103/104 : Colloque 2003, etc. - Société des Amis d'Alfred Jarry

Jean-Ch ris l oph e Val ta (
sur la résistance, au sens électrique, de l'être humain, avec des mesures très
variables selon les protocoles d'expériences 29. Elle est en quelque sorte le
lieu final où s'élabore ce jeu paradigmatique des équivalences entre toutes
les formes de travail et d'énergie, et dont l'homme est au centre, cette fois
bien malgré lui. Elle est surtout l'allégorie de cette adaptation nécessaire
de l'homme à un environnement technique qui littéralement le met à mort,
avant que la Première Guerre mondiale ne s'en charge sur une plus large
échelle.
ON A VU que la réflexion sur le contexte scientifique et technique
du Surmâle mettait au jour un effet de structure quant à la distribution
des confrontations entre l'homme et la machine : le couple dynamomètre-chaise
électrique, d'une part, centré sur la question de la mesure ou
de l'incommensurabilité de l'énergie spécifiquement humaine, et le couple
ou le réseau bicyclette/locomotive-phonographe dont l'enjeu est celui de la
répétition automatisée, hypnotisée de l'effort physique. Si on les confronte
entre eux, ces couples thématiques oppose d'une part l'identification de
l'homme à la répétition machinale et d'autre part la manière dont l'homme
précisément s'échappe, spécifiquement, et à tous les sens du mot spécifique,
de cette identification. Deux formes de surhumanité sont ici proposées,
celle qui s'adapte à la machine, celle qui s'adapte (tout) contre la machine : si
Marcueil semble plutôt appartenir à la seconde catégorie, il n'est jamais loin
non plus de la première : l'image finale, plutôt qu'une récusation du modèle
du moteur humain, illustre celle d'une fusion fatale et tragique aux modèles
énergétiques et mécaniques machinaux. En cela, et quoique Jarry ait voulu
en faire, il représente moins l'homme du futur que l'homme contemporain,
et moins une alternative au discours scientifique que l'ambiguïté de celui-ci,
qui ne peut plus penser la spécificité humaine qu'à travers des modèles qui
la nient.
Jean-Christophe Valtat
29. Voir sur cette histoire, Brandon, Craig : The Electric Chair, An Unnatural American
74
History, Jefferson, McFarland, 1999, et le récent roman de Christophe Claro, Chair
électrique, Verticales, 2003.