de Anja Hilling - Théâtre national de la colline
de Anja Hilling - Théâtre national de la colline
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<strong>de</strong> <strong>Anja</strong> <strong>Hilling</strong><br />
mise en scène Stanis<strong>la</strong>s Nor<strong>de</strong>y<br />
La Colline — théâtre <strong>national</strong>
Rencontre “Nature : acteur ou décor ?”<br />
avec Bruno Latour, philosophe et sociologue <strong>de</strong>s sciences,<br />
Jean-François Peyret et Stanis<strong>la</strong>s Nor<strong>de</strong>y, metteurs en scène<br />
Ce n’est pas d’aujourd’hui que <strong>la</strong> scène du théâtre occi<strong>de</strong>ntal<br />
cherche à représenter <strong>la</strong> nature. Mais qu’a-t-elle à en dire au<br />
XXI e siècle, où les rapports <strong>de</strong> l’homme et <strong>de</strong> son environnement<br />
naturel semblent entrer dans une phase <strong>de</strong> transformation<br />
radicale ?<br />
lundi 21 janvier à 20h30<br />
En partenariat avec le Programme d’expérimentation en Arts et Politique<br />
<strong>de</strong> Sciences Po (SPEAP)<br />
entrée libre réservation au 01 44 62 52 00 ou contactez-nous@<strong>colline</strong>.fr<br />
Les fabriques <strong>de</strong> théâtre : <strong>la</strong> scénographie<br />
Découvrez le métier <strong>de</strong> scénographe et son implication<br />
concrète dans le processus <strong>de</strong> création :<br />
avec Emmanuel Clolus, scénographe et<br />
C<strong>la</strong>ire ingrid Cottanceau, col<strong>la</strong>boratrice artistique<br />
samedi 26 janvier à 15h30<br />
entrée libre sur réservation au 01 44 62 52 10 ou n.leclere@<strong>colline</strong>.fr<br />
Rencontre avec l’équipe artistique<br />
mardi 29 janvier à l’issue <strong>de</strong> <strong>la</strong> représentation<br />
Cycle France Culture consacré à <strong>Anja</strong> <strong>Hilling</strong><br />
dans l’émission <strong>Théâtre</strong> et C ie .<br />
Anges, création pour <strong>la</strong> radio, diffusion le 16 juin 2013 à 21h.<br />
Tristesse animal noir, enregistrement en public à La Colline,<br />
diffusion le 23 juin 2013 à 21h.<br />
Réalisation Jean-Mathieu Zahnd<br />
en tournée<br />
Espace Malraux - Scène <strong>national</strong>e <strong>de</strong> Chambéry et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Savoie<br />
les vendredi 8 et samedi 9 février 2013<br />
Tristesse animal noir<br />
<strong>de</strong> <strong>Anja</strong> <strong>Hilling</strong><br />
traduction <strong>de</strong> l’allemand Silvia Berutti-Ronelt<br />
en col<strong>la</strong>boration avec Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Berutti<br />
mise en scène Stanis<strong>la</strong>s Nor<strong>de</strong>y<br />
col<strong>la</strong>boratrice artistique C<strong>la</strong>ire ingrid Cottanceau<br />
scénographie Emmanuel Clolus<br />
lumières Philippe Berthomé<br />
son Michel Zurcher<br />
assistante à <strong>la</strong> mise en scène Marine <strong>de</strong> Missolz<br />
avec<br />
Vincent Dissez Oskar<br />
Valérie Dréville Jennifer<br />
Thomas Gonzalez Flynn<br />
Moanda Daddy Kamono Homme du couple<br />
Frédéric Leidgens Martin<br />
Julie Moreau Femme du couple<br />
Lamya Regragui Miranda<br />
Laurent Sauvage Paul<br />
production déléguée Espace Malraux – Scène <strong>national</strong>e <strong>de</strong> Chambéry<br />
et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Savoie en coproduction avec La Colline – théâtre <strong>national</strong>,<br />
<strong>Théâtre</strong> <strong>national</strong> <strong>de</strong> Bretagne Rennes, Compagnie Nor<strong>de</strong>y<br />
Le texte <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce a paru aux Éditions Théâtrales, éditeur et agent <strong>de</strong> l’auteur.<br />
Une édition bilingue a paru aux Presses universitaires du Mirail, collection<br />
“Nouvelles Scènes - Allemand” en 2009.<br />
régie générale Antoine Guilloux régie Malika Ouadah régie lumière Thierry Le Duff<br />
régie son Émile Bernard régie vidéo Elise Fernagu<br />
machinistes Thierry Bastier, Franck Bozzolo, Christian Felipe,<br />
Guy Laposta, David Nahmany, Harry Toi<br />
électricien Pascal Levesque habil<strong>la</strong>ge Geneviève Goffinet<br />
Le décor a été construit par le Grand T - Nantes.<br />
du 11 janvier au 2 février 2013<br />
Grand <strong>Théâtre</strong><br />
du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30<br />
création à La Colline<br />
3
Où court cette biche écrite dans <strong>la</strong> forêt écrite?<br />
Irait-elle s’abreuver au bord <strong>de</strong> l’eau écrite<br />
qui copie son museau comme le papier-carbone?<br />
Pourquoi lève-t-elle <strong>la</strong> tête, entend-elle quelque chose?<br />
Elle emprunte ses pattes à <strong>la</strong> réalité<br />
et, sous mes doigts, elle tend l’oreille.<br />
Silence – ce mot aussi gratte sur le papier<br />
en écartant<br />
les branches, droit sorties du mot “forêt”.<br />
Wis<strong>la</strong>wa Szymborska<br />
De <strong>la</strong> mort sans exagérer, traduit du polonais par Piotr Kaminski, Librairie Arthème<br />
Fayard, 1996 pour <strong>la</strong> traduction française, p. 30<br />
La Forêt est-elle poétique?<br />
Célébré souvent par les chants, il a grandi et n’eut plus<br />
besoin <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong>s déesses.<br />
Alors il aima parcourir les bois, al<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> ferme en ferme,<br />
couronné <strong>de</strong> lierre et <strong>de</strong> <strong>la</strong>urier pesants. Des nymphes<br />
étaient sa suite,<br />
il les conduisait, et les bois à perte <strong>de</strong> vue résonnaient<br />
<strong>de</strong> leur fracas.<br />
C’est pourquoi je te salue, Dionysos riche en pampres <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> vigne!<br />
Donne-nous <strong>de</strong> revivre encore les saisons dans <strong>la</strong> joie,<br />
mais après les saisons donne-nous aussi <strong>de</strong> nombreuses<br />
années!<br />
Hymnes homériques<br />
Hymne à Dionysos, cité par <strong>Anja</strong> <strong>Hilling</strong>, en exergue <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce,<br />
“Première partie : La fête”<br />
4<br />
Formes multiples pour une pièce unique<br />
En dépit <strong>de</strong> sa facture apparemment c<strong>la</strong>ssique en trois parties,<br />
Tristesse animal noir propose une écriture déconcertante à<br />
facettes multiples, aux styles, formes et niveaux <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngues<br />
savamment entre<strong>la</strong>cés.<br />
D’abord, <strong>de</strong> vastes didascalies dépeignent avec une précision<br />
poétique <strong>la</strong> forêt en pleine canicule ainsi que les personnages<br />
qui s’y ren<strong>de</strong>nt pour un pique-nique. Il pourrait s’agir du<br />
scénario d’un film ou du début d’un roman. Impossible <strong>de</strong> traduire<br />
ces images visuellement sur une scène <strong>de</strong> théâtre... mais tout<br />
aussi impossible <strong>de</strong> priver le public <strong>de</strong> ces paroles d’une<br />
intensité crépuscu<strong>la</strong>ire.<br />
Bientôt ces passages en prose seront interrompus par les<br />
dialogues <strong>de</strong>s six amis en manque <strong>de</strong> nature. Nos bobos font du<br />
small talk (parler “quotidien” en phrases courtes, dialogues<br />
rythmés), en se <strong>la</strong>nçant <strong>de</strong>s piques cing<strong>la</strong>ntes – un morceau <strong>de</strong><br />
conversation <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses moyennes privilégiées vivant dans<br />
une capitale européenne.<br />
La pièce bascule ensuite dans le drame en prenant une toute<br />
autre forme : le récit cauchemar<strong>de</strong>sque d’une catastrophe,<br />
<strong>de</strong>scription bouleversante dans une <strong>la</strong>ngue bien moins<br />
quotidienne, prise en charge par les protagonistes mêmes<br />
cherchant à échapper au pire.<br />
Ce qui suit en troisième partie peut sembler n’être qu’une sorte<br />
<strong>de</strong> postface sous forme <strong>de</strong> récits alternant avec <strong>de</strong>s dialogues...<br />
Cependant, l’incapacité <strong>de</strong>s survivants à venir à bout <strong>de</strong> leur<br />
trauma crée un drame plus sourd encore et tout aussi douloureux<br />
que <strong>la</strong> catastrophe même. Chacun <strong>de</strong>s survivants réagit à sa<br />
manière, mais tous se trouvent dans une solitu<strong>de</strong> nouvelle, un<br />
espace insondable que seul l’artiste réussira à combler par<br />
son travail <strong>de</strong> création.<br />
Silvia et Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Berutti le 9 décembre 2012<br />
5
Marcher dans les bois<br />
La forêt, qu’est-ce que c’est ? Ce<strong>la</strong> s’étend sur les p<strong>la</strong>ines,<br />
esca<strong>la</strong><strong>de</strong> les montagnes, saute par-<strong>de</strong>ssus les rivières, dévale<br />
les montagnes, remplit les vallées [...] Nous voyons comme<br />
ce<strong>la</strong> se jette dans le miroir <strong>de</strong>s <strong>la</strong>cs, comme ce<strong>la</strong> joue avec le<br />
ciel, comme ce<strong>la</strong> <strong>de</strong>vient mer, tempête, tourbillon et fleuve.<br />
Alors nous <strong>de</strong>venons nous-mêmes quelque chose qui s’écoule.<br />
Nous sommes à présent en marche, et il n’y a plus une seule<br />
fibre immobile dans notre coeur. [...]<br />
En été <strong>la</strong> forêt est tout entière couleur, lour<strong>de</strong>, débordante.<br />
Tout alors est vert, le vert est partout, le vert règne et<br />
comman<strong>de</strong>, ne <strong>la</strong>isse paraître d’autres couleurs, qui voudraient<br />
aussi se faire remarquer, que par rapport à lui. Le vert jette<br />
sa lumière sur toutes les formes <strong>de</strong> sorte que les formes<br />
disparaissent et <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s éc<strong>la</strong>ts. On ne prend plus gar<strong>de</strong><br />
aux formes en été, on ne voit plus qu’un grand ruissellement<br />
<strong>de</strong> couleur plein <strong>de</strong> pensées. Le mon<strong>de</strong> alors a son visage, son<br />
caractère, il a ce visage-là ; dans les belles années <strong>de</strong> notre<br />
jeunesse il a eu ce visage, nous y croyons car nous ne connaissons<br />
rien d’autre. Avec quel bonheur <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s gens pensent<br />
à leur jeunesse : <strong>la</strong> jeunesse leur envoie <strong>de</strong>s rayons verts, car<br />
c’est dans <strong>la</strong> forêt qu’elle a été <strong>la</strong> plus délicieuse et <strong>la</strong> plus<br />
captivante. Ensuite, on est <strong>de</strong>venu grand, et les forêts sont<br />
<strong>de</strong>venues aussi plus vieilles, mais tout ce qui est important<br />
n’est-il pas resté le même ? [...] Père et mère et frères et soeurs,<br />
et coups et caresses et goujateries, et, liant tout ce<strong>la</strong>, le<br />
fil intérieur <strong>de</strong> ce vert unique. Les forêts qu’on a traversées<br />
<strong>la</strong>issent dans le coeur un sentiment <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur et <strong>de</strong> sacré,<br />
et un sentiment pareil comman<strong>de</strong> <strong>de</strong> se taire.<br />
Robert Walser<br />
La Forêt, in Les Rédactions <strong>de</strong> Fritz Kocher, trad. Jean Launay, Éditions Gallimard,<br />
1999, p. 92 et 94<br />
6<br />
Giuseppe Penone, Albero <strong>de</strong>lle vocali, 1999-2000<br />
Je trouve l’homme d’aujourd’hui si mo<strong>de</strong>rne et si désespéré :<br />
ce qui l’agite, ce qu’il veut, tout ce<strong>la</strong> n’en finit jamais<br />
et recommence toujours <strong>de</strong> nouveau, et si le bonheur arrive brièvement,<br />
l’homme d’aujourd’hui en est tellement effrayé que ce<strong>la</strong> frise le malheur.<br />
La nature est bien plus simple, je ne peux pas l’exprimer avec <strong>de</strong>s mots,<br />
mais je crois à l’étonnement <strong>de</strong> l’homme quand il est touché par elle.<br />
<strong>Anja</strong> <strong>Hilling</strong><br />
programme <strong>de</strong> Tristesse animal noir du Schauspielhaus <strong>de</strong> Vienne,<br />
2 octobre 2008
Thomas Gonzalez<br />
Valérie Dréville, Laurent Sauvage<br />
Entretien avec Stanis<strong>la</strong>s Nor<strong>de</strong>y<br />
Ange<strong>la</strong> De Lorenzis:Quand <strong>la</strong> pièce d’<strong>Anja</strong> <strong>Hilling</strong> a été découverte<br />
dans le cadre du groupe <strong>de</strong> lecteurs <strong>de</strong> La Colline, elle a suscité<br />
à <strong>la</strong> fois beaucoup d’enthousiasme et beaucoup <strong>de</strong> controverses:<br />
l’histoire <strong>de</strong>s six bobos qui se ren<strong>de</strong>nt en forêt pour un<br />
pique-nique et allument un barbecue à l’origine d’un incendie<br />
catastrophique, n’avait pas fait l’unanimité. Tu faisais partie<br />
<strong>de</strong>s enthousiastes, quelle a été <strong>la</strong> première impulsion qui t’a fait<br />
aimer le texte?<br />
Stanis<strong>la</strong>s Nor<strong>de</strong>y: L’intelligence <strong>de</strong> sa structure en trois parties:<br />
avant, pendant et après <strong>la</strong> catastrophe, ainsi que <strong>la</strong> force<br />
rare <strong>de</strong>s trois mo<strong>de</strong>s d’écriture. Pour sa richesse formelle et<br />
sa connaissance profon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s ressorts du théâtre, le texte<br />
est presque un cas d’école. Mais à côté <strong>de</strong> cette structure<br />
intellectuelle forte, il y a beaucoup d’émotion et <strong>de</strong>ux moments<br />
<strong>de</strong> climax inouïs : <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> l’enfant et le suici<strong>de</strong> <strong>de</strong> Paul.<br />
A. D. L.: Dans <strong>la</strong> première partie, les six protagonistes utilisent<br />
un <strong>la</strong>ngage ordinaire, <strong>de</strong>s phrases courtes, les dialogues<br />
fusent, on dirait presque que les personnages pourraient être<br />
interchangeables. Ils vont se caractériser par <strong>la</strong> suite, dans<br />
<strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième et <strong>la</strong> troisième partie, mais au début, ils forment<br />
véritablement un choeur (au sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie antique),<br />
une choralité <strong>de</strong> voix émanant d’un corps – collectif – unique.<br />
S. N.: Oui, et en même temps, <strong>Anja</strong> <strong>Hilling</strong> <strong>de</strong>ssine précisément<br />
les contours <strong>de</strong>s six personnages qu’elle tire d’une certaine<br />
c<strong>la</strong>sse sociale, mais sans aucune intention sociologique ; ce sont<br />
<strong>de</strong>s quadras contemporains, <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s femmes <strong>de</strong>s<br />
villes, comme nous, confrontés à un certain nombre <strong>de</strong> thèmes,<br />
dont le premier est le chassé-croisé <strong>de</strong> l’amour. Ce qui m’a<br />
touché notamment, c’est <strong>la</strong> façon <strong>de</strong> décrire ce cycle :<br />
9
<strong>la</strong> naissance <strong>de</strong> l’amour (entre Martin et Flynn), sa disparition<br />
(entre Jennifer et Flynn), son retour (entre Jennifer et Paul),<br />
ainsi qu’une pluralité <strong>de</strong> variations possibles : Jennifer, <strong>la</strong> fille<br />
âgée qui est avec un garçon, Flynn, beaucoup plus jeune qu’elle;<br />
le couple recomposé <strong>de</strong> Paul, homme divorcé, et Miranda, qui<br />
ont eu un enfant ; enfin le couple <strong>de</strong>s hommes, Oskar et Martin.<br />
Il est intéressant <strong>de</strong> voir comment <strong>Hilling</strong> décrit ces couples<br />
qui vont se décomposer, puis se recomposer, à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
catastrophe – sans porter, à mon avis, <strong>de</strong> jugement sur eux.<br />
Au fond, c’est d’elle-même qu’elle parle, d’un mon<strong>de</strong> qu’elle<br />
connaît très bien.<br />
A. D. L.: C’est une écriture <strong>de</strong> l’épi<strong>de</strong>rme, <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensation : le<br />
toucher, l’ouïe, <strong>la</strong> vue, l’odorat, y sont presque perceptibles.<br />
Une étudiante m’a avoué qu’en lisant <strong>la</strong> pièce, au moment <strong>de</strong><br />
l’incendie, elle a commencé à transpirer... Comment vas-tu<br />
résoudre scéniquement ces éléments, comment représenter<br />
<strong>la</strong> forêt, l’incendie?<br />
S. N.: Il faut immerger le public dans <strong>la</strong> forêt, l’amener dans<br />
une forme d’hyperréalisme, l’entraîner dans un processus<br />
d’i<strong>de</strong>ntification avec ces personnages contemporains dans<br />
lesquels il peut se reconnaître : ce processus passe par <strong>la</strong><br />
sensation physique. Il y aura <strong>de</strong>s o<strong>de</strong>urs et quelques éléments<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt – l’écorce par exemple : pour ce travail, d’ailleurs,<br />
nous nous sommes inspirés <strong>de</strong> l’oeuvre p<strong>la</strong>stique <strong>de</strong> Giuseppe<br />
Penone. Par contre, dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième partie, l’incendie est<br />
avant tout “raconté” – nous le verrons à travers et dans les<br />
yeux <strong>de</strong>s acteurs. Dans <strong>la</strong> troisième partie, nous sommes<br />
dans une boîte b<strong>la</strong>nche transformable, qui représente les<br />
différents intérieurs, tous très cliniques.<br />
10<br />
A. D. L.: C’est un thème récurrent du théâtre, comme le<br />
“récit <strong>de</strong> Théramène” dans Phèdre, lorsque le messager raconte<br />
et décrit le corps déchiqueté d’Hyppolite...<br />
S. N.: Oui, dans le récit, le “film” est raconté par les yeux<br />
et <strong>la</strong> voix <strong>de</strong>s acteurs : <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> l’horreur passe par<br />
<strong>la</strong> puissance d’évocation du récit, <strong>la</strong> force <strong>de</strong> l’émotion <strong>de</strong><br />
l’acteur sollicite l’imaginaire du spectateur.<br />
A. D. L.: Se pose ensuite <strong>la</strong> question <strong>de</strong> <strong>la</strong> culpabilité, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
responsabilité : les six personnages ont été à l’origine d’un<br />
incendie meurtrier ; un enfant, <strong>de</strong>s hommes, une femme, <strong>de</strong>s<br />
animaux, <strong>de</strong>s maisons et une forêt ont “péri” dans les f<strong>la</strong>mmes.<br />
Dans ce cas-là non plus, tu ne penses pas que l’auteur veuille<br />
condamner leur négligence, leur irresponsabilité?<br />
S. N.: Encore une fois, je pense que l’auteur porte un regard<br />
luci<strong>de</strong>, mais pas moraliste, ni accusateur, sur les personnages:<br />
ce n’est pas un pamphlet. Elle <strong>la</strong>isse les choses beaucoup plus<br />
ouvertes. <strong>Anja</strong> <strong>Hilling</strong> étudie ces personnes comme s’ils étaient<br />
<strong>de</strong>s scarabées, <strong>de</strong>s rats <strong>de</strong> <strong>la</strong>boratoire – un peu comme dans<br />
l’instal<strong>la</strong>tion d’art contemporain <strong>de</strong> <strong>la</strong> troisième partie : ce<br />
sont <strong>de</strong>s personnages sous observation. Elle crée <strong>de</strong>s êtres<br />
contrastés, contradictoires ; c’est vrai qu’ils ont chacun<br />
une part d’opportunisme, <strong>de</strong> cynisme : ils mentent à <strong>la</strong> police,<br />
refusent d’assumer <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong> <strong>la</strong> catastrophe, etc.<br />
En même temps, ils sont bouleversants. <strong>Hilling</strong> piège ses<br />
personnages, leur faisant atteindre une forme <strong>de</strong> conscience:<br />
Jennifer se met à photographier les animaux morts, Oskar<br />
veut se rendre à <strong>la</strong> police, Paul se <strong>la</strong>isse happer par le vi<strong>de</strong><br />
dans une impulsion impromptue... <strong>la</strong> catastrophe leur sert <strong>de</strong><br />
révé<strong>la</strong>teur. L’auteure écrit une pièce à hauteur d’homme : elle<br />
établit un état <strong>de</strong>s lieux, pour raconter à quel point l’homme<br />
s’est détaché du réel.<br />
11
A. D. L.: Un enfant est mort pourtant...<br />
S. N.: L’enfant mort est un autre topos qui revient dans le<br />
théâtre contemporain, chez Edward Bond ou Sarah Kane par<br />
exemple. C’est un point <strong>de</strong> fixation, <strong>de</strong> crispation, qui est le<br />
signe pour moi d’une certaine santé du théâtre. C’est<br />
l’éternelle variation du sacrifice d’Iphigénie. L’enfant sacrifié<br />
représente <strong>la</strong> quintessence <strong>de</strong> l’horreur et ne quitte jamais<br />
le coeur <strong>de</strong> notre imagination. Comment survivre à <strong>la</strong> perte d’un<br />
enfant ? Comme Wajdi Mouawad, qui reprend Sophocle, <strong>Anja</strong><br />
<strong>Hilling</strong> ose aller au plus profond <strong>de</strong> nos peurs. L’effet doit être<br />
cathartique.<br />
A. D. L.: Aux trois mo<strong>de</strong>s d’écriture correspon<strong>de</strong>nt trois<br />
mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> jeu : tout particulièrement, comment vas-tu résoudre<br />
le problème <strong>de</strong>s didascalies poétiques?<br />
S. N.: Chaque acteur dira <strong>la</strong> didascalie qui correspond à son<br />
personnage. Dans <strong>la</strong> première partie, nous faisons du théâtre-<br />
roman, c’est-à-dire que les acteurs entrent et sortent<br />
alternativement <strong>de</strong> <strong>la</strong> fiction pour être aussi dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription.<br />
C’est un mo<strong>de</strong> inédit <strong>de</strong> prise en charge <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole. Dans<br />
<strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième partie, l’incendie, nous sommes dans le mo<strong>de</strong> récit,<br />
donc dans une forme d’adresse au public. Dans <strong>la</strong> troisième<br />
partie, nous sommes dans une adresse plus conventionnelle,<br />
celle du “quatrième mur”...<br />
A. D. L.: Ne penses-tu pas que dans <strong>la</strong> troisième partie, après<br />
<strong>la</strong> catastrophe, tout explose et tombe en miettes ? Non<br />
seulement les personnages, qui se dispersent, se décomposent,<br />
meurent, mais aussi le mo<strong>de</strong> d’écriture : nous ne sommes plus<br />
dans le dialogue, ni dans le récit, mais dans un troisième mo<strong>de</strong>,<br />
qui prend peut-être en charge tous les autres... Le dialogue<br />
périclite ; à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce, reste le discours rapporté, celui <strong>de</strong>s<br />
12<br />
personnages à l’hôpital, les messages du répon<strong>de</strong>ur, <strong>de</strong>s<br />
dialogues qui ne se répon<strong>de</strong>nt plus, du récit et <strong>de</strong> <strong>la</strong> narration<br />
en <strong>la</strong>mbeaux... comme si <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> parole était disloquée,<br />
désarticulée... dans un désordre, une confusion totale, comme<br />
après un cataclysme... l’on pense à Fukushima et aux restes<br />
éparpillés mis côte à côte par l’effet du hasard, une fois le<br />
tsunami passé...<br />
S. N.: Oui, c’est possible qu’il y ait une accumu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s<br />
trois, une dissémination, mais peut-être pas une con<strong>de</strong>nsation...<br />
Il y a probablement une dissémination <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> jeu, une<br />
multiplicité...<br />
A. D. L.: S’ouvre <strong>la</strong> question <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature: comme le dit Thoreau,<br />
<strong>la</strong> nature est d’abord un élément métaphorique, “l’envers<br />
<strong>de</strong> ce qui est au-<strong>de</strong>dans <strong>de</strong> nous”. Il y a une sauvagerie <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
forêt, en tant qu’élément originaire, élémentaire. Dans cette<br />
pièce, les hommes aussi me semblent être <strong>de</strong>s “particules”<br />
élémentaires. Ce texte m’a fait également penser à L’Ilia<strong>de</strong>,<br />
où <strong>la</strong> nature est incarnée par <strong>de</strong>s dieux païens ayant un<br />
rapport très direct avec l’homme, qui est un peu leur jouet.<br />
S. N.: Oui, je ne pense pas que les références qu’<strong>Anja</strong> <strong>Hilling</strong><br />
donne dans <strong>la</strong> pièce renvoient à un militantisme écologique.<br />
Si l’on prend Wal<strong>de</strong>n <strong>de</strong> Thoreau, ce qui ressort dans son livre,<br />
c’est <strong>la</strong> poésie <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, <strong>la</strong> nature en tant que poésie.<br />
La première chose à <strong>la</strong>quelle j’ai pensé, c’est <strong>la</strong> forêt <strong>de</strong> Bambi,<br />
ce lieu <strong>de</strong> l’inconnu, qui con<strong>de</strong>nse toutes les peurs <strong>de</strong><br />
l’enfance; en même temps, cette forêt est un lieu <strong>de</strong> poésie,<br />
<strong>de</strong> fascination. C’est <strong>la</strong> forêt <strong>de</strong>s contes, qui fascine et qui<br />
fait peur. Mais aussi l’endroit originel, l’endroit <strong>de</strong> l’ombre...<br />
qui s’oppose à <strong>la</strong> ville, <strong>la</strong>quelle a l’illusion d’avoir embrigadé <strong>la</strong><br />
nature, <strong>de</strong> l’avoir évacuée... Pour finir, c’est le Paradis Perdu:<br />
<strong>la</strong> première <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature dans Tristesse, c’est le<br />
13
jardin d’É<strong>de</strong>n. Par <strong>la</strong> réflexion sur <strong>la</strong> nature, l’homme fait un bi<strong>la</strong>n<br />
sur lui-même... C’est pourquoi je ne pense pas que ce soit une<br />
pièce moraliste, judéo-chrétienne : l’auteure y décrit plutôt<br />
un mouvement naturel... D’ailleurs, le mouvement cyclique<br />
qu’on peut relever au niveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> structure revient en tant<br />
qu’axe thématique fort <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce : les mouvements cycliques<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. La nature efface et recommence, par une sorte <strong>de</strong><br />
régénération... C’est comme dans Théorème <strong>de</strong> Pasolini, où<br />
après le passage <strong>de</strong> l’ange, les personnages restent à nu, dans<br />
le plus grand désarroi...<br />
A. D. L.: Presque Anéantis pourrait-on dire ? La structure<br />
en trois parties <strong>de</strong> Tristesse rappelle fortement <strong>la</strong> structure<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce <strong>de</strong> Sarah Kane, où l’on passe du naturalisme du<br />
premier acte au paysage apocalyptique du troisième.<br />
S. N.: Avec <strong>la</strong> différence que chez Kane, il y a représentation<br />
<strong>de</strong> l’horreur, on voit le meurtre du bébé sur scène, alors que<br />
chez <strong>Hilling</strong>, pas du tout, car l’horreur est mise à distance par<br />
le récit. L’insoutenable <strong>de</strong>vient supportable grâce à <strong>la</strong><br />
distanciation du récit. Mais au fond, on n’interroge <strong>la</strong> question<br />
du vivant que si l’on est confronté à <strong>la</strong> mort. Il y a aussi une<br />
beauté dans l’horreur : les cadavres sont calcinés, les corps<br />
se sont consumés – que ce soient les arbres, les animaux,<br />
les hommes – tout est b<strong>la</strong>nc argenté. Comme à Pompéi. Ce n’est<br />
pas un hasard si dans Tristesse, les corps restent figés<br />
dans le vivant : <strong>la</strong> mort nous oblige à nous interroger sur le<br />
statut <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie à l’oeuvre. Dans <strong>la</strong> ville, au contraire, nous<br />
sommes confrontés sans cesse à l’inanimé : dans <strong>la</strong> troisième<br />
partie, le vivant <strong>de</strong>vient abstrait, et <strong>la</strong> nature est cristallisée,<br />
transcendée dans une instal<strong>la</strong>tion d’art contemporain.<br />
Propos recueillis par Ange<strong>la</strong> De Lorenzis,<br />
le 13 novembre 2012<br />
14<br />
Valérie Dréville, Frédéric Leidgens, Laurent Sauvage<br />
Thomas Gonzalez, Lamya Regragui
Moanda Daddy Kamono, Laurent Sauvage Valérie Dréville, Vincent Dissez, Julie Moreau
Vincent Dissez<br />
Frédéric Leidgens, Moanda Daddy Kamono, Valérie Dréville<br />
Assoupi dans <strong>la</strong> nature il y a un feu souterrain<br />
qui jamais ne s’éteint et qu’aucun froid ne<br />
peut g<strong>la</strong>cer. [...] Ce feu souterrain a son autel<br />
en <strong>la</strong> poitrine <strong>de</strong> chaque homme.<br />
Henry David Thoreau<br />
Marcher, Terradou / CEDEP, 1991, p. 58-59<br />
Fourneau<br />
Le corps <strong>de</strong> l’homme est un fourneau, et les vivres l’aliment qui<br />
entretient <strong>la</strong> combustion dans les poumons. En temps froid<br />
nous mangeons davantage, et moins en temps chaud. La chaleur<br />
animale est le résultat d’une combustion lente ; est-elle trop<br />
rapi<strong>de</strong>, que se produisent <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die et <strong>la</strong> mort ; soit par défaut<br />
d’aliments, soit par vice <strong>de</strong> tirage, le feu s’éteint. Il va sans<br />
dire que <strong>la</strong> chaleur vitale n’a pas à se voir confondue avec le<br />
feu ; mais trêve d’analogies. Il apparaît donc que l’expression<br />
vie animale est presque synonyme <strong>de</strong> l’expression chaleur<br />
animale ; car tandis que le Vivre peut être considéré comme le<br />
Combustible qui entretient le feu en nous – et le Combustible<br />
ne sert qu’à préparer ce Vivre ou à accroître <strong>la</strong> chaleur <strong>de</strong> nos<br />
corps par addition venue du <strong>de</strong>hors.<br />
Henry David Thoreau<br />
Wal<strong>de</strong>n ou <strong>la</strong> Vie dans les bois, trad. Louis Fabulet, Éditions Gallimard,<br />
coll. “L’Imaginaire”, 2010, p. 20-21<br />
19
Ariel<br />
Par le menu!<br />
Je suis monté à bord du vaisseau du roi,<br />
Puis, tantôt à <strong>la</strong> proue, tantôt sur le pont,<br />
Tantôt sur <strong>la</strong> dunette ou dans les cabines,<br />
J’ai fait courir ma f<strong>la</strong>mme et <strong>la</strong> stupeur!<br />
Quelquefois, je me divisais,<br />
Je brû<strong>la</strong>is en nombre d’endroits. Sur le grand mât,<br />
Aux vergues, au beaupré j’étais diverses f<strong>la</strong>mmes<br />
Puis je me rassemb<strong>la</strong>is. La foudre <strong>de</strong> Jupiter<br />
Qui précè<strong>de</strong> <strong>de</strong> peu l’effrayant tonnerre,<br />
N’est pas plus prompte à <strong>de</strong>vancer <strong>la</strong> vue.<br />
Ce feu, ces gron<strong>de</strong>ments du soufre, ces étincelles,<br />
Ils semb<strong>la</strong>ient assiéger l’omnipotent Neptune<br />
Qui en tremb<strong>la</strong>it <strong>de</strong> toutes ses vagues ! [...]<br />
Pas une âme<br />
Qui ne brûlât <strong>de</strong> <strong>la</strong> fièvre <strong>de</strong>s fous<br />
Et ne commît quelque acte <strong>de</strong> désespoir.<br />
Tous, sauf les matelots, se sont jetés<br />
Dans l’eau, qui bouillonnait pourtant, afin <strong>de</strong> fuir<br />
Le bateau que j’incendiais. Le fils du roi,<br />
Ferdinand, les cheveux tout rai<strong>de</strong>s sur sa tête,<br />
Des roseaux, eût-on dit, pas <strong>de</strong>s cheveux,<br />
Le premier à sauter, criant : “L’enfer<br />
Est vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses diables, ils sont tous ici !”<br />
William Shakespeare<br />
La Tempête, trad. Yves Bonnefoy, Éditions Gallimard,<br />
coll. “Folio/<strong>Théâtre</strong>”, 1997, p. 115-117<br />
L’Enfer<br />
Dante et Virgile, 8 e bolge : Conseillers perfi<strong>de</strong>s, enveloppés <strong>de</strong> f<strong>la</strong>mmes.<br />
Nous partîmes, et sur cet escalier<br />
qui nous avait fait pâlir à le <strong>de</strong>scendre,<br />
mon maître remonta, me tirant après lui.<br />
Je souffris alors, et à présent je souffre encore,<br />
quand ma pensée revient à ce que je vis [...]<br />
ainsi resplendissait <strong>la</strong> huitième bolge,<br />
d’autant <strong>de</strong> f<strong>la</strong>mmes, comme je m’en aperçus,<br />
dès que je fus là d’où le fond se découvre.<br />
Et comme celui que les ours vengèrent<br />
vit le char d’Élie à son départ,<br />
quand les chevaux montèrent droit dans le ciel,<br />
si bien qu’il ne pouvait, à le suivre <strong>de</strong>s yeux,<br />
voir autre chose que <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme seule<br />
qui s’élevait, comme un petit nuage:<br />
ainsi chacune s’avançait dans le creux<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> fosse, car nulle ne montrait son butin,<br />
et chaque f<strong>la</strong>mme enferme un pécheur [...]<br />
Mon gui<strong>de</strong>, en me voyant si attentif:<br />
“Les âmes se tiennent dans ces feux”, dit-il ;<br />
“car elles s’entourent <strong>de</strong> ce qui les embrase.” [...]<br />
“Qui donc est dans ce feu si fourchu à sa pointe ?” [...]<br />
<strong>la</strong> plus haute branche <strong>de</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme antique<br />
se mit à tressaillir en murmurant<br />
pareille à celle que le vent tourmente.<br />
Puis agitant sa pointe çà et là<br />
comme si c’était <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue qui par<strong>la</strong>it,<br />
elle jeta au-<strong>de</strong>hors une voix.<br />
Dante<br />
La Divine Comédie, L’Enfer, chant XXVI, trad. Jacqueline Risset,<br />
GF F<strong>la</strong>mmarion, 2004, p. 237-241<br />
20 21
Si tu regar<strong>de</strong>s une réalité droit dans les yeux, tu verras le<br />
soleil étinceler sur ses <strong>de</strong>ux faces comme sur une épée,<br />
tu sentiras sa douce acuité te transpercer du coeur jusqu’à<br />
<strong>la</strong> moelle et tu achèveras heureux ton parcours terrestre.<br />
Dans <strong>la</strong> vie comme dans <strong>la</strong> mort, nous ne <strong>la</strong>nguissons jamais<br />
qu’après <strong>la</strong> vérité.<br />
Henry David Thoreau<br />
Wal<strong>de</strong>n ou <strong>la</strong> Vie dans les bois, Éditions Gallimard, coll. “L’Imaginaire”,<br />
cité par <strong>Anja</strong> <strong>Hilling</strong> en exergue <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, “Deuxième partie : Le feu”<br />
Miranda<br />
On croirait que le Ciel ferait pleuvoir<br />
Sa poix infecte sur nous, si les gran<strong>de</strong>s vagues<br />
N’esca<strong>la</strong>daient sa face dans les nuées<br />
Pour en noyer le feu ! Ah, que j’ai souffert<br />
Avec ceux que j’ai vu souffrir ! Ce hardi vaisseau<br />
Qui portait sûrement quelque être noble,<br />
Tout fracassé ! Ce cri, ce cri<br />
Qui m’a frappé au coeur ! Pauvres âmes, péries!<br />
William Shakespeare<br />
La Tempête, trad. Yves Bonnefoy, Éditions Gallimard, coll. “Folio/<strong>Théâtre</strong>”, 1997, p. 93<br />
Chymique<br />
Silence, comme un or en fusion, recuit, dans<br />
<strong>de</strong>s mains<br />
calcinées.<br />
Gran<strong>de</strong>, grise,<br />
proche comme tout le perdu,<br />
silhouette-soeur:<br />
22<br />
tous ces noms, tous ces<br />
noms avec<br />
elle brûlés. Tant<br />
<strong>de</strong> cendre à bénir. Tant<br />
<strong>de</strong> terres gagnées<br />
au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s<br />
anneaux<br />
d’âme<br />
légers, si légers.<br />
Gran<strong>de</strong>. Grise. La Dépourvue <strong>de</strong><br />
scories.<br />
Toi, autrefois,<br />
Toi, avec le bourgeon<br />
blême, mordu.<br />
Toi dans le flot <strong>de</strong> vin.<br />
(N’est-ce pas, nous aussi<br />
cette horloge nous a <strong>la</strong>issé partir?<br />
C’était bon,<br />
bon, <strong>la</strong> mort-passage ici <strong>de</strong> ta parole.)<br />
Silence, comme un or en fusion, recuit dans<br />
<strong>de</strong>s mains<br />
calcinées, calcinées.<br />
Doigts, gracile fumée. Comme <strong>de</strong>s couronnes, <strong>de</strong>s couronnes d’air<br />
Autour <strong>de</strong> – –<br />
[...]<br />
Paul Ce<strong>la</strong>n<br />
in La Rose <strong>de</strong> personne recueilli dans Choix <strong>de</strong> poèmes,<br />
trad. Jean-Pierre Lefebvre, Poésie / Gallimard, 1998, p. 183-185<br />
23
Le Bûcher d’Hector<br />
“Pour un grand renom, nous tuâmes Hector le splendi<strong>de</strong>,<br />
celui que, tel un dieu, les Troyens priaient dans leur ville.”<br />
Achille préparait au divin Hector <strong>de</strong>s outrages infâmes.<br />
Il lui perça les tendons <strong>de</strong> chaque pied, par-<strong>de</strong>rrière,<br />
entre cheville et talon, y passa <strong>de</strong>s <strong>la</strong>nières <strong>de</strong> vache,<br />
qu’il noua sur le char, <strong>la</strong>issant <strong>la</strong> tête à <strong>la</strong> traîne,<br />
puis il monta sur son char, emportant ses armes glorieuses.<br />
Il fouetta ses chevaux, qui, sans regimber, s’envolèrent.<br />
La poussière jaillit sous le corps qu’il traînait, et les mèches<br />
sombres se déployèrent ; <strong>la</strong> tête naguère charmante<br />
se couvrit <strong>de</strong> poudre. Zeus le livrait aux outrages<br />
<strong>de</strong> ses ennemis sur son sol, au pays <strong>de</strong> ses pères. [...]<br />
Le vieil<strong>la</strong>rd Priam adressa ces mots à <strong>la</strong> foule:<br />
“Rapportez Troyens, du bois à <strong>la</strong> ville, sans craindre<br />
dans votre coeur l’embusca<strong>de</strong> rusée <strong>de</strong>s Argiens, car Achille,<br />
me renvoyant <strong>de</strong>s noirs vaisseaux, me donna l’assurance<br />
qu’ils ne tenteraient rien d’ici l’Aurore douzième”. [...]<br />
En neuf jours, ils rapportèrent du bois en pagaille.<br />
Lorsque parût <strong>la</strong> dixième Aurore, lumière <strong>de</strong>s hommes,<br />
ils transportèrent, parmi les pleurs, Hector le farouche.<br />
Ils p<strong>la</strong>cèrent le mort au sommet du bûcher, l’embrasèrent.<br />
Lorsque, matinale, l’Aurore parut, doigts-<strong>de</strong>-rose,<br />
ils s’assemblèrent autour du bûcher d’Hector gloire-immense.<br />
Quand ils se furent rassemblés, qu’ils furent ensemble,<br />
ils étouffèrent d’abord le feu en versant le vin sombre,<br />
là où l’ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme avait sévi : puis ses frères<br />
et ses amis recueillirent les os, bril<strong>la</strong>ntes reliques,<br />
en gémissant ; sur leurs joues cou<strong>la</strong>ient <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes nombreuses.<br />
Homère<br />
L’Ilia<strong>de</strong>, chants 22 et 24, trad. Philippe Brunet, Seuil, 2010, p. 520-521<br />
24<br />
Valérie Dréville
Giuseppe Penone, Ripetere il bosco, 1969-1997<br />
Les forêts ne sont que très rarement sombres.<br />
Notre âme doit déjà être d’une humeur bien sombre<br />
pour recevoir <strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt une impression <strong>de</strong> tristesse.<br />
Robert Walser, La Forêt<br />
J’entrevois comme une “chance” toutes les gran<strong>de</strong>s<br />
catastrophes. Je ne crois pas que <strong>de</strong>s petites choses puissent<br />
ai<strong>de</strong>r à changer, il faut une déf<strong>la</strong>gration en toi pour que,<br />
peut-être, quelque chose se produise. La tristesse n’est pas<br />
pour moi un effondrement, mais un sentiment réprimé pendant<br />
longtemps, après lequel quelque chose <strong>de</strong> bon peut advenir.<br />
<strong>Anja</strong> <strong>Hilling</strong><br />
programme <strong>de</strong> Tristesse animal noir du Schauspielhaus <strong>de</strong> Vienne, 2 octobre 2008<br />
Animal noir<br />
Vous croyez sans doute que <strong>la</strong> chambre était vi<strong>de</strong>.<br />
Eh non : voyez trois chaises aux dossiers résistants.<br />
Une <strong>la</strong>mpe incomparable pour chasser les ténèbres.<br />
Un bureau, sur lequel portefeuille, journaux.<br />
Bouddha insouciant et Jésus soucieux.<br />
Sept éléphants fétiches, et au fond du tiroir,<br />
un répertoire en cuir. Sans nos adresses, dites-vous?<br />
[...]<br />
Non sans issue, ne serait-ce que par <strong>la</strong> porte,<br />
et non sans perspectives, voyez <strong>la</strong> fenêtre,<br />
semb<strong>la</strong>it cette chambre.<br />
Il y avait <strong>de</strong>s lunettes, pour regar<strong>de</strong>r au loin.<br />
Une mouche bourdonnait, donc elle vivait encore.<br />
Wis<strong>la</strong>wa Szymborska<br />
De <strong>la</strong> mort sans exagérer, trad. Piotr Kaminski, Poésie Fayard, 1996, p. 77<br />
27
<strong>Anja</strong> <strong>Hilling</strong><br />
Née en 1975. Elle étudie l’écriture<br />
scénique à l’université <strong>de</strong>s Arts <strong>de</strong><br />
Berlin. Été 2003 rési<strong>de</strong>nce au Royal<br />
Court, Londres. 2005 élue révé<strong>la</strong>tion<br />
<strong>de</strong> l’année par <strong>la</strong> revue Theater<br />
Heute. 2003 Étoiles, présenté au<br />
Theatertreffen, Berlin, reçoit le<br />
Prix <strong>de</strong> <strong>la</strong> Jeune Dramaturgie <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Dresdner Bank, est joué en 2006 à<br />
Bielefeld par D. Kranz et au Festival<br />
d’Édimbourg. 2004 Mon coeur si<br />
jeune si fou, monté à Munich et aux<br />
Journées <strong>de</strong> Mülheim et 2005 au<br />
<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> Iéna. 2005 Mousson<br />
monté à Cologne ; Protection au<br />
Thalia Theater, Hambourg ; Bulbus<br />
au Burgtheater, Vienne par D. Kranz.<br />
2006 Anges, Munich. 2007 écrit<br />
Sens pour les élèves <strong>de</strong> <strong>la</strong> Comédie<br />
<strong>de</strong> Saint-Étienne et <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Theateraka<strong>de</strong>mie <strong>de</strong> Hambourg,<br />
présenté en 2008, Festival<br />
Premières, Strasbourg. 2007<br />
Tristesse animal noir, Hanovre ; 2008<br />
Nostalgie 2175, Thalia Theater;<br />
2009 Radio Rhapsodie ; 2011 Bulbus,<br />
La Colline, mis en scène par<br />
D. Jeanneteau et M.-C. Soma. Pièces<br />
parues en France : chez Lansman:<br />
Sens, trad. S. Berutti-Ronelt &<br />
J.-C. Berutti ; chez Théâtrales:<br />
Bulbus, trad. H. Christophe ; Anges,<br />
trad. J. Cambreleng ; Tristesse animal<br />
noir suivi <strong>de</strong> Mousson ; Étoiles suivi<br />
<strong>de</strong> Mon coeur si jeune si fou, trad.<br />
S. Berutti-Ronelt & J.-C. Berutti.<br />
28<br />
Stanis<strong>la</strong>s Nor<strong>de</strong>y<br />
Né en 1966, il suit les cours <strong>de</strong><br />
Véronique Nor<strong>de</strong>y et intégre le<br />
CNSAD. En 1988, crée avec V. Nor<strong>de</strong>y<br />
<strong>la</strong> Compagnie Nor<strong>de</strong>y. De 1995-1997,<br />
associé à <strong>la</strong> direction artistique du<br />
<strong>Théâtre</strong> Nanterre-Amandiers auprès<br />
<strong>de</strong> J.-P. Vincent. De janvier 1998 à<br />
2001, directeur du TGP à Saint-Denis.<br />
Depuis 1998, il a mis en scène<br />
Marivaux, Pasolini, Karge, L<strong>la</strong>mas,<br />
Guibert, Genet, Müller, Hikmet,<br />
Gabily, Molière, Schwab, Lagarce,<br />
Fichet, Minyana, Piemme, Dahlström,<br />
Crimp, Gaudé, F. Mauvignier, Stramm,<br />
Paravidino, Richter, Fey<strong>de</strong>au,<br />
Hofmannsthal, Mouawad. À La Colline<br />
il a présenté Les Justes (Camus) en<br />
2010, et Se trouver (Piran<strong>de</strong>llo) en<br />
2012. Il signe également <strong>de</strong>s mises<br />
en scène d’opéras. De 2000 à 2012,<br />
il est artiste associé au TNB et<br />
responsable pédagogique <strong>de</strong> l’école.<br />
Comédien, avec notamment : M. Marion,<br />
Shaptai, R. Sadin (1990) ; J.-P. Vincent,<br />
Combats dans l’Ouest, Vichnievski<br />
(1990) ; J.-C. Saïs, Quai Ouest,<br />
Koltès (2002) ; L. Sauvage, Orgie,<br />
Pasolini (2003) ; C. Letailleur, Pasteur<br />
Ephraïm Magnus <strong>de</strong> Jahnn (2004-2005)<br />
et La Philosophie dans le boudoir,<br />
Sa<strong>de</strong> (2007-2008) ; A. Vassiliev,<br />
Thérèse philosophe (2007) ; C. Pouillon,<br />
La Bal<strong>la</strong><strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> geôle <strong>de</strong> Reading,<br />
Wil<strong>de</strong> (2009) ; Mouawad, Ciels (2009) ;<br />
P. Rambert, Clôture <strong>de</strong> l’amour,<br />
(2011) ; A. Théron, L’Argent, Tarkos<br />
(2012). Il sera artiste associé du<br />
Festival d’Avignon 2013.<br />
La Fondation d’entreprise EDF<br />
La Fondation d’entreprise EDF souhaite contribuer <strong>de</strong> façon<br />
concrète à une société plus humaine et solidaire en privilégiant<br />
<strong>la</strong> lutte contre l’isolement, et <strong>la</strong> prévention <strong>de</strong> l’exclusion<br />
économique, sociale et culturelle notamment en direction <strong>de</strong>s<br />
jeunes. Elle développe ainsi ses actions dans trois domaines :<br />
<strong>la</strong> solidarité, l’environnement et l’accès aux savoirs.<br />
Les projets culturels soutenus par <strong>la</strong> Fondation EDF, et<br />
accompagnés par <strong>de</strong>s parrains et <strong>de</strong>s marraines du Groupe,<br />
témoignent <strong>de</strong> son engagement en faveur du partage <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
connaissance et <strong>de</strong> <strong>la</strong> création, <strong>de</strong> <strong>la</strong> valorisation <strong>de</strong>s pratiques<br />
culturelles ouvertes aux jeunes en offrant à tous les publics<br />
<strong>de</strong>s clefs <strong>de</strong> compréhension <strong>de</strong>s richesses <strong>de</strong>s sociétés d’hier<br />
et d'aujourd’hui et en favorisant <strong>la</strong> cohésion sociale.<br />
29
Les Fondations Edmond <strong>de</strong> Rothschild<br />
Les Fondations Edmond <strong>de</strong> Rothschild développent une<br />
vision mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> <strong>la</strong> phi<strong>la</strong>nthropie au travers <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle elles<br />
défen<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> dignité et <strong>la</strong> responsabilisation <strong>de</strong> chacun.<br />
Leur action se concentre dans le domaine <strong>de</strong> l’éducation en<br />
abordant différentes thématiques : art et culture,<br />
entreprenariat social, dialogue interculturel et santé. Par<br />
leurs imp<strong>la</strong>ntations et leurs projets, les Fondations constituent<br />
un réseau dynamique, multiculturel et inter<strong>national</strong>. Elles<br />
i<strong>de</strong>ntifient les initiatives locales, développent <strong>de</strong>s modèles<br />
éducatifs innovants et partagent ces expériences.<br />
Les Fondations appliquent une méthodologie entrepreneuriale<br />
à l’univers phi<strong>la</strong>nthropique, contribuant ainsi à <strong>la</strong><br />
professionnalisation du secteur social.<br />
Elles oeuvrent pour <strong>la</strong> reconnaissance et le respect du<br />
pluralisme inhérent à chaque société.<br />
www.edrfoundations.org<br />
Les partenaires du spectacle<br />
Remerciements à Silvia Berutti-Ronelt, Raoul Fernan<strong>de</strong>z,<br />
EPOC productions, Emmanuelle Ossena et Charlotte Pesle Beal,<br />
et à l’équipe technique <strong>de</strong> création Antoine Guilloux,<br />
Arnaud Go<strong>de</strong>st, Laurent Gwenolé, Éric Morel.<br />
Directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> publication Stéphane Braunschweig<br />
Responsable <strong>de</strong> <strong>la</strong> publication Didier Juil<strong>la</strong>rd<br />
Rédaction, col<strong>la</strong>boration artistique Ange<strong>la</strong> De Lorenzis<br />
Réalisation Fanély Thirion, Florence Thomas<br />
Photographies Élisabeth Carecchio<br />
p. 7 coll. Musée du Louvre, Paris, instal<strong>la</strong>tion permanente,<br />
Jardin <strong>de</strong>s Tuileries et p. 26 vue <strong>de</strong> l’exposition : Giuseppe Penone.<br />
Die A<strong>de</strong>rn <strong>de</strong>s Steins, Kunstmuseum, Bonn, 14 mars - 19 mai 1997<br />
photos © Archivio Penone<br />
Conception graphique Atelier ter Bekke & Behage<br />
Maquettiste Tuong-Vi Nguyen<br />
Imprimerie Comelli, Villejust, France<br />
Licence n° 1-1035814<br />
Tous les droits <strong>de</strong> <strong>la</strong> présente publication sont réservés.<br />
La Colline — théâtre <strong>national</strong><br />
15 rue Malte-Brun Paris 20 e<br />
www.<strong>colline</strong>.fr<br />
Développement durable, La Colline s’engage<br />
Merci <strong>de</strong> déposer ce programme sur l’un <strong>de</strong>s présentoirs du hall<br />
du théâtre, si vous ne souhaitez pas le conserver.
01 44 62 52 52<br />
www.<strong>colline</strong>.fr