présentes dans cet espace. Le comportement de l’être<br />
humain est en grande partie guidé par celui des autres.<br />
Sentiments induits par la perception d’autrui<br />
La perception de l’autre est souvent une source de malentendus et de<br />
conflits. En effet, l’histoire des relations entre les peuples est marquée par<br />
des relations de force.<br />
Comment perçoit-on l’autre ? C’est un phénomène inconscient, comme,<br />
par exemple, la reconnaissance des visages. Nous attendons de l’autre<br />
qu’il nous renvoie une image fidèle de nous-même, une image identique ou<br />
similaire. Ce phénomène d’identification déclenche des sympathies.<br />
Si l’autre est différent, l’image altérée qu’il nous renvoie de nous-même<br />
peut provoquer de l’anxiété, de l’angoisse, un mise à distance qui peut aller<br />
jusqu’au rejet. L’autre est alors perçu comme une menace contre laquelle<br />
nous nous protégeons, consciemment ou non.<br />
« Nous appelons barbarie ce qui n’est pas de notre fait »<br />
Montaigne.<br />
La perception que nous avons de l’autre induit donc des comportements<br />
à son égard, et va provoquer chez lui des réactions vis-à-vis de nous.<br />
L’individu agit souvent par mimétisme : la colère appelle la colère. Une<br />
attitude menaçante appelle une défense, qui se veut menaçante également.<br />
Le jugement<br />
Par ailleurs, dans l’évaluation des aptitudes personnelles, nous avons<br />
souvent recours au phénomène de la comparaison sociale. L’individu se sert<br />
d’autrui pour se comparer, pour s’évaluer lui-même. Il s’agit souvent d’une<br />
recherche d’augmentation d’estime de soi.<br />
Notre humeur influence la manière dont nous percevons et jugeons<br />
autrui. Le jugement porté sur une personne va de pair avec l’humeur de<br />
l’observateur.<br />
Il y a alors deux phénomènes possibles :<br />
- L’humeur amorce en mémoire des concepts associés à celle-ci.<br />
L’information associée à l’humeur serait donc plus accessible aux<br />
sujets, ce qui biaise le jugement.<br />
- Les personnes, face à un objet de jugement, se demande « comment<br />
est-ce que je me sens à l’égard de cet objet ? ». L’état émotionnel<br />
est alors interprété comme produit par l’objet.<br />
De plus, dans la formation des impressions vis-à-vis d’autrui, on a tendance<br />
à surajouter les éléments d’information qui nous manquent, et à supprimer<br />
ceux qui nous gênent. Nos impressions sont formées à partir de simples<br />
indices caractéristiques, puis nous en tirons des conclusions parfois hâtives.<br />
Nous formons du jugement sur la première impression.<br />
Dans le monde actuel, nous sommes constamment sollicités par des flux<br />
d’information diverses et complexes. Ces impressions que nous élaborons<br />
sans cesse ont une fonction économique. Le temps manque pour interagir<br />
avec tout le monde. Les impressions commandent un tri rapide entre les élus<br />
de notre attention et les autres.<br />
46 / 70 Expérience et Ressenti / Sentiments<br />
Expérience et Ressenti / Jugement<br />
47 / 70
L’envie<br />
Le besoin<br />
de<br />
Souplesse<br />
3 / 3<br />
SOUPLESSE: Qualité de ce qui est flexible et<br />
maniable.<br />
Exemples de situations rigides ou d’objets souples,<br />
de frontières ou de porosité.<br />
48 / 70 49 / 70
L’Île de Pâques<br />
exemple d’isolement rigide<br />
On peut se baser sur l’exemple de l’île de Pâques pour montrer l’importance<br />
d’un environnement souple pour la survie. L’île de Pâques a longtemps été<br />
un exemple de l’incurie des hommes dilapidant leurs ressources naturelles,<br />
allant jusqu’à s’autodétruire. Cependant cette théorie est à présent remise en<br />
question et démontrée fausse.<br />
L’île de Pâques a subi un dérèglement climatique de grande envergure, un<br />
méga El Nino, dans le Pacifique sud. Les hommes de la petite île isolée<br />
ont donc été confrontés, par ce phénomène, à de pénibles conditions de<br />
survie. Jeté hors de l’ordinaire, l’homme était aux prises avec de nouveaux<br />
problèmes, face à son environnement. L’isolement extrême de cette<br />
population a rendu cette situation exceptionnelle.<br />
Il y a deux hypothèses quant à la déforestation de l’île:<br />
- Les insulaires eux-mêmes. Cette hypothèse est peu probable car ils<br />
avaient un culte de la forêt très fort.<br />
- Un incident climatique majeur : des mégas El Nino sévissent sur<br />
cette partie du Pacifique sud.<br />
Au sujet de la déforestation, la nature s’était toujours régénérée, jusqu’au<br />
dernier méga El Nino : les hommes avaient alors importé le rat polynésien,<br />
qui se nourrissait entre autres des noix de palmier.<br />
Les Pascuans étaient bel et bien prisonniers de leur île et ne purent se<br />
soustraire aux conditions de vie extrêmement difficiles imposées par le<br />
passage du méga El Nino.<br />
- Ils n’avaient aucune solution pour pallier la famine : la sécheresse a<br />
entraîné la perte des récoltes et le réchauffement des eaux, donc la<br />
raréfaction des poissons côtiers et le départ des colonies d’oiseaux<br />
qui s’en nourrissaient.<br />
- Les habitants de l’île, à cause de la raréfaction des ressources, ont<br />
dû rapidement les épuiser. Ils ont abattu les derniers arbres sains et<br />
pourchassé les oiseaux terrestres jusqu’à leur extermination.<br />
- Le roi et les grands prêtres, chargés d’assurer l’abondance sur l’île,<br />
ont probablement perdu une grande partie de leur prestige et de<br />
leurs pouvoirs.<br />
- Des guerres de clans ont dû éclater, menant au chaos, la production<br />
des grandes statues aurait d’ailleurs brusquement cessé à cette<br />
période.<br />
ème - Depuis le début de XVIII siècle, il n’y avait plus d’arbres pour<br />
construire les bateaux et quitter l’île.<br />
Les Pascuans n’ont pas pu aller ailleurs, fuir leur environnement devenu<br />
hostile : cela a fragilisé leur équilibre. L’agression des occidentaux (les<br />
maladies apportées et le raid esclavagiste en 1862) a achevé de les faire<br />
disparaître.<br />
C’est donc le fait de n’avoir pu quitter l’île qui a empêché les Pascuans de<br />
survivre. La sévérité de son isolement a presque fait disparaître ce peuple.<br />
50 / 70 Souplesse / Insularité Souplesse / Isolement<br />
51 / 70
Espace propre ou public:<br />
Frontière fexible<br />
Pratiques de l’espace public.<br />
L’individu, hors de chez lui, est immédiatement immergé dans un espace<br />
public. L’organisation de ces espaces publics est souvent significative ;<br />
l’histoire des villes est marquée par les transformations spatiales qui<br />
découlent des transformations sociales et de l’évolution des mentalités.<br />
Les villes médiévales sont construites autour de la cathédrale ou du château,<br />
protégées par les remparts : la population s’est retractée au début de Moyenâge<br />
et placée sous la protection de l’évêque et du seigneur. Au XIXème , les cités<br />
ouvrières apparaissent, construites par les entreprises afin de sédentariser les<br />
ouvriers. Puis, à partir de 1960, les ouvriers souhaitent accéder à la propriété<br />
individuelle, on constate alors l’essor des villes nouvelles. Les marchés et<br />
les spectacles, qui ont longtemps rythmé la vie sociale, sont remplacés par<br />
la télévision et les hypermarchés. D’autre part la circulation mécanique a<br />
transformé certains espaces en voies exclusives pour les voitures, tramway<br />
ou parkings. Il y a donc eu un recul de l’usage de l’espace public.<br />
Un espace public est souvent un espace vide : les couloirs d’un immeuble, le<br />
parvis d’une église. Il semble donc que ce soit le sens donné par la pratique<br />
de l’espace qui donne un sens à l’espace disponible. L’aménagement ne<br />
se situerait pas dans les objets qui forment l’espace public. Ce sont les<br />
pratiques sociales qui mettent en œuvre les objets.<br />
En un mot, l’espace est objet de pratiques. L’espace peut être objectivé puis<br />
projeté en autant de sortes d’objets que de sphères de pratiques.<br />
Il s’agit plus de situations d’interaction entre les individus que d’espace ; la<br />
dimension temporelle, le déroulement du temps ont un rôle à jouer. L’espace<br />
public n’est pas un espace homogène mais une succession d’espaces.<br />
Le cheminement dans un espace public est donc intentionnel, temporel et<br />
spatial. Franchir un seuil entre deux espaces correspond à changer d’attitude,<br />
c’est-à-dire à modifier ses attentes envers autrui et son comportement.<br />
L’individu dans un espace public ajuste son comportement non pas au lieu,<br />
mais au fait que ces lieux sont des lieux de pratiques sociales.<br />
L’espace public est donc un ballet d’interactions, un déroulement de<br />
situations, un théâtre que l’individu doit pouvoir s’approprier tout en<br />
s’adaptant aux exigences sociales.<br />
Cet espace s’oppose en cela à l’espace propre où l’individu est libre de ses<br />
attitudes. Chez lui ou au sein d’un groupe, ce qui l’entoure le protège. Les<br />
contraintes et les devoirs lui sont propres. Il cherche donc à recréer cette<br />
intimité lorsqu’il est seul dans l’espace public.<br />
52 / 70 Souplesse / Comportement en Public<br />
Souplesse / Bulle Personnelle<br />
53 / 70
Produits industriels permettant de se créer<br />
un espace propre dans l’espace public<br />
Les moyens de tétécommunication actuels permettent à l’individu de se<br />
créer son propre univers lors d’une conversation entre deux personnes<br />
éloignées. Chacun des protagonistes quitte son lieu de départ pour rejoindre<br />
un espace de réunion imaginaire et virtuel.<br />
Les téléphones portables, qui nous rendent joignables n’importe où,<br />
confirment l’existence de ces « ailleurs ». Les lycéens s’échappent des salles<br />
de cours en tapant discrètement des sms sous leur table. On voit désormais<br />
des automobilistes, munis d’une très discrète oreillette, tenir de grandes<br />
conversations, seuls dans leur voiture. L’apparition de logiciels et systèmes<br />
intégrant la vision, tels que skype, et des webcams facilite cette transition :<br />
en voyant quelqu’un qui se trouve à l’autre bout de la planète, et en discutant<br />
avec ce quelqu’un, on a l’illusion de le rejoindre physiquement.<br />
Un individu peut aussi s’isoler par le biais de la musique ou des jeux virtuels.<br />
Depuis l’apparition du Walkman en 1979, les appareils d’écoute de musique<br />
individuels, comme les lecteurs mp3, ont toujours autant de succès, aussi<br />
bien dans la rue que dans les transports. Ils permettent au consommateur<br />
d’écouter de la musique quels que soient la situation ou l’environnement.<br />
Cela reflète la volonté des individus de s’isoler dans les espaces collectifs,<br />
notamment lorsque la proximité d’inconnus est forcée : une rame de métro<br />
bondée ou un trottoir encombré. De même, les consoles de jeux portables<br />
permettent d’ignorer momentanément le monde extérieur. Le succès de la<br />
gameboy en 1989 est en partie dû à la possibilité d’y relier des écouteurs :<br />
il s’agit en effet du premier système équipé d’une prise de casque : les sons<br />
numériques aigus ne sont audibles en stéréo que pour le joueur.<br />
Il est à noter qu’on appelle ces écouteurs un casque : terme employé<br />
habituellement pour un objet qui enveloppe toute la tête et surtout la protège.<br />
54 / 70 Écouteurs Apple<br />
55 / 70
Ces écouteurs représentent une frontière très souple entre celui qui les porte<br />
et son entourage : il peut choisir d’écouter exclusivement sa musique, ou<br />
bien de diminuer le volume et écouter les bruits extérieurs, faire semblant de<br />
ne pas entendre une conversation tout en la suivant, et surtout ôter ce casque<br />
quand il le souhaite.<br />
La multiplication des espaces identitaires sur internet montre aussi le besoin<br />
de se créer un espace propre à soi, mais en interaction avec l’univers internet.<br />
La frontière entre ces deux éléments est souple, un blog ou un profil ne<br />
représentent pas une communication à sens unique. Il y a des interactions<br />
entre les deux zones : les internautes peuvent poster des commentaires.<br />
Cependant cet espace est propre à l’individu : il l’organise, choisit les<br />
couleurs, les musiques, les photos. Il met en scène sa vie privée, et crée<br />
un ensemble maîtrisé qui lui est propre sur la toile. Un blog s’apparente<br />
finalement à un journal intime rendu public et poreux. Par ailleurs ces<br />
services, tels que réseaux sociaux et partage de vidéos en ligne, mettent<br />
en exergue certains comportements, notamment le désir d’appartenir à un<br />
univers. Les internautes sont attirés par la promesse de rester entre eux :<br />
n’être connecté qu’à ses contacts « amis ». Ces espaces identitaires doivent<br />
donc s’inscrire dans un réseau pour exister.<br />
L’individu a donc besoin de se créer un espace propre dans un espace public<br />
(internet), cet espace doit être malléable, adaptable, personnel et protégé. Il<br />
est prêt à faire des rencontres, à condition de pouvoir apposer au préalable<br />
sa propre sélection.<br />
L’existence d’une frontière souple entre espace public et espace propre est<br />
nécessaire.<br />
La tendance actuelle est donc de se différencier, de s’isoler dans les lieux<br />
publics. Cependant il faut pouvoir s’adapter aux exigences sociales : prendre<br />
en compte les autres personnes présentes, les indications, les annonces.<br />
C’est pourquoi de nombreuses formes de frontières souples et malléables<br />
entre l’individu et son entourage se sont développées : les casques audio<br />
mais aussi les lunettes de soleil, qui permettent de cacher son regard et son<br />
expression à autrui.<br />
56 / 70 Souplesse / Espace Identitaire<br />
57 / 70
Les objets s’adaptent au corps<br />
humain<br />
Le confort dans un espace collectif est donc fondé en partie sur le fait<br />
d’avoir le choix : s’isoler des autres ou non. Cependant le confort concerne<br />
aussi la position du corps, l’organisation des structures qui l’entourent ou<br />
le soutiennent.<br />
Souplesse dans l’objet<br />
Le confort est en partie corrélé aux matières utilisées. Les progrès de l’ère<br />
industrielle, notamment en chimie, développent les matières plastiques. Ces<br />
découvertes permettent d’élaborer des matières souples. Elles permettent<br />
aussi l’industrialisation de formes innovantes par leur souplesse. Les<br />
mousses polyuréthanes ont apporté l’épaisseur aux assises et aux coussins.<br />
Le PVC permet par exemple la commercialisation de structures gonflables,<br />
comme le fauteuil Blow. Ce fauteuil, qui trouve son inspiration dans les<br />
canots pneumatiques, permet une grande souplesse d’utilisation : aussi bien<br />
à l’intérieur qu’à l’extérieur, ainsi qu’une multitude de positions.<br />
La souplesse se manifeste également dans l’architecture grâce à l’apparition<br />
de ces matériaux souples. Le mécano-textile, une discipline spécifique à<br />
l’usage des matériaux souples, a permis de construire le Zénith, les arènes<br />
couvertes de Nîmes ainsi que le nuage de la Défense.<br />
Le succès de ces produits montre l’envie de rondeurs, d’objets moelleux et<br />
malléables.<br />
Ce besoin de souplesse n’apparaît pas que dans la souplesse du matériau<br />
employé, mais aussi dans la structure de l’objet. Désormais ils sont nombreux<br />
à s’adapter à la morphologie et à l’activité de chacun.<br />
Cette adaptabilité est née avec le développement de l’ergonomie.<br />
L’ergonomie.<br />
L’ergonomie contribue au bien-être du corps humain. Ce terme, issu du grec<br />
ergon (travail) et nomos (loi), signifie littéralement « l’adaptation du travail<br />
à l’homme ». Il a été utilisé pour la première fois dans tout son sens par<br />
K.F.H Murell, ingénieur et psychologue. Il s’agit d’une science cherchant à<br />
adapter les supports et outils de travail aux mouvements et dispositions du<br />
corps humain. L’ergonomie est désormais largement appliquée et enseignée.<br />
En effet de la bonne disposition des outils dépend le bien-être du travailleur,<br />
aussi bien physique que mental.<br />
Toutefois, l’ergonomie ne s’applique pas exclusivement au cadre du travail,<br />
mais à n’importe quelle activité physique, ne serait-ce qu’à la simple position<br />
assise. Chaque objet, qu’il s’agisse de mobilier ou d’outil de déplacement<br />
comme un vélo, devient réglable et adaptable au corps de l’utilisateur.<br />
Un des axiomes de l’ergonomie est aussi que n’importe quelle position<br />
devient inconfortable voire douloureuse lorsqu’elle est prolongée trop<br />
longtemps ; qu’il s’agisse d’être debout, assis, accroupi ou même couché.<br />
Nous avons besoin de mobilité, et de liberté dans nos mouvements : la<br />
position confortable, c’est la suivante. Le confort consisterait donc à fuir<br />
l’immobilité, à créer du mobilier s’accommodant à toutes les positions.<br />
58 / 70 Confort / Matières souples Confort / Mouvement<br />
59 / 70
Exemple : la position assise<br />
La position assise où l’ensemble du dos, la tête et les membres sont en appui<br />
est reconnue comme une position de confort. Dans cette position, l’individu<br />
tendrait à s’organiser pour atteindre un équilibre où les efforts musculaires<br />
du dos soient peu importants pour maintenir la position.<br />
Un individu assis actif (qui ne s’appuie pas sur un dossier) tend vers une<br />
position dite « économique » en plaçant le poids de sa tête à l’aplomb de<br />
la nuque, du thorax, de l’abdomen, du bassin le long d’une ligne verticale.<br />
Cette position « dos droit » favorise la mobilité et l’efficacité des membres<br />
supérieurs. Lorsque l’on s’écarte de cette position d’équilibre, les efforts<br />
imposés aux muscles de la colonne vertébrale favorisent la sensation<br />
d’inconfort.<br />
Cependant la position assise, bien que confortable, génère des astreintes<br />
musculaires coûteuses pour l’organisme dans la mesure où elles imposent<br />
aux muscles concernés des contractions statiques (sans mouvement). Ce type<br />
de contraction, lorsqu’il est prolongé, est plus pénible que les contractions<br />
dynamiques (gestes). Pour lutter contre ces effets négatifs, le corps humain<br />
a besoin d’être mobilisé.<br />
C’est cette liberté de position que propose la gamme de siège Balans. Mise<br />
au point en Norvège dans les années 70, cette gamme couvre tout un éventail<br />
de besoins, de la chaise de bureau au fauteuil de salon. Elle répond au constat<br />
selon lequel, depuis une trentaine d’années, l’être humain doit passer des<br />
heures assis à un bureau. Cette position prolongée a des effets négatifs sur<br />
le bas du dos et la colonne vertébrale. Cette gamme montre qu’il est vain<br />
de chercher une position assise parfaite. En effet elle propose de résoudre<br />
le problème de l’inconfort en permettant à l’utilisateur d’adopter autant de<br />
position qu’il le désire.<br />
Le siège Variable Balans encourage le mouvement : l’angle d’assise est<br />
variable et des supports sont prévus pour les genoux. Ces éléments améliorent<br />
la posture du dos en basculant le poids vers l’avant et en modifiant l’angle<br />
entre les hanches et les jambes, permettant aux genoux de supporter le corps<br />
de sorte que les muscles dorsaux se relâchent. L’utilisateur peut donc varier<br />
sa façon de se tenir.<br />
60 / 70 Confort / Astreinte Musculaire<br />
Confort / Aléatoire<br />
61 / 70
CONCLUSION<br />
Lors d’un voyage, le trajet ne se contente pas de nous déplacer, il nous prépare<br />
à la découverte, nous permet de rêver à l’ailleurs que nous approchons, nous<br />
ramène à un quotidien parfois morose. Le trajet a donc un rôle propre à<br />
jouer dans le voyage. Profiter vraiment de son voyage, qu’il s’agisse de<br />
vacances ou de déplacement professionnel, nécessite une mise en condition<br />
adéquate.<br />
Le transport moderne a été associé dans son succès à un simple outil<br />
collectif de déplacement, ses fonctions et conséquences physiques et<br />
psychologiques ont été occultées. La recherche de la plus grande efficacité a<br />
rendu les transports de plus en plus rigides. Dans son efficacité, le transport<br />
collectif actuel ne permet pas l’égarement indissociable de la découverte ni<br />
la mobilité aléatoire indispensable au confort.<br />
Pourtant, l’éloignement de notre quotidien et de nos habitudes nous recentre<br />
sur nos perceptions et nos envies d’indépendance, d’aléatoire et de poésie<br />
dans un monde déjà très structuré.<br />
En terme de design, l’étude et la réalisation d’objets qui tiennent davantage<br />
compte de ces perceptions et de ces envies demeure donc une perspective<br />
d’avenir.<br />
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RÉSUMÉ<br />
Le voyage et les moyens de transport sont devenus omniprésents dans<br />
nos sociétés modernes. Dans ce voyage moderne, désormais accessible à<br />
tous, le trajet constitue la première étape d’une aventure aussi bien que sa<br />
conclusion : on va vers un « ailleurs » parfois inconnu, ou bien on retourne<br />
à son quotidien. Notre vécu de ce déplacement influence beaucoup notre<br />
façon de voyager et le souvenir que l’on en gardera.<br />
Ce mémoire tente d’élucider notre manière de percevoir et d’interagir avec<br />
notre environnement pendant les trajets.<br />
Le premier chapitre fait l’objet d’une étude sur le voyage. L’étude<br />
de l’évolution des différents moyens de transport est nécessaire pour<br />
comprendre le cheminement qui a mené au transport collectif moderne.<br />
Depuis le voyage pédestre du troubadour médiéval jusqu’aux Trains à<br />
Grande Vitesse, nous avons recherché plus d’efficacité, donc plus de<br />
vitesse et de rectitude. Cependant cette recherche d’efficacité semble<br />
pouvoir s’opposer à certaines motivations du voyage. Effectivement le<br />
passager moderne souhaite être déplacé d’un point A à un point B, et ce<br />
le plus rapidement possible : le temps est de plus en plus compté dans nos<br />
sociétés modernes. Mais cela occulte certaines fonctions psychologiques<br />
du voyage : la confrontation avec soi-même dans l’inconnu, l’implication<br />
personnelle indispensable à la recherche et à la découverte, le fait de s’égarer.<br />
Le trajet collectif d’aujourd’hui, bien qu’efficace, présente donc certains<br />
déséquilibres. Le transport collectif est devenu un outil banal et évident,<br />
tandis qu’il constituait initialement, pendant la révolution industrielle, une<br />
aventure presque fantastique. Du fait de cette banalisation, le transport peut<br />
se résumer à l’attente de l’arrivée à bon port. Le passager cherche donc à<br />
s’occuper autant que possible, par exemple par des films, et oublie l’objet<br />
principal de son trajet : le mouvement et la découverte.<br />
D’autre part, durant un voyage, et d’autant plus durant un déplacement,<br />
nos perceptions sont exacerbées car nous avons quitté notre environnement<br />
habituel : l’inconnu nous éveille. Nous sommes facilement trompés par<br />
nos perceptions. Le temps, défini dans nos sociétés modernes de manière<br />
métrique, est perçu très aléatoirement : suivant l’activité pratiquée, suivant<br />
un rythme perçu. Nous cessons de prendre en compte notre raison, qui<br />
considère le temps comme un écoulement stable, pour suivre ce que l’on<br />
ressent. De même l’espace est interprété par les mécanismes cognitifs du<br />
cerveau, nous ne contrôlons pas les illusions perçues. On peut en effet avoir<br />
l’impression du déplacement tout en restant immobile. Enfin la perception<br />
des autres est un phénomène aléatoire : le jugement que nous mettons en<br />
place dépend du contexte environnant et de notre état d’esprit initial.<br />
Le transport collectif moderne, pour être efficace, est donc devenu rigide :<br />
nous devons nous plier aux horaires fixes, à la linéarité, et aux réservations<br />
obligatoires ; pourtant nos perceptions sont très malléables et aléatoires.<br />
Il est donc intéressant d’étudier les comportements humains en société,<br />
comportements corrélés avec nos perceptions. En effet on constate un<br />
besoin de se construire un espace propre dans tout espace public ; ces deux<br />
espaces doivent être souples et en interaction. D’une part, un peuple a<br />
besoin de frontières flexibles pour survivre, pouvoir subvenir à ses besoins<br />
lorsque la population augmente, enrichir sa culture. L’exemple de l’île de<br />
Pâques confirme ce besoin de mouvement des populations D’autre part<br />
l’individu a souvent envie de s’isoler partiellement dans un espace public,<br />
de disposer d’un espace propre ouvert sur l’espace public, par le biais de<br />
pages identitaires sur internet ou bien d’écouteurs musicaux. Enfin le confort<br />
correspond en partie à la mobilité, au fait de pouvoir choisir sa position et à<br />
la liberté de pouvoir en changer. Ceci correspond à la souplesse de l’objet,<br />
aussi bien grâce à des matériaux souples que grâce à l’adaptation du produit<br />
à la morphologie de chacun.<br />
Durant un voyage, le trajet ne se contente pas de nous déplacer, il nous<br />
prépare à la rencontre de l’ailleurs, que ce soit une réunion, une activité, un<br />
lieu, il a un rôle propre à jouer. Le transport moderne a été associé, dans le<br />
succès de son efficacité, à un simple outil de déplacement, occultant ainsi<br />
les fonctions et conséquences physiques et psychologiques du voyage. La<br />
rigidité de ces transports semble compromettre la rêverie indissociable de la<br />
découverte et la liberté de mouvement indispensable au confort.<br />
Dans le cadre du transport collectif, l’étude d’un aménagement tenant<br />
davantage compte de nos perceptions et de nos envies de souplesse demeure<br />
donc une perspective intéressante.<br />
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SUMMARY<br />
Journeys and means of transport have become present everywhere in our<br />
modern societies. Those modern means of transport, now affordable by<br />
everyone, can be the first step of an adventure as much as its conclusion:<br />
we can be going to an unknown place or going back to our daily life. Our<br />
experience of this disp lacement influences a lot our behaviour during the<br />
trip.<br />
This dissertation is trying to explain our perceptions and interactions with<br />
our environment during transports.<br />
The first chapter is about he trip itself. Studying the different means of<br />
transport evolutions is necessary to understand what brought us to modern<br />
collective transport. Since medieval pedestrian displacement we have been<br />
searching more and more efficiency. We have been looking for straight<br />
speed, and created high-speed trains.<br />
However this research of speed could perhaps stand up against some of the<br />
trip purposes.<br />
Modern passengers wish to be brought from one point to another one as fast<br />
as possible. Indeed in our modern societies people are often stressed by time.<br />
But this speed addictions put aside some of the trip psychological functions<br />
such as discovering, learning, being lost and searching for its way.<br />
Even if very effective, modern collective transport shows a few imbalances.<br />
Means of transport have become simple and common tools, although they<br />
were perceived during industrial revolution as nearly fantastic.<br />
Passengers are looking for occupation, such as films, because of this<br />
standardization. They forget the main purposes of the trip: movement and<br />
discovery.<br />
Our perceptions are exacerbated because we have left an ordinary and daily<br />
environment. Unknown places keep us awake.<br />
We can easily delude ourselves about our perceptions. Although time is<br />
defined in a metric way in our modern societies, we feel it very differently,<br />
for example if we are doing something or not.<br />
Space is also interpreted by our cognition mechanisms; we do not control<br />
the illusions we feel. We can resent displacement without moving of an<br />
inch.<br />
At last perceiving other people is also a changeable phenomenon. We set up<br />
our judgement based on our mood and on the context.<br />
In order to be effective, collective transports have become rigid. We undergo<br />
fixed timetables and obligatory reservations. Nevertheless our perceptions<br />
are very changeable.<br />
Therefore studying human behaviour in society would be interesting. Indeed<br />
our behaviour is linked to our perceptions.<br />
We can see that more and more products such as headphones are conceived<br />
in order to help people to isolate themselves in public areas. There’s a gap<br />
between ourselves and public areas. Those two spaces have to interact, the<br />
border has to be supple.<br />
First of all the example of the Easter Island shows that a population needs<br />
supple frontiers to survive. However despite the danger of strict borders for<br />
a whole population, inside a group people want to isolate themselves from<br />
the others and to have an identical space, such as avatars on the web.<br />
Lastly comfort is directly linked to the possibility of moving our body. This<br />
possibility in mainly provided by supple objects.<br />
During a journey, transport is not only a displacement. It prepares ourselves<br />
to meet unknown places and unknown people. Therefore displacement has<br />
its own function.<br />
Modern transport has been associated to a simple displacement tool, without<br />
minding about the physical and psychological functions and consequences<br />
of the displacement.<br />
The righteous of those modern means of transport seems to compromise the<br />
daydreaming discovery as much as the possibility of movement we need to<br />
feel comfortable.<br />
In the case of collective transports, such as planes or trains, studying products<br />
taking into account our perceptions and our suppleness wishes seems to be<br />
an interesting research direction.<br />
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BIBLIOGRAPHIE<br />
Voyage avec un âne dans les Cévennes<br />
Stevenson, Flammarion<br />
20 00 lieues sous les mers<br />
Jules Verne, le Livre de poche<br />
La bête humaine<br />
Zola, le Livre de Poche<br />
Théorie du voyage, poétique de la géographie<br />
Michel Onfray, le Livre de Poche<br />
Au coin de la rue, l’Aventure<br />
Pascal BRUCKNER et Alain FINKIELKRAUT, Seuil, 1979<br />
La notion du temps,<br />
Enseignement donné par Charles Genoud en juin 2003<br />
Petite philosophie du voyage,<br />
Thierry Tahon, Milan, 2006<br />
Quand un train devient une marque: TGV<br />
les Échos n°19718 du 28 juillet 2006, page n°9<br />
Physiologie de la perception et de l’action<br />
Alain Berthoz, professeur à l’académie des sciences, résumé du<br />
cours sur le cerveau et les espaces, 2007.<br />
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<strong>Strate</strong> <strong>Collège</strong> Designers<br />
27 avenue de la Division Leclerc<br />
92 310 Sèvres